Les progrès de la psychologie – Un grand potentiel de guérison

Vivre et Espérer - psychologieInterview de France Dandrel, psychopraticienne

France Dandrel est psychopraticienne. Elle commence à s’engager dans la pratique psychologique dans les années 1970. Et elle a suivi successivement différentes formations en vue de répondre à des besoins diversifiés.

Elle a commencé par un apprentissage de la méthode Vittoz, une méthode de relaxation basée sur l’utilisation de la relation sensorielle. Cependant, cette méthode à une particularité : la lecture des ondes cérébrales alpha et thêta. Cette méthode permet de voir si le cerveau est relaxé ou non. On peut faire cette lecture à partir du corps de la personne ou à distance. France Dandrel a évolué dans sa pratique, mais elle se sert toujours aujourd’hui de cette lecture des ondes cérébrales parce que celle-ci lui permet de voir, ce qui, dans la psychothérapie, a une influence positive ou non, quelque soit la pratique par ailleurs. Par exemple, la sophrologie est une méthode d’induction à partir d’images. Ce n’est pas toujours efficace parce que les ondes cérébrales ne sont pas vérifiées .

France Dandrel s’est rendu compte des limites de la méthode Vittoz. Elle a donc recherché d’autres méthodes. En premier lieu, elle s’est formée à la thérapie primale, c’est à dire une méthode qui permet d’exprimer les émotions au sens large par une expression corporelle : pleurs, colère, et aussi ce qui lui a donné son nom, un cri, le cri primal. Cette approche permet de réduire le blocage des émotions, mais, ensuite, une limite apparaît : cette approche ne transforme pas nécessairement les émotions considérées comme négatives en émotions positives.

France Dandrel s’est donc engagée ensuite dans une pratique appelée analyse psycho-organique qui a pour but de transformer l’énergie négative en énergie positive. On se répare en changeant les images intérieures. Par exemple, telle personne a subi la maltraitance d’un professeur ou en a été le témoin. Elle va être complètement coincée dans ses apprentissages scolaires. A travers l’analyse psycho-organique, tel jeune garçon, bloqué par une maltraitance scolaire, a pu être libéré du blocage et, au final, entrer dans une grande école. Le processus réside dans un changement d’image. Qu’est-ce que j’ai subi? Qu’est-ce que j’aurais aimé vivre à la place ? France Dandrel contrôle la visualisation à travers l’usage des ondes Vittoz.

Par la suite, France  Dandrel a ajouté à ses compétences, une approche systémique. Cette approche permet d’examiner les relations pour voir, si, dans une approche mutuelle, la relation est positive ou négative. A partir de là, on peut transformer le regard qu’on a, sur soi et sur l’autre, en valorisant le positif.

Dans la poursuite de sa formation et de sa pratique, France Dandrel s’est engagée dans la thérapie générationnelle. On regarde l’histoire familiale sur plusieurs générations et on observe les souffrances qui ont pu advenir dans les générations précédentes et qui peuvent avoir des incidences néfastes sur le présent. Par exemple, chez un homme qui avait la phobie du métro, on a découvert qu’un de ses aïeux avait fait la guerre de 1914 et avait beaucoup souffert dans les tranchées. La thérapie a permis à cet homme de revivre la terreur de l’aïeul. Et, la fois suivante, cet homme n’avait plus de phobie. Une autre personne avait peur d’être poignardée dans le dos. C’était une conséquence d’un trauma de la guerre de 1914. Elle a revécu ce trauma et elle a été guérie.

Dans la thérapie de couple et la thérapie familiale, France Dandrel utilise le jeu de rôle . En jouant le rôle du personnage négatif ayant vécu dans l’environnement familial, une libération peut se produire.

Une nouvelle technique, inventée aux Etats-Unis par Francine Shapiro, basée sur le mouvement des yeux, mais valables aussi  dans des mouvements sensoriels alternatifs droite-gauche et inversement, rebranche les deux cerveaux droite et gauche. Le cerveau entier est aux commandes et, dans cet état, il est capable de se réparer. C’est L’EMDR (eye movement desensibilisation reprocessing). Cette méthode a été importée en France par David Servan-Schreiber. France Dandrel a eu l’opportunité d’être formée par lui à cette approche. Cette méthode est remarquablement efficace à condition d’être sur la bonne cible. Francine Shapiro donne cet exemple : une femme était terrorisée par les boites de conserve parce qu’elle avait vécu une tempête où des boites de conserve lui étaient tombé dessus. La séance de EMDR a traité le trauma de la tempête. Les problèmes de beaucoup de gens résultent d’un réveil de trauma. En traitant par EMDR un trauma bien ciblé, on coupe les racines des réflexes conditionnés. Cette méthode a été élaborée pour aider les soldats ayant fait la guerre du Vietnam à retrouver une vie normale. France Dandrel a traité un homme ayant fait la guerre d’Algérie, et qui, dans son couple, disait le soir au conjoint : « Tais-toi ! ». Durant cette guerre, en patrouille, les soldats se mettaient en danger lorsqu’ils parlaient. C’était un souvenir traumatisant. Ce problème a été réglé en une seule séance de EMDR. Chez une personne ayant peur du bruit des voitures, on a découvert qu’elle associait à ce bruit celui d’un tremblement de terre vécu avec effroi. En une séance de EMDR bien ciblée sur cette origine : le tremblement de terre, la peur du bruit des voitures a disparu.

Le ciblage repose sur l’écoute de l’histoire de la personne. France Dandrel a appris l’écoute dans l’inspiration Rogerienne (Carl Rogers) au tout début de sa formation parallèlement à la méthode Vittoz. L’écoute favorise et requiert l’authenticité. Ainsi, en écoutant, on ressent des sensations et il est important d’écouter ces sensations corporelles. Lorsqu’on est sur la bonne piste, l’énergie intérieure circule . Ce signe vaut à la fois pour la thérapeute et pour la personne. En cas de blocage, le thérapeute exprime sa réaction, le blocage physiologique qu’elle ressent. La personne écoutée se rend compte qu’il y a un blocage. Il y a quelque chose qu’elle n’identifie pas ou qu’elle n’exprime pas. Elle reprend le fil de son histoire. Le courant passe.

A un moment de son parcours, France Dandrel a ajouté un autre outil : une approche psycho-spirituelle. Dans ce contexte, elle a appris à recevoir des images qu’elle peut soumettre à la personne. C’est le champ de la guérison intérieure.

A travers toutes ces approches qui se sont ajoutées au fil des années, France Dandrel a découvert le champ très large des blessures qui peuvent être guéries,  mais aussi une vaste panoplie d’outils permettant de guérir ces blessures. Comment peut-on comparer les ressources d’aujourd’hui à celles d’autrefois ? Dans les années 1970, il n’y avait pas grand chose. Il y avait l’analyse, l’hypnose et la méthode Vittoz. L’analyse, c’est regarder l’histoire de la personne et comment elle s’est construite à travers son histoire. Elle a fait des  choix, des « contrats » qui ont pu être adéquats au moment où elle les as fait, mais qui, pour la suite, peuvent se révéler inadéquats. Si une personne a été maltraitée en famille, elle va penser qu’il vaut mieux ne jamais vivre en famille ou elle va dysfonctionner en famille. Une limite de l’EMDR, c’est que, tout en étant efficace dans la réparation des blessures, par contre, elle ne prend pas obligatoirement en compte l’histoire de la personne, et, du coup, il peut y avoir des maillons qui ne sont pas pris en charge. S’il n’y a pas une approche globale de la personne, cela peut compromettre la progression de celle-ci. Dans l’analyse, la personne découvre son histoire, mais cela ne cicatrise pas, ne répare pas l’origine du traumatisme. Dans les années 1970,  on abordait l’histoire, on la comprenait, mais on ne pouvait pas intervenir pour réparer. En cinquante ans, on a développé le transformationnel. La transformation est très guérissante. Elle mobilise l’énergie globale de la personne. Tout le potentiel de guérison est mis en œuvre . Cette approche de la transformation a été particulièrement développée par l’école des Boyesen : l’approche psycho-organique. Ils se sont appuyés sur le corps, d’une part au niveau du massage, puis au niveau de la transformation. La personne développe ainsi son énergie positive. En EMDR, ce qui est ajouté,  c’est le fait de relier l’ensemble du cerveau et donc de réparer les blessures. L’EMDR permet au circuit neuronal de refonctionner.  Par rapport aux années 1970, aujourd’hui, les ressources sont bien plus vastes.  C’est incomparable.

France Dandrel nous rapporte même qu’elle a pu sortir une personne de l’hôpital psychiatrique. Cette personne ainsi condamnée à l’hospitalisation a pu non seulement sortir de l’hôpital, mais reprendre une vie normale. La personne a pu récupérer en identifiant le moment de sa vie ou elle avait été traumatisée, et, en traitant cet épisode, la personne a pu récupérer. Le potentiel humain est très vaste. Chaque outil thérapeutique va éclairer une partir du champ. Les différentes approches sont complémentaires et leur conjonction permet d’améliorer considérablement la qualité de la vie humaine.

Interview de France Dandrel rapportée ici à la suite d’une prise de notes.

J H

 

L’enfant : une personne à respecter

Une institutrice  témoigne.

Savoir demander pardon !

Un adulte qui demande pardon à un enfant : savez-vous que cela peut exister ? Cette attitude n’est pas courante dans la société actuelle. Voilà pourquoi j’ai admiré mon amie Virginie. Elle est enseignante dans le primaire. Les enfants sont durs et ils ont le don de mettre les nerfs de leurs enseignants à bout, m’a-t-elle raconté. Et ce jour-là, le petit (appelons-le) Martin l’a particulièrement énervée. Elle, habituellement si placide, a perdu patience et l’a rudement admonesté. La journée a passé, les nerfs à fleur de peau. Bien sûr,  Virginie n’était pas trop contente d’elle. La réaction habituelle est, bien souvent, de refouler ce malaise intérieur. Virginie, au contraire, s’est remémorée la situation et a pensé à l’enfant, m’a-t-elle dit. « Je n’aime pas penser qu’un enfant vienne à l’école, la peur au ventre, dans la crainte de se voir à nouveau rejeté dans ses réactions ». Et, geste que j’ai trouvé admirable, elle a demandé pardon à l’enfant devant sa maman. Celle-ci a été choquée que cette maîtresse  « s’abaisse » ainsi devant un enfant. Elle n’avait pas compris que ce n’était pas perdre son autorité que de reconnaître ses torts et de montrer que l’adulte n’est pas parfait. Au contraire, l’enfant se sent d’autant plus en confiance qu’il n’est pas soumis à une pression autoritaire. Tout enfant est sensible à la justice et il reconnaît la vraie autorité. Reconnaître ses erreurs est une attitude de force et non de faiblesse. Cette maman, sans le formuler ainsi, a dû le ressentir, car, d’après mon amie Virginie, elle est partie contente. S’est-elle, elle-même, sentie valorisée à travers son enfant ? C’est probable.

J’ai connu un père qui demandait ainsi pardon à son fils lorsqu’il s’énervait ou  se trompait. J’ai constaté qu’un grand courant de confiance et d’affection passait entre eux. Et j’ai apprécié ce sentiment de joie chez l’enfant, déjà adolescent, le jour où il s’est exclamé : « C’est bien de se disputer. Après on est content de se réconcilier ». Une sorte de connivence s’était établie entre eux.

Tout geste positif entraîne d’abondantes bénédictions. Cela me rappelle la recommandation de Paul aux chrétiens de Galates (6.1..). « Frères, si quelqu’un s’est laissé surprendre par une faute ,  vous, qui vous laissez conduire par l’Esprit, ramenez-le dans le droit chemin avec affection et douceur, en évitant tout sentiment de supériorité. Et toi qui interviens, fais attention de ne pas tomber toi-même dans l’erreur. ».  Jésus a montré beaucoup de sollicitude et de respect pour les enfants. Les mots bibliques de douceur et humilité sont peu employés de nos jours dans la vie courante. Par contre, le respect est fréquemment invoqué et il est souvent réclamé par des jeunes et des moins jeunes. N’est-ce pas là une attitude préalable à toute relation vraie et à un véritable amour pour le prochain ?

Cette histoire a été pour moi une source de réflexion que je partage ici,  comme un éveil à la beauté qui se dégage d’une relation vécue dans l’amour et la vérité.  Merci, Virginie, de m’avoir raconté ta mésaventure avec tant de simplicité.

Odile Hassenforder

 

Dix ans après son départ en mars 2009, ce blog continue à s’inspirer  de la pensée d’Odile et de son livre : « Sa présence dans ma vie » dont des extraits sont  régulièrement publiés sur ce site : https://vivreetesperer.com/odile-hassenforder-sa-presence-dans-ma-vie-un-temoignage-vivant/

Cet article, mis en ligne en mars 2007 sur le site : Témoins, avait échappé à la recension du livre, et nous le publions ici. Dans sa version initiale, il est suivi par le témoignage de Virginie auquel on pourra se reporter : http://www.temoins.com/lenfant-une-personne-a-respecter-une-institutrice-temoigne/

Ce récit nous « éveille à la beauté qui se dégage d’une relation vécue dans l’amour et la vérité ». Mais il appelle aussi au respect de l ‘enfant. On peut se réjouir que cette conscience s’étende et s’affirme aujourd’hui. C’est le cas dans l’approche Montessorienne qui se diffuse aujourd’hui sur différents modes et notamment dans l’expérience et la pensée de Céline Alvarez : « Pour une éducation nouvelle, vague après vague » : https://vivreetesperer.com/pour-une-education-nouvelle-vague-apres-vague/

C’est aussi le cas dans l’éducation bienveillante qui peut s’appuyer sur la Communication Non Violente (CNV) . A cet égard, on pourra consulter le blog de Coralie Garnier :les6doigtsdelamain, qui nous présente une approche de « parentalité positive ». On pourra y lire le récit de l’entretien de Coralie avec le professeur de sa fille qui avait injustement rabroué celle-ci. Dans une inspiration de communication non violente, une finesse et sa compréhension qui engendrent la réussite du dialogue, l’attitude de Coralie  et la description de la conversation nous paraissent exemplaires. Respect de l’enfant, respect de l’adulte : « Mon entretien délicat avec le professeur de ma fille » : https://les6doigtsdelamain.com/mon-entretien-delicat-avec-la-professeur-de-ma-fille/

Avoir de la gratitude

https://images-na.ssl-images-amazon.com/images/I/41J8pTpvz9L._SX303_BO1,204,203,200_.jpgUn éclairage de Bertrand Vergely

Et si nous reconnaissions aujourd’hui tout ce que nous avons reçu des autres et qui fait que nous sommes vivant

Et si nous exprimions cette reconnaissance dans un mouvement de vie bienfaisante à la fois pour ceux à qui nous l’exprimons, mais aussi pour nous-même.

Car, au cœur de ce mouvement, il y a une dynamique à la fois personnelle et collective où nous pouvons percevoir l’inspiration de l’Esprit

C’est dire comme il est bon d’entendre parler de gratitude, et d’en découvrir la portée et les effets.

Ainsi avons nous accueilli avec reconnaissance une intervention de Florence Servan-Schreiber à Ted X Paris sur « le pouvoir de la gratitude » (1). Cet exposé est remarquable parce qu’il allie une compétence de psychologue ayant accès aux meilleures sources et une démarche personnelle exprimée dans un esprit de recherche, de dialogue, de conviction et d’authenticité. Dans son livre : « Retour à l’émerveillement » (2), Bertrand Vergely aborde le même sujet dans une approche complémentaire, une approche philosophique, spirituelle, théologique (3). Il nous donne à voir le sens profond de ce mouvement.

Merci

Quoi de plus naturel que de dire : « merci » ! Et  si on peut le dire souvent, il y a comme une joie qui s’épanche, un élan de reconnaissance et de sympathie. C’est une expression de la vie quotidienne. Et c’est effectivement dans ce contexte que Bertrand Vergely nous en montre l’importance. Ce n’est pas seulement une expression du cœur, c’est aussi un mouvement qui s’inscrit dans la vie sociale, l’embellit et la pacifie. « Il est beau de dire merci. Cela permet de clore quelque chose et d’ouvrir autre chose. Dans le monde de la violence, on ne dit pas merci. Pire, on ne se fait grâce de rien, on est « sans merci ». On se poursuit sans répit, on se persécute, on ne s’épargne rien. Cela révèle la profondeur du merci. Prononcer ce mot, c’est passer de la guerre à la paix, de la haine à la réconciliation, de l’inimitié à la relation. On pourrait poursuivre la lutte, la haine, la persécution. On décide de ne pas le faire et de revenir à la logique des échanges et du don ».

Les « mercis » ponctuent une vie quotidienne dans laquelle on reçoit et on donne, on donne et on reçoit. C’est en quelque sorte un marqueur de civilité, une expression de vie civilisée. « Logique dans laquelle on se salue réciproquement. On donne et on reçoit. On offre et on dit merci. Il s’agit là d’une révolution obéissant à un constat lucide. Ou l’on persiste à vivre dans la violence, ou on y renonce et on vit… ».

Dire merci s’inscrit ainsi dans une vie sociale ou le partage se réalise dans une relation réciproque. «  C’est le « pacte de réciprocité » inséparable d’un pacte de non violence ainsi que le rappelle Marcel Mauss dans son « Essai sur le don ». « La relation réciproque annule la violence. Personne ne prenant sans donner et ne donnant sans prendre. Il n’y a ni dominant, ni dominé. Le remerciement prend sa source dans une telle logique et donne la logique de l’invitation sue laquelle repose la vie sociale. On a été invité. On invite à son tour… Cette politesse fait en sorte que personne ne sacrifie l’autre ou ne soit sacrifié par lui… Profondeur du merci. Il raconte ce qui perd l’humanité. Il raconte ce qui la sauve. Nous mourrons de ne jamais dire « merci », nous ressuscitons en le disant ».

Gratitude

Mais l’expression de notre reconnaissance dépasse de beaucoup l’ordinaire de la vie quotidienne.

« La gratitude va plus loin que le merci. Comme montre l’expérience, on est dans la gratitude quand on fait plus que remercier quelqu’un. On est dans un tel état parce que l’on a reçu quelque chose d’exceptionnel. Quand quelqu’un nous a sauvé la vie, nous éprouvons de la gratitude, une profonde, une extrême gratitude. On se situe là dans la plus grande profondeur qui soit… Notre cœur est rempli de gratitude. Nous rendons grâce. Nous avons conscience du miracle en nous sentant petit devant l’immense… L’existence est un miracle permanent. Nous ne nous en rendons pas assez compte ».

Cette gratitude a une portée sociale. Elle a aussi une dimension spirituelle. « Quand il n’est pas déprimé, l’homme moderne rouspète. Il est mécontent, indigné, révolté et il le fait savoir. Jamais il ne dit merci. Il pense que tout lui est du ». Bertrand Vergely voit là un manque profond, jusqu’à un drame spirituel. « Il y a une ingratitude profonde dans le cœur humain. Au lieu de remercier, l’ingrat proteste. Il poursuit Dieu de sa vindicte en lui reprochant non seulement d’avoir raté, mais créé le monde. L’existence de l’humanité est pour lui un crime de lèse-humanité.

On va loin quand on a un moment de gratitude en remerciant le Ciel d’exister. On touche au drame inconscient de l’humanité. Celle-ci a un compte à régler avec Dieu comme avec elle-même. Elle n’est pas heureuse d’exister. On sort de cette logique meurtrière en ayant un peu de gratitude et en ouvrant les yeux. Oui, il est miraculeux de vivre (4). L’univers, la vie, l’humanité sont des miracles permanents. Nous-mêmes, nous sommes des miracles vivants. Nous devrions être morts cent fois, nous sommes encore là. Nous sommes des miraculés. Sans que nous le sachions, sans nous en rendre compte, nous avons été sauvés cent fois ».

Bertrand Vergely nous entraine plus loin encore dans une dimension métaphysique. « Si le mot « merci » permet de mettre fin à la guerre qui fait rage entre les hommes sur terre, le mot « gratitude » permet de mettre fin à celle qui fait rage entre les hommes et le Ciel. Il est courant de penser que la métaphysique est inutile et que nous n’en avons pas besoin pour vivre. Il s’agit d’une erreur profonde : elle est indispensable et l’on vit mal quand on s’en passe . L’être humain est un arbre qui relie le Ciel et la Terre. Privons-le de la Terre, il s’écroule. Privons-le du Ciel, il étouffe.

La  gratitude est vitale. Elle signifie la paix avec le Ciel. et avec celle-ci, la liberté. Il est beau de voir le monde avec gratitude… Tout étant un miracle, tout vit. Tout se met à vivre. On a alors envie de vivre et de se réjouir de l’existence de l’humanité ».

Dire merci, exprimer de la gratitude témoignent du même esprit, de la même sensibilité et s’inscrivent dans une démarche commune. Si Bertrand Vergely les distingue, ce n’est pas seulement en fonction de l’intensité de ces deux expressions, c’est parce qu’il les situe dans un contexte plus large.  Nous sommes de plus en plus nombreux à partager une vision de la société comme un tissu de relations.  « Si l’Esprit est répandu sur toute la création, il fait de toutes les créatures avec Dieu et entres elles, cette communauté de la création dans laquelle toutes les créatures communiquent, chacune à sa manière entre elles et avec Dieu » déclare le théologien Jürgen Moltmann qui cite Martin Buber : « Au commencement était la relation » (5). Bertrand Vergely montre l’importance de la gratitude dans le plein déroulement des relations. Et comme Jürgen Moltmann, Richard Rohr (6) ou d’autres, il se fonde sur une théologie trinitaire  et met en évidence le rôle de l’incarnation. « La vie est relation… Cela veut dire que le Ciel et la Terre sont liés. Dieu a crée l’univers et l’homme pour s’unir à eux… il a créé pour transmettre, pour rayonner, pour diffuser. Il a bâti un pont entre lui et son autre, en l’occurrence l’univers et l’homme… Qui s’applique, bâtit des ponts, il reprend le geste divin de la création » ( p 253-254). La gratitude, comme la louange sur laquelle elle débouche, participent à cette œuvre.

Il est temps maintenant d’apporter un témoignage concret de la manière dont la gratitude accompagne une vie pleine malgré les épreuves. C’est le témoignage d’Odile Hassenforder dans son livre : « Sa présence dans ma vie » (7) : « Que c’est bon d’exister pour admirer, m’émerveiller, adorer. C’est gratuit. Je n’ai qu’à recevoir, en profiter, goûter sans culpabilité, sans besoin de me justifier (Justifier quoi ? de vivre ?). D’un sentiment de reconnaissance jaillit une louange joyeuse, une adoration au créateur de l’univers dont je fais partie, au Dieu qui veut le bonheur de ses créatures. Alors mon ego n’est plus au centre de ma vie. Il tient tout simplement sa place, relié à un « tout » sans prétention  (Psaume 131). Je respire le courant de la vie qui me traverse et poursuit son chemin. Comme il est écrit dans un psaume : « Cette journée est pour moi un sujet de joie… Une joie pleine en ta présence, un plaisir éternel auprès de toi, mon Dieu… Louez l’Eternel, car il est bon. Son amour est infini (Psaume 16.118) ». Expression personnelle, la gratitude nous invite au dépassement, à une participation  à  plus grand que nous, à la reconnaissance de la présence divine.  Comme l’écrit Bertrand Vergely : « Il est beau de voir le monde avec gratitude. Tout étant miracle, tout vit, tout se met à vivre. On a alors envie de vivre et de se réjouir de l’existence de l’humanité ».

Jean Hassenforder

 

Ecouter les paroles des plus fragiles, c’est aussi entrer dans un changement personnel

ACAT

 

 Guy Aurenche, ancien président de l’ACAT (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture) et du CCFD-Terre solidaire (Comité catholique contre la faim et pour le Développement), a été invité dans une communauté chrétienne qui affronte des problèmes de fragilité et de marginalité. A partir de son expérience personnelle, associative et ecclésiale, il a répondu à  la question qui lui était posée : «  Comment la parole des plus fragiles m’a changé et me change encore aujourd’hui ? ».

En réponse, Guy Aurenche propose cinq pistes.

« Très tôt, à travers l’ACAT, j’ai rencontré les réalités épouvantables de la torture. J’ai été bouleversé par tant de capacités destructrices. Cependant, le message que j’ai reçu a été celui de notre capacité à rejoindre les victimes dans leur drame et à briser la solitude imposée pour les détruire. Par les actions, les protestations et la prière, j’ai découvert que je pouvais devenir un modeste sauveteur, un briseur de solitude. Alors les victimes se déclaraient sauvées car elles n’étaient plus seules pour affronter leurs souffrances. La parole des plus fragiles a fait de moi un briseur de solitude, une source de vie.

La parole des plus fragiles nous met sur le chemin de la fraternité. A travers les partenariats noués par le CCFD-Terre solidaire avec des associations combattant les injustices, j’ai rencontré non pas des pauvres et des malheureux, mais des frères et des sœurs avec lesquels je pouvais agir. Cette fraternité, parfois déconcertante, m’a permis de cheminer et de découvrir que l’autre était frère.

La parole des plus fragiles a fait de moi un « porteur de parole ». a travers le métier d’avocat, les plus fragiles m’ont demandé de dire leur parole dans le cadre de la justice. Ils étaient alors reconnus dans leur dignité quelque soit les fautes qu’on leur reprochait, alors qu’ils n’étaient pas capables de se faire entendre. J’ai parfois rencontré des problèmes de conscience lorsque la parole qu’il m’était demandé de porter, ne me semblait pas conforme à la vérité. Cependant, après réflexion, j’ai défendu leur parole, car le juge avait besoin de l’entendre avant de se prononcer. Les plus fragiles m’ont appris le lien  entre la reconnaissance de la dignité d’une personne et l’écoute de sa parole.

La parole des plus fragiles a fait de moi un acteur de transformation sociale pour découvrir peu à peu qu’il ne suffisait pas d’entendre leur cri, mais de les rejoindre dans le combat social, économique pour s’attaquer aux causes des injustices. Cette action de transformation sociale devait se faire non pas seulement à travers mes propres idées, mais en accueillant la capacité inventive de ceux avec lesquels j’intervenais. La parole des plus fragiles m’a aidé et m’aide à donner tout son sens à l’engagement politique.

La parole des plus fragiles m’a aidé et m’aide à découvrir les profondeurs de la pauvreté. Nous nous faisons une idée restreinte de la pauvreté en la limitant à une approche matérielle. Par ailleurs, nous risquons toujours d’avoir « nos pauvres » selon nos critères philosophiques ou confessionnels. Ce sont souvent les plus fragiles qui m’ont fait découvrir qu’à coté d’eux, il y avait encore des plus pauvres et je ne l’avais pas vu. La parole des plus fragiles m’aide aujourd’hui à repérer les situations de pauvreté qui m’entourent.

C’est une bonne nouvelle que de découvrir que je suis capable de briser des solitudes, que j’appartiens à une fraternité agissante, qu’en portant sa parole, je peux aider l’autre à être reconnu, qu’en agissant ensemble, nous pouvons nous attaquer aux causes des injustices et que mes yeux comme mon cœur doivent rester à l’affut de toutes les pauvretés qui se cachent autour de moi ».

Interview de Guy Aurenche

Sur ce blog, voir aussi : «  Justice sur la terre comme au ciel » : un livre de Guy Aurenche : https://vivreetesperer.com/dans-un-monde-difficile-un-temoignage-porteur-de-joie-et-desperance/

 

Reconnaître le miracle dans nos vies

Rodolphe Gozegba, pasteur dans une paroisse alsacienne, avait été invité à participer à une réunion organisée par une paroissienne qui avait invité des amis chez elle. Il y avait donc onze personnes dans ce petit groupe. Elles n’appartenaient pas toutes à la paroisse. Elles avaient été invitées pour qu’elles puissent faire connaissance avec le nouveau pasteur de la paroisse. C’était donc une rencontre conviviale et amicale.

Au début de la réunion, chacun s’est présenté. Après cette présentation, chacun s’est retrouvé autour d’une table avec gâteaux et café. Pendant qu’on mangeait ensemble, les gens parlaient seulement à leurs voisins. Pour permettre une conversation en commun, Rodolphe a eu une idée : poser une question qui permettrait à chacun de s’exprimer en mobilisant l’attention de tous sur un thème commun. Et, il a donc suggéré la question suivante : « Je sais que Dieu a fait des miracles dans nos vies et que nous sommes sans doute marqués par un de ces miracles. Est-ce que nous pourrions témoigner de ce miracle en peu de mots ? ». Tout le monde a trouvé que c’était une excellente idée. Et donc, chacun s’est exprimé à tour de rôle.

La voisine de Rodolphe, une femme d’origine syrienne, accompagnée par sa sœur, a témoigné pour elles deux. Elles ont connu une guerre terrible en Syrie et aussi des persécutions envers les chrétiens. Pour elles, le miracle a été la persévérance des chrétiens malgré la persécution. Aucun n’a abandonné la foi. Dieu merci, elles sont aujourd’hui vivantes en France.

La deuxième personne qui s’est exprimée nous a dit : « Mon miracle, c’est que je viens d’être guérie de mon cancer ».

Une veuve nous a ensuite parlé de la vie qu’elle a eue avec son mari. Au départ, elle avait hésité à l’épouser. Et puis, elle a trouvé ensuite en lui un homme admirable. C’est « l’homme de sa vie ».

Une autre personne, un homme, a témoigné qu’après le décès de sa première femme, il a rencontré, il y a vingt-cinq ans, une femme d’origine américaine, avec laquelle il s’est marié et se trouve heureux aujourd’hui. Cette femme était là avec lui et elle a aussi témoigné. Ayant quitté les Etats-Unis, elle était allé en Allemagne et ensuite, elle est arrivée en Alsace où elle a rencontré son mari avec lequel elle est très heureuse aujourd’hui. Ainsi nous a-t-elle dit : « J’ai fait tout un périple pour finalement trouver l’homme de ma vie ». Cet amour est pour elle le grand miracle de Dieu.

Nous avons entendu ensuite le témoignage du mari de la femme qui a été guéri du cancer. Cet homme a beaucoup parlé. Un jour, nous a-t-il dit, il a entendu un pasteur déclarer dans sa prédication qu’il ne croyait pas à la résurrection de Jésus. Il a été profondément choqué et particulièrement scandalisé. Il a quitté l’église. « La foi chrétienne, vidée de la résurrection, n’est plus la foi chrétienne ». Dieu est au coeur de sa vie et sa raison d’être. « Sans Lui, je ne suis rien ».

La paroissienne qui nous a accueilli, a raconté que, lorsqu’elle était plus jeune, elle voyageait beaucoup. Et, comme elle n’avait pas beaucoup d’argent, elle prenait des avions avec plusieurs escales. Un jour, en allant au Japon, son mari et elle, ont fait une escale en Irak. Elle était enceinte d’un garçon et a fait une fausse couche. Par la suite, en Alsace, elle a enseigné le français à un jeune immigré irakien. Une relation forte s’est créée et celui-ci s’est mis à la considérer comme sa mère. Ce couple a une grande fille, mais il n’avait pas de garçon. Ils ont adopté le jeune irakien. Elle, qui avait perdu un garçon, en a retrouvé un. Ils ont désormais une grande fille et ce fils adopté. C’est le miracle de leur vie.

Ce tour de table s’est terminé par le témoignage de Rodolphe. Pour lui, le miracle, c’est que Dieu a fait de lui son serviteur, pasteur dans l’Eglise.

 

Comment Rodolphe a-t-il ressenti ce partage ?

Les participants étaient des chrétiens avec des sensibilités différentes. Par exemple, les deux syriennes étaient orthodoxes. Le couple franco-américain était mennonite… Nous étions en communion.

C’est la première fois que Rodolphe posait cette question : quel est le miracle qui a marqué votre vie ? Or, nous dit-il, « On envisage généralement le miracle comme une intervention extraordinaire de Dieu. Moi-même, je m’attendais à des témoignages de ce genre . Mais, dans ce groupe là, j’ai découvert que chaque personne a sa conception du miracle. Le miracle n’est pas forcément une manifestation soudaine et extraordinaire de Dieu. Le miracle, ce peut être aussi une merveilleuse rencontre. Ce peut-être une bonne amitié qui débouche sur une belle relation. Ce peut être la conscience affirmée d’une relation avec Dieu. Ici, dans ce groupe, le miracle était reconnu dans une manifestation de Dieu au quotidien. Nous avons appris à la reconnaître. C’est un sujet de joie et de reconnaissance ».

Récit et témoignage de Rodolphe Gozegba rapporté par Jean Hassenforder

 

Voir aussi sur ce blog :  « Le miracle de l’existence. Un éclairage de Bertrand Vergely » : https://vivreetesperer.com/?p=2890

 

 

Une vie pleine, c’est une vie qui a du sens

Emily Esfahani SmithLa vie aspire à plus qu’au bonheur

« There is more to life than being happy »

Selon Emily Esfahani Smith

Quelle vie voulons-nous avoir ? Qu’est-ce que nous recherchons en premier dans notre vie ? Quelle est notre représentation de la vie bonne, de la vie pleine ? Incidemment, ce questionnement transparait dans les vœux que nous faisons à nos proches et à nos amis au nouvel an ou lors d’un anniversaire. Le mot bonheur vient alors à notre esprit. Mais comment envisageons-nous le bonheur ? Sans doute, nous ne donnons pas tous la même signification à ce terme. Une jeune psychologue américaine, Emily Esfahani Smith nous appelle à réfléchir à cette question dans un entretien vidéo TED : « There is more to life than being happy » (1).

De fait, il s’agit là d’une question existentielle, une question qui implique toute notre existence. Et si Emily l’aborde aujourd’hui en psychologue, c’est parce qu’elle se l’est posée d’abord dans sa première jeunesse, dans sa vie d’étudiante. Ce questionnement a débouché sur une recherche qui s’est inscrite dans le champ de la psychologie, une psychologie elle-même en quête aujourd’hui dans ce domaine. Et, comme on le verra, ce mouvement n’est pas une particularité américaine. Il est aujourd’hui international.

Déjà, après la seconde guerre mondiale, un psychiatre, Viktor Frankl (2), en sortant de camps de concentration, avait mis en évidence l’importance vitale du sens qui donne à notre vie une capacité de résister aux épreuves et une force dans la vie. Dans une autre conjoncture, à un autre moment de l’histoire, Emily a été conduite également à se poser la question du sens, car elle s’est rendu compte que la recherche d’un bonheur superficiel, en terme de satisfaction individualiste et passagère, débouchait sur une impasse. Ainsi nous dit-elle : « Avant, je pensais que le but de la vie était la poursuite du bonheur. Tout le monde disait que le chemin du bonheur était la réussite, alors j’ai cherché ce travail idéal, ce petit ami idéal, ce bel appartement. Mais, au lieu de me sentir satisfaite, je me sentais anxieuse et à la dérive. Je n’étais pas seule. Mes amis aussi rencontraient des difficultés ». Et, en suivant des cours de psychologie positive à l’université, Emily a découvert qu’il y avait bien un malaise largement répandu dans la société. Si la poursuite du bonheur est aujourd’hui une motivation courante, elle s’avère manifestement défaillante. « Ce qui m’a vraiment frappé est ceci : Le taux de suicide est en augmentation à travers le monde et en Amérique, il a récemment atteint son point le plus haut en trente ans. Même si objectivement les conditions de vie s’améliorent… plus de gens se sentent désespérés, déprimés et seuls. Il y a un vide qui ronge les gens et il ne faut pas forcément être en dépression clinique pour le ressentir. Tôt ou tard, nous nous demandons tous : Est-ce là tout ? ».

 

On doit aller plus loin dans la compréhension de la vie. « De nombreux psychologues définissent le bonheur comme un état de confort et d’aisance, se sentir bien dans l’instant ». Cependant, comme l’indique en France le psychologue Jacques Lecomte,  le bien–être ne suffit pas. Nous avons besoin également d’une motivation, d’une inspiration qui nous sont apportées par le sens que nous donnons à notre vie (3). Ainsi Emily a choisi d’entrer dans la voie du sens. « Notre culture est obsédée par le bonheur, mais j’ai découvert que chercher du sens est la voie la plus épanouissante. Les études montrent que les gens qui trouvent du sens à leur vie sont plus résilients, s’en sortent mieux à l’école et vivent plus longtemps ». Parce que cette question lui paraissait essentielle, Emily s’est engagée dans la recherche. Pendant cinq ans, « elle a interviewé des centaines de gens et lu des milliers de pages de psychologie, de neuroscience et de philosophie ». Elle a publié un livre : « The power of meaning crafting a life that matters » qui vient d’être traduit en français sous le titre : « Je donne du sens à ma vie. Les quatre piliers essentiels pour vivre pleinement » (4).

 

Les quatre piliers essentiels pour vivre pleinement.

Emily distingue quatre piliers pour vivre pleinement :  l’appartenance, la raison d’être, la transcendance, la mise en récit.

« Le premier pilier est l’appartenance. L’appartenance découle du fait d’être dans des relations ou vous êtes estimé pour qui vous êtes intrinsèquement et où vous estimez également les autres ».  Cependant, l’appartenance n’est pas une panacée, car tout dépend de la qualité du groupe auquel on appartient. « La vraie appartenance émane de l’amour. Elle existe dans de moments partagés entre deux personnes ». Nous savons combien les relations ont une importance vitale (5). Emily donne un exemple : Lorsque son ami Jonathan achète régulièrement son journal au même vendeur de rue à New York, il se crée là aussi une relation qui induit une reconnaissance réciproque, un climat de confiance Elle évoque un incident où cette confiance a été ébréchée. Il est important de veiller à la qualité de nos relations. « Je passe devant une personne que je connais sans la reconnaître. Je regarde mon téléphone quand quelqu’un me parle. Ces actions dévaluent les autres. Il les font se sentir invisibles et sans valeur.     Quand vous avancez avec  amour, vous créez un lien qui nous tire tous vers le haut ».

Pour beaucoup, l’appartenance est la source essentielle de sens dans la vie. Pour d’autres, la clé du sens est la poursuite d’un but qui donne une raison d’être. C’est le second pilier. « Trouver un but dans la vie n’est pas la même chose que de trouver un travail qui vous rend heureux ». Avoir un but dans la vie pour le bien des autres est une motivation qui engendre orientation et mobilisation de la vie. « Un agent hospitalier m’a dit que son but était de guérir les malades. Beaucoup de parents me disent que leur but est d’élever leurs enfants. La clé du but dans la vie est d’utiliser nos forces pour servir les autres . Bien sur, beaucoup d’entre nous le font à travers leur travail. C’est ainsi que nous contribuons et nous sentons utiles. Cela signifie aussi que des problèmes tels que le désengagement au travail, le chômage, un faible taux de participation à la vie professionnelle ne sont pas que des problèmes économiques, ce sont des problèmes existentiels. En n’ayant pas quelque chose de louable à faire, les gens sont perdus ».

Il y a une troisième manière d’accéder à un sens dans sa vie. C’est la transcendance. La transcendance se manifeste dans des contextes différents, par exemple dans la vie en église ou dans des communautés religieuses. Elle apparaît également dans des expériences spirituelles (6). « Les états de transcendance sont ces rares moments où vous vous élevez au dessus de l’agitation quotidienne. Votre conscience de vous même s’estompe et vous vous sentez connectés à une réalité supérieure. Pour moi, en tant qu’écrivain, cela se produit à travers l’écriture. Parfois cela m’emporte tellement que je perd tout sens de l’espace-temps. Ces expériences transcendantes peuvent nous changer. Dans une recherche, on a demandé à des étudiants de regarder un eucalyptus de 60 mètres de haut pendant une minute. Après cela, ils se sont sentis moins égocentriques et se sont comportés plus généreusement quand ils avaient l’opportunité d’aider quelqu’un ».

A l’appartenance, la raison d’être à travers la poursuite d’un but, la transcendance, Emily ajoute « un quatrième pilier du sens ». C’est « la narration, l’histoire que vous racontez à votre propos. Créer un récit à partir des évènements de votre vie apporte de la clarté. Cela aide à comprendre comment vous êtes devenus vous-même. Nous ne réalisons pas toujours que nous sommes l’auteur et que nous pouvons changer notre façon de raconter. Notre vie n’est pas uniquement une liste d’évènements. Vous pouvez éditer, interpréter et raconter votre histoire, même en étant contraint par les faits ».

En exemple, Emily nous raconte le parcours d’Emeka, un jeune homme paralysé après avoir joué au football. Il a su adopter une attitude positive et l’affirmer dans son histoire de vie. « Le psychologue Dan Mc Adams appelle cela « une histoire rédemptrice » où le mauvais est racheté par le bon. Les gens ayant une vie pleine de sens racontent l’histoire de leur vie à travers la rédemption, la croissance et l’amour ».

Emily accorde ainsi une grande importance au récit personnel au point de l’inclure parmi les quatre grands piliers sur lesquels repose une vie qui a du sens. L’histoire de vie est effectivement une voie privilégiée pour découvrir, exprimer et affirmer le sens de notre existence. C’est aussi ce qu’exprime le témoignage dans le contexte de milieux chrétiens.

 

Le parcours d’Emily : une expérience de vie et une vision

Emily a grandi dans une famille qui s’inscrivait dans une culture spirituelle de l’Islam : la culture soufi. Elle a pu vivre des valeurs fortes qui sont effectivement porteuses de sens : une solidarité, une expérience spirituelle partagée et chaleureuse. « Quand je suis partie à l’université et sans l’encrage soufi quotidien  dans ma vie, je me sentais larguée. J’ai commencé à chercher ces choses qui font que la vie en vaut la peine. C’est ce qui m’a conduite à ce voyage. En y repensant, je me rend compte que la maison soufie avait une vraie culture du sens de la vie. Les piliers faisaient partie de l’architecture et la présence des piliers nous aidait à vivre plus profondément ». Et d’ailleurs, en terminant cet entretien,  Emily raconte comment son père, en passe de subir une grave opération, a été soutenu par la pensée d’amour qu’il portait à ses enfants. « Mon père est menuisier et soufi. C’est une vie humble, mais une bonne vie. Son sens d’appartenance à une famille, son but en tant que père, sa méditation transcendante, la répétition de nos noms, il dit que ce sont les raisons pour lesquelles il a survécu . C’est l’histoire qu’il raconte. C’est le pouvoir du sens dans la vie. Le bonheur va et vient. Mais quand la vie est vraiment belle, si les choses tournent très mal, avoir un sens à sa vie vous donne une chose à laquelle vous pouvez vous accrocher ».

 

Un éclairage pour nos vies

L’approche d’Emily Esfahani Smith sur la manière de donner du sens à notre vie nous parait particulièrement utile et précieuse. En effet, c’est à partir de son expérience personnelle en lien avec celle d’une jeune génération qu’Emily s’est engagée dans une recherche de long cours pour répondre aux questions existentielles qui prennent aujourd’hui une importance croissante. Et elle apporte des réponses qui prennent en compte la diversité des situations et des parcours.

Nous savons par expérience combien la question du sens a une importance vitale. C’est bien à cette question qu’Odile Hassenforder, très présente sur ce blog, a répondu dans son livre : « Sa présence dans ma vie » (7) à travers une expérience du don de Dieu et un vécu de fraternité et de spiritualité chrétienne. Et, sur ce blog, notre intention est bien d’ouvrir des pistes et réaliser des outils de compréhension pour des chercheurs de sens en faisant appel à des récits, des réflexions et des recherches. C’est notre motivation. Ainsi nous nous trouvons en affinité avec la démarche d’Emily.

Son livre : « Je donne du sens à ma vie » (4) prolonge son entretien en vidéo dans un texte abondamment documenté. Nous pouvons reprendre ici sa conclusion. Elle y reprend une affirmation de Viktor Frankl  (2): « l’amour est le plus grand bien auquel l’homme peut aspirer. L’être humain trouve son salut à travers et dans l’amour ». Et elle poursuit : « L’amour est bien évidemment au cœur d’une vie pleine de sens. C’est un ingrédient indissociable des quatre piliers du sens qui apparaît de façon récurrente  dans les histoires de personnes que j’ai relatées »… « L’acte d’amour commence par la définition même du sens. Il commence par le fait de sortir de sa coquille pour se connecter aux autres et contribuer à quelque chose ou à quelqu’un plutôt qu’à soi.  « Plus quelqu’un s’oublie lui-même et se dévoue à une cause ou à quelqu’un d’autre, plus il est humain », écrit Viktor Frankl. C’est le pouvoir du sens… C’est prendre le temps de s’arrêter pour saluer le marchand de journaux ou pour réconforter un collègue qui parait déprimé. C’est aider les gens à être en meilleure santé, à être un bon parent ou un bon tuteur pour un enfant. C’est contempler avec émerveillement le ciel étoilé et assister aux complies avec des amis. C’est écouter attentivement l’histoire d’un proche. C’est prendre soin d’une plante. Ce sont des actes humbles en soi. Mais ensemble, ils illuminent le monde » (p 276-278).

 

J H