par jean | Fév 12, 2017 | ARTICLES, Vision et sens |
« Sa Présence dans ma vie » : tel est le titre du livre d’Odile Hassenforder dont l’inspiration irrigue ce blog. Bien reçue, cette présence de Dieu, manifeste en Christ, fonde et inspire la prière.
Odile nous en parle dans les termes d’une expérience familière.
J’aurais beau arroser une plante, si ses racines ne plongent pas dans la bonne terre, elle dépérira fatalement.
« Demandez et vous recevrez », dit Jésus. Mes demandes sont-elles justes, est-ce que bien souvent nous demandons à recevoir le fruit de l’arbre sans vérifier que celui-ci a des racines dans la bonne terre. Jésus n’a-t-il pas dit : « je suis le cep, vous êtes les sarments ». Ceux-ci portent du fruit si la sève transporte la nourriture. Désirer cet enracinement en Christ me semble préalable à notre prière de demande.
Avoir soif de vivre en relation avec Dieu, imprégnée de sa présence, donne un sentiment de plénitude, de bien être intérieur.
Louange, remerciement ouvrent la porte à la manifestation divine. Ma demande va peut-être changer d’orientation. Dans ma relation à autrui, par exemple. Imprégnée de la bonté de Dieu pour moi, je ressens que je deviens bienveillante.
Attitudes dans la prière.
° Cri du cœur.
Dépôt des soucis, préoccupations
Nos sentiments, crainte, souffrance, doute…
Au pied de la Croix…
Car Jésus, en détruisant le pouvoir de la mort qu’il a traversé pour une nouveauté de vie…
Par ses meurtrissures, Il nous a guéri.
C’est une chose accomplie, en potentialité, à appliquer, réaliser aujourd’hui pour moi, dans la collaboration avec l’Esprit.
« L’Esprit et nous avons décidé.. ».
« Il répandra la pluie sur la semence que tu auras mise en terre » (Esaïe 30/23).
° Regarder à Dieu afin que « sa pensée devienne ma pensée » pour que le courant de vie passe en moi. Pour cela, je me mets sur la même longueur d’onde. Dieu est présent dans le courant de vie, l’énergie de la création sinon celle-ci disparaîtrait dans le néant. Ce qui est impossible puisque Dieu est Vie dans l’infini, dans l’éternité. Dieu fait concourir toute chose au bien de ceux qui l’aiment et quil’accueillent.
° Accueillir : attentive aux pensées qui me viennent, aux conseils d’autrui, aux évènements.
Dieu dit : « Je t’instruirai et te montrerai la voie que tu dois suivre. Je te conseillerai, j’aurai un regard sur toi » (Ps 32/8).
Dans la certitude que Dieu m’entend et agit :
« Du haut du ciel
L’Eternel regarde la terre
Il reste attentif
Il prend soin » (Ps 33/15).
° Reconnaissance
Offre ta reconnaissance à Dieu
Alors tu pourras m’appeler au jour de ta détresse.
Je te délivrerai
Et tu me rendras gloire.
(Ps 50/14)
Louer Dieu :
Publier sa grandeur
Proclamer ses merveilles. Rendre témoignage de ses œuvres.
« Lorsque mes cris montaient vers Lui
sa louange était sur mes lèvres » (Ps 66/16)
Oui, il est possible de louer Dieu au jour de la détresse. Car sa bonté est indépendante de notre situation. Je peux ressentir sa paix avec confiance et conviction, même dans la douleur, l’angoisse ressenties physiquement.
° Persévérance
Apocalypse 31/20 : « Je me tiens à la porte et je frappe… ».
Romains 5/3-4 « Car nous savons que la détresse produit la persévérance, la persévérance conduit à la victoire dans l’épreuve, et la victoire dans l’épreuve nourrit l’espérance ».
Ayez foi en Dieu !
« Ayez foi en Dieu ! » nous dit Jésus (Marc 11/22).
La pensée de l’homme a un pouvoir beaucoup plus puissant que nous le croyons. Le désir pensé déclenche une énergie aussi bien en positif qu’en négatif. Il suffit de regarder vivre les optimistes et les pessimistes. Aux premiers, « tout réussit », tandis que les pessimistes, qui se croient souvent victimes d’une fatalité, ignorent ce trésor d’énergie qu’ils possèdent en eux.
Il est écrit : « Ayez foi en Dieu ! ». Là est la différence entre le croyant et celui qui ignore le Créateur. La source de la puissance de vie est en Dieu. Matthieu rapporte la parole de Jésus : « Tout ce que vous demanderez dans la prière ayant la foi, vous le recevrez » (Mat 21/22). C’est pourquoi Jésus a parlé de vie abondante. Il ne s’agit pas d’opposer énergie humaine et énergie de Dieu. Mais on peut considérer plutôt la pensée positive comme un réceptacle de la vie divine. Peut-on dire que l’énergie humaine déclenchée par notre pensée positive, d’un ruisseau devient un fleuve dans la mesure où nous ouvrons notre cœur à la puissance de Dieu.
Regarder en avant.
En vélo, il est terriblement dangereux de regarder ses pédales pour avancer. Tout cycliste sait regarder la voie devant lui en même temps que l’horizon. Il en est ainsi de la marche. Mais si j’ai mal au pied, j’aurais tendance à regarder précautionneusement où je marche quitte à trébucher au moindre obstacle.
Si je limite ma prière à ma demande, ne suis-je pas liée à mon problème qui encombre mon mental ? Je ne vois pas devant moi l’œuvre de Dieu, le chemin qu’Il veut me faire parcourir. Dans la Bible, constamment l’Eternel interpelle son peuple en lui montrant ce qu’il veut faire. Il redit toujours la même chose sous des aspects différents, dans des situations différentes. Jésus me dit aujourd’hui comme Il l’a dit à ses disciples : Je suis venu vous faire connaître le Père… la Vie éternelle.
Recevoir la bonté infinie du Dieu Trinitaire. Je dis infinie dans la plénitude qui nous est révélée en Ephésiens 3/20 : « A celui qui, par la puissance qui agit en nous, peut infiniment au delà de ce que nous demandons ou même pensons, à lui soit la gloire dans l’Eglise et en Jésus-Christ pour toutes les générations et pour l’éternité ».
Prier au nom de Jésus
Pour que l’œuvre du Christ ressuscité advienne parmi nous : Jésus dit : « Priez », une parole qui n’est pas un commandement extérieur, mais une directive pour « recevoir » .
C’est un mouvement de foi : Demandez et vous recevrez » pour que la joie pascale persiste et parvienne à sa pleine réalisation (Jean 16 verset 22).
Odile Hassenforder
Extrait de différents textes sur la prière figurant parmi ses écrits personnels (environ 2006) .
Voir le texte complet, p 135-139, dans : Odile Hassenforder. Sa présence dans ma vie. Parcours spirituel. Empreinte. Temps présent. 2011
Sur ce blog : autres textes d’Odile Hassenforder :
https://vivreetesperer.com/?s=Odile+Hassenforder
par jean | Oct 2, 2016 | ARTICLES, Société et culture en mouvement, Vision et sens |
Au sortir de massacres séculaires, vers un âge doux portant la vie contre la mort.
A travers une culture encyclopédique, Michel Serres a développé une pensée créative et originale dans un style imagé. Il ouvre de nouvelles compréhensions plus vastes, plus profondes. Les ouvrages de Michel Serres nous entraînent dans une vision nouvelle du monde. C’est le cas dans son livre : « darwin, bonaparte et le Samaritain. Une philosophie de l’histoire » (1).
En page de couverture, quelques lignes explicitent le titre concernant ce regard nouveau sur l’histoire de l’humanité.
« Darwin raconte l’ouverture de Faune et de Flore. Devenu empereur, Bonaparte, parmi les cadavre sur le champ de bataille, prononça, dit-on, ces mots : « Une nuit de Paris réparera cela ». Quant au Samaritain, il ne cesse, depuis deux mille ans, de se pencher sur la détresse du blessé. Voilà trois personnages qui scandent sous mes yeux, trois âges de l’histoire.
Le premier âge est plus long qu’on ne croit, le deuxième est pire qu’on ne pense, le dernier meilleur qu’on ne dit.
Histoire ou utopie ? Il n’y a pas de philosophie de l’histoire sans un projet, réaliste et utopique. Réaliste : contre toute attente, les statistiques montrent que les hommes pratiquent l’entraide plutôt que la concurrence. Utopique : puisque la paix devint notre souci ainsi que la vie. Tentons de les partager avec le plus grand nombre. Voici un projet aussi réaliste et difficile qu’utopique, possible et enthousiasmant ».
Le livre se répartit en trois parties : « Premier âge, long : le Grand récit. Deuxième âge, dur : trois morts. Troisième âge, doux : trois héros. » et se termine par une réflexion sur « les sens de l’histoire ». Le regard de Michel Serres renouvelle notre vision du passé dans une approche si dense, si riche, si originale qu’elle ne peut être résumée. Nous mettrons l’accent sur l’émergence actuelle d’un nouvel âge, cet « âge doux » évoqué par l’auteur. Et nous commenterons cette prise de conscience.
Le Grand Récit
Au départ, l’auteur montre comment les progrès récents de la science, à travers une capacité nouvelle de dater les phénomènes, nous ouvrent à une mémoire de l’univers, à une mémoire de la terre dans laquelle l’histoire humaine vient s’inscrire. Une nouvelle synthèse peut ainsi s’élaborer. Nous voici en présence d’un « Grand Récit ».
C’est une situation nouvelle. Michel Serres dégage quelques caractéristiques fondamentales de ce temps long. « Le couple énergie-entropie régit le monde physique ; analogue, le couple vie-mort régit le monde vivant » (p 33). Ainsi, dans l’évolution, pendant que la vie irrésistible perpétue son développement, la mort frappe espèces et individus. Dans notre humanité, on observe une évolution analogue. « D’une part, l’énergie et la vie prennent des figures nouvelles comme l’invention et la paix, d’autre part, l’entropie et la mort réapparaissent en guerres et répétitions » et menacent l’existence de l’humanité (p 33).
Cependant, en regard, l’auteur distingue deux formes, deux pratiques : les pratiques dures qui mobilisent des hautes énergies et les pratiques douces qui font appel à des basses énergies, à l’échelle informationnelle. Parallèlement, Michel Serres oppose deux âges : un « âge dur » caractérisé par la violence et par la guerre, et un « âge doux » convivial et inventif en lutte contre la mort.
Un âge dur
Dans son regard sur la plus grande part de l’histoire humaine, Michel Serres fait ressortir les composantes d’un âge dur. C’est la prépondérance de la guerre avec les massacres qui l’accompagnent. Cette importance des conflits militaires ne nous avaient sans doute pas échappé, mais l’auteur éveille en nous une prise de conscience de cette réalité dévastatrice. « Toute notre culture baigne dans le sang versé au cours de violences qui s’enchainent et nous enchainent à la guerre perpétuelle » (p 47). Ainsi a-t-on calculé qu’au cours des derniers millénaires, moins de 10% des années ont été consacrées à la paix, c’est à dire à la vie (p 48). Et l’auteur évoque les massacres tels qu’ils apparaissent dans des textes littéraires comme l’Iliade et se manifestent dans des données chiffrées que nous ignorons bien souvent. Sait-on par exemple que les guerres de la Révolution Française et celles de Napoléon ont engendré la mort d’un million cinq cent mille français plus que le million trois cent mille victimes provoquées par la Première Guerre Mondiale entre 1914 et 1918… (p 79). Dans ce contexte, un culte a été voué à l’héroïsme patriotique. « Chacun doit donner sa vie pour sa patrie » ( p 53). Les religions ont participé à cette idéologie mortifère. Michel Serres nous rappelle les analyses de René Girard. La violence se manifeste jusque dans le sacrifice animal.
L’auteur nous amène également à entrevoir les rapports entre économie et violence. Et il nous invite à réfléchir au phénomène de la dette. « Avoir et Dû : voilà le titre de deux colonnes dans un bilan comptable. « Je dois » signifie à la fois une obligation morale et une dette à restituer » (p 64). Si la dette asservit les gens et les peuples, elle s’exprime aussi en termes religieux. C’est ici que Michel Serres met l’accent sur le pouvoir libérateur de la Passion du Christ. « A partir du Vendredi saint, nous n’aurons plus jamais de vains devoirs, ni de dettes… Ces péchés nous sont remis… » (p 67). Et plus encore, « le caractère intégral de la remise de nos dettes s’efface devant l’annonce triomphale que cesse le règne même de la dette, c’est à dire de la mort…De même que la Résurrection du Christ ne marque pas une vengeance sur ceux qui l’ont tué, mais positivement une victoire sur la mort elle-même » (p 67) ». Il y a là un tournant. Mais, dans un monde dominé par la violence et par la mort, le potentiel de la libération se fraye difficilement un chemin.
Et, de même, dans son inventaire des raisons d’espérer, l’auteur se refuse à croire à une méchanceté irrémédiable de l’homme. Les recherches (2) vont à l’encontre des théories et concepts abstraits prétendant l’homme, en général mauvais, en général, égoïste et violent, incapable d’empathie… En la plupart d’entre nous, une manière d’amour l’emporte sur la haine… l’humain est humain » (p 87).
Pendant des millénaires, la « thanocratie » a prévalu. « Déclinée trois fois dans la religion, longtemps sacrificielle, les armes, létales toujours, et l’économie, exploitant les faibles et blessant le monde, la mort me paraît le moteur de l’histoire » ( p 72). Il a fallu la menace d’anéantissement collectif éveillée par l’usage de la bombe atomique en 1945 à Hiroshima et Nagasaki pour qu’une prise de conscience s’effectue. Mais dans la période sombre qui a précédé, on peut entrevoir un mouvement de libération qui s’est frayé un chemin. Ce mouvement débouche aujourd’hui. Dans cette histoire, Michel Serres, évoque la part du christianisme : « Sa leçon majeure n’enseigne-t-elle pas l’incarnation, l’allégorie vive de la Naissance, enfin la Résurrection, soit une victoire non pas contre nos ennemis, comme pendant le règne de la Mort, mais contre la Mort elle-même ? Par ce rééquilibrage, un tout autre monde semble annoncé, promis, espéré… » (p 77).
Un âge doux
Nous voici aujourd’hui au début d’un nouvel âge : un âge doux. Michel Serres y voit la mise en œuvre de la néguentropie, selon Wikipedia : « Une entropie négative, un facteur d’organisation des systèmes physiques et, éventuellement sociaux et humains, qui s’oppose à la tendance naturelle à la désorganisation ». « Comme la vie produit des individus nouveaux, l’esprit inventif et novateur, effet de la néguentropie, devient source de nouveautés, produit à nouveau de la néguentropie. Puisque celle-là se trouve déjà là ensemencée dans l’Univers et au sein du réseau évolutif, l’âge de l’Esprit, doux par rapport aux hautes énergies, dites entropiques, perdure donc en tous temps, travaillant à se libérer d’un étranglement mortel » (p 92). « L’âge doux, celui des esprits, advient dès que ceux-ci se mettent à lutter contre la mort de manière efficace. Nous y sommes. De même qu’il y eut trois manières de s’entre égorger durement, armée, religieuse, économique, de même l’âge que j’appelle doux se décline de trois manières, portant sur la vie et l’esprit : médicale, pacifique et numérique » (p 93).
Un premier fait est le développement de la médecine et son efficacité accrue. C’est un état d’esprit. « En refusant les lois de la jungle, nos pratiques combattent l’évolution, la sélection naturelle » (p 103). « Il y a deux âges : assassin-victime ; malade-médecin » (p 104). Par sa faiblesse et le fait qu’il détienne, miraculeusement, parmi la violence usuelle, d’être pansé par et parmi les siens, le malade est un personnage emblématique décisif, rare, faible, mourant même, mais producteur d’humanité » (p 103).
Dans cette perspective, la parabole du Samaritain résonne avec une force particulière, comme une injonction révolutionnaire à l’encontre d’un univers de violence. L’émotion nous gagne lorsque nous entendons ces paroles. Michel Serres célèbre la figure du médecin : « Celle qui se penche sur les blessés ; celui qui écoute les plaintes de l’agonie ; celle qui s’incline ; l’attentive qui cherche à comprendre et peut-être guérira…. Non, il ou elle, n’est pas seulement le héros de ce temps, mais sans doute, celle et celui de toute l’histoire » (p 107).
Très concrètement, l’auteur met l’accent sur l’espace de paix qui s’est créé en Europe occidentale après 1945 au sortir d’une guerre dévastatrice. « De 1945 à 2015, comptons soixante-dix ans de paix, laps de temps exceptionnel, inconnu en Europe depuis au moins la guerre de Troie ». Bien sûr, il y a un abcès au Moyen-Orient, mais au total dans le monde, homicides et violences ne cessent de reculer. L’industrie du tabac est bien plus meurtrière que le terrorisme (p 122). On assiste à des changements profonds comme le recul de la peine de mort. « Sortant à peine de l’enfer, nous avons construit une sorte d’utopie dont nous ne pouvons connaître la nouveauté que par comparaison avec ce qui se passe alentour qui ressemble trait pour trait à ce qui se passait chez nous avant cette ère nouvelle ».
Cependant la paix est constamment à maintenir et à construire. L’auteur évoque une figure exemplaire, celle de François de Callières (1645-1717) qui publia un livre décisif : « De la manière de négocier avec les souverains ». Conseiller de Louis XIV, un roi qui ne cessa de faire la guerre – plus de trois cent mille morts- , François de Callières sait de quoi il parle. Il définit le rôle du négociateur : éviter au maximum les conflits. « Tout prince chrétien doit avoir pour maxime principale de n’employer la voie des armes pour soutenir et faire valoir ses droits qu’après avoir tenté et épuisé celle de la raison et de la persuasion (p 126). Promouvoir la paix, c’est aussi construire un vivre ensemble. Michel Serres évoque les réalisations coopératives du « socialisme utopique » qui ont porté du fruit alors que les théories prétendument « scientifiques » du socialisme ont durement échoué. « Pas un seul mort de leur fait, du concret, de la continuité » (p 134). Et aujourd’hui, on peut se réjouir de toutes les réalisations du mouvement associatif. L’auteur nous appelle à prendre en compte, à prendre en charge : « le personnage commun, banal, minuscule, individuel, faible, malade, infirme, virtuel, oui, miraculeux, si délaissé dans son fossé, si oublié dans sa bonté, si concret dans son humilité qu’il passe pour inexistant… » (p 135).
Ainsi, trois sens au terme « doux » : la vie prolongée par le biologiste et le médecin ; la paix nouvelle, mais qui dure, les basses énergies. Voici les trois composantes de l’âge doux » (p 138). Les nouvelles technologies qui ouvrent l’ère du virtuel s’inscrivent dans cet univers de basses énergies. Face aux puissants qui prédominent, face au déploiement de la violence, un texte biblique « prophétise exactement le troisième âge, celui là même que nous vivons aujourd’hui et qui, à l’écart du feu et des hautes énergies, destructrices, cultive les basses, l’information, les signaux, les signes, les paroles… que le tonnerre rend inaudible » : « Il y eut un grand ouragan, si fort qu’il fendait les montagnes et brisait les rochers, en avant de Yahvé, mais Yahvé n’était pas dans l’ouragan…Après le feu, le bruit d’une brise légère. Dès qu’Elie l’entendit, il se voilà le visage avec son manteau, il sortit et se tint à l’entrée de la grotte. Alors une voix lui parvint qui dit… » (I Rois 19, 11-13) (p 139).
En se rappelant les effets démocratiques de l’imprimerie, l’émergence d’internet peut nous émerveiller. C’est là que Michel Serres évoque Petite Poucette, cette jeune fille emblématique des usages révolutionnaires d’internet qu’il a brillamment évoquée dans un précédent livre (3). « Face à l’aristocratie des puissants, des riches, des représentants, le portable dans la paume, Petite Poucette annonce : « Maintenant, tenant en main le monde… ». Elle a accès à tout. Tout lui appartient. « Troisième héroïne de l’âge doux, Petite Poucette monte ainsi sur la plus haute marche du podium, entre le médecin et le négociateur. Elle incarne une nouvelle démocratie du savoir dont l’utopie fait peur aux anciens… » (p 142).
Le paysage de la communication change. Tout se lie, tout se relie. « Il me paraît prévisible que la main du marché devra un jour adapter sa puissance relationnelle à celle, concrète, du monde et, sans doute, s’adapter, voire obéir à sa loi. Nous entrons dans un temps où se joue un « mano a mano » décisif pour notre survie entre l’homme individuel ou global et la planète entière » (p 147).
Quel avenir ?
Nous voyons bien aujourd’hui des menaces s’élever à l’encontre de la civilisation nouvelle en train de grandir (4). Michel Serres est bien conscient de ce danger. « Je ne suis ni sourd, ni aveugle aux forces atroces qui pendant cet âge si court s’opposent à la prégnance neuve de la paix ». Pour faire face aux attitudes passées qui remontent parfois, « nous devons trouver des stratégies propres à notre temps et délaisser celles que nous venons de quitter. Secourir, soigner, partager, négocier, dialoguer, suivre les trois modèles qui nous guident pour vivre dans notre âge… » (p 118).
Cependant, lorsqu’on voit la violence se propager jusque sur internet, on peut s’inquiéter. L’auteur est attentif à ce danger. « Libérer le nombre impose des risques… Combien de temps faut-il pour qu’une multiplicité désordonnée s’organise et forme une communauté d’autant plus nouvelle que ce type de libération, inattendu, n’a aucun équivalent dans le passé ? Peut-on éviter une violence interminable avant de parvenir à une cohésion ? Confirmé par l’advenue du troisième âge où le multiple se libère vraiment, mon utopie espère échapper à cet étau (p 145).
Ce livre ouvre pour nous une compréhension originale de l’histoire humaine. Il met en évidence une dynamique qui suscite l’espérance. Ainsi, Michel Serres nous y parle de survie dans un triple sens :
« Survivre : laisser survivre ou conserver
Survivre : mettre l’accent sur une nouvelle histoire, un nouveau sens de l’histoire
Survivre : vivre mieux que la vie, accéder avec joie à l’esprit.
Créer ces trois survies en compagnie du plus grand nombre possible, voilà le projet aussi réaliste, dangereux, difficile qu’utopique, possible et enthousiasmant » (p 161).
Une vision prophétique
Ces dernières années, le ciel s’est assombri. Des orages éclatent. Mais, comme en toute navigation, il importe de garder le cap. Dans ce temps de crise, on a besoin de ne pas perdre confiance, mais de discerner les courants porteurs, parfois peu visibles et souterrains. « Sans vision, le peuple meurt », nous dit un verset de la Bible (Proverbes 29.18). Le livre de Michel Serres nous communique une telle vision. C’est l’émergence d’un âge doux où la paix l’emporte sur la guerre et la vie sur la mort. Et, si on perçoit bien les menaces envers cette nouvelle manière de vivre, Michel Serres met en valeur la dynamique du processus.
Il se trouve que d’autres chercheurs mettent également en évidence un changement positif intervenu au cours de ces dernières décennies. Ainsi, d’une certaine façon, le livre de Jérémie Rifkin : « Une nouvelle conscience pour un monde en crise. Vers une civilisation de l’empathie » (5) converge avec le texte de Michel Serres. En effet, à partir d’une rétrospective historique approfondie, Jérémie Rifkin perçoit, dans ces dernières décennies, « la plus grande poussée empathique de l’histoire de l’humanité » . Et d’après la recherche de Ronald Inglehart sur les valeurs dans le monde (World values survey) (6), on enregistre depuis 1981, une évolution, certes diversifiée, mais rapide vers une valorisation de l’expression personnelle et la recherche d’une qualité de vie. Une autre recherche a montré l’expansion du courant des « culturels créatifs » (6) qui valorise ce qu’on pourrait appeler une sobriété heureuse et conviviale.
Jérémie Rifkin nous montre une évolution vers une pacification des esprits. Ainsi rejoint-il Michel Serres sans encourir le reproche qu’on peut parfois faire à celui-ci de présenter une catégorisation trop tranchée entre « âge dur » et « âge doux » . Il est également très attentif au potentiel de changement à travers et dans l’économie.
Dans son analyse, à plusieurs reprises, Michel Serres met en lumière l’incidence du récit évangélique et de la foi qui s’en inspire sur l’évolution des esprits Ces passages nous paraissent particulièrement importants. Au cœur de l’histoire, nous percevons la singularité, l’originalité, le potentiel de vie et d’espérance de cette inspiration. Si, pendant les siècles de l’âge dur, les institutions religieuses ont souvent pactisé avec l’idéologie ambiante, on voit bien ici combien les textes évangéliques ont joué le rôle de ferment. Et, aujourd’hui dans ce livre, ils contribuent à interpréter l’histoire.
Rappelons cette citation : « La leçon majeure du christianisme n’enseigne-t-elle pas l’incarnation, l’allégresse vive de la naissance, enfin la Résurrection, soit une victoire non plus contre les ennemis comme pendant le règne de la Mort, mais contre la Mort elle-même » (p 77).
Ici, Michel Serres est en phase avec Jürgen Moltmann, le théologien de l’espérance . Leurs pensées se rejoignent à plusieurs égards
Engagé très tôt dans une théologie écologique (7), Moltmann inscrit l’histoire de l’humanité dans celle de la nature.
« La nouvelle vision du monde écologique part de l’idée que la terre est notre maison. L’humanité fait partie d’un grand univers en évolution. La terre, notre maison, est vivante avec une communauté de vie singulière… La protection de la vitalité, de la diversité et de la beauté de la terre est une responsabilité sacrée…. Cela rejoint la richesse des traditions bibliques concernant la terre » (8).
Cependant, c’est aussi sur la question de l’attitude vis-à-vis de la mort que la pensée théologique de Moltmann appuie la recherche de Michel Serres. En effet, dans une civilisation dominée par la guerre et par la mort, cet « âge dur » qui nous a été décrit, la religion a pu se résigner dans une acceptation de la mort comme une fatalité, détournée vers une émigration de l’âme vers l’au delà. Au contraire, avec force, Moltmann proclame la lutte contre la mort. « La résurrection du Christ porte le « oui » de Dieu à la vie et son « non » à la mort et suscite nos énergies vitales. Les chrétiens sont des gens qui refusent la mort ( « Protest people against death »)….L’origine de la foi chrétienne est, une fois pour toutes, la victoire de la vie divine sur la mort. « La mort a été engloutie dans la victoire » (1 Corinthiens 15.54). C’est le cœur de l’Evangile. C’est l’Evangile de la vie ».
Et Jürgen Moltmann poursuit : « Cette théologie de la vie doit être le cœur du message chrétien en ce XXIè siècle. Jésus n’a pas fondé une nouvelle religion. Il a apporté une vie nouvelle dans le monde, aussi dans le monde moderne. Ce dont nous avons besoin, c’est une lutte partagée pour la vie, la vie aimée et aimante qui se communique et est partagée, en bref la vie qui vaut d’être vécue dans cet espace vivant et fécond de la terre » (9).
Comme Michel Serres, Jürgen Moltmann porte également attention aux émergences : « L’histoire présente des situations qui contredisent le Royaume de Dieu et sa justice. Nous devons nous y opposer. Mais il existe également des situations qui correspondent au Royaume de Dieu et à sa justice. Nous devons les soutenir et les créer lorsque c’est possible. Il existe ensuite dans le temps présent des paraboles du Royaume futur et nous y voyons ce qui arrivera au jour de Dieu. Nous entrevoyons déjà maintenant quelque chose de la guérison et de la nouvelle création de toutes chose que nous attendons. Nous le traduisons par une attente créatrice… » (10).
Si la vision de Michel Serres est particulièrement originale, elle est aussi en convergences avec la pensée de quelques autres penseurs contemporains. Son livre nous appelle à un regard nouveau. La pensée de Michel Serres nous ouvre à la reconnaissance d’une civilisation nouvelle en train d’apparaître et de s’étendre, cet « âge doux » déjà suffisamment avancé pour que Michel Serres puisse le décrire et le caractériser. Il y a dans ce discernement un aspect prophétique. Michel Serres nous invite à entrer dans une nouvelle manière de vivre.
J H
(1) Serres (Michel). darwin, bonaparte et le samaritain. Une philosophie de l’histoire. Le Pommier, 2016 Une conversation particulièrement éclairante avec Michel Serres sur cet ouvrage au Monde Festival en vidéo : http://www.lemonde.fr/festival/video/2016/09/20/le-monde-festival-en-video-conversation-avec-michel-serres_5000685_4415198.html
(2) Lecomte (Jacques). La bonté humaine. Altruisme, empathie, générosité. Odile Jacob, 2012. Mise en perspective sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=674
(3) Serres (Michel). Petite Poucette. Le Pommier, 2012. Mise en perspective sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=820
(4) Menaces multiples et même, menaces de guerres, comme en traite Pierre Servent dans son livre : « Extension du domaine de la guerre » (Robert Laffont, 2016)
(5) Rifkin (Jérémie). Une nouvelle conscience pour le monde. Vers une civilisation de l’empathie. Les liens qui libérent, 2010. Mise en perspective sur le site de Témoins : http://www.temoins.com/vers-une-civilisation-de-lempathie-a-propos-du-livre-de-jeremie-rifkinapports-questionnements-et-enjeux/
(6) « Emergence d’une nouvelle sensibilité spirituelle et religieuse », sur le site de Témoins : http://www.temoins.com/emergence-dune-nouvelle-sensibilite-spirituelle-et-religieuse-en-regard-du-livre-de-frederic-lenoir-l-la-guerison-du-monde-r/
(7) « Convergences écologiques : Jean Bastaire, Jürgen Moltmann, Pape François et Edgar Morin » : https://vivreetesperer.com/?p=2151
(8) « In the fellowship of the earth », p 80-85, in : Jürgen Moltmann. The Living God and the fullness of life. World Council of Churches, 2016. Présentation du livre sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=2413
(9) Sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie » : « la vie contre la mort » : http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=841
(10) Moltmann (Jürgen) . De commencements en recommencements. Une dynamique d’espérance. Empreinte temps présent, 2012 (p 115) Présentation sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=572
par jean | Août 7, 2016 | ARTICLES, Beauté et émerveillement, Emergence écologique, Expérience de vie et relation, Hstoires et projets de vie, Vision et sens |
En mai 2016, Alain est parti avec un ami marcher en suivant le chemin de Compostelle associé au pèlerinage qui a fleuri au cours de l’histoire et se poursuit aujourd’hui sous d’autres formes. Il nous fait part de son vécu et de son ressenti en répondant à quelques questions.

Alain, qu’est ce qui t’a poussé à accomplir cette marche ?
« C’est un projet qui était depuis longtemps dans un coin de ma tête. C’est un horizon un peu mythique, n’est ce pas ? Un ami, arrivant à la retraite, voulait marquer par cette marche, son entrée dans un nouveau mode de vie. Sa proposition de l’accompagner a été pour moi l’élément déclencheur ; nous sommes partis ensemble sur le ‘Camino’ ».
Comment cette marche s’est-elle déroulée ?
« De Puy-en-Velay à Pampelune en quatre semaines… Nous sommes partis au printemps, avec le concours d’une très belle nature explosant de vie, de fleurs innombrables.
Par ailleurs, cette marche s’est déroulée en conformité avec mon attente ; aspirant avoir des moments de solitude et bien que partant à deux, j’ai parcouru en solitaire la plupart du chemin ».

Qu’est-ce que cette expérience t’a apporté ?
Cela a été pour moi une occasion unique, exceptionnelle de pouvoir vivre une longue période détaché des obligations la vie quotidienne. J’ai pu quitter un certain quotidien pour entrer dans un autre espace de réflexion, de prière, de disponibilité à l’Esprit. Cela a été un temps exceptionnel pour m’ouvrir à une nouvelle configuration propice à la prière et à la réflexion.
Ce qui m’a frappé, c’est qu’au bout d’une semaine, j’ai perçu, presque physiquement, une libération de la fatigue induite par la vie quotidienne ; s’échappait le poids déposé par les préoccupations passées.
Par ailleurs, en partant je m’étais promis de ne surtout pas « perdre » ce temps précieux. Je voulais l’utiliser pour monter comme à l’assaut du Ciel, pour prier, pour louer. Or, au bout de trois semaines, je me suis rendu compte que plutôt que d’aller à l’assaut du Ciel, j’étais appelé à accueillir la présence de Dieu, un Dieu déjà là. Je me suis rendu compte que je n’avais pas à être un virtuose spirituel, mais plutôt à ressentir que Dieu est déjà là et que déjà il m’aime. C’est alors que ma conscience s’est ouverte à des réalités jamais perçues auparavant. Une clairvoyance s’est faîte sur des aspects importants de ma vie. Ainsi, j’ai vécu la quatrième semaine en méditant ce reçu ».

Y a-t-il eu quelques moments marquants pour toi ?
« Se sentir invité dans la « maison nature », rencontrer la beauté et la diversité des fleurs ! J’en retiens une perception accrue de la beauté.
Par ailleurs je me souviens de quelques moments marquants : au matin, traversant un sous bois, j’assiste à un exceptionnel concert d’oiseaux, une véritable explosion de chants accompagnée de centaines d’instruments… J’ai le sentiment d’être invité à communier avec eux dans ce chant de louange.
A une autre moment, alors que je reçois un texto qui m’attriste beaucoup, instantanément un oiseau se met à chanter avec un éclat jusqu’alors jamais entendu, comme s’il me reprenait et me disait avec autorité : Alain, ne te laisse pas abattre, ne te laisse pas aller au découragement, regarde en haut, la Vie est là !
Autant de moments ressentis de façon très intimes et donc très difficiles à transmettre…
Sur le chemin en France, les rencontres de pèlerins étaient peu nombreuses, mais directes, très faciles, sans barrières ; si l’échange ne durait jamais longtemps, une même appartenance se partageait ».

Ce parcours a-t-il été à l’origine de découvertes spirituelles ?
« Dans une chambre d’hôte, j’avais acheté un petit livre rassemblant des textes spirituels ; parmi eux j’ai été très touché par une prière de Charles de Foucault. Elle exprimait un besoin d’absolu dans la relation, un désir d’abandon dans la confiance en Dieu, un appel à se donner, mais aussi à recevoir. Comme pour tellement de pèlerins avant moi, ce chemin offre un espace de rencontre avec soi-même, de révélation de soi et de Dieu.
Même l’ami avec qui j’ai fait ce chemin, bien que n’ayant pas d’attente spirituelle, s’interroge sur sa présence sur ce chemin : « J’aurais pu marcher sur des routes très diverses, mais si j’ai marché sur le chemin de Compostelle, cela doit avoir une signification… ».
Entretien avec Alain G
