Une vision nouvelle des animaux

« Quand le loup habitera avec l’agneau »

Selon Vinciane Despret

Dans le contexte de la mutation actuelle qui ramène l’humanité au sein de la nature, des représentations humaines changent en profondeur. Ce changement de représentations, entre autres des femmes, des enfants, et, plus récemment, des animaux, traduit, à l’encontre des malheurs du siècle, une évolution en profondeur de la conscience humaine. Aujourd’hui, on constate un changement spectaculaire de la représentation des animaux. Vinciane Despret, à la fois philosophe et éthologiste, nous propose un récit engagé qui vient nous surprendre et nous étonner au sens le plus fort. Déjà auteur de livres pionniers sur ce sujet, elle nous offre une vision d’ensemble dans son ouvrage le plus récent : « Le loup habitera avec l’agneau » (1).

Certes, il est difficile de rendre compte d’une pensée qui est particulièrement subtile et mouvante, examinant telle proposition et son contraire, et refusant de s’arrêter à telle hypothèse pour en tester d’autres à la recherche d’un juste milieu. Cependant, cette intelligence attire, et, à sa suite, nous y voyons plus clair sur les méandres de la recherche en ce domaine et la manière dont elle sort aujourd’hui des schémas idéologiques du darwinisme social et du behaviorisme. Dépourvue d’expertise en ce domaine, cette présentation a seulement pour but d’attirer notre attention sur un changement majeur dans notre manière de considérer les animaux, et par suite les rapports entre le monde animal et le monde humain. Tout commence par un constat amplement rapporté sur la page de couverture :

« Les animaux ont bien changé au cours des dernières années. Les babouins mâles qui semblaient tellement préoccupés de hiérarchie et de compétition nous disent à présent que leur société s’organise autour de l’amitié avec les femelles. Les corbeaux qui avaient si mauvaise réputation nous apprennent que quand l’un d’eux trouve sa nourriture, il en appelle à d’autres pour la partager. Les moutons, dont on pensait qu’ils étaient si moutonniers, n’ont aujourd’hui plus rien à envier aux chimpanzés du point de vue de leur intelligence sociale. Et, nombre d’animaux qui refusaient de parler dans les laboratoires behavioristes se sont mis à entretenir de véritables conversations avec leurs scientifiques. Ces animaux ont été capables de transformer les chercheurs pour qu’ils deviennent plus intelligents et apprennent à leur poser enfin de bonnes questions. Et ces nouvelles questions ont, à leur tour, transformé les animaux ». Ainsi le changement de représentation des animaux intervient au carrefour du changement de mentalités des humains emportés dans une vision nouvelle et qui se départissent de leur égocentrisme et de leur esprit dominateur, et par suite des projections en ce sens sur les animaux, de fait manipulés, et de la reconnaissance d’une forme de créativité animale qui peut être encouragée par des attitudes nouvelles de la part des humains.

 

Autour des origines de l’homme

L’humanité s’inscrit dans le continuum du vivant et donc dans un rapport avec la vie animale. Elle en dérive selon la théorie de l’évolution élaborée par Darwin au XIXe siècle. Mais alors, on s’est interrogé sur l’origine de l’homme. « Les occidentaux vont chercher dans la nature celui qui sera leur ancêtre. Le primate non humain en sera l’élu » ( p 39). L’auteure examine comment Darwin a choisi cette option. Son projet a été de « repérer les éléments qui plaident pour la continuité des formes du vivant, pour en retracer l’histoire. Il faut trouver des similitudes et des différences qui permettent de retracer notre histoire selon un ordre cohérent avec l’idée de progrès. Il faut donc montrer que le singe qui deviendra le singe des origines nous ressemble suffisamment sous certains aspects, pour témoigner de la filiation. Or le singe n’est pas le seul en cause dans cette histoire de l’origine. Le sauvage est lui aussi convoqué à témoigner… Il doit se situer entre le primate et l’homme civilisé. Le primitif doit témoigner de son progrès par rapport au premier (le singe), et du progrès du second (l’humain) par rapport à lui-même » (p 45). Or, dans la culture à laquelle appartient Darwin, le sauvage de cette époque est mal famé. Darwin s’est tourné alors vers les primates. Et il perçoit chez eux une vertu : « la régulation de la sexualité – dont la jalousie du mâle devient la garantie » (p 49). Si d’autres représentations de l’animal étaient présentes dans cette culture, Darwin, après avoir beaucoup hésité, a choisi « un animal de conflit, de compétition, de guerre et de jalousie » (p 51). « On pourrait dire que ce mâle belliqueux mobilisé par une compétition sans fin autour des femelles est sans doute tout à fait dans la logique de la théorie darwinienne, puisque la sélection est fondée sur la compétition des individus » (p 44).

Au XXe siècle, ce modèle de la dominance des mâles a encore polarisé l’attention des primatologues dans leurs recherches. Mais depuis quelques décennies, cette approche dominante a été battue en brèche, notamment à travers l’engagement de femmes primatologues. A cet égard, le rôle de Jane Goodhall fut emblématique (2). Une toute autre conception de la vie sociale des primates est apparue.

Sur un autre registre, rappelons que Freud s’est inspiré de la conception darwinienne des origines humaines. « C’est autour d’un extrait de Darwin que la proposition freudienne de l’origine de toute l’histoire s’articule : « Des habitudes de vie des singes supérieurs, écrit Freud, Darwin a conclu que l’homme a lui aussi vécu primitivement en petites hordes, à l’intérieur desquelles la jalousie du mâle le plus âgé et le plus fort empêchait la promiscuité sexuelle » (p 42). Freud envisagera donc notre ancêtre comme « un mâle jaloux et belliqueux » (p 42) à partir duquel il construira un récit des origines, une vision mortifère que dénonce Jeremy Rifkin dans son plaidoyer pour l’empathie (3).

A la fin du XIXe siècle, un naturaliste russe réfugié en Angleterre pour des raisons politiques, c’est à dire pour son adhésion aux thèses anarchistes, Pierre-Alexandre Kropotkine conteste l’accent mis par Darwin sur la compétition des individus comme fondement de la sélection naturelle. Certes, nous dit l’auteure, cette contestation peut être imputée à différents motifs : la philosophie politique de Kropotkine, pour une part, mais aussi parce que la nature est différente en Russie. Mais cette critique se fonde sur une analyse de la vie animale très différente de celle de Darwin. Dans son livre de 1902, « l’Entraide, un facteur de l’évolution », Kropotkine interroge les thèses darwiniennes. Il ne perçoit pas chez les animaux, une lutte de tous contre tous, une compétition féroce, mais « au contraire, des preuves de soutien mutuel, d’amitié et de solidarité : nourrir l’étranger, adopter l’orphelin, aider l’autre en difficulté (p 53) (4). Si la guerre entre les différentes espèces est un fait, il y a « tout autant ou peut-être même plus, du soutien mutuel, de l’aide mutuelle entre les animaux… Les primates ne contredisent pas ce modèle… On peut affirmer que la sociabilité, l’action en commun, la protection mutuelle et un grand développement de sentiments… caractérisent la plupart des espèces de singe » (p 54).

L’auteure met en valeur l’originalité de la pensée de Kropotkine. « Les singes à qui Darwin demande d’apporter les preuves de la sélection naturelle et de l’évolution viennent chez Kropotkine apporter leurs concours à un autre projet : celui de témoigner de l’évolution de la nature, mais cette fois en rompant avec le régime de la compétition. De la même manière que les primitifs semblent exiger, au fur et à mesure du temps et des recherches, une autre manière de les connaître, la nature enrôle Kroptkine dans une autre histoire » (p 63). Dans l’approche de Kropotkine, l’auteure fait reconnaître une proximité avec sa propre critique des schémas stéréotypés d’une méthode scientifique longtemps dominante. « Comment pourrait-on prétendre rendre compte de ceux qu’on ne se donne pas la peine de connaître et de comprendre ? Comment peut-on prétendre s’intéresser à ceux à qui on ne donne aucune chance de nous mobiliser ? Comment espérer construire un savoir fiable à propos de ceux à qui n’est laissée aucune possibilité de surprendre, d’étonner, de décentrer celui qui s’adresse à eux, et de raconter une autre histoire ? (p 62).

Pourquoi l’approche de Kropotkine a-t-elle été oubliée ensuite pendant des décennies ? Sans doute, sa biologie comme sa pensée politique, sont apparues à son époque, comme « exotique » par rapport à la culture dominante. « Il fut longtemps relégué aux oubliettes de l’histoire naturelle » (p 66). Mais, soixante-dix ans plus tard, les suspicions de Kropotkine réapparaissent dans la contestation du « rôle que l’on a fait jouer, dans l’histoire de nos origines, à un babouin belliqueux et jaloux : la critique de l’idéologie qui marque les mythes des origines ; le rôle décisif d’un nouvelle anthropologie dans la manière d’en interroger les acteurs ; la remise en cause des généralisations hâtives au départ de quelques espèces de primates choisies ; l’exigence d’une autre manière de poser les questions dans une perspective marquée par une conscience politique » (p 66).

 

Révéler le potentiel de l’animal

 Et si nous interrogeons les animaux en les inscrivant dans nos questions, pourrait-on leur donner une chance de s’exprimer en nous instruisant ? Après s’être référé aux ouvrages de Darwin et de Kropotkine, Vinciane Despret nous introduit dans un livre original, trop vite oublié. Au milieu du XIXe siècle, «  le naturaliste anglais, Edward Pett Thompson s’attela au superbe travail de mieux faire connaître les animaux à ses contemporains… dans son troisième et dernier ouvrage : « The Passions of animals », publié en 1851, les singes seront des acteurs privilégiés… » (p 68). « Le singes mis en scène par Thompson… ces singes justiciers, espiègles, manipulateurs d’outils, guerriers stratèges, menteurs impénitents ou rois de l’évasion, nous ressemblent. Le choix de ces histoires n’a rien de fortuit : d’abord, ces singes présentent des compétences que nous avons longtemps pensé être exclusivement les nôtres. Non seulement leur intelligence est stupéfiante, leur sens de la coopération édifiant, mais ils semblent aussi partager les mêmes émotions que les nôtres » (p 71). Cependant, l’ambition de Thompson va plus loin : «  Ce n’est pas une simple démonstration de compétence qu’il s’agit d’élaborer. Il demande plus au singe : il lui demande certes de l’aider à construire la proximité – « comme il nous ressemble ! » – mais en y prenant la part la plus active possible, en témoignant de sa propre volonté de se conduire en humain » (p 72).

Une perspective évolutionniste implique une continuité entre le monde animal et l’humanité qui apparait à sa suite. Mais Thompson ne s’inscrit pas dans la théorie de l’évolution. Il est créationniste. « La chaine continue des « existants » est une chaine statique agencée telle quelle dès les premiers jours du travail divin ». Pourtant, dans ce contexte, depuis le XVIIe siècle, était apparue une certaine conception : « la théorie de la chaine du vivant ». On y remarqua des intervalles et « nombre de penseurs s’attelèrent à la tâche de les remplir en se mettant à traquer les ressemblances » (p 73-74). Il y donc, dès cette époque, une recherche des ressemblances. Mais, « ce n’est cependant pas dans cette perspective métaphysique que Thompson s’efforce de maximaliser les ressemblances ». Ici, « les singes ne sont mobilisés ni dans un problème de continuité d’une chaine statique, comme ils l’étaient jusqu’alors, ni dans un projet d’évolution comme ils le seront quelques années plus tard… ». C’est un autre projet que Thompson s’est efforcé de réaliser. « L’objectif de ce livre sera de collaborer à la promotion d’une meilleure estimation de la valeur et de l’utilité de la vie animale, en éveillant une attention adéquate et des sentiments de bonté pour les créatures animales, afin d’obtenir pour elles l’admiration et la protection qu’elles méritent » (p 75). Thompson va réfuter la manière dont la réussite des animaux est principalement attribuée à l’instinct. « Il ne s’agit pas de nier le rôle de l’instinct, mais de laisser, parallèlement à l’existence d’invariants, les possibilités pour la variabilité, et surtout pour le changement (p 77). « La critique de l’instinct est une pièce majeure… Si Thompson fait tant d’effort pour démonter ce vieux préjugé de l’instinct, ce n’est pas seulement parce que l’instinct fait de l’animal une sorte de mécanique aveugle… C’est parce qu’il empêche les animaux de changer ; ou plutôt, parce qu’il s’agit surtout d’un malentendu, parce qu’il empêche les hommes de penser que les animaux peuvent changer » (p 81).

Thompson « s’attaque à une autre préjugé : celui qui nous mène à hiérarchiser les animaux selon qu’ils soient domestiques ou sauvages ». Et de même, il conteste la préférence accordée aux herbivores par rapport aux carnivores jugés violents et cruels. Certains carnivores se laissent apprivoiser. « Les carnivores s’attachent à leurs gardiens ». « Les animaux sauvages sont en fait le plus souvent domesticables, pour une raison très simple : ils sont sociaux » (p 82). Thompson incite à une action d’apprivoisement, de domestication. « Ne laissons pas passer notre chance de les arracher à ce qui les rend sauvage ». « Cette chance est pourtant à la portée de notre main : C’est ce dont témoigne le miracle de l’apprivoisement de la hyène, celui des extraordinaires compétences des singes qui vivent en bonne entente avec l’homme et, plus généralement, le miracle de la socialisation des êtres. C’est le miracle de la domestication : faire émerger chez l’animal tout ce qui n’est qu’en puissance chez lui, ce qui tend à s’améliorer : la bonté, la douceur, la sociabilité. « Ils sont maintenant sauvages, mais quand les circonstances qui les contraignent à l’être changeront, la transformation morale deviendra un facteur naturel de la révolution intellectuelle et sociale que les prophètes hébreux  prédisent » ( p 85). C’est ici qu’apparait le devenir à long terme et le fabuleux rêve de Thompson : accomplir ce que Dieu a promis : accomplir la plus vieille et la plus belle des prophéties, la prophétie d’Isaïe : « Le loup dormira avec l’agneau… et un petit enfant les conduira par la main » (p 85).

Vinciane Despret vient ici commenter le livre de Thompson et en montrer l’extraordinaire fécondité. A partir de cette prophétie, pourquoi ne pas « anticiper ? ». « Pourquoi ne pas donner à cette révolution annoncée par Esaïe ce qui est le destin de toutes prophéties : l’accomplir ? » (p 85). « Pourquoi ne pas nous transformer afin de pouvoir transformer les animaux ? La chance est à la portée de notre main : si nous nous transformons, si nous nous intéressons à eux, si nous cherchons avec patience tout ce qui n’attend que de s’actualiser, nous pourrons alors réaliser la prophétie » (p 86).

Et, en ce sens, c’est aussi modifier nos savoirs. « Les contraintes qui pèsent sur le savoir des hommes sont importantes. Le monde ne sera intéressant que si nous avons la chance de nous y intéresser. Il ne pourra être transformé que si nous acceptons de passer nous-mêmes par la transformation. Nous avons le monde que nos savoirs méritent » (p 87).Vinciane Desprez précise : si domestication, il y a, « l’arrachement à la nature n’a rien d’un détachement. Il s’agit plutôt d’une « socialisation » par laquelle les animaux entrent dans un monde qui s’efforce de se construire comme monde commun, et sont liés d’une manière nouvelle à ceux qui habitent ce monde… Emanciper, dans la perspective de Thompson, c’est libérer des mauvaises contraintes : ce n’est pas détacher, c’est attacher mieux. C’est trouver, comme le dit si joliment Bruno Latour, « dans les choses attachantes elles-mêmes, celles qui procurent de bons et durables liens ». Ce que Thompson propose en somme, c’est d’attacher mieux : les animaux aux hommes ; les hommes au monde, et le futur aux prophéties » (p 87). C’est une vision dynamique que Vinciane Despret exprime en ces termes : «  Il faudra plus de savoirs et plus de pratiques pour créer un bon monde commun : celui dans lequel « le loup habitera avec l’agneau », celui dans lequel se trouvera, chez les enfants des hommes, quelqu’un pour les conduire par la main » (p 88).

 

Une manifestation nouvelle des animaux

Si la vision de Thompson est longtemps restée sans héritiers, au cours des toutes dernières décennies, le regard sur les animaux est en train de changer (4). Si les animaux ont été maltraités dans une économie industrielle, aujourd’hui, ils sont pris en considération à travers une sensibilité nouvelle. Et, dans la recherche psychologique, on assiste à un retournement spectaculaire des comportements à leur égard. Des lors, on découvre chez eux des qualités qui rejoignent celles que Thomson avait mis en valeur.

Vinciane Despret dresse un bilan. «  Nous n’avons toujours pas été enrôlés par les animaux comme Thompson le souhaitait : l’élevage intensif, la disparition de nombreuses espèces, notre envahissement progressif de leurs territoire et, plus généralement le traitement infligé aux animaux témoignent de l’extension massive de contraintes qui ont rarement eu pour effet de « bien attacher ».

Mais des choses ont cependant changé. Certains d’entre nous sont en train d’inventer de nouveaux modes de communication, de nouvelles façons de penser le monde commun, de nouvelles habitudes, des enrôlements inédits. On retrouvera par exemple, du côté des mouvements antispécistes, les mouvements qui contestent le privilège accordé à l’humain, des héritiers tout-à-fait étonnants du projet de Thompson » (p 89).

Cependant, aujourd’hui, la démarche de certains chercheurs rejoint particulièrement l’inspiration de Thompson. « Pour construire la paix, et pour préserver leurs animaux, les éthologistes ont modifié certaines de leurs habitudes. Shirley Strum raconte ainsi que lorsque des bergers se sont trouvé confrontés au problème d’une trop grand prédation de leurs moutons, par les coyotes, des écologistes tentèrent l’expérience de dégouter les prédateurs en leur faisant ingérer une viande de mouton à laquelle avait été ajouté un vomitif puissant… Il s’agit bien de modifier les habitudes pour rendre la paix possible.

Ce qui a changé aussi et qui constituait un des ressorts du projet de Thompson n’a échappé à personne : certains animaux ont réussi à nous mobiliser dans de nouvelles histoires. Ils ont ainsi réussi, avec leur porte-parole humains, non seulement à nous intéresser, à nous donner envie de les connaître, mais aussi à actualiser des compétences inattendues, à être transformés, et à revenir en force depuis le temps où Thomson les convoquait dans ses histoires pour leur demander de nous surprendre… Le corbeau qui s’est lié avec le chien nous reviendra ces dernières années, dans les recherches de Bernd Heinrich… Les babouins qui s’organisent pour piller les jardins obligeront Shirley Strum à modifier ses pratiques… Elle les a « arraché à ce qui les contraignait à être ce qu’ils étaient », c’est-à-dire un problème pour les cultivateurs… Ceux qui ont été observés par Hans Kummer arriveront à convaincre ce dernier qu’il est leur berger » (p 91).

Longtemps, la culture dominante a fait opposition au projet de Thompson. « Tous ces animaux, corbeau amical, orang-outan organisé, singe menteur, babouin coopératif ont du attendre longtemps avant de revenir sur le devant de la scène, avant de réussir à mobiliser notre intérêt, avant que leurs compétences nous mènent à nous adresser à eux » (p 92). Une certaine conception de la science faisait obstacle. Marqués par « des ambitions de « faire science », les scientifiques s’obligeaient à renoncer à la tentation de chercher chez les animaux des traits qui les donnent comme semblables à nous » (p 94). Le « péché d’anthropomorphisme » était inacceptable pour la primatologie et la psychologie animale à cette époque (p 93). Et, d’autre part, l’extraordinaire ne pouvait être pris en compte dans des dispositifs adonnés à la répétition en vue de l’obtention d’une preuve (p 95). L’auteure nous relate ensuite la maltraitance à laquelle les animaux ont été soumis dans les laboratoires. Cependant, une nouvelle pratique scientifique a réussi à dépasser ces égarements. L’auteure nous ouvre la perspective d’une « éthologie » en devenir.

 

Une recherche respectueuse et ouverte à la nouveauté

 Vinciane Despret nous fait part d’un renouvellement de la conception de l’éthologie. « L’éthologie, généralement science des comportements, y renoue avec son étymologie : « ethos », les mœurs, les habitudes ». L’auteure envisage donc l’éthologie comme « pratique des habitudes » (p 126). « En traduisant l’éthologie comme une pratique des habitudes, je peux définir ma recherche comme l’exploration de l’agencement de ces habitudes. Comment les habitudes des chercheurs et celles de leurs animaux ont-elles constitué, les uns pour les autres, des occasions de transformation ? » (p 126). En examinant les habitudes des chercheurs, l’auteur en vient à célébrer « les réussites, lisibles dans les transformations les plus intéressantes dont leurs recherches témoignent : « la politesse de faire connaissance ». Je peux, à la suite de Shirley Strum, définir cette politesse comme l’exigence de ne pas construire un savoir « dans le dos » de ceux à qui elle adresse ses questions. Ainsi Vinciane Despret envisage « l’éthologie qui l’intéresse comme « une pratique polie des habitudes ». « Pour rendre compte du travail des éthologues les plus polis, je peux, comme ils le font pour leurs animaux, chercher « ce qui compte pour eux » (p 126).

Ainsi, dit-elle s’intéresser aux histoires très diverses des éthologistes dans la relation avec leurs animaux. Elle nous rapporte différentes histoires. Par exemple, elle revient sur la recherche concernant les primates. Elle y constate « un regain de politesse de la part des chercheurs ». Les primatologues ont décidé « de s’intéresser à ce qui intéresse ceux qu’ils interrogent ». « Ils ont été enrôlés par les problèmes de ceux à qui ils adressaient leurs questions» (p 136). Une histoire exemplaire fut celle de Jane Goodhal auprès des chimpanzés de Gombé et trouvant chez l’un d’entre eux, David Greybeard, non seulement une personnalité créative, mais aussi « un allié médiateur lui enseignant les règles de politesse et d’hospitalité » (p 142-143) (2).

Vinciane Despret a trouvé chez le philosophe américain William James un accompagnateur dans son approche de recherche. « Cette vertu de l’action pratique que je propose de cultiver sous la forme de « juste milieu », et qui désigne dans ce que j’essaie de faire, une des manières de répondre à l’exigence de politesse du « faire connaissance », me fait en fait rejoindre un des philosophes les plus « polis » de notre tradition : le philosophe William James » (p 137). L’auteure nous dit en quoi elle se trouve confortée par cette philosophie. « Nous ne devons pas nous contenter de chercher chez le seul sujet connaissant les conditions qui rendent possible cet événement : « connaître ». Nous devons interroger aussi et surtout, les possibilités d’être connu dans ce qui se donne à connaître… Nous saisirons que « ce qui réellement existe, ce ne sont pas les choses faites, mais les choses en train de se faire ». (p 138). « Pour bien connaître, « Placez-vous au point de vue du faire à l’intérieur des choses » (p 140). Et, « connaître, ce n’est pas traduire comment nos idées sont pensées, mais comment elles nous font penser ». « Connaître, c’est explorer un régime d’autorisation et de « rendre capable » (p 148). Au total, Vinciane Despret nous invite à explorer « la manière dont les animaux se présentent comme participants actifs dans la constitution de ce qui peut compter comme savoir scientifique : la manière dont ils font faire des choses à leurs chercheurs ». Comme l’écrit si justement, Donna Haraway, « du point de vue des projets des biologistes, les animaux résistent, rendent capables, perturbent, engagent, contraignent et exhibent. Ils agissent et signifient ».

Vinciane Despret nous apprend dans ce livre à envisager de multiples points de vue, de multiples propositions qui se côtoient pour trouver un chemin, un dépassement à travers les oppositions. C’est une école de pensée. Et elle aborde ici la grande question des origines de l’humanité et des rapports entre l’humanité et le monde animal. Les idées à ce sujet ont beaucoup évolué au cours de ces deux derniers siècles. Au cours des toutes dernières décennies, un tournant est apparu : dans des formes diverses, la découverte d’une conscience animale et une reconnaissance progressive de la personnalité des animaux. Il y a là un mouvement culturel de grande ampleur (4). Les éthologues et les primatologues, échappent peu à peu aux préjugés contraignants auxquels ils voulaient soumettre les animaux. L’humanité perçoit de plus en plus aujourd’hui qu’elle s’inscrit dans un continuum avec le monde animal. Elle n’échappe pas à la nature, mais en fait partie. Cependant, nous ressentons aujourd’hui les tourments qui affectent le monde. Nous nous rappelons ici un texte de Paul selon lequel « la création gémit dans les douleurs de l’enfantement » (Épitre aux Romains). Cependant, dans une perspective chrétienne, en Christ, il y a bien un mouvement en cours vers une terre nouvelle dans la perspective des prophéties bibliques dont fait partie le texte d’Esaïe : « Le loup habitera avec l’agneau, le léopard se couchera près du cabri, le veau et le jeune lion mangeront ensemble. Un petit garçon les conduira » (Esaïe 11.6-10). On peut envisager la montée de la conscience unifiante qui apparaît aujourd’hui, cette exigence de respect et de compréhension avancée par Vinciane Despret comme une étape. Et c’est le terme ‘préfiguration’ qui nous vient à l’esprit.

 

J H

 

  1. Vinciane Despret. Le loup habitera avec l’agneau. Nouvelle édition augmentée. Les empêcheurs de tourner en rond, 2020
  2. Jane Lindall : une recherche pionnière sur les chimpanzés, une ouverture spirituelle, un engagement écologique : https://vivreetesperer.com/jane-goodall-une-recherche-pionniere-sur-les-chimpanzes-une-ouverture-spirituelle-un-engagement-ecologique/
  3. Vers une civilisation de l’empathie. A propos du livre de Jérémie Rifkin : https://www.temoins.com/vers-une-civilisation-de-lempathie-a-propos-du-livre-de-jeremie-rifkinapports-questionnements-et-enjeux/
  4. Nicole Laurin. Les animaux dans la conscience humaine. Questions d’aujourd’hui et de toujours. Théologiques, 2002 : https://www.erudit.org/fr/revues/theologi/2002-v10-n1-theologi714/008154ar/

Voir Dieu dans la nature

Lorsque je suis sensible à la beauté de la nature, j’entre dans un état d’esprit où je perçois en elle une réalité qui me dépasse, un mouvement qui m’inspire. A ce moment, je ne suis plus un observateur détaché. Je reconnais un mouvement de vie dans les êtres qui m’entourent. Je participe à un mystère. On peut citer Einstein : « Il y a deux manière de vivre la vie : l’une, c’est comme si il n’y avait de miracle nulle part. L’autre, c’est comme si tout était miracle ». Sans doute, les positions sont moins tranchées . Il y a place pour des registres de regard différents, mais pas incompatibles entre eux. Mais la pensée d’Einstein nous invite à aller plus loin : « La plus belle émotion que nous puissions éprouver, c’est le sentiment du mystère. C’est une émotion fondamentale qui est au berceau de tout art , de toute science véritables ». Dans mon évolution personnelle, j’ai pris de plus en plus conscience que l’on pouvait percevoir Dieu à l’œuvre dans la nature.

 

 

         Dieu dans la création

Jürgen Moltmann m’a aidé dans cette prise de conscience (Dieu dans la création (Cerf 1988). « Le Dieu trinitaire inspire sans cesse la création. Tout ce qui est, existe et vit grâce à l’affluence permanente des énergies… Ainsi il nous faut comprendre toute réalité créée de façon énergétique, comme possibilité réalisée de l’Esprit divin. Grâce aux possibilités et énergies de l’Esprit, le Créateur lui-même est présent dans sa création. Il ne s’oppose pas seulement à elle par sa transcendance, mais entre en elle et lui demeure en même temps immanent » (p 23).

« Tu ouvres ton souffle, ils sont créés. Tu renouvelles la face de la terre » (Psaume 104/29-30).

« L’Esprit saint est « répandu » sur toutes les créatures. La source de vie est présente dans tout ce qui existe et qui est vivant. Tout ce qui existe et vit, manifeste la présence de cette source de vie divine » (p 24).

 

 

         Dieu à l’œuvre. Un regard concret et émerveillé

Comment notre regard peut-il alors s’exercer. Scientifique, philosophe et théologien, Roy Abraham Varghese nous aide à voir ce monde comme une merveille et à percevoir Dieu à travers cette merveille. (The wonder of the world. Fountain Hills, 2003).

« Nous pouvons reconnaître l’existence de Dieu et en devenir conscient simplement en percevant les choses autour de nous. C’est l’acte de voir les choses comme créées, comme nécessitant l’existence de Dieu pour expliquer leur existence, comme dépendant de lui et finalement comme manifestant l’infini ici et maintenant. Juste comme nous voyons un poème comme un poème, et pas comme des signes imprimés, et ne pouvons le voir comme autre chose qu’un poème, de la même façon, nous ne pouvons voir les choses autour de nous seulement comme un ensemble d’atomes. mais comme des réalités qui manifestent et reflètent Dieu ». (p 62) ;

« Les senteurs et les couleurs d’une belle rose nous viennent de Dieu, manifestant sa divine présence. Naturellement, la rose n’est pas Dieu ou une partie de Dieu. Mais la rose, dans sa totalité, non seulement reflète la gloire de Dieu comme une magnifique œuvre littéraire manifeste l’esprit de son auteur, mais aussi elle nous rend Dieu présent comme une manifestation immédiate et constante de :

– la puissance divine qui la tient en existence et soutient ses activités

– L’infinie intelligence qui l’a conçue.

– La beauté ineffable à partir de laquelle ses couleurs et ses senteurs rayonnent…

Voir une rose, c’est voir une manifestation immédiate et concrète de la créativité, de l’intelligence et de l’énergie infinie. C’est voir Dieu ici et maintenant » (p 64-65)

 

 

Alors en présentant quelques photos de fleurs, non seulement nous suscitons un  émerveillement, mais nous pouvons en même temps nous ouvrir à une méditation en y percevant la présence de Dieu à travers sa création.

 

 

 

 

 

Partageons ensemble notre regard sur la nature, la manière dont nous y percevons la présence de Dieu.

 

JH

 

plus de photos de Catpiper et Ecstaticist sur flickr

Effets de lumière dans une campagne bocagère

 Galerie de CaptPiper sur Flickr

Il y a quelques années, découvrant avec émerveillement les galeries photographiques présentées par Flickr, j’ai ressenti un grand attrait pour le site de CaptPiper (1). Il n’y a rien là de spectaculaire, mais les paysages de la campagne du Wisconsin (USA), nous apparaissent, à travers le regard de la photographe, Julie Falk, comme porteur d’une douce harmonie. La beauté se révèle dans la montée de la lumière à travers la brume matinale, les rayons de soleil qui illuminent les frondaisons, les petites routes où la pénombre débouche sur la clarté, le ballet des fleurs, des papillons et des toiles d’araignée.

Julie Falk a réalisé des posters où s’allient une photo et une citation. Des citations qui viennent éclairer cette découverte de la nature. « Il y a deux manières de vivre : L’une, c’est de faire comme si il n’y avait pas de miracle ; l’autre est de faire comme si chaque chose était un miracle » (Albert Einstein). Ainsi, « Dans le juste ton, dans la juste lumière, chaque chose est extraordinaire » (Aaron Rose).

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Julie Falk a commencé cette galerie en 2004 et celle-ci comprend maintenant 5000 photos. Professeur d’anglais, elle nous décrit son existence familiale et elle ajoute une note personnelle sur le fondement de son existence : « Une relation avec Jésus constitue le socle de ma vie ». En plus de sa galerie, Julie Falk

anime un site où elle nous fait part des événements de son existence : « Framework of the heart » (2) .

En 2008, nous avons présenté la galerie de CaptPiper sur le site de Témoins. Et, en 2011, sur ce blog , nous nous sommes inspiré de ce site pour une méditation sur « la lumière du matin »  (3). C’est donc une nouvelle visite ! L’auteure a choisi d’ouvrir ses photos au partage à travers son adhésion à « Creative commons », ainsi avons pu présenter quelques unes d’entre elles dans une galerie de Témoins (4). Et nous avons fait usage de l’une d’elle comme emblème de ce blog : une photo que Julie Falk met en scène également dans un de ses posters avec une citation d’Esaïe (60.1) : « Lève-toi, resplendis ,car voici lumière, car sur toi, s’est levée la gloire du Seigneur » (« Arise. Shine. For your light has come and the glory of the Lord has risen upon you »).

 

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De ces paysages qui, à travers leurs près, leurs bois, leurs chemins et leurs petites routes, nous paraissent proches de nos campagnes françaises, est issue une grande variété de photos où  la nature apparaît au fil des saisons dans tous ses coloris. Mais parmi les photos les plus évocatrices, il y a bien celles où la lumière transparaît et resplendit dans la douceur du matin et la paix d’une petite route ombragée. Ce sont des images qui viennent nous accompagner cet été.

 

J H

 

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(1)            Site CaptPiper sur Flickr : https://www.flickr.com/photos/piper/sets/

(2)            Site de Julie Falk : «Framework of the heart » : http://falkspot.blogspot.fr

(3)            Sur le site de Témoins : « Les photos de CaptPiper : un univers poétique et spirituel » : http://www.temoins.com/ressourcement/vie-et-spiritualite/ressourcement/les-photos-de-captpiperun-univers-poetique-et-spirituel   Voir aussi sur ce blog : « La lumière du matin » : https://vivreetesperer.com/?p=79

(4)            Galerie : Lumière : http://www.temoins.com/culture-et-societe/galleries/category/5-lumiere

Voir tout particulièrement les albums : « One morning in July » : https://www.flickr.com/photos/piper/sets/72157594199818499

« Misty morning in August » : https://www.flickr.com/photos/piper/sets/731651

« Country scenics » : https://www.flickr.com/photos/piper/sets/14419

 

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Sauver la beauté du monde

GUILLEBAUD-Sauver-la-beaute-du-mondeEnthousiasme de la beauté. Enthousiasme de la vie

Un nouveau livre de Jean-Claude Guillebaud

« Sauver la bonté du monde » (1), c’est le titre d’un nouveau livre de Jean-Claude Guillebaud. Nous savons aujourd’hui combien la nature et l’humanité sont conjointement menacées par les désordres engendrés par les excès humains. Le milieu urbain s’est éloigné de la nature. Les équilibres naturels sont déréglés. La pollution défigure les paysages. Allons-nous perdre de vue la beauté de la nature ? Nous les humains, nous participons au monde vivant. Si nous nous reconnaissons dans le mouvement de la création, nous percevons l’harmonie du monde, nous sommes mus et transportés par sa beauté. Alors, oui, si quelque part, cette beauté là est menacée, notre premier devoir, c’est de proclamer combien elle nous est précieuse, indispensable. Ensuite nous pourrons la défendre. C’est dans cet esprit que nous entendons l’appel de Jean-Claude Guillebaud : Sauver la beauté du monde.

Certes, pour sauver la planète du désastre, conjurer la fin du monde, « une énorme machinerie diplomatique et scientifique est au travail » (p 15). Et, on le sait, il est nécessaire d’accélérer le mouvement. Une grande mobilisation est en train de se mettre en route. Cependant, si la peur vient nous avertir, elle n’est pas à même de nous entrainer positivement. Alors, Jean-Claude Guillebaud est à même de nous le rappeler : « Si l’on veut mobiliser les terriens, il faut partir de l’émerveillement. Serait-ce naïf ? Bien sur que non. C’est un Eveil » (p 17). L’émerveillement, ce n’est pas un concept. C’est une expérience. L’auteur sait nous en parler dans un mouvement d’enthousiasme. « Chaque émerveillement me remet debout sur mes jambes, heureux d’être vivant. La beauté fait lever en nous tous une exaltation ravie qui ressemble au bonheur. Et, qu’on ne s’y trompe pas. Beaucoup de savants, parmi les plus grands, ont parlé de ces moments radieux. Oui d’abord s’émerveiller. C’est sur cet émerveillement continuel qu’il fait tabler si l’on veut sauver la beauté du monde… » (p 18-19).

Jean-Claude Guillebaud est bien la personne adéquate pour nous adresser cet appel (2). Dans ses missions de journaliste, correspondant de guerre pour de grands journaux, il connait la face sombre de l’humanité et le poids de la souffrance et de la mort. Résidant, dans sa vie quotidienne au plus près de la nature, dans un village de Charente à Bunzac, il sait se nourrir de la beauté qui transparait de la présence du vivant. Et enfin, éditeur, familier de grands chercheurs, c’est un homme de savoir et il sait traduire cet émerveillement dans les termes d’une pensée construite. A partir de 1995, à travers une série d’essais, face au désarroi contemporain, il a su faire le point en alliant les savoirs issus des sciences humaines et une réflexion humaniste. Effectivement, pour ce faire, il a pu puiser à de très bonnes sources : « Plus j’avance en âge, mieux je comprend ce que je dois à de grandes figures de l’histoire de la pensée : Jacques Ellul, René Girard, Edgar Morin, Cornelius Castoriadis et Maurice Bellet » (p 227). Chez Jean-Claude Guillebaud, la dimension humaniste se joint à une dimension spirituelle. En 2007, il en décrit un mouvement : « Comment je suis redevenu chrétien ».

Dans ce contexte, ce livre de J C Guillebaud nous apparaît comme un témoignage personnel dans une grande diversité de registre. L’auteur rend hommage à la nature, mais pas seulement. Sauver la beauté du monde, c’est aussi reconnaître les grandes œuvres de l’humanité, la puissance de la créativité qui s’y manifeste. Ainsi dans cette dizaine de chapitres, Jean-Claude Guillebaud nous parle des nouveaux moyens de communication au service de la découverte du monde (« Un monde « augmenté »), du mystère de l’art préhistorique (« La beauté inaugurale », du « grand secret des cathédrales ». D’autres chapitres explorent les visages de l’humain.

 

Les belles personnes

Son expérience de la vie l’amène à consacrer un chapitre sur « les belles personnes ». « C’est un être humain qui irradie je ne sais quelle douceur pacifiée, une trêve dans la grande bagarre de la vie » (p 207). « C’est une disposition de l’âme énigmatique comme la beauté elle-même » (p 208). L’auteur nous en trace des portraits très divers. Face aux cyniques, au déni des autres et de soi-même, Jean-Claude Guillebaud milite pour la reconnaissance des qualités humaines. Et il peut s’appuyer sur une littérature scientifique toute nouvelle. « Plaisir de donner, préférence pour l’aide bénévole, choix productif de la confiance, dispositions empathiques du cerveau, stratégies altruistes et réciprocités coopératives : on découvre dans l’être humain des paramètres qui remettent en cause la vision noire de l’être humain… » (p 217). Il y a là un nouveau paradigme qui nous inspire et que nous mettons en évidence sur ce blog (3).

 

Les passions humaines

L’auteur se risque à parler des passions humaines. « Un homme sans passions est un roi sans sujets (Vauvenargues). Mais c’est là un sujet ambigu. Il y a bien des passions mauvaises. Le titre du chapitre reconnaît cette disparité : « la dangereuse beauté des passions humaines ». Mais il y a aussi dans la passion une force motrice qui porte de grandes causes pour le plus grand bien. Jean-Claude Guillebaud envisage les passions comme des « écrins » (p 253). Face au calcul et à une excessive prudence, il met en évidence des passions pour le bien. « On ne cite presque jamais certains élans alors qu’ils sont en tous points admirables » (p 254). « La générosité et le souci de l’autre conjugués avec le courage du partage, de toute évidence, composent la plus irremplaçable des passions humaines » (p 239).

 

Un hymne à la nature.

Cependant, le parcours de ce livre a bien commencé par un hymne à la nature. Et cet hymne peut être entonné parce qu’il est la résultante d’un choix de vie. Au chapitre 2 : « Heureux comme à Bunzac », Jean-Claude Guillebaud nous raconte comment, depuis plusieurs décennies, il a choisi, avec son épouse Catherine, de partager sa vie, chaque semaine, entre Paris (deux jours) et un village de Charente (cinq jours), Bunzac où il s’est installé dans une grande maison familiale. Et il sait nous parler avec enthousiasme de la vie des champs et des bois, des multiples rencontres avec des animaux sauvages sur les petites routes de cette campagne. « Un essayiste assure que tous ces animaux, petits ou grands, représentent la part sauvage de nous-même. L’expression est belle… C’est cette part sauvage que depuis des années, j’essaie de mettre à l’abri, autour de ce que nous appelons avec Catherine, ma femme, la grande Maison devant la forêt » (p 30). C’est le choix d’un genre de vie, où le temps a une autre épaisseur et où l’année est ponctuée par le rythme des saisons. « Mon idée de bonheur est liée à un instant très fugitif du mois d’avril où les lilas s’épanouissent et se fanent en deux semaines. Ce qui m’émeut, c’est l’agencement rigoureux des dates, des floraisons… ».

 

Sauver la beauté du monde

Sauver la beauté du monde : c’est qu’aujourd’hui elle est menacée. L’avant dernier chapitre intitulé : « Quand la Terre pleure » est introduit par une citation de Thich Nhat Han : « Ce dont nous avons le plus besoin, c’est d’écouter en nous les échos de la Terre qui pleure » (p 261). Les menaces abondent. Parmi elles, Jean-Claude Guillebaud cite l’enlaidissement. Lecteur engagé d’Albert Camus, il raconte comment celui-ci « venu du grand soleil d’Algérie, a découvert avec effroi la laideur des banlieues d’Europe ». Revenu meurtri d’Europe, Albert Camus raconte son retour à Tipisa, un site sur le rivage de la Méditerranée… (p 267). Jean-Claude Guillebaud évoque à ce sujet quelques lignes d’Albert Camus dans « l’Eté » : « Je redécouvrais à Tipisa qu’il fallait garder intactes en soi une fraicheur, une source de joie, aimer le jour qui échappe à l’injustice, et retourner au combat avec cette lumière conquise… J’avais toujours su que les ruines de Tipisa étaient plus jeunes que nos chantiers ou nos décombres. Le monde y recommençait tous les jours dans une lumière toujours neuve. Ce recours dernier était aussi le nôtre… Au milieu de l’hiver, j’apprenais enfin qu’il y avait en moi un été invincible » (p 268). Visitant ce lieu, Jean-Claude Guillebaud en est impressionné. « Grâce à Camus, j’avais l’impression d’être tenu debout par la beauté du monde. Ou ce qu’il en reste » (p 269).

Face à un « enlaidissement du monde qui s’accélère » (p 270), le chapitre se poursuit par un questionnement de l’auteur sur la manière de remédier aux méfaits du capitalisme. Cependant le problème n’est pas seulement économique, politique et social, il est aussi culturel et spirituel, l’auteur explore cette question éminemment complexe.

 

Changer de regard

Au terme de ce voyage dans l’espace et dans le temps, Jean-Claude Guillebaud s’emploie à répondre à son questionnement initial. Et si il nous fallait changer de regard et « avoir d’autres yeux ».

« Le seul véritable voyage, le seul bain de Jouvence, ce ne serait pas d’aller vers de nouveaux paysages, mais d’avoir d’autres yeux » (Marcel Proust) (p 293). « Cette citation », nous dit l’auteur, « m’émeut toujours… Elle signifie, au bout du compte, que la beauté est – aussi – une grâce humaine. C’est elle qui enchante, désenchante et réenchante le monde. Un des proches conseillers de Nicolas Hulot, le philosophe Dominique Bourg, rejoignait Proust quand il affirmait que le seul choix qui nous reste, était de repenser notre manière de voir le monde, c’est à dire d’être au monde » (p 296).

Et « changer notre manière d’être au monde, d’avoir d’autres yeux, implique une révolution intérieure… » (p 296). Appel à une mystique (Pape François), à un nouveau récit personnel (Cyril Dion ). « Yann Arthus Bertrand a cent fois raison quand il dit que la révolution écologique sera spirituelle » (p 297). « Avec le monde en danger, nous devons accéder à une véritable conscience amoureuse », nous dit Jean-Claude Guillebaud, rappelant qu’il avait intitulé le premier chapitre de ce livre : « Une déclaration d’amour à la terre » (p 297). Et ceci implique et induit des changements de comportements face à un consumérisme à tout-va.

En fin de compte, sauver la beauté du monde, c’est aussi la reconnaître, et donc vivre l’émerveillement. C’est un enthousiasme. « Le marquis de Vauvenargue est l’auteur d’un aphorisme : « C’est un grand signe de médiocrité que de louer toujours modérément ». Cette maxime a du faire son chemin au plus profond de moi au point de me constituer. S’émerveiller– du monde, de la vie, des humains – me semble aujourd’hui la moindre des choses  » (p 305).

 

Une dynamique de vie

Le monde est en crise. Devant la menace climatique, le péril est déclaré. C’est dans ce contexte que Jean-Claude Guillebaud écrit ce livre : « Sauver la beauté du monde ». Il y participe aux alarmes et aux interrogations concernant l’avenir de l’humanité. Le trouble est sensible aujourd’hui. Sans boussole, le voyageur se perd. Nous avons besoin de comprendre et d’espérer. Il y a donc lieu de rappeler qu’en 2012, Jean-Claude Guillebaud a écrit un livre intitulé : « Une autre vie est possible. Comment retrouver l’espérance ? » (4). Si le péril nous semble plus grand aujourd’hui qu’hier, il reste que cet ouvrage nous paraît toujours d’actualité. Et, déjà à l’époque, il y avait en France une propension au négatif. « Depuis longtemps, l’optimisme n’est pas tendance. On lui préfère le catastrophisme déclamatoire ou la dérision ». Ce livre nous aide à mesurer « la mutation anthropologique » dans laquelle nous sommes engagés sur plusieurs registres à la fois. Mais, en même temps, des chemins nouveaux commencent à apparaître : « Partant de nous, autour de nous, un monde germe. Un autre monde respire déjà ».

Nous nous retrouvons sur ce blog dans le même esprit. Aujourd’hui, une civilisation écologique commence à germer. Ce sera nécessairement, une civilisation relationnelle. C’est dans ce sens que nous sommes appelés à avancer. Comme l’écrit Jürgen Moltmann, « Sil y a une éthique de crainte pour nous avertir, il y a une éthique d’espérance pour nous libérer » (5). Nous voici en mouvement. « Les sociétés fermées s’enrichissent aux dépens des sociétés à venir. Les sociétés ouvertes sont participatives et elles anticipent. Elles voient leur futur, dans le futur de Dieu, le futur de la vie, le futur de la création éternelle » (6)

Il y a dans ce monde des voix qui anticipent et nous ouvrent un chemin. Parmi elles, on compte Joanne Macy, militante écologiste américaine engagée depuis plus de cinquante ans pour la paix, la justice et la protection de la terre et chercheuse associant plusieurs approches et inspirations. Labor et Fides vient de publier un de ses livres : « L’espérance en mouvement » (7), coécrit avec Chris Johnstone et préfacé par Michel Maxime Egger. Il y a là une démarche qui contribue à baliser le chemin. « L’humanité se trouve à un moment crucial où elle doit faire le choix entre trois manières de donner du sens à l’évolution du monde : le « on fait comme d’habitude », la grande désintégration,  ou le « changement de cap ». Cette dernière histoire est « la transition d’une société qui détruit la vie vers une société qui la soutient à travers des relations plus harmonieuses avec tous les êtres, humains et autres qu’humains ». Engagée dans une approche de partage et de formation, Joanne Macy ouvre le champ de vision à travers la gratitude, l’acceptation de la souffrance pour le monde, la reliance… Sur ce blog, on retrouve cette dimension d’ouverture et de mise en relation dans la vision théologique de Jürgen Moltmann (6) et de Richard Rohr (8).

Une intelligence éclairée, multidimensionnelle vient également à notre secours. C’est la démarche de Jérémy Rifkin dans son livre : « Le New Deal Vert mondial » (9) qui nous montre comment l’expansion des énergies renouvelables va  réduire la pression du CO2 et contribuer à l’avènement d’une civilisation écologique.

Comme l’a écrit Jean-Claude Guillebaud, «  Changer notre manière d’être au monde implique une révolution intérieure », il y a bien un profond mouvement en ce sens. Ainsi, Bertrand Vergely a écrit un livre sur l’émerveillement (10) : « C’est beau de s’émerveiller… Qui s’émerveille n’est pas indifférent. Il est ouvert au monde, à l’humanité, à l’existence. Il rend possible un lien entre euxTout part de la beauté. Le monde est beau, l’humanité qui fait effort pour vivre avec courage et dignité est belle, le fond de l’existence qui nous habite est beau… Quand on vit cette beauté, on fait un avec le monde. On expérimente le réel comme tout vivant. On se sent vivre et on s’émerveille de vivre… Beauté du monde, mais aussi beauté des êtres humains, autre émerveillement… Beauté des être humains témoignant d’une beauté autre. Quelque chose nous tient en vie. Une force de vie, la force de la vie. Une force venue d’un désir de vie originel. Personne ne vivrait si cette force n’existait pas. Cela donne du sens à Dieu, source ineffable de vie… » (p 9-11). Le livre de Jean-Claude Guillebaud nous dit comment on peut vivre cet émerveillement dans la vie d’aujourd’hui. C’est un hymne à la beauté. Il ya chez lui, un enthousiasme, enthousiasme de la beauté, enthousiasme de la vie. Et, par là, comme l’écrit Bertrand Vergely, il y a une force qui s’exprime. Dans un contexte anxiogène, Jean-Claude Guillebaud nous permet de respirer. Il ouvre un espace où nous engager avec lui, dans une dynamique de vie et d’espérance.

J H

 

  1. Jean-Claude Guillebaud. Sauver la beauté du monde. L’Iconoclaste, 2019-10-13
  2. Biographie et bibliographie : https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Claude_Guillebaud
  3. « Empathie et bienveillance : révolution ou effet de mode ? » : https://vivreetesperer.com/empathie-et-bienveillance-revolution-ou-effet-de-mode/
  4. Jean-Claude Guillebaud. Une autre vie est possible. Choisir l’espérance. L’Iconoclaste, 2012 « Quel avenir pour le monde et pour la France ? » : https://vivreetesperer.com/2012/10/
  5. « Agir et espérer. Espérer et agir » : https://vivreetesperer.com/agir-et-esperer-esperer-et-agir/
  6. « Le Dieu vivant et la plénitude de vie. Eclairages apportés par la pensée de Jürgen Moltmann » : https://vivreetesperer.com/le-dieu-vivant-et-la-plenitude-de-vie/
  7. Joanna Macy et Chris Johnstone. Préface de Michel Maxime Egger. L’espérance en mouvement. Labor et Fides, 2018Une vidéo de Michel Maxime Egger présente la formation mise en œuvre par Joanna Macy : le travail qui relie : https://www.youtube.com/watch?v=CRk5dpvoUDQ
  8. Reconnaître et vivre la présence d’un Dieu relationnel. Extraits du livre de Richard Rohr : « The divine dance » : https://vivreetesperer.com/reconnaitre-et-vivre-la-presence-dun-dieu-relationnel/
  9. Jeremie Rifkin. « Le New Deal Vert mondial ». Pourquoi la civilisation fossile va s’effondrer d’ici 2028. Le plan économique pour sauver la vie sur la terre. Les liens qui libèrent, 2019
  10. Bertrand Vergely. Retour à l’émerveillement. Albin Michel, 2010 (Format de poche : 2017). « Le miracle de l’existence » : https://vivreetesperer.com/le-miracle-de-lexistence/

Sortir du dolorisme

Selon Bertrand Vergely

A plusieurs reprises, nous avons présenté sur ce blog des écrits de Bertrand Vergely (1). Bertrand Vergely, philosophe de culture et de conviction chrétienne orthodoxe, vient de publier un nouveau livre : « Voyage en haute connaissance. Philosophie de l’enseignement du Christ » (2). En page de couverture, ce livre est présenté dans les termes suivants : « Il existe aujourd’hui une crise morale et spirituelle très profonde en Occident, qui rend la vie fondamentalement absurde. L’absence de sens se traduit par une fuite dans les illusions et l’irresponsabilité. Bertrand Vergely propose une lecture stimulante et novatrice de l’enseignement christique qui nous montre comment naître à la vie spirituelle et grandir en conscience.

Quand la  religion sort des visions politiques et dogmatiques léguées par l’histoire, spiritualité et philosophie se rencontrent. Le Christ n’est pas un adepte du dolorisme, ni uniquement un missionnaire social, il révèle surtout que nous avons en nous une destinée et des potentialités inouïes qu’il s’agit de découvrir ! ».

Ce livre est foisonnant. Les points de vue, les ouvertures se succèdent autour de l’enseignement du Christ, lui-même inépuisable. On ne peut résumer un tel ouvrage et nous ne nous sentons pas en mesure d’en rendre compte. C’est une approche originale. Bertrand Vergely ouvre et renouvelle les angles de vue. Nous ne le suivons pas toujours. Souvent, il nous déconcerte et nous nous interrogeons sur ses propos. Mais lorsque nous sommes perplexes, cela nous appelle à réfléchir plus avant.

A travers son interprétation des textes, son herméneutique, son exégèse, Bertrand Vergely nous ouvre de nouveaux horizons. Dans ce « voyage en haute connaissance », les visions se succèdent. Le parcours se déroulent en quelques grandes parties : « I Naître. S’ouvrir à la connaissance. II Grandir. Rompre avec l’agitation. III Libérer. Sortir du dolorisme. IV Resplendir. Rentrer dans la vie divine.

L’auteur nous aide à encourager chacun de ces mouvements : naître, grandir, libérer, resplendir dans une meilleure compréhension et un immense émerveillement. Parce que nous constatons fréquemment un écart entre cette élévation et un repli en terme de culpabilité, en terme de complaisance et d’enfermement dans la souffrance, nous évoquerons ici la séquence : « Libérer. Sortir du dolorisme ».

L’auteur décline cette partie en six chapitres : Sortir de la culpabilité, sortir de la malédiction, sortir du mérite, sortir de la punition, sortir de l’ignorance, sortir de l’obscurité.

 

Sortir de la culpabilité

Issu de Saint Augustin, le dogme du péché originel a assombri le christianisme occidental pendant des siècles. Dans son livre : « Oser la bienveillance » (3), la théologienne Lytta Basset a mis en évidence le mal-être engendré par cette représentation pervertie de la nature humaine. Elle-même en a souffert pendant de nombreuses années. Elle a vécu au départ une hantise de la question de la culpabilité, de la faute et du péché. « Autre préoccupation qui appartient à la préhistoire de ce livre : Dans les déclarations publiques comme dans les accompagnements spirituels, je suis frappée par l’image négative que les gens ont d’eux-mêmes et des humains en général ». « Ma réflexion a donc eu pour point de départ mon propre malaise par rapport à la question du péché et à l’image désastreuse qu’elle nous avait donné de nous-mêmes ». Il y a dans ce livre un parcours particulièrement utile pour engager un processus de libération par rapport à des représentations qui emprisonnent et détruisent. A partir de cette perspective, Lytta Basset propose une vision nouvelle fondée sur son expérience de la relation humaine et sur sa lecture de l’Evangile.

Dans un autre contexte, l’historienne et théologienne américaine, Diana Butler Bass, a vécu, dans sa jeunesse, une emprise religieuse mortifère dont elle a pu s’échapper (4). Ainsi a-t-elle, à l’époque, fréquenté un séminaire où elle s’est sentie formatée dans une vision de plus en plus sombre de l’humanité. Les humains étaient considérés comme de misérables pécheurs. « Il y avait désormais un fossé entre la dépravation de l’humanité et la sainteté divine ». Le culte devenait un exercice « de réaffirmer le péché et d’implorer le pardon ». « Je m’effondrais dans l’obscurité, intellectuellement convaincue que l’humanité était mauvaise, tombée si bas qu’il ne restait plus rien de bien, entièrement dépendant d’un Dieu qui pouvait dans sa sagesse, choisir de sauver quelques-uns parmi lesquels je priais avec ferveur de figurer ». Par la suite, Diana, à travers des études historique, a pu déconstruire cette impérieuse « certitude théologique ».

Dans d’autres contextes encore, on pourrait évoquer une incessante auto-surveillance dans une délibération sur la qualification des péchés, entre péché mortel et péché véniel, dans la perspective de la confession. A l’époque, un livre était paru ave un titre significatif : « L’univers morbide de la faute ».

Bertrand Vergely décrit avec justesse l’univers socio-religieux dans lequel la culpabilité s’impose. « A l’origine, est-il dit, on trouve le Bien et le Mal. Le Bien est l’ordre voulu par Dieu, le Mal, ce qui s’oppose à cet ordre. Agir consiste à obéir au Bien. Lorsqu’on choisit le Bien et qu’on lui obéit, on va au paradis. Lorsqu’on choisi le mal, on va en enfer. Le Christ est venu faire triompher le Bien contre le Mal. En acceptant de souffrir et de mourir sur la croix, il a été et il est le modèle absolu de l’obéissance qu’il convient de suivre. Il a été le mérite même en montrant comment il faut mériter. Cette vision-là a beaucoup existé de par le passé. Elle existe encore, bien plus qu’on ne le pense » (p 164). Bertrand Vergely impute cette conception à une volonté de puissance de l’organisation. « Pour tout un christianisme, si l’on veut demeurer une réalité collective qui dure à travers le temps, il n’y a pas d’autre solution que d’organiser cette réalité de façon militaire en créant un ordre et l’obéissance à cet ordre… Pour des raisons politiques, le christianisme a été organisé sur la base d’un modèle à la fois militaire et méritocratique. Il continue de l’être. Modèle ambigu. En apparence, il respecte la foi et Dieu. En profondeur, il les évacue subtilement » (p 165).

En remontant à l’origine, à la Genèse, « tout est créé par le Verbe. Il s’agit là d’une rupture radicale avec toute culpabilité

Le Verbe est la divine intelligence qui rend toute chose lumineuse en la rendant parlante. Dieu créant tout par le Verbe, il y a là une nouvelle vertigineuse. Tout existe parce que tout est amené à l’existence par une divine information… Autre trait qui rompt ave la culpabilité : Dieu crée la terre et trouve cela bien. Dieu crée, mais le bien n’est pas donné au départ. Il résulte de la création qui apprend quelque chose à Dieu. Pour que le bien existe, il a fallu que la création ait lieu. Le bien étant ainsi création accomplie, on comprend le divin contentement… Un troisième élément vient confirmer cette vision très déculpabilisée. Dieu ne veut pas garder Dieu pour lui. Quand il crée l’homme, il le crée non seulement à son image, mais pour sa ressemblance avec lui. L’homme qui est créé par Dieu, est habité par le Verbe divin et l’information céleste qui lui permettent d’être ce qu’il est. Par cette information, il est appelé à informer le monde, l’humanité et l’existence… Cette vision dépourvue de toute honte est couronnée par l’état dans lequel sont l’homme et la femme. Nus, ils n’en ont pas honte. La nudité désigne l’état de connaissance absolue… » (p 167-168).

Bertrand Vergely ne voit également aucune culpabilité dans la chute de l’homme. « Quand il est raconté que l’homme, ayant le choix entre le bien et le mal, a choisi le mal en raison de sa volonté mauvaise, on invente, le récit de la chute montrant tout autre chose. Le récit, dit du péché originel, se trouve au chapitre 3 de la Genèse. Comme toute la Genèse, ce récit est un récit de libération. Il s’agit de comprendre la condition humaine. Tout vient de la connaissance. L’homme est invité à tout connaître, mais il importe de ne pas tout connaître avant l’heure. La connaissance est inséparable du temps de la connaissance  qui renvoie à l’assimilation intérieure… » (p 171). Que nous enseigne le récit de la chute ? « Avant tout, à l’origine, il n’y a nullement une volonté mauvaise, mais bien plutôt une perte de volonté. Qui n’est plus lui-même, rompt sa relation avec la divine connaissance, non parce qu’il est méchant et révolté, mais parce qu’il n’est plus capable de vouloir. Quand on se laisse capturer par la séduction, ne connaissant plus rien d’autre, on cesse de connaître ce que l’on aimait…(p 171-172). C’est un drame, mais « tout n’est pas perdu pour autant. Après la mise au point sur le péché de l’homme, à savoir son éloignement de Dieu », une autre réalité apparaît : « Quand on a mal agi, il est beau d’en avoir honte, d’être conduit à le dire. Commence alors le début d’un retournement intérieur conduisant à retrouver la connaissance perdue. La Genèse le signifie par l’homme et la femme qui se cachent quand ils entendent la voix de Dieu. La divine connaissance ne peut pas être vécue sans un état intérieur divin. Quand cet état n’existe pas, c’est en séparant la connaissance divine de ce qui n’est pas divin, que l’on préserve la connaissance. Dans la Genèse, c’est exprimé à travers l’exclusion du jardin d’Eden. Cette exclusion prépare le renouveau de la connaissance » (p 172-173).

On s’interroge à propos de l’origine du mal. Le mal est supposé venir d’un principe méchant. Mais, l’interprétation de Bertrand Vergely est autre. « C’est l’éloignement de Dieu et avec lui, l’ignorance qui rend méchant et non une méchanceté foncière. On ne sait pas qui on est. Voilà pourquoi on ne sait pas ce que l’on fait, et ce que l’on fait de pire. Cette ignorance n’est pas un accident. Elle provient d’un état intérieur, en l’occurrence d’un manque total d’intériorité… » (p 173).

Dans ce mouvement de libération à l’égard de la culpabilisation, Bertrand Vergely nous appelle à lire le prologue de l’évangile de Jean après la Genèse. Dans ce prologue, on retrouve ce qui se trouve déjà dans le récit de la Genèse. « Dieu qui crée, crée le monde et l’Homme par la Parole. Il crée pour que la vie divine se diffuse partout, dans l’invisible comme dans le visible » (p 174). Le concept de transmission est très présent « Le Royaume, qui veut dire transmission, est diffusion » Dans le prologue de Jean, on lit : « La lumière a été envoyée dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas retenue ». « Cette parole a été mal traduite. Ne pas recevoir ne veut pas dire rejeter, mais ne pas pouvoir contenir. La Lumière divine est tellement lumineuse que rien ne peut la contenir ni l’arrêter. On a là le fondement de la connaissance divine… Dans la Genèse, l’échec concernant la connaissance de Dieu vient de la faiblesse et des limites humaines. Dans le prologue de Jean, l’échec concernant la connaissance de Dieu est la gloire même de Dieu. Dans la Genèse, l’homme retrouve la connaissance à travers la noble honte. Dans le prologue de Jean, il trouve la connaissance dans l’humilité » (p 175).

 

Sortir de la punition

Bertrand Vergely aborde la question du mal. C’est là, qu’entre autres, il évoque l’usage de punition dans un prétendu service du bien.

« Lorsqu’il fait passer le mal pour le bien, le mal se sert toujours de la justice. En punissant, il peut faire du mal en toute impunité. Il ne punit pas. Il œuvre pour le bien. Il purifie… Il est tentant de punir. Les bourreaux ne résistent jamais à se faire passer pour des justiciers venant punir afin de rétablir la justice. Cela éclaire l’autre face du mal. S’il ne va pas de soi de ne pas subir, il ne va pas de soi de ne pas faire subir. A chaque fois que l’on a affaire à une tentative de prise de pouvoir, cela ne manque jamais : l’aspirant au pouvoir ne dit pas qu’il veut le pouvoir, il veut la justice… » (p 206).

En regard, l’attitude du Christ est claire. « Le Christ n’est pas venu punir. Il n’est pas venu condamner la femme adultère. Il est venu au contraire mettre fin au mensonge de la punition permettant par exemple de lapider une femme en toute bonne conscience au nom de la justice. Il a ensuite été condamné à mort et exécuté. Ce n’est pas étonnant. Dénonçant le mensonge de la punition, il a été puni par ceux qui entendent pouvoir punir en toute impunité » (p 206).

« On ne remet pas facilement en cause la morale et la religion punitive… Dans le domaine religieux, on s’en rend compte. La difficulté voire l’impossibilité de se délivrer d’une religion punitive et sacrificielle en témoigne. L’impossibilité de se délivrer d’un Dieu punitif et sacrificiel aussi » (p 207).

« La tradition qui pense que le Christ est venu souffrir pour nous les hommes est inséparable de celle qui punit et qui magnifie le sacrifice. Souffrir, punir, se sacrifier, la logique est la même. Il faut mériter. Pour mériter, il faut souffrir. On souffre quand on se sacrifie. On se sacrifie quand on se sacrifie pour se sacrifier. Afin de parvenir à un tel résultat, un rituel sacrificiel s’impose. Il faut qu’il y ait le sacrifice suprême, à savoir la mort pour la mort, pour que, le sacrifice absolu étant fondé, le sacrifice le soit. Avec un coupable, il y a de la justice. Avec un innocent, la mort étant la mort pour la mort, il n’y en a pas. La mort est alors sure d’être sacrée. Sacrée, elle peut fonder le sacrifice, la souffrance, l’obéissance et le mérite » (p 207).

Dans les sociétés hiérarchisées, une pression s’exerce en faveur de l’obéissance. « Les sociétés humaines sont perdues quand les hommes n’obéissent pas. Présenté comme l’innocent qui accepte de mourir pour mourir, faisant vivre une mort sacrée à travers une mort absolue, le Christ devient celui qui fonde l’obéissance et le mérite, et sauve les sociétés humaines. Il conforte l’idée qu’il faut obéir à la société. Dieu veut qu’on lui obéisse et il offre son fils pour cela » (p 208).

On peut s’interroger sur la position du christianisme sur cette question dans l’histoire. Bertrand Vergely a démonté les mécanismes de la religion punitive et sacrificielle. Le christianisme ne doit pas être une religion de la souffrance et du sacrifice. « Le pouvoir, le mérite, l’obéissance, la souffrance ne sont pas les buts célestes. Dieu attend des hommes qu’ils fassent mieux que mériter, souffrir, obéir et se sacrifier. Les premiers chrétiens l’entendent. C’est la raison pour laquelle ils ne poursuivent pas de but politique… » (p 208). L’auteur s’interroge ensuite sur l’attitude de Paul et les conséquences du désir de celui-ci de rallier une communauté juive traditionnaliste.

 

Sortir de l’ignorance

 Bertrand Vergely évoque un texte de Péguy qui reproche aux « honnêtes gens », caricaturant ainsi les bourgeois du XIXe siècle, de se draper dans une armure, de refuser toute vulnérabilité et de ne se prêter à aucune repentance. « Ils ne présentent pas cette entrée à la grâce qu’est essentiellement le péché. Parce qu’ils ne sont pas blessés, ils ne sont plus vulnérables… Parce qu’ils ne manquent de rien, on ne leur apporte pas ce qui est tout. La charité même de Dieu ne panse point celui qui n’a pas de plaies… » (p 211). Bertrand Vergely commente ce texte en le situant dans son contexte. « Ce texte qui souhaite au bourgeois sûr de lui de souffrir est un texte de salut, sur le salut et pour le salut. Si le bourgeois souffre, comprenant qu’il ne peut pas se sauver tout seul, il va devenir humble. Il sera sauvé. Certes, il y a le salut, mais à quel prix ! Péguy s’inscrit dans la tradition d’un christianisme doloriste. Pour lui, cela ne fait pas de doute : la souffrance rend humble et Dieu sauve les humbles qui souffrent. Il oublie qu’il n’y a pas que la souffrance qui rend humble. La lumière divine rend humble. Le Verbe rend humble. L’aventure de la connaissance rend humble » (p 213) Un autre danger de ce genre de raisonnement, c’est d’induire que « Dieu fait exprès de faire chuter l’homme et de le faire souffrir pour mieux le sauver ». Ainsi Bertrand Vergely conclut que « pour aller vers le salut, occupons-nous de ce qui nous illumine et non de ce qui nous assombrit. Dieu se trouve dans ce qui sauve l’humanité et non dans ce qui fait exprès de la faire chuter pour mieux la sauver » (p 214). L’auteur pointe également un autre danger : l’exaltation de la souffrance. « Péguy a choisi les siens. Il est du côté des victimes, de ceux qui souffrent. Ce sont eux qui sauvent le monde. Tout un christianisme se fonde donc sur la figure du pauvre, de celui qui souffre, de la victime. Dieu, c’est eux. Le salut, c’est eux… Cet élan du cœur se comprend. Il n’en est pas moins désastreux. En faisant de la douleur ce qui sauve, on finit par faire d’elle non seulement un Dieu, mais ce qui le crée. C’est parce que l’homme est à terre que Dieu peut sauver et sauve, dit Péguy. Donc, c’est la douleur qui crée Dieu » (p 217). Selon Bertrand Vergely, il y aurait une complaisance dans la douleur. « Le moi, afin de s’imposer, crée un Dieu à sa mesure. Avec la douleur, il en va de même. Les victimes ayant besoin d’être réconfortées, elles créent une vision de la douleur qui invente Dieu et le salut… » (p 217). Bertrand Vergely situe cette attitude vis à vis de la souffrance au XIXe siècle et jusqu’à nos jours. Et en évoquant « la dérive qui enfonce le monde au lieu de le libérer », il en voit la traduction dans une représentation du Christ « crucifié, les yeux fermés, le visage ensanglanté par une couronne d’épines, les mains transpercées par des clous, seul, absolument seul » (p 218). A vrai dire, cette représentation remonte très loin dans le temps. L’auteur l’évoquait au début de son livre : « A Belem, non loin de Lisbonne, au Portugal, dans l’église du monastère des Hiéronymites, on peut voir un Christ grandeur nature crucifié, souffrant et ensanglanté. On est loin du Christ glorieux. Il faut souffrir, dit ce Christ, et il faut faire souffrir parce qu’il faut obéir et faire obéir. Message politique venu de loin, des légions romaines avec leur culte de l’ordre qui a inspiré tout un christianisme et l’inspire encore » (p 16-17).

Bertrand Vergely en vient à évoquer comment il envisage la confrontation avec la souffrance. « Face à la souffrance, la douleur est une attitude possible. Il y en a une autre. Elle repose sur l’être. La souffrance renvoie à l’expérience du retournement qui fait passer du refus de subir à la capacité de supporter. Entre les deux, il y a cet entre-deux qui forme l’attente consistant à être en souffrance » (p 218). On cherchera à comprendre cette manière de voir en se reportant aux explications de l’auteur. Il envisage cet entre-deux comme un hors temps.  « Qui fait le vide, fait silence. Qui fait silence, fait taire le mental. Qui fait taire le mental fait taire la tentation d’être la victime… Quand ce silence se fait, l’être pouvant parler, il peut enseigner. Pouvant enseigner, il peut vraiment guérir et sauver » (p 219). Bertrand Vergely voit dans cette réflexion un éclairage pour envisager ce qu’il appelle : le sommeil céleste. Il nous introduit là dans un univers chrétien où la croix n’apparaît pas en termes morbides. C’est l’exemple du christianisme orthodoxe. « L’orthodoxie ne représente pas le Christ sous la forme d’un crucifié sur une croix. Quand il y a des représentations de la croix, celles-ci sont des icônes et non des tableaux. Une icône n’est pas un tableau et un tableau n’est pas une icône. Un tableau a pour but de représenter la réalité matérielle. Une icône a pour but de laisser passer la lumière divine… Avec une icône, la réalité matérielle et humaine est le reflet du ciel et du divin » (p 219). Bertrand Vergely engage une méditation sur la signification de la Croix auquel sera consacré son chapitre : « Sortir de l’obscurité ». Ici, il traite de la victoire sur la mort : « Par la mort, il a vaincu la mort », clame l’hymne pascal des églises orthodoxes pour célébrer la résurrection du Christ. Mourir, c’est aller au ciel et non dans la mort. La mort ne met pas le ciel en échec. C’est plutôt le ciel qui met la mort en échec. Le Christ dormant sur la croix est là pour le rappeler. Il est là pour que l’on fasse silence en stoppant le mental. Ne donnant pas à voir une victime dévorée par la douleur, mais un endormi céleste, l’icône de la croix rend impossible toute la mécanique mentale et politique qui se met en marche dès que le regard aperçoit une victime ».

(p 220).

Certes, aujourd’hui, le dolorisme a reculé en France. Mais, une telle mentalité religieuse associée à des justifications théologiques laisse des traces. Comme l’écrit Bertrand Vergely, « cette vision-là a beaucoup existé dans le passé. Elle existe encore bien plus qu’on ne le pense » (p 164). Récemment encore, une amie me faisait part d’un vif ressenti à cet égard. Dans les années 1970, au cours d’une séance de catéchisme le vendredi saint, ses garçons avaient été contraints de venir embrasser le Christ souffrant en croix. Et ils en étaient revenus très choqués. « Maman, je ne veux plus aller au catéchisme. Ce n’est pas nous qui avons tué Jésus-Christ ». On pourrait évoquer aussi des prédications où la résurrection compte peu par rapport à une crucifixion salvatrice. Refuser le dolorisme, c’est choisir une autre perspective théologique. C’est l’approche de Bertrand Vergely. Dans un autre contexte, nous évoquerons le livre de Jürgen Moltmann : « The living God and the fullness of life » (Le Dieu vivant et la plénitude de vie)  (5). Il y écrit : « Pourquoi le christianisme est-il uniquement une religion de la joie, bien qu’en son centre, il y a la souffrance et la mort du Christ sur la croix ? C’est parce que, derrière Golgotha, il y a le soleil du monde de la résurrection, parce que le crucifié est apparu sur terre dans le rayonnement de la vie divine éternelle, parce qu’en lui, la nouvelle création éternelle du monde commence. L’apôtre Paul exprime cela avec sa logique du « combien plus ». « Là où le péché est puissant, combien plus la grâce est-elle puissante ! » (Romains 5.20). « Car le Christ est mort, mais combien plus, il est ressuscité » (Romains 8.34). Voilà pourquoi les peines seront transformées en joie et la vie mortelle sera absorbée dans une vie qui est éternelle » (p 100-101).

J H

 

  1. Avant toute chose, la vie est bonne : https://vivreetesperer.com/avant-toute-chose-la-vie-est-bonne/ Avoir de la gratitude : https://vivreetesperer.com/avoir-de-la-gratitude/ Dieu vivant : rencontrer une présence : https://vivreetesperer.com/dieu-vivant-rencontrer-une-presence/ Dieu veut des dieux : https://vivreetesperer.com/dieu-veut-des-dieux/ Le miracle de l’existence : https://vivreetesperer.com/le-miracle-de-lexistence/
  2. Bertrand Vergely. Voyage en haute connaissance. Philosophie de l’enseignement du Christ. Le Relié, 2023
  3. Bienveillance humaine. Bienveillance divine : une harmonie qui se répand : https://vivreetesperer.com/bienveillance-humaine-bienveillance-divine-une-harmonie-qui-se-repand/
  4. Libérée d’une emprise religieuse : https://vivreetesperer.com/liberee-dune-emprise-religieuse-2/
  5. Le Dieu vivant et la plénitude de vie : https://vivreetesperer.com/le-dieu-vivant-et-la-plenitude-de-vie/