par jean | Juil 4, 2022 | Société et culture en mouvement |
Dans ce monde en voie de globalisation, en voie dâunification, il y a de violentes rĂ©sistances, de violentes oppositions, de violents conflits. En fait, les forces techniques et Ă©conomiques qui sont Ă lâĆuvre sont, Ă elles seules, incapables dâengendrer une unitĂ©. LâunitĂ© ne peut rĂ©sulter dâune violence impĂ©riale ou de la pression des intĂ©rĂȘts. On pourrait penser quâelle requiert une harmonisation spirituelle. Et câest ainsi quâon peut considĂ©rer lâexemple des premiĂšres communautĂ©s chrĂ©tiennes apparues au premier siĂšcle oĂč nous pouvons entrevoir lâĂ©mergence dâun universalisme rĂ©volutionnaire (1). Le Saint Esprit y est puissance de rĂ©conciliation et dâunification.
Câest le mouvement que dĂ©crit Amos Yong (2) dans une sĂ©quence sur le Saint Esprit rĂ©alisĂ©e par Richard Rohr sur le site du Center for action and contemplation. ThĂ©ologien pentecĂŽtiste amĂ©ricain, dâorigine malaisienne, Amos Yong est lâauteur dâune Ćuvre originale et abondante qui se dĂ©cline dans de nombreux livres (3). Amos Yong propose ainsi une thĂ©ologie pionniĂšre oĂč les ressources du pentecĂŽtisme sâinscrivent dans une pensĂ©e chrĂ©tienne ouverte Ă une dimension ĆcumĂ©nique et interreligieuse, comme Ă la culture dâaujourdâhui, notamment scientifique. Amos Yong est professeur Ă la FacultĂ©Â ĂvangĂ©lique californienne Fuller oĂč il dirige lâĂcole des Ă©tudes interculturelles, un centre de recherche missiologique. Son Ćuvre mĂ©rite dâĂȘtre mieux connue au delĂ de lâunivers anglophone.
La dynamique de la PentecĂŽte
« La vie palestinienne du premier siĂšcle, de beaucoup de maniĂšres, semblable Ă notre village global dâaujourdâhui, Ă©tait marquĂ©e par des suspicions vis Ă vis de ceux qui parlaient dâautres langues oĂč qui incarnaient dâĂ©tranges genres de vie. Ce fut lâĆuvre de lâEsprit de rassembler ceux qui Ă©taient Ă©trangers les uns aux autres et de rĂ©concilier ceux qui auraient pu autrement demeurer Ă lâĂ©cart de ceux qui leur Ă©taient dissemblables ».
La PentecĂŽte ouvre un horizon nouveau. « Elle inaugure un IsraĂ«l restaurĂ© et le royaume de Dieu en Ă©tablissant de nouvelles structures et de nouvelles relations sociales. A noter que le don de lâEsprit nâest pas rĂ©servĂ© aux 120 hommes et femmes qui sont rassemblĂ©s dans la chambre haute (Actes 1. 14-15) : Les langues de feu qui se sont divisĂ©es, se sont posĂ©es sur chacun et ont permis Ă chacun, soit de parler, soit dâentendre dans des langues Ă©trangĂšres (Actes 2.3-4).
Pour expliquer ce phénomÚne, Pierre cite le prophÚte Joël :
« Vos fils et vos filles prophétiseront
Vos jeunes hommes auront des visions
Vos anciens auront des songes
Et sur mes esclaves, hommes et femmes
Je déverserais mon Esprit
En ces jours, ils prophétiseront » (Actes 2. 17-18)
Un changement de société
Amos Yong Ă©largit la rĂ©ception habituelle. « Les dons de lâEsprit ne sont pas destinĂ©s seulement aux individus. Ils ont des effets sociaux en mettant en cause les pouvoirs en place, « the powers that be ».
Pierre comprenait bien que, tandis que lâancienne Ăšre juive avait un caractĂšre patriarcal, la restauration dâIsraĂ«l manifesterait lâĂ©galitĂ© de lâhomme et de la femme. Les deux prophĂ©tiseraient dans la puissance de lâEsprit. Tandis que lâancienne alliance manifestait la direction des anciens, le royaume restaurĂ© impliquera la responsabilisation (empowerment) dâhommes et de femmes de tous les Ăąges. En tout ceci, lâĆuvre de lâEsprit Ă©tait annoncĂ©e en des langues Ă©tranges, et pas dans les langues conventionnelles du statu quo.
En effet, la restauration du royaume de Dieu par la puissance de lâEsprit renversait effectivement le statut quo. Comme il avait Ă©tĂ© prĂ©dit Ă Marie et Zacharie, ceux qui Ă©taient au bas de lâĂ©chelle sociale, les femmes, les jeunes et les esclaves, Ă©taient les rĂ©cepteurs de lâEsprit et les vĂ©hicules dâun revĂȘtement de puissance (empowerment) de lâEsprit (Luc 1.46-55, 1.67-79). Les gens, autrefois divisĂ©s par la langue, lâethnie, la culture, la nationalitĂ©, le genre et la classe seraient rĂ©conciliĂ©s par cette nouvelle version du royaume.
Potentiellement, « toute chair » serait incluse .
Une interpellation
Dans cette vision inspirante, Amos Yong interpelle.
Est-ce que ces caractĂ©ristiques continuent Ă marquer lâĂ©glise comme une fraternitĂ© inspirĂ©e par lâEsprit ? Est-ce que lâĂ©glise parle encore les langues de lâEsprit ? Ou bien restons-nous prisonniers dâune division portĂ©e par les langages, les structures et les conventions des empires de ce monde ? (4). Notre priĂšre devrait ĂȘtre : « Viens Saint Esprit » de telle maniĂšre Ă ce que la proclamation de lâĂ©panchement de lâEsprit sur toute chair puisse vraiment encore trouver son accomplissement Ă notre Ă©poque.
Amos Yong
Rapporté en français par J H
- « Paul : Sa vie et son oeuvre selon NT Wright » : https://vivreetesperer.com/paul-sa-vie-et-son-oeuvre-selon-nt-wright/
- A reconciling power : https://cac.org/daily-meditations/a-reconciling-power-2022-06-09/
- Amos Yong . Fuller Seminary : https://www.fuller.edu/faculty/amos-yong/
- LâEsprit Saint Ă lâĆuvre dans les sociĂ©tĂ©s et pas seulement Ă lâĂ©chelle individuelle : « Pour une vision holistique de lâEsprit. Avec JĂŒrgen Moltmann et Kisteen Kim » : https://vivreetesperer.com/pour-une-vision-holistique-de-lesprit/
par jean | Fév 15, 2012 | ARTICLES, Société et culture en mouvement |
Le microcrédit à la portée de tous : Babyloan
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Aujourdâhui en Europe, nous sommes entrĂ© dans un temps de crise Ă©conomique et financiĂšre qui affecte les conditions dâexistence de beaucoup de gens et suscite en consĂ©quence des craintes et des agressivitĂ©s. Le monde change. Des Ă©conomies Ă©mergentes apparaissent et modifient le paysage international. Cependant, si la pauvretĂ© qui rĂ©gnait autrefois dans la majoritĂ© des pays du monde a rĂ©gressĂ©, elle est toujours lĂ et pĂšse encore sur une multitude dâexistences. La lutte pour une vie meilleure continue et un grand nombre dâorganisations non gouvernementales sont mobilisĂ©es Ă cette fin. Cependant on perçoit de plus en plus lâimplication des « pauvres » eux-mĂȘmes dans les efforts engagĂ©s pour amĂ©liorer leurs conditions de vie. Une des formes de cet engagement est la multiplication des initiatives soutenues par le microcrĂ©dit. Tout rĂ©cemment, un « appel de Paris pour une microfinance responsable » tĂ©moigne du caractĂšre international de ce mouvement dont lâinitiateur, Mohammad Yunus a reçu en 2006 le prix Nobel de la paix.
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Aujourdâhui, grĂące Ă internet, nous sommes tous concernĂ©s. Notre « prochain » nâest plus seulement celui qui vit dans notre environnement immĂ©diat. Ă travers le web, nous rejoignons les hommes et les femmes de la terre entiĂšre. Connaissez-vous le site : « Sept milliards dâautres » ? http://www.6milliardsdautres.org/index.php
Câest un site particuliĂšrement impressionnant, car, Ă travers 6 000 portraits vidĂ©os, nous y rencontrons lâhumanitĂ© dans toute sa diversitĂ©, du pĂȘcheur brĂ©silien Ă lâavocate australienne, de lâartiste allemand Ă lâagriculteur afghan, et pouvons y entendre les prĂ©occupations, les aspirations, les questionnements des ĂȘtres humains en rĂ©ponses Ă des questions simples comme : « Quâavez vous appris de vos parents ? Que souhaitez-vous transmettre Ă vos enfants ? Quelles Ă©preuves avez-vous traversĂ©Â ? Que reprĂ©sente pour vous lâamour ?… ».
Aujourdâhui, on le sait, lâattention Ă lâautre peut sâexercer de bien des maniĂšres. Câest le cas dans les sites qui nous permettent de connaĂźtre les conditions dâexistence et les besoins de beaucoup de gens qui font appel au microcrĂ©dit et Ă qui on peut apporter ainsi « un coup de main ». Comment ne pas nous rendre compte que, dans nos sociĂ©tĂ©s occidentales, nous sommes, malgrĂ© tout, relativement privilĂ©giĂ©s et ne pas participer Ă un moyen trĂšs simple et accessible Ă tous : « Parce que notre prĂȘt solidaire permet Ă un micro entrepreneur de dĂ©velopper ses activitĂ©s, prĂȘtez ! ».
Jâai dĂ©couvert les sites de microcrĂ©dit : Babyloan et Microworld http://www.microworld.org/fr (1) en Ă©coutant la radio, en lâoccurrence BFM, et câest vraiment une satisfaction de participer Ă cette activitĂ©.
Quelques mots sur le site : Babyloan qui met lâaccent dans son fonctionnement sur la convivialitĂ©Â : http://www.babyloan.org/fr/
Toute une Ă©quipe est Ă lâĆuvre. Fondateur et prĂ©sident de Babyloan, Arnaud Poissonnier, tĂ©moigne dâun itinĂ©raire qui caractĂ©rise bien ce mouvement. De banquier de gestion de fortune, il est devenu le responsable dâune « entreprise sociale ». Babyloan nâest pas une association, mais une des premiĂšres entreprises sociales françaises, crĂ©Ă©e en fĂ©vrier 2008. Lâentreprise sociale a une caractĂ©ristique commune avec les autres entreprises : elle doit atteindre lâĂ©quilibre Ă©conomique. Mais elle sâen distingue en se consacrant Ă la rĂ©solution dâun problĂšme, par exemple lâamĂ©lioration du sort de plus dĂ©munis, et ne cherchant pas le profit pour ses actionnaires.
Entrons donc dans le site deBabyloan. Nous y dĂ©couvrons une grande diversitĂ© de projets qui font appel au microcrĂ©dit. Ces projets sont prĂ©sentĂ©s dans le contexte humain de ceux qui font appel Ă nous : leur existence familiale, leurs conditions de vie, leurs motivations. On entre ainsi en contact virtuel avec des personnes et on peut devenir leur « prochain », celui qui va Ă la rencontre de lâautre dans un mouvement de sympathie.
Et ensuite le processus est trĂšs simple : « Je choisis un projet. Je fais un prĂȘt solidaire Ă partir de 20 euros qui participe au financement du microcrĂ©dit de lâentrepreneur choisi. Celui-ci dĂ©veloppe son activitĂ© et me rembourse sans intĂ©rĂȘt »⊠Câest un acte de solidaritĂ©Â : « En proposant de prĂȘter et non de donner, Babyloan reprĂ©sente une nouvelle forme de solidaritĂ© respectueuse de la dignitĂ© du bĂ©nĂ©ficiaire et qui rompt avec la logique le lâassistanat ».
Babyloan est devenu leader europĂ©en dans ce secteur. Aujourdâhui, plus de 13 000 personnes participent Ă son activitĂ©Â : « En 2011, vous avez prĂȘtĂ© 1 500 000 euros Ă plus de 3 500 projets. Vous avez soutenu ainsi 20 000 personnes ».
Et voici, comme exemples, quelques projets auxquels nous nous intéressons :
« Les uniformes de Carmen » à Lima. Pérou
Sanchez Carmen, ùgée de 62 ans, mÚre de 6 enfants, passionnée de couture, fait appel au microcrédit pour développer un atelier de confection qui fabrique des uniformes et des tenues de sport pour plusieurs écoles.
http://www.babyloan.org/fr/projects/carmen-sanchez-erazo-de-espinoza/les-uniformes-de-carmen/6107
« Les agrumes dâAmani ». Gaza
Amani, 31 ans, mÚre de 5 enfants, cultive une parcelle de terre et vend ses oranges pour gagner sa vie ; elle fait appel au microcrédit pour louer une autre terre et y installer une serre pour cultiver des légumes. http://www.babyloan.org/fr/projects/amani-hamduna/les-agrumes-damani/8558
« Les canards dâEssi ». Togo
Essi, agée de 53 ans, mÚre de 3 enfants, participe à un petit groupe de quatre femmes solidaires. Elle fait appel au microcrédit pour développer un élevage de canards ;
http://www.babyloan.org/fr/projects/essi-novissi-kitikpo/groupe-les-canards-dessi/8385
« TĂȘtĂȘ. Elevage de poules ». TogoÂ
MariĂ© et pĂšre de 2 enfants, 30 ans, TĂ©tĂ© Ă©lĂšve des poules pondeuses et vend les Ćufs. Il sollicite un prĂȘt pour acheter 300 poussins et de la nourriture pour ses poules. http://www.babyloan.org/fr/projects/tete-mensah/tete-elevage-de-poules/8207
« Les cacaoyers et le maĂŻs dâAgustina ». Equateur
Agustina, 72 ans, travaille avec passion dans ses plantations de cacaoyers et de maĂŻs. Elle vit avec son Ă©poux dans une modeste maison. Elle fait appel au microcrĂ©dit pour un achat dâengrais et de graines. http://www.babyloan.org/fr/projects/agustina-de-la-cruz-mora-mendoza-/les-cacaoyers-et-le-mais-dagustina/8528
La solidaritĂ© dans la convivialitĂ©Â ! Participer ainsi au microcrĂ©dit, câest un bonheur !
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(1) Microworld , autre site de microcrĂ©dit, est un projet du groupe Planet Finance, organisation de grande envergure dont la compĂ©tence et lâefficacitĂ© sont signifiĂ©es notamment par la personnalitĂ© de son prĂ©sident Jacques Attali.
par | Mai 6, 2013 | ARTICLES, Vision et sens |
Dispersion, lĂącher prise, ressourcement et rayonnement.
Propos de Jean-Claude Schwab recueillis au fil dâune conversation.
Quelles sont les prĂ©occupations auxquelles les gens sont confrontĂ©s aujourdâhui ?
 « Aujourd’hui, beaucoup de gens ont de la peine Ă vivre, Ă se poser dans la vie. Cela vient du fait que le contexte social ou professionnel dans lequel nous vivons se dĂ©lite et que les institutions qui nous emploient ne nous apportent plus le mĂȘme soutien. Il arrive mĂȘme que certains professionnels (mĂȘme des ecclĂ©siastiques) ne sont plus portĂ©s par leur institution. Ils ne trouvent plus de reconnaissance sociale non plus. Du coup, cela fait porter un immense fardeau sur leurs Ă©paules, tant sur le plan professionnel que sur le plan personnel. On se sent Ă la limite du supportable, du possible. Ce matin, jâĂ©tais avec un collĂšgue, en formation continue. Rien ne le soutient. âŠÂ »Câest toi qui dois te promouvoir personnellement ». Câest un immense fardeau. DâoĂč lâimportance de plus en plus grande dâavoir accĂšs Ă d’autres appuis, Ă ses ressources personnelles d’une part et d’autre part aux autres ressources qui peuvent ĂȘtre disponibles.
Face aux manques dâappuis et de repĂšres, quelle forme de ressourcement personnel proposes-tu aux gens ?
Pour moi, les ressources personnelles, câest lâespace quâon se donne pour recevoir son ĂȘtre de Dieu. Quand tu fais silence devant Dieu, il se passe quelque chose que tu ne peux pas produire par toi-mĂȘme. Quand tu te prĂ©sentes devant le Dieu de misĂ©ricorde, pour moi, câest le Dieu de JĂ©sus-Christ, il se passe quelque chose de mystĂ©rieux. Câest le sentiment fort dâexister, ce noyau indestructible de mon ĂȘtre qui nâest pas seulement une ressource, mais une source qui se renouvelle. Je suis alors dans le non-faire et non plus dans « tout ce quâil y a Ă faire » et qui me dĂ©passe. Je suis dans le sabbat. Je renonce Ă toutes les raisons dâexister autres que « dâĂȘtre là  ». Et alors il mâest redonnĂ© le sentiment de cette rĂ©alitĂ© du fondement de mon existence. Câest comme si je me laissais couler au fond de la piscine pour aller y toucher le fond et remonter ensuite.
Sur quoi se fonde cette expérience spirituelle et comment les gens la vivent-ils ?
En vivant cela avec certains de mes vis-Ă -vis, et en communiquant avec eux Ă ce sujet, je vois quâils font cette expĂ©rience et quâils trouvent un positionnement par rapport au tourbillon de la vie. Je travaille surtout avec des chrĂ©tiens, mais dans les sessions que jâorganise, il y a aussi des gens hors cadre, hors milieu chrĂ©tien. Mon langage sâinspire de la Bible, mais il est accessible Ă tous. Parmi les paroles bibliques qui m’inspirent, il y a ce texte que je trouve tout Ă fait central, et qui parle Ă chacun. Paul dit : « Je suis qui je suis, par la grĂące de Dieu », 1 Corinthiens 15.10. Câest tout un chemin : Paul se compare dâabord aux autres apĂŽtres plus grands que lui, pour ensuite ne plus se comparer du tout et se situer dans son ĂȘtre profond fondĂ© dans lâĂȘtre du Christ: « Je suis qui je suis ». On trouve dans lâEvangile une approche analogue lorsque JĂ©sus dĂ©clare : « Avant quâAbraham fut, Je suis » (Jean 8.58). Il affirme une rĂ©alitĂ© centrale de son ĂȘtre, indestructible. L’appel du psaume 46 (verset 11), lorsque Dieu dit : « ArrĂȘtez et sachez que je suis Dieu », je le vis comme une invitation Ă cette mĂȘme dĂ©marche : s’arrĂȘter, faire le Shabbat, câest Ă dire : renoncer Ă tout ce qui semble justifier mon existence pour en retrouver le fondement. Dans lâexpĂ©rience mĂȘme quâon peut faire lorsqu’on s’arrĂȘte, et qu’on laisse passer les distractions, on reçoit un sentiment fort dâexister. Cette perception-lĂ redonne un courage de vivre. Ceux qui entrent dans cette dĂ©marche en font lâexpĂ©rience.
Parmi les ressources disponibles, quelle est la place donnée aux relations humaines ?
Parmi les ressources qui sont mises Ă notre disposition, certaines viennent directement de Dieu et dâautres viennent de nos relations humaines. Je mâinspire beaucoup du texte dâEsaĂŻe 50.4 : « Le Seigneur Ă©veille mon oreille pour que j’Ă©coute comme les « appreneurs »; il mâa donnĂ© une langue exercĂ©e, pour que je puisse soutenir par la parole celui qui est abattuâŠÂ ». Ce texte met en lien une attitude profonde en Dieu avec la relation aux autres. Dans cette posture dĂ©pouillĂ©e devant Dieu, de l’arrĂȘt, du silence et de l’Ă©coute intĂ©rieure, je trouve ce noyau vital personnel, qui permet ensuite dâĂȘtre un soutien pour les autres. Evidemment, quand on fait cela, il y a un retour Ă lâexpĂ©diteur. Lorsque tu entres dans une telle relation avec les autres, tu es nourri toi-mĂȘme, sans pour autant que cela devienne ta raison de vivre ».
Propos de Jean-Claude Schwab recueillis au fil dâune conversation.
Jean-Claude Schwab est pasteur. Il participe activement au réseau : Expérience et théologie et a la responsabilité du site correspondant : http://www.experience-theologie.ch/accueil/
On pourra lire deux articles de Jean-Claude Schwab sur le site de Témoins :
« Au cĆur du cyclone » : http://www.temoins.com/parole-ouverte/au-coeur-du-cyclone.html
« Voici une bonne nouvelle : habiter mon corps » : http://www.temoins.com/developpement-personnel/voici-une-bonne-nouvelle-habiter-mon-corps.html
Nous vous invitons Ă visiter Ă©galement lâarticle : « Paix et joie en Dieu. Approche pour une mĂ©ditation. La vision de JĂŒrgen Moltmann dans « Ethics of Hope » sur le site : « LâEsprit qui donne la vie »
http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=880
par jean | Fév 15, 2012 | ARTICLES, Beauté et émerveillement, Expérience de vie et relation, Vision et sens |
Souvenir personnel et sans doute souvenir de beaucoup dâautres : lorsquâil vient au monde, le petit enfant engendre une dynamique dâamour chez ceux qui lâaccueillent. Quelle merveille !
Tout rĂ©cemment, dans une enquĂȘte, en rĂ©ponse Ă la question : « Quel Ă©vĂ©nement Ă venir pourrait susciter un Ă©merveillement de votre part ? », la naissance arrive en tĂȘte (38%), suivie dâassez prĂšs par la joie dâun enfant (33%) (1).
Cependant, dâaprĂšs le travail des historiens, on sait que lâattention et le respect portĂ©s Ă lâenfant nâallaient pas de soi autrefois. Loin de lĂ . Cette attention et ce respect se sont dĂ©veloppĂ©es Ă partir du moment oĂč les sociĂ©tĂ©s sont peu Ă peu sorties de lâoppression engendrĂ©e par la mortalitĂ© infantile, la sous nutrition, une violence latenteâŠPendant longtemps, en regard des adultes, le statut des enfants a Ă©tĂ© nĂ©gligeable. Au dĂ©but du XXĂš siĂšcle encore, les mentalitĂ©s ne sont pas prĂȘtes Ă reconnaĂźtre le potentiel du petit enfant. A travers une Ćuvre pionniĂšre, la doctoresse italienne, Maria Montessori, met en valeur ce potentiel, et, dans un livre rayonnant : « Lâenfant » (2), elle parle de celui-ci en terme dâ « embryon spirituel ». Aujourdâhui oĂč le concept de spiritualitĂ© est dĂ©sormais reconnu et jouit dâune large audience, des recherches rĂ©centes viennent de mettre en Ă©vidence les dispositions spirituelles prĂ©sentes chez lâenfant. Une recherche, rĂ©alisĂ©e par Rebecca Nye et David Hay, auprĂšs dâenfants britanniques de 6 Ă 10 ans, a mis en Ă©vidence leurs aptitudes spirituelles en terme de « conscience relationnelle » (3).
Rebecca Nye nous décrit ainsi la spiritualité des enfants (4).
« La spiritualitĂ© des enfants est une capacitĂ© initialement naturelle pour une conscience de ce qui est sacrĂ© dans les expĂ©riences de vie. Cette conscience peut ĂȘtre ressentie ou pas, mais dans les deux cas, elle influe sur les actions, les sentiments et les pensĂ©es. Dans lâenfance, la spiritualitĂ© porte particuliĂšrement sur le fait dâĂȘtre en relation, de rĂ©pondre Ă un appel, de se relier Ă plus que moi seul, câest Ă dire aux autres, Ă Dieu, Ă la crĂ©ation ou Ă un profond sens de lâĂȘtre intĂ©rieur (inner sense of self). Cette rencontre avec la transcendance peut advenir dans des expĂ©riences ou des moments spĂ©cifiques aussi bien quâĂ travers une activitĂ© imaginative ou rĂ©flexive » (p.6).
Beaucoup dâexpĂ©riences quotidiennes dans la vie de lâenfant se prĂȘtent Ă un vĂ©cu spirituel. Aussi comprendre lâenfance est fondamental pour une comprĂ©hension plus gĂ©nĂ©rale de la spiritualitĂ©. Comprendre lâenfance, câest percevoir entre autres, les rĂ©alitĂ©s suivantes :
« ° Les enfants ont une façon plus holistique de voir les choses. Ils ne les analysent pas autant si bien que leur perception a un caractÚre plus mystique.
° Les enfants sont particuliĂšrement ouverts et curieux. Aussi ont-ils une capacitĂ© naturelle dâĂ©merveillement.
° La vie Ă©motionnelle des enfants est au moins aussi forte que leur vie intellectuelle. Aussi savent-ils ce que câest de sâabandonner Ă des forces qui transcendent leur contrĂŽle.
° Les enfants manquent de connaissances sur beaucoup de choses. Pour eux, le mystÚre est une réalité profonde, généralement non menaçante, amicale et ils y répondent par un respect et une recherche de sens dans tous leurs jeux quotidiens.
° Les enfants acceptent que leurs mots ne suffisent pas Ă dĂ©crire pensĂ©es et sentiments. Aussi savent-ils que la valeur et lâimportance rĂ©elle dĂ©passent ce qui peut ĂȘtre dit. Ils se sentent Ă lâaise dans lâineffable, lâindicible » (p.8)
« La dĂ©couverte majeure de toutes ces Ă©tudes est que la spiritualitĂ© est une caractĂ©ristique commune naturelle, chez la plupart des enfants, probablement tous. Certainement aucune Ă©tude ne fait apparaĂźtre un type dâenfant qui ne possĂšde pas des aptitudes spirituelles actives. Dâun point de vue chrĂ©tien, cela fait sens, puisquâon comprendrait difficilement pourquoi certaines personnes seraient crĂ©Ă©es sans une capacitĂ© instinctive de rĂ©pondre Ă notre CrĂ©ateur » (p.9). Les Ă©tudes sur la spiritualitĂ© des enfants Ă©clairent notre comprĂ©hension de la spiritualitĂ© des adultes . « Un nombre surprenant dâadultes citent un souvenir dâenfance comme leur expĂ©rience spirituelle la plus importanteâŠÂ ». Au total, on constate que « la spiritualitĂ© des enfants est plus naturelle quâapprise, que peut-ĂȘtre le terrain le plus fertile pour la spiritualitĂ© se situe dans lâenfance , que la spiritualitĂ© de lâenfance se rĂ©percute sur lâĂąge adulte, et que la spiritualitĂ© est profondĂ©ment relationnelle » (p.11).
 Ces recherches viennent apporter une confirmation de ce que nous ressentions plus ou moins clairement. Oui, lâenfant est un ĂȘtre spirituel. Pendant des siĂšcles, cette rĂ©alitĂ© a Ă©tĂ© largement mĂ©connue. Ainsi les paroles de JĂ©sus concernant les enfants Ă©taient Ă contre courant. Aujourdâhui, elles retentissent avec une force inĂ©galĂ©e. Maintenant, elle inspire les thĂ©ologiens (5) et, pour nous, elles Ă©clairent notre cĆur et notre entendement. JĂ©sus dit : « Laissez les petits enfants, et ne les empĂȘchez pas de venir Ă moi ; car le Royaume des Cieux est pour ceux qui leur ressemblent » (Matthieu 19.14). « Quiconque reçoit en mon nom un de ces petits enfants me reçoit moi-mĂȘmeâŠ( Marc 9. 37) ». Le commentaire de Rebecca Nye est Ă©clairant : lâapproche de JĂ©sus vis Ă vis des enfants paraĂźt appuyer lâidĂ©e que leur spiritualitĂ© reflĂšte un Ă©tat dâĂȘtre quotidien. Les enfants sont accueillis et bĂ©nis et câest au hasard que JĂ©sus met un enfant en Ă©vidence. Cette rĂ©flexion nous Ă©claire sur la portĂ©e des recherches sur la spiritualitĂ© des enfants. De la mĂȘme façon, JĂ©sus sâest rĂ©fĂ©rĂ© aux enfants (sans spĂ©cifier leur Ăąge) comme « ceux dont les anges dans le ciel voient constamment la face de mon PĂšre dans les cieux » (Matthieu 18.10). Cela suggĂšre que les enfants jouissent dâune perception toute particuliĂšre.
Câest une forte invitation Ă penser que les adultes ont des choses Ă apprendre de la maniĂšre des enfants dâĂȘtre simplement eux-mĂȘmes et sur la relation pouvoir autoritĂ© entre les adultes et les enfants.
La dĂ©couverte actuelle de la spiritualitĂ© des enfants sâinscrit dans le tournant culturel et religieux en cours durant les vingt derniĂšres annĂ©es (6). Mais, en mĂȘme temps, ce phĂ©nomĂšne est lâaboutissement de tendances Ă plus long terme. Ainsi le courant de lâĂ©ducation nouvelle se manifeste tout au long du XXĂš siĂšcle. De mĂȘme, le thĂšme de la spiritualitĂ© a pris une importance croissante dans les derniĂšres dĂ©cennies.
La prise de conscience de la dimension spirituelle des enfants marque Ă©galement une rupture avec les sĂ©quelles dâidĂ©es et de reprĂ©sentations installĂ©es en Occident pendant des siĂšcles. Ainsi lâenfant Ă©tait perçu comme entachĂ©e par une corruption issue du pĂ©chĂ© originel avec toute la reprĂ©sentation nĂ©gative qui en rĂ©sultait. On frĂ©mit Ă la maniĂšre dont certains envisageaient le sort des enfants dĂ©cĂ©dĂ©s sans avoir Ă©tĂ© baptisĂ©s. Et par ailleurs, en mettant lâaccent sur la petitesse et lâhumilitĂ© des enfants et non sur leur potentiel de vie, la perception traditionnelle Ă©tait aussi empreinte de nĂ©gatif. Mais, en mĂȘme temps, la reconnaissance croissante de la spiritualitĂ© des enfants sâaffirme aujourdâhui Ă lâencontre dâune idĂ©ologie scientiste, rationaliste qui a occupĂ© une place importante dans le paysage culturel du siĂšcle dernier. Bien sĂ»r, on doit Ă©galement se garder dâune idĂ©alisation excessive de lâenfant. Celui-ci participe Ă notre humanitĂ© avec ses travers et ses dĂ©rives, mais une vision nouvelle est apparue.
Aujourdâhui, nous assistons au dĂ©veloppement dâune reprĂ©sentation nouvelle de la vie humaine. « BĂ©nir, signifie littĂ©ralement : appeler le bien Ă se manifester », nous dit Rebecca Nye. Ainsi avons-nous besoin de reconnaĂźtre le bien lĂ oĂč il est pour lâencourager Ă sâĂ©panouir. VoilĂ une approche souhaitable dans notre reprĂ©sentation de lâhomme bien au delĂ de lâenfance.
Lâenfant : un ĂȘtre spirituel. Câest un regard nouveau. Nous dĂ©couvrons ce que nous pressentions. Quelle merveille !
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(1)           Sur ce blog : Ce qui nous Ă©merveille. Sur le site de TĂ©moins : « ReconnaĂźtre le fait spirituel : un sondage sur lâĂ©merveillement » http://www.temoins.com/enqu-tes/reconnaitre-le-fait-spirituel.-un-sondage-sur-l-emerveillement.html
(2)           Montessori (Maria). Lâenfant. DesclĂ©e de Brouwer (Ă©dition originale : 1936)
(3)           Hay (David). Something there. The biology of human spirit. Darton, Longman and Todd, 2006. Sur le site de Témoins : La vie spirituelle comme « conscience relationnelle ». http://www.temoins.com/etudes/la-vie-spirituelle-comme-une-conscience-relationnelle.html
(4)Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Nye (Rebecca). Childrenâs spirituality. What it is and why it matters. Church House Publishing, 2009
(5)           Sur le site de TĂ©moins : « DĂ©couvrir la spiritualitĂ© des enfants. Un signe des temps ». Un chapitre sur la thĂ©ologie de lâenfant. http://www.temoins.com/etudes/decouvrir-la-spiritualite-des-enfants.-un-signe-des-temps/toutes-les-pages.html
(6)            Sur le site : expĂ©rience et thĂ©ologie : Ursula Tissot. Comment le Dieu qui sâest fait enfant rejoint notre enfant intĂ©rieur. http://www.experience-theologie.ch/reflexions/ressourcement/comment-ce-dieu-qui-s’est-fait-enfant-rejoint-notre-enfant-interieur/
par jean | Juin 1, 2022 | Vision et sens |
Selon Patrice Van Eersel
 Les crises se succĂšdent. Les menaces grandissent. Lâhorizon parait bouchĂ©. Nous voyons le climat se dĂ©grader, la diversitĂ© des espĂšces se rĂ©duire. Nos repĂšres se fragilisent. Il semble que lâordre naturel est Ă©branlĂ©. Le ciel va-t-il nous tomber sur la tĂȘte ?
LâhumanitĂ© elle-mĂȘme nous paraĂźt de plus en plus instable. Le rythme de la vie sociale sâaccĂ©lĂšre, sâemballe. Dans cette ambiance prĂ©occupante, la solidaritĂ© vacille. Des forces sâentrechoquent. Des monstres, bien rĂ©els ou imaginaires apparaissent. Dans ce tohu-bohu, certains se dĂ©sespĂšrent et envisagent la fin du monde, un grand effondrement. Ce catastrophisme est dĂ©vastateur. Il sape les Ă©lans de vie.
Câest dans ce contexte que Patrice Van Eersel, journaliste et Ă©crivain (1), connu pour ses Ă©tudes pionniĂšres dans la dĂ©couverte de rĂ©alitĂ©s hors du commun, dâexpĂ©riences transcendentales, a dĂ©cidĂ© de rĂ©pondre au pessimisme ambiant en Ă©crivant un livre intitulĂ©Â : « NoosphĂšre » (2). Il trace une piste dĂ©crivant le processus intellectuel qui a commencĂ© au dĂ©but du XXĂš siĂšcle et a mis en Ă©vidence la perspective de lâĂ©mergence dâune conscience collective.
Ce livre est présenté ainsi dan la page de couverture.
« Comment croire en lâavenir quand on a trente ans et la conviction de vivre lâeffondrement de la planĂšte â rĂ©chauffement global, dĂ©gradation de la biodiversitĂ©, pollution gĂ©nĂ©ralisĂ©e, le tout aggravĂ© par une crise sanitaire mondiale ?
En remontant le temps, rĂ©pond lâauteur de ce rĂ©cit Ă son jeune interlocuteur, Sacha, en sâinspirant du concept de NoosphĂšre, forgĂ© dans les annĂ©es 1920 par deux hommes, le français Teilhard de Chardin et le russe Vladimir Vernadski qui dĂ©signaient ainsi la conscience collective planĂ©taire. Ayant compris le rĂŽle crucial de lâaction humaine sur la biosphĂšre â ce que lâon appelle aujourdâhui lâanthropocĂšne â ces visionnaires, convaincus du caractĂšre « cosmique » de la vie biologique, considĂ©raient le triomphe de la « NoosphĂšre » comme la prochaine et irrĂ©sistible Ă©tape de lâĂvolution, condition sine qua non de notre survie sur la terre ».
Lâauteur a agencĂ© son rĂ©cit en fonction dâinterlocuteurs imaginĂ©s : le fils dâun ami dĂ©cĂ©dĂ©, Sacha, un jeune homme en pleine dĂ©pression parce quâil sâattend Ă un effondrement de la sociĂ©tĂ© et, en consĂ©quence, sâest rĂ©fugiĂ© dans un refus du travail, et, autour de lui, une constellation familiale, sa mĂšre, sa compagne, mĂšre dâune petite fille, sĂ©parĂ©e de lui et elle aussi, portĂ©e Ă des idĂ©es extrĂȘmes. Et donc, le rĂ©cit se dĂ©veloppe en phase avec des questionnements et des ressentis. Dans cette disposition de lâouvrage, lâauteur engage un dialogue avec toute une jeunesse en recherche. Et, en mĂȘme temps, lâauteur nous prĂ©sente une rĂ©flexion complexe au carrefour de considĂ©rations scientifiques, philosophiques et mĂȘme thĂ©ologiques. Dans un dĂ©roulĂ© historique, attentif Ă la vie des personnalitĂ©s Ă©voquĂ©es, le rĂ©cit suscite une attention soutenue. Patrice Van Eersel a Ă©crit lĂ un livre fondĂ© sur de nombreuses enquĂȘtes et lectures. Câest un ouvrage important, en 400 pages. Il ne peut donc ĂȘtre question ici dâen rĂ©sumer le contenu. Nous chercherons simplement Ă en prĂ©senter quelques Ă©tapes, quelques parties saillantes.
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Une approche de lâeffondrement : la collapsologie
Puisque son jeune ami, Sacha, est obsĂ©dĂ© par la menace de lâeffondrement, Patrice Van Eersel va lui mĂ©nager un contact avec ceux qui, eux aussi, se focalisent sur cette question de lâeffondrement. Ainsi, il entre en contact avec des scientifiques innovants qui, en fin de compte, se sont engagĂ©s dans lâexploration de cette hypothĂšse. Depuis quelques annĂ©es, Patrice connaissait un chercheur belge, Gauthier Chapelle, spĂ©cialiste de biomimĂ©tisme : comment reconnaĂźtre les inventions de la nature et en tirer parti ? Avec un autre chercheur, Pablo Servigne, Cauthier Chapelle avait participĂ© Ă la rĂ©daction dâun livre particuliĂšrement innovant : « Lâentraide. Lâautre loi de la jungle » (3). Cependant, les annĂ©es passant, Gauthier Chapelle avait rejoint son collĂšge et ami, Pablo Servigne dans son regard pessimiste sur lâavenir de lâhumanitĂ©. Ce dernier avait Ă©crit un livre : « Pourquoi tout peut sâeffondrer ». Pablo Servigne et un petit groupe de chercheurs avec lui sâĂ©taient engagĂ©s dans un recherche sur lâeffondrement en adoptant le terme de : collapsologie. « Ce que ces jeunes chercheurs sâescrimaient Ă Ă©tudier en dĂ©tail, câĂ©tait le « processus systĂ©mique » par lequel une sociĂ©tĂ© sâemballe dans une sĂ©rie de spirales devenant folles et qui, tendant vers lâinfini Ă partir de certains seuils, rĂ©sonnent si bien les unes avec les autres quâelles font exploser lâensemble » (p 18). Gauthier Chapelle ayant donc facilitĂ© une rencontre entre Patrice van Eersel et Pablo Servigne, celle-ci dĂ©boucha sur une discussion concernant la perspective de lâeffondrement. Pablo Servigne suggĂ©ra Ă Patrice de faire bĂ©nĂ©ficier son groupe de son expĂ©rience sur lâapproche de la mort apprise dâ« Elisabeth Kubler Ross, psychiatre amĂ©ricano-suisse, initiĂ©e au feu de lâouverture des camps de concentration en Pologne, puis projetĂ©e dans lâunivers des grands hĂŽpitaux amĂ©ricains » (p 23). Dans son pessimisme, Pablo Servigne a choisi nĂ©anmoins de « rester humain quoiquâil arrive » et il sâest installĂ© avec ses enfants dans la campagne de la Drome (p 24-25). En emmenant Sacha avec lui, Patrice Van Eersel lui rend visite dans son nouveau lieu de vie. La conversation sâoriente vers la puissance de lâentraide qui « concerne tous les ĂȘtres vivants depuis quatre milliards dâannĂ©es ». « Les groupes qui sâentraident survivent beaucoup plus longtemps ». Cette puissance de lâentraide a Ă©tĂ© mise en valeur par la pensĂ©e pionniĂšre de Kropotkine, gĂ©ographe et anarchiste, et le courant russe de lâanarchisme mystique. « On dĂ©bouche sur un engagement social dâessence Ă©thique et, mĂȘme, finalement sur une voie philosophique Ă©troitement spirituelle » (p 135-136). Tout en envisageant le pire, Pablo Servigne poursuit sa recherche sur les maniĂšres de lâaffronter. « Les humains ont besoin de grands rĂ©cits. Or ceux qui ont nourri le monde moderne depuis la Renaissance, en particulier le rĂ©cit de la libertĂ© individuelle ou de la technoscience, sont maintenant Ă©puisĂ©s. Et Pablo Ă©nonce des pistes dâaction : « SchĂ©matiquement, je vois trois possibilitĂ©s : bĂątir des rĂ©seaux dâentraide, motivĂ©s par le bien commun ; sâentrainer Ă recevoir lâimprĂ©visible, le pire et le meilleur⊠et puis ouvrir des horizons, rĂȘver ensemble, tisser de grands rĂ©cits ! » (p 140).
Chercheurs artistes américains
Ăclaireurs pour une nouvelle vision du monde
 Lâauteur a rĂ©alisĂ© de nombreuses enquĂȘtes aux Etats-Unis. « LâAmĂ©rique est un pays si contradictoire quâil peut vous dĂ©gouter autant que vous inspirer. Du nord au sud et de la cĂŽte ouest Ă la cĂŽte est, jây avais rencontrĂ© des dizaines de chercheurs artistes et de scientifiques ouvreurs de voies » (p 32). Dans ces rencontres, il a mesurĂ© la dimension historique de lâanthropocĂšne. « Tout dâabord, ces gens, bien quâen gĂ©nĂ©ral dâidĂ©ologie libertaire, mâont lavĂ© dâune premiĂšre grande illusion. Ce nâest pas la finance digitalisĂ©e, ni le capitalisme, ni la rĂ©volution industrielle qui ont commencĂ© Ă foutre en lâair la biosphĂšre terrestre. Le mal a dĂ©butĂ© bien plus tĂŽt, au minimum au NĂ©olithique câest Ă dire Ă lâĂąge oĂč les humains se sont peu Ă peu sĂ©dentarisĂ©s, Ă©levant des animaux domestiques et cultivant des plantes » (p 32-33). Et, dĂšs cette Ă©poque, ces scientifiques « prĂ©tendaient inventer des façons concrĂštes de pacifier ce quâon sâentend Ă appeler âanthropocĂšneâ aujourdâhui ». Ainsi Patrice Van Eersel a rencontrĂ© la microbiologiste Lynn Margulis. « Cette grande spĂ©cialiste des bactĂ©ries, qui Ă©tait aussi une artiste visionnaire, fut Ă lâorigine, avec le climatologue James Lovelock, de « lâhypothĂšse GaĂŻa » selon laquelle la biosphĂšre qui enveloppe notre planĂšte se comporterait comme un seul gigantesque ĂȘtre vivant » (p 34).
Lynn Margulis a Ă©crit un essai magistral : « Lâunivers bactĂ©riel ». Les bactĂ©ries ont jouĂ© un rĂŽle majeur dans le dĂ©veloppement de la vie. « Elles ont fait de cette planĂšte non seulement leur nid, mais leur chose, leur production, leur crĂ©ation collective » (p 34). Les bactĂ©ries ont traversĂ© ainsi plusieurs Ă©pisodes trĂšs difficiles de la vie terrestre. Aujourdâhui, Ă nouveau, une crise a Ă©clatĂ©. « LâhumanitĂ© et ses langages ont secrĂ©tĂ© une technosphĂšre constituĂ©e de toutes nos techniques⊠Quand est survenue la rĂ©volution industrielle, le processus mortifĂšre sâest accentuĂ©e dans des proportions dĂ©mentesâŠÂ » (p 36-37). Ici Lynn Marjulis a ouvert un nouvel horizon Ă Patrice Van Eersel : « le dĂ©fi est colossal , mais clair. Si nous voulons que la technosphĂšre humaine cesse dâagresser la biosphĂšre qui lâa engendrĂ©e et constitue sa matrice, il faut que sâimpose une sphĂšre nouvelle. Il faut dâurgence renforcer la NoosphĂšre » (p 37). La NoosphĂšre, « câest la sphĂšre de la conscience. En grec, « noos » signifie « esprit, conscience ». Lâintelligence collective des humains est impressionnante, mais elle nâest encore que trĂšs partiellement consciente⊠Seul un colossal saut collectif dans la conscience, donc dans la responsabilitĂ©, peut rendre les techniques humaines biophiles et non plus antibiotiques ». (p 38). Lynn Margulis va orienter Patrice Van Eersel vers les pionniers de cette vision. Ce sont « deux grands chercheurs du dĂ©but du XXĂš siĂšcle⊠deux savants prophĂ©tiques sans exagĂ©ration : le plus vieux Ă©tait russe et sâappelait Vladimir Ivanovitch Vernadski. Lâautre Ă©tait français et sâappelait Pierre Teilhard de Chardin. Venant de philosophies trĂšs diffĂ©rentes â immanentiste pour le russe et transcendantaliste pour le français â ils tombĂšrent dâaccord pour dire deux choses. Dâune part que la NoosphĂšre Ă©mergeait de la nature mĂȘme du monde matĂ©riel, dâautre part que lâon pouvait voir en elle lâavenir mĂȘme de lâunivers ». Lynn Margulis encouragea Patrice Ă enquĂȘter sur ces deux hommes.
Pierre Teilhard de Chardin
Une vision Ă©mergente
Patrice Van Eersel est donc parti Ă la dĂ©couverte de Teilhard de Chardin. Celui-ci est aujourdâhui une personnalitĂ© cĂ©lĂšbre, qui a donnĂ© lieu Ă des biographies et dont lâabondante production est maintenant Ă©ditĂ©e (4). Il existe mĂȘme une association des Amis de Teilhard de Chardin (5). Dans plusieurs chapitres successifs et en fonction de son auditoire imaginaire, Patrice Van Eersel poursuit un rĂ©cit du parcours de Teilhard de Chardin. Il retrace les grands moments de sa vie, câest Ă dire le contexte dans lequel sa vision a grandi depuis les affres de la grande guerre jusquâĂ son intense recherche palĂ©ontologique. PrĂȘtre jĂ©suite, sa vision sâest heurtĂ©e au pouvoir de la hiĂ©rarchie catholique et sâest diffusĂ©e sous le manteau Ă travers un rĂ©seau dâamis et grĂące Ă des amitiĂ©s fĂ©minines. Cette vision a fait irruption aprĂšs sa mort avec la publication dâun livre clĂ© : « le PhĂ©nomĂšne Humain ».
Lâauteur nous relate la vie de Pierre Teilhard de Chardin tout au long de la grande guerre comme brancardier et « dans la fureur et le sang » (p 41-54). TrĂšs particuliĂšrement exposĂ© en fonction du courage quâil manifeste au secours des blessĂ©s et en fonction de sa haute taille, il Ă©chappe Ă la mort quasi miraculeusement. A travers les massacres qui lâenvironnent, il garde le cap et dans les moments de rĂ©pit, il Ă©crit passionnĂ©ment. « Profitant de la moindre accalmie, hantĂ© par une recherche de sens dâautant plus dĂ©raisonnable que le contexte est fou, le prĂȘtre palĂ©ontologue Ă©crit des centaines de pages » (p 86) quâil envoie ensuite Ă sa cousine Marguerite.
La vision de Teilhard se dĂ©veloppe en tension avec le malheur ambiant. « Sous la pression de sa mission assumĂ©e de caporal brancardier Ćuvrant dans les tranchĂ©es, le docteur en palĂ©ontologie voit un ordre supĂ©rieur jaillir du chaosâŠÂ » (p 95). Il Ă©crit : « Lâeffet du sĂ©jour dans le danger est de purifier le goĂ»t de spĂ©culations⊠LâĂąme est sensibilisĂ©e par lâeffort moral, bandĂ©e aussi dans toutes ses Ă©nergies spĂ©culatives, longtemps comprimĂ©es. SitĂŽt quâune Ă©claircie se fait dans lâexistence des tranchĂ©es, lâhomme se retrouve lui-mĂȘme et au dessus de lui-mĂȘme, parce que dĂ©sintĂ©ressĂ© dans ses vues et agrandi dans ses facultĂ©s (aiguisĂ©es et affamĂ©es) » (p 101). La dynamique du chercheur se poursuit et sâintensifie ; LâĂ©volution lui apparaĂźt de plus en plus comme « une rĂ©alitĂ© omniprĂ©sente et universelle ».
AprĂšs la guerre, Teilhard va pouvoir sâengager dans la recherche. « A partir du printemps 1923, la Chine va devenir la destination favorite de Teilhard, sa « seconde patrie » oĂč il va creuser la piste du Sinanthrope ou homme de PĂ©kin, lâancĂȘtre chinois dâHomo Sapiens ». En Chine, son regard sâĂ©largit. Sa vision est « de plus en plus globale ».Dans une lettre, il Ă©crit : « Je rĂȘve dâune espĂšce de Livre de la Terre oĂč je me laisserais parler non comme Français, ni comme Ă©lĂ©ment dâun compartiment quelconque, mais simplement comme homme ou comme âTerrestreâ » (p 167).
Dans ses allĂ©es et venues qui vont se poursuivre toute sa vie, Teilhard rentre de Chine Ă la fin de lâĂ©tĂ© 1924 avec plusieurs tonnes de fossiles et dâĂ©chantillons de toutes sortes destinĂ©s au MusĂ©um. Et lĂ , il va rencontrer un autre palĂ©ontologue lâabbĂ© Breuil et un philosophe Edouard Le Roy qui vient dâĂȘtre choisi par Henri Bergson pour lui succĂ©der Ă la chaire de philosophie grecque et latine du CollĂšge de France. (p 177). « Catholique convaincu , mais trĂšs attachĂ© Ă la laĂŻcitĂ©, Edouard Le Roy, ce mathĂ©maticien philosophe nâa pas hĂ©sitĂ© Ă rĂ©sister au Vatican. Les conversations entre Teilhard et Le Roy vont ĂȘtre trĂšs constructives. Le Roy est un Ă©lĂšve et un ami de Bergson, auteur de « lâEvolution crĂ©atrice » et de « LâEnergie spirituelle ». Et les intuitions de Teilhard et de Bergson vont pouvoir se rejoindre sur un point essentiel : «Toutes deux saisissent dans un mĂȘme mouvement lâĂtre et le Devenir â et lâidĂ©e dâĂ©volution irrĂ©versible constitue une clĂ© majeure pour lâun comme pour lâautre. LâĂtre se rĂ©vĂšle dans le devenir parce que lâĂ©volution est crĂ©ation » (p 181).
UltĂ©rieurement, Teilhard de Chardin va passer une bonne partie de sa vie en Chine. Lâauteur nous fait part du dĂ©veloppement de sa rĂ©flexion sur la NoosphĂšre qui va de pair avec un idĂ©al de vie exigeant. « Seule vaut lâaction fidĂšle, pour le Monde, en Dieu. Pour arriver Ă voir cela et Ă en vivre, il y a une sorte de pas Ă franchir ou de retournement Ă faire subir Ă ce qui paraĂźt lâhabitude gĂ©nĂ©rale des hommes. Mais, ce geste un fois exĂ©cutĂ©, quelle libertĂ© pour travailler et pour aimer » (p 321).
Dans son livre emblĂ©matique : « Le PhĂ©nomĂšne Humain », Teilhard envisage le processus qui dĂ©bouche sur lâĂ©closion de la NoosphĂšre.
« Besoin dâune religion Ă la mesure de la terre nouvelle », de fait le christianisme renouvelĂ©. Et il envisage « un processus de recherche, de tentatives et de tĂątonnements multiples ». Et il Ă©crit : « Ce nâest que par le libre choix, la dĂ©couverte et le dĂ©veloppement, par chaque segment national et culturel de lâhumanitĂ© de sa forme singuliĂšre de libertĂ©, que pourront ĂȘtre assurĂ©es la convergence et la structuration de cette multitude dans un systĂšme planĂ©taire uni » (p 223). Et il appelle Ă une « poussĂ©e du tous ensemble ».
Lâauteur dĂ©roule la pensĂ©e de Teilhard de Chardin telle quâelle sâexprime dans le PhĂ©nomĂšne Humain. Câest « la vision spatiotemporelle dâun monde fibreux (chaque nouvelle Ă©mergence constituant un fibre Ă lâintĂ©rieur dâune nappe Ă©volutive) et toute la techtonique psycho-matĂ©rielle de lâunivers sâenroulant sur lui-mĂȘme suivant la loi de la complexitĂ©-conscience. Une complexitĂ©-conscience croissante qui ayant abouti Ă lâavĂšnement de lâhumain⊠a engendrĂ© ipso facto une NoosphĂšre : une conscience rĂ©flĂ©chie de plus en plus socialisĂ©e, prise dans un tissage de plus en plus collectif » (p 348).
Le parcours dâun gĂ©ologue russe : le professeur Vernadski
La chercheuse amĂ©ricaine Lynn Margulis avait Ă©galement orientĂ© lâauteur vers un gĂ©ologue russe : le professeur Vernadski. Le parcours de celui-ci sâest dĂ©veloppĂ© dans un tout autre contexte : un milieu scientifique russe qui va ĂȘtre entrainĂ© au XXĂš siĂšcle dans une grande tourmente politique. Vernadski est lâĂ©lĂšve de grands savants russes ; En 1884, il est appelĂ© Ă dĂ©crypter lâhistoire du sol ukrainien, le tchernozium, au fil de lâĂ©volution gĂ©ologique. « En observant la terre mĂšre dâUkraine, coupe de sol aprĂšs coupe de sol, il avait observĂ© un mĂ©lange unique dâhumus et dâargile⊠Et il nâavait pu faire autrement que dâadmirer lâinextricable tissage de vie recelĂ© par ce sol. Un rĂ©seau dâune densitĂ© et dâune variĂ©tĂ© inouĂŻes oĂč se mĂȘlait dans un enchevĂȘtrement et un grouillement Ă©blouissants tout ce que la vie biologique avait pu inventer depuis les champignons jusquâaux mammifĂšres⊠sans parler des bactĂ©ries⊠CamouflĂ©e sous le silence apparent de la terre, sâoffrait Ă ses yeux une vĂ©ritable frĂ©nĂ©sie⊠admirablement organisĂ©e, telle une Ă©toffe relationnelle ultracomplexe. (p 61-62). « De lĂ , lâĂ©norme hypothĂšse qui avait peu Ă peu Ă©mergĂ© dans son esprit : la vie biologique ne mettrait-elle pas en branle, par son intelligence propre des flux de matiĂšre et dâĂ©nergie infiniment supĂ©rieurs Ă ceux engendrĂ©s par la seule gĂ©ologie minĂ©rale ? Dit plus abrupt, la biologie nâaccĂ©lĂ©rait-elle pas tous les processus terrestres dans des proportions extravagantes constituant de la sorte la force biologique numĂ©ro un de la surface de notre planĂšte ? » p 62). « En quelques annĂ©es, sa propre intuition lâamena Ă se poser une question encore plus folle pour un scientifique rigoureux comme lui : ne fallait-il pas considĂ©rer la vie biologique comme une entitĂ© en soi impossible Ă rĂ©duire Ă ses Ă©lĂ©ments chimiques inertes ? Ne fallait-il pas, peut-ĂȘtre, parler dâelle comme dâune force cosmique spĂ©cifique, dont la physique ne tenait pour lâinstant aucun compte ? » (p 63). Vernaski en vint Ă se demander si la richesse minĂ©rale faramineuse de la terre nâĂ©tait Ă mettre en relation avec lâexistence de la biosphĂšre⊠câest Ă dire avec la matiĂšre vivante, prĂ©monition que les recherches scientifiques nâallaient cesser de valider jusquâau XXIĂš siĂšcle » (p 65).
A partir des annĂ©es 1990, Vernaski grimpa rapidement dans la hiĂ©rarchie universitaire et acadĂ©mique russe et multiplia les voyages auprĂšs de chercheurs de premier plan en Europe. Il introduisit dans le corpus de son enseignement, lâidĂ©e totalement nouvelle et transdisciplinaire dâune « biogĂ©ochimie ». « Tous les ĂȘtres vivants, avançait-il, forment une sorte dâentitĂ© gĂ©ante qui, nourrie des corps chimique inertes, sculpte, malaxe, cristallise et fait transmuter la surface de la terre Ă sa guise » (p 65).
Patrice Van Eersel dĂ©roule la biographie de Vladimir Ivanovitch Vernadski dans plusieurs chapitres de son livre. Vernadski ne fut pas seulement un grand savant visionnaire, mais aussi un homme engagĂ© socialement et politiquement. Ainsi, dans les annĂ©es prĂ©rĂ©volutionnaires, il a participĂ© à « une organisation apte Ă accueillir les idĂ©aux humanistes et dĂ©mocratiques et Ă en permettre la mise en Ćuvre ». « Avec plusieurs camarades, ils avaient donc crĂ©Ă© une fraternitĂ© comme câĂ©tait alors la coutume » (p 69). FonciĂšrement dĂ©mocrate, il se heurte Ă la dictature issue de la RĂ©volution dâOctobre, mais sa rĂ©putation scientifique lâaide Ă traverser cette tourmente. Et elle va lâaider Ă composer avec le rĂ©gime soviĂ©tique.
Sa rĂ©flexion philosophique assise sur sa recherche scientifique va donc se poursuivre. RĂ©fugiĂ© en Ukraine, puis en CrimĂ©e juste aprĂšs la RĂ©volution dâoctobre, dĂ©jĂ atteint par la tuberculose, fin 1919, il tombe gravement malade du typhus. Or, dans cet Ă©tat, il va connaĂźtre un genre dâexpĂ©rience mystique. « HospitalisĂ© et mis sous perfusion, le savant se retrouve pendant plusieurs semaines dans « un Ă©tat de conscience modifiĂ©e », une forme de dĂ©lire qui, peu Ă peu, va se transformer en visualisation claire et limpide⊠Vision de la suite Ă donner Ă ses recherches jusque dans ses dĂ©tails thĂ©oriques les plus abstraits et les conditions expĂ©rimentales correspondantes (p 121). « Jâai clairement vu de quelle façon il faudrait mây prendre pour faire progresser et aboutir en particulier mon idĂ©e de « matiĂšre vivante ». Il est profondĂ©ment impressionnĂ© par « lâesthĂ©tique des choses et des ĂȘtres. La faramineuse beautĂ© de la nature, son harmonie, sa prodigalitĂ©, mais aussi la beautĂ© des ĂȘtres humains et de leurs trouvailles, mâont fait atteindre une extase que jâaurais du mal Ă dĂ©crire avec des mots » (p 123). Il projette la crĂ©ation dâun « Institut de la matiĂšre vivante ». PatriceVan Eersel nous relate dans le dĂ©tail la maturation de la pensĂ©e de Vernadski, son hommage aux naturalistes anglais et australiens du XIXĂš siĂšcle (p 125) et un approfondissement de sa conception de lâĂ©mergence du vivant. « Depuis son avĂšnement il y a des centaines de millions dâannĂ©es, la vie biologique a constituĂ© la force biologique et atmosphĂ©rique numĂ©ro 1 de la surface de notre planĂšte. Cependant, depuis beaucoup moins longtemps, câest lâhumanitĂ© qui, de tous les ĂȘtres vivants, constitue la force de transformation matĂ©rielle la plus puissante⊠AprĂšs la biosphĂšre, nous nous trouvons donc en prĂ©sence dâune « humanosphĂšre » (p 128).
La NoosphĂšre : Le concept Ă©mergeant dâune grande rencontre : Olivier Le Roy, Pierre Teilhard de Chardin et Vladimir Vernadski
En 1922 le professeur Vernadski arrive en France et y poursuit son activitĂ© scientifique. En automne 1924, un dialogue sâengage entre lui, Olivier Le Roy, disciple de Bergson et Pierre Teilhard de Chardin. A partir de textes existants, Patrice Van Eersel reconstitue et restitue leur conversation oĂč se manifeste une reconnaissance commune de la NoosphĂšre. Olivier le Roy dĂ©clare ainsi : « Je vous propose lâhypothĂšse de travail suivante qui dĂ©coule directement de vos travaux respectifs. Ne pourrait-on pas dire que la biosphĂšre, ayant atteint lâĂšre anthropozoĂŻque dont nous parle de façon trĂšs immanentiste le professeur Vernadski (le concept de cĂ©phalisation, p 215), et « se retournant sur elle-mĂȘme », comme le propose dans une perspective transcendentale, le pĂšre Teilhard, qui me parlait rĂ©cemment « dâune incarnation planĂ©taire de lâesprit », doit Ă prĂ©sent accoucher dâune NoosphĂšre pleine et entiĂšre, câest Ă dire dâune conscience collective intĂ©grale ». Ainsi lâĂ©volution cosmique pourrait passer au stade suivant » (p 222). PatriceVan Eersel prĂ©cise que Teilhard et Vernadski ont Ă©tĂ© aussi portĂ©s, aussi bien lâun que, Ă utiliser le terme de noosphĂšre et que Vernadski en attribue lâexpression Ă Olivier Le Roy. (p 224).
Vernadski aussi bien que Teilhard ont Ă©tĂ© confrontĂ©s aux massacres guerriers. Ils ont conscience des dangers encourus par lâhumanitĂ©. Il y a cent ans dĂ©jĂ , lâhumanitĂ© se sentait menacĂ©e.
Face aux rĂ©gimes totalitaires, Teilhard voit dans la noosphĂšre un espace de personnalisation. « Si, sous la pression considĂ©rable du processus de complexification cosmique appelĂ©e « évolution », les consciences individuelles se rapprochent les une des autres, les individualitĂ©s ne disparaissent pas. Elles transcendent leurs limites et resplendissent » (p 217). Et de mĂȘme, dans cette conversation, diffĂ©rents obstacles sont Ă©voquĂ©s : lâindividualisme exacerbĂ©, la tentation de faire machine arriĂšre, la peur de la mort⊠A chaque fois, des rĂ©ponses apparaissent. Selon Teilhard, nous devons ĂȘtre spirituellement amoureux de la matiĂšre. « LâidĂ©al noosphĂ©rique contredit en tous points aussi bien lâisolationnisme du spiritualiste coupĂ© du monde dans lâattente dâun au delĂ que lâidĂ©al du petit-bourgeois claquemurĂ© derriĂšre son confort » (p 228). Vernadski Ă©voque le refus dâaller de lâavant. « Cela ne nous est pas possible ou alors seulement en disparaissant. Si lâhumanitĂ© veut continuer dâexister, elle est contrainte de chercher Ă transformer le monde et Ă se mĂ©tamorphoser elle-mĂȘme. Sinon elle disparaĂźt purement et simplement » (p 229). Face Ă la mort, Teilhard pense quâĂ travers nous, se manifeste une prĂ©sence que rien ne peut Ă©teindre. La biologie seule, mĂȘme si elle rĂ©siste, finirait dispersĂ©e par lâentropie. Seule lâĂ©mergence de lâhumain change dĂ©finitivement la donne : pour moi, ce qui sera dĂ©finitivement conservĂ©, câest lâĂ©nergie humaine, câest-Ă -dire la Personne » (p 234). Il y a des forces qui interviennent face au totalitarisme oppresseur. Vernadski Ă©voque la puissante forte de lâentraide Ă lâĆuvre dans le monde vivant et mise en Ă©vidence par le savant russe, de conviction anarchiste, Kropotkine (p 236) et Teilhard, dans une inspiration chrĂ©tienne, Ă©voque « une conspiration dâamour » animĂ©e par les forces de la sympathie » (p 235).
La NoosphÚre : quelle actualité ?
La vision de la noosphĂšre a Ă©mergĂ© il y a un centaine dâannĂ©es dans un contexte oĂč lâhumanitĂ© Ă©tait dĂ©jĂ confrontĂ©e Ă de grands maux. Aujourdâhui, cette vision est toujours Ă©clairante et des rĂ©alitĂ©s nouvelles comme lâexpansion du web viennent lâillustrer.
Comme dâautres chercheurs, Patrice Van Eersel Ă©voque le besoin dâun grand rĂ©cit fĂ©dĂ©rateur rĂ©pondant aux questionnements de beaucoup de nos contemporains. Ainsi Ă©voque-t-il « lâutilitĂ© vitale, reconnue par tous, dâinventer de nouveaux grands rĂ©cits pour tirer en avant lâhumanitĂ© menacĂ©e de dĂ©sespĂ©rance » (p 291).
Dans plusieurs chapitres, lâauteur dialogue avec la jeune gĂ©nĂ©ration telle quâil la reprĂ©sente dans quelques personnages. Il Ă©voque ainsi des rĂ©alitĂ©s bien documentĂ©es, mais aujourdâhui largement mĂ©connues. Ainsi, il apparaĂźt quâĂ long terme, dans la vie quotidienne, la violence recule. Et il fait appel Ă de nombreuses recherches qui montrent lâinfluence potentielle de la pensĂ©e et de la mĂ©ditation sur des rĂ©alitĂ©s sociales. Des interrelations nouvelles apparaissent. On dĂ©couvre ainsi que « nos volontĂ©s et nos actions influent sur nos corps⊠Nos cerveaux sont beaucoup plus mallĂ©ables que lâon ne croyait. Nos rĂ©seaux neuronaux se reconstruisent en permanence. Et mĂȘme, mis en relation avec quelquâun, nous fonctionnons littĂ©ralement en wifi. Et cela nous transforme. Nous nous transformons physiquement les uns les autres en fonction de nos interactions⊠» (p 267). Sur un autre registre, le concept dâimaginal est avancĂ©. « Ce sont des mondes et des niveaux de conscience diffĂ©rents, mais bien rĂ©els » ; certains disent mĂȘme plus rĂ©els que le rĂ©el⊠Pour les mystiques de toutes les traditions, on pourrait dire que lâimaginal reprĂ©sente le monde intermĂ©diaire entre le rĂ©el physique et lâĂtre ineffable et absolu » (p 271).
Un des interlocuteurs prĂ©sents dans ce livre sâexprime ainsi : « Je suis persuadĂ© que Vernadski et Teilhard visualisaient la NoosphĂšre comme une dimension bien rĂ©elle, mais habitĂ©e par des humains ayant suffisamment cultivĂ© leurs mondes intĂ©rieurs â et rĂ©solu leurs nĂ©vroses â pour pouvoir sâĂ©chapper Ă volontĂ© dans lâimaginal » (p 272). Patrice Van Eersel se rend compte que pendant longtemps il a rĂ©flĂ©chi Ă la NoosphĂšre « en terme dâextĂ©rioritĂ©, beaucoup plus rarement en terme de vie intĂ©rieure â qui est bien autre chose que le flux psychologique des images et des pensĂ©es qui nous traversent Ă chaque instant⊠Pourtant, chacun Ă sa façon, les personnages de mon rĂ©cit, Teilhard de Chardin comme Vernadski ou Le Roy, nâavaient jamais cessĂ© dâinsister sur le va-et-vient indissoluble entre le dehors et le dedans » (p 273)âŠ
« Pourrait-on donc imaginer que lâĂ©volution dâHomo Sapiens ait atteint un stade limite oĂč sâouvrirait soudain en nous lâurgence vitale dâouvrir une porte inĂ©dite vers un « ailleurs » ? Ou plutĂŽt une porte aussi ancienne que lâĂȘtre humain des origines, mais oubliĂ©e depuis des siĂšcles par quasiment toute lâhumanitĂ© Ă lâexception de minuscules minoritĂ©s dâinitiĂ©s, une porte qui signalerait une transition vers un ĂȘtre humain non pas « augmenté », mais « mĂ©tamorphosé » ? (p 274).
Cet ouvrage volumineux de Patrice Van Eersel se lit de bout en bout, car il y a un dynamisme dans ce rĂ©cit et un appel constant Ă la dĂ©couverte. Câest un univers tant il est vaste dans le thĂšme abordĂ© et lâapproche empruntĂ©e. Ce livre est Ă©galement constamment orientĂ© vers une recherche de sens. La vision suggĂ©rĂ©e et proposĂ©e de la NoosphĂšre est envisagĂ©e non seulement dans son Ă©mergence, mais dans sa rĂ©ception. Une piste est tracĂ©e et elle est accueillie dans un dialogue incessant entre lâauteur et des interlocuteurs imaginĂ©s exprimant les angoisses, les interpellations et les attentes dâune nouvelle gĂ©nĂ©ration. Ce livre est un univers. Il ne rapporte pas seulement la vie et lâapport de grands chercheurs, mais il aborde Ă©galement des recherches et des innovations plus rĂ©centes. Une abondante bibliographie en tĂ©moigne. Nous avons essayĂ© de proposer quelques aperçus de ce livre, sachant que nous ne pouvions rendre compte de toute sa diversitĂ©. Il y a, dans ce livre, une dynamique Ă la fois intellectuelle et humaine. Câest aussi un ouvrage qui met, Ă la portĂ©e de tous, une ouverture de sens pour nos contemporains. Une incitation Ă la lecture.
J H
- Biographie de Patrice Van Eersel : https://fr.wikipedia.org/wiki/Patrice_Van_Eersel
- Patrice Van Eersel. NoosphĂšre. ElĂ©ments dâun grand rĂ©cit pour le XXIĂš siĂšcle. Albin Michel, 2021
Interview de Patrice Van Eersel sur son livre : NoosphÚre : https://www.youtube.com/watch?v=WCV7TOnoScA
- Face Ă la violence, lâentraide dans la nature et dans lâhumanitĂ©Â : https://vivreetesperer.com/face-a-la-violence-lentraide-puissance-de-vie-dans-la-nature-et-dans-lhumanite/
- Il existe de nombreuses Ă©tudes sur la vie et lâĆuvre de Pierre Teilhard de Chardin. Ici : Patrice Boudignon. Teilhard de Chardin. Sa biographie par sa correspondance : https://www.canalacademies.com/emissions/au-fil-des-pages/teilhard-de-chardin-sa-biographie-par-sa-correspondance Plus prĂ©cisĂ©ment, en rapport avec le sujet de cet article : NoosphĂšre podcast : de la conscience individuelle Ă la conscience collective, par François EuvĂ©Â : https://www.youtube.com/watch?v=09WRgOQAc24
- Association des amis de Teilhard de Chardin : https://teilhard.fr/