par jean | Déc 25, 2023 | Société et culture en mouvement |
Des exemples de lâhistoire aux menaces actuelles.
 Power and progress
Par Daron Acemoglu et Simon Johnson
Il nây a pas trĂšs longtemps, tout ce qui paraissait un progrĂšs technologique excitait lâenthousiasme comme la promesse dâune abondance dans une sociĂ©tĂ© prospĂšre dâoĂč disparaitrait la pauvretĂ© et la misĂšre. Aujourdâhui, on se rend compte quâau cours des quatre derniĂšres dĂ©cennies, les sociĂ©tĂ©s occidentales et particuliĂšrement la sociĂ©tĂ© amĂ©ricaine, ont pris le chemin inverse, en devenant beaucoup plus inĂ©galitaires. Et on prend Ă©galement conscience que la course au dĂ©veloppement Ă©conomique bouleverse notre Ă©cosystĂšme planĂ©taire et dĂ©rĂ©gule le climat par un usage forcenĂ© des Ă©nergies fossiles. Aujourdâhui, la conscience Ă©cologique suscite une rĂ©action Ă lâĂ©chelle planĂ©taire. Face Ă des ambitions dĂ©mesurĂ©es, la prudence sâimpose et on en appelle mĂȘme aux mĂ©rites de la sobriĂ©tĂ©.
Deux chercheurs amĂ©ricains au MIT, Daron Acemoglu et Simon Johnson, directement confrontĂ©s Ă la course effrĂ©nĂ©e Ă lâautomatisation qui bouleverse les Ă©quilibres de lâĂ©conomie amĂ©ricaine, viennent dâĂ©crire un livre qui situe nos problĂšmes actuels dans une histoire longue oĂč lâon constate quâen maintes pĂ©riodes, les acquis du progrĂšs technologique ont Ă©tĂ© confisquĂ©s par un groupe dominant aux dĂ©pens des travailleurs ayant portĂ© cette innovation. Les auteurs nous apportent cependant une bonne nouvelle : Ă dâautres pĂ©riodes, des forces sociales se sont Ă©levĂ©es dans la sociĂ©tĂ© et ont permis un dĂ©veloppement Ă©quilibrĂ© au bĂ©nĂ©fice de tous. Ce livre : « Power and Progress. Our Thousand-year struggle over technology and prosperityâ (1) nous montre comment garder notre autonomie par rapport aux dĂ©voiements de processus Ă©conomiques contrĂŽlĂ©s Ă leur profit par des Ă©lites Ă©goĂŻstes ». « Le progrĂšs nâest pas automatique, mais il dĂ©pend des choix que nous faisons en matiĂšre de technologie. De nouvelles maniĂšres dâorganiser la production et la communication peuvent, soit servir les intĂ©rĂȘts Ă©troits dâune Ă©lite, soit devenir le fondement dâune prospĂ©ritĂ© Ă©tendue ». Ce problĂšme est dâactualitĂ© « à un Ă©poque oĂč les technologies digitales et lâintelligence artificielle accroissent lâinĂ©galitĂ© et minent la dĂ©mocratie Ă travers une automatisation excessive, une collecte massive des donnĂ©es et une surveillance intrusive ». « Il nâest pas obligĂ© quâil en soit ainsi. âPower and Progressâ dĂ©montre que la voie de la technologie peut ĂȘtre mise sous contrĂŽle. Les formidables avancĂ©es informatique du dernier demi-siĂšcle peuvent devenir des outils dâautonomisation et de dĂ©mocratisation, mais pas si les dĂ©cisions majeures demeurent dans les mains de quelques leaders technologiques animĂ©s par une hubris » (page de couverture). Ce livre, jusquâĂ prĂ©sent non traduit en français, est prĂ©sentĂ© en cette langue par un expert. On pourra se reporter Ă son article : « La chaire» a lu pour vous : https://www.chaireeconomieduclimat.org/points-de-vue/la-chaire-a-lu-pour-vous-power-and-progress-our-thousand-year-struggle-over-technology-and-prosperity-de-daron-acemoglu-et-simon-johnson/
Aussi, nous nous bornerons ici à présenter quelques aperçus significatifs de ce livre.
Comment des bénéfices de progrÚs technologiques substantiels ont été captés par une élite politique ou religieuse
Les auteurs remontent loin dans le passĂ© pour mettre en Ă©vidence, la maniĂšre dont des progrĂšs technologiques majeurs ont Ă©tĂ© captĂ©s par des Ă©lites politiques ou religieuses. Il y a environ douze mille ans, est apparu un processus menant Ă une agriculture installĂ©e, permanente, fondĂ©e sur des plantes et des espĂšces domestiquĂ©es. Des genres diffĂ©rents de sociĂ©tĂ© apparurent. Mais il y a 7000 ans, un rĂ©gime particulier se dĂ©veloppa dans le Croissant fertile. Le fondement Ă©tait une agriculture avec une seule rĂ©colte. Les inĂ©galitĂ©s Ă©conomiques sâintensifiĂšrent et une haute hiĂ©rarchie sociale apparut, consommant beaucoup. En Ăgypte, pyramides et tombes se dĂ©veloppĂšrent dans le cadre dâune Ă©lite comparable. Câest lĂ que les auteurs mettent en Ă©vidence lâintroduction des grains de cĂ©rĂ©ales comme « un exemple dâinnovation technologique ». Or, sous les auspices dâĂ©tats centralisĂ©s, la condition des paysans semble avoir Ă©tĂ© pire que celle de leurs ancĂȘtres. De fait, « les choix technologiques dans les premiĂšres civilisations ont favorisĂ© les Ă©lites et appauvri la plupart des gens ». Les auteurs dĂ©criront une situation comparable au Moyen Ăąge anglais. « Dans les deux cas, le systĂšme politique plaçait un pouvoir disproportionnĂ© dans les mains dâune Ă©lite. La coercition jouait un rĂŽle bien sĂ»r, mais le pouvoir de persuasion de la religion et les leaders politiques Ă©taient souvent un facteur dĂ©cisif » (p 115-120).
« Cependant, ni la monoculture du grain, ni lâorganisation hautement hiĂ©rarchisĂ©e qui extorquait le surplus aux fermiers, nâa Ă©tĂ© ordonnĂ©e ou dictĂ©e par la nature des rĂ©coltes correspondantes. MĂȘme la culture de cĂ©rĂ©ales nâa pas toujours produit lâinĂ©galitĂ© et la hiĂ©rarchie comme lâillustrent les plus Ă©galitaires vallĂ©es de lâIndus et la civilisation mĂ©soamĂ©ricaine. La culture du riz dans lâAsie du Sud-est a pris place dans le contexte de sociĂ©tĂ©s moins hiĂ©rarchiques⊠(p 122).
« Contrairement Ă une opinion rĂ©pandue, il y a eu un changement et une amĂ©lioration technologique significative dans la productivitĂ© Ă©conomique de lâEurope au Moyen Age⊠Cependant, il y a quelque chose de tout Ă fait sombre Ă cette Ă©poque. La vie des gens travaillant la terre resta dure et le niveau de vie des paysans peut mĂȘme avoir dĂ©clinĂ© dans certaines parties de lâEurope. La technologie et lâĂ©conomie ont progressĂ© dâune maniĂšre qui sâest rĂ©vĂ©lĂ©e nuisible pour la plus grande part de la population » (p 100-101). En Angleterre, le dĂ©veloppement des moulins a Ă©tĂ© une innovation dĂ©cisive. A la fin du XIe siĂšcle, il y a environ 6000 moulins Ă eau en Angleterre et ce nombre a doublĂ© durant les deux siĂšcles suivants et leur productivitĂ© sâest accrue. La productivitĂ© agricole sâest Ă©galement accrue. Malheureusement, il nây a pas eu une Ă©lĂ©vation correspondante des revenus chez les paysans. Le surplus a Ă©tĂ©, de fait, majoritairement consommĂ© par « la hiĂ©rarchie religieuse qui a construit des cathĂ©drales, des monastĂšres et des Ă©glises » (p 103). Cette construction a Ă©tĂ© couteuse. Le contrĂŽle fĂ©odal a exercĂ© une coercition : « Comme les nouvelles machines se dĂ©ployaient et que la productivitĂ© augmentait, les seigneurs fĂ©odaux ont exploitĂ© plus intensĂ©ment la paysannerie ».
Les auteurs nous rapportent ensuite comment sâest dĂ©roulĂ©e, au XVIIIe siĂšcle en Angleterre, la pression en faveur de la clĂŽture des terres, les « enclosures ». « Cette histoire a montrĂ© clairement que cette rĂ©organisation technologique de la production, mĂȘme lorsquâelle Ă©tait proclamĂ©e dans lâintĂ©rĂȘt du progrĂšs et du bien commun, avait pour consĂ©quence de mettre davantage Ă bas ceux qui Ă©taient dĂ©jĂ dĂ©pourvus de pouvoir ».
Les auteurs envisagent ensuite deux moments de lâhistoire trĂšs diffĂ©rents oĂč le progrĂšs technologique nâa pas profitĂ© aux travailleurs, mais a participĂ© Ă leur asservissement : lâintroduction de lâĂ©graineuse de grains de coton dans les plantations amĂ©ricaines Ă la fin du XVIIIe siĂšcle ; le dĂ©veloppement du machinisme agricole dans les annĂ©es 1920 en Union soviĂ©tique. « Le secteur cotonnier a fleuri Etats-Unis grĂące aux nouvelles connaissances comme lâĂ©graineuse de coton et dâautres innovations aux dĂ©pens des esclaves noirs travaillant dans les grandes plantations. LâĂ©conomie soviĂ©tique a grandi rapidement dans les annĂ©es 1920 en utilisant le machinisme, tel que les tracteurs et les moissonneuses batteuses, appliquĂ© aux champs de cĂ©rĂ©ales. Cependant, la croissance sâest produite au dĂ©triment de millions de petits paysans » (p 133).
Lorsque la prospérité accompagne le progrÚs technologique
Les auteurs nous prĂ©sentent dans ce livre une histoire du progrĂšs technologique. Ils consacrent ainsi le chapitre 5 Ă la grande rĂ©volution industrielle qui a mĂ©tamorphosĂ© le visage Ă©conomique de la Grande-Bretagne au XVIIIe et XIXe siĂšcle. Ce fut lâinvention bouleversante de la machine Ă vapeur. Ce livre nous rapporte cette Ă©popĂ©e industrielle, le dĂ©veloppement des mines de charbon, la fulgurante expansion des chemins de fer et une dynamique dâinvention et de rĂ©alisation de nouvelles machines.
Un changement technologique et Ă©conomique aussi consĂ©quent et radical apparait dans lâhistoire comme un phĂ©nomĂšne original. Les auteurs sâinterrogent donc sur les facteurs originaux de cette irruption. Ils mettent lâaccent sur un facteur « souvent sous-estimé » : « lâĂ©mergence dâune classe moyenne nouvellement enhardis : entrepreneurs et hommes dâaffaires. Leurs vies et leurs aspirations Ă©taient enracinĂ©s dans les changements institutionnels qui avaient commencĂ© Ă donner du pouvoir Ă ce milieu social depuis le XVIe et le XVIIe siĂšcle. La RĂ©volution industrielle peut avoir Ă©tĂ© propulsĂ©e par les ambitions de gens nouveaux essayant dâamĂ©liorer leur richesse et leur standing social, ce qui Ă©tait loin dâune vision inclusive » (p 45-46).
En effet, au dĂ©but de la RĂ©volution industrielle, si des hommes ont participĂ© Ă un enthousiasme innovant, « la premiĂšre phase de cette RĂ©volution a Ă©tĂ© appauvrissante et affaiblissante pour la plupart des gens. CâĂ©tait la consĂ©quence dâun fort parti pris dâautomatisation et dans le manque de voix ouvriĂšre en regard de la fixation des salaires. Ce ne sont pas seulement les moyens de subsistance qui ont Ă©tĂ© affectĂ©s nĂ©gativement par lâindustrialisation mais aussi la santĂ© et lâautonomie dâune bonne part de la population.
Cette affreuse image a commencĂ© Ă changer dans la seconde partie du XIXe siĂšcle quand des gens ordinaires se sont organisĂ©s et ont provoquĂ© des rĂ©formes politiques et Ă©conomiques. Les changements sociaux ont modifiĂ© lâorientation de la technologie et fait monter les salaires. Ce fut seulement une petite victoire pour une prospĂ©ritĂ© partagĂ©e et les pays occidentaux auront Ă cheminer plus longuement sur un chemin contestĂ©, technologique et institutionnel, pour rĂ©aliser une prospĂ©ritĂ© partagĂ©e » (p 56).
Selon les auteurs, lâemploi dĂ©pend des modes dâindustrialisation. Au dĂ©but de la rĂ©volution industrielle, lâautomatisation de la filature et du tissage a nui Ă lâemploi. Au contraire, dans la pĂ©riode ultĂ©rieure, le dĂ©veloppement des chemins de fer a suscitĂ© toute une gamme dâemploi.
« Les avancĂ©es dans les chemins de fer suscitĂšrent beaucoup de nouvelles tĂąches dans lâindustrie des transports et les emplois requĂ©raient toute une gamme de capacitĂ©s de la construction Ă la vente de tickets, maintenance, ingĂ©nierie, et management » (p 196). Des contrepoids sont apparus permettant le partage des bĂ©nĂ©fices du progrĂšs technologique. « Un machinisme et des mĂ©thodes de production se sont dĂ©veloppĂ©s et ont accru la productivitĂ© de lâindustrie britannique, en mĂȘme quâelle Ă©tendait aussi la gamme de tĂąches et dâopportunitĂ©s pour les travailleurs. Mais le progrĂšs technologique nâest jamais suffisant en lui-mĂȘme pour Ă©lever les salaires. Les travailleurs ont besoin de dĂ©velopper un plus grand pouvoir de nĂ©gociation vis-Ă -vis des employeurs ». Câest en 1871 que les syndicats devinrent pleinement lĂ©gaux en Grande-Bretagne (p 202).
Il y a dâautres pĂ©riodes oĂč le progrĂšs technologique a contribuĂ© Ă une diversification et Ă une multiplication des emplois. Les auteurs Ă©tudient en ce sens le dĂ©veloppement de lâĂ©lectrification et celui de la production dâautomobiles aux Etats–Unis. Ils envisagent la grande pĂ©riode de progrĂšs technologique, de croissance Ă©conomique et de bien-ĂȘtre social quâont Ă©tĂ© les trois dĂ©cennies qui ont suivi la seconde guerre mondiale. « Les Etats-Unis et les nations industrielles ont fait lâexpĂ©rience dâune croissance Ă©conomique rapide qui a Ă©tĂ© largement partagĂ©e par la plupart des groupes dĂ©mographiques. Ces tendances Ă©conomiques ont Ă©tĂ© de pair avec dâautres amĂ©liorations sociales, incluant lâexpansion de lâĂ©ducation, les soins de santĂ© et lâaugmentation de lâespĂ©rance de vie. Ce changement technologique nâa pas seulement automatisĂ© le travail mais il a aussi crĂ©Ă© de nouvelles opportunitĂ©s pour les travailleurs et ceci sâest inscrit dans un cadre institutionnel qui a renforcĂ© les contre-pouvoirs » (p 36).
« Quelle a Ă©tĂ© la sauce secrĂšte de la prospĂ©ritĂ© partagĂ©e dans les dĂ©cennies ayant suivi la seconde guerre mondiale ? La rĂ©ponse rĂ©side en deux Ă©lĂ©ments : une direction de la technologie qui a crĂ©Ă© de nouvelles tĂąches et emplois pour des travailleurs de tous les niveaux de qualification et un cadre institutionnel permettant aux travailleurs de partager les gains de productivitĂ© entre employĂ©s et employeurs » (p 240). Les auteurs traitent de cette histoire aux Etats-Unis en montrant comment elle a notamment bĂ©nĂ©ficiĂ© des rĂ©formes du New Deal et il aborde cette histoire Ă©quivalente de progrĂšs en Europe dans le contexte de la reconstruction aprĂšs la guerre et un esprit social tel quâil a Ă©tĂ© exprimĂ© en Angleterre dans le Rapport Beveridge qui proclame « lâabolition du besoin » (p 249).
Faire face aujourdâhui Ă la nouvelle crise Ă©conomique qui est venue sâinscrire dans la rĂ©volution digitale Ă travers un accroissement des inĂ©galitĂ©s et la menace dâune automatisation dĂ©vastatrice.
NĂ©e aux Etats-Unis et portant dâextraordinaires promesses, la rĂ©volution digitale y a Ă©tĂ© dĂ©tournĂ©e Ă la fin du XXe siĂšcle. « Les technologies digitales sont devenues le cimetiĂšre de la prospĂ©ritĂ© collective. Lâaugmentation des salaires a baissĂ©, la part du travail dans le revenu national a diminuĂ© fortement et lâinĂ©galitĂ© des salaires a surgi autour de 1980. Bien que de nombreux facteurs, incluant la globalisation et lâaffaiblissement du mouvement syndical, aient contribuĂ© Ă cette transformation, le changement opĂ©rĂ© dans la technologie est le plus important. Les technologies digitales ont automatisĂ© le travail et dĂ©savantagĂ© le travail par rapport au capital et les travailleurs peu qualifiĂ©s par rapport aux diplĂŽmĂ©s universitaires » (p 257). Dans la plupart des Ă©conomies industrialisĂ©es, la part du travail a diminuĂ©. Aux Etats-Unis, la rĂ©gression a pris un tour particuliĂšrement dĂ©favorable. Un fossĂ© sâest Ă nouveau accru entre les salaires des blancs et des noirs. LâinĂ©galitĂ© sâest considĂ©rablement accrue.
Les auteurs en imputent la cause principale Ă un automatisation massive. Dans les dĂ©cennies prĂ©cĂ©dant la seconde guerre mondiale, lâautomatisation est Ă©galement rapide, « mais elle Ă©tait contrebalancĂ©e par dâautres changements technologiques qui augmentaient la demande de travail.
La recherche rĂ©cente montre que depuis 1980, lâautomatisation sâest accĂ©lĂ©rĂ©e significativement et quâil y a moins de tĂąches et de technologies nouvelles qui crĂ©ent des opportunitĂ©s pour les gens. Ces changements entrent pour beaucoup dans la dĂ©tĂ©rioration de la position des travailleurs dans lâĂ©conomieâŠ
Lâautomatisation a Ă©tĂ© aussi un accĂ©lĂ©rateur majeur de lâinĂ©galitĂ© en affectant des tĂąches remplies particuliĂšrement par des travailleurs peu ou moyennement qualifiĂ©s » (p 261).
Les auteurs soulignent quâil nây a pas lĂ une fatalitĂ©. « La technologie a accru les inĂ©galitĂ©s Ă cause des choix que des entreprises ou de puissants acteurs ont effectuĂ©. La globalisation nâest pas sĂ©parĂ©e de cette question⊠De fait, il y a eu une synergie entre automatisation et globalisation avec le mĂȘme souci de rĂ©duire les coĂ»ts du travail et le nombre de travailleurs moins qualifiĂ©s. Ce processus a Ă©tĂ© facilitĂ© Ă la fois par le manque de contre-pouvoirs dans le milieu du travail et par lâĂ©volution politique depuis 1980 (p 263). Les auteurs dressent un tableau des pressions exercĂ©es par les grandes entreprises et les milieux dâaffaire et ils mettent en Ă©vidence les idĂ©ologies correspondantes telles que la « doctrine Friedman ». Dans dâautres pays, les dĂ©rives ont Ă©tĂ© moins marquĂ©es. Les auteurs mentionnent les cas de lâAllemagne et du Japon oĂč on a combinĂ© lâautomatisation et la crĂ©ation de tĂąches nouvelles (p 286).
Les auteurs critiquent une nouvelle âutopie digitaleâ : « la transformation de lâĂ©thique des hackers en une utopie digitale corporative est largement liĂ©e Ă une poursuite de lâargent et du pouvoir social » (p 289). Câest une idĂ©ologie de la âdisruptionâ, une forme sauvage dâinnovation qui dĂ©truit les anciens Ă©quilibres. « Ce biais technologique est trĂšs largement un choix, et un choix construit socialement. Alors les choses ont commencĂ© Ă devenir bien pires Ă©conomiquement, politiquement et socialement, alors que les nouveaux visionnaires trouvent un nouvel outil pour refaire la sociĂ©tĂ©Â : lâintelligence artificielle » (p 296).
Pourquoi considĂ©rer lâintelligence artificielle avec rĂ©serve et avec prudence
Dans la perspective de lâhistoire rĂ©cente de lâusage dâinternet, lâemballement de certains vis-Ă -vis de la promotion de lâintelligence artificielle parait suspect.
Les auteurs consacrent un chapitre Ă lâintelligence artificielle en en montrant les usages potentiels, les apports, les risques et aussi les limites. Nous renvoyons Ă ce chapitre Ă©crit avec maitrise et expertise ; âArtificial struggleâ (p 297-338). Nous en rendrons compte ici par une courte prĂ©sentation des auteurs. « Ce chapitre explique que la vision dâinternet post-1980 qui nous a Ă©garĂ©s, en est venue aussi Ă dĂ©finir comment concevoir la nouvelle phase des technologies digitales, âlâintelligence artificielleâ et comment lâintelligence artificielle exacerbe les tendances vers lâinĂ©galitĂ© Ă©conomique.
En contraste des proclamations effectuĂ©es par beaucoup de leaders de la tech, nous verrons aussi que dans la plupart des tĂąches humaines, les technologies actuelles de lâintelligence artificielle apportent seulement des bĂ©nĂ©fices limitĂ©s. De plus, lâutilisation de lâintelligence artificielle pour la surveillance au lieu de travail ne propulse pas seulement lâinĂ©galitĂ©, mais elle prive Ă©galement les travailleurs de leur pouvoir dâaction (disempower). Pire, un usage courant de lâintelligence artificielle risque de renverser des dĂ©cennies de gain Ă©conomique dans les pays en dĂ©veloppement en exportant globalement lâautomatisation. De tout cela, rien nâest inĂ©vitable. Ce chapitre dĂ©veloppe une argumentation selon laquelle lâintelligence artificielle, et mĂȘme lâaccent sur lâintelligence de la machine, reflĂšte une approche trĂšs spĂ©cifique du dĂ©veloppement des technologies digitales, une approche qui a de profonds effets dans la rĂ©partition des richesses, en bĂ©nĂ©ficiant Ă quelques personnes et en laissant le reste derriĂšre.
PlutĂŽt que de se focaliser sur lâintelligence des machines, il serait plus profitable de lutter pour une utilitĂ© des machines (âmachine usefulnessâ) en envisageant combien les machines peuvent ĂȘtre trĂšs utiles aux humains, par exemple en complĂ©tant les capacitĂ©s des travailleurs. Comme elle sâest mise en Ćuvre dans le passĂ©, lâutilitĂ© des machines conduit Ă quelques-unes des applications les plus importantes et les plus productives des technologies digitales, mais qui ont Ă©tĂ© de plus en plus mises de cĂŽtĂ© par lâintelligence de la machine et lâautomatisation » (p 37).
Cependant lâintelligence artificielle se dĂ©ploie Ă un autre niveau, au niveau de la sociĂ©tĂ© elle-mĂȘme. Et elle y pose problĂšme, car « la collecte et la moisson massive de donnĂ©es utilisant lâintelligence artificielle sont en voie dâintensifier la surveillance des citoyens par les gouvernements et les entreprises. En mĂȘme temps, les modĂšles dâaffaire fondĂ©s sur la publicitĂ© sâappuyant sur la puissance de lâintelligence artificielle propagent la dĂ©sinformation et amplifient lâextrĂ©misme ». Les auteurs nous mettent ainsi en garde vis-Ă -vis de lâintelligence artificielle. « Son utilisation courante nâest bonne ni pour lâĂ©conomie, ni pour la dĂ©mocratie et ces deux problĂšmes malheureusement se renforcent lâun lâautre ». (p 37)
Dans la situation critique dans laquelle nous nous trouvons, comment réorienter la technologie ?
Les auteurs ne se bornent pas Ă un diagnostic critique de la situation. DĂ©jĂ , Ă travers lâexamen de lâhistoire longue auquel ils ont procĂ©dĂ©, nous avons compris que le progrĂšs technologique nâest pas une panacĂ©e, que ses effets dĂ©pendent dâun contexte plus gĂ©nĂ©ral, des orientations qui sont prises, dâun choix de sociĂ©tĂ©. Bref, le progrĂšs technologique nâest pas la rĂ©ponse Ă tous nos problĂšmes. Et on peut, on doit ne pas considĂ©rer son orientation prĂ©sente comme une fatalitĂ©.
Dans le dernier chapitre du livre, les auteurs nous apprennent et nous invitent Ă rediriger le changement technologique (âredirecting technologyâ).
Aujourdâhui rediriger le changement technologique, câest en premier, faire face Ă la menace existentielle du changement climatique. Or, Ă cet Ă©gard, il y a eu « de remarquables avancĂ©es dans les technologies de lâĂ©nergie renouvelable ».
Finalement, « Aujourdâhui, les Ă©nergies du soleil et du vent sont produites Ă meilleur marchĂ© que les Ă©nergies fossiles » (p 389). La diffĂ©rence est devenue significative. Comment ce changement a-t-il pu intervenir ? Les auteurs mettent lâaccent sur le rĂŽle du âchangement de narratifâ ; du dĂ©veloppement du mouvement Ă©cologique qui sâen est suivi et lâa accompagnĂ©, et des mesures qui en sont rĂ©sultĂ©es.
« Du point de vue du dĂ©fi posĂ© par les technologies digitales, on peut apprendre beaucoup de la maniĂšre dont la technologie est redirigĂ©e dans le secteur de lâĂ©nergie. La mĂȘme combinaison – changer le narratif, dĂ©velopper des pouvoirs faisant contrepoids et dĂ©velopper et mettre en Ćuvre des politiques spĂ©cifiques – voilĂ ce qui peut Ă©galement marcher pour rediriger la technologie digitale» (p 392). Les auteurs posent les problĂšmes de la technologie digitale en ces termes : « La puissance concentrĂ©e des entreprises digitales nuit Ă la prospĂ©ritĂ© parce quâelle limite le partage des gains rĂ©alisĂ©s grĂące au changement technologique. Mais son effet le plus pernicieux se manifeste dans lâorientation de la technologie qui se dirige excessivement vers lâautomatisation, la surveillance, la collecte des donnĂ©es et la publicitĂ©. Pour regagner une prospĂ©ritĂ© partagĂ©e, nous devons rediriger la technologie et cela signifie une version de la mĂȘme approche que celle qui a fonctionnĂ© pour les progressistes, il y a plus dâun siĂšcle » (p 393). « Cela doit commencer par changer le narratif et les normes ». On retrouve dans ce chapitre les mises en garde et les orientations qui parcourent cet ouvrage avec comme grandes recommandations : changer le narratif, bĂątir des pouvoirs faisant contre-poids et dĂ©velopper des techniques, des rĂ©gulations et des politiques pour traiter des aspects spĂ©cifiques du biais social de la technologie » (p 38). VoilĂ un ouvrage auquel nous pouvons nous rĂ©fĂ©rer pour mieux comprendre les enjeux actuels de la technologie digitale et faire face aux menaces prĂ©sentes.
J H
- Daron Acemoglu, Simon Johnson. Power and Progress. One thousand-year struggle over technology and prosperity. London, Basic Books, 2023.
par | Jan 23, 2013 | ARTICLES, Expérience de vie et relation |
La traversĂ©e en voiture de la grande banlieue parisienne nous a prĂ©parĂ©es peu Ă peu au changement de paysage culturel dont nous faisons lâexpĂ©rience en approchant du collĂšge oĂč nous devons intervenir. ArrivĂ©es en avance, nous avons le temps de faire une halte dans un petit cafĂ© tout proche. Pas une femme Ă lâintĂ©rieur. Nous amadouons le patron en lui disant que nous venons prendre un rĂ©confort avant dâattaquer notre tĂąche dĂ©licate dans le collĂšge voisin : il nous fait apporter deux tasses de cafĂ©, dĂ©posĂ©es sur le comptoir Ă cĂŽtĂ© dâun tronc marquĂ© « Pour lâentretien de la mosquĂ©e ». « Vous ĂȘtes enseignantes ? », nous demande-t-il â Non, nous animons des sĂ©ances dâĂ©ducation Ă la paix â Ah mesdames, il faut venir nombreuses, » rĂ©pond-il, une expression soudainement triste sur le visage, « ici on est dĂ©passĂ© par nos jeunes ! »
Quelques instants plus tard Marie Lou et moi traversons la cour du collĂšge, surplombĂ©e par des barres dâimmeubles oĂč logent la plupart des Ă©lĂšves avec leur famille. Trois jeunes garçons, dâune douzaine dâannĂ©es, nous sont amenĂ©s par lâĂ©ducatrice spĂ©cialisĂ©e. Nous sommes bientĂŽt rejoints par Myriam, qui fait aussi partie du groupe, mais qui finissait juste de tresser les cheveux dâune amie !
Nous sommes conduits dans une salle accueillante, de taille rĂ©duite, rĂ©servĂ©e au travail de lâĂ©ducatrice qui, dans le cadre dâun Dispositif Nouvelle Chance agrĂ©Ă© par lâEducation nationale, accompagne des petits groupes dâĂ©lĂšves ayant dĂ©crochĂ©, pour motifs divers, de la scolaritĂ© courante.
Depuis quelques mois deux dâentre nous, engagĂ©es avec le programme Education Ă la paix, viennent une fois par semaine pour contribuer Ă ce processus, avec nos propres activitĂ©s.
Nous consacrons trois heures dâaffilĂ©e Ă quatre de ces jeunes, diffĂ©rents dâune fois sur lâautre.
En dĂ©but de sĂ©ance, nous nous prĂ©sentons puis nous invitons les enfants Ă visionner une courte vidĂ©o, intitulĂ©e CamĂ©ra cafĂ©, qui se veut drĂŽle mais induit des situations de tensions entre les protagonistes de lâhistoire. Nous remettons ensuite Ă chacun le texte imprimĂ© du scĂ©nario pour le relire ensemble, ayant distribuĂ© les rĂŽles. Nous constatons chez les jeunes de rĂ©els talents dâinterprĂ©tation. Ils seront prompts, ensuite, Ă identifier les situations qui gĂ©nĂšrent sentiments de violence ou dâinjustice.
On en vient Ă parler de la vie au collĂšge. Les jeunes nous font vite sentir quâil y a un grand dĂ©calage entre les idĂ©es de notre programme et ce quâils vivent ici. Myriam prend respectueusement la parole ; elle sâexprime dans un français qui mâimpressionne pour une fillette de onze ans « en difficultĂ© scolaire » : « Vous savez, la plupart des jeunes ici nâont pas ce langage que vous tenez. Dâailleurs câest pas bien dâĂȘtre ici, nous dit-elle, il y a beaucoup de grossiĂšretĂ©. Et puis, il nây a pas de solidaritĂ©. » « Oui, ajoute un garçon, sur le mur dâentrĂ©e on voit libertĂ© Ă©galitĂ© fraternitĂ©, mais ici on vit pas ça. Et pour se dĂ©fendre il faut savoir se battre. » Marie Lou acquiesce Ă lâidĂ©e quâil faut se dĂ©fendre, que câest important, mais se dĂ©fendre veut-il dire nĂ©cessairement frapper ? « On se voit pas faisant autrement, Madame, sinon on se ferait traiter de tapettes. Et puis il y a les grands frĂšres qui sâen mĂȘlent quelques fois. » Marie Lou demande : « Est-ce que vous ĂȘtes contents que ça marche comme ça ici, quâon ne crĂ©e des relations que par la peur, et que ça devienne une habitude ? » Silence. « Vous voudriez dâun monde oĂč câest partout comme ça ? â Ben non bien sĂ»r ⊠– Et bien, reprend Marie Lou, je vous assure que pour rĂ©gler des conflits, il faut ĂȘtre hyper crĂ©atifs, hyper intelligents. – Oui mais justement nous on nâest pas vraiment ⊠intelligents. – Quâest ce que câest ĂȘtre intelligent ? – Câest ⊠ĂȘtre des intellos. » Et Myriam de nous expliquer que, par exemple, elle nâa pas de bons rĂ©sultats scolaires. Marie Lou rĂ©torque quâil y a bien dâautres signes dâintelligence que les rĂ©sultats scolaires.
Et nos quatre jeunes en seront bien la preuve. Lors dâune sĂ©quence de lâanimation, une trentaine de photos, reprĂ©sentant des situations ou des objets les plus divers, seront Ă©talĂ©es sous leurs yeux. Il leur sera demandĂ© dâen choisir en silence deux chacun : une reprĂ©sentant un objet ou une situation quâils aiment, la seconde au contraire quelque chose qui leur dĂ©plait.
Les deux choix de Myriam et Kevin seront les mĂȘmes, mais pour des raisons opposĂ©es ! Une photo reprĂ©sente quatre vieilles femmes parlant ensemble sur un banc au soleil : Myriam aime cette photo qui lui fait penser Ă ses conversations avec sa grand-mĂšre, au Maroc. Cette grand-mĂšre qui dit Ă sa petite fille que mĂȘme si elle nâaime pas lâĂ©cole, elle a de la chance dâapprendre Ă lire et Ă©crire. « Jâaime parler avec les vieilles personnes, on apprend toujours des choses intĂ©ressantes », insiste Myriam malgrĂ© les moqueries de ses camarades que cette scĂšne de vieillards rĂ©vulse franchement. Ce nâest pas pour rien que Kevin lâa choisie comme le dernier endroit oĂč il voudrait ĂȘtre. « Câest vrai que quelquefois les vieux disent des choses pas intĂ©ressantes, dit Myriam, mais ça mâest Ă©gal, et dans ce cas lĂ je mâendors Ă cĂŽtĂ© dâeux, je me sens en sĂ©curitĂ©. » Quant Ă la scĂšne des amoureux, câest celle-lĂ qui la rĂ©vulse : « Câest dĂ©goĂ»tant, câest violent, jâaurais honte quâun membre de ma famille me voit dans cette position ! – Ouais, tu dis ça, mais dans quelques annĂ©es tu changeras dâavis », sâesclaffent les garçons. Et dâailleurs Kevin ne cache pas du tout que lui rĂȘverait de vivre dĂ©jĂ une histoire amoureuse, câest pour cela quâil a choisi cette photo comme sa prĂ©fĂ©rĂ©e ! Les choix des autres jeunes seront aussi des occasions dâĂ©changes animĂ©s, les images interpellant vivement leurs imaginaires et leur univers Ă©motionnel.
La fin de la sĂ©ance approche. On distribue Ă chacun une feuille de papier qui prĂ©figure une lettre quâil va sâĂ©crire Ă lui-mĂȘme. Celle-ci sera ensuite glissĂ©e dans une enveloppe sur laquelle sera inscrite lâadresse de lâauteur. Dans un mois nous expĂ©dierons les lettres. Marie Lou va dâun garçon Ă lâautre pour les aider Ă entrer dans le jeu. La dĂ©marche est prise au sĂ©rieux. Chacun se concentre dans son coin. Quant Ă Myriam, elle me confie quâelle nâest « pas bonne Ă lâĂ©crit » et me demande si je peux Ă©crire ce quâelle va me dire. « Mais câest personnel, câest secret », lui dis-je. « Je nâai rien Ă cacher », rĂ©torque la fillette. Puis elle regarde droit devant elle et aprĂšs un petit silence me dicte les rĂ©ponses quâelle veut donner aux trois questions prĂ© imprimĂ©es sur sa feuille : ChĂšre Myriam, âŠÂ    VoilĂ ce que tu as retenu de lâanimation Ă laquelle tu as participĂ© le ⊠juin au collĂšge : (RĂ©ponse de Myriam) ce que je pense de moi-mĂȘme est plus important que ce que les autres pensent de moi. Je peux rĂ©gler mes problĂšmes autrement que par la bagarre.
Voici ce que tu aimerais voir changer dans le collĂšge : (RĂ©ponse de Myriam) quâil y ait moins de grossiĂšretĂ©, plus de respect et que les gens arrĂȘtent dâavoir des prĂ©jugĂ©s les uns sur les autres dâaprĂšs les vĂȘtements quâon porte ou comme on parle.
Voici ce que tu es prĂȘte Ă faire pour aider les choses Ă changer : (RĂ©ponse de Myriam) plutĂŽt que de taper, je parlerai avec les autres pour comprendre la cause du problĂšme. Je serai plus coopĂ©rante pour les aider Je ferai comme je sens qui est bien au fond de moi et qui mâapporte la paix. Je devrais ĂȘtre plus concentrĂ©e en classe. »
Pardon Myriam de divulguer ainsi tes pensĂ©es : jâai changĂ© ton nom pour prĂ©server lâanonymat. Jâai une grande excuse : faire savoir que dans des milieux difficiles grandissent des enfants comme toi qui ont plein de pĂ©pites au fond du cĆur et dont lâintelligence vibre dĂ©jĂ trĂšs fort Ă lâinterpellation de valeurs qui ne sont pas celles du milieu ambiant. Ton rĂ©pondant à notre animation justifie tous les efforts entrepris pour mettre au point des programmes dâĂ©ducation Ă la paix dans tous les milieux. Et il constitue un grand message dâespoir!
Nathalie CHAVANNE
Le Programme Education Ă la Paix, est un des programmes portĂ©s par lâAssociation Initiatives et Changement.
Il met au point des espaces structurĂ©s de rĂ©flexion et dâexpression, oĂč, dans des contextes divers, les jeunes peuvent dĂ©velopper leurs compĂ©tences sociales en faveur dâun meilleur vivre ensemble et dâune ouverture Ă lâinitiative citoyenne.
Programme : Education à la paix
Dialoguer, apprendre Ă vivre ensemble, agir en citoyen.
7 bis, rue des Acacias
92130 Issy-les-Moulineaux
http://www.fr.iofc.org/
par jean | Oct 3, 2022 | Vision et sens |
Selon Tobie Nathan, ethnopsychiatre
A travers une pratique pionniĂšre, Tobie Nathan est devenue une figure majeure de lâethnopsychiatrie en France. Lâethnopsychiatrie est psychologie transculturelle qui associe psychologie clinique et anthropologie culturelle. Tobie Nathan a notamment mis en Ă©vidence la part des croyances dans la prise en charge des maladies mentales.       En relation avec des personnes venant de tous les continents, Tobie Nathan a Ă©tĂ© amenĂ© par lâune dâentre elles, Ă reconnaĂźtre la pratique de guĂ©rison exercĂ©e au nom de JĂ©sus. En consĂ©quence, il a donc entrepris une recherche sur JĂ©sus qui a dĂ©bouchĂ© sur lâĂ©criture dâun petit livre : JĂ©sus le guĂ©risseur (1). « JusquâĂ la rencontre avec Gabriela, personne ne mâavait incitĂ© Ă examiner au plus prĂšs JĂ©sus, lâhomme donc et non la religion qui a dĂ©coulĂ© de son enseignement » (p 13). « Si lâon examine son parcours, JĂ©sus a essentiellement parlĂ©, rĂ©uni et guĂ©ri. Câest donc Ă lâanalyse de ce personnage politique et thĂ©rapeute que jâai voulu consacrer ces pages » (p 13).
Lâauteur nous dit dans quel esprit, il a entrepris cette recherche.
« Je voudrais dâabord retracer le parcours personnel de JĂ©sus, pour lequel je ressens une sympathie particuliĂšre â un personnage omniprĂ©sent dans notre monde alors quâon sait assez peu sur luiâŠ
JĂ©sus imprĂšgne notre vie quotidienne par des paroles, des expressions, des maximes, par une morale aussi, et une certaine vision politique. Il est partout dans les expressions de notre langue, dans nos proverbes, nos habitudes mentales, mais Ă©galement dans lâart et la musique » (p 17). JĂ©sus apparaĂźt mĂȘme dans des troubles psychiatriques. « JĂ©sus est un interlocuteur : on lâappelle, on lâinvoque, on le prie. Il est le compagnon des laissĂ©s-pour-compte, des dĂ©munis, des malades. Ici en France, en Europe, mais aussi trĂšs loin dâici en Afrique, en AmĂ©rique du sud et de plus en plus en ChineâŠÂ » (p 18).
Dans sa recherche historique, lâauteur estime que les sources historiques fiables sont peu nombreuses. « Pour Ă©laborer cet exposĂ©, je suis allĂ© puiser dans les ressources historiques, celles qui reconstituent lâĂ©poque, lâatmosphĂšre oĂč JĂ©sus a vĂ©cu : jâai eu trĂšs peu recours aux exĂ©gĂšses thĂ©ologiques. Il va de soi que JĂ©sus, câest aussi le Christ, le
sauveur, Ă la fois homme et dieu. Je nâaborderai ici que sa part dâhistoire et dans une double perspective qui me questionne – et, je lâavoue, me fascine : JĂ©sus le politique et JĂ©sus le guĂ©risseur. JâespĂšre ne froisser personne en ne discutant que sa part dâhistoire. Mais lâhonnĂȘtetĂ© exige que lâon nâoutrepasse pas la frontiĂšre de ses compĂ©tences » (p 19).
Jésus, leader politique et guérisseur
Si ce livre, dans son sous-titre, met lâaccent sur le rĂŽle de JĂ©sus comme guĂ©risseur, lâouvrage lui-mĂȘme traite pour une bonne part dâun autre rĂŽle, cher Ă lâauteur, celui de leader politique contre lâoccupant romain. Tobie Nathan se montre ici connaisseur de la civilisation et de lâhistoire juive. Et câest dans cette connaissance que sâĂ©grainent des chapitres comme : Son nom dâabord, parce que le nom, câest la personne ; Le contexte, le lieu et les choses ; Les forces politiques ; Des mouvements contre lâoccupant ; les actes politiques de JĂ©sus ; le Royaume de DieuâŠ
« En JĂ©sus, dominent deux dimensions Ă la source de mes rĂ©flexions » affirme lâauteur ». « Il y a dâabord la part politique de JĂ©sus, un rĂ©volutionnaire juif, un militant en rĂ©volte radicale contre lâoccupation romaine de la JudĂ©e, « le pays des juifs », poursuivant de sa vindicte les collabos du Temple et ceux du Palais, acclamĂ© par une partie du peuple comme « Roi des juifs » avant dâĂȘtre crucifiĂ© comme la plupart des agitateurs politiques de lâĂ©poque » (p23).
Lâauteur met ensuite en exergue une autre dimension. « La seconde dimension tient dans son activitĂ© clinique⊠Son Ćuvre a principalement Ă©tĂ© de soigner les malades. Il rendait la vue aux aveugles, leurs jambes aux paralytiques ; il nettoyait les lĂ©preux de leurs plaies et dĂ©barrassait les agitĂ©s des dĂ©mons » (p24). Cette activitĂ© suscite lâĂ©loge de lâexpert quâest pour nous Tobie Nathan : « Un thĂ©rapeute, et de la plus pure espĂšceâŠÂ Et comme tous les thĂ©rapeutes, il parlait des « paroles Ă lâenvers », dirait mon collĂšgue yoruba du BĂ©nin, dont chacune a pĂ©nĂ©trĂ© notre univers. Par lĂ , je veux dire quâil sâagit de paroles surprenantes exigeant un arrĂȘt, une interprĂ©tation, des paroles paradoxales, des admonestations souvent qui fracturent des Ă©vidences⊠Un thĂ©rapeute, un vrai ! » (p 24).
Mais quel lien entre ces deux activités ?
« Si lâon examine le travail du thĂ©rapeute, on se demande ce quâil a Ă voir avec la politique. » Dans la rĂ©ponse, Tobie Nathan sâengage : « Mon hypothĂšse est prĂ©cisĂ©ment que les deux dimensions sont imbriquĂ©es ou plutĂŽt que JĂ©sus les a nouĂ©es ensemble, que câest prĂ©cisĂ©ment lĂ son originalitĂ© fondamentale, son « invention » (p 24-25).
En commentaire, pour notre part, la focalisation sur le rĂŽle politique de JĂ©sus tĂ©moigne de la diversitĂ© des points de vue selon les parcours et les sources, mais, tout en reconnaissant lâimportance du contexte politique, elle ne correspond pas Ă notre interprĂ©tation personnelle. Citons, entre autres : « Mon Royaume nâest pas de ce monde, rĂ©pondit JĂ©sus. Si mon Royaume Ă©tait de ce monde, mes serviteurs auraient combattu pour moi afin que je ne fusse pas livré⊠» (Jean 18.36). Notre propos ici est de recevoir lâĂ©clairage que lâauteur apporte sur le rĂŽle de JĂ©sus comme thĂ©rapeute et guĂ©risseur.
Tobie Nathan : histoire dâune vie
La dĂ©marche de Tobie Nathan sâinscrit dans une histoire de vie. Une interview oubliĂ©e sur le site du Monde nous en dit beaucoup Ă cet Ă©gard (2).
NĂ© au Caire en 1948, il en est brutalement chassĂ© en 1957 en mĂȘme temps que 25 000 juifs dâĂgypte. Ses parents immigrent en France. Leur vie est difficile. « Dans la citĂ© de Gennevilliers oĂč jâai grandi au nord-ouest de Paris, la vie Ă la maison nâest pas trĂšs facile. Il y avait une douleur, un poids. Dâabord parce quâon Ă©tait pauvre. Mais surtout en raison de la sĂ©paration avec le reste de la famille ». De plus, Tobie ne se sent pas Ă lâaise Ă lâĂ©cole française. « DĂšs lâĂ©cole communale, jâai toujours exĂ©crĂ© lâĂ©cole française, Ă cause de lâuniformisation obligatoire que comporte cette institution ».         Tobie Nathan a donc mal vĂ©cu sa condition dâimmigrĂ©. Le souvenir de cette expĂ©rience va lâaccompagner et lâaider Ă comprendre les problĂšme des migrants.
En 1969, Ă©tudiant en psychologie et ethnologie, il rencontre pour la premiĂšre fois le professeur Georges Devereux, le fondateur de lâethnopsychiatrie en France. Câest avec lui quâil rĂ©alisera sa thĂšse et, si, par la suite, ils se sĂ©parent, il donne son nom au centre quâil crĂ©e en 1993. « Le centre Georges-Devereux sâest ouvert en 1993 dans le cadre de lâUniversitĂ© Paris VIII Ă Saint-Denis. Ce fut une pĂ©riode extraordinaire. Enfin on allait faire de la vraie psychologie en France. Câest Ă dire un endroit universitaire oĂč on reçoit des patients, oĂč lâon forme les Ă©tudiants en thĂšse et oĂč lâon enseigne. Personnellement, câest lĂ que jâai tout appris. De nos patients, bien sĂ»r. Mais aussi de nos Ă©tudiants Ă©trangers qui appartenaient souvent aux mĂȘmes ethnies que les patients que nous recevions ».
Comment Tobie Nathan dĂ©finit-il lâethnopsychiatrie ? « Cela consiste Ă apprendre des autres peuples les connaissances quâils ont des troubles psychiques et de leur traitement, Ă tenir compte de leurs rites ancestraux pour les soigner ».
En 2003, Tobie Nathan abandonne le Centre Devereux pour partir Ă lâĂ©tranger. Il dirige le bureau de lâAgence française pour la francophonie pour lâAfrique des grands lacs au Burundi, puis le service culturel de lâambassade française en IsraĂ«l et en GuinĂ©e-Conakry. « Ce qui mâa changĂ©, câest de vivre en Afrique ».
De retour en France, il dirige le Centre dâaide psychologique quâil a crĂ©Ă©. Et il reçoit les jeune gens signalĂ©s par leur famille comme Ă©tant en danger de radicalisation islamique. « Jâai rencontrĂ© des gamins dâun bon niveau qui se posent des questions importantes me rappelant celles que je me posais Ă leur Ăąge⊠Cela mâa incitĂ© Ă me questionner sur eux, mais aussi sur moi-mĂȘme. En France, on ne sait pas penser lâĂ©tranger⊠On va ĂȘtre obligĂ© dâadmettre quâil y a des gens qui ne pensent pas comme nous, qui ont des dieux qui ne sont pas les nĂŽtres et quâil va falloir nĂ©gocier avec eux une coexistence ».Tobie Nathan constate que de nombreux jeunes qui se radicalisent comblent un vide engendrĂ© par une perte de continuitĂ© culturelle. Dans son livre : « Les Ăąmes errantes », il rapporte des histoires rĂ©vĂ©latrices.
Issu dâune famille rabbinique, Tobie Nathan se dĂ©clare juif comme « ayant des ancĂȘtres, de gens auxquels on se rĂ©fĂšre comme Ă©tant un dĂ©but de lignĂ©e ». Il espĂšre croire en Dieu un jour. « Chez les juifs, croire câest lâaboutissement dâun travail, ce nâest pas le dĂ©but. La croyance est un cadeau, et câest un cadeau que je nâai pas encore reçu ».
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Une rencontre révélatrice : Gabriela
Dans sa pratique, Tobie Nathan se trouve constamment en rapport avec un vĂ©cu international. Câest une source de connaissance et dâouverture. Et câest ainsi que la rencontre avec Gabriela lui a ouvert une nouvelle piste : la guĂ©rison au nom de JĂ©sus.
« Je lâappellerai Gabriela. Elle mâa montrĂ© des photos dâelle Ă vingt ans sur une plage brĂ©silienne. A 22 ans, elle a Ă©pousĂ© un Guyanais, chercheur dâor de passage au BrĂ©sil. AprĂšs des revers de fortune et plusieurs Ă©migrations, elle sâĂ©tait retrouvĂ©e dans une citĂ© HLM dâune commune de Seine-Saint-Denis. Voici des annĂ©es que son mari lâavait quittĂ©e, parti chercher de lâor en Angola, la laissant seule avec ses trois garçons⊠Il y a quelques annĂ©es, lorsque son ainĂ© a atteint 16 ans, Gabriel a appris par un ami revenu dâAfrique que son mari Ă©tait mortâŠÂ ». Câest alors que sâest dĂ©clenchĂ©e la dĂ©linquance des enfants.
Gabriela sâest effondrĂ©e.
AprĂšs une grave dĂ©pression et plusieurs hospitalisations en milieu psychiatrique, elle a trouvĂ© refuge et consolation au sein dâune Eglise Ă©vangĂ©lique. Peu Ă peu, elle sâest rapprochĂ© du berger, lâa secondĂ© dans son travail auprĂšs des fidĂšles » (p 11-12). Tobie Nathan commente alors : « Sa facilitĂ© Ă communiquer avec les esprits ou les anges quâelle tenait peut-ĂȘtre de ses ancĂȘtres, sâest bientĂŽt manifestĂ©e dans lâĂ©glise en de vĂ©ritables transes. RĂ©guliĂšrement, il lui arrive de « parler en langues ». Quelquefois, lorsquâelle est dans cet Ă©tat, elle opĂšre des « dĂ©livrances », câest-Ă -dire des thĂ©rapies de personnes en dĂ©tresse. Et câest toujours au nom de « JĂ©sus ». Gabriela dit quâelle chasse les « mauvaises influences » quâelle qualifie parfois de dĂ©mons ou de diables. Elle mâassure que les fidĂšles sâen portent mieux. Je la crois ». (p 12-13).
Tobie Nathan nous rapporte comment la relation avec elle sâest Ă©tablie et comment elle a portĂ© du fruit. « Psychologue, je lâai reçue durant des annĂ©es. Nous parlions le plus souvent de ses problĂšmes de famille, puis, au fur Ă mesure que son Ă©tat psychologique sâamĂ©liorait, de politique, de lâimpasse sociale que constituaient les quartiers, mais aussi de JĂ©sus, – de JĂ©sus surtout ! JĂ©sus, la matrice de son « don de guĂ©rison », son protecteur, son guide et son modĂšle » (p 25).
De fait, Tobie Nathan avait dĂ©jĂ entendu parler de la guĂ©rison divine. « Bien dâautres avaient attirĂ© mon attention sur la fonction thĂ©rapeutique de JĂ©sus, sur la puissance que confĂ©rait son ĂȘtre mĂȘme. Jâavais autrefois fait une enquĂȘte dans des Eglises Ă©vangĂ©liques au BĂ©nin. Par la suite, jâai dĂ©couvert celles du Burundi et du Ruanda. Je me suis insurgĂ© contre les abus commis dans celles du Congo. Mais personne ne mâavait comme Gabriela, incitĂ© Ă examiner de plus prĂšs JĂ©sus, sa personne… Selon ses adeptes, câest en lâhomme, JĂ©sus, que rĂ©side la puissance de guĂ©rir » (p 15).
Jésus guérit
Le livre de Tobie Nathan dĂ©bouche ainsi sur une description et une analyse de lâĆuvre de JĂ©sus comme thĂ©rapeute et guĂ©risseur.
JĂ©sus parlait. Il agit aussi. « La plupart de ses actions – peut-ĂȘtre mĂȘme la totalitĂ© – furent des guĂ©risons⊠Des guĂ©risons, on en compte 37 dans ce quâon appelle le Nouveau Testament et 14 dans le seul Evangile de Marc. Câest dire ! » (p 98 ). « Plus encore, et alors mĂȘme que le dĂ©bat Ă©tait Ă son plus fort au sein de lâĂglise primitive sur la nature de JĂ©sus â il nây eut jamais aucune controverse, ni chez ses disciples, ni chez ses dĂ©tracteurs, quant Ă ses dons de thaumaturge et dâexorciste. Quelle que fut sa nature, tout le monde lui reconnaissait ce don-lĂ , le don de guĂ©rison. Dans les rĂ©cits, tels quâils nous sont rapportĂ©s dans les Ecritures, JĂ©sus ne refusait jamais la guĂ©rison Ă qui lui demandait » (p 99). « Et, Ă chaque fois, JĂ©sus choisissait les dĂ©monstrations publiques, bien loin des intimitĂ©s psychologiques de nos contemporains. Il se risquait aux guĂ©risons les plus difficiles devant une foule rassemblĂ©e quâil prenait Ă tĂ©moin, guĂ©rison Ă chaque fois plus inattendue, plus invraisemblable » (p 100).
Dans ce chapitre, Tobie Nathan va dĂ©crire, analyser et chercher la signification de quelques guĂ©risons de JĂ©sus. Et il commente ainsi la guĂ©rison du sourd-muet dans une ville de la DĂ©capole. « Il lĂšve le regard vers le ciel et gĂ©mit en aramĂ©en : ephatah ! â « Ouvre-toi » et voilĂ que la parole du bĂšgue se dĂ©lieâŠÂ ». De fait, « cette parole est chargĂ©e⊠elle dĂ©signe le commencement de la priĂšre. Le livre qui introduit Ă Dieu sâappelle en hĂ©breu le Pataâh, « lâouverture », que lâon retrouvera dans la premiĂšre sourate de lâislam Al fatiâha qui signifie aussi : « ouverture ». Une fois encore, JĂ©sus fait et dit. Câest lâun de ses secrets thĂ©rapeutiques : faire un acte et dire en mĂȘme temps la parole qui le dĂ©signe. Il faut alors que cette parole colle Ă lâacte, mais Ă©galement quâelle sâenvole vers une signification plus profonde, qui engage toute la communauté » (p 101).
La nouvelle des guĂ©risons se rĂ©pand. « Les malades ne guĂ©rissent pas parce quâils croient ; ils croient parce quâils on Ă©tĂ© guĂ©ris » (p 102). Ces guĂ©risons participent Ă un mouvement de rassemblement autour de JĂ©sus.
« On a inventoriĂ© trois types de malades guĂ©ris par JĂ©sus : les aveugles, les sourds-muets et les paralytiques⊠Tous ont la perception et lâaction entravĂ©e. Câest ainsi quâil dĂ©finit par ses gestes thĂ©rapeutiques la nature de la maladie : lâimpossibilitĂ© de la connaissance de Dieu. Il faut donc voir dans ces malades des Ă©veillĂ©s – les plus vaillants de la communautĂ© – des ĂȘtres qui ont conscience dans leur corps des entraves au cheminement vers Dieu » (p 103 ).
Tobie Nathan inscrit lâĆuvre de guĂ©rison de JĂ©sus dans une dimension communautaire. « On doit se rendre Ă lâĂ©vidence : lâaction de guĂ©rir, que JĂ©sus maitrisait Ă la perfection, sans effort, en douceur, nâĂ©tait pas le but ultime. Il voulait agir non sur la nĂ©gativitĂ© qui affligeait un seul, mais sur lâinhibition qui paralysait sa communautĂ© » (p 110). Dâun bout Ă lâautre de son livre, Tobie Nathan met lâaccent sur la vocation politique quâil attribue Ă JĂ©sus.
Une interpellation
 « A cette Ă©poque, les thĂ©rapeutes, les devins, les magiciens, les sorciers Ă©taient si nombreux⊠il y en avait tant et plus encore. Ils pullulaient en JudĂ©e et en GalilĂ©e. Il en existait parmi les grecs⊠» (p 115 ). Certains Ă©taient renommĂ©s. Les techniques de JĂ©sus ressemblaient Ă celles des guĂ©risseurs de son temps, mais elles diffĂ©raient par un dĂ©tail dâimportance : JĂ©sus soignait gratuitement et exigeait de ses disciples quâils agissent de mĂȘme » (Matthieu 10.7-10) (p 115-116). Tobie Nathan Ă©voque ensuite une « longue lignĂ©e de rebelles politiques cherchant Ă dĂ©livrer IsraĂ«l de lâoppression romaine » et le passĂ© insurrectionnel Ă cette Ă©poque. Finalement « ce fut lâĂ©radication du Temple et la domination de lâEmpire romain ».Tobie Nathan conclut ainsi : « RĂ©volutionnaire et thĂ©rapeute, câest ainsi que jâai compris JĂ©sus Ă travers les Ă©vĂšnements de la vie » (p 123). Il en apprĂ©cie les talents. « Cet homme aurait pu jouir dâune reconnaissance passagĂšre ou disparaĂźtre dans les oubliettes de lâhistoire comme dâautres dont nous ne savons rien ». Alors, il sâinterroge sur la prĂ©sence de JĂ©sus dans la vie contemporaine et le mystĂšre quâon peut y voir :
« Mais son destin fut différent.
Qui en a décidé ainsi ?
Dieu, peut-ĂȘtre ? » (p 124).
Dans le brassage mondial des populations, Tobie Nathan apparaĂźt comme une vigie. Ethnopsychiatre, il observe les phĂ©nomĂšnes psychosociaux de notre Ă©poque. A ce titre, la rĂ©alitĂ© de la « guĂ©rison divine » ne lui paraĂźt pas extravagante. Son regard croise celui des chrĂ©tiens Ă©vangĂ©liques qui croient en la guĂ©rison au nom de JĂ©sus. Tobie Nathan sâest engagĂ© dans une recherche historique pour mieux connaĂźtre ce JĂ©sus pour lequel il Ă©prouve de la sympathie. Dans ce livre, selon sa culture, il nous fait part de son interprĂ©tation et de son questionnement. JĂ©sus est bien source de guĂ©rison.
J H
(1) Tobie Nathan. Jésus le Guérisseur. Flammarion, 2017
(2) Tobie Nathan : la croyance est un cadeau que je nâai pas encore reçu : https://www.lemonde.fr/la-matinale/article/2017/10/15/tobie-nathan-la-croyance-est-un-cadeau-que-je-n-ai-pas-encore-recu_5201182_4866763.html
(3) Tobie Nathan. Les Ăąmes errantes. Lâiconoclaste, 2017 (Livre de Poche) « Dans le secret de son cabinet, le psychologue Tobie Nathan accueille des jeunes en danger de radicalisation. Il Ă©coute. Leurs histoires, leurs mĂšres, leurs pĂšres perdus. Et tout ce quâils ont Ă nous apprendre sur le monde tel quâil est. Aucun penseur ne les a connu de si prĂšs. Aucun nâa osĂ© dire quâil leur ressemblait. Se raconter, se mettre Ă nu pour faire revenir « les Ăąmes errantes » est un pari risquĂ©. Le seul qui semble valoir la peine dâĂȘtre tenté ».
Tobie Nathan, ethnopsychiatre
par | Sep 18, 2012 | ARTICLES, Vision et sens |
Dans un temps oĂč lâon a souvent du mal Ă trouver des raisons dâespĂ©rer, ceux qui mettent leur confiance dans le Dieu de la Bible ont plus que jamais le devoir de « justifier leur espĂ©rance devant ceux qui (leur) en demande compte » (1 Pierre 3,15). A eux de saisir ce que lâespĂ©rance de la foi contient de spĂ©cifique, pour pouvoir en vivre.
Or, mĂȘme si, par dĂ©finition, lâespĂ©rance vise lâavenir, pour la Bible elle sâenracine dans lâaujourdâhui de Dieu. Dans la Lettre 2003, frĂšre Roger le rappelle : « (La source de lâespĂ©rance) est en Dieu qui ne peut quâaimer et qui nous cherche inlassablement » (1)
Dans les Ecritures hĂ©braĂŻques, cette Source mystĂ©rieuse de la vie que nous appelons Dieu se fait connaĂźtre parce quâil appelle les humains Ă entrer dans une relation avec lui : il Ă©tablit une alliance avec eux. La Bible dĂ©finit les caractĂ©ristiques du Dieu de lâalliance par deux mots hĂ©breux : hased et emet (par ex : Exode 34,6 ; Psaume 25,10 ; 40, 11-12 ; 85, 11). En gĂ©nĂ©ral, on les traduit par « amour » et « fidĂ©lité ». Ils nous disent, dâabord, que Dieu est bontĂ© et bienveillance dĂ©bordantes pour prendre soin des siens et, en deuxiĂšme lieu, que Dieu nâabandonnera jamais ceux quâil a appelĂ©s Ă entrer dans sa communion.
VoilĂ la source de lâespĂ©rance biblique. Si Dieu est bon et sâil ne change jamais son attitude ni ne nous dĂ©laisse jamais, alors, quelles que soient les difficultĂ©s âsi le monde tel que nous le voyons est tellement loin de la justice, de la paix, de la solidaritĂ© et de la compassion- pour les croyants, ce nâest pas une situation dĂ©finitive ; dans leur foi en Dieu, les croyants puisent lâattente dâun monde selon la volontĂ© de Dieu ou, autrement dit, selon son amour.
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Dans la Bible, cette espĂ©rance est souvent exprimĂ©e par la notion de promesse. Quand Dieu entre en rapport avec les humains, cela va de pair en gĂ©nĂ©ral avec la promesse dâune vie plus grande. Cela commence dĂ©jĂ avec lâhistoire dâAbraham : « Je te bĂ©nirai, dit Dieu Ă Abraham. Et par toi se bĂ©niront toutes les familles de la terre » (GenĂšse 12, 2-3).
Une promesse est une rĂ©alitĂ© dynamique qui ouvre des possibilitĂ©s nouvelles dans la vie humaine. Cette promesse regarde vers lâavenir, mais elle sâenracine dans une relation avec Dieu qui me parle ici et maintenant, qui mâappelle Ă faire des choix concrets dans ma vie. Les semences de lâavenir se trouvent dans une relation prĂ©sente avec Dieu.
Cet enracinement dans le prĂ©sent devient encore plus fort avec la venue de JĂ©sus le Christ. En lui, dit Saint Paul, toutes les promesses de Dieu sont dĂ©jĂ une rĂ©alitĂ© (2 Corinthiens 1,20). Bien sĂ»r, cela ne se rĂ©fĂšre pas uniquement Ă un homme qui a vĂ©cu en Palestine il y a deux mille ans. Pour les chrĂ©tiens, JĂ©sus est le RessuscitĂ© qui est avec nous dans notre aujourdâhui . « Je suis avec vous tous les jours, jusquâĂ la fin de lâĂąge » (Matthieu 28.20.
Un autre texte de saint Paul est encore plus clair.
« LâespĂ©rance ne déçoit point, parce que lâamour de Dieu a Ă©tĂ© rĂ©pandu dans nos cĆurs par le Saint Esprit qui nous fut donné » (Romains 5, 5). Loin dâĂȘtre un simple souhait pour lâavenir sans garantie de rĂ©alisation, lâespĂ©rance chrĂ©tienne est la prĂ©sence de lâamour divin en personne, lâEsprit Saint courant de vie qui nous porte vers lâocĂ©an dâune communion en plĂ©nitude.
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Texte publié sur le site de Taizé
(1)           Cette rĂ©flexion sur lâespĂ©rance chrĂ©tienne est la premiĂšre partie dâun texte sur lâespĂ©rance publiĂ© sur le site de TaizĂ©Â : http://www.taize.fr/fr_article1080.html . Nous avons pensĂ© la comuniquer sur ce blog, car elle est formulĂ© en termes trĂšs accessibles, et nous y trouvons une consonance avec certains accents de la thĂ©ologie de lâespĂ©rance qui est proposĂ©e par JĂŒrgen Moltmann et apprĂ©ciĂ©e dans ce blog . Les accentuations en gras ont Ă©tĂ© ajoutĂ©es par lâanimateur de ce blog.
par jean | Août 28, 2016 | ARTICLES, Emergence écologique |
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Le Grand Orchestre des Animaux
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Courez admirer et Ă©couter le Grand Orchestre des Animaux. Il joue Ă Paris, Ă la Fondation Cartier jusquâau 8 janvier 2017. On y vient en famille pour le plus grand bonheur des enfants. Ils prennent le temps de sâasseoir pour regarder de bout en bout, chaque vidĂ©o, chaque spectacle. Ils ne veulent pas en perdre une miette.
Il y a lĂ un hymne Ă la crĂ©ation, la crĂ©ation du monde, sa beautĂ© inouĂŻe, le respect que nous lui devons, mais aussi Ă la crĂ©ativitĂ© gĂ©niale des scientifiques et des poĂštes, auteurs de cette exposition. Que penser de ces piĂšges Ă photo quâils ont dissĂ©minĂ©s çà et lĂ pour capter des images insolites ?
DĂšs lâentrĂ©e, nous sommes accueillis par une grande fresque murale, un paysage dâanimaux qui fait penser irrĂ©sistiblement aux peintures rupestres de Lascaux ou de la grotte Chauvet. Ensuite, câest lâimmersion totale dans un monde esthĂ©tique, sonore et visuel, dans un monde animal aujourdâhui menacĂ©.
Jâai beaucoup aimĂ© tout ce qui concerne la beautĂ© des oiseaux, leurs vols, les parades nuptiales. Jâai aimĂ© Ă©couter les voix du monde vivant non humain, des voix dâanimaux enregistrĂ©s. Jâai aimĂ© leur beautĂ© et leur diversitĂ©.
Ici, il nous est donnĂ© de contempler le monde naturel, le monde Ă nos yeux cachĂ©, ici dĂ©voilĂ©, et alors sâĂ©lĂšve en nous un chant dâaction de grĂące et nous revient la mĂ©moire des psaumes sur la magnificence de la crĂ©ation.
GeneviĂšve Patte
Présentation du grand orchestre des animaux :
http://www.ushuaiatv.fr/actualités/le-grand-orchestre-des-animaux