Sœur Anne ne vois-tu rien venir ? Dans un conte de Charles Perrault (1), c’est la question désespérée que la femme de Barbe bleue attendant du secours pose à sa sœur Anne alors que son mari s’apprête à l’exécuter. Et cette question figure aujourd’hui dans notre mémoire collective.
Quel avenir existe-t-il encore pour nous lorsque nous vivons dans la tourmente ? Nous pouvons nous poser cette question à un moment particulièrement difficile de l’histoire, mais c’est aussi une question existentielle pour tous ceux d’entre nous qui se sentent menacés. Peut-on attendre un secours, lequel et quand va-t-il venir ?
Dans une courte vidéo (2) intitulée : « Sœur Anne ne vois-tu rien venir ? », Nadine Heller répond à notre attente dans l’esprit des évangiles. Dieu nous appelle à veiller et guetter. Il nous appelle à une espérance active. En phase avec nos sentiments, nos questionnements, nos aspirations, avec une grande justesse de ton et beaucoup de simplicité, Nadine Heller nous invite à regarder au loin « pour voir l’aube qui pointe » et « être des semeurs de vie, des porteurs de vie, pour choisir la vie (3) ».
Dans ce message, Nadine Heller partage avec nous un passage de l’Apocalypse qui ouvre une dynamique d’espérance et de vie. Nous voyons bien aujourd’hui quelle est la puissance du mal et de la mort. Mais Dieunous offre un horizon qui va au delà. Ecoutons les propos de Nadine.
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« Vous entendez cette rumeur qui enfle. Toutes ces voix que le monde entier court à sa perte, que tout fout le camp, que l’être humain est devenu fou. Oui, bien sûr, nous les entendons ces voix. Et si, dans nos moments de silence, nous entendions tous les cris de détresse qui, de par le monde entier, montent vers le ciel,nous deviendrions fou.
Alors que faire ? est-ce qu’il faut nous boucher les oreilles ? Est-ce qu’il faut-il fermer les yeux ? Est-ce qu’il faut-il s’isoler ? Lesévangiles eux nous invitent à tout autre chose. Dieu nous invite àveiller et à guetter. Un peu comme si nous étions appelés à être des sentinelles qui doivent monter sur une tour de guet pour regarder au loin, non pas pour regarder les catastrophes qui vont arriver, mais pour regarder au loin l’aube qui pointe. Un peu comme ce que nous pouvons lire dans le livre de l’Apocalypse au Chapitre 21 : « Oui, voici ce que je vois. Un ciel nouveau, une terre nouvelle. J’entend une voix forte qui vient du siège et qui dit : Maintenant, la maison de Dieu est au milieu des hommes. Il va habiter avec eux. Ils seront ses peuples. Dieu lui-même sera avec eux et Il sera leur Dieu. Il essuiera toutes les larmes de leurs yeux. La mort n’existera plus. Il n’y aura plus ni deuil, ni larmes, ni souffrance ».
Quelle espérance ! Mais cette espérance ne fait pas de nous des utopistes ou des doux rêveurs. Au contraire, c’est une espérance qui nous invite à être actifs comme des guetteurs qui guetteraient le moindre signe de lumière dans ce monde. Et aussi une espérance active qui nous invite, vous, moi, à être des porteurs de lumière, à être de ceux qui sèment sans compter la paix, l’amour, la justice au nom du Christ…qui les fait vivre, à être dessemeurs de vie, à être des porteurs de vie, à choisir la vie, car, vous et moi, nous sommes invités à choisir la vie et à ensemble porter l’espérance ».
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Dans cette conversation, Nadine Heller a partagé avec nous un passage de l’Apocalypse qui ouvre pour nous un horizon de vie . Nous voyons bienaujourd’hui quelle est la puissance du mal et de la mort. Mais Dieu nous ouvre un horizon qui va au delà.
« Puisse le Dieu de l’Espérance vous remplir de toute joie et de toute paix dans la foi de telle manière que, par la puissance du Saint Esprit, vous puissiez abonder en espérance, écrit Paul aux Romains (Romains 15.13). Un grand théologien, Jürgen Moltmann (4),nous montre combien cet accent est original, unique, parmi les différentes religions. « Nulle part ailleurs dans le monde des religions, Dieu est ainsi associé à un espoir humain pour l’avenir. Le futur est un élément essentiel de la la foi de Pâques. La foi signifie vivre dans la présence de Christ ressuscité et nous nous mouvons dans le Royaume de Dieu qui vient. Notre expérience de la vie quotidienne prend place dans une attente créative de Christ en train de venir. Nous attendons et nous avançons, nous espérons et nous endurons, nous prions et nous observons. Nous sommes à la fois curieux et patients » (5) .
Cette approche rejoint celle qui nous est proposée par Nadine Heller, pasteure de l’Eglise protestante Unie de Saint-Chamond, dans le cadre de la chaine : « Pasteur du dimanche » (6). Avecdes mots justes, elle aussi nous invite à vivredans une espérance active, une dynamique de vie. Ensemble et chacun de nous, choisissons la Vie.
(3)« J’ai mis devant toi la vie et la mort. Choisis la vie afin que tu vives » (Deutéronome 30.19) . Cette parole biblique va droit à l’essentiel pour notre vie. Il y a dans ce monde, y compris l’héritage religieux, tant de déformations qui peuvent nous éloigner de la vie. Aussi, on seréjouit de voir que l’équipe de « pasteurs du dimanche » ait pris comme devise : « Choisis la vie ».
(4)Jürgen Moltmann figure parmi les plus grand théologien de notre temps . En phase avec les grands questionnements de notre époque, il a commencé par écrire une théologie de l’espérance. On trouvera une mise en perspective de son itinéraire et de son œuvre dans une présentation de son autobiographie : « Une théologie pour notre temps » : http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=695. Un blog : « L’Esprit qui donne la vie », présente sa pensée au public francophone : http://www.lespritquidonnelavie.com/
(5)Sur ce blog : « Quelle espérance ? Un espoir pour l’avenir humain. Le Royaume de Dieu en train de venir » : https://vivreetesperer.com/?p=890 ? Le passage sur l’espérance ici mentionné est issu du livre : « Jürgen Moltmann. In the end…the beginning. Fortress Press, 2004. Récemment traduit en français : Jürgen Moltmann. Decommencements en recommencements. Une dynamiqued’espérance. Empreinte temps présent, 2012 (Voir le chapitre : la force vitale de l’espérance). Présentation dece livre sur ce blog : « Une dynamique de vie et d’espérance » : https://vivreetesperer.com/?p=572. Bien sûr, en ce temps de Noël, la naissance de Jésus manifeste le début du processus de libération.
(6)Quelques pasteurs de l’Eglise Protestante Unie ont choisi de s’entendre pour proposer chaque dimanche une courte vidéo (2 à 3 minutes) qui s’adressent à nous dans une parole d’ouverture, de partage et de conviction en alliant une réflexion sur la vie et l’actualité et l’éclairage d’un passage biblique dans son originalité pour aujourd’hui. « L’objectif de « pasteurdudimanche.fr » est de proposer une parole courte sur une actualité et un texte biblique qui invite à aller plus loin ».Il y a là le désir manifeste de s’adresser à un public qui dépasse de loin les seuls pratiquants protestants. La première vidéo a été réalisée par Joël Dahan en octobre 2011. Aujourd’hui, le site : « pasteurdudimanche.fr » renvoie à plus de 90 vidéos !Naturellement, certains messages nous touchent plus que d’autres, mais un désir de convivialité et d’authenticité se manifeste dans chaque vidéo. Ce site est devenue une ressource importante pour la vie et l’expression chrétienne. http://www.youtube.com/playlist?list=PL6F0WgMatbJUxPNorU-tyfYon2NQBXsRG
Bénir, c’est participer à l’œuvre de Dieu en répandant la paix : au sens de « shalom », une paix entendue, dans un sens très large : plénitude, harmonie, santé.
En nous parlant ainsi de la bénédiction, Jean-Claude Schwab nous ouvre un horizon de vie.
Récemment, on pouvait lire sur la lettre d’une entreprise de télécommunication (1), un message éclairant : « Allô provient de l’ancien mot anglais : hallow (sois béni), le salut des marins quand leurs bateaux se croisaient. Au fil du temps, le mot se transforme en hello. Ce sont les standardistes qui démocratisèrent l’usage du hello au téléphone qui devint phonétiquement notre allô français ». Aujourd’hui, à une époque où l’interconnexion est désormais une caractéristique majeure de notre existence, il est bon de se rappeler que le bon exercice de la communication dépend de la reconnaissance d’une dimension qui fonde une confiance réciproque. Tel était le cas de ces marins d’autrefois lorsqu’ils se saluaient en terme de bénédiction.
Et, de même aujourd’hui, nous savons combien notre existence dépend de la qualité des relations qui donnent forme à notre environnement. Nous comprenons l’importance de notre manière de penser. Actuellement, de nombreuses recherches montrent les effets bénéfiques d’une pensée positive tant à l’égard des autres qu’àl’égard de nous-même (2). Nous voyons là une disposition de la création qui trouve signification et vigueur dans la bénédiction.. Et d’ailleurs, dès le milieu du XXè siècles, des thérapeutes chrétiens comme Agnes Sanford et Norman Peale (3) ont témoigné d’une expérience des effets d’une pensée de bénédiction àl’intention de tel ou tel.
Lorsque nous croyons que Dieu est présent et agissant au cœur même de notre monde, nous voyons en lui la source de vie, la puissance d’inspiration qui porte tout ce qui va dans le sens de la vie.Il nous appelle à participer à son œuvre (4). Nous sommes tous appelés à entrer dans la bénédiction.
Dans le passé, Jean-Claude Schwab, pasteur de l’Eglise Réformée en Suisse romande, a animé des sessions à Témoins dans le cadre de l’AFRAI, une association chrétienne se donnant pour but de manifester l’action de Dieu pour le développement et la restauration de la personne dans toutes ses dimensions (5) . Il anime également des sessions durant les vacances d’été (6). L’une d’entre elles a été consacrée au thème de la bénédiction. Dans un numéro du magazine Témoins, nous avions recueilli à ce sujet les propos de Jean-Claude Schwab qui nous fait entrer dans le mouvement de la bénédiction : affirmer la bénédiction ; reconnaître la bénédiction ; répandre la bénédiction,comme une manière bienfaisante de penser et de vivre.
Récemment, les numéros du magazine Témoins ont été numérisés et mis en ligne (7) sur le site de Témoins, le site de « la culture chrétienne interconfessionnelle ». On pourra donc y consulter cet article dans le cadre même du numéro dans lequel il a été publié (novembre-décembre 2000) (8).
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J.H.
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Entrer dans la bénédiction
Bénir, c’est proclamer la paix, agir en faveur de la paix, établir un espace de paix.Ici, on doit entendre le mot « paix » d’une façon très large, en retournant au terme hébraîque originel : Shalom.Shalom signifie la plénitude, l’harmonie, la santé, tout ce qui concourt à l’accomplissement de l’homme. Mais ce terme exprime aussi la restauration de l’être, le salut. En proclamant la paix, la bénédiction exprime l’action de Dieu dans la création et dans la rédemption.
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Affirmer la bénédiction
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Lorsque Jésus chasse les vendeurs du Temple, sa colère ouvre un espace pour la bénédiction (Mat 21. 12-16). Ce lieu n’était plus un espace de liberté et d’adoration, mais l’objet d’un envahissement. Cette situation évoque tout ce qui surgit en nous et fait opposition au moment où l’on veut faire place au silence, à l’intimité, à la rencontre. Les préoccupations, les sollicitations font barrage. A l’instar de la colère de Jésus, sans doute sommes-nous appelés parfois à poser des actes clairs, à laisser notre énergie s’exprimer pour rétablir les choses. Dans l’épisode rapporté de l’évangile, il ne faut pas moins que la colère de Jésus pour rétablir l’ordre originel, un espace sabbatique. Alors la rencontre peut avoir lieu. Les enfants expriment leur louange d’une façon toute simple et naturelle.Les malades peuvent s’approcher pour être guéri. Le projet de Dieu se réalise.
Mais, en même temps, les textes synoptiques nous disent qu’à la suite de cet incident, les ennemis de Jésus s’entendent pour le faire mourir. Ainsi, Jésus signe de sa mort cette œuvre de libération. C’est dire combien, à ses yeux, cet espace pour la bénédiction,au cœur denos vies, est vital. Il a fallu l’action virulente de Jésus pour que les gens puissent s’approcher de Lui au temple. Jusque là, ils ne le pouvaient pas. Bien sûr, ils ont reçu de lui de grands bienfaits,mais ceux-ci sont un effet de sa présence. Cette simple présence, sa proximité, est bénédiction. C’est à travers la présence de Dieu que s’établit le Shalom, plénitude et harmonie, puissance de restauration personnelle et relationnelle.
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Reconnaître la bénédiction
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La présence et l’action bénissantes de Dieu sont à l’origine de l’univers, mais elles sont aussi à l’origine de ma vie. « C’est Toi qui m’a tissé dans le sein de ma mère. Je te loue de ce que je suis une créature si merveilleuse » (Psaume 139. 13-14) « Tu m’as fait sortir du sein maternel. Tu m’as mis en sûreté sur les mamelles de ma mère » (Psaume 22.10).
Ainsi, mon Dieu, Tu as pris soin de moi dès l’origine.Tu m’as donné des signes d’amour qui m’ont permis de vivre.Sans ces signes, je n’existerais pas. J’ai reçu ainsi la confiance originelle qui est le fondement du développement humain. Il y a eu des dérapages ensuite dans ma vie. Mais j’ai reçu ce fondement, cette grâce d’exister. Si je n’en suis pas conscient, je suis appelé à réaliser que la bénédiction est à l’œuvre pour moi, depuis mon origine. Cette prise de conscience est une bénédiction en soi, une nouvelle bénédiction.
« Mon âme, bénis l’Eternel, n’oublie aucun de ses bienfaits ». Cette exhortation à soi-même (Psaume 103) m’appelle à bénir Dieu pour ma vie et, pour cela, à fairemémoire de ma vie. C’est une démarche importante à faire périodiquement. Il y a là un travail en quête de sens, en quête des traces de Dieu. Quel est le filconducteur pour ma vie ? Je rends grâce pour le bien et, dans les côtés négatifs, je cherche à reconnaître la main de Dieu qui utilise tout. Quand il y a du sens, il y a quelqu’un qui est derrière. Je découvre ce quelqu’un qui est avec moi.Il y a là une attitude à acquérir : savoir reconnaître la présence de Dieu à l’œuvre dans ma vie.
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Répandre la bénédiction
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« Que l‘Eternel te bénisse et te garde. Que l’Eternel fasse luire sa face et qu’il t’accorde sa grâce.Que l’Eternel tourne sa face vers toi et qu’il te donne la paix » (Nombres 6, 24-26) . La bénédiction d’Aaron, traditionnelle dans le judaïsme, nous introduit dans une attitude de bénédiction .
« Bénissez, ne maudissez pas » nous rappelle Paul (Romains 12.14), en écho à la parole de Jésus (Matthieu 5.44). Ce précepte nous invite à une attitude intérieure. Bénir les gens autour de nous, c’est avoir un regard positif sur eux, leur souhaiter le meilleur, les mettre intérieurement en relation avec Dieu, invoquer sur eux sa protection.
Pour exprimer à l’autre la bénédiction de Dieu, il faut apprendre à se rendre présent à lui, entrer dans le concret d’unerelation.Je me réfère à l’attitude de Jésus lorsqu’il guérit un sourd-muet dans l’évangile de Marc (ch 7. 23-25). En quelque sorte, Jésus apprivoise cet homme. Il le prend à part, il entre en proximité avec lui en le touchant.Jésus soupire intérieurement, lève les yeux au Ciel et dit à l’homme : « Ouvre-toi ». Présent à lui-même dans son soupir, Jésus est présent au Père et exerce une présence de libération vis-à-vis de cet homme.
Pour moi, la parole et la présence sont deux réalités qui doivent aller de pair. Ainsi, bénir l’autre explicitement, c’est se rendre présent à lui et dans l’humilité, se faire simplement le serviteur d’une Parole. Entrons ensemble dans la bénédiction de Dieu.
(3)Agnes Sanford inscrit la prière de guérison dans une compréhension des interrelations entre la pensée et le corps :Sanford (Agnes). La lumière qui guérit . Delachaux et Niestlé, 1955. Norman Vincent Peale a découvert l’apport de la psychologie dans le développement spiritueL Il donne à un de ses livres intitulé au départ : « Puissance de la foi », le titre : « Puissance de la pensée positive » pour que celui-ci puisse s’adresser à tous et pas seulement aux croyants pratiquants. Peale (Norman Vincent).La puissance de la pensée positive. Marabout, 1990
(4)Sur ce blog, la contribution d’Odile Hassenforder : « Dieu, puissance de vie. Les projets de Dieu pour moi, pour l’humanité, pour l’univers sont des projets de bonheur et non de malheur ». https://vivreetesperer.com/?p=1405
Apprendre à s’aimer. S’aimer soi-même. S’aimer toi et moi. S’aimer entre nous, ensemble.
Si on ne s’aime pas soi-même, comment peut-on recevoir le flux de l’amour et le répandre autour de soi ? C’est une étape majeure, mais elle ne va pas de soi. Parce qu’elle peut rencontrer des oppositions dans un héritage psychologique, et parce que, culturellement et religieusement, cette étape peut être sous-estimée, voire déniée.
Comment apprendre à s’aimer ? Au fond de notre cœur, nous savons bien que l’amour partagé est la source qui porte la vie et qui fonde la communauté humaine. Alors, quels chemins pouvons nous emprunter ? Quel bonheur lorsque, à ce sujet, nous pouvons entendre une parole authentique fondée sur une expérience personnelle ! Et justement, c’est ce que nous apprécions dans l’intervention de Camille Syren, en octobre 2017, à TED X La Rochelle (1). Comment fait-on pour s’aimer soi-même, toi et moi et tous ensemble ? C’est une question qui a été et qui est au cœur de Camille. Il y a, dans ses paroles, non seulement une expérience murie et une réflexion construite, mais aussi un engagement affectif. Et, dans cette expression d’un amour vécu, il y a un courant qui passe. Accompagnons l’écoute de cette vidéo par des notes qui vont nous permettre de méditer doublement à partir de cette contribution.
Un chemin
« S’aimer (m’aimer), S’aimer (toi et moi). S’aimer (les uns les autres), c’est pareil. Et je crois que dans la vie, c’est pareil ». C’est tout un chemin. Pour Camille Syren, « Cela fait 43 ans de recherche appliquée. Le voyage certainement le plus intéressant et le plus utile que j’ai jamais fait. Ce qui m’amène à vous dire aujourd’hui que le bien le plus utile et le plus précieux que j’ai, c’est justement mon aptitude à aimer. Et la bonne nouvelle, c’est que cette aptitude s’apprend. Il n’y a pas ceux qui naissent avec et ceux qui naissent sans… Apprendre à tisser des relations de qualité, c’est de l’or en barre. On n’y croit pas assez. C’est puissant. Si il y avait une seule chose à cultiver, c’est bien celle-ci ».
Dans la vie de Camille, il y a eu un déclic et puis, tout un processus s’est mis en marche. « Quand j’avais 14 ans, j’ai reçu de son auteur, un autocollant : « Déclaration des droits à l’amour ». Quand j’ai lu cela, je me suis dit : « Ouah, je rêve ! Si un jour, j’arrive à faire cela ! ». Et du coup, je me suis dit : Si quelqu’un l’a écrit, donc c’est possible. Et je décide d’y croire. Je me suis dit aussi : je décide d’y avoir droit. Même moi, qui avait été abimée, pour bien savoir aimer ou me laisser aimer. Et puis, troisième chose que je me suis dit : je veux savoir comment on fait. Et, depuis, je n’ai jamais arrêté de chercher… ».
«La cabane à gratter » : une association de quartier
Camille nous donne un premier exemple de l’esprit qui l’anime : sa participation à une association de quartier.
« La cabane à gratter », c’est une petite association dans mon quartier que j’ai rencontré pour la première fois, il y a quelques années. Installée sur le trottoir, une petite cahute en bois de toutes les couleurs. Quand j’ai fait connaissance, elle était tenue par Gervais, un grand « black » avec un cœur d’or, qui savait très bien s’y prendre pour faire de la place à chacun, qui qu’il soit, d’où qu’il vienne. Cette rencontre a accroché mon cœur. Moi qui ai toujours eu à cœur de mettre de la diversité dans ma vie, déjà pour mourir moins bête, car la réalité est toujours complexe. Alors, moi aussi, j’ai commencé à fréquenter la cabane comme ces gens isolés du quartier, comme les personnes déracinées, en transition, loin de chez elle, comme il peut y en avoir dans un quartier de la gare.
Ce que j’ai aimé dans « la cabane à gratter », ce sont deux choses. Une petite phrase d’une habituée de la cabane : « Quand onne gratte pas, on ne peut pas savoir ». Et bien, je trouve que c’est vrai pour tout. Nejamais se contenter des apparences. En ce qui me concerne, en ce qui te concerne, en ce qui nous concerne. Toujours gratter un peu derrière. On y trouve des pépites… A la fin d’une fête de Noël, une des plus belles fêtes de Noël que j’ai passé, je rentre chez moi à la maison avec mes enfants qui vont à l’école, qui sont au chaud… Depuis ma place à moi, il n’est pas si simple d’être à parité, de passer une fête de Noël avec quelqu’un qui a une histoire à coucher dehors, pour de vrai, avec quelqu’un qui n’a plus rien, avec quelqu’un qui n’a personne autour de lui pour l’aimer… Cette capacité d’être profondément connecté d’humain à humain, quelque soient les statuts, être ensemble, c’est un plaisir profond. Des moments comme cela, il devrait y en avoir plus souvent ».
Apprendre à vivre la rencontre
Cependant, si on peut être prédisposé à cette expérience de la rencontre, on a besoin aussi de s’y familiariser, de développer en nous cette aptitude, car « cette aptitude là, elle se cultive ». Camille nous fait part de son apprentissage. Comment a-t-elle appris à s’aimer, à se rencontrer, à rencontrer l’autre ?
« Je parle de traversée. Il ne suffit pas d’avoir des bottes de sept lieues. Il y a quelques passages obligés. Et la première rencontre àfaire, c’est soi. Cela tombe bien, car pour se rencontrer, on a la matière première la plus infinie qui existe, renouvelable, gratuite, hyperperformante, disponible tout le temps et chez tout le monde. Tout est là et tout est juste. C’est ma sensibilité. C’est votre sensibilité. Réapprendre à sentir. Apprendre quelque chose que je sens. Comprendre quelque chose que je sens et agir.
Mais il y a deux idées reçues qui me révoltent.
La première, c’est qu’il y aurait des émotions négatives. Or, toutes les émotions sont importantes. Cela rappelle le petit jeu pour guider une recherche : « Tu brûles. Tu refroidis ». Si on ne disais que « tu brûles » à celui qui cherche, il pourrait chercher longtemps ! De même, dans la vie, on a besoin des autres indications : traces de peur, de colère, de tristesse. Toutes ces indications sont juste celles dont on a besoin pour aller vers la satisfaction suffisante de nos besoins. Et là est le plaisir. On appelle cela le plaisir chez les humains. Pas d’émotions négatives. Elles sont toutes bonnes à prendre.Et quand cela prend le tour d’une émotion destructrice, voire violente, que ce soit pour soi-même ou pour les autres, ce n’est pas une émotion, c’est un mécanisme de défense. Ce n’est pas la même chose. Et en général, cela nous vient de loin et même de très loin. Et les mécanismes de défense, on en a tous. C’est un court-circuit. Et cette zone d’ombre vulnérable, nous devons être capable de la respecter, de la regarder avec tendresse, car il n’y a que comme cela qu’elle nous délivrera l’information dont on a besoin pour pouvoir faire différemment.
Deuxième idée reçue : Cela ne peut pas changer. Entendre cela medésespère. Quand j’entendais dire, à 14 ans, on ne peut pas changer, quelle bonne excuse pour ne pas bouger les lignes. Et les siennes d’abord ! »
Toi et moi
Apprendre à s’aimer, c’est un processus. C’est s’aimer soi, mais c’est aussi s’aimer, toi et moi.
« Une seconde rencontre à faire : toi et moi. Que ce soit mon conjoint, mon voisin, mon boss, ma boulangère… Or, parfois, la diversité nous agace. Je ne sais pas si vous avez déjà rempli le coffre d’une voiture avec votre compagne, votre compagnon… On n’a pas la même façon ! Cette deuxième rencontre, c’est dépasser le « ou toi, ou moi » pour penser : « tout moi et tout toi ». Cela m’émerveille, car je vois que cela marche. Quand je suis « tout moi » et que je ne lâche pas ce moi, cela me laisse assez tranquille pour permettre à l’autre d’être « tout toi ». Il y a quelque chose qui arrive que jamais je n’aurais inventé tout seul et qu’il (elle) n’aurait jamais inventé tout seul. C’est encore mieux qu’on aurait pu l’imaginer. Bienvenue dans la vraie vie, mais en mieux. C’est la réalité augmentée.
Assumer la diversité. Mais se rencontrer comme cela, c’est du courage. La première chose dont vous devez vous équiper, c’est la sensibilité. Et puis, pour moi, j’aime quand cela marche et j’aime les gens. Et quand je décide d’aimer quelqu’un, et bien, je décide de ne pas lâcher si facilement. Et, du coup, je m’occupe du « entre » en mettant de l’énergie dans le courage d’aller au contact et dire lebien. Quand vous voyez quelque chose de bon et que vous ne le dites pas, un compliment que vous retenez, il manque à l’univers. C’est quelque chose de perdu pour l’univers.
Et puis, bien sûr, il y a toujours des choses qui restent en touche, des tensions dont on ne s’est pas occupé parce que : pas de temps, parce que : pas si important, parce que : autre chose à faire. Et bien, quand cela reste en travers, c’est qu’il y a quelque chose à faire. Sinon, cela pourrait bien se mettre en travers de ma santé, en travers de notre relation, mettre à distance »
Se rencontrer entre nous, ensemble
Cette dynamique interpersonnelle débouche sur un mouvement de convivialité, de vie commune, un vrai savoir-faire pour le vivre ensemble
« Se rencontrer, c’est se rencontrer soi-même, se rencontrer toi et moi, se rencontrer entre nous. Quand on sait faire cela de mieux en mieux, cela se pratique, cela se décide, cela se tisse. Se rencontrer entre nous, c’est plus complexe encore, car il y a un lien entre plusieurs personnes, toutes celles qui participent au collectif. Il va falloir s’occuper de chaque personne et s’occuper du « entre ». Si on sait bien faire cela, le résultat dépasse nos espérances.
Pourquoi cela se complique au moment où on devient un collectif ? Parce qu’on vit là avec une question. On vient au monde avec une question. Quelle est ma place ? Trouver ma place dans ma famille même si elle est toute petite, trouver ma place dans mon collectif d’amis, dans mon job, dans mon entreprise, dans mon association… Et dès que j’ai peur pour ma place, dès que je ne suis pas sûr d’en avoir une, les choses se crispent. Quand chacun dans un groupe ose prendre sa place, s’occupe du « entre » pour que chacun ait la permission réelle de prendre sa place, alors il y a un espace, un « truc magique » qui se passe, qui est : « il y a de la place pour tout le monde ».
A partir de cette intelligence là, à la fois émotionnelle, relationnelle, mais aussi une forme de saut dans le vide, ne pas avoir de plan préétabli au départ, quand on mise sur ce qu’on a,sur ce chacun aime, ses limites, ses handicaps, ses « pas possible », la complémentarité fera forcément quelque chose de bien. C’est un sacré lâcher prise par rapport à notre envie de contrôler, de savoir à l’avance. Et cette attitude est valable aussi bien quand je pilote la campagne à gratter que quand j’élabore ma stratégie d’entreprise : faire de la place à chacun et, pour le reste, laisser faire l’univers. Et bien, ces choses là, jamais l’intelligence artificielle ne pourra le faire à notre place.
Savoir s’aimer, cela s’apprend, c’est notre bien le plus précieux, alors cultivons-le ! ».
Un message émouvant, éclairant, mobilisateur
En rapportant les propos de Camille Syren dans les termes familiers où elle nous communique son expérience personnelle, nous accompagnons ici sa parole par un écrit pour nous permettre de mieux en apprécier la portée. Apprendre à s’aimer dans tous les registres de la rencontre : s’aimer soi-même, s’aimer toi et moi, s’aimer entre nous ensemble, pour Camille, cette visée se réalise à travers un engagement personnel qui allie émotion, observation et réflexion. C’est une dynamique qui se répand, car si on apprend à s’aimer, l’affection reçue peut y contribuer.
Nous sentons bien qu’il y a dans l’expérience de l’amour une dimension qui nous dépasse et que nous pouvons évoquer en des termes différents, par exemple, cet « univers » que Camille Syren nous invite à « laisser faire » ou bien nous le présente comme « nous appelant à exprimer tout ce qui est bon ». Pour nous, nous nous reconnaissons dans la vision du monde du théologien Jürgen Moltmann lorsqu’il nous parle de « l’Esprit qui donne la Vie » : « L’essence de la création dans l’Esprit est « la collaboration » et les structures manifestent la présence de l’Esprit dans la mesure où elles font connaître « l’accord général ». « Au commencement était la relation » (Martin Buber) (2). L’amour est au coeur du message de Jésus.
Cette intervention nous instruit sur bien des obstacles dont nous n’avons pas toujours conscience. Sans se référer directement à des savoirs, comme des connaissances psychologiques ou l’approche de la communication non violente, Camille nous éclaire par une réflexion à partir de son expérience personnelle, une réflexion que nous recevons d’emblée. Il y a dans ce témoignage l’expression d’une émotion qui éveille la nôtre et nous met en mouvement. En suivant le chemin de l’amour vécu : s’aimer, toi et moi, s’aimer entre nous, nous entrons dans une dynamique. C’est un souffle de vie.
(2) Dans ce blog, nous faisons souvent appel à l’éclairage de Jürgen Moltmann. Citation p 25 (Dieu dans l’Univers, Cerf, 1988). Jürgen Moltmann. L’Esprit qui donne la vie. Cerf, 1999
Devenir plus humain. Une culture de l’amour, de l’accueil de l’autre, d’acceptation de la différence (Jean Vanier) : https://vivreetesperer.com/?p=2105
Nous avons de plus en plus conscience que l’approche intellectuelle dominante dans le passé tendait à diviser la réalité, à en opposer et en séparer les éléments plutôt que d’en percevoir les interrelations et une émergence de sens dans la prise en compte de la totalité. Ainsi, dans « Petite Poucette », Michel Serres met en évidence des changements que la révolution numérique suscite actuellement dans la manière d’être et de connaître (1). Il constate que l’ordre qui quadrillait le savoir est en train de s’effriter. Et il remet en cause les cloisonnements universitaires. « L’idée abstraite maitrise la complexité du réel, mais au prix d’un appauvrissement de la prise en compte de celui-ci ». Et, de même, dans une œuvre théologique de longue haleine, Jürgen Moltmann montre l’émergence d’une nouvelle approche intellectuelle et culturelle qui se départit du penchant dominateur à l’œuvre dans la prépondérance d’une pensée analytique généralisée. Ainsi, dans son livre : « Dieu dans la création » (2), paru en France en 1988, Jürgen Moltmann écrit : « Le traité de la création dans son rapport écologique doit s’efforcer d’abandonner la pensée analytique avec ses distinctions sujet-objet, et apprendre une pensée nouvelle communicative et intégrante. Dans cette critique de la pensée analytique, Moltmann évoque l’antique règle romaine de gouvernement : « divide et impera » (diviser et régner). Aujourd’hui, des sciences nouvelles comme la physique nucléaire et la biologie mettent en œuvre des approches nouvelles. « On comprend beaucoup mieux les objets et les états de chose quand on les perçoit dans leurs relations avec leur milieu et leur monde environnant éventuels, l’observateur humain étant inclus » (p 14). Cette approche préalable appuie une part de la réflexion de Bertrand Vergely dans son livre : « Prier, une philosophie » (3).
En effet, aux yeux de certains, la prière et la philosophie sont deux domaines séparés. Au contraire, Bertrand Vergely met en évidence les interrelations. Ainsi met-il en exergue une pensée de Wittgenstein : « La prière est la pensée du sens de la vie ». « Quand on considère les relations entre philosophie et religion, celles-ci s’opposent. Si on envisage philosophie et religion de l’intérieur, il en va autrement. Au sommet, tout se rejoint » (p 15). Et, de même, Bertrand Vergely montre qu’il n’est pas bon, de séparer l’action et la prière. Il ouvre des portes par rapport au déficit engendré par un exercice de la pensée autosuffisant et coupé de la réalité existentielle. « La modernité, qui poursuit un idéal de rationalité et de laïcité, divise la réalité en deux, avec d’un côté, l’action, et, de l’autre, la prière. Les choses sont-elles aussi simples ? » (p 10). De fait, « il y a quelque chose que nous avons tous expérimenté, à savoir la présence. Devenir présent à ce que nous sommes éveillant la présence en nous, on fait advenir la présence de ce qui vit autour de nous » (p 11)… Mettons nous à vivre dans le présent, on rentre dans la présence. En restant dans la présence, on rencontre ce qui demeure stable à travers le changement et le multiple… Présence emmenant loin au delà de soi vers le supra-personnel, le supra-conscient comme le dit Nicolas Berdiaeff. « Nul ne sait ce que peut le corps » dit Spinoza. La présence est en relation avec une présence qui dépasse tout, la divine présence… (p 12). D’où l’erreur de penser que la condition humaine est fermée. Quand on prie en allant de toutes ses forces dans son être profond, ce qui semble impossible devient possible » (p 13).
Bertrand Vergely nous parle à la fois en philosophe et en chrétien de confession et de culture orthodoxe. Ce livre nous emmène loin : « Prier ? Prier les dieux, Prier Dieu ? ; Quand la prière humanise ; Quand la philosophie spiritualise ; Quand la prière divinise ». Il témoigne d’une immense culture. Certes, nous pouvons parfois nous sentir dépassé par le langage philosophique. Mais l’auteur recherche l’accessibilité, notamment en découpant le livre en de courts chapitres. Il n’est pas nécessaire de le lire en continu. Et, dans cette présentation, nous ne couvrirons pas l’ensemble de l’ouvrage ; nous nous centrerons sur une démarche de l’auteur qui rejoint quelques autres, celles de Jürgen Moltmann et de Richard Rohr.
Dons et requêtes de la vie
Dans son approche, à de nombreuses reprises, Bertrand Vergely appelle à la conscience de la vie dans tout ce qu’elle requiert et tout ce qu’elle entraine. C’est ainsi qu’on débouche sur une démarche spirituelle et sur la prière.
Et, pour cela, on doit aussi se démarquer d’un monde dominé par notre intellect prédateur et sa rationalité morbide ».
« Transformer son intelligence. Laisser passer le Vivant, l’Unique en soi. On y parvient par la métanoïa, la sur-intelligence. Quand on vit, il n’y a pas que nous qui vivons. Il y a la Vie qui se vit en nous et qui nous veut vivant. Il y a quelque chose à la base de l’existence. Un principe agissant, une force, un premier moteur, comme le dit Aristote, une lumière qui fait vivre. (p 220)… Quand nous rentrons en nous-mêmes afin de savoir qui nous sommes, ce n’est pas un moi bavard que nous découvrons, mais un moi profond porté par la Vie avec un grand V. d’où la justesse de Saint Augustin quand, parlant de Dieu, il a cette formule : « la vie de ma vie » (p 221).
Répondons-nous oui à la vie ? Vivons-nous vraiment ? Ou bien sommes-nous prisonniers de principes auxquels nous nous assujettissons ? La morale et la religion peuvent ainsi s’imposer comme un esclavage. Au contraire, « la morale et la religion sont en nous et non à l’extérieur… C’est ce que le Christ rappelle. L’enfant, qui est la vie même, est le modèle de la morale et de la religion. Ce que n’est pas le pharisien qui ne se laisse plus porter par la vie qui est en lui… » (p 236).
« La Vie. La Vie avec un grand V. Ce n’est pas un terme grandiloquent. Il y a en nous une présence faisant écho à ce que nous avons de plus sensible, d’oùlajustesse de parler de divine présence.
C’est « une conscience profonde à la base de l’étonnante capacité que nous avons de demeurer le même à travers le temps et que Jankélévitch appelle l’ipséité ». C’est « une conscience vivante avec laquelle rien n’est désincarné, ni impersonnel, le moi étant lié au monde comme le Je est lié au Tu et le Tu au Je pour reprendre l’idée majeure qui guide la pensée de Martin Buber (p 237).
« Chaque fois qu’un sujet se met à être le monde au lieu d’être en face de lui, apparaît une expériencelumineuse, étincelante, faisant tout exister et quelque chose de plus. Une liberté supérieure, divine » (p 238).
Dieu vivant
On peut s’interroger sur les raisons de croire en Dieu en terme de réponse à une recherche de cause. « Quand la raison cherche à démontrer l’existence de Dieu par la raison banale, elle ne convainc personne… Quand une cause a été démontrée rationnellement, nul besoin d’y croire… » (p 225). La relation à Dieu est d’un autre ordre. Elle implique notre être profond. « Il faut exister pour comprendre quelque chose à l’existence de Dieu. Quand on est dans la raison objective qui aborde le monde à distance, il est normal qu’il n’existe pas » (p 226)… Ainsi la foi implique et requiert une intensité de vie.
« Le monde occidental ne croit plus aujourd’hui que Dieu est la cause du monde. En revanche, quand Dieu est pensé comme sur-existence, il en va autrement. Il se pourrait que nous ne soyons qu’au début de la vie de Dieu et que son temps ne soit nullement passé. La preuve : quand on pense Dieu, on pense toujours celui-ci sur un mode théiste. Jamais ou presque sur un mode trinitaire. D’où deux approches de Dieu pour le moins radicalement différentes. Posons Dieu en termes théistes. Celui-ci est un principe abstrait sous la forme d’une entité dans un ciel vide. Il est comme la raison objective. Unique, mais à quel prix ! A part lui, table rase… Posons à l’inverse Dieu en termes trinitaires. Dieu n’est plus Dieu, mais Père, source ineffable de toute chose. Il n’est plus seul, mais Fils, c’est à dire passage du non manifesté au manifesté… Dans le visible et non dans l’invisible. Dans le théisme, on a affaire à un Dieu, froid, glacial même. Avec le Dieu trinitaire, on a affaire à une cascade de lumière, d’amour et de vie… (p 227-228).
Importance du passage. Des Hébreux au Christ, une continuité, un même souffle : diffuser la vie et non la mort, et, par ce geste, glorifier le Père, la source de vie, source ineffable. On est loin du Dieu qui ne fait qu’exister, du Dieu cause. Le Dieu qui cause le monde ne le transforme pas. Le Dieu qui sur-existe le transforme. Il fait vivre en appelant l’homme à la vie afin qu’il sur-existe en devenant comme lui hyper-vivant » (p 229).
Dieu vivant, communion d’amour, puissance de vie
En lisant le livre de Bertrand Vergely sur la prière, nous voyons de convergences avec le courant de la pensée théologique que nous avons découvert dans les ouvrages de Jürgen Moltmann, puis dans le livre de Richard Rohr : « The Divine Dance » (4).
Dans les années 1980, Jürgen Moltmann a été le pionnier d’une nouvelle pensée trinitaire qui nous présente un Dieu relationnel, un Dieu communion. Dans son livre le plus récent : « The living God and the fullness of life » (5), il écrit : « la foi chrétienne a elle-même une structure trinitaire parce qu’elle est une expérience trinitaire avec Dieu »… « Nous vivons en communion avec Jésus, le Fils de Dieu et avec Dieu, le Père de Jésus-Christ, et avec Dieu, l’Esprit de vie… Ainsi, nous ne croyons pas seulement en Dieu. Nous vivons avec Dieu, c’est à dire dans son histoire trinitaire avec nous » (p 60-62).
De même, Robert Rohr nous parle de la révolution trinitaire comme l’émergence d’un nouveau paradigme spirituel. Et, comme Moltmann, pour exprimer Dieu trinitaire, il emprunte aux Pères grecs, l’image de la « danse divine ». « Tout ce qui advient en Dieu, c’est un flux, une relation, une parfaite communion entre trois, le cercle d’unedanse d’amour ».
Et comme Bertrand Vergely nous appelle à rencontrer Dieu à travers l’expérience, à travers le vivant, Richard Rohr raconte comment, découvrant le plein sens de Dieu trinitaire, à travers un livre savant, il l’a ressenti comme une expérience intérieure. « La Trinité n’était pas une croyance, mais une voie objective pour décrire ma propre expérience de la transcendance et ce que j’appelle le flux. La conviction venait de l’intérieur. Quelque chose résonnait en moi ».
Le premier chapitre du livre de Jürgen Moltmann : « L’Espritqui donne la vie » (6) s’intitule : « Expérience de la vie, expérience de Dieu ». C’est donner à l’expérience une place primordiale. « L’expérience de Dieu devient possible dans, avec et sous toute expérience quotidienne du monde dès lors que Dieu est dans toute chose et que toute chose est en Dieu, et que, par conséquent, Dieu lui-même, à sa manière, fait « l’expérience de toute chose ».
La pensée trinitaire donne toute sa place à la troisième composante divine, l’Esprit de Dieu, l’Esprit qui donne la vie. » (7) L’agir de l’Esprit de Dieu qui donne la vie est universel et on peut le reconnaître dans tout ce qui sert la vie » (p 8). Il y a unité dans « l’agir de Dieu dans la création, le rédemption et la sanctification de toutes choses » (p 27). « Les recherches conduisant à une « théologie écologique », à une christologie écologique et à une redécouverte du corps ont pour point de départ la compréhension hébraïque de l’Esprit de Dieu et présupposent l’identité entre l’Esprit rédempteur du Christ et l’Esprit de Dieu qui crée et donne la vide ». C’est pourquoi l’expérience de l’Esprit, qui donne vie, qui est faite dans la foi du cœur et dans la communion de l’amour, conduit d’elle-même au delà des frontières de l’Eglise vers la redécouverte de ce même Esprit dans la nature, les plantes, les animaux et dans les écosystèmes de la terre » (p 28).
Richard Rohr nous parle également du Saint Esprit comme « la relation d’amour entre le Père et le Fils. C’est cette relation qui nous est gratuitement donnée. Ou mieux, nous sommes inclus dans cet amour » (p 196). Dans la création, l’Esprit engendre la diversité et, en même temps, il est Celui qui relie et qui rassemble. Richard Rohr nous fait part d’un texte significatif de HowardThurman, un inspirateur de Martin Luther King. « Nous sommes dans un monde vivant. La vie est vivante (alive) et nous aussi, comme expression de la vie, nous sommes vivant et portés par la vitalité caractéristique de la vie. Dieu est la source de la vitalité, de la vie et de toutes les choses vivantes » (p 189).
L’univers est relationnel. Il est habité. « Il est parcouru par le flux de l’amour divin qui passe en nous » (p 56). C’est un flux de vie. Dieu est la force de vie qui anime toute chose et nous invite à reconnaître sa présence.
Tout au long de son œuvre, Jürgen Moltmann a développé une théologie de la vie fondée sur la résurrection et manifestée dans une approche trinitaire. Il l’exprime bien cette démarche dans le titre de son dernier livre : « Le Dieu vivant et la plénitude de vie (5). « Ce que je souhaite faire ici est de présenter une transcendance qui ne supprime, ni n’aliène notre vie présente, mais qui libère et donne vie, une transcendance dont nous ne ressentions pas le besoin de nous détourner, mais qui nous remplisse de la joie de vivre » (p X).
Richard Rohr nous apporte une vision enthousiaste et libératrice de la présence divine en un Dieu trinitaire. « Dieu n’est pas un être parmi d’autres, mais plutôt l’Etre lui même qui se révèle… le Dieu dont Jésus parle et s’y inclut, est présenté comme un dialogue sans entrave, un flux inclusif et totalement positif, la roue d’un moulin à eau qui répand un amour que rien ne peut arrêter » (p 43).
Cette reconnaissance de la vie divine rejoint celle à laquelle nous appelle Bertrand Vergely dans son livre : « Prier, une philosophie ».
« Il y a en nous une présence faisant écho à ce que nous avons de plus sensible et de plus profond, d’où la justesse de parler d’une divine présence ». « Laissons passer le vivant… Quand on vit, il n’y a pas que ce que nous vivons. Il y a la Vie qui se vit en nous et qui nous veut vivant » (p 237 et 220).
(2) Jürgen Moltmann. Dieu dans la création. Traité écologique de la création. Cerf, 1988
(3) Bertrand Vergely. Prier, une philosophie. Carnetsnord, 2017
(4) Richard Rohr. With Mike Morrell. The Divine Dance. The Trinity and your transformation. SPCK, 2016. Mise en perspective sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=2758
A la rencontre de Dieu en dedans et en dehors de nous
Notre manière de prier dépend pour une part de nos représentations de Dieu, mais aussi de la relation qu’il a avec nous et avec le monde. De plus en plus, nous percevons aujourd’hui la réalité dans une perspective d’interrelation, d’interconnection. Cette perspective s’appuie sur des convergences scientifiques (1). Elle se manifeste sur le plan spirituel. Tout se tient (2). Et aujourd’hui, par rapport à d’anciens clivages, elle s’inscrit dans une pensée théologique comme celle de Jürgen Moltmann qui développe une pensée holistique, particulièrement dans son livre : « L’Esprit qui donne la vie » (3). Tout simplement, « En Dieu, nous avons la vie, le mouvement et l’Etre » (Actes 17.27).
Très tôt, dès la fin de la première moitié du XXè siècle, puisque son livre le plus diffusé : « The Healing Light » date de 1957, Agnès Sanford (4), pionnière de la prière de guérison, a anticipé cette perspective holistique. Ce livre nous montre comment l’énergie divine suscite la guérison dans tout notre être si nous nous ouvrons à Dieu et faisons appel à lui. Cependant, ce n’est pas ce thème qui retient ici notre attention. Nous voulons seulement mettre en évidence comment Agnès Sanford reconnaît la présence de Dieu et en quoi cette reconnaissance oriente sa prière. Pour cela, nous avons extrait de son livre deux textes significatifs (5
« Nous vivons en Dieu, c’est en lui que nous respirons. Que nous le voulions ou non, il en est ainsi. Mais nous absorbons plus ou moins de sa force de vie selon que nos âmes sont plus ou moins réceptives. Trop souvent, nous fermons nos ouïes spirituelles, sans les laisser, ou si peu, pénétrer par cette force, et notre chair demeure sans vie et semble comme se rétracter…. ». Ce processus d’affaiblissement et de rigidification a des conséquences pour notre santé.
« Le remède à tout cela, c’est plus de vie, plus de lumière.Et c’est là précisément ce que nous apportent nos prières pour la santé et nos actes de pardon, un afflux de lumière et de vie. Cette vie spirituelle stimule la circulation, libère dans le corps l’énergie naturelle. Elle accroit aussi la vigueur de notre pensée, elle la rend plus calme, forte de cette paix qui naît d’une activité non pas ralentie, mais augmentée. Et elle accroît aussi notre réceptivité spirituelle, en nous rendant sensible à l’action divine, non seulement au dedans de notre corps, mais dans le monde qui nous entoure ».
« A mesure que nos prières, jointes à notre discipline mentale et à nos actes de pardon, créent en nous le sentiment toujours plus vivant et plus assuré de la présence de Dieu en nous, nous sommes toujours plus sûrs de posséder une source intérieure où nous pouvons puiser à volonté et nous sommes toujours plus conscient aussi qu’il existe en dehors de nous une source de puissance ; c’est une influence qui nous protège et nous guide, qui enveloppe de sa bénédiction notre travail de chaque jour et qui conduit nos pas sur le chemin de la paix.
Comme on l’a dit : Dieu est à la fois transcendant et immanent. Et son immanence est la clé de sa transcendance. En d’autres termes, la lumière de Dieu brille en nous et hors de nous et c’est en apprenant à la recevoir en nous que nous commençons à l’apercevoir hors de nous.
Puisqu’il en est ainsi, cherchons le avec joie en dehors et au dedans. Comme chaque matin, nous sommes inondés de sa lumière, remplissons de même nos journées de sa suprême direction, de son secours, de sa protection. Rendons grâce de ce que sa puissance est à l’œuvre non seulement en nous, mais dans le monde qui nous entoure. Soyons reconnaissant pour la journée qui est devant nous et plaçons-la d’avance dans la lumière de l’amour divin… ».
Ainsi, pour Agnès Sanford, il y a interrelation entre Dieu et l’homme, et, en l’être humain, entre l’esprit et le corps. Quelques décennies plus tard, cette vision intégrée est éclairée par l’approche théologique de Jürgen Moltmann.. Dieu n’est pas éloigné et distant de notre expérience. Il est proche de nous, actif en nous et dans le monde. « Il y a immanence de Dieu dans l’expérience humaine et transcendance de l’homme en Dieu ». Dans le christianisme, « L’Esprit de Dieu est la puissance de vie de la résurrection qui, à partir de Pâques, est répandue sur toute chair pour la rendre vivante à jamais… le corps devient « le temple de l’Esprit Saint ». Comme Agnès Sanford, Jürgen Moltmann voit en Dieu une force agissante, une force de vie. « L’expérience de l’Esprit de Dieu est comme l’inspiration de l’air. L’Esprit de Dieu est le champ vibrant et vivifiant des énergies de la vie. Nous sommes en Dieu et Dieu est en nous. Les mouvements de notre vie sont ressentis par Dieu et nous ressentons les énergies vitales de Dieu »
Ainsi, lorsque nous prenons conscience de la présence de Dieu dans tout notre être, Christ en nous, nous pouvons prier non seulement en regardant à Dieu au delà de nous–même, mais aussi à partir de sa présence transformatrice en nous. Comme l’écrit, Agnès Sanford, « nous cherchons Dieu en dehors et en dedans ». Et nous recevons de Lui une vie abondante.
J H
(1 Dans une préface au livre majeur de Jean Staune : Staune (Jean). Notre existence a-t-elle un sens ? Presses de la Renaissance, 2007, l’astrophysicien, Trinh Xuan Thuanh, écrit : « En physique, après avoir dominé la pensée occidentale pendant trois cent ans, la vision newtonienne d’un monde fragmenté, mécaniste, déterministe a fait place à celle d’un monde holistique, indéterminé et débordant de créativité ». On pourra voir, entre autres : « La dynamique de la conscience et de l’esprit humain. Un nouvel horizon scientifique. D’après le livre de Mario Beauregard : « Brain wars », traduit en français : « les pouvoirs de la conscience » (2013) : http://www.temoins.com/la-dynamique-de-la-conscience-et-de-lesprit-humain-un-nouvel-horizon-scientifique-dapres-le-livre-de-mario-beauregard-l-brain-wars-r/
« Vers une nouvelle médecine du corps et de l’esprit. Guérir autrement : Thierry Janssen. La solution intérieure. Fayard, 2006) :
(2) « Assez curieusement, ma foi en notre Dieu, qui est puissance de vie, s’est développée à travers la découverte des nouvelles approches scientifiques qui transforment notre représentation du monde. Dans cette nouvelle perspective, j’ai compris que tout se relie à tout et que chaque chose influence l’ensemble. Tout se tient. Tout se relie. Pour moi, l’action de Dieu s’exerce dans une interrelation. Dans cette représentation, Dieu reste le même toujours présent et agissant à travers le temps (Odile Hassenforder. Sa présence dans ma vie »). Voir : « Dieu, puissance de vie » : https://vivreetesperer.com/?p=1405
(3) Moltmann (Jürgen). L’Esprit qui donne la vie. Cerf , 1999. Citations présentées dans cet article : p 24 et 123. Introduction à la pensée théologique de Jürgen Moltmann sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie » : https://lire-moltmann.com
(4) Dans la dernière édition du livre : « The Healing Light », Agnès Sanford est présentée en ces termes : « Agnès Sanford apparaît comme une enseignante et une praticienne majeure du ministère de guérison au sein de l’Eglise. Son message est même encore plus actuel aujourd’hui comme le don de guérison a gagné une large reconnaissance dans la communauté chrétienne toute entière. Ses écrits ont eu une grande influence sur le développement de ministères de guérison tels que ceux de Francis MacNutt et Ruth Carter Stapleton… ». On a pu la considérer comme « la grand-mère du mouvement de guérison ». On pourra consulter le site qui lui est dédié : http://heyjoi.tripod.com
(5) Sanford (Agnès). The Healing Light. Ballantine, 1983. Quelques années après sa première parution en 1947, le livre a été traduit en français : Sanford (Agnès). La lumière qui guérit. Delachaux et Niestlé, 1955 (Cette édition est épuisée , mais parfois accessible en occasion). Les deux citations : p 62 et 66 dans « The Healing light » ; p 66 et 70 dans « La lumière qui guérit » (Nous avons repris cette traduction).
Sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie », on pourra voir aussi :
« Quelle est notre représentation de l’être humain » :