Bienveillance humaine. Bienveillance divine : une harmonie qui se répand

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Lytta Basset : Oser la bienveillance

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         Nous avons en mémoire ou dans notre vécu immédiat, la présence d’une personne bienveillante. Et quand nous y pensons, nous ressentons paix et joie. Cette présence transforme notre perception des situations. Ainsi, lors d’un enterrement, j’ai souvenir d’un prêtre âgé qui accueillant chacun avec bonté, dans une conversation toute simple, a suscité un ressenti positif de la célébration. Je me rappelle une directrice de mon institut qui savait reconnaître et encourager le travail de chacun par des petits mots à l’occasion de telle ou telle production. Respectée par tous, elle facilitait le développement d’un climat de collaboration. Et, en famille, j’ai tant reçu de la bienveillance d’êtres chers qui m’ont permis de vivre et de me transformer. La bienveillance peut également se manifester dans des figures publiques et elle entraîne alors une ouverture des coeurs au delà des barrières sociales et religieuses. La bienveillance est communicative. Elle se répand. Contrairement à ce que peuvent penser ceux qui, pour des raisons religieuses ou philosophiques, ont une vision très sombre de la nature humaine, elle est reconnue par un grand nombre de gens, car elle correspond à une attente de leurs cœurs. Dans l’Evangile, Jésus ne dit-il pas ? : « Que votre lumière luise devant les hommes afin qu’ils voient vos bonnes œuvres et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux » (Mat 5.16).

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Lytta Basset : Oser la bienveillance

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         Une théologienne, Lytta Basset, vient de publier un livre : « Oser la bienveillance » (1). Il y a eu en effet dans la culture de la chrétienté, une représentation pervertie de la nature humaine dans la doctrine du péché originel. « Lytta Basset écrit la généalogie et l’impact de cette notion profondément nocive qui remonte à Saint Augustin et qui contredit les premiers Pères de l’Eglise. Elle montre comment ce pessimisme radical est totalement étranger à l’Evangile. Tout au contraire, les gestes et les paroles de Jésus nous appellent à développer un autre regard sur l’être humain, fondé sur la certitude que nous sommes bénis dès le départ et le resterons toujours. Appuyé sur le socle de cette bienveillance originelle, chacun de nous peut oser la bienveillance envers lui-même et envers autrui, et passer ainsi de la culpabilité à la responsabilité ».          Le livre de Lytta Basset ouvre de nombreuses pistes de réflexion sur notre héritage religieux, sur le problème du mal, sur la culpabilité et le péché, et sur la réalité de la bienveillance. Dans cette contribution, nous évoquerons l’approche de Lytta Basset dans sa description de la bienveillance et dans son commentaire d’épisodes de la vie de Jésus dans lesquels la bienveillance s’exprime et se répand.

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Lytta Basset : un chemin

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         Lytta Basset nous parle à partir de son histoire personnelle où elle a vécu, pendant des années, un enfermement : au départ, hantise de la question de la culpabilité, de la faute et du péché, et puis, à la suite d’« une violente irruption et invasion du mal jadis souffert », la préoccupation lancinante du mal commis ». « Autre préoccupation qui appartient à la préhistoire de ce livre : dans les déclarations publiques comme dans les accompagnements spirituels, je suis frappée par l’image négative que les gens ont d’eux-mêmes et des humains en général » (p 9). « Ma réflexion a donc eu pour point de départ mon propre malaise par rapport à la question du péché et à l’image désastreuse qu’elle nous avait donné de nous-mêmes » (p 9). « Nos contemporains ont un besoin brûlant d’être valorisés pour qui ils sont. Mais si la voix qu’ils entendent n’est pas celle d’un Dieu inconditionnellement bienveillant, faut-il s’en étonner ? J’ai trouvé utile de chercher du côté de ce qui, trop longtemps, a parasité la ligne. Je veux parler de ce dogme du péché originel qui, adopté au Vè siècle grâce à Saint Augustin, a « plombé » l’Occident de manière ininterrompue jusqu’au XXè siècle avec sa vision catastrophique de la nature humaine » (p 11) (2).

         Il y a dans ce livre un parcours particulièrement utile pour engager un processus de libération par rapport à des représentations qui emprisonnent et détruisent. A partir de cette perspective, Lytta Basset propose ensuite une vision nouvelle fondée sur son expérience de la relation humaine et sur sa lecture de l’Evangile.

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         Ainsi Lytta Basset nous invite à examiner les paroles et les comportements de Jésus. « Avec cette personne, je peux être moi-même… elle me voit comme quelqu’un de précieux et se réjouis que j’existe… Tel était le regard de Jésus sur chaque personne qu’il rencontrait, adulte ou enfant. Un regard tout à fait insolite, en ce qui concerne les enfants. C’est à cela, entre autres, que je le vois incarner la Bienveillance. A rebours de la mentalité de son époque, il les bénissait et les présentait comme les êtres les plus proches de Dieu, ceux dont l’image divine est la plus perceptible à qui sait regarder » (p 313) (3). Et, à contre-courant de l’état d’esprit dominant, Jésus porte également « un regard inconditionnellement bienveillant sur l’adulte dysfonctionnant en rupture de relation, « pécheur » (p 316).

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Vivre et reconnaître la bienveillance.

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         Mais comment Lytta Basset envisage-t-elle la bienveillance ? « Etre bien-veillant, c’est veiller sur quelqu’un dans une bonne intention, lui vouloir du bien sans lui imposer quoique ce soit ».

« Jamais une abstraction… la Bienveillance s’expérimente entre nous bien avant que nous en ayons conscience. Et sans avoir besoin que nous nous déclarions croyants. Elle se contente de nous pousser chaque jour à être attentifs à cette bienveillance que nous vivons de la part d’autrui et/ou à l’égard d’autrui » (p 317). De fait, lorsqu’elle parle de la Bienveillance avec un grand B, Lytta Basset y voit une manifestation de Dieu : « Je mets la majuscule quand je désire me laisser habiter et traverser par le regard du Tout-Autre. Sans m’imaginer que j’en suis l’initiatrice… Il me saute aux yeux qu’elle vient d’ailleurs en ces occasions où je ne l’attendais pas du tout : quand je m’entends et me perçoit bienveillante envers une personne qui m’avait contrariée, mise hors de moi, traitée en ennemie » (p 317-318). Dans les moments difficiles, « un bon entraînement est à notre portée : être attentif à la bienveillance qui circule entre les autres, y compris les inconnus, et dont nous sommes témoins tous les jours, dans la rue, le train, se réjouir de cette Bienveillance qui s’immisce dans nos relations incognito, suppléant inlassablement à nos carences individuelles… » (p 319)

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La Bienveillance : Jésus dans les évangiles.

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         C’est ainsi que Lytta Basset est amenée à nous présenter un commentaire éclairant de plusieurs textes des évangiles : Luc 19, 1-10 ; Luc 5, 17-26 ; Jean 8, 1-11.

         Elle nous montre la Bienveillance à l’oeuvre et cette vision renouvelle notre lecture. Ainsi commente-t-elle la rencontre « fortuite » de Jésus avec Zachée : à elle seule, la Bienveillance dont Jésus est porteur va inciter son vis-à-vis à reprendre le chemin de la relation et devenir responsable de ses actes !

         Le récit fait partie d’une section qu’on a appelé « l’Evangile des exclus », de toutes ces personnes considérées comme irresponsables… » (p 319) (4). « Cela se passe à Jéricho. Jésus vient de guérir un aveugle qui l’a appelé au secours. Juste après, « voilà qu’un autre homme : Zachée, cherche aussi à voir Jésus. La similitude me frappe : tous les deux sont des exclus, parce que des « pécheurs »… or tous les deux sont en demande, plus ou moins consciente, plus ou moins explicite, de relation » (p 319-320). « La Bienveillance qui traverse la ville, ce jour là, va faire fond sur le désir d’un homme Zachée, qui « cherchait (simplement) à voir qui était Jésus » (p 320).

         Lytta Basset nous invite donc à reconnaître dans cette rencontre différents aspects de la bienveillance : « La bienveillance à l’affût du désir d’autrui. Une bienveillance qui traite d’égal à égal. Une bienveillance désireuse de relations qui durent. Une bienveillance qui pousse à des actes responsables. Une bienveillance qui accueille autrui dans les limites du moment. Une bienveillance qui rend clairvoyant. Une bienveillance qui réveille en l’humain sa capacité relationnelle. Une bienveillance qui fait lâcher culpabilité et perfectionnisme. Une bienveillance restauratrice du tissu social… » (p 321-335) ». Ces titres évocateurs balisent le commentaire du texte de Luc qui décrit la rencontre entre Jésus et Zachée. A travers cette grille de lecture que nous pouvons nous aussi appliquer à ce texte, Lytta Basset excelle à nous montrer les éclairages qu’on peut y découvrir. Ecoutons par exemple ce qu’elle écrit à propos de « la bienveillance qui traite d’égal à égal ». Dans sa rencontre avec Zachée, elle voit en Jésus une parfaite humilité « comme pour mieux nous encourager à nous identifier avec lui : n’importe quel être humain, marqué dans sa plus grande humanité du sceau de la Bienveillance, peut offrir à un semblable, aussi emmuré soit-il, son propre désir de lien, peut se mettre à la « recherche » en lui, de « ce qui était perdu » pour la relation, le sauver du repli mortel sur lui-même. Quand nous faisons cela, nous ne faisons que laisser la Bienveillance agir à travers nous : plus nous sommes humains (fils et fille de l’humain) et tendons la perche aux autres, plus nous incarnons ce Dieu qui est en démarche constante de relation » (p 323).

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Un livre pionnier

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         Ce livre ouvre notre regard. En phase avec le tournant des sciences humaines qui découvrent en l’homme un potentiel positif (5), dans une période où un changement profond intervient dans les mentalités, où la prégnance des enfermements du passé est en voie de décrue, Lytta Basset prend appui sur son expérience spirituelle et sur une lecture renouvelée des textes bibliques pour mettre en valeur la bienveillance, une manière d’être, de sentir et d’agir, qui a toujours existé, mais qui, aujourd’hui, répond à une aspiration nouvelle telle qu’on peut l’entendre aujourd’hui dans des expressions de convivialité ou des démarches collaboratives (6).

         Il y a aussi aujourd’hui une quête spirituelle de plus en plus répandue (7). En regard, le livre aborde très concrètement des questions existentielles majeures. La réponse se situe dans une approche relationnelle (8). « Ce qui concerne par dessus tout les auteurs bibliques, c’est d’être en lien avec le Vivant, de l’écouter et de l’entendre pour s’orienter dans la vie » (p 230). La relation avec Dieu va de pair avec la relation avec les humains. Le mal se trouve là où la relation est en péril ou interrompue, dans des situations énoncées par Lytta Basset en terme « d’enfermement, d’errance, d’aveuglement, de maladie, de division, d’exclusion, d’idolâtrie, de dette.. ». L’exigence, c’est de « ne pas nous couper les uns des autres »  (p258).

         Ce livre embrasse un champ très vaste. L’auteur a donc effectué un grand travail de documentation et de synthèse. Certains points peuvent parfois être discutés, mais ce qui compte ici, c’est le mouvement et l’état d’esprit. Ce livre ne parle pas seulement à notre intelligence,  il parle également à notre cœur. Et en élargissant notre vision, il nous libère de nos limites et de nos enfermements. C’est une ressource dans laquelle on peut venir et revenir puiser.

         Nous avons orienté cette contribution sur un des aspects du livre qui en est aussi l’inspiration directrice : la bienveillance. Quand nous interrogeons notre mémoire, il nous vient de multiples échos d’une bienveillance reçue qui a engendré et engendre encore aujourd’hui paix et joie. Au cœur de nous même, nous savons en vérité qu’accueillir la Bienveillance, la manifester envers ceux qui nous entourent dans un regard, dans un sourire, dans un geste, c’est nous sentir en harmonie avec Dieu, avec les humains, avec nous-même et percevoir le bonheur d’être qui réside dans cette harmonie.

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J.H.

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(1)            Basset (Lytta). Oser la bienveillance. Albin  Michel, 2014

Présentation du livre par Lytta Basset en vidéo : http://www.albin-michel.fr/Oser-la-bienveillance-EAN=9782226253880

Lytta Basset est une théologienne réputée qui ouvre de nouveaux horizons : http://fr.wikipedia.org/wiki/Lytta_Basset

(2)            Dans un livre sur la post chrétienté, Stuart Murray décrit bien le tournant intervenu au Vè siècle à la suite de la théologie d’Augustin d’Hippone (doctrine du péché originel et conception très sombre de l’humanité) et aussi le devenir de l’Eglise comme pouvoir. Sur le site de Témoins, voir : http://www.temoins.com/etudes/faire-eglise-en-post-chretiente.html

(3)            « Découvrir la spiritualité des enfants. Un signe des temps ? » : http://www.temoins.com/etudes/decouvrir-la-spiritualite-des-enfants.-un-signe-des-temps/toutes-les-pages.html  Depuis une quinzaine d’années, on constate un tournant dans le regard concernant la spiritualité des enfants. La recherche met en évidence la dimension spirituelle de l’enfant, ainsi la recherche de Rebecca Nye : Nye (Rebecca). Children’s spirituality. Church House publishing, 2004. Des théologiens trouvent une inspiration dans les paroles de Jésus sur les enfants. Sur ce blog : « L’enfant : un être spirituel » https://vivreetesperer.com/?p=340

(4)            Sur ce blog : « Dedans…dehors ! Face à l’exclusion, vivre une commune humanité ! ». Entre autres, une réflexion sur Jésus et le phénomène de l’exclusion, par le théologien : Jürgen Moltmann. https://vivreetesperer.com/?p=439

(5)            En février 2011, le magazine : « Sciences Humaines » publie un dossier sur le « Retour de la solidarité, empathie, altruisme, entraide ». Sur ce blog : « Quel regard sur la société et sur le monde. Un changement de perspective » : https://vivreetesperer.com/?p=191 Un livre de Jérémie Rifkin : Rifkin (Jérémie). Vers une civilisation de l’empathie. Les liens qui libèrent, 2011. Après une critique sévère et utile des thèses opposées, comme celle de Freud, Jérémie Rifkin met en évidence des tendances convergentes vers une montée de l’empathie. Sur le site de Témoins, une mise en perspective : http://www.temoins.com/etudes/vers-une-civilisation-de-l-empathie.-a-propos-du-livre-de-jeremie-rifkin.apports-questionnements-et-enjeux.html Le livre de Jacques Lecomte sur la bonté humaine est plusieurs fois cité par Lytta Basset : Lecomte (Jacques). La bonté humaine. Altruisme, empathie, générosité. Odile Jacob, 2012. https://vivreetesperer.com/?p=674

(6)            Novel (Anne-Sophie), Riot (Stéphane). Vive la CO-révolution. Pour une société collaborative. Alternatives, 2012. Mise en perspective sur ce blog : « Une révolution de l’être ensemble » : https://vivreetesperer.com/?p=1394

Sur le site de Témoins : « Emergence d’espace conviviaux et aspirations contemporaines : http://www.temoins.com/index.php?option=com_content&view=article&id=1012&catid=4

(7)            La manière dont la quête spirituelle se développe et s’oriente aujourd’hui est mise en évidence par Frédéric Lenoir dans son livre : « Chemin de guérison ». Mise en perspective sur ce blog : « Un chemin de guérison pour l’humanité. La fin d’un monde. L’aube d’une renaissance » : https://vivreetesperer.com/?p=1048

A travers une recherche méthodique, Davif Hay met en évidence la dimension spirituelle de l’homme : Hay (David). Something there. The biology of human spirit. Darton, Longman and Todd, 2006. « La vie spirituelle comme une conscience relationnelle » : mise en perspective sur le site de Témoins : http://www.temoins.com/etudes/la-vie-spirituelle-comme-une-conscience-relationnelle-.-une-recherche-de-david-hay-sur-la-spiritualite-aujourd-hui./toutes-les-pages.html. Sur ce blog: « Les expériences spirituelles » : https://vivreetesperer.com/?p=670

(8)            Cette approche relationnelle est également développée dans la pensée théologique de Jürgen Moltmann. Sur ce blog : « Dieu suscite la communion » : https://vivreetesperer.com/?p=564

« Amitié ouverte » : https://vivreetesperer.com/?p=14 Voir une présentation de la pensée de Jürgen Moltmann sur le blog : L’Esprit qui donne la vie : http://www.lespritquidonnelavie.com/

Pour poursuivre notre méditation sur la bienveillance, on pourra se reporter à plusieurs contributions sur ce blog, entre autres :

« Développer la bonté en nous : « un habitus de bonté » ».

https://vivreetesperer.com/?p=1838

« Comme les petits enfants ».

https://vivreetesperer.com/?p=1640

« Entrer dans la bénédiction ».

https://vivreetesperer.com/?p=1420

« La beauté de l’écoute ».

https://vivreetesperer.com/?p=1219

« Geste d’amour ».

https://vivreetesperer.com/?p=1204

L’intelligence collective

https://images-na.ssl-images-amazon.com/images/I/41KnLJgd0WL._SX312_BO1,204,203,200_.jpgUne inspiration motrice pour l’avènement d’une société post- capitaliste.

Un processus en développement selon Jean Staune

Avec le changement des modes de communication suscités par le développement d’internet, nous entrons dans une mutation de la société et de l’économie. Les conséquences se manifestent dans tous les domaines. Ainsi, à travers internet, les intelligences humaines sont en situation de pouvoir  converger. Au début de ce nouveau siècle, dans son livre : « World philosophie » (1), Pierre Lévy voit là le départ d’une intelligence collective. Quelques années plus tard, en 2004, aux Etats-Unis, paraît un livre de James Surowieki : « The wisdom of crowds » (2), traduit par la suite sous le titre : «La sagesse des foules » (3). Si les foules peuvent s’égarer, il y a aussi une avancée possible dans une prise en compte avisée du collectif. Bien gérée, une expression d’avis multiples peut se révéler beaucoup plus pertinente dans l’observation et la prévision que des expertises isolées. Un groupe d’individus multiples, variés est en mesure de prendre de meilleures décisions et de faire de meilleures prédictions que des individus isolés et même des experts. Certaines conditions doivent être réunies comme la diversité des participants, l’indépendance dans leur expression et un mode efficient d’agrégation des opinions.

La recherche sur l’intelligence collective se poursuit, notamment au MIT (Massachusetts Institute of technology) et elle a mis en évidence des résultats spectaculaires. Dans un livre récent, Emile Servan-Schreiber nous montre « la nouvelle puissance de nos intelligences » en terme marqué : « Supercollectif » (4). Il y a bien « Une force de l’intelligence collective » (5). Et nous en découvrons aujourd’hui toute l’originalité.

Ainsi, « l’intelligence d’un groupe n’est pas d’abord déterminé par le degré d’intelligence de ses membres, mais par la sensibilité aux autres (communication non verbale) et par l’équité du temps de parole qui tient un rôle capital. Les femmes enregistrent dans ce domaine, un score supérieur aux hommes. C’est dans les groupes où le nombre de femmes est le plus représenté que les scores sont les meilleurs » (6). Il y a là une leçon plus générale puisqu’elle met en valeur l’importance de la qualité des relations.

Emile Servan-Scheiber rappelle les fondamentaux du processus de l’intelligence collective. « Il y faut beaucoup de diversité ». Les biais individuels de chacun vont s’annuler à travers la confrontation  en permettant ainsi au meilleur d’émerger. « Il faut beaucoup d’indépendance d’esprit ». « Il faut récolter beaucoup d’information. Il faut agréger tout cela de façon objective… ». L’intelligence collective peut ainsi amener des transformations importantes. Ainsi, « il est établi que les entreprises les plus innovantes sont celles qui impliquent le plus d’employés dans l’effort d’idéation pour trouver de nouvelles idées ».

Dans son nouveau livre : « L’intelligence collective, clé du monde de demain » (7), Jean Staune rapporte comment, dans une approche d’intelligence collective, de nouvelles entreprises sont en train d’apparaître et de grandir, prémices d’une économie et d’une société post-capitaliste. Jean Staune est un pionnier et un découvreur (8). A travers la création de l’Université interdisciplinaire de Paris et la publication de plusieurs livres, il a ouvert une relation féconde entre sciences, religions et spiritualités. Mais enseignant et expert dans le domaine du management, et aussi penseur interdisciplinaire, il développe également une pensée prospective dans le champ de la vie économique et sociale. Ainsi, en 2015, son livre : « les clés du futur » (9) nous a permis d’entrer dans la compréhension de la mutation de la vie économique et sociale. Ce nouveau livre sur la mise en œuvre de l’intelligence collective dans des entreprises innovantes, se focalise dans un champ plus précis, le terrain où une nouvelle approche économique est en train de voir le jour et d’induire l’apparition d’une économie « post-capitaliste ». Au travers d’un livre de Jacques Lecomte (10), nous savions déjà comment des entreprises humanistes et conviviales se développent aujourd’hui et témoignent d’un état d’esprit nouveau. Ce livre de Jean Staune nous montre également qu’une nouvelle économie est en train de naître à travers des entreprises innovantes.

« Libérées », « conscientes », « apprenantes », inclusives », « hybrides », de nouvelles entreprises voient le jour, qui permettent de se réaliser en favorisant la créativité et en développant l’intelligence collective. Elles tiennent compte de toutes les parties prenantes concernées par leurs activités, et non des seuls actionnaires, et créent une triple valeur ajoutée : humaine, économique et environnementale… Une autre forme de capitalisme, d’organisation du travail, d’économie de marché est donc plausible » (couverture).

 

Face à un monde incertain, un monde « VUCA »

 Jean Staune évoque d’abord le contexte dans lequel ces entreprises apparaissent. C’est une société en pleine mutation qui se caractérise par une complexité croissante. Grâce à sa culture scientifique, Jean Staune nous apporte des connaissances qui nous permettent d’analyser les situations auxquelles les entreprises et nous-mêmes, sommes aujourd’hui confrontés, ce qui, face à une complexité croissante, requiert d’autant plus une intelligence collective.

Jean Staune nous parle ainsi d’un « monde VUCA » (p 62) . « VUCA est un acronyme pour volatility (« volatilité »), uncertain (« incertitude »),  complexity (« complexité ») et ambiguity (« ambiguité »). Ce terme rend compte d’un ensemble de caractéristiques du monde d’aujourd’hui qui peuvent être envisagés à partir de concepts appartenant à la nouvelle vision scientifique, celle qui s’est substituée à une approche déterministe, envisageant l’univers « comme une grande mécanique réglée par des lois immuables où n’existait aucun espace de liberté » (p 49).

° « Volatilité : notre monde est beaucoup plus sensible que le monde d’hier aux effets papillon, aux disruptions, aux ruptures brutales que constituent les bifurcations.

° Incertitude : la physique quantique nous montre qu’il existe une incertitude irrémédiable à la base de notre compréhension du réel. Le théorème de Gödel introduit une forme d’incertitude dans la logique mathématique en montrant son incomplétude. Cela nous permet de mieux comprendre et percevoir l’incertitude du monde que si nous avions gardé nos « lunettes » classiques.

° Complexité : nous avons montré comment la complexité du monde s’était fortement accrue, comment se multiplient autour de nous les boucles de rétroaction et les phénomènes d’auto-organisation qui rendent certains processus de décision purement et simplement impossibles à décrire.

° Ambiguïté : la physique quantique nous montre que quelque chose peut occuper deux états contradictoires en même temps. Elle met fin aux catégories classiques où les états de chose étaient bien séparés… Cette ambiguïté est partout… » (p 62-63).

« La complexité du monde actuel accroit l’incertitude. Nous participons à une mutation mondiale au moins équivalente à celle du passage du monde agraire au monde industriel, mais qui se déroule sur un rythme beaucoup plus rapide. Bien entendu, cette situation ne peut manquer d’engendrer de la crainte et du stress… Mais il faut bien comprendre qu’il n’y a jamais eu autant d’opportunités dans l’histoire humaine, car les bifurcations et les effets papillon peuvent se produire à la hausse comme à la baisse… » (p 64).

 

L’entreprise, un levier pour la transformation du système économique.

Si l’économie capitaliste a remporté un certain nombre de succès, on en perçoit aujourd’hui les limites et les travers. Dans la mutation actuelle, des dangers redoutables apparaissent tant sur le plan social que sur le plan écologique. « Une véritable refonte du système économique » est indispensable. Ne peut-elle pas advenir à partir même d’une transformation des unités qui assurent la production, des entreprises ? Jean Staune prône la mise en place d’une nouvelle forme de capitalisme « qui intègre l’intérêt de toutes les parties prenantes (stakeholders) et non seulement l’intérêt des actionnaires, des salariés, des clients et des fournisseurs de la firme » (p 27). « Hier, l’entreprise devait faire des profits pour ses actionnaires tout en fabricant de bons produits pour satisfaire ses clients. Demain, on ne demandera pas seulement à l’entreprise de respecter l’intérêt des différents parties prenantes concernées par son activité et de respecter l’environnement, mais aussi d’avoir une contribution sociale positive » (p 27).

« Ces exigences sont fortes, mais face à la pression du changement, c’est l’entreprise qui est la plus capable de réagir » (p 27). Aujourd’hui, l’horizon s’étend. C’est bien le cas à travers la Révolution numérique qui relie des centaines de millions, aujourd’hui des milliards d’internautes. Aujourd’hui, 3,5 milliards de requêtes sont adressées quotidiennement au navigateur Google. 4 milliards de vidéos sont consultées chaque jour sur You Tube » (p 16). Ainsi, les barrières s’abaissent, les cloisonnements s’effacent. On prend conscience de la globalité. C’est bien en ce sens qu’apparaît l’intelligence collective. Et, dans le même mouvement, les systèmes pyramidaux s’effondrent. « Il faut donc mettre en place la subsidiarité, c’est à dire permettre aux salariés à tous les niveaux hiérarchiques de prendre eux-mêmes des décisions sur un certain nombre de questions les concernant directement. Le rôle du dirigeant devient celui d’un chef d’orchestre » (p 30). « L’entreprise de demain se doit de développer son intelligence collective en interne pour augmenter son agilité, sa réactivité, son adaptabilité à un monde de plus en plus mouvant tout en développant en externe un véritable écosystème, qui, par son existence même, soutiendra le développement harmonieux de l’entreprise et assurera la fidélité, voire, osons le mot, l’amour de tous les acteurs du système envers elle » (p 20). Dans cet ouvrage, Jean Staune se focalise donc sur un domaine précis : « celui de la réforme de l’économie de marché et du capitalisme grâce à l’action et au développement d’un nouveau type d’entreprise » (p 34). Et, pour cela, il nous montre que des démarches crédibles existent déjà partout autour de nous et qu’elles peuvent apporter des résultats parfois extraordinaires ».

 

Les pionniers d’une nouvelle économie

Tout au long de son livre, Jean Staune égraine des portraits d’entrepreneur qui ont inventé de nouvelles manières de faire entreprise. En vendant des glaces, l’entreprise Ben and Jerry’s innove dans les approvisionnements et les relations humaines. « Ben and Jerry’s a ainsi posé les bases concrètes de la fameuse « théorie des parties prenantes » selon laquelle l’entreprise doit prendre en compte son impact global sur la société et essayer de le positiver au maximum pour toutes les parties prenantes et pas seulement ses clients, ses salariés, ses actionnaires » (p 69). De même, un militant écologiste, John MacKay, en créant les magasins bio : « Whole Foods Market » va aider l’agriculture biologique à se développer, et, contrairement à la gestion décentralisée généralement adoptée, il donne à ses équipes une grande autonomie tant pour les achats que pour les ventes (p 69-71).

On peut développer un capitalisme qui cherche autre chose que le profit. Jean Staune cite l’exemple du commerce équitable. Il met en évidence l’approche de Mohammed Yunus, prix Nobel de la paix, promoteur du microcrédit pour les pauvres et aussi du « social business ». En France, voici la manière dont Bertrand Martin redresse l’entreprise Sulzer Diésel France en permettant au personnel  d’entrer dans une approche commune de réflexion et de proposition. La mise en œuvre de cette intelligence collective a non seulement sauvé l’entreprise, mais lui a donné une grande impulsion (p 78-80). Dans une autre entreprise, une fonderie du nom de Favi, le nouveau directeur, François Zabrist, a libéré les travailleurs d’une tutelle tatillonne. « Le coût du contrôle est supérieur au coût du non contrôle » Il a donné aux équipe une autonomie leur permettant de répondre rapidement aux besoins des clients dans un secteur, celui de la sous-traitance automobile où le « juste à temps » est une exigence des constructeurs (p 81-84).

Dans toutes ces entreprises, il y a un esprit commun que Jean Staune rapporte en ces termes : « Ainsi se dessine le profil de l’entreprise capable d’être anti-fragile et de surfer sur la complexité. Une telle entreprise tient compte de toutes les parties prenantes impactées par son activité. Elle développe à tous les niveaux l’intelligence collective et la subsidiarité. Elle met en place des logiques d’économie circulaire, d’économie de la fonctionnalité, d’écologie positive. Elle ne se contente pas de polluer moins, mais veut restaurer son environnement tout en fonctionnant. Elle est toujours en mouvement, capable d’être là où personne ne l’attend, capable de se réinventer » (p 209).

 

Une transformation qui se répand jusque dans une grande entreprise traditionnelle : l’Office Chérifien des Phosphates

Ainsi, on peut entrevoir une transformation en train de s’opérer dans certaines entreprises. C’est un changement d’état d’esprit et ce changement commence à se répandre. Il gagne parfois des lieux où l’on ne l’y attendrait pas. Et c’est ainsi que Jean Staune nous fait connaître le changement en train de se réaliser dans une grande entreprise d’état marocaine : l’Office chérifien des phosphates.

Le phosphate est un des composants les plus importants des engrais. C’est donc une ressource majeure et le Maroc possède les plus grandes  ressources mondiales prouvées de phosphates.

C’est dire la place considérable que l’Office Chérifien des phosphates a pris dans la vie du Maroc. Or, l’Office Chérifien des Phosphates était une structure hiérarchique, « une organisation quasi militaire » (p 115). « L’entreprise souffrait d’un double manque de communication, à la fois transversale et verticale… Focalisée sur les ventes et non sur les marges, l’entreprise était en bien mauvaise situation financière » (p116-117). C’est alors, en 2006, qu’un entrepreneur novateur, Mostafa Terrab est arrivé et a engagé un processus de transformation globale de l’entreprise. Dans ce livre, Jean Staune consacre plus de cent pages à une étude de cas de cette innovation.

Qu’est-ce qui rend ce cas si intéressant ? Tout d’abord, l’ampleur de la transition qui se déroule au sein de cette entreprise. Il y a seulement une dizaine d’années, son organisation et son management en étaient à un stade pré-moderne, et elle a du effectuer une transition (qui est toujours en cours) vers le monde moderne, tout en se lançant d’une façon particulièrement intense dans une transition vers le monde post-moderne… Ensuite, parce que cette entreprise, qui est le premier exportateur du Maroc, joue un rôle social important. Mais la façon dont s’effectue cette redistribution est en train de changer radicalement. Selon la fameuse formule, elle évolue de « donner du poisson à quelqu’un » à « lui apprendre à pécher ». Enfin, ces deux grandes branches d’activité : l’extraction des minerais d’un côté, la production industrielle d’engrais de l’autre, ont un impact très important sur l’environnement. Or l’entreprise vise désormais, malgré le caractère chimique d’une grande partie de ses activités, à être exemplaire dans ce domaine. Ainsi, l’entreprise « coche toutes les cases » que nous avons mentionnées comme étant les caractéristiques de l’entreprise de demain : prendre en compte toutes les parties prenantes,  libérer l’intelligence collective, développer le « bonheur au travail » en interne, intégrer les questions environnementales et l’économie circulaire » (p 112)

Jean Staune va donc nous raconter les multiples facettes de cette transformation, les innovations qui s’y succèdent, la libération de l’intelligence collective à travers un nouvel espace où les énergies peuvent se déployer : « le Mouvement » apparu en 2016 (p 121). Les intentions : « être de plus en plus une entreprise apprenante (ou plus exactement une entreprise d’apprenants), être une entreprise digitale, enfin être une entreprise mondiale. Les deux premières intentions poussent clairement à une très forte transformation culturelle de l’entreprise ». L’entité de base du mouvement s’appelle « la Situation ». « La Situation est un groupe d’étude et de proposition qui se saisit lui-même d’un sujet pour faire une proposition concrète, et ce, dans n’importe quel domaine qui concerne l’entreprise » (p 122-123). Les groupes élaborent des propositions –

A travers cette étude de cas, qui occupe une place majeure dans ce livre, Jean Staune nous entraine dans la compréhension d’un processus riche en inventions, en transformations. Pour notre compréhension, il y ajoute des outils d’analyse. Ainsi, il nous apprend à voir dans cette grosse entreprise, l’existence de différents niveaux de réalité qui se côtoient :

« ° Le niveau de l’entreprise pré-moderne et bureaucratique

° Le niveau de l’entreprise moderne et la recherche de l’information, du big data et du contrôle en temps réel

° L’entreprise post-moderne basée sur la créativité : le Mouvement, l’autre organisation…

° L’université qui se situe dans une dimension totalement différente de l’entreprise, tout en interagissant en permanence avec elle, comme les différents niveaux de la réalité (par exemple : quantique, mécanique et virtuel) interagissent entre eux

° Les fondations et associations comme l’école 1337 ou encore un Think Tank comme le « Policy Center » (p 208-209)

 

Le potentiel de l’intelligence collective

 Face aux enjeux des mutations économiques, politiques et sociales en cours, Jean Staune met en valeur le potentiel de l’intelligence collective. Il intervient ici dans une conjoncture marquée par l’actualité, notamment par les revendications des gilets jaunes concernant le référendum d’initiative citoyenne et le débat entre philosophes sur l’évolution de la société. Toute conjoncture comporte des aspects immédiats et passagers qui peuvent susciter des humeurs.

Nous nous bornerons ici à mettre en valeur les grandes orientations qui se dégagent de ce livre.

En abordant la question de l’intelligence collective, Jean Staune en rappelle les conditions permettant d’éviter les dérives possibles à partir d’un livre de Patrick Scharnitzky : « Comment rendre le collectif (vraiment) intelligent » (p 237). On peut y ajouter que le bon fonctionnement de l’intelligence collective dans certaines entreprises est lié au climat qui règne dans celles-ci. Alors que dans un contexte social plus global, les passions sont beaucoup plus vives et dérégulantes. Des dispositions particulières sont nécessaires.

Dans ce chapitre, Jean Staune présente trois études de cas d’entreprises françaises où les performances en matière d’intelligence collective sont remarquables : le groupe Innov on  et la société Chronoflex dirigés par Alexandre Gérard, Clinitex dirigé par Thierry Pick, et la Camif dirigé par Emery Jacquillat (p 242-267).

La société Chronoflex intervient dans un marché de niche : la réparation de flexibles hydrauliques sur des chantiers. En 2009, à la suite de la crise, l’entreprise se retrouve dans une situation difficile. Son directeur, Alexandre Gérard, s’interroge, entend parler des entreprises libérées, et s’engage dans un processus de consultation qui débouche sur une réorganisation de l’entreprise : autonomie des équipes, conception nouvelle des responsables vers une approche d’animation, multiplication et diversification des responsables, processus de décision collective dans la conduite de l’entreprise et la définition des stratégies. Un tel changement passe aussi par une transformation du dirigeant de l’entreprise : Alexandre Gérard (11)

A Clinitex, Thierry Pick a développé son entreprise en se fondant à la fois sur une relation de proximité avec le client et un grand respect pour la personne humaine. Les collaborateurs participent à une procédure d’autoévaluation partagée et interviennent dans le recrutement. Les agences ont une grande autonomie. La rémunération n’est pas basée sur les résultats, mais sur la responsabilité. L’écart maximum de salaire est de 1 à 12 entre le « balayeur de base » et le dirigeant. Clinitex démontre qu’on peut être une entreprise à taille humaine avec plusieurs milliers de personnes.

En 2009, Emery Jacquillat « s’est lancé  dans un pari énorme : reprendre la CAMIF, l’ancienne centrale d’achat de la mutuelle des instituteurs qui venait de faire une faillite retentissante ». « Il s’agissait d’une grosse structure bureaucratique à l’ancienne . Emery Jacquillat n’avait aucune légitimité particulière à agir dans ce milieu. Il savait qu’il ne pouvait réussir sans l’existence d’un microsystème autour de l’entreprise. Il met en place un blog pour expliquer qui était la nouvelle équipe et surtout demander : « Qu’est-ce que les clients et le fournisseurs veulent que soit cette entreprise ? » C’est comme ça qu’a émergé, à une époque où elle était encore beaucoup moins à la une des médias, l’idée du « made in France ». Aujourd’hui, 73% du chiffre d’affaires provient des produits fabriqués en France, un chiffre absolument unique dans un secteur comme celui de l’ameublement, de la literie et des fournitures de maison » (p 259-266). Pour réussir, la CAMIF a mis en place graduellement toute une série de mécanismes pour co-construire ses produits. A tous les niveaux, on cherche à « créer du lien entre les hommes » Les collaborateurs comme les clients sont engagés dans une démarche participative. Et, par exemple en 2015, l’entreprise a décidé que le budget 2016 serait établi par un groupe de salariés bénévoles. L’exercice a réussi et suscité une grande motivation.

L’intelligence collective n’est pas un rêve. Ce n’est pas une idéologie. « Les extraordinaires aventures économiques et humaines que représentent Innov on, Clinitex, La CAMIF, les propos d’Alexandre Gérard, de Thierry Pick et Emery Jacquillat nous fournissent les réponses principales aux critiques des démarches d’entreprises libérées et d’intelligence collective. L’intelligence collective, ça marche ».

 

Vers une société nouvelle

Ce livre nous montre comment le système économique peut changer de l’intérieur. Il y a une évolution des mentalités. L’angle de la vision s’élargit. Les barrières s’affaissent. De plus en plus, on pense globalement. Des lors, peuvent apparaitre des entreprises « inclusives ». Ces entreprises ouvrent la voie à une société post-capitaliste. Si les expérimentations sont encore peu nombreuses, elles sont concluantes et participent à un mouvement qui s’amplifie.

Alors, dans un monde inquiet, menacé par le dérèglement climatique, traversé par des crispations et des tumultes politiques, Jean Staune nous ouvre une piste : l’émergence d’une intelligence collective dans une société participative.

A l’heure ou certains envisagent l’effondrement de nos sociétés, Jean Staune trace une voie. « Pourquoi je ne suis pas collapsologue ? Ce n’est pas par un optimisme béat. Tout ce que nous avons vu au cours de ce livre soutient avec force cette affirmation. Oui, il y a une énergie incroyable au fond de nous, l’énergie de l’intelligence collective qui a été, pour l’instant, si peu employée dans l’histoire humaine que nous pouvons justement être certain qu’elle recèle un potentiel incroyable… Tous les exemples que nous avons développés dans ce livre le montrent : il est possible d’effectuer des progrès inimaginables aux yeux des experts quand de simples personnes sans formation, mais avec une bonne connaissance de terrain, mettent leur intelligence en commun » (p 298).

Dans une nouvelle étape, on peut envisager que les réseaux sociaux démultiplient l’exercice de cette intelligence collective. «  Les réseaux permettent de créer des outils fondamentaux pour le monde de demain, comme le montre déjà l’exemple de Wikipedia… Comme le dit Vincent Lenhardt, grâce à nos réseaux sociaux, cette capacité d’intelligence collective est en train de réaliser « un véritable saut quantique ». Cette « Noosphère » envisagée par Teilhard de Chardin, cette « éruption » d’intelligence et de créativité, rendue possible par la connexion de tous les esprits de la planète, est aujourd’hui « à la portée de la main » (p 399). Oui, dans les remous actuels, Jean Staune sait voir ce qui est en train de se construire. « Face à toute cette montée du populisme, de toutes ces démonstrations de bêtise collective, à ces rumeurs qui se répandent », il voit « ces fragiles petites flammes qui s’élèvent ici et là et qui sont constituées de toutes les expériences que nous avons décrites ici » (p 301). C’est un commencement.

 

Emergence

Au fil de son œuvre intellectuelle et militante, Jean Staune nous apparaît comme un pionnier, un défricheur, un visionnaire. Dans son livre précédent : « les clés du futur (9), il réalisait une grande synthèse à partir de laquelle il mettait en évidence une voie de transformation économique et sociale. Ce nouveau livre sur l’intelligence collective a été écrit plus rapidement dans une période où l’actualité était agitée par les manifestations des gilets jaunes. L’auteur commente cette actualité. Il prend part au débat. On peut ne pas le suivre dans telle ou telle opinion. Mais, toujours, on se réjouit de voir qu’il apporte un fil conducteur pour voir plus grand, plus loin.

L’intelligence collective, c’est aussi une voie nouvelle à explorer dans le domaine politique. Et, justement, nous venons d’apprendre qu’une grande innovation est en train de se mettre en place aujourd’hui en ce domaine : la création  d’une « assemblée citoyenne pour le climat » fondée sur une mise en œuvre d’intelligence collective (12). C’est un évènement majeur. Cependant, nous avons centré notre analyse de ce livre sur la transformation du système économique.

Au terme de son livre, Jean Staune évoque Teilhard de Chardin dans sa vision annonciatrice de la « noosphère ». Comment ne pas y associer aujourd’hui la pensée théologique de Jürgen Moltmann dans sa vision d’un Esprit créateur partout à l’œuvre (13). C’est un éclairage qui nous parait en phase avec les dimensions nouvelles qui apparaissent aujourd’hui.

Au cœur même de sociétés déchirées, les prophètes de la Bible ont ouvert des espérances. Sur un autre mode, on peut voir dans ce livre une dimension prophétique. Face au péril actuel, Jean Staune ne s’enferme pas dans la perspective d’un effondrement. A partir de l’intelligence collective, il trace une voie de vie. Là aussi, en correspondance, nous pouvons évoquer la théologie de l’espérance dans laquelle Jürgen Moltmann nous invite à regarder vers l’avenir et à percevoir l’expérience de Dieu dans des expériences anticipatrices (14).

Au-delà de ce commentaire personnel, nous pouvons tous reconnaître dans ce livre une dynamique qui ouvre la compréhension, nous introduit dans un mouvement et nous invite à une mobilisation. Un avenir à construire !

J H

  1. Pierre Lévy. World Philosophie : le marché, le cyberespace, la conscience. Odile Jacob, 2000
  2. James Surowiecki. The wisdom of crowds. Why the many are smarter than the few and how collective wisdom shapes business, economies, societies and nations. Doubleday, 2004
  3. James Sorowiecki. La sagesse des foules. Jean-Claude Lattès . 2008
  4. Emile Servan-Scheiber. Supercollectif. La nouvelle puissance de nos intelligences. Fayard, 2018
  5. Emile Servan-Schreiber. La force de l’intelligence collective. Site : Marketing et innovation : https://visionarymarketing.com/blog/2018/10/intelligence-collective/
  6. Le rôle des femmes dans l’intelligence collective : https://www.facebook.com/28minutes/videos/2192573717736096/?v=2192573717736096
  7. Jean Staune. L’intelligence collective, clé du monde de demain. L’Observatoire, 2019
  8. Le site de Jean Staune : Naviguer dans un monde en mutation : http://www.jeanstaune.fr
  9. Jean Staune. Les clés du futur. Réinventer ensemble la société, l’économie et la science. Préface de Jacques Attali. Plon, 2015. Mise en perspective sur Vivre et espérer : https://vivreetesperer.com/comprendre-la-mutation-actuelle-de-notre-societe-requiert-une-vision-nouvelle-du-monde/
  10. Jacques Lecomte. Les entreprises humanistes. Les Arènes, 2016 Mise en perspective sur Vivre et espérer : https://vivreetesperer.com/vers-un-nouveau-climat-de-travail-dans-des-entreprises-humanistes-et-conviviales-un-parcours-de-recherche-avec-jacques-lecomte/
  11. « Alexandre Gérard : chef d’entreprise, pionnier d’une entreprise libérée » : https://vivreetesperer.com/alexandre-gerard-chef-dentreprise-pionnier-dune-entreprise-liberee/
  12. Comment Cyril Dion et Emmanuel Macron ont élaboré l’assemblée citoyenne pour le climat : (site Reporterre) : https://reporterre.net/Comment-Cyril-Dion-et-Emmanuel-Macron-ont-elabore-l-assemblee-citoyenne-pour-le-climat?fbclid=IwAR01yBCpZ93dJlt7fLOPYA5RAh_5Z1hgPc1ZmqJtDE0hW4U0qZ15V69LU20
  13. La pensée théologique de Jürgen Moltmann nous donne des clés pour interpréter le monde d’aujourd’hui et nous la suivons sur ce blog. Jürgen Moltmann. L’Esprit qui donne la vie. Cerf, 1999
  14. « La force vitale de l’espérance » (p 109-116), dans : Jürgen Moltmann. De commencements en recommencements. Empreinte, 2012

 

Voir aussi sur ce blog :

Pour une intelligence collective. Eviter des décisions absurdes et promouvoir des choix pertinents. La contribution de Christian Morel : https://vivreetesperer.com/pour-une-intelligence-collective-eviter-les-decisions-absurdes-et-promouvoir-des-choix-pertinents/

 

 

 

Les plantes médicinales au cœur d’une nouvelle approche médicale : phytothérapie clinique intégrative et médecine endobiogénique.

 

indexNotre société se caractérise par une individualisation croissante. C’est un processus de longue durée qui se réalise par étapes. Aujourd’hui, cette individualisation est manifeste dans tous les domaines de la vie. Elle appelle en regard une responsabilité accrue à travers une extension des choix. Dans le même temps, on prend conscience des interrelations qui interviennent à tous les niveaux de notre existence. Ces deux mouvements se traduisent dans des phénomènes différents, mais concomitants : la prise de conscience écologique et la révolution numérique. Cette évolution dans les mentalités influence notre manière de voir dans différents domaines d’activité. C’est le cas, par exemple, dans le domaine de l’éducation. C’est aussi le cas dans le domaine de la médecine. Dans ces deux domaines, les usagers, aspirent à être considérés comme des personnes et à participer à un mouvement de vie. Cependant, cette évolution se heurte à la fois à des représentations anciennes et au poids des appareils. Les organisations peinent à se défaire de la massification héritée de la précédente révolution industrielle. La pensée écologique, dans sa vision holistique, consciente de la complexité et respectueuse de la diversité, se heurte à l’héritage d’une conception dominatrice. Ainsi, la part donnée aux mathématiques dans l’accession aux études de médecine traduit un état d’esprit technocentré. Nous sommes donc engagés dans un changement qui rencontre des oppositions. Mais ce changement peut s’appuyer sur la transformation actuelle des mentalités.

Aujourd’hui, l’apparition d’une médecine endobiogénique qui s’appuie sur l’usage des plantes médicinales est une innovation pionnière qui s’inscrit dans la transformation de notre culture et de notre société. C’est une médecine personnalisée qui prend en compte la diversité dans une relation participative. C’est une médecine intégrative qui met en œuvre une vision globale, holistique d’un organisme humain en mouvement dans l’exercice des fonctions hormonales et neuro-végétatives. Le recours aux plantes médicinales pour une œuvre de régulation et de remédiation se révèle particulièrement efficace parce qu’il  participe au monde du vivant et multiplie, dans une approche scientifique, les acquis d’une expérience traditionnelle. C’est un aspect remarquable de la prise en compte de la biodiversité. Dans son originalité, la médecine endobiogénique est née en France, sous l’impulsion de deux médecins, Christian Duraffour et Jean-Claude Lapraz et elle est portée par une communauté innovante (1), même si elle se heurte encore aujourd’hui à un manque de moyens et un manque de reconnaissance.      Dans ce contexte, la publication d’un ouvrage de référence, sous la direction de Jean-Claude Lapraz et d’Alain Carillon : « Plantes médicinales. Phytothérapie clinique intégrative et médecine endobiogénique » (2) est un pôle de ressources qui vient conforter une dynamique scientifique. Pour en situer la portée, il est bon de rappeler quelques jalons permettant d’ouvrir à tous la compréhension de cet apport.

 

Une médecine personnalisée

En 2012, paraît un livre intitulé : « La médecine personnalisée », écrit par le docteur Jean-Claude Lapraz  en collaboration avec une journalise : Marie-Laure de Clermont-Tonnerre  (3). Ce livre explique les fondements de la médecine endobiogénique et nous introduit ensuite dans un vécu personnel de sa pratique. Cet ouvrage demeure aujourd’hui la porte d’entrée pour la compréhension de cette médecine. On en trouvera une présentation détaillée sur ce blog (4). Nous renvoyons à cette analyse en rappelant néanmoins les grands principes qui y sont exposés.

 

Une vision nouvelle de la médecine : la médecine de terrain.

Selon notre constitution, nous réagissons chacun différemment à telle ou telle agression. « Une seule explication possible : l’état de notre terrain : « L’ensemble des facteurs génétiques, physiologiques, tissulaires ou humoraux qui, chez un individu, favorisent la survenue d’une maladie ou en conditionne le pronostic » (Larousse). C’est dans cette perspective que cette nouvelle approche médicale est mise en œuvre : « L’être humain ne se limite pas à un simple assemblage de fonctions ou d’organes sans lien entre eux. Il est un être vivant autonome et complet qui réagit à chaque instant comme un tout cohérent et doit sans cesse s’adapter… La médecine actuelle a fait éclater le corps en ses multiples composants. En négligeant de replacer chacun d’eux dans ses relations complexes avec les autres, elle a perdu la capacité d’établir un diagnostic global de l’état du patient. Il est donc temps aujourd’hui de proposer une approche médicale qui mette en évidence les liens qui unissent le local au global et qui donnent une véritable vision scientifique intégrale du patient. C’est ce que nous désignons comme la conception endobiogénique du terrain » (p 68).

On prend conscience aujourd’hui des limites d’une médecine en miettes pour se diriger vers une médecine globale, « intégrative ».

Effectivement, nous dit-on, « le tout est plus que la somme des parties ». Le corps est perçu comme un ensemble de niveaux : « Chaque niveau, du gêne au chromosome, du chromosome au noyau, du noyau à la cellule, de la cellule à l’organe, de l’organe à l’organisme, possède ses propres mécanismes de fonctionnement, mais ils sont intégrés et sous contrôle du niveau supérieur, et, en fin de compte sous celui de l’ensemble de l’organisme. Si un niveau se dérègle, il est important d’identifier ce qui, en amont, a généré le dérèglement et de comprendre comment celui-ci agira à son tour sur l’aval » (p 68-69).

Tout se tient. « Pour maintenir l’harmonie, il existe nécessairement une communication permanente entre chacun des éléments, chacune des parties qui nous constitue. Il faut donc qu’en notre corps, ensemble vivant infiniment complexe, existe un coordonnateur qui gère en permanence les liens qui unissent la cellule à l’organe, l’organe aux autres organes et les fonctions entre elles (p 70-71)… La vie ne peut se maintenir s’il n’existe pas une cohérence et une finalité qui permette de faire fonctionner de façon harmonieuse les cellules et les organes de notre corps pour qu’ils se maintiennent en équilibre » (p 70-71).

De fait, il existe bien une forme de « chef d’orchestre ». « Si l’organisme est une maison, il a pour architecte, pour coordonnateur, pour régulateur, le système hormonal ». Selon l’endobiogénie, « l’approche endocrinienne du terrain est fondée sur la reconnaissance du rôle primordial et incontournable du système hormonal à tous les niveaux du corps humain. C’est lui qui gère le métabolisme, c’est à dire la succession permanente et dynamique des phénomènes de destruction (catabolisme), de reconstruction et de synthèse (anabolisme) qui se déroulent à chaque seconde en nous… » (p 71).

 

L’approche endobiogénique s’appuie sur une interprétation nouvelle du fonctionnement du corps humain. Elle propose également de nouveaux outils pour en comprendre concrètement le fonctionnement et pour pouvoir en conséquence intervenir pour corriger et réguler.

« En partant d’une simple prise de sang comportant douze données biologiques (comme la numération formule sanguine, le nombre des plaquettes sanguines, le dosage de deux enzymes…), on peut construire un système établi sur des algorithmes, tous basés sur des données incontestées de la physiologie qui font apparaître de nouveaux chiffres conduisant à une compréhension beaucoup plus large des phénomènes à l’œuvre dans le corps que ne le permet l’approche purement analytique actuellement en vigueur. C’est la biologie des fonctions… Ce système complexe, conçu par le Docteur Christian Duraffourd, a permis d’établir quelques 172 index d’activité endocrine, métabolique, tissulaire, etc (par exemple : nécrose cellulaire, résistance à l’insuline, remodelage osseux, immunité, stress oxydatif, développement anormal cellulaire) (p 81-83). « Dans une goutte de sang, on peut voir l’individu et son terrain ». La production de cet ensemble est un bond en avant impressionnant pour la compréhension de l’état du patient.

Mais, dans la consultation, telle qu’elle est pratiquée par les médecins qui se réclament de cette approche, d’autres données recueillies à travers l’écoute et l’examen clinique, viennent encore s’y ajouter. Ces données viennent s’inscrire en regard de l’interprétation endobiogénique. A partir de là, le médecin peut prescrire un traitement approprié en faisant appel principalement aux plantes médicinales. L’usage de celles-ci permet d’éviter la nocivité des effets secondaires que peuvent entraîner certains médicaments de synthèse. Par ailleurs, la combinaison d’un certain nombre de plantes à activité synergique ou complémentaire induit un effet global important : « La sommation des petits effets que chacun va générer dans l’organisme permet d’apporter une amélioration, puis une vraie guérison ».

 

Soigner autrement, c’est possible

         En 2013, le docteur Jean-Christophe Charrié, médecin généraliste et praticien de l’endobiogénie à la Rochelle explique l’approche de la médecine endobiogénique dans la vidéo d’une intervention TEDx : « Soigner autrement, c’est possible » (5). Jean-Christophe Charrié fait partie du groupe de médecins qui militent pour la progression de l’endobiogénie en France et il a apporté une contribution au livre de fond qui vient de paraître sur les plantes médicinales (6). Cette intervention, alliant beaucoup de compétence et un grand talent pédagogique, nous familiarise avec cette pratique médicale.

 

 

Après avoir esquissé une définition de l’endobiogénie (endo : intérieur ; bio : la vie ; génie : organisation) : une science de l’organisation de la vie intérieure », Jean-Christophe Charrié nous expose au préalable les vertus de la plante médicinale :

« Quelque chose qui appartient à toute l’humanité, car elle n’est pas brevetable.

Quelque chose qui est actuellement la seule source de soin pour 4 humains sur 5.

Quelque chose dont l’Organisation Mondiale de la Santé fait la promotion.

Quelque chose qui a été reconnu en France par l’Académie de Médecine, mais qui a été rejeté en 2007 par la Sécurité Sociale.

Cela fait 7 000 ans au moins que l’homme utilise la plante médicinale. C’est un outil aux propriétés multiples, exceptionnelles, qu’il convient d’utiliser à bon escient.

C’est un outil thérapeutique qui répond aux exigences de la politique de santé de demain, en terme de réduction des coûts, en terme d’accessibilité aux soins, en terme de respect de l’individu et de l’environnement. C’est un outil thérapeutique qui prend sa pleine puissance quand il est utilisé dans le cadre de la science médicale qu’est l’endobiogénie ».

Il y a effectivement un potentiel considérable. « Il y a sur terre un peu plus de 500 000 plantes. La moitié a été répertoriée. L’Organisation Mondiale de la Santé a relevé 29 000 plantes comme faisant partie de celles utilisées traditionnellement dans le soin. Un peu plus de 2 500 plantes ont bénéficié d’études approfondies pour savoir comment elles fonctionnent. Et dans ma pratique, j’en utilise un peu plus de 200. Ainsi, nous avons un potentiel énorme de recherche et de développement. L’industrie pharmaceutique l’a bien compris, puisque dans le gros dictionnaire rouge des médecins, le Vidal, 70% des médicaments trouvent leur source dans la plante médicinale ».

 

Si la plante médicinale est un outil majeur de la médecine endobiogénique, elle est négligée par la médecine dominante. Jean-Christophe Charriè nous apporte un aperçu très éclairant sur la manière dont la médecine s’est développée depuis 150 ans.

Comment en est-on arrivé à la médecine d’aujourd’hui ?

Au milieu du XIXè siècle, « la science médicale était dans une impasse, car elle n’arrivait pas à soigner et guérir les grandes épidémies. En ce temps-là, il y a eu deux montées d’approche théorique de la recherche qui s’incarnent dans deux figures emblématiques : Claude Bernard et Louis Pasteur. Pour Claude Bernard, qui est médecin, il s’agit d’étudier la fonctionnalité de l’organisme. La maladie est la résultante d’une dysfonction. C’est grâce à ses travaux  qu’on peut aujourd’hui interpréter une prise de sang. Pour Louis Pasteur qui est physicien, mais qui n’est pas médecin, la maladie est la conséquence de l’agression de l’organisme par un événement extérieur, que cet événement soit un microbe, un poison et aujourd’hui un gène défectueux. C’est parce que cette approche avait des résultats visibles, reproductibles et finalement très simples : à une maladie correspond un traitement, que la science médicale s’est engouffrée dans cette seule voie de recherche.

Il a fallu créer de nouveaux médicaments, des médicaments à la puissance extrême pour gérer des maladies extrêmes. Et, ainsi ; on a effectivement maitrisé de grandes épidémies telle que la peste, la tuberculose, la variole. Et c’est ainsi qu’on est entré dans la logique des anti : antihypertenseur, anticholestérol, antidiabétique, antibiotique. Avec ces outils à la puissance extrême, pour lutter contre des maladies extrêmes, on a cru qu’on allait tout guérir. Force est de constater, que ce n’est pas le cas.

Aujourd’hui, du fait d’un mésusage en utilisant ces outils extrêmes qui sont là pour prendre la place de l’organisme afin d’entrainer la guérison de celui-ci dans des situations extrêmes, on a utilisé ces outils pour soigner des maladies du quotidien et cela davantage pour l’intérêt de l’industrie pharmaceutique que pour l’intérêt du patient. Par cette stratégie, on a vu apparaître des maladies induites par ces médicaments, on a vu apparaitre une explosion des coûts de santé et, plus grave encore, des maladies qu’on pouvait traiter avec ces médicaments, aujourd’hui ne répondent plus. Par exemple, dans la maladie infectieuse, vous avez des bactéries qui ont développé des résistances aux antibiotiques, c’est à dire que l’antibiotique n’a plus de prise sur la bactérie, ne peut plus la détruire…

Nous sommes donc à nouveau dans une impasse. Avec cette approche médicale qui a résumé l’organisme à un foie malade, un cœur malade, un intestin malade, un cerveau malade, bref avec cette approche qui a éclaté l’homme, comment peut-on recoller les morceaux ? Comment reconsidérer le tout ? L’endobiogénie apporte une réponse. Et comment respecter le tout ? Les plantes médicinales apportent une réponse ».

 

Jean-Claude Charrié nous raconte ensuite comment, dans son itinéraire médical, il a rencontré l’endobiogénie et comment il la met en œuvre aujourd’hui. « Je suis un médecin généraliste qui, de façon prioritaire, utilise les plantes médicinales quand il est possible d’accompagner l’organisme dans des mécanismes d’autoréparation. Je ne m’interdis pas d’utiliser les médicaments anti dont nous avons parlé, mais je les garde pour des situations exceptionnelles. Et j’utilise la plante médicinale selon l’endobiogénie. L’endobiogénie est une médecine qui vous sort de la masse, qui vous sort de la statistique. C’est une médecine qui s’intéresse à chacun de vous individuellement. Et qui construira pour vous un traitement sur mesure qui est adopté à vous seulement.

L’endobiogénie, c’est une approche qui essaie de comprendre comment fonctionnent les mécanismes de réparation et de restauration. La restauration : par exemple, votre peau. Tous les matins, quand vous faites votre toilette, vous enlevez de la poussière, de la crasse et des cellules mortes. Cette peau, il faut la restaurer en permanence. L’autoréparation : Quand vous avez un petit chat qui vous griffe, vous avez une plaie. Et l’organisme sait réparer. Il fait cela tout seul. Il n’a pas besoin de médecine pour faire cela. Parce que vous êtes vivant. Parfois, il y a des phénomènes qui apparaissent et qui ont du mal à se restaurer et à se réparer. Et là, vous avez besoin du médecin. Le rôle du médecin en endobiogénie est de comprendre comment vous fonctionnez, aller voir ce qu’on peut soutenir et d’étayer votre organisme pour qu’il puisse se réparer lui-même ;

L’endobiogénie est une science. Comme toute science, elle repose sur une théorie. Pour que cette dynamique de réparation et de restauration fonctionne, il faut un gestionnaire et ce gestionnaire repose essentiellement sur le système endocrinien et le système neurovégétatif. Comment vos hormones s’organisent entre elles, comment elles entrent en interrelation pour coordonner cette dynamique ? Et comment votre système nerveux inconscient, celui qui gère votre digestion, votre respiration, le battement de votre cœur, comment ce système là vient aider le premier pour obtenir des phénomènes de réparation ? Quand vous allez voir le médecin en consultation, vous lui parlez. Il vous écoute et il vous examine. Pour le médecin endobiogéniste, ces trois temps là sont fondamentaux, car il va chercher des petits signes qui peuvent paraître infimes, sans sens, mais qui, associés les uns aux autres, peuvent permettre de construire l’histoire de votre vie jusqu’à aujourd’hui, permettre de comprendre les dysfonctionnements qui ont abouti à la maladie que vous exprimez. S’il en a besoin, mieux encore, le médecin peut faire une prise de sang simple. Quand les paramètres sont dans les normes, tout va bien. Quand ils sont hors des normes, il y a un problème. Vous n’avez pas assez de globules rouges, vous avez une anémie. On peut s’arrêter à cela. Mais grâce à la théorie de l’endobiogénie, on peut comprendre que tous ces chiffres ne sont pas liés au hasard. Ces paramètres apportent une sorte de photographie de votre fonctionnement intérieur. Avec l’endobiogénie, on peut relier ces chiffres entre eux, et mesurer, de la façon la plus fine, comment vous fonctionnez. Cela apporte une aide considérable au médecin. Car, pour étayer, il faut avoir les bons étais pour les mettre à une bonne place. Et, pour faire cela, le médecin va utiliser les plantes médicinales. Il va les utiliser en fonction des données de la science moderne qui a démontré que la plante a la capacité de réguler les systèmes endocriniens et neurovégétatifs ».

 

Plantes médicinales et médecine endobiogénique

Un ouvrage ressource. Un ouvrage de référence

Sur des registres différents, le livre de Jean-Claude Lapraz et Marie-Laure de Clermont-Tonnerre  et l’interview en vidéo de Jean-Christophe Charrié introduisent un vaste public dans la prise de conscience du caractère original de l’approche endobiogénique et de son apport précieux et irremplaçable. Et cette approche s’appuie sur l’utilisation des plantes médicinales. C’est dire l’importance et l’utilité d’un ouvrage de référence consacré à cette ressource.

 

L’ouvrage sur les plantes médicinales récemment publié sous la direction de Jean-Claude Lapraz et Alain Carillon présente effectivement les connaissances correspondantes issues de la pharmacologie et des données de la tradition. Il offre « 45 monographies de plantes médicinales dont l’intérêt thérapeutique est confirmé par de nombreuses publications scientifiques récentes ».

Cependant, « l’originalité et la spécificité de cet ouvrage reposent sur un abord nouveau de l’usage de la plante médicinale fondé sur l’évaluation clinique  du patient placé au cœur de la réflexion diagnostique. Cette approche permet l’utilisation intégrative et personnalisée des plantes… La plante médicinale, par la complexité des éléments qui la composent et de leurs effets spécifiques, répond au mieux aux exigences d’une thérapeutique plus physiologique  et peut alors devenir un moyen de traitement de premier plan si elle est utilisée selon les règles médicales et prescriptives… La médecine endobiogénique propose une réflexion originale qui permet de mettre en évidence les déséquilibres des systèmes endocriniens gestionnaires de l’organisme. Elle aide le médecin à les identifier et leur permet d’établir un traitement régulateur et physiologiques où la plante médicinale joue un rôle prioritaire afin d’aider l’individu à retrouver l’état d’équilibre antérieur à la maladie : l’état de santé ».

 

Vers une nouvelle approche médicale

Ce livre sur les plantes médicinales et la médecine endobiogénique  prend place dans l’univers scientifique et professionnel. Ainsi cette nouvelle approche médicale progresse sur différents registres. Elle rencontre une opinion plus favorable,  comme en témoigne un intérêt croissant pour les médecines alternatives et complémentaires, dans un contexte de plus en plus sensible à la dimension écologique et en demande de participation. Elle est portée par un courant militant : médecins généreux et patients reconnaissants (6). Et ce livre témoigne d’une maturité scientifique.

Tout au long de cet article, on a pu percevoir une vision nouvelle, un nouveau paradigme et a pu apprécier la fécondité de cette approche. On attendrait qu’elle se répande dans le corps médical. En ce sens, des propositions accrues de formation sont nécessaires. Il serait opportun que les pouvoirs publics apportent leur soutien.

Dans un système de santé qui comporte de nombreuses rigidités, comment promouvoir cette nouvelle pratique ? A cet égard, un article paru dans Le Monde, le 14 mars 2012, est toujours pertinent aujourd’hui (8). Sous la signature de Luc Montagnier, prix Nobel de médecine en 2008 et Frédéric Bizard, consultant et maitre de conférences à Sciences-Po, cet article ouvre la voie : « Anticipons le passage d’une médecine curative à une médecine préventive ». On peut y lire : « D’une approche verticale et segmentée, nous devons passer à une vision transversale de la santé. D’une médecine curative du siècle dernier, nous devons passer à la médecine 4p : préventive, prédictive, personnalisée, partipative, ce qui modifie considérablement le logiciel du système. L’approche transversale de la médecine 4p doit s’accompagner d’une rénovation de notre système de santé avec une approche holistique des soins fondée sur la personne et les relations interpersonnelles. D’un système centré sur la maladie, il faut évoluer vers un système centré sur la personne, sur la santé ». La médecine endobiogénique s’inscrit dans cette grande transformation.

 

J H

(1)            Société internationale de médecine endobiogénique et de physiologie intégrative : https://www.simepi.info

(2)            Jean-Claude Lapraz. Alain Carillon, dir. Plantes médicinales. Phytothérapie clinique intégratives et médecine endobiogénique. Lavoisier Tec et doc. 2017

(3)            Jean-Claude Lapraz. Marie-Laure de Clermont-Tonnerre. La médecine personnalisée. Retrouver er garder la santé. Odile Jacob. 2012

(4)            Présentation du livre : « La médecine personnalisée » : « Médecine d’avenir. Médecine d’espoir » : https://vivreetesperer.com/?p=475

(5)            « Soigner autrement, c’est possible » : TEDx La Rochelle, 2013 : https://www.youtube.com/watch?v=XAazxiP6tP0

(6)            Le docteur Jean-Christophe Charrié est un des contributeurs du livre : « Plantes médicinales.  Phytothérapie clinique intégrative… » Il a écrit plusieurs livres de conseil médical, dans une perspective endobiogénique, en collaboration avec Marie-Laure de Clermont Tonnerre : « Se soigner toute l’année au naturel » (2017) ; « Objectif santé : à chaque besoin, sa cure » (2017) ; « Soigner au naturel les maux de l’automne et de l’hiver » (2014) ; il vient de publier un livre sur « les clés de l’alimentation anti-cancer et maladies inflammatoires, infectieuses, auto-immunes » (2017).           Voir : https://www.amazon.fr/s/ref=nb_sb_noss_2?__mk_fr_FR=ÅMÅŽÕÑ&url=search-alias%3Dstripbooks&field-keywords=Jean-Christophe+Charrié

(7)            Phyto2000 : association des usagers de la phytothérapie clinique : https://www.google.fr/search?hl=fr&as_q=Phyto2000&as_epq=&as_oq=&as_eq=&as_nlo=&as_nhi=&lr=&cr=&as_qdr=all&as_sitesearch=&as_occt=any&safe=images&as_filetype=&as_rights= Le site de l’association est en réfection.

(8)            Texte cité dans l’article présentant le livre : « La médecine personnalisée » (note 4). Ce texte publié en 2012 nous paraît garder toute son actualité.

Une philosophie de l’histoire, par Michel Serres

Au sortir de massacres séculaires, vers un âge doux portant la vie contre la mort.

 004060553A travers une culture encyclopédique, Michel Serres a développé une pensée créative et originale dans un style imagé. Il ouvre de nouvelles compréhensions plus vastes, plus profondes. Les ouvrages de Michel Serres nous entraînent dans une vision nouvelle du monde. C’est le cas dans son livre : « darwin, bonaparte et le Samaritain. Une philosophie de l’histoire » (1).

En page de couverture, quelques lignes explicitent le titre  concernant ce regard nouveau sur l’histoire de l’humanité.

« Darwin raconte l’ouverture de Faune et de Flore. Devenu empereur, Bonaparte, parmi les cadavre sur le champ de bataille, prononça, dit-on, ces mots : « Une nuit de Paris réparera cela ». Quant au Samaritain, il ne cesse, depuis deux mille ans, de se pencher sur la détresse du blessé. Voilà trois personnages qui scandent sous mes yeux, trois âges de l’histoire.

Le premier âge est plus long qu’on ne croit, le deuxième est pire qu’on ne pense, le dernier meilleur qu’on ne dit.

Histoire ou utopie ? Il n’y a pas de philosophie de l’histoire sans un projet, réaliste et utopique. Réaliste : contre toute attente, les statistiques montrent que les hommes pratiquent l’entraide plutôt que la concurrence. Utopique : puisque la paix devint notre souci ainsi que la vie. Tentons de les partager avec le plus grand nombre. Voici un projet aussi réaliste et difficile qu’utopique, possible et enthousiasmant ».

 

Le livre se répartit en trois parties : « Premier âge, long : le Grand récit. Deuxième âge, dur : trois morts. Troisième âge, doux : trois héros. » et se termine par une réflexion sur « les sens de l’histoire ». Le regard de Michel Serres renouvelle notre vision du passé dans une approche si dense, si riche, si originale qu’elle ne peut être résumée. Nous mettrons l’accent sur l’émergence actuelle d’un nouvel âge, cet « âge doux » évoqué par l’auteur. Et nous commenterons cette prise de conscience.

 

Le Grand Récit

Au départ, l’auteur montre comment les progrès récents de la science, à travers une capacité nouvelle de dater les phénomènes, nous ouvrent à une mémoire de l’univers, à une mémoire de la terre dans laquelle l’histoire humaine vient s’inscrire. Une nouvelle synthèse peut ainsi s’élaborer. Nous voici en présence d’un « Grand Récit ».

 

C’est une situation nouvelle. Michel Serres dégage quelques caractéristiques fondamentales de ce temps long. « Le couple énergie-entropie régit le monde physique ; analogue, le couple vie-mort régit le monde vivant » (p 33). Ainsi, dans l’évolution, pendant que la vie irrésistible perpétue son développement, la mort frappe espèces et individus. Dans notre humanité, on observe une évolution analogue. « D’une part, l’énergie et la vie prennent des figures nouvelles comme l’invention et la paix, d’autre part, l’entropie et la mort réapparaissent en guerres et répétitions » et menacent l’existence de l’humanité (p 33).

 

Cependant, en regard, l’auteur distingue deux formes, deux pratiques : les pratiques dures qui mobilisent des hautes énergies et les pratiques douces qui font appel à des basses énergies, à l’échelle informationnelle. Parallèlement, Michel Serres oppose deux âges : un « âge dur » caractérisé par la violence et par la guerre, et un « âge doux » convivial et inventif en lutte contre la mort.

 

Un âge dur

Dans son regard sur la plus grande part de l’histoire humaine, Michel Serres fait ressortir les composantes d’un âge dur. C’est la prépondérance de la guerre avec les massacres qui l’accompagnent. Cette importance des conflits militaires ne nous avaient sans doute pas échappé, mais l’auteur éveille en nous une prise de conscience de cette réalité dévastatrice. « Toute notre culture baigne dans le sang versé au cours de violences qui s’enchainent et nous enchainent à la guerre perpétuelle » (p 47). Ainsi a-t-on calculé qu’au cours des derniers millénaires, moins de 10% des années ont été consacrées à la paix, c’est à dire à la vie (p 48). Et l’auteur évoque les massacres tels qu’ils apparaissent dans des textes littéraires comme l’Iliade et se manifestent dans des données chiffrées que nous ignorons bien souvent. Sait-on par exemple que les guerres de la Révolution Française et celles de Napoléon ont engendré la mort d’un million cinq cent mille français plus que le million trois cent mille victimes provoquées par la Première Guerre Mondiale entre 1914 et 1918… (p 79). Dans ce contexte, un culte a été voué à l’héroïsme patriotique. « Chacun doit donner sa vie pour sa patrie » ( p 53). Les religions ont participé à cette idéologie mortifère. Michel Serres nous rappelle les analyses de René Girard. La violence se manifeste jusque dans le sacrifice animal.

 

L’auteur nous amène également à entrevoir les rapports entre économie et violence. Et il nous invite à réfléchir au phénomène de la dette. « Avoir et Dû : voilà le titre de deux colonnes dans un bilan comptable. « Je dois » signifie à la fois une obligation morale et une dette à restituer » (p 64). Si la dette asservit les gens et les peuples, elle s’exprime aussi en termes religieux. C’est ici que Michel Serres met l’accent sur le pouvoir libérateur de la Passion du Christ. « A partir du Vendredi saint, nous n’aurons plus jamais de vains devoirs, ni de dettes… Ces péchés nous sont remis… » (p 67). Et plus encore, « le caractère intégral de la remise de nos dettes s’efface devant l’annonce triomphale que cesse le règne même de la dette, c’est à dire de la mort…De même que la Résurrection du Christ ne marque pas une vengeance sur ceux qui l’ont tué, mais positivement une victoire sur la mort elle-même » (p 67) ». Il y a là un tournant. Mais, dans un monde dominé par la violence et par la mort, le potentiel de la libération se fraye difficilement un chemin.

 

Et, de même, dans son inventaire des raisons d’espérer, l’auteur se refuse à croire à une méchanceté irrémédiable de l’homme. Les recherches (2) vont à l’encontre des théories et concepts abstraits prétendant l’homme, en général mauvais, en général, égoïste et violent, incapable d’empathie… En la plupart d’entre nous, une manière d’amour l’emporte sur la haine… l’humain est humain » (p 87).

 

Pendant des millénaires, la « thanocratie » a prévalu. « Déclinée trois fois dans la religion, longtemps sacrificielle, les armes, létales toujours, et l’économie, exploitant les faibles et blessant le monde, la mort me paraît le moteur de l’histoire » ( p 72). Il a fallu la menace d’anéantissement collectif éveillée par l’usage de la bombe atomique en 1945 à Hiroshima et Nagasaki pour qu’une prise de conscience s’effectue. Mais dans la période sombre qui a précédé, on peut entrevoir un mouvement de libération qui s’est frayé un chemin. Ce mouvement débouche aujourd’hui. Dans cette histoire, Michel Serres, évoque la part du christianisme : « Sa leçon majeure n’enseigne-t-elle pas l’incarnation, l’allégorie vive de la Naissance, enfin la Résurrection, soit une victoire non pas contre nos ennemis, comme pendant le règne de la Mort, mais contre la Mort elle-même ? Par ce rééquilibrage, un tout autre monde semble annoncé, promis, espéré… » (p 77).

 

Un âge doux

Nous voici aujourd’hui au début d’un nouvel âge : un âge doux. Michel Serres y voit la mise en œuvre de la néguentropie, selon Wikipedia : « Une entropie négative, un facteur d’organisation des systèmes physiques et, éventuellement sociaux et humains, qui s’oppose à la tendance naturelle à la désorganisation ». « Comme la vie produit des individus nouveaux, l’esprit inventif et novateur, effet de la néguentropie, devient source de nouveautés, produit à nouveau de la néguentropie. Puisque celle-là se trouve déjà là ensemencée dans l’Univers et au sein du réseau évolutif, l’âge de l’Esprit, doux par rapport aux hautes énergies, dites entropiques, perdure donc  en tous temps, travaillant à se libérer d’un étranglement mortel » (p 92). « L’âge doux, celui des esprits, advient dès que ceux-ci se mettent à lutter contre la mort de manière efficace. Nous y sommes. De même qu’il y eut trois manières de s’entre égorger durement, armée, religieuse, économique, de même l’âge que j’appelle doux se décline de trois manières, portant sur la vie et l’esprit : médicale, pacifique et numérique » (p 93).

 

Un  premier fait est le développement de la médecine et son efficacité accrue. C’est un état d’esprit. « En refusant les lois de la jungle, nos pratiques combattent l’évolution, la sélection naturelle » (p 103). « Il y a deux âges : assassin-victime ; malade-médecin » (p 104). Par sa faiblesse et le fait qu’il détienne, miraculeusement, parmi la violence usuelle, d’être pansé par et parmi les siens, le malade est un personnage emblématique décisif, rare, faible, mourant même, mais producteur d’humanité » (p 103).

Dans cette perspective, la parabole du Samaritain résonne avec une force particulière, comme une injonction révolutionnaire à l’encontre d’un univers de violence. L’émotion nous gagne lorsque nous entendons ces paroles. Michel Serres célèbre la figure du médecin : « Celle qui se penche sur les blessés ; celui qui écoute les plaintes de l’agonie ; celle qui s’incline ; l’attentive qui cherche à comprendre et peut-être guérira…. Non, il ou elle, n’est pas seulement le héros de ce temps, mais sans doute, celle et celui de toute l’histoire » (p 107).

 

Très concrètement, l’auteur met l’accent sur l’espace de paix qui s’est créé en Europe occidentale après 1945 au sortir d’une guerre dévastatrice. « De 1945 à 2015, comptons soixante-dix ans de paix, laps de temps exceptionnel, inconnu en Europe depuis au moins la guerre de Troie ». Bien sûr, il y a un abcès au Moyen-Orient, mais au total dans le monde, homicides et violences ne cessent de reculer. L’industrie du tabac est bien  plus meurtrière que le terrorisme (p 122). On assiste à des changements profonds comme le recul de la peine de mort. « Sortant à peine de l’enfer, nous avons construit une sorte d’utopie dont nous ne pouvons connaître la nouveauté que par comparaison avec ce qui se passe alentour qui ressemble trait pour trait à ce qui se passait chez nous avant cette ère nouvelle ».

 

Cependant la paix est constamment à maintenir et à construire. L’auteur évoque une figure exemplaire, celle de François de Callières (1645-1717) qui publia un livre décisif : « De la manière de négocier avec les souverains ». Conseiller de Louis XIV, un roi qui ne cessa de faire la guerre – plus de trois cent mille morts- , François de Callières sait de quoi il parle. Il définit le rôle du négociateur : éviter au maximum les conflits. « Tout prince chrétien doit avoir pour maxime principale de n’employer la voie des armes pour soutenir et faire valoir ses droits qu’après avoir tenté et épuisé celle de la raison et de la persuasion (p 126). Promouvoir la paix, c’est aussi construire un vivre ensemble. Michel Serres évoque les réalisations coopératives du « socialisme utopique » qui ont porté du fruit alors que les théories prétendument « scientifiques » du socialisme ont durement échoué. « Pas un seul mort de leur fait, du concret, de la continuité » (p 134). Et aujourd’hui, on peut se réjouir de toutes les réalisations du mouvement associatif. L’auteur nous appelle à prendre en compte, à prendre en charge : « le personnage commun, banal, minuscule, individuel, faible, malade, infirme, virtuel, oui, miraculeux, si délaissé dans son fossé, si oublié dans sa bonté, si concret dans son humilité qu’il passe pour inexistant… » (p 135).

 

Ainsi, trois sens au terme « doux » : la vie prolongée par le biologiste et le médecin ; la paix nouvelle, mais qui dure, les basses énergies. Voici les trois composantes de l’âge doux » (p 138). Les nouvelles technologies qui ouvrent l’ère du virtuel s’inscrivent dans cet univers de basses énergies. Face aux puissants qui prédominent, face au déploiement de la violence, un texte biblique « prophétise exactement le troisième âge, celui là même que nous vivons aujourd’hui et qui, à l’écart du feu et des hautes énergies, destructrices, cultive les basses, l’information, les signaux, les signes, les paroles… que le tonnerre rend inaudible » : « Il y eut un grand ouragan, si fort qu’il fendait les montagnes et brisait les rochers, en avant de Yahvé, mais Yahvé n’était pas dans l’ouragan…Après le feu, le bruit d’une brise légère. Dès qu’Elie l’entendit, il se voilà le visage avec son manteau, il sortit et se tint à l’entrée de la grotte. Alors une voix lui parvint qui dit… » (I Rois  19, 11-13) (p 139).

En se rappelant les effets démocratiques de l’imprimerie, l’émergence d’internet peut nous émerveiller. C’est là que Michel Serres évoque Petite Poucette, cette jeune fille emblématique des usages révolutionnaires d’internet qu’il a brillamment évoquée dans un précédent livre (3). « Face à l’aristocratie des puissants, des riches, des représentants, le portable dans la paume, Petite Poucette annonce : « Maintenant, tenant en main le monde… ». Elle a accès à tout. Tout lui appartient. « Troisième héroïne de l’âge doux, Petite Poucette monte ainsi sur la plus haute marche du podium, entre le médecin et le négociateur. Elle incarne une nouvelle démocratie du savoir  dont l’utopie fait peur aux anciens… » (p 142).

Le paysage de la communication change. Tout se lie, tout se relie. « Il me paraît prévisible que la main du marché devra un jour adapter sa puissance relationnelle à celle, concrète, du monde et, sans doute, s’adapter, voire obéir à sa loi. Nous entrons dans un temps où se joue un « mano a mano » décisif pour notre survie entre l’homme individuel ou global et la planète entière » (p 147).

 

Quel avenir ?

Nous voyons bien aujourd’hui des menaces s’élever à l’encontre de la civilisation nouvelle en train de grandir (4). Michel Serres est bien conscient de ce danger. « Je ne suis ni sourd, ni aveugle aux forces atroces qui pendant cet âge si court s’opposent à la prégnance neuve de la paix ». Pour faire face aux attitudes passées qui remontent parfois, « nous devons trouver des stratégies propres à notre temps et délaisser celles que nous venons de quitter. Secourir, soigner, partager, négocier, dialoguer, suivre les trois modèles qui nous guident pour vivre dans notre âge… » (p 118).

Cependant, lorsqu’on voit la violence se propager jusque sur internet, on peut s’inquiéter. L’auteur est attentif à ce danger. « Libérer le nombre impose des risques… Combien de temps faut-il pour qu’une multiplicité désordonnée s’organise et forme une communauté d’autant plus nouvelle que ce type de libération, inattendu, n’a aucun équivalent dans le passé ? Peut-on éviter une violence interminable avant de parvenir à une cohésion ? Confirmé par l’advenue du troisième âge où le multiple se libère vraiment, mon utopie espère échapper à cet étau (p 145).

 

Ce livre ouvre pour nous une compréhension originale de l’histoire humaine. Il met en évidence une dynamique qui suscite l’espérance. Ainsi, Michel Serres nous y parle de survie dans un triple sens :

« Survivre : laisser survivre ou conserver

Survivre : mettre l’accent sur une nouvelle histoire, un nouveau sens de l’histoire

Survivre : vivre mieux que la vie, accéder avec joie à l’esprit.

Créer ces trois survies en compagnie du plus grand nombre possible, voilà le projet aussi réaliste, dangereux, difficile qu’utopique, possible et enthousiasmant » (p 161).

 

Une vision prophétique

Ces dernières années, le ciel s’est assombri. Des orages éclatent. Mais, comme en toute navigation, il importe de garder le cap. Dans ce temps de crise, on a besoin de ne pas perdre confiance, mais de discerner les courants porteurs, parfois peu visibles et souterrains. « Sans vision, le peuple meurt », nous dit un verset de la Bible  (Proverbes 29.18). Le livre de Michel Serres nous communique une telle vision. C’est l’émergence d’un âge doux où la paix l’emporte sur la guerre et la vie sur la mort. Et, si on perçoit bien les menaces envers cette nouvelle manière de vivre, Michel Serres met en valeur la dynamique du processus.

 

Il se trouve que d’autres chercheurs mettent également en évidence un changement positif intervenu au cours de ces dernières décennies. Ainsi, d’une certaine façon, le livre de Jérémie Rifkin : « Une nouvelle conscience pour un monde en crise. Vers une civilisation de l’empathie » (5) converge avec le texte de Michel Serres. En effet, à partir d’une rétrospective  historique approfondie, Jérémie Rifkin perçoit, dans ces dernières décennies, « la plus grande poussée empathique de l’histoire de l’humanité » . Et d’après la recherche de Ronald Inglehart sur les valeurs dans le monde (World values survey) (6), on enregistre depuis 1981, une évolution, certes diversifiée, mais rapide vers une valorisation de l’expression personnelle et la recherche d’une qualité de vie. Une autre recherche a montré l’expansion du courant des « culturels créatifs » (6) qui valorise ce qu’on pourrait appeler une sobriété heureuse et conviviale.

Jérémie Rifkin nous montre une évolution vers une pacification des esprits. Ainsi rejoint-il Michel Serres sans encourir le reproche qu’on peut parfois faire à celui-ci de présenter une catégorisation trop tranchée entre « âge dur » et « âge doux » . Il est également très attentif au potentiel de changement à travers et dans l’économie.

Dans son analyse, à plusieurs reprises, Michel Serres met en lumière l’incidence du récit évangélique et de la foi qui s’en inspire sur l’évolution des esprits Ces passages nous paraissent particulièrement importants. Au cœur de l’histoire, nous percevons la singularité, l’originalité, le potentiel de vie et d’espérance de cette inspiration. Si, pendant les siècles de l’âge dur, les institutions religieuses ont souvent pactisé avec l’idéologie ambiante, on voit bien ici combien les textes évangéliques ont joué le rôle de ferment. Et, aujourd’hui dans ce livre, ils contribuent à interpréter l’histoire.

Rappelons cette citation : « La leçon majeure du christianisme n’enseigne-t-elle pas l’incarnation, l’allégresse vive de la naissance, enfin la Résurrection, soit une victoire non plus contre les ennemis comme pendant le règne de la Mort, mais contre la Mort elle-même » (p 77).

 

Ici, Michel Serres est en phase avec Jürgen Moltmann, le théologien de l’espérance . Leurs pensées se rejoignent à plusieurs égards

Engagé très tôt dans une théologie écologique (7), Moltmann inscrit l’histoire de l’humanité dans celle de la nature.

« La nouvelle vision du monde écologique part de l’idée que la terre est notre maison. L’humanité fait partie d’un grand univers en évolution. La terre, notre maison, est vivante avec une communauté de vie singulière…  La protection de la vitalité, de la diversité et de la beauté de la terre est une responsabilité sacrée…. Cela rejoint la richesse des traditions bibliques concernant la terre » (8).

Cependant, c’est aussi sur la question de l’attitude vis-à-vis de la mort que la pensée théologique de Moltmann appuie la recherche de Michel Serres. En effet, dans une civilisation dominée par la guerre et par la mort, cet « âge dur » qui nous a été décrit, la religion a pu se résigner dans une acceptation de la mort comme une fatalité, détournée vers une émigration de l’âme vers l’au delà. Au contraire, avec force, Moltmann proclame la lutte contre la mort. « La résurrection du Christ porte le « oui » de Dieu à la vie et son « non » à la mort et suscite nos énergies vitales. Les chrétiens sont des gens qui refusent la mort ( « Protest people against death »)….L’origine de la foi chrétienne est, une fois pour toutes, la victoire de la vie divine sur la mort. « La mort a été engloutie dans la victoire » (1 Corinthiens 15.54). C’est le cœur de l’Evangile. C’est l’Evangile de la vie ».

Et Jürgen Moltmann poursuit : « Cette théologie de la vie doit être le cœur du message chrétien en ce XXIè siècle. Jésus n’a pas fondé une nouvelle religion. Il a apporté une vie nouvelle dans le monde, aussi dans le monde moderne. Ce dont nous avons besoin, c’est une lutte partagée pour la vie, la vie aimée et aimante qui se communique et est partagée, en bref la vie qui vaut d’être vécue dans cet espace vivant et fécond de la terre » (9).

Comme Michel Serres, Jürgen Moltmann  porte également attention aux émergences : « L’histoire présente des situations qui contredisent le Royaume de Dieu et sa justice. Nous devons nous y opposer. Mais il existe également des situations qui correspondent au Royaume de Dieu et à sa justice. Nous devons les soutenir et les créer lorsque c’est possible. Il existe ensuite dans le temps présent des paraboles du Royaume futur et nous y voyons ce qui arrivera au jour de Dieu. Nous entrevoyons déjà maintenant quelque chose de la guérison et de la nouvelle création de toutes chose que nous attendons. Nous le traduisons par une attente créatrice… » (10).

 

Si la vision de Michel Serres est particulièrement originale, elle est aussi en convergences avec la pensée de quelques autres penseurs contemporains. Son livre nous appelle à un regard nouveau. La pensée de Michel Serres nous ouvre à la reconnaissance d’une civilisation nouvelle en train d’apparaître et de s’étendre, cet « âge doux » déjà suffisamment avancé pour que Michel Serres puisse le décrire et le caractériser. Il y a dans ce discernement un aspect prophétique. Michel Serres nous invite à entrer dans une nouvelle manière de vivre.

 

J H

 

(1)            Serres (Michel). darwin, bonaparte et le samaritain. Une philosophie de l’histoire. Le Pommier, 2016                                           Une conversation particulièrement éclairante avec Michel Serres sur cet ouvrage au Monde Festival en vidéo : http://www.lemonde.fr/festival/video/2016/09/20/le-monde-festival-en-video-conversation-avec-michel-serres_5000685_4415198.html

(2)            Lecomte (Jacques). La bonté humaine. Altruisme, empathie, générosité. Odile Jacob, 2012. Mise en perspective sur ce blog :   https://vivreetesperer.com/?p=674

(3)            Serres (Michel). Petite Poucette. Le Pommier, 2012. Mise en perspective sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=820

(4)            Menaces multiples et même, menaces de guerres, comme en traite Pierre Servent dans son livre : « Extension du domaine de la guerre » (Robert Laffont, 2016)

(5)            Rifkin (Jérémie). Une nouvelle conscience pour le monde. Vers une civilisation de l’empathie. Les liens qui libérent, 2010.  Mise en perspective sur le site de Témoins :  http://www.temoins.com/vers-une-civilisation-de-lempathie-a-propos-du-livre-de-jeremie-rifkinapports-questionnements-et-enjeux/

(6)            « Emergence d’une nouvelle sensibilité spirituelle et religieuse », sur le site de Témoins :  http://www.temoins.com/emergence-dune-nouvelle-sensibilite-spirituelle-et-religieuse-en-regard-du-livre-de-frederic-lenoir-l-la-guerison-du-monde-r/

(7)            « Convergences écologiques : Jean Bastaire, Jürgen Moltmann, Pape François et Edgar Morin » : https://vivreetesperer.com/?p=2151

(8)            « In the fellowship of the earth », p 80-85, in : Jürgen Moltmann. The Living God and the fullness of life. World Council of Churches, 2016.   Présentation du livre sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=2413

(9)            Sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie » : « la vie contre la mort » : http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=841

(10)      Moltmann (Jürgen) . De commencements en recommencements. Une dynamique d’espérance. Empreinte temps présent, 2012 (p 115)                                               Présentation sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=572

 

Cheval de guerre

Un fil conducteur : l’épopée d’un cheval témoigne de la puissance de la bonté et de la vie face  au déchaînement du mal.

 

Cheval de guerre : c’est un des nombreux romans de Michael Morpurgo traduits en français dans la collection folio junior (1). Lorsqu’un auteur qui a du cœur et du talent écrit pour la jeunesse, son œuvre atteint également les adultes. C’est le cas pour Michael Morpurgo et cela apparaît dans la reprise de cet ouvrage en terme d’un film destiné à un grand public.

Dans les livres de Michael Morpurgo, la communion en la vie se manifeste fréquemment à travers la présence d’un animal et ses relations avec les hommes. Dans des situations très diverses, et en particulier la confrontation à des épreuves collectives comme la guerre, on y voit la force de l’amitié et une noblesse d’humanité. Face au mal, quelque part une lumière brille. Et lorsque la bonté se révèle ainsi dans les épreuves, elle appelle une émotion qui peut se manifester jusqu’aux larmes. On se réjouit que le grand cinéaste qu’est Steven Spielberg ait décidé de réaliser un film à partir d’un roman de Michael Morpurgo (2). Il a su reconnaître la beauté et la grandeur de cette œuvre.

 

 

« Cheval de guerre », c’est une histoire. A la veille de la première guerre mondiale, le jeune Albert mène une existence paisible dans une ferme anglaise avec son cheval Joey. Mais le père d’Albert décide de vendre Joey à la cavalerie britannique et le cheval aboutit bientôt sur le front français. L’officier britannique qui le monte est tué dans une charge de cavalerie et le cheval se retrouve employé dans l’armée allemande. Dans un épisode meurtrier, il s’échappe et échoue entre les deux lignes de front. Une trêve s’instaure brièvement et il est récupéré par un jeune soldat britannique et retrouve ensuite Albert, son ancien maître et ami qui s’est engagé avec l’arrière pensée de rencontrer à nouveau ce cheval tant aimé.

En comparant un film à l’œuvre écrite qui lui a donné naissance, on éprouve parfois un malaise. Personnellement, dans ce cas, je n’éprouve pas du tout cette impression, car l’image sobre et belle enrichit la trame, et les aménagements dans l’intrigue vont de pair avec une puissance d’évocation. Il y a bien sûr dans ce film un déroulement qui tient en haleine, mais à travers le héros qui est ici le cheval Joey, il y a de  plus, quelque part, un souffle épique.

 

Cependant, pour nous, ce qui fait la profondeur de ce film tel qu’il nous émeut et se grave dans notre mémoire, c’est la relation entre l’animal et les êtres humains nombreux et divers avec lesquels il va se trouver en relation.

Bien sûr, une puissance de vie se manifeste dans ce cheval. C’est un cheval qui suscite l’admiration des connaisseurs et l’estime qu’on lui porte, s’accompagne d’une affection. Il y a un courant qui passe entre l’homme et l’animal.

Ce cheval met en évidence la diversité des comportements humains à son égard. Il est parfois soumis à des brimades, à des maltraitances ou tout simplement à l’indifférence humaine. Mais, en regard, combien il suscite chez beaucoup d’hommes, empathie, bonté, et on pourrait ajouter parfois un sentiment d’amitié. Son jeune maître et compagnon, Albert, a su l’apprivoiser à travers une communication intuitive. Et, par la suite, il va rencontrer des hommes de cœur dans les différents milieux où ils va évoluer depuis l’officier britannique qui le monte au départ jusqu’à des soldats anglais et allemands qui se détachent du lot en prenant soin de lui, jusqu’à un grand-père et sa petite-fille qui l’accueillent un moment dans une ferme française.

L’épisode dans lequel Joey se retrouve prisonnier des barbelés entre deux lignes de front est lui-même particulièrement émouvant. Car il montre, de part et d’autre chez les allemands et chez les britanniques, un sentiment d’humanité qui s’éveille à la vue de ce cheval perdu, une forme de tendresse qui apparaît dans la barbarie ambiante. La conscience humaine se manifeste à travers deux hommes qui se lèvent et vont à sa rencontre malgré tous les dangers. On sait aujourd’hui que cet épisode est plausible parce qu’il y a eut, dans cette guerre, des essais de fraternisation (3). Oui, cette grande guerre a été un massacre collectif, un enfer. Dans plusieurs de ses livres, Michael Morpurgo a dénoncé les horreurs de ce conflit. Dans le film, une scène symbolise la puissance du mal : l’énorme canon hissé sur une colline au prix de la souffrance de nombreux chevaux et qui envoie à l’horizon le feu de la mort. En regard, il y a tout ce que Joey révèle en éveillant des sentiments d’humanité dans cet enfer, et, en fin de parcours, la solidarité qui porte des soldats britanniques à venir à son aide.

 

Le film témoigne de ces vertus que sont l’empathie, la bonté, l’humanité, la solidarité en contraste avec le déchaînement des forces du mal. Quelque part, il révèle la puissance du bien. Nous avons besoin de ce message et la manière dont il nous est proposé suscite une émotion profonde. Merci à Michael Morpurgo et à Steven Spielberg !

 

JH

 

(1)            Morpurgo Michael). Cheval de guerre. Gallimard Jeunesse (Folio junior). Edition originale : War horse (1982)

 

 

(2)            Le film : « Cheval de guerre » est d’abord sorti en anglais : « War horse ». On peut aujourd’hui l’acheter en dvd

 

 

En évoquant la bonté que beaucoup ont manifesté vis à vis du cheval Joey, ce film peut éveiller le désir de lire le livre de Jacques Lecomte sur la bonté humaine. On y trouve une description de la fraternité dans les tranchées durant la guerre 1914-1918 (La fraternité dans les tranchées p 97-101. Lecomte (Jacques). La bonté humaine. Altruisme, empathie, générosité. Odile Jacob, mars 2012. Mise en perspective sur ce blog : « La bonté humaine. Est-ce possible ? » https://vivreetesperer.com/?p=674