Dieu, puissance de vie

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« Les projets de Dieu pour moi, pour l’humanité, pour l’univers sont des projets de bonheur et non de malheur »

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Odile Hassenforder : « Sa présence dans ma vie ».

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         Quelle est notre représentation de Dieu et comment percevons-nous son oeuvre ? Dans son livre : « Sa présence dans ma vie » (1), Odile Hassenforder exprime ses convictions fondamentales dans un chapitre: « Ce que je crois » (p 141-142).

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« Dieu entretient et renouvelle constamment sa création en sollicitant notre collaboration ».

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         En s’inspirant de Jérémie (29 :11), elle écrit : « Les projets de Dieu pour moi, pour l’humanité, pour l’univers sont des projets de bonheur et non de malheur «  (p 141). Ce Dieu là est bon. Il n’est ni éloigné, ni lointain , comme tenu à distance. Il est constamment à l’œuvre.      

         « C’est dire que Dieu entretient et renouvelle constamment sa création en sollicitant notre collaboration puisqu’il nous l’a donné en gérance. Ainsi l’action humaine donne des fruits abondants. « Donnez leur vous-même à manger », dit Jésus devant la foule affamée et, en même temps, c’est lui qui multiplie les pains… C’est croire que nous sommes à cette période de l’histoire cosmique où le mal est détruit en Christ revenu à la vie. Toute personne qui accueille cette réalité au nom de Jésus-Christ, inhibe le pouvoir du mal pour elle et pour les autres et peut alors constater les effets de la prière… Je suis de plus en plus convaincue que le créateur est constamment à l’œuvre en renouvellement de vie, demandant la collaboration humaine dotée d’un cœur et d’une intelligence extraordinaire pour participer à l’évolution créatrice… » (p 141-142).

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Tout se tient. Un univers interconnecté où l’action de Dieu s’exerce dans les interrelations.

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         Dans cette perspective, Odile se situe dans la nouvelle culture où l’univers n’est plus perçu comme fragmenté, mécaniste et déterministe, mais comme un monde interconnecté, holistique, en pleine créativité (2). Ainsi la dernière section du livre s’intitule : « Tout se tient. Bonté et harmonie en Dieu »  et le dernier chapitre : Dieu, puissance de vie » (p 219-220). Elle écrit ici : « Assez curieusement, ma foi en Dieu, qui est puissance de vie, s’est développée à travers la découverte de nouvelles approches scientifiques qui transforment notre représentation du monde. Dans cette perspective, j’ai compris que tout se relie à tout et que chaque chose influence l’ensemble.  Tout se tient, tout se lie. Pour moi, l’action de Dieu s’exerce dans ces interrelations. Dans cette représentation, Dieu reste le même, toujours présent et agissant à travers le temps » (p 219).

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Une vision de l’œuvre divine.

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         Au départ, ce texte a été publié sur le site de Témoins dans une méditation plurielle rassemblant plusieurs écrits  autour du verset (3) de l’Evangile de Mathieu  : « Si Dieu revêt ainsi l’herbe des champs, qui existe aujourd’hui et qui demain sera jetée au four, ne vous vêtira-t-il pas à plus forte raison, gens de peu de foi ? (Matthieu 6/30).

         Dans son commentaire, Odile partage sa vision de l’œuvre de Dieu. « Je conçois sans difficulté que Jésus-Christ ressuscité relie l’humanité comme l’univers au Dieu trinitaire..  Je sais que le Père, dans sa bonté infinie, veut et manifeste le meilleur pour moi (Deutéronome 30/9) puisqu’il veut notre bonheur à tous. Sachant que l’Esprit m’éclaire, m’aide et me conduit dans la vérité, ce qui est juste pour moi, je m’attends à lui… ».

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Conviction. Inspiration.

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         Ce texte a été écrit dans les derniers mois de la vie terrestre d’Odile, une période où la pression de la maladie se manifestait de plus en plus. Dans ce texte, comme dans d’autres, la proximité de la tempête n’est pas absente.Les amis d’Odile savent qu’en regard des épreuves qu’elle a traversées, il y a cette douce et persévérante inspiration qui s’exprime tout au long de ce livre et qui se manifeste encore dans cet écrit : envers et contre tout, dans le présent et dans l’avenir, sur la terre comme au ciel,  Dieu est bon. Christ est ressuscité, l’Esprit est à l’œuvre. Dieu est puissance de vie.

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J.H.

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Dieu, puissance de vie.

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« Si Dieu revêt ainsi l’herbe des champs, qui existe aujourd’hui et qui demain sera jetée au feu, ne vous vêtira-t-il pas à plus forte raison, gens de peu de foi ? »

Matthieu 6 :30

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         Comme pour la fleur des champs, Dieu nous donne sa vie gratuitement.

         Quand tout va bien, il est facile de remercier Dieu pour tous ses bienfaits, de réaliser que le Créateur anime toute sa création, qu’Il la renouvelle constamment, Lui qui nous donne vie, mouvement et être (Actes 17.25).

         Quand arrive la tempête, nous voilà ébranlés. C’est difficile de croire, d’être sûr que Dieu pourvoit si nous ne sommes pas enracinés dans cette confiance qu’Il n’a pas changé et s’occupe de nous dans cette nouvelle situation. Notre panique, notre angoisse nous rendent bien souvent aveugles. Préoccupés, obsédés même parfois par l’événement, envahis par nos sentiments, nous appelons au secours sans nous rendre compte que celui-ci arrive par une autre voie que celle attendue par notre regard à courte vue.

         Assez curieusement, ma foi en notre Dieu qui est puissance de vie s’est développée à travers la découverte des nouvelles approches scientifiques qui transforment notre représentation du monde. Dans cette nouvelle perspective, j’ai compris que tout se relie à tout et que chaque chose influence l’ensemble. Tout se tient, tout se relie. Pour moi, l’action de Dieu s’exerce dans ces interrelations. Dans cette représentation, Dieu reste le même, toujours présent et agissant à travers le temps.

         Je fais partie de l’univers. Je me sens reliée à toute la création. Mon attitude, mon action ont une influence, très souvent sans qu’on en ait conscience du reste. Et, à l’inverse, à moi de réagir aux influences que je reçois. Le rationnel rejoint en moi le domaine émotionnel : cette cohérence situe mieux ma foi qui entre dans ce mouvement.

Alors, dans un tel contexte, je conçois sans difficulté que Jésus-Christ ressuscité relie l’humanité comme l’univers au Dieu Trinitaire. Dans cette vision, tout naturellement, enracinée en Christ, je crains de moins en moins la tempête malgré les sensations, les sentiments qu’elle peut susciter. Je sais que le Père, dans sa bonté infinie, veut et manifeste le meilleur pour moi (Deut . 30.9) puisqu’il veut notre bonheur à tous. Sachant que l’Esprit m’éclaire, m’aide et me conduit dans la vérité, ce qui est juste pour moi, je m’attends à Lui, attentive aux évènements, intuitions…dans la reconnaissance et la louange. Comme pour la fleur des champs, Dieu pourvoit « avec élégance ».

         Notre foi est encore bien petite ? Elle peut grandir, mais…il faut le vouloir ! Dieu est grand, beau et bon. Quelle merveille !

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Odile Hassenforder

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Références

(1)            Hassenforder (Odile). Sa présence dans ma vie. Parcours spirituel. Empreinte  temps présent, 2011. Présentation de ce livre par Françoise Rontard sur le site de Témoins : http://www.temoins.com/evenements-et-actualites/sa-presence-dans-ma-vie.html Ce livre figure parmi les sources d’inspiration de ce blog, aussi la pensée d’Odile est-elle évoquée ici dans plusieurs contributions. https://vivreetesperer.com/?tag=odile-hassenforder

(2)            Cette évolution de la représentation du monde est bien  exprimée dans une préface de l’astrophysicien, Trinh Xuan Thuanh au livre majeur de Jean Staune : Staune (Jean). Notre existence a-t-elle un sens ? Une enquête scientifique et philosophique. Presses de la Renaissance, 2007 : « En physique, après avoir dominé la pensée occidentale pendant trois cent ans, la vision newtonienne d’un monde fragmenté, mécaniste et déterministe a fait place à celle d’un monde holistique, indéterminé et débordant de créativité ». Aujourd’hui la science et la spiritualité sont deux fenêtres complémentaires qui permettent à  l’homme d’appréhender le réel . Des recherches mettent en évidence une interrelation entre l’esprit et le corps. Ainsi : Janssen (Thierry). La solution intérieure. Vers une nouvelle médecine du corps et de l’esprit. Fayard, 2006 . Présentation sur le site de Témoins : http://www.temoins.com/developpement-personnel/vers-une-nouvelle-medecine-du-corps-et-de-l-esprit.guerir-autrement.html. Beauregard (Mario). Brain wars. The scientific battle over the existence of the mind and the proof that will change the way we live our lives. Harper Collins. Présentation sur le site de Témoins : http://www.temoins.com/etudes/la-dynamique-de-la-conscience-et-de-l-esprit-humain.-un-nouvel-horizon-scientifique.-d-apres-le-livre-de-mario-beauregard-brain-wars.html  Cette évolution avait été anticipé dans le monde chrétien par des esprits pionniers comme Agnès Sanford dans sa conception de la prière de guérison : Agnès Sanford. La lumière qui guérit. Delachaux et Niestlé, 1955. Disponible aujourd’hui dans sa version américaine originale : Sanford (Agnes). The healing light. Ballantine books. La vision d’un univers interconnecté commence à susciter également une manière nouvelle de concevoir l’église : Friesen (Dwight). The kingdom connected. Baker books, 2009. Présentation sur le site deTémoins : http://www.temoins.com/publications/le-royaume-de-dieu-un-univers-connecte.html Très tôt, la nouvelle représentation scientifique du monde a été prise en compte dans la pensée théologique de Jürgen Moltmann, notamment dans deux grands livres : « Dieu dans la création. Traité écologique de la création » (Cerf, 1988) et « L’Espritqui donne la vie » (Cerf, 1999). La pensée théologique de Jürgen Moltmann  est présentée sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie » : http://www.lespritquidonnelavie.com/

(3)             Sur le site de Témoins : Méditation plurielle : Notre Dieu pourvoit avec élégance http://www.temoins.com/ressourcement/meditation-plurielle-notre-dieu-pourvoit-avec-elegance.html

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On pourra consulter sur ce blog trois articles connexes.

« Reconnaître Dieu à travers l’expérience » https://vivreetesperer.com/?p=1008

« la tête et le cœur » https://vivreetesperer.com/?p=233

« Voir Dieu dans la nature » https://vivreetesperer.com/?p=152

Dans le texte de l’évangile de Matthieu, Jésus évoque d’autres sujets d’émerveillement : « Regardez les oiseaux du ciel. Ils ne sèment, ni ne moissonnent et ils n’amassent rien dans les greniers ; et votre Père céleste les nourrit.. » (Mat 6 : 26)

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Sur Flickr, nous vous recommandons le très beau site de Siddhart Sharma qui présente, entre autres, de merveilleuses photos de petits oiseaux voletant parmi des fleurs colorées.  :http://www.flickr.com/photos/33587234@N04

        A la suite de cette réflexion, on pourra contempler telle ou telle d’entres elles :

http://www.flickr.com/photos/sidharth_sharma/6223878967/

et http://www.flickr.com/photos/sidarth_sharma/6223883919/.

 

Incroyable, mais vrai ! Comment « Les Incroyables Comestibles » se sont développés en France

Interview de François Rouillay

En 2008, dans la ville anglaise de Todmorden, des gens ont commencé à planter et à cultiver des fruits et des légumes pour les mettre à la disposition de tous (1). Ce mouvement : « Incredible Edible » prend une grande ampleur et suscite un nouveau genre de vie. En 2011, François Rouillay découvre cette innovation et suscite, dans sa commune, Colroy-la-Roche en Alsace, une démarche analogue, un mouvement du cœur. Des gens se mettent à planter des fruits et légumes pour les partager avec tout le monde. A toute allure, ce mouvement : « les Incroyables Comestibles » se diffuse et se répand dans toute la France.

Au cœur de ce processus, François Rouillay témoigne de cette aventure et de l’esprit dans laquelle elle se développe. « Chacun est appelé à faire sa part ». « Soyez le changement que vous voulez voir dans ce monde ». C’est un « nouvel art de vivre, de produire et de consommer localement, de s’entraider, d’être dans un mouvement joyeux et solidaire, intergénérationnel ». L’expérience de Todmorden est relatée dans un livre récent (2). L’innovation se déploie sur un site internet : « Les Incroyables Comestibles. Bienvenue sur le site de l’abondance partagée » (3). Passer du chacun chez soi, du chacun pour soi, à un mouvement de partage où une créativité collective s’exprime en plantant et en cultivant des fruits et légumes pour les mettre à la disposition de tous, est-ce un rêve généreux, mais irréalisable ? L’expérience prouve que c’est une vision qui se réalise lorsque des gens prennent l’initiative, deviennent acteurs révélant ainsi des aspirations collectives qui se mettent en marche. « C’est un mouvement où des citoyens changent de regard, se prennent en main et se décident à créer ce nouveau monde, ce meilleur et à en faire l’expérience ». Ecoutons, à travers cette vidéo (4), le témoignage concret et émouvant de François Rouillay, cofondateur des « Incroyables comestibles ». Quelques notes extraites de cette interview nous aideront à poursuivre notre réflexion. Incroyable, mais vrai !

 

Comment l’aventure a commencé

 François Rouillay se présente comme « un père de famille » avec une passion particulière pour le jardinage et une autre passion : le partage, les démarches collectives qui rendent possible notre art de vivre sur les territoires, dans les communes, dans les villages, par l’échange, le dialogue, le partage. C’est ici à Colroy-la-Roche que nous avons commencé l’aventure, l’heureuse aventure des « Incroyables comestibles » au mois d’avril 2012… Dans cette maison, les enfants ont construit le premier bac de fruits et légumes à partager, un bac qui se trouve devant la maison. Et ce bac a suscité la création d’un autre bac par un voisin. Et puis un autre voisin a fait la même chose. Et puis le village d’à coté s’est engagé lui aussi… Maintenant on se développe dans toute la France et à l’étranger. Les « Incroyables Comestibles », c’est une démarche des gens, un mouvement du cœur et du partage dans des communes où on va planter des fruits et légumes, les cultiver et les offrir en partage à tout le monde. Et quand on devient collectif, on peut transformer les espaces urbains en jardins d’abondance puisqu’on en plante le plus possible partout.

C’est une démarche qui nous est venue d’Angleterre puisque tout a commencé en 2008 à Tormorden, près de Manchester, dans le nord de l’Angleterre, une petite ville dans une période difficile de désindustrialisation. Au mois de décembre 2011, je faisais de la veille sur la sécurité alimentaire, les populations et j’essayais de trouver des solutions au niveau collectif et j’ai découvert un article anglais sur cette nouvelle méthode. J’ai fait des recherches. Et j’ai découvert qu’on n’en parlait absolument pas dans la presse française. Cela faisait trois ans que cela existait et pas un mot dans la presse française. J’ai été stupéfait de voir qu’une méthode qui fonctionne, qui fonctionne tellement bien que Todmorden s’est développé dans 35 communes en Angleterre avec le soutien du prince Charles et que les gens sont ravis, restait inconnue chez nous. Rien en France. Et donc on s’est réuni en famille avec quelques amis. Et on s’est dit : c’est génial. Il faut le faire. Donc, on s’est lancé dans l’aventure. C’est comme cela qu’on a expérimenté ce mouvement qui est un mouvement collectif, citoyen, un mouvement qui vient des gens. Et on a commencé à le faire devant cette maison. Comme disait Gandhi, soyez le changement que vous voulez voir dans le monde,  on a commencé par nous même.

 

Colroy-la-Roche : les étapes d’un processus

 Le principe pour réaliser cette démarche citoyenne est très simple. On l’a expérimenté à Colroy-la-Roche. Même une seule personne peut démarrer. C’est étonnant ! Parfois, il y a des groupes qui démarrent à 30 ou 40, mais il y a des communes où cela a démarré avec une seule personne.

Quand on a démarré à Colroy la Roche, mon épouse a accepté de lancer l’appel de Colroy. L’étape 1, c’est de se prendre en photo durant la pancarte de la commune. On se prend en photo devant le panneau avec le visuel : Nourriture à partager : Incroyables Comestibles France. Et puis on prend aussi des râteaux, des binettes, des outils de jardinage, des arrosoirs. Et on prend aussi quelques fruits et légumes. Cette étape est très importante parce que c’est le point de départ d’un processus où les citoyens vont changer de regard. Ils vont acter l’intention délibérée d’engager un processus collectif sur le territoire, et cela dans le respect de la loi, dans une démarche de pacification. C’est autorisé à tout le monde de se prendre en photo devant une pancarte. C’est une démarche bienveillante.

On passe ensuite à l’étape 2. On va partager la photo sur les réseaux sociaux, sur un blog, sur un site internet et lancer l’appel aux autres à participer. Donc l’étape 2, c’est de la communication. Aujourd’hui, on la relaie en faisant passer l’information sur le site des « Incroyables Comestibles. France » et à nos amis anglais de Todmorden. Il y a une carte mondiale et, sur cette carte, on place une petite balise de la commune où des citoyens se lancent. On passe du local au global. Les gens se relient entre eux. Si en plus, on associe la presse quotidienne régionale, la radio, les gens autour de vous peuvent découvrir qu’il y a une démarche collégiale et ils proposent de vous rejoindre. C’est ce qui se passe régulièrement.

Ensuite, l’étape 3. Soyons le changement que nous voulons voir dans le monde. On commence par soi-même. Chacun est invité à faire sa part. On met un bac devant la boite à lettres sur l’espace privé ouvert au public. Certaines personnes n’ont pas d’espace devant. Elles placent une jardinière sur le balcon. Dans un logement collectif, il n’y avait devant que 50 cm de terre avec des buissons. Des mamans et des enfants ont planté des framboisiers, avec : « nourriture à partager » et une petite information. Alors des voisins ont demandé : « Qu’est ce qui se passe ? ». « Oui, c’est sympa ! » Les gens se mettent à parler… Voilà l’étape numéro 3. Chacun fait sa part.

On arrive à l’étape 4. On passe à la dimension collective. On va organiser une réunion publique dans la salle des fêtes. On va sur des marchés. On va créer l’événement en allant à la rencontre des autres pour faire monter le mouvement collectif, ce mouvement citoyen. Et quand on arrive à susciter une certaine dynamique dans la commune, généralement les élus en ont entendu parler et souvent les conseils municipaux viennent à la rencontre.

Et dans l’étape 5, on tente de rallier le conseil municipal de manière à ouvrir l’espace public pour transformer la ville en parcours potager libre et gratuit.

Aujourd’hui, neuf mois auprès le début de l’action, les « Incroyables Comestibles » fleurissent partout en France. On enregistre plus d’une action par jour en France et dans le monde. C’est tellement sympathique, c’est tellement efficace, un véritable retour au bon sens de produire et de consommer localement, que parfois, le même jour, tout se met en place jusqu’au maire et au conseil municipal qui viennent en soutien et qui proposent de coopérer ».

François Rouillay nous fait part ensuite de belles expériences dans son département, mais aussi dans d’autres régions de France. Il nous raconte des initiatives en arboriculture pour remettre en circuit des anciennes espèces et créer des vergers citoyens. Il nous rapporte une dynamique à laquelle des enfants participent activement : « Ces enfants ouvrent une voie pour ce nouvel art de vivre, de produire et consommer facilement, de s’entraider, d’être dans un mouvement joyeux et solidaire, intergénérationnel ».

 


 

Changer de système. De la pénurie à l’abondance

 

Dans un contexte de déclin industriel, les anglais à Todmorden ont intitulé le mouvement : « Incredible Edible Unlimited ». Il y a là une ambition : un horizon illimité. « Le cités industrielles en déclin renaissent de leurs cendres et se disent illimitées. La créativité est illimitée. On peut passer d’un système de pénurie à un système d’abondance. Tout cela par un simple changement de regard. Les anglais nous expliquent qu’ils ont quitté la croyance erronée qu’ils étaient victimes de génération en génération, et, du jour au lendemain,  en abandonnant le système de peur de l’autre, de peur du lendemain qui conduit à la loi du plus fort, de la compétition qui, on le voit bien, génère de l’exclusion, on quitte l’ancien système qui ne fonctionne plus et qui est en bout de course pour entrer dans un nouveau système qui est inclusif, accessible à chacun. Les handicapés, les enfants, les personnes âgées peuvent participer de manière simple à créer de l’abondance… C’est facile à comprendre : vous prenez une semence de comestible, vous la plantez dans le sol, la terre vous en rend cent fois plus. Vous en plantez mille, elle en rend cent mille. Et si vous êtes 15 000 à le faire le même jour, qu’est ce qui se passe ? Et bien, c’est ce qui s’est passé à Todmorden. Et aujourd’hui, c’est ce que nous mettons en place dans nos villes : 1 000 pommiers en une journée. Nous invitons les habitants à créer l’abondance sur les territoires. On a une démarche citoyenne qui est très simple : Nourriture à partager… Servez-vous librement ! C’est gratuit ! »

 

Changer de regard

        

Un petit logo représente un haricot qui germe. « C’est une invitation à une prise de conscience. De génération en génération, on nous a transmis cette croyance erronée qui est la peur du manque. Moi-même, j’ai perçu cela. Et donc, j’ai un tas d’exemples. Aujourd’hui, on s’aperçoit que c’est complètement faux. La terre est généreuse. On plante une graine. La terre nous en rend cent fois plus. Quand vous avez changé de regard et que vous avez commencé à faire l’expérience, vous voyez le monde totalement différent ».

Il y a une grande crise économique et financière en Europe. Il y a des collectivités entières avec des taux de chômage très élevés. Des populations ne profitent pas des bienfaits de la terre. « Si vous changez le regard, et que vous faites le lien entre ces populations et la terre, on peut passer de la pénurie à l’abondance. C’est ce que Todmorden a fait puisqu’en 4 ans. Todmorden est arrivé à 83% d’autosuffisance alimentaire. Maintenant, on peut le faire en 10 mois parce que Todmorden partage son expérience gratuitement avec tout le monde.

Le meilleur est à venir. Pourquoi ? Parce que nous avons décidé de le créer et de le vivre ensemble. En nous connectant et en nous reliant les uns aux autres avec la terre, nous en faisons l’expérience ici et maintenant.

 

Les enfants sont nos guides

 

La raison pour laquelle ce mouvement se développe partout et sans frontières, c’est que c’est simple à réaliser et que la terre est généreuse, si simple que même les enfants peuvent le faire.

Et les enfants aiment le faire. On dit que les enfants sont nos guides. Pourquoi les enfants sont nos guides ? Parce que quand vous confiez à des enfants la responsabilité de planter des semences pour faire un jardin à partager, les enfants vont jusqu’au bout.

D’abord, ils s’émerveillent de manière naturelle. Ils s’émerveillent de voir que cela pousse. Ils trouvent cela merveilleux. Ils vont arroser toutes les semaines.

Ce qui est extraordinaire, c’est que pour l’enfant lorsqu’on lui dit, c’est pour partager, il le croit immédiatement. Pour l’enfant, le partage, c’est quelque chose de naturel. L’abondance dans la nature est un phénomène naturel. C’est un changement de regard.

 

Fêter l’abondance. Partager un repas

 

Nos amis anglais nous disent : « Célébrate ! ». Faites la fête de l’abondance. Et, pour cela, il n’y a rien de mieux que de partager des fruits et des légumes, en mangeant ensemble. L’assiette, le repas, c’est ce qui nous unit ». François Rouillay évoque l’expérience des « soupes du partage ». On apporte ce qu’on a. « Ceux qui savent cuisiner vont apprendre aux autres à faire de délicieux potages ».

 

Une économie de proximité

 

Qu’est ce que vont penser les maraîchers locaux ? Vont-ils craindre une concurrence ? « Et bien non, c’est tout le contraire. Actuellement, nous sommes soutenus par les maraîchers locaux parce ce que c’est par le changement de regard qu’on va réactiver les circuits courts ». A Todmorden, l’économie est repartie. On recrée des emplois. Le changement repose sur trois plaques tournantes : la communauté (la participation citoyenne), l’éducation et la pédagogie avec en  priorité les enfants, l’économie locale. Si on relie ces trois pôles, « vous avez un cercle vertueux, un système complètement évolutif et accessible à chacun ».

 

Un horizon nouveau

 

«  La terre peut nourrir tous ses enfants sans problème. On se redonne un avenir. On se recrée un monde du possible, un monde de gentillesse, de bienveillance. Non nous ne sommes pas emprisonnés dans la pénurie. Nous sommes créateurs de ce monde où on peut vivre dans une forme d’abondance partagée.

Pierre Rabhi nous parle de « sobriété heureuse ». Il parle des 3 H : humus, humilité, humanité. C’est cela notre leitmotiv : guérir la terre, recréer l’humus et, en humilité, nourrir l’humanité ».

 

La montée d’une conscience nouvelle

 

Dans notre société en mutation où les menaces abondent, il est bon de mettre en évidence des courants et des mouvements à travers lesquels la collaboration et la solidarité se manifestent (5). Ce sont là des signes qui nous encouragent et nous éclairent. Le mouvement : « Incroyables Comestibles » fait partie de ces changements qui débouchent sur un nouveau genre de vie et qui témoignent d’une transformation en profondeur des mentalités. François Rouillay met en évidence la portée de ce changement. C’est à la fois une nouvelle forme d’économie fondée sur le partage et un nouveau genre de vie. Mais c’est aussi une conception nouvelle du monde. Ici, ce n’est plus la force et l’exclusion qui dominent, c’est la collaboration et l’inclusion (6). Ici l’homme ne se prétend plus maître et seigneur de la nature (7), mais il la respecte et considère avec reconnaissance les bienfaits d’une « terre généreuse » et le potentiel d’abondance qui lui est ainsi offert.

 

Nous voyons également dans ce mouvement une signification spirituelle qui transparaît dans cette interview à de nombreuses reprises. « Comme disait Gandhi, soyez le changement que vous voulez voir dans ce monde ». Cette réalité spirituelle est particulièrement sensible chez les enfants qui y sont prédisposés (8). François Rouillay nous montre comment les enfants participent avec enthousiasme à ce mouvement : « Ils s’émerveillent de manière naturelle… Pour eux, le partage, c’est quelque chose de naturel. L’abondance dans la nature est un phénomène naturel. C’est cela le changement de regard ».

Toutes ces observations évoquent pour nous le message des évangiles. Jésus ne donne-t-il pas les enfants en exemple ? Ne nous montre-il pas un Dieu qui exprime sa bonté dans la profusion de la nature ? Ne nous invite-t-il pas à une convivialité fraternelle dans des repas partagés ? Certes ce message a souvent été perdu de vue dans un héritage religieux en osmose avec une société menacée par la mort et marquée par la domination, la répression et l’exclusion. François Rouillay évoque le souvenir du manque présent encore aujourd’hui, mais en remontant dans le passé, on y rencontre des famines. Ainsi, si nous vivons aujourd’hui dans une période difficile, il y a néanmoins une évolution des esprits qui permet l’éclosion d’un nouveau genre de vie. Les mentalités évoluent. Ainsi reconnaît-on davantage aujourd’hui les dispositions positives et un chercheur comme Jérémie Rifkin a pu écrire un livre sur la reconnaissance et le développement de l’empathie (9). Si le christianisme occidental a été pollué pendant des siècles par l’idéologie mortifère du péché originel, une transformation intervient là aussi. A cet égard, le livre de Lytta Basset : « Osons la bienveillance » est particulièrement éclairant (10). En prenant en exemple certains épisodes de la vie de Jésus, elle nous montre comment la bienveillance peut s’exercer et se répandre aujourd’hui. Et cette vertu est bien présente dans le mouvement des « Incroyables comestibles ». Dans le contexte de notre réflexion personnelle, nous percevons  dans la dynamique de ce mouvement une inspiration de l’Esprit telle qu’elle nous est décrite par Jürgen Moltmann, théologien de l’Espérance (11). « Etre vivant signifie exister en relation avec les autres. Vivre, c’est la communication dans la communion… L’« essence » de la création dans l’Esprit, c’est la « collaboration » et les structures manifestent la présence de l’Esprit, dans la mesure où elles font reconnaître l’« accord général » ». La création et le développement des «Incroyables comestibles » nous apparaît comme un phénomène émergent. Moltmann apporte un éclairage sur la signification de l’émergence en y voyant un processus d’« auto-organisation » de la vie, un « saut qualitatif ». Il y perçoit «  une présence de l’Esprit divin qui pousse vers la transcendance et qui, dans l’apparition de nouveaux ensembles, anticipe la réalité future dans le Royaume de Dieu ».

Les « Incroyables Comestibles » nous apparaissent comme une remarquable « innovation sociale qui revêt une vraie portée socio-politique et socio-culturelle. Bien sûr, dans la crise de grande ampleur à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui, cette approche ne résout pas tous les problèmes. Elle apporte sa part, mais c’est une contribution substantielle. Elle participe à l’apparition d’une nouvelle économie et d’un nouveau genre de vie.  Telle qu’elle nous est décrite, elle apparaît comme « une Révolution tranquille » qui concerne à la fois l’économie, le social et la culture. Mise en évidence vécue et concrète d’une étonnante dynamique,  sens visionnaire, expression chaleureuse, bon sens et sagesse se conjuguent pour faire de cette interview de François Rouillay une ressource particulièrement précieuse,  une source d’enthousiasme dans un temps où nous devons faire face à beaucoup de morosité.

J H

 

(1)            La dynamique intervenue à Todmorden est relatée dans une vidéo sous-titrée en français accessible sur le site des « Incroyables Comestibles » http://lesincroyablescomestibles.fr

(2)            Les Incroyables Comestibles. Plantez des légumes. Faites éclore une révolution. L’incroyable histoire de Todmorden. Préface de François Rouillay. Postface de Gilles Daveau. Actes Sud/Colibris, 2015. Ce livre, traduit de l’anglais, relate l’histoire de Todmorden, mais, à travers la contribution de François Rouillay, il rend compte brièvement de l’histoire du mouvement en France et nous donne un état de la situation actuelle comme sa présence active dans quelques villes comme Albi, Bayonne, Besançon et La Rochelle.

(3)            Site des « Incroyables Comestibles » : http://lesincroyablescomestibles.fr

(4)            Interview de François Rouillay en vidéo (Le Chou Brave) : https://www.youtube.com/watch?v=ZfFbD9pBREA

(5)            Des courants et des mouvements novateurs porteurs de collaboration et de solidarité. Sur ce blog : « Une révolution de « l’être ensemble ». « Vive la co-révolution. Pour une société collaborative » (Anne-Sophie Novel et Stéphane Riot) : https://vivreetesperer.com/?p=1394  « Pour une société collaborative » (Pippa Soundy) : https://vivreetesperer.com/?p=1534  Anne-Sophie Novel, militante écologiste et pionnière de l’économie collaborative » : https://vivreetesperer.com/?p=1975       « OuiShare, communauté pionnière dans le champ de l’économie collaborative » : https://vivreetesperer.com/?p=1866 « Une jeunesse engagée pour une société plus humaine et plus durable » (Myriam Bertrand) : https://vivreetesperer.com/?p=1780 « Thomas d’Ansembourg : un citoyen pacifié devient un citoyen pacifiant » : https://vivreetesperer.com/?p=2156   « Discerner les voies pour une société plus humaine (« Les voies d’espérance ») » : https://vivreetesperer.com/?p=1992 « Appel à la fraternité » : https://vivreetesperer.com/?p=2086

(6)            « Dedans… Dehors ! Face à l’exclusion, vivre une commune humanité » : https://vivreetesperer.com/?p=439 « Dedans… Dehors ! Un chemin de liberté (Philippe Molla) : https://vivreetesperer.com/?p=444

(7)            « Vivre en harmonie. Ecologie, théologie et spiritualité (Jürgen Moltmann) » : https://vivreetesperer.com/?p=757

(8)            Sur le site de Témoins : « L’enfant est un être spirituel : une prise de conscience révolutionnaire  (Rebecca Nye) » : http://www.temoins.com/index.php?option=com_content&view=article&id=1106:l’enfant-est-un-être-spirituel&catid=14:developpement-personnel&Itemid=84        Sur ce blog : « L’enfant : un être spirituel » : https://vivreetesperer.com/?p=340

(9)            Sur le site de Témoins : « Vers une civilisation de l’empathie. A propos du livre de Jérémie Rifkin. Apports, questionnements et enjeux » : http://www.temoins.com/etudes/recherche-et-innovation/etudes/vers-une-civilisation-de-lempathie-a-propos-du-livre-de-jeremie-rifkinapports-questionnements-et-enjeux

(10)      Sur ce blog : « Bienveillance humaine. Bienveillance divine. Une harmonie qui se répand. (Lytta Basset : Osons la bienveillance » : https://vivreetesperer.com/?p=1842

(11)       La pensée de Jürgen Moltmann est présenté sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie » : http://www.lespritquidonnelavie.com   Les citations présentes dans cet article sont extraites du livre : « Dieu dans la création » (Cerf, 1988) : p 15 et 25. Et de « Ethics of hope » (Fortress Press, 2012) p 126.

Dame confiance

Un témoignage présenté dans le livre : « Sa présence dans ma vie »

 

Quand on veut encourager un ami à faire face à un moment difficile, en le quittant, une expression nous vient facilement à l’esprit : « Bon courage ! ». Ainsi veut-on l’aider à faire face à travers une intonation qui cherche à galvaniser son énergie et dans laquelle nous mettons tout notre allant. Mais a-t-il en lui les forces correspondantes ? Cette parole cherche à entraîner un sursaut, mais ensuite tout peut retomber, et parfois plus bas encore.

De fait, nous avons oublié,  peut-être parce que nous sommes troublé, peut-être parce que nous ne le savons pas clairement, que tout ne dépend pas de nous, qu’il y a une force supérieure à laquelle nous pouvons faire appel, dans laquelle nous pouvons puiser. Oui, nous pouvons ensemble entrer dans une dynamique qui nous dépasse. Cette attitude peut engendrer des miracles. « La foi jouit de la force même de Dieu », nous dit Jürgen Moltmann. C’est pourquoi d’elle seule il est dit ce qui est réservé à Dieu : « Tout est possible à celui qui croit » (Mc 9.23). (Jésus, le Messie de Dieu p.163-164). Alors notre parole d’encouragement peut se transformer. Ce n’est plus : « Bon courage ! ». C’est : « Confiance ! ». La confiance s’inscrit dans un mouvement porteur qui nous dépasse.

 

Odile, atteinte d’un cancer, a découvert la puissance de ce mot auprès de celle qu’elle a appelée : « Dame confiance » (1).

« « Mon traitement se termine avant la perfusion de mon amie. En partant, je lui dis un banal « Bon courage ! ». Alors, une voix tonitruante retentit sur un ton péremptoire. « On ne dit pas « Courage ! ». On dit « Confiance ». C’est une dame d’un certain âge, allongée sur un lit un peu plus loin, qui a si vigoureusement réagi. Je l’avais remarqué à son arrivée : une forte personnalité gaie, d’une grande vitalité. Son exclamation m’a fait l’effet d’un courant électrique. J’ai bondi vers elle : « Vous avez raison ! ». Et je l’ai embrassée… Une force intérieure m’animait. Je suis partie, gonflée à bloc ! La joie au cœur d’une espérance de vie. C’est vraiment curieux qu’un message, qu’un simple mot soit porteur d’un message aussi fort… ».

Et, dès lors, la famille, les amis vont s’associer à la demande d’Odile : « Ne me dites pas « Courage », mais « Confiance ». « Le mot de passe est devenu : « Confiance ! », vœu d’une santé meilleure ». C’est l’expression d’une puissance de vie, d’une grâce divine en action. Aujourd’hui encore, cette mémoire porte vie. « Dame confiance a semé une petite graine en devenir d’un grand arbre où le corps fatigué, les âmes dépressives vont pouvoir se reposer et reprendre vie… ». Une simple parole : « Confiance ! ».

 

JH

 

(1)               Odile Hassenforder. Sa présence dans ma vie. Empreinte, 2011 (Dame confiance p.161-163). Ce livre a été évoqué à plusieurs reprises sur ce blog et il est présenté par Françoise Rontard sur le site de Témoins :

http://www.temoins.com/actualites/evenements-et-actualites/805-sa-presence-dans-ma-vie-odile-hassenforder-temoignages-d-une-vie-et-commentairres-de-lecteurs.html

La gratitude : un mouvement de vie

 

 « Le pouvoir de la gratitude »

D’après les propos de Florence Servan-Schreiber

 

Et si nous reconnaissions aujourd’hui tout ce que nous avons reçu des autres et qui fait que nous sommes là, vivant, tout ce qui nous a permis de grandir en amour, en joie, en compréhension, en confiance (1). Et si nous exprimions cette reconnaissance dans un mouvement de vie bienfaisant à la fois pour ceux à qui nous l’exprimons, mais aussi pour nous-même. Car au cœur de ce mouvement, il y a une dynamique à la fois personnelle et collective où nous pouvons percevoir l’inspiration de l’Esprit. C’est dire combien il est bon d’entendre parler de gratitude, d’en découvrir la portée et les effets. C’est pourquoi l’intervention de Florence Servan-Schreiber à Ted X Paris sur « le pouvoir de la gratitude », accessible en vidéo sur internet (2) est particulièrement bienvenue. Cet exposé est remarquable parce qu’il allie une compétence de psychologie ayant accès aux meilleures sources et une démarche personnelle exprimée dans un esprit de recherche, de dialogue, de conviction et d’authenticité. Cousine de David Servan-Schreiber (3), un médecin particulièrement innovant, dont en sait l’intelligence et le courage dans sa lutte contre la maladie, Florence s’est formée à la psychologie transpersonnelle en Californie et elle s’inscrit aujourd’hui dans le courant de la psychologie positive à la fois par sa pratique et par ses écrits qui en diffuse les apports auprès du grand public (4). Cependant, dans cet exposé, Florence Servan-Schreiber s’implique personnellement et elle nous décrit comment elle a vécu la découverte de la gratitude, une dimension bien souvent méconnue dans certains contextes culturels.

 

 

Florence commence son « talk » en nous parlant de son cousin, David Servan-Schreiber, un jeune psychiatre, qui, à 30 ans, menacé par un cancer au cerveau, « a mobilisé toutes les connaissances, toute son énergie pour essayer de voir comment, dans ces circonstances, il pouvait vivre, non seulement le plus longtemps possible, mais surtout le mieux possible ». On sait qu’en conséquence, il a adopté de nouvelles pratiques de vie. « Mais ce que l’on sait moins, parce qu’il ne l’a pas publié, c’est l’attention qu’il a porté aux détails et aux petites choses de la vie. Jusqu’à son dernier souffle, David a été un phénomène de gratitude ». Ainsi, la gratitude, c’est une disposition extrêmement concrète. « La gratitude, c’est un sentiment de reconnaissance lorsque nous réalisons la saveur ce que nous vivons. C’est, par exemple, un rayon de soleil sur la joue. C’est l’odeur d’un bébé surtout quand c’est le sien… C’est le fait de se déplacer pour vous apprendre des choses… ». Pourquoi David m’a-t-il mis sur la voie de tout cela ? Parce que nous parlions beaucoup de psychologie ensemble. Parce que, aux Etats-Unis, il existe des laboratoires entiers qui étudient les circonstances et les conséquences de la gratitude ».

Ainsi, depuis douze ans, au centre de recherche « Greatergood » de l’Université de Berkeley, Robert Emmons (5) travaille dans le courant de la psychologie positive pour essayer de comprendre, le processus de la gratitude et les effets que cela peut avoir sur nous. Florence nous rapporte les conclusions de ses recherches.  « D’abord, sur le plan psychologique, quand nous savons nous émerveiller des petites choses… ne serait-ce que la température qu’il fait dans cette salle, le fait que nous ayons pu arriver à l’heure… ne serait-ce que cela… Et bien, nous nous sentons plus heureux, plus relié aux autres, plus vivants. Ensuite, les bénéfices sur le plan relationnel, sont, en tout premier, de nous sentir beaucoup moins seul parce que la gratitude provient toujours de quelque chose ou de quelqu’un qui est à l’extérieur de nous. C’est un sentiment qui nous rend humble, qui nous donne envie de donner à notre tour ».

Et puis, il y a aussi des conséquences positives sur le plan physiologique. Florence évoque une recherche menée depuis 1986 dans un centre universitaire au Minnesota (USA). Un chercheur a émis l’hypothèse d’un lien entre le fait d’éprouver de la gratitude, de savoir s’émerveiller et la longévité. Mais comment trouver deux populations comparables en tous points, excepté l’attitude à tester ? « Ils ont trouvé dans un couvent où on conserve 150 ans d’archives. La première chose qu’on demande aux jeunes femmes entrant au couvent à l’âge de 20 ans, c’est d’écrire une lettre qui les présente, qui raconte leur vie. Elles refont la même chose à 40 ans et à 70 ans. Et parallèlement, les dossiers médicaux ont été archivés. On a remis ces lettres à des sémanticiens qui étudient la teneur du vocabulaire et on leur a demandé de quantifier la nature des mots qui expriment de l’émerveillement, de l’optimisme et de la gratitude. Et ensuite on a corrélé la densité de gratification de ces femmes avec leur état de santé et la durée de leur vie. On s’est aperçu que plus il y avait de termes qui expriment de la gratitude et de l’émerveillement, plus elles ont vécu longtemps. Et ainsi, on a trouvé un écart de sept ans entre les deux groupes contrastés. Dans des enquêtes menés dans d’autres milieux, on a obtenu les mêmes résultats ».

 

Cette valorisation du positif n’est pas toujours bien reçue dans certaines formes de culture, en particulier en France. « Moi, je suis née à Paris. J’ai grandi à Paris. Ici, cela ne va pas de soi de parler de ce qui va bien, de ce qui nous émerveille. Mais à force d’avoir fréquenté David, d’avoir lu toute cette documentation, j’ai quand même voulu essayer. Chercheur à l’Université de Pennsylvanie (et leader dans le courant de la psychologie positive), Martin Seligman (6) nous propose une méthode adaptée. Il suffit de repérer dans sa journée trois situations : moments, interactions, goûts, sensations qui vous ont fait du bien et pour lesquelles vous avez envie de dire : « Alors là, merci ! », pour faire progresser son niveau de bonheur d’une façon durable ».

Florence nous raconte comment, rentrée à la maison, elle parle de tout cela à table avec son mari et ses trois enfants qui, à ce moment là, ont entre 8 et 14 ans. « Si on sait repérer 3 kifs (7) dans sa journée, on vivra plus longtemps, on vivra en meilleure santé, on sera plus heureux. On s’est lancé. Ce n’est pas facile pour tout le monde. Notre rapport avec la gratitude est un peu différent. Pour Léon, le plus jeune, c’était très difficile. Mais une des plus grande fierté de maman, c’est qu’aujourd’hui, Léon a 14 ans et qu’il a adopté cette pratique. Il peut vous dire les 3 kifs de sa journée. Quand on fait cela avec les gens qu’on connaît, avec les gens avec lesquels on travaille, il se passe quelque chose de particulier, parce que ce n’est pas un sujet courant de conversation. Si cela vous touche, cela me touche. Il y a une règle. Un kif, cela ne se commande pas, cela ne se critique pas si on le fait publiquement. On écoute les autres et, éventuellement, on peut y ajouter le sien ».

 

Mais on peut aller plus loin. Si on n’a pas envie de parler, on peut avoir, sur sa table de nuit, un carnet de kifs, un journal de gratitude qui permet de tout noter avant de se coucher. Robert Emmons s’est aperçu que si c’est la dernière chose que je fais dans la journée, le sommeil est plus profond, le sommeil est plus long et,

si on souffre de douleurs chroniques, les douleurs se dissipent.

Et ensuite, il y a le niveau suivant. C’est « la lettre de gratitude ». Quand nous sommes habités par un sentiment de reconnaissance, le cerceau ne peut pas éprouver en même temps du ressentiment et de la colère. Pendant un an, je n’ai fait aucun cadeau. Le seul cadeau que j’ai fait pour l’anniversaire de mes amis, c’est de leur écrire une lettre de gratitude. J’ai donc revisité mes relations et je me suis rendu compte de la chance que j’avais. « Si tu n’étais pas dans ma vie, voilà ce que je ne serais pas ». Cela permet de mesurer la profondeur de la relation avec les amis ». On peut aller plus loin encore. « Martin Seligman a suggéré des visites de gratitude. Vous préparez la lettre, vous prenez rendez-vous et vous lisez votre lettre. J’ai écrit une lettre de gratitude à mon mari. Nous sommes ensemble depuis 25 ans. En 25 ans de vie commune, ma liste des reproches est facile à faire. Mais là, il ne s’agit pas de cela. « Si tu n’étais pas dans ma vie,  si je ne t’avais pas rencontré ce jour là, voilà ce que je ne serais pas devenu, tout ce qui m’aurait manqué… ».

 

« Voilà ce quoi cela sert la gratitude.  C’est simplement vivre exactement la même vie, mais en mieux. Je ne change pas les personnages. Je ne change pas le décor. Et cela devient extraordinairement utile lorsque cela ne va pas, lorsque la vie ne vous donne pas ce que vous voulez, vous donne le contraire de ce que vous voulez, lorsque le temps que vous avez à passer avec quelqu’un que vous aimez est compté, alors, en appliquant ce filtre là, on réalise, malgré tout cela, la chance que l’on a ».

 

Le message que nous communique Florence sur « le pouvoir de la gratitude » passe d’autant mieux qu’il est le fruit d’une expérience personnelle et qu’il nous est communiqué avec beaucoup de convivialité, de simplicité et d’authenticité. Ce message parle à notre intelligence, mais il parle aussi à notre cœur.

Les sources citées par Florence Servan-Schreiber s’inscrivent dans le courant de la psychologie positive. Et lorsqu’on va à la rencontre de ces sources sur internet, à travers les personnalités de Roger Emmons (5) et de Martin Seligman (6) et des centres de recherche où ils travaillent, on découvre une approche de recherche qui porte un véritable changement de paradigme en psychologie. Comme le déclare Martin Seligman (6), il s’agit de ne plus se focaliser uniquement sur ce qui ne va pas, mais de prendre en compte également ce qui va pour le mettre en valeur et en tirer des enseignements. Ce développement de la psychologie positive (8), témoigne d’une évolution actuelle dans les mentalités qui rend possible un changement de regard. C’est le passage d’un regard pessimiste sur la nature humaine et peu sensible au potentiel humain à un regard qui met en valeur un processus reconnaissant et développant le positif dans l’existence humaine. Ce mouvement est profond. Dans son livre : « Vers une civilisation de l’empathie » (9), Jérémie Rifkin nous montre comment nous sortons d’une idéologie qui a assombri la psychologie à la prise de conscience d’un potentiel jusque là méconnu. Et ce mouvement commence à se faire sentir en France dans le champ des sciences humaines (10).

Ce changement nous paraît se manifester également dans une transformation profonde qui est en train de s’opérer dans le champ religieux. Comme le fait remarquer la théologienne Lytta Basset, la conception du péché originel, telle que l’a développé Saint Augustin, a assombri le christianisme occidental pendant des siècles en induisant la culpabilisation et la peur. Lytta Basset nous invite à sortir de cette emprise dans un livre : « Oser la bienveillance » (11) qui montre combien celle-ci est au cœur d’un message évangélique bien entendu.

Avec du recul, on comprend mieux ce qui a été et est contesté dans l’héritage religieux traditionnel. Cependant, les idéologies adverses qui ont prospéré, sont, elles aussi, en perte de vitesse. Ainsi, un nouveau regard sur le monde est en train d’apparaître dans une vision holistique. On a pu définir la spiritualité comme « une conscience relationnelle » qui s’exerce dans le rapport ave soi-même, avec les autres, avec la nature et avec Dieu (12). En christianisme, Jürgen Moltmann ouvre des pistes nouvelles dans une théologie de l’Esprit attentive à l’émergence et la présence de Dieu dans l’immanence et une théologie de l’espérance ouverte aux potentialités de l’avenir (13).

Dans un contexte où les anciennes barrières s’affaissent et où une interconnexion s’opère, Martin Seligman s’inspire des valeurs fondamentales ancrées dans les traditions religieuses et spirituelles de l’humanité (6). Parler de la gratitude, c’est s’inscrire dans une inspiration spirituelle qui irrigue les siècles. En termes chrétiens, la gratitude et l’émerveillement se rejoignent à travers les psaumes dans l’expression de notre relation à Dieu. C’est une reconnaissance continuelle. « Mon âme bénis l’Eternel ! N’oublie aucun de ses bienfaits » (Ps 103.2). Il y a des vies qui sont animées par un mouvement de gratitude et d’émerveillement. C’est ce qui apparaît dans le témoignage d’Odile Hassenforder dans son livre : « Sa présence dans ma vie » (14). A travers les épreuves, ce mouvement apparaît constamment comme une présence de vie. « Que c’est bon d’exister, pour admirer, m’émerveiller, adorer. C’est gratuit. Je n’ai qu’à recevoir, en profiter, goûter sans culpabilité, sans besoin de me justifier (Justifier quoi ? de vivre ?). D’un sentiment de reconnaissance jaillit une louange joyeuse, une adoration au créateur de l’univers dont je fais partie, au Dieu qui veut le bonheur de ses créatures… Comme il est écrit dans un psaume : Cette journée est pour moi un sujet de joie. Une joie pleine en sa présence, un plaisir éternel auprès de toi, mon Dieu… Louez l’Eternel, car il est bon. Son amour est infini » (Ps 16.118). La vie est vraiment trop belle pour être triste. Alleluia » (p 174).

Notre commentaire vient témoigner en faveur de l’importance du thème de la gratitude. A travers son expérience personnelle et sa compétence psychologique, Florence Servan-Schreiber nous invite à une découverte, celle d’un mouvement du cœur et de l’esprit qui se révèle bienfaisant pour chacun en nous reliant les uns aux autres.

 

Jean Hassenforder

 

(1)            Sur ce blog, un poème : « Nos vies dépendent l’une de l’autre » : «… Je tisse le lange de l’être qui naît. Sans lui, rien ne serait… Si tu ne m’avais dit : « avance ». D’autres attendent que tu crées. Rien ne serait… »  https://vivreetesperer.com/?p=12

(2)            « Le pouvoir de la gratitude. Florence Servan Schreiber à TED X Paris. Salon 2012 » (Vidéo sur You Tube) https://www.youtube.com/watch?v=nZUfJpVxUNI

(3)            Le parcours de David Servan-Screiber est impressionnant. Une formation originale et créative en psychiatrie et dans le domaine des neurosciences, principalement aux Etats-Unis. Atteint d’un cancer au cerveau au début des années 90, il va expérimenter un ensemble de pratiques innovantes qui vont lui permettre de résister à la maladie pendant 20 ans et qu’il va mettre au service de tous dans un ensemble d’écrits. Une créativité qui se manifeste également à travers des avancées comme l’EMDR. Un article dans Wikipedia rend bien compte de cette exceptionnelle contribution. https://fr.wikipedia.org/wiki/David_Servan-Schreiber

(4)            Formée à la psychologie transpersonnelle aux Etats-Unis, Florence Servan-Schreiber développe en France des pratiques innovantes et, par ses activités et ses écrits, elle participe à la diffusion des idées nouvelles. Au cours des dernières années, elle met en valeur les apports de la psychologie positive, notamment à travers plusieurs livres. https://fr.wikipedia.org/wiki/Florence_Servan-Schreiber     Voir aussi « L’hyper pouvoir de l’amour. Florence Servan-Schreiber. Vidéo TED X Lille 2015)   https://www.youtube.com/watch?v=ES0qIGoXtCA

(5)            Robert Emmons est professeur de psychologie à l’Université de Californie et expert mondial dans le domaine de la gratitude. Il travaille au Centre de recherche : « Greater Good The science of a meaningful life ». Ce centre travaille, entre autres, sur des sujets comme l’empathie, la compassion, le pardon, l’émerveillement. Une excellente communication avec de nombreuses vidéos. Une ressource où l’on viendra puiser. http://greatergood.berkeley.edu/topic/empathy

(6)            Professeur à l’Université de Pennsylvanie, psychologue éminent, Martin Seligman est pionnier de la psychologie positive. Cette approche scientifique s’appuie notamment sur des « valeurs millénaires dans toutes les traditions du monde : sagesse/connaissance, courage, humanité, justice, tempérance, transcendance ». https://fr.wikipedia.org/wiki/Martin_Seligman Sur Ted, une interview de Martin Seligman sur la psychologie positive : https://www.ted.com/talks/martin_seligman_on_the_state_of_psychology?language=fr

(7)            Kif est un mot qui s’est introduit récemment dans le langage courant. « Un « kif » ou « kiff » est une passion, un plaisir personnel ou simplement un moment de bonheur ». Wikipedia nous rapporte l’origine et la popularisation de ce thème. https://fr.wikipedia.org/wiki/Kiffer

(8)            Le courant de la psychologie positive est bien présent aujourd’hui en France. On pourra consulter le site : « Psychologie positive » animé par Jacques Lecomte : http://www.psychologie-positive.net

Sur ce blog, présentation du livre de Jacques Lecomte sur « la bonté humaine » : https://vivreetesperer.com/?p=674

(9)            Sur ce blog : « la force de l’empathie » : https://vivreetesperer.com/?p=137                                     Le livre de Jérémie Rifkin sur l’empathie mis en perspective sur le site de Témoins : « Vers une civilisation de l’empathie… » : http://www.temoins.com/vers-une-civilisation-de-lempathie-a-propos-du-livre-de-jeremie-rifkinapports-questionnements-et-enjeux/

(10)      « Quel regard sur la société et sur le monde ? Un changement de perspective » : https://vivreetesperer.com/?p=191

(11)      « Bienveillance humaine. Bienveillance divine. Une harmonie qui se répand » (« Oser la bienveillance » par Lytta Basset)  https://vivreetesperer.com/?p=1842

(12)      « La vie spirituelle comme « une conscience relationnelle ». La recherche de David Hay sur la spiritualité d’aujourd’hui » : http://www.temoins.com/la-vie-spirituelle-comme-une-l-conscience-relationnelle-r/

(13)      « Une théologie pour notre temps. L’autobiographie de Jürgen Moltmann » : http://www.temoins.com/une-theologie-pour-notre-temps-lautobiographie-de-juergen-moltmann/     Un blog concernant la pensée théologique de Jürgen Moltmann : http://www.lespritquidonnelavie.com

(14)      Odile Hassenforder. Sa présence dans ma vie. Parcours spirituel. Empreinte Temps présent, 2011

Présentation : http://www.temoins.com/sa-presence-dans-ma-vie-odile-hassenforder-temoignages-d-une-vie-et-commentairres-de-lecteurs/

Sur ce blog, nombreuses expressions d’Odile Hassenforder : https://vivreetesperer.com/?p=2345 

Ainsi, une attitude de gratitude et d’émerveillement dans les petites choses : « De petits riens de grande portée. La bienveillance au quotidien » : https://vivreetesperer.com/?p=1849

 

La gratitude et le bonheur sous un autre aspect :

« Une boite à soleil. Reconnaître les petits bonheurs comme un flux de vie. De l’archéologie de la souffrance à une psychologie des ressources, par Jeannne Siaud Fachin » (TED X Paris Vaugirard Road) : https://vivreetesperer.com/?p=2002

Une philosophie de l’histoire, par Michel Serres

Au sortir de massacres séculaires, vers un âge doux portant la vie contre la mort.

 004060553A travers une culture encyclopédique, Michel Serres a développé une pensée créative et originale dans un style imagé. Il ouvre de nouvelles compréhensions plus vastes, plus profondes. Les ouvrages de Michel Serres nous entraînent dans une vision nouvelle du monde. C’est le cas dans son livre : « darwin, bonaparte et le Samaritain. Une philosophie de l’histoire » (1).

En page de couverture, quelques lignes explicitent le titre  concernant ce regard nouveau sur l’histoire de l’humanité.

« Darwin raconte l’ouverture de Faune et de Flore. Devenu empereur, Bonaparte, parmi les cadavre sur le champ de bataille, prononça, dit-on, ces mots : « Une nuit de Paris réparera cela ». Quant au Samaritain, il ne cesse, depuis deux mille ans, de se pencher sur la détresse du blessé. Voilà trois personnages qui scandent sous mes yeux, trois âges de l’histoire.

Le premier âge est plus long qu’on ne croit, le deuxième est pire qu’on ne pense, le dernier meilleur qu’on ne dit.

Histoire ou utopie ? Il n’y a pas de philosophie de l’histoire sans un projet, réaliste et utopique. Réaliste : contre toute attente, les statistiques montrent que les hommes pratiquent l’entraide plutôt que la concurrence. Utopique : puisque la paix devint notre souci ainsi que la vie. Tentons de les partager avec le plus grand nombre. Voici un projet aussi réaliste et difficile qu’utopique, possible et enthousiasmant ».

 

Le livre se répartit en trois parties : « Premier âge, long : le Grand récit. Deuxième âge, dur : trois morts. Troisième âge, doux : trois héros. » et se termine par une réflexion sur « les sens de l’histoire ». Le regard de Michel Serres renouvelle notre vision du passé dans une approche si dense, si riche, si originale qu’elle ne peut être résumée. Nous mettrons l’accent sur l’émergence actuelle d’un nouvel âge, cet « âge doux » évoqué par l’auteur. Et nous commenterons cette prise de conscience.

 

Le Grand Récit

Au départ, l’auteur montre comment les progrès récents de la science, à travers une capacité nouvelle de dater les phénomènes, nous ouvrent à une mémoire de l’univers, à une mémoire de la terre dans laquelle l’histoire humaine vient s’inscrire. Une nouvelle synthèse peut ainsi s’élaborer. Nous voici en présence d’un « Grand Récit ».

 

C’est une situation nouvelle. Michel Serres dégage quelques caractéristiques fondamentales de ce temps long. « Le couple énergie-entropie régit le monde physique ; analogue, le couple vie-mort régit le monde vivant » (p 33). Ainsi, dans l’évolution, pendant que la vie irrésistible perpétue son développement, la mort frappe espèces et individus. Dans notre humanité, on observe une évolution analogue. « D’une part, l’énergie et la vie prennent des figures nouvelles comme l’invention et la paix, d’autre part, l’entropie et la mort réapparaissent en guerres et répétitions » et menacent l’existence de l’humanité (p 33).

 

Cependant, en regard, l’auteur distingue deux formes, deux pratiques : les pratiques dures qui mobilisent des hautes énergies et les pratiques douces qui font appel à des basses énergies, à l’échelle informationnelle. Parallèlement, Michel Serres oppose deux âges : un « âge dur » caractérisé par la violence et par la guerre, et un « âge doux » convivial et inventif en lutte contre la mort.

 

Un âge dur

Dans son regard sur la plus grande part de l’histoire humaine, Michel Serres fait ressortir les composantes d’un âge dur. C’est la prépondérance de la guerre avec les massacres qui l’accompagnent. Cette importance des conflits militaires ne nous avaient sans doute pas échappé, mais l’auteur éveille en nous une prise de conscience de cette réalité dévastatrice. « Toute notre culture baigne dans le sang versé au cours de violences qui s’enchainent et nous enchainent à la guerre perpétuelle » (p 47). Ainsi a-t-on calculé qu’au cours des derniers millénaires, moins de 10% des années ont été consacrées à la paix, c’est à dire à la vie (p 48). Et l’auteur évoque les massacres tels qu’ils apparaissent dans des textes littéraires comme l’Iliade et se manifestent dans des données chiffrées que nous ignorons bien souvent. Sait-on par exemple que les guerres de la Révolution Française et celles de Napoléon ont engendré la mort d’un million cinq cent mille français plus que le million trois cent mille victimes provoquées par la Première Guerre Mondiale entre 1914 et 1918… (p 79). Dans ce contexte, un culte a été voué à l’héroïsme patriotique. « Chacun doit donner sa vie pour sa patrie » ( p 53). Les religions ont participé à cette idéologie mortifère. Michel Serres nous rappelle les analyses de René Girard. La violence se manifeste jusque dans le sacrifice animal.

 

L’auteur nous amène également à entrevoir les rapports entre économie et violence. Et il nous invite à réfléchir au phénomène de la dette. « Avoir et Dû : voilà le titre de deux colonnes dans un bilan comptable. « Je dois » signifie à la fois une obligation morale et une dette à restituer » (p 64). Si la dette asservit les gens et les peuples, elle s’exprime aussi en termes religieux. C’est ici que Michel Serres met l’accent sur le pouvoir libérateur de la Passion du Christ. « A partir du Vendredi saint, nous n’aurons plus jamais de vains devoirs, ni de dettes… Ces péchés nous sont remis… » (p 67). Et plus encore, « le caractère intégral de la remise de nos dettes s’efface devant l’annonce triomphale que cesse le règne même de la dette, c’est à dire de la mort…De même que la Résurrection du Christ ne marque pas une vengeance sur ceux qui l’ont tué, mais positivement une victoire sur la mort elle-même » (p 67) ». Il y a là un tournant. Mais, dans un monde dominé par la violence et par la mort, le potentiel de la libération se fraye difficilement un chemin.

 

Et, de même, dans son inventaire des raisons d’espérer, l’auteur se refuse à croire à une méchanceté irrémédiable de l’homme. Les recherches (2) vont à l’encontre des théories et concepts abstraits prétendant l’homme, en général mauvais, en général, égoïste et violent, incapable d’empathie… En la plupart d’entre nous, une manière d’amour l’emporte sur la haine… l’humain est humain » (p 87).

 

Pendant des millénaires, la « thanocratie » a prévalu. « Déclinée trois fois dans la religion, longtemps sacrificielle, les armes, létales toujours, et l’économie, exploitant les faibles et blessant le monde, la mort me paraît le moteur de l’histoire » ( p 72). Il a fallu la menace d’anéantissement collectif éveillée par l’usage de la bombe atomique en 1945 à Hiroshima et Nagasaki pour qu’une prise de conscience s’effectue. Mais dans la période sombre qui a précédé, on peut entrevoir un mouvement de libération qui s’est frayé un chemin. Ce mouvement débouche aujourd’hui. Dans cette histoire, Michel Serres, évoque la part du christianisme : « Sa leçon majeure n’enseigne-t-elle pas l’incarnation, l’allégorie vive de la Naissance, enfin la Résurrection, soit une victoire non pas contre nos ennemis, comme pendant le règne de la Mort, mais contre la Mort elle-même ? Par ce rééquilibrage, un tout autre monde semble annoncé, promis, espéré… » (p 77).

 

Un âge doux

Nous voici aujourd’hui au début d’un nouvel âge : un âge doux. Michel Serres y voit la mise en œuvre de la néguentropie, selon Wikipedia : « Une entropie négative, un facteur d’organisation des systèmes physiques et, éventuellement sociaux et humains, qui s’oppose à la tendance naturelle à la désorganisation ». « Comme la vie produit des individus nouveaux, l’esprit inventif et novateur, effet de la néguentropie, devient source de nouveautés, produit à nouveau de la néguentropie. Puisque celle-là se trouve déjà là ensemencée dans l’Univers et au sein du réseau évolutif, l’âge de l’Esprit, doux par rapport aux hautes énergies, dites entropiques, perdure donc  en tous temps, travaillant à se libérer d’un étranglement mortel » (p 92). « L’âge doux, celui des esprits, advient dès que ceux-ci se mettent à lutter contre la mort de manière efficace. Nous y sommes. De même qu’il y eut trois manières de s’entre égorger durement, armée, religieuse, économique, de même l’âge que j’appelle doux se décline de trois manières, portant sur la vie et l’esprit : médicale, pacifique et numérique » (p 93).

 

Un  premier fait est le développement de la médecine et son efficacité accrue. C’est un état d’esprit. « En refusant les lois de la jungle, nos pratiques combattent l’évolution, la sélection naturelle » (p 103). « Il y a deux âges : assassin-victime ; malade-médecin » (p 104). Par sa faiblesse et le fait qu’il détienne, miraculeusement, parmi la violence usuelle, d’être pansé par et parmi les siens, le malade est un personnage emblématique décisif, rare, faible, mourant même, mais producteur d’humanité » (p 103).

Dans cette perspective, la parabole du Samaritain résonne avec une force particulière, comme une injonction révolutionnaire à l’encontre d’un univers de violence. L’émotion nous gagne lorsque nous entendons ces paroles. Michel Serres célèbre la figure du médecin : « Celle qui se penche sur les blessés ; celui qui écoute les plaintes de l’agonie ; celle qui s’incline ; l’attentive qui cherche à comprendre et peut-être guérira…. Non, il ou elle, n’est pas seulement le héros de ce temps, mais sans doute, celle et celui de toute l’histoire » (p 107).

 

Très concrètement, l’auteur met l’accent sur l’espace de paix qui s’est créé en Europe occidentale après 1945 au sortir d’une guerre dévastatrice. « De 1945 à 2015, comptons soixante-dix ans de paix, laps de temps exceptionnel, inconnu en Europe depuis au moins la guerre de Troie ». Bien sûr, il y a un abcès au Moyen-Orient, mais au total dans le monde, homicides et violences ne cessent de reculer. L’industrie du tabac est bien  plus meurtrière que le terrorisme (p 122). On assiste à des changements profonds comme le recul de la peine de mort. « Sortant à peine de l’enfer, nous avons construit une sorte d’utopie dont nous ne pouvons connaître la nouveauté que par comparaison avec ce qui se passe alentour qui ressemble trait pour trait à ce qui se passait chez nous avant cette ère nouvelle ».

 

Cependant la paix est constamment à maintenir et à construire. L’auteur évoque une figure exemplaire, celle de François de Callières (1645-1717) qui publia un livre décisif : « De la manière de négocier avec les souverains ». Conseiller de Louis XIV, un roi qui ne cessa de faire la guerre – plus de trois cent mille morts- , François de Callières sait de quoi il parle. Il définit le rôle du négociateur : éviter au maximum les conflits. « Tout prince chrétien doit avoir pour maxime principale de n’employer la voie des armes pour soutenir et faire valoir ses droits qu’après avoir tenté et épuisé celle de la raison et de la persuasion (p 126). Promouvoir la paix, c’est aussi construire un vivre ensemble. Michel Serres évoque les réalisations coopératives du « socialisme utopique » qui ont porté du fruit alors que les théories prétendument « scientifiques » du socialisme ont durement échoué. « Pas un seul mort de leur fait, du concret, de la continuité » (p 134). Et aujourd’hui, on peut se réjouir de toutes les réalisations du mouvement associatif. L’auteur nous appelle à prendre en compte, à prendre en charge : « le personnage commun, banal, minuscule, individuel, faible, malade, infirme, virtuel, oui, miraculeux, si délaissé dans son fossé, si oublié dans sa bonté, si concret dans son humilité qu’il passe pour inexistant… » (p 135).

 

Ainsi, trois sens au terme « doux » : la vie prolongée par le biologiste et le médecin ; la paix nouvelle, mais qui dure, les basses énergies. Voici les trois composantes de l’âge doux » (p 138). Les nouvelles technologies qui ouvrent l’ère du virtuel s’inscrivent dans cet univers de basses énergies. Face aux puissants qui prédominent, face au déploiement de la violence, un texte biblique « prophétise exactement le troisième âge, celui là même que nous vivons aujourd’hui et qui, à l’écart du feu et des hautes énergies, destructrices, cultive les basses, l’information, les signaux, les signes, les paroles… que le tonnerre rend inaudible » : « Il y eut un grand ouragan, si fort qu’il fendait les montagnes et brisait les rochers, en avant de Yahvé, mais Yahvé n’était pas dans l’ouragan…Après le feu, le bruit d’une brise légère. Dès qu’Elie l’entendit, il se voilà le visage avec son manteau, il sortit et se tint à l’entrée de la grotte. Alors une voix lui parvint qui dit… » (I Rois  19, 11-13) (p 139).

En se rappelant les effets démocratiques de l’imprimerie, l’émergence d’internet peut nous émerveiller. C’est là que Michel Serres évoque Petite Poucette, cette jeune fille emblématique des usages révolutionnaires d’internet qu’il a brillamment évoquée dans un précédent livre (3). « Face à l’aristocratie des puissants, des riches, des représentants, le portable dans la paume, Petite Poucette annonce : « Maintenant, tenant en main le monde… ». Elle a accès à tout. Tout lui appartient. « Troisième héroïne de l’âge doux, Petite Poucette monte ainsi sur la plus haute marche du podium, entre le médecin et le négociateur. Elle incarne une nouvelle démocratie du savoir  dont l’utopie fait peur aux anciens… » (p 142).

Le paysage de la communication change. Tout se lie, tout se relie. « Il me paraît prévisible que la main du marché devra un jour adapter sa puissance relationnelle à celle, concrète, du monde et, sans doute, s’adapter, voire obéir à sa loi. Nous entrons dans un temps où se joue un « mano a mano » décisif pour notre survie entre l’homme individuel ou global et la planète entière » (p 147).

 

Quel avenir ?

Nous voyons bien aujourd’hui des menaces s’élever à l’encontre de la civilisation nouvelle en train de grandir (4). Michel Serres est bien conscient de ce danger. « Je ne suis ni sourd, ni aveugle aux forces atroces qui pendant cet âge si court s’opposent à la prégnance neuve de la paix ». Pour faire face aux attitudes passées qui remontent parfois, « nous devons trouver des stratégies propres à notre temps et délaisser celles que nous venons de quitter. Secourir, soigner, partager, négocier, dialoguer, suivre les trois modèles qui nous guident pour vivre dans notre âge… » (p 118).

Cependant, lorsqu’on voit la violence se propager jusque sur internet, on peut s’inquiéter. L’auteur est attentif à ce danger. « Libérer le nombre impose des risques… Combien de temps faut-il pour qu’une multiplicité désordonnée s’organise et forme une communauté d’autant plus nouvelle que ce type de libération, inattendu, n’a aucun équivalent dans le passé ? Peut-on éviter une violence interminable avant de parvenir à une cohésion ? Confirmé par l’advenue du troisième âge où le multiple se libère vraiment, mon utopie espère échapper à cet étau (p 145).

 

Ce livre ouvre pour nous une compréhension originale de l’histoire humaine. Il met en évidence une dynamique qui suscite l’espérance. Ainsi, Michel Serres nous y parle de survie dans un triple sens :

« Survivre : laisser survivre ou conserver

Survivre : mettre l’accent sur une nouvelle histoire, un nouveau sens de l’histoire

Survivre : vivre mieux que la vie, accéder avec joie à l’esprit.

Créer ces trois survies en compagnie du plus grand nombre possible, voilà le projet aussi réaliste, dangereux, difficile qu’utopique, possible et enthousiasmant » (p 161).

 

Une vision prophétique

Ces dernières années, le ciel s’est assombri. Des orages éclatent. Mais, comme en toute navigation, il importe de garder le cap. Dans ce temps de crise, on a besoin de ne pas perdre confiance, mais de discerner les courants porteurs, parfois peu visibles et souterrains. « Sans vision, le peuple meurt », nous dit un verset de la Bible  (Proverbes 29.18). Le livre de Michel Serres nous communique une telle vision. C’est l’émergence d’un âge doux où la paix l’emporte sur la guerre et la vie sur la mort. Et, si on perçoit bien les menaces envers cette nouvelle manière de vivre, Michel Serres met en valeur la dynamique du processus.

 

Il se trouve que d’autres chercheurs mettent également en évidence un changement positif intervenu au cours de ces dernières décennies. Ainsi, d’une certaine façon, le livre de Jérémie Rifkin : « Une nouvelle conscience pour un monde en crise. Vers une civilisation de l’empathie » (5) converge avec le texte de Michel Serres. En effet, à partir d’une rétrospective  historique approfondie, Jérémie Rifkin perçoit, dans ces dernières décennies, « la plus grande poussée empathique de l’histoire de l’humanité » . Et d’après la recherche de Ronald Inglehart sur les valeurs dans le monde (World values survey) (6), on enregistre depuis 1981, une évolution, certes diversifiée, mais rapide vers une valorisation de l’expression personnelle et la recherche d’une qualité de vie. Une autre recherche a montré l’expansion du courant des « culturels créatifs » (6) qui valorise ce qu’on pourrait appeler une sobriété heureuse et conviviale.

Jérémie Rifkin nous montre une évolution vers une pacification des esprits. Ainsi rejoint-il Michel Serres sans encourir le reproche qu’on peut parfois faire à celui-ci de présenter une catégorisation trop tranchée entre « âge dur » et « âge doux » . Il est également très attentif au potentiel de changement à travers et dans l’économie.

Dans son analyse, à plusieurs reprises, Michel Serres met en lumière l’incidence du récit évangélique et de la foi qui s’en inspire sur l’évolution des esprits Ces passages nous paraissent particulièrement importants. Au cœur de l’histoire, nous percevons la singularité, l’originalité, le potentiel de vie et d’espérance de cette inspiration. Si, pendant les siècles de l’âge dur, les institutions religieuses ont souvent pactisé avec l’idéologie ambiante, on voit bien ici combien les textes évangéliques ont joué le rôle de ferment. Et, aujourd’hui dans ce livre, ils contribuent à interpréter l’histoire.

Rappelons cette citation : « La leçon majeure du christianisme n’enseigne-t-elle pas l’incarnation, l’allégresse vive de la naissance, enfin la Résurrection, soit une victoire non plus contre les ennemis comme pendant le règne de la Mort, mais contre la Mort elle-même » (p 77).

 

Ici, Michel Serres est en phase avec Jürgen Moltmann, le théologien de l’espérance . Leurs pensées se rejoignent à plusieurs égards

Engagé très tôt dans une théologie écologique (7), Moltmann inscrit l’histoire de l’humanité dans celle de la nature.

« La nouvelle vision du monde écologique part de l’idée que la terre est notre maison. L’humanité fait partie d’un grand univers en évolution. La terre, notre maison, est vivante avec une communauté de vie singulière…  La protection de la vitalité, de la diversité et de la beauté de la terre est une responsabilité sacrée…. Cela rejoint la richesse des traditions bibliques concernant la terre » (8).

Cependant, c’est aussi sur la question de l’attitude vis-à-vis de la mort que la pensée théologique de Moltmann appuie la recherche de Michel Serres. En effet, dans une civilisation dominée par la guerre et par la mort, cet « âge dur » qui nous a été décrit, la religion a pu se résigner dans une acceptation de la mort comme une fatalité, détournée vers une émigration de l’âme vers l’au delà. Au contraire, avec force, Moltmann proclame la lutte contre la mort. « La résurrection du Christ porte le « oui » de Dieu à la vie et son « non » à la mort et suscite nos énergies vitales. Les chrétiens sont des gens qui refusent la mort ( « Protest people against death »)….L’origine de la foi chrétienne est, une fois pour toutes, la victoire de la vie divine sur la mort. « La mort a été engloutie dans la victoire » (1 Corinthiens 15.54). C’est le cœur de l’Evangile. C’est l’Evangile de la vie ».

Et Jürgen Moltmann poursuit : « Cette théologie de la vie doit être le cœur du message chrétien en ce XXIè siècle. Jésus n’a pas fondé une nouvelle religion. Il a apporté une vie nouvelle dans le monde, aussi dans le monde moderne. Ce dont nous avons besoin, c’est une lutte partagée pour la vie, la vie aimée et aimante qui se communique et est partagée, en bref la vie qui vaut d’être vécue dans cet espace vivant et fécond de la terre » (9).

Comme Michel Serres, Jürgen Moltmann  porte également attention aux émergences : « L’histoire présente des situations qui contredisent le Royaume de Dieu et sa justice. Nous devons nous y opposer. Mais il existe également des situations qui correspondent au Royaume de Dieu et à sa justice. Nous devons les soutenir et les créer lorsque c’est possible. Il existe ensuite dans le temps présent des paraboles du Royaume futur et nous y voyons ce qui arrivera au jour de Dieu. Nous entrevoyons déjà maintenant quelque chose de la guérison et de la nouvelle création de toutes chose que nous attendons. Nous le traduisons par une attente créatrice… » (10).

 

Si la vision de Michel Serres est particulièrement originale, elle est aussi en convergences avec la pensée de quelques autres penseurs contemporains. Son livre nous appelle à un regard nouveau. La pensée de Michel Serres nous ouvre à la reconnaissance d’une civilisation nouvelle en train d’apparaître et de s’étendre, cet « âge doux » déjà suffisamment avancé pour que Michel Serres puisse le décrire et le caractériser. Il y a dans ce discernement un aspect prophétique. Michel Serres nous invite à entrer dans une nouvelle manière de vivre.

 

J H

 

(1)            Serres (Michel). darwin, bonaparte et le samaritain. Une philosophie de l’histoire. Le Pommier, 2016                                           Une conversation particulièrement éclairante avec Michel Serres sur cet ouvrage au Monde Festival en vidéo : http://www.lemonde.fr/festival/video/2016/09/20/le-monde-festival-en-video-conversation-avec-michel-serres_5000685_4415198.html

(2)            Lecomte (Jacques). La bonté humaine. Altruisme, empathie, générosité. Odile Jacob, 2012. Mise en perspective sur ce blog :   https://vivreetesperer.com/?p=674

(3)            Serres (Michel). Petite Poucette. Le Pommier, 2012. Mise en perspective sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=820

(4)            Menaces multiples et même, menaces de guerres, comme en traite Pierre Servent dans son livre : « Extension du domaine de la guerre » (Robert Laffont, 2016)

(5)            Rifkin (Jérémie). Une nouvelle conscience pour le monde. Vers une civilisation de l’empathie. Les liens qui libérent, 2010.  Mise en perspective sur le site de Témoins :  http://www.temoins.com/vers-une-civilisation-de-lempathie-a-propos-du-livre-de-jeremie-rifkinapports-questionnements-et-enjeux/

(6)            « Emergence d’une nouvelle sensibilité spirituelle et religieuse », sur le site de Témoins :  http://www.temoins.com/emergence-dune-nouvelle-sensibilite-spirituelle-et-religieuse-en-regard-du-livre-de-frederic-lenoir-l-la-guerison-du-monde-r/

(7)            « Convergences écologiques : Jean Bastaire, Jürgen Moltmann, Pape François et Edgar Morin » : https://vivreetesperer.com/?p=2151

(8)            « In the fellowship of the earth », p 80-85, in : Jürgen Moltmann. The Living God and the fullness of life. World Council of Churches, 2016.   Présentation du livre sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=2413

(9)            Sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie » : « la vie contre la mort » : http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=841

(10)      Moltmann (Jürgen) . De commencements en recommencements. Une dynamique d’espérance. Empreinte temps présent, 2012 (p 115)                                               Présentation sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=572