Une avancée majeure : l’expérimentation de Céline Alvarez dans une classe maternelle à Genevilliers.
Considérer l’enfant, l’adolescent, prendre en compte ses aspirations, lui permettre d’apprendre et de se développer en suivant son élan intérieur, créer une ambiance, un environnement favorable à cette dynamique : pendant tout le XXè siècle, des pionniers comme Maria Montessori, Dewey, Freinet, Decroly, ont cherché à promouvoir une éducation nouvelle face à un enseignement plus ou moins imposé d’en haut. Aujourd’hui, dans une part croissante de la société, un état d’esprit propice à l’initiative et à la créativité apparaît, se projetant naturellement sur la manière de concevoir l’éducation des enfants. La révolution numérique change de fond en comble les conditions de la transmission du savoir en le rendant accessible à tous (1). L’éducation apparaît de plus en plus comme une requête majeure de la société de la connaissance et de la nouvelle économie, et aussi comme la condition siné qua non d’une société plus démocratique. Ainsi, l’échec scolaire se révèle de plus en plus intolérable. En France, les dégâts sont particulièrement importants puisque 40% des élèves sortent du CM2 avec de graves lacunes. Ce sont les mêmes qui ne poursuivent pas une scolarité normale au collège et se retrouvent ensuite en difficulté dans la recherche d’une insertion professionnelle.
L’expérimentation menée par Céline Alvarez pendant trois ans dans une classe maternelle au sein d’une zone d’éducation prioritaire à Gennevilliers s’inscrit dans ce paysage. Si cette expérience s’est heurtée aux rigidités du système, à travers des résultats remarquables scientifiquement testés, elle a permis de valider une approche dont on perçoit l’exceptionnelle fécondité. Céline Alvarez milite donc aujourd’hui pour une promotion de cette approche chez des acteurs motivés. Et son livre : « Les lois naturelles de l’enfant » (2), à partir de l’expérience de l’auteur et de l’approche de la recherche, nous entraine dans une voie nouvelle.
Une expérimentation innovante pour un nouvel horizon
Les propos de Céline Alvarez mettent en évidence une forte motivation, un projet longuement réfléchi et muri, une action volontaire pour pénétrer dans l’enseignement public afin d’y expérimenter une nouvelle approche. Effectivement, en septembre 2011, elle parvient à prendre en charge une classe maternelle à Gennevilliers en zone d’éducation prioritaire. Et elle va poursuivre cette expérience pendant trois ans jusqu’à ce que des empêchements institutionnels viennent y faire obstacle. Quelles sont les grandes caractéristiques de son approche ?
Globalement, Céline Alvarez s’inspire de l’expérience pionnière de Maria Montessori. Celle-ci, doctoresse au début du XXè siècle, s’était elle-même appuyée sur les travaux de deux médecins français, Jean Itard et Edouard Seguin. « En 1907, Maria Montessori créa ce qu’elle appelait les « maisons d’enfants » qui regroupaient une quarantaine d’enfants de trois à cinq ans : le principe pédagogique essentiel de ces lieux de vie et d’apprentissage était l’autonomie accompagnée et structurée » (p 17). Céline Alvarez récuse une dépendance rigide vis à vis de cette méthode, mais, écrit-elle, « Lorsque j’ai découvert les écrits du Dr Montessori, ils m’ont rapidement passionnée justement pour cette démarche scientifique non dogmatique et évolutive . Ils étaient par ailleurs d’une justesse époustouflante, visionnaire et profondément humaine. J’ai alors étudié quotidiennement pendant plus de sept années ses travaux que j’ai enrichi de l’apport des connaissances scientifiques actuelles sur le développement humain et de la linguistique française »… C’est sur cette base que j’ai effectué mes recherches en axant mes réflexions sur le développement des compétences exécutives des enfants… sur les activités de langage…ainsi que sur les moments de regroupements indispensables pour la consolidation des fondamentaux. Enfin, et surtout, j’ai limité le nombre d’activités proposées aux enfants pour privilégier et renforcer le lien social… Cette reliance sociale fut un véritable catalyseur d’épanouissement et d’apprentissage » (p 18).
A l’approche de Maria Montessori si révolutionnaire à son époque en affirmant une conception nouvelle de l’enfant et de son potentiel et en lui offrant un environnement pédagogique, stimulant et respectueux, Céline Alvarez a ajouté une prise en compte de la recherche scientifique actuelle, et, dans le même mouvement, elle a fait de cette innovation une expérimentation accompagnée par une évaluation rigoureuse. « La première année malgré l’absence de cadrage institutionnel officiel, le cabinet du ministre et l’académie ont autorisé les tests visant à mesurer les progrèsdes enfants. Ces derniers ont été réalisé par le CNRS de Grenoble » ( p 18). Et, cette évaluation va rapidement mettre en évidence la réussite exceptionnelle de cette nouvelle approche pédagogique. Dès la fin de la première année scolaire, tous les élèves, sauf un, progressent plus vite que la norme, beaucoup connaissent des progressions très importantes… Certains des enfants qui avaient, en début d’année, un retard de plusieurs mois, voire de plusieurs années, ont non seulement rattrapé la norme, mais l’ont également dépassée sur certains domaines de compétences cognitives fondamentales ».
Il y avait là une grande réussite. Elle fut méconnue par le système bureaucratique puisqu’en juillet 2014, le Ministre de l’Education Nationale décida l’arrêt de l’expérience. Dès lors, Céline Alvarez a donné sa démission et poursuivi son action par d’autres voies et en pleine liberté. « Après les résultats extraordinaires et très prometteurs des enfants, je ressentais comme une grande urgence de partager très largement et avec une liberté et une rapidité que l’Education Nationale n’aurait pu m’offrir, les contenus théoriques ainsi que les outils pédagogiques qui avaient eu un impact si positif ».
Les lois naturelles de l’enfant
Déjà, au printemps 2014, Céline Alvarez avait fait connaître la dynamique de son expérience dans une intervention à TEDXIsèreRiver : « Pour une refondation de l’école guidée par les enfants » (3). Aujourd’hui, elle diffuse ses connaissances et son savoir-faire à travers un site particulièrement efficient, notamment grâce à la mise en ligne de nombreuses vidéos (4). Enfin un livre : « les lois naturelles de l’enfant » (2), nous présente une compréhension de l’enfant et une approche éducative fondée sur l’expérience et un recours méthodique à la recherche scientifique dans toute son extension et à l’échelle internationale.
Céline Alvarez présente ce livre en ces termes : « Le livre que vous avez entre les mains… dégage les grands principes de l’apprentissage identifiés par la recherche, ainsi que les invariants pédagogiques qu’ils imposent. Nous verrons d’abord l’importance de nourrir l’intelligence extraordinaire de l’enfant dans les premières années de sa vie en lui offrant un environnement de qualité, riche, dynamique, complexe et en lui permettant d’être actif et de réaliser les activités qui le motivent. Nous abordons dans la deuxième partie, l’importance d’aider l’enfant à organiser et à s’approprier toutes ces informations qu’il perçoit du monde extérieur, notamment grâce à du matériel didactique lui présentant de manière très concrète les bases de la géographie, de la musique, du langage et des mathématiques. Nous verrons ensuite, dans une troisième partie qu’il est fondamental de permettre à l’enfant de développer ses potentiels embryonnaires au moment où ils cherchent à se développer, – ni avant, ni après. Et enfin, dans la quatrième partie de ce livre, nous aborderons une condition environnementale-clé : l’importance du lien humain. Les interactions sociales variées, chaleureuses, empathiques et bienveillantes sont en effet un des leviers les plus importants pour le plein épanouissement de l’intelligence humaine…» (p 28-29).
Un événement significatif
Lorsqu’on retrace l’histoire de l’innovation pédagogique en France au cours des dernières décennies, l’initiative de Céline Alvarez nous paraît tout à fait remarquable. En effet, elle est l’aboutissement d’une longue préparation théorique et pratique et d’une action consciente et persévérante. Dans un premier temps, elle parvient à franchir les obstacles institutionnels pour être ensuite empêchée, mais rebondir dans un mouvement plus large.
Cette initiative s’inscrit également dans un changement en cours des mentalités, l’éveil d’un nouvel état d’esprit. Si l’on prend en compte un certain nombre d’indicateurs, il y aurait aujourd’hui dans certains milieux une nouvelle vague en faveur d’une éducation nouvelle. Ce désir s’exprime par exemple dans des interventions diffusées par les cercles TEDx. On compte aujourd’hui en France environ 200 écoles Montessori, ce qui est un chiffre élevé sans aucune mesure avec celui qu’on aurait pu relever à la fin du XXe siècle. La référence à Maria Montessori (5) est elle-même significative. A travers son livre « L’enfant » (6) et sa conception du petit enfant comme « un embryon spirituel », elle éveille pour nous un éveil à une dimension plus profonde de l’être humain (7). Par ailleurs, le système classique, hiérarchisé, compartimenté, uniformisé est battu en brèche. Une association comme « Le printemps de l’éducation » témoigne de cet état d’esprit nouveau. L’innovation entreprise par Céline Alvarez participe à ce climat.
Mais elle ajoute à cet élan la mise en œuvre d’une recherchescientifique accompagnant et légitimant des pratiques nouvelles. Cette recherche confirme les intuitions des pionniers de l’éducation nouvelle en démontrant les bienfaits physiologiques et psychologiques de ces pratiques. La recherche pédagogique est présente en France depuis des décennies, mais ici on peut observer des conclusions tout à fait remarquables. Céline Alvarez fait appel tout particulièrement aux neurosciences, à la psychologie positive et à la linguistique. Si l’appel à la recherche est toujours fructueux, il nous parait actuellement tout particulièrement bénéfique, non seulement en raison des avancées scientifiques, mais parce qu’un nouveau regard se manifeste aujourd’hui dans ces avancées (8). La mise en évidence de la précocité du développement de l’intelligence dans la petite enfance, la mise en valeur de l’empathie (9), l’accent nouveau apporté par la psychologie positive (10) sont des acquis qui ont commencé à apparaître à la fin du XXè siècle (11). Ainsi, le titre ambitieux du livre de Céline Alvarez : « Les lois naturelles de l’enfant » peut s’appuyer sur un ensemble de découvertes qui vont de pair avec des valeurs qui se sont frayé un chemin à travers le XXé siècle, mais remontent bien plus loin encore.
Céline Alvarez attache ainsi une grande importance à la « reliance », c’est à dire « l’acte de relier ou de se relier, ou le résultat de cet acte », soit « le sentiment ou l’état de reliance ». La recherche met en évidence les effets extrêmement positifs da la reliance sur notre fonctionnement physiologique. « Lorsque nous nous mettons en lien avec autrui de manière généreuse, chaleureuse, empathique, tout notre organisme s’épanouit et se régénère avec une puissance extraordinaire… Ainsi, lorsque nous sommes chaleureux et bienveillant envers un enfant (mais également envers un adulte), nous agissons de manière puissamment positive tant sur sa santé que sur ses capacités cognitives, sociales et morales. Dans la classe maternelle de Gennevilliers, nous avons usé sans modération de ce levier : nous avons adopté une posture accueillante, chaleureuse et empathique, en veillant bien évidemment toujours à poser les limites claires d’un cadre structurant. A mon sens, cette posture fut, pour les enfants de la classe, un véritable catalyseur cognitif, moral et social » ( p 355).
L’auteur nous montre comment cette attitude a permis l’expression des tendances empathiques et altruistes des enfants. « Le jeune enfant est un être d’amour…Les enfants sont fondamentalement mus par des élans altruistes, généreux… » ( p 396). Ainsi Céline Alvarez n’hésite-t-elle pas à intituler la quatrième partie de son livre sur la mise en œuvre de la reliance dans sa classe maternelle : « Le secret, c’estl’amour ». « L’amour n’est pas le premier mot qui vient à l’esprit lorsqu’on aborde le sujet de l’apprentissage, et il s’agit là d’une erreur fondamentale…L’amour est le levier de l’âme humaine. Nous sommes câblés pour la rencontre chaleureuse et empathique avec l’autre et, lorsque nous obéissons à cette grande loi dictée par notre intelligence, alors tout devient possible » (p 352).
Ainsi, dans son approche comme dans ce livre, Céline Alvarez conjugue l’intelligence et le cœur. Nous savons par expérience combien le mal est présent dans ce monde. Nous oublions trop souvent qu’il peut y avoir en regard une contagion du bien. Et, tout autour de nous, nous rencontrons des formes positives de reliance. Ce livre nous parle d’éducation. Oui, une autre éducation est possible. Mais il a encore une portée plus vaste. Car, à partir d’une vie enfantine épanouie, il évoque aussi pour nous une vie autre . « Le secret, c’est l’amour ». C’est une espérance en marche.
(2) Céline Alvarez. Les lois naturelles de l’enfant. Les Arènes, 2016. Un horizon pour l’éducation. La référence aux acquis scientifiques est fondée sur une remarquable bibliographie à l’échelle internationale. Voir en particulier les notes.
(3) Céline Alvarez. Pour une refondation de l’école guidée par les enfants. Exposé à TEDxIsèreRiver (2014). Une intervention qui présente la dynamique de innovation : https://www.youtube.com/watch?v=nwVgsaNQ-Hw
(4) Site présentant la démarche de Céline Alvarez : « les lois naturelles de l’enfant ». Un beau support de communication avec de nombreuses vidéos : https://www.celinealvarez.org/notre-demarche
(5) Liste des écoles Montessori en France : http://www.ecoles-montessori.com. Un site sur la vie, l’œuvre et le message de Maria Montessori : http://www.montessori-formations.fr/index.html « L’enfant, être humain libre, peut nous enseigner à nous et à la société, l’ordre, le calme, la discipline et l’harmonie. Quand nous l’aidons, l’amour fleurit, un amour dont nous avons le plus grand besoin pour unir tous les hommes et créer une vie heureuse » Maria Montessori
(6) Maria Montessori. L’enfant. Desclée de Brouwer, 2016 Première édition en 1936. Lu très tôt, dans notre première jeunesse, ce livre a été pour nous une découverte marquante.
(7) Il y a quelques années, une recherche de Rebecca Nye a mis en évidence la présence d’une conscience spirituelle chez l’enfant. L’enfant nous dit-elle, a une « sensibilité innée à la la transcendance ». « Pendant l’enfance, la spiritualité consiste principalement à être attirée par l’interaction, à répondre au désir d’entrer en relation avec quelqu’un d’autre que soi, que ce soit les autres, Dieu, la création ou la sensation plus profonde d’être soi ». Des recherches ont mis en évidence une sensibilité des enfants à la présence de Dieu. Ces découvertes viennent contredire des représentations longtemps dominantes qui méconnaissaient la vitalité spirituelle des enfants. Pendant des siècles de chrétienté, une mentalité répressive a dominé en prenant forme dans la théologie augustinienne du péché originel. A l’encontre de cette mentalité, aujourd’hui les paroles de Jésus sur l’enfant reprennent toute leur actualité et on en perçoit davantage la portée. Jésus a parlé des enfants comme ceux « dont les anges dans le ciel se tiennent constamment auprès de mon Père céleste » (Matthieu 18.10) . « Si quelqu’un accueille un enfant, ce n’est pas seulement moi qu’il accueille, mais aussi Celui qui m’a envoyé » (Marc 9.37). On voit là un univers où l’amour s’exprime, un univers appelé à s‘étendre. Voir le livre : Rebecca Nye. La spiritualité de l’enfant. Empreinte. Temps présent, 2015 http://www.temoins.com/lenfant-est-un-etre-spirituel/ Sur le site de Témoins, voir aussi : « Découvrir la spiritualité des enfants. Un signe des temps ? » : http://www.temoins.com/decouvrir-la-spiritualite-des-enfants-un-signe-des-temps/
« Sauver la bonté du monde » (1), c’est le titre d’un nouveau livre de Jean-ClaudeGuillebaud. Nous savons aujourd’hui combien la nature et l’humanité sont conjointement menacées par les désordres engendrés par les excès humains. Le milieu urbain s’est éloigné de la nature. Les équilibres naturels sont déréglés. La pollution défigure les paysages. Allons-nous perdre de vue la beauté de la nature ? Nous les humains, nous participons au monde vivant. Si nous nous reconnaissons dans le mouvement de la création, nous percevons l’harmonie du monde, nous sommes mus et transportés par sa beauté. Alors, oui, si quelque part, cette beauté là est menacée, notre premier devoir, c’est de proclamer combien elle nous est précieuse, indispensable. Ensuite nous pourrons la défendre. C’est dans cet esprit que nous entendons l’appel de Jean-Claude Guillebaud : Sauver la beauté du monde.
Certes, pour sauver la planète du désastre, conjurer la fin du monde, « une énorme machinerie diplomatique et scientifique est au travail » (p 15). Et, on le sait, il est nécessaire d’accélérer le mouvement. Une grande mobilisation est en train de se mettre en route. Cependant, si la peur vient nous avertir, elle n’est pas à même de nous entrainer positivement. Alors, Jean-Claude Guillebaud est à même de nous le rappeler : « Si l’on veut mobiliser les terriens, il faut partir de l’émerveillement.Serait-ce naïf ? Bien sur que non.C’est un Eveil » (p 17). L’émerveillement, ce n’est pas un concept. C’est une expérience. L’auteur sait nous en parler dans un mouvement d’enthousiasme. « Chaque émerveillement me remet debout sur mes jambes, heureux d’être vivant. La beauté fait lever en nous tous une exaltation ravie qui ressemble au bonheur. Et, qu’on ne s’y trompe pas. Beaucoup de savants, parmi les plus grands, ont parlé de ces moments radieux. Oui d’abord s’émerveiller. C’est sur cet émerveillement continuel qu’il fait tabler si l’on veut sauver la beauté du monde… » (p 18-19).
Jean-Claude Guillebaud est bien la personne adéquate pour nous adresser cet appel (2). Dans ses missions de journaliste, correspondant de guerre pour de grands journaux, il connait la face sombre de l’humanité et le poids de la souffrance et de la mort. Résidant, dans sa vie quotidienne au plus près de la nature, dans un village de Charente à Bunzac, il sait se nourrir de la beauté qui transparait de la présence du vivant. Et enfin, éditeur, familier de grands chercheurs, c’est un homme de savoir et il sait traduire cet émerveillement dans les termes d’une pensée construite. A partir de 1995, à travers une série d’essais, face au désarroi contemporain, il a su faire le point en alliant les savoirs issus des sciences humaines et une réflexion humaniste. Effectivement, pour ce faire, il a pu puiser à de très bonnes sources : « Plus j’avance en âge, mieux je comprend ce que je dois à de grandes figures de l’histoire de la pensée : Jacques Ellul, René Girard, Edgar Morin, Cornelius Castoriadis et Maurice Bellet » (p 227). Chez Jean-Claude Guillebaud, la dimension humaniste se joint à une dimension spirituelle. En 2007, il en décrit un mouvement : « Comment je suis redevenu chrétien ».
Dans ce contexte, ce livre de J C Guillebaud nous apparaît comme un témoignage personnel dans une grande diversité de registre. L’auteur rend hommage à la nature, mais pas seulement. Sauver la beauté du monde, c’est aussi reconnaître les grandes œuvres de l’humanité, la puissance de la créativité qui s’y manifeste. Ainsi dans cette dizaine de chapitres, Jean-Claude Guillebaud nous parle des nouveaux moyens de communication au service de la découverte du monde (« Un monde « augmenté »), du mystère de l’art préhistorique (« La beauté inaugurale », du « grand secret des cathédrales ». D’autres chapitres explorent les visages de l’humain.
Les belles personnes
Son expérience de la vie l’amène à consacrer un chapitre sur « les belles personnes ». « C’est un être humain quiirradie je ne sais quelle douceur pacifiée, une trêve dans la grande bagarre de la vie » (p 207). « C’est une disposition de l’âme énigmatique comme la beauté elle-même » (p 208). L’auteur nous en trace des portraits très divers. Face aux cyniques, au déni des autres et de soi-même, Jean-Claude Guillebaud milite pour la reconnaissance des qualités humaines. Et il peut s’appuyer sur une littérature scientifique toute nouvelle. « Plaisir de donner, préférence pour l’aide bénévole, choix productif de la confiance, dispositions empathiques du cerveau, stratégies altruistes et réciprocités coopératives : on découvre dans l’être humain des paramètres qui remettent en cause la vision noire de l’être humain… » (p 217). Il y a là un nouveau paradigme qui nous inspire et que nous mettons en évidence sur ce blog (3).
Les passions humaines
L’auteur se risque à parler des passions humaines. « Un homme sans passions est un roi sans sujets (Vauvenargues). Mais c’est là un sujet ambigu. Il y a bien des passions mauvaises. Le titre du chapitre reconnaît cette disparité : « la dangereuse beauté des passions humaines ». Mais il y a aussi dans la passion une force motrice qui porte de grandes causes pour le plus grand bien. Jean-Claude Guillebaud envisage les passions comme des « écrins » (p 253). Face au calcul et à une excessive prudence, il met en évidence des passions pour le bien. « On ne cite presque jamais certains élans alors qu’ils sont en tous points admirables » (p 254). « La générosité et le souci de l’autre conjugués avec le courage du partage, de toute évidence, composent la plus irremplaçable des passions humaines » (p 239).
Un hymne à la nature.
Cependant, le parcours de ce livre a bien commencé par un hymne à la nature. Et cet hymne peut être entonné parce qu’il est la résultante d’un choix de vie. Au chapitre 2 : « Heureux comme à Bunzac », Jean-Claude Guillebaud nous raconte comment, depuis plusieurs décennies, il a choisi, avec son épouse Catherine, de partager sa vie, chaque semaine, entre Paris (deux jours) et un village de Charente (cinq jours), Bunzac où il s’est installé dans une grande maison familiale. Et il sait nous parler avec enthousiasme de la vie des champs et des bois, des multiples rencontres avec des animaux sauvages sur les petites routes de cette campagne. « Un essayiste assure que tous ces animaux, petits ou grands, représentent la part sauvage de nous-même. L’expression est belle… C’est cette part sauvage que depuis des années, j’essaie de mettre à l’abri, autour de ce que nous appelons avec Catherine, ma femme, la grande Maison devant la forêt » (p 30). C’est le choix d’un genre de vie, où le temps a une autre épaisseur et où l’année est ponctuée par le rythme des saisons. « Mon idée de bonheur est liée à un instant très fugitif du mois d’avril où les lilas s’épanouissent et se fanent en deux semaines. Ce qui m’émeut, c’est l’agencement rigoureux des dates, des floraisons… ».
Sauver la beauté du monde
Sauver la beauté du monde : c’est qu’aujourd’hui elle est menacée. L’avant dernier chapitre intitulé : « Quand la Terre pleure » est introduit par une citation de Thich Nhat Han : « Ce dont nous avons le plus besoin, c’est d’écouter en nous les échos de laTerre qui pleure » (p 261). Les menaces abondent. Parmi elles, Jean-Claude Guillebaud cite l’enlaidissement. Lecteur engagé d’Albert Camus, il raconte comment celui-ci « venu du grand soleil d’Algérie, a découvert avec effroi la laideur des banlieues d’Europe ». Revenu meurtri d’Europe, Albert Camus raconte son retour à Tipisa, un site sur le rivage de la Méditerranée… (p 267). Jean-Claude Guillebaud évoque à ce sujet quelques lignes d’Albert Camus dans « l’Eté » : « Je redécouvrais à Tipisa qu’il fallait garder intactes en soi une fraicheur, une source de joie, aimer le jour qui échappe à l’injustice, et retourner au combat avec cette lumière conquise… J’avais toujours su que les ruines de Tipisa étaient plus jeunes que nos chantiers ou nos décombres. Le monde y recommençait tous les jours dans une lumière toujours neuve. Ce recours dernier était aussi le nôtre… Au milieu de l’hiver, j’apprenais enfin qu’il y avait en moi un été invincible » (p 268). Visitant ce lieu, Jean-Claude Guillebaud en est impressionné. « Grâce à Camus, j’avais l’impression d’être tenu debout par la beauté du monde. Ou ce qu’il en reste » (p 269).
Face à un « enlaidissement du monde qui s’accélère » (p 270), le chapitre se poursuit par un questionnement de l’auteur sur la manière de remédier aux méfaits du capitalisme. Cependant le problème n’est pas seulement économique, politique et social, il est aussi culturel et spirituel, l’auteur explore cette question éminemment complexe.
Changer de regard
Au terme de ce voyage dans l’espace et dans le temps, Jean-Claude Guillebaud s’emploie à répondre à son questionnement initial. Et si il nous fallait changer de regard et « avoir d’autres yeux ».
« Le seul véritable voyage, le seul bain de Jouvence, ce ne serait pas d’aller vers de nouveaux paysages, mais d’avoir d’autres yeux » (Marcel Proust) (p 293). « Cette citation », nous dit l’auteur, « m’émeut toujours… Elle signifie, au bout du compte, que la beauté est – aussi – une grâce humaine. C’est elle qui enchante, désenchante et réenchante le monde. Un des proches conseillers de Nicolas Hulot, le philosophe Dominique Bourg, rejoignait Proust quand il affirmait que le seul choix qui nous reste, était de repenser notre manière de voir le monde, c’est à dire d’être au monde » (p 296).
Et « changer notre manière d’être au monde, d’avoir d’autres yeux, implique une révolution intérieure… » (p 296). Appel à une mystique (Pape François), à un nouveau récit personnel (Cyril Dion ). « Yann Arthus Bertrand a cent fois raison quand il dit que la révolution écologique sera spirituelle » (p 297). « Avec le monde en danger, nous devons accéder à une véritable conscience amoureuse », nous dit Jean-Claude Guillebaud, rappelant qu’il avait intitulé le premier chapitre de ce livre : « Une déclaration d’amour à la terre » (p 297). Et ceci implique et induit des changements de comportements face à un consumérisme à tout-va.
En fin de compte, sauver la beauté du monde, c’est aussi la reconnaître, et donc vivre l’émerveillement. C’est un enthousiasme. « Le marquis de Vauvenargue est l’auteur d’un aphorisme : « C’est un grand signe de médiocrité que de louer toujours modérément ». Cette maxime a du faire son chemin au plus profond de moi au point de me constituer. S’émerveiller– du monde, de la vie, des humains – me semble aujourd’hui la moindre des choses » (p 305).
Une dynamique de vie
Le monde est en crise. Devant la menace climatique, le péril est déclaré. C’est dans ce contexte que Jean-Claude Guillebaud écrit ce livre : « Sauver la beauté du monde ». Il y participe aux alarmes et aux interrogations concernant l’avenir de l’humanité. Le trouble est sensible aujourd’hui. Sans boussole, le voyageur se perd. Nous avons besoin de comprendre et d’espérer. Il y a donc lieu de rappeler qu’en 2012, Jean-Claude Guillebaud a écrit un livre intitulé : « Une autre vieest possible. Commentretrouver l’espérance ? » (4). Si le péril nous semble plus grand aujourd’hui qu’hier, il reste que cet ouvrage nous paraît toujours d’actualité. Et, déjà à l’époque, il y avait en France une propension au négatif. « Depuis longtemps, l’optimisme n’est pas tendance. On lui préfère le catastrophisme déclamatoire ou la dérision ». Ce livre nous aide à mesurer « la mutation anthropologique » dans laquelle nous sommes engagés sur plusieurs registres à la fois. Mais, en même temps, des chemins nouveaux commencent à apparaître : « Partant de nous, autour de nous, un monde germe. Un autre monde respire déjà ».
Nous nous retrouvons sur ce blog dans le même esprit. Aujourd’hui, une civilisation écologique commence à germer. Ce sera nécessairement, une civilisation relationnelle. C’est dans ce sens que nous sommes appelés à avancer. Comme l’écrit Jürgen Moltmann, « Sil y a une éthique de crainte pour nous avertir, il y a une éthique d’espérance pour nous libérer » (5). Nous voici en mouvement. « Les sociétés fermées s’enrichissent aux dépens des sociétés à venir. Les sociétés ouvertes sont participatives et elles anticipent. Elles voient leur futur, dans le futur de Dieu, le futur de la vie, le futur de la création éternelle » (6)
Il y a dans ce monde desvoix qui anticipent et nous ouvrent un chemin. Parmi elles, on compte Joanne Macy, militante écologiste américaine engagée depuis plus de cinquante ans pour la paix, la justice et la protection de la terre et chercheuse associant plusieurs approches et inspirations. Labor et Fides vient de publier un de ses livres : « L’espérance en mouvement » (7), coécrit avec Chris Johnstone et préfacé par Michel Maxime Egger. Il y a là une démarche qui contribue à baliser le chemin. « L’humanité se trouve à un moment crucial où elle doit faire le choix entre trois manières de donner du sens à l’évolution du monde : le « on fait comme d’habitude », la grande désintégration, ou le « changement de cap ». Cette dernière histoire est « la transition d’une société qui détruit la vie vers une société qui la soutient à travers des relations plus harmonieuses avec tous les êtres, humains et autres qu’humains ». Engagée dans une approche de partage et de formation, Joanne Macy ouvre le champ de vision à travers la gratitude, l’acceptation de la souffrance pour le monde, la reliance… Sur ce blog, on retrouve cette dimension d’ouverture et de mise en relation dans la vision théologique de Jürgen Moltmann (6) et de Richard Rohr (8).
Une intelligence éclairée, multidimensionnelle vient également à notre secours. C’est la démarche de Jérémy Rifkin dans son livre : « Le New Deal Vert mondial » (9) qui nous montre comment l’expansion des énergies renouvelables va réduire la pression du CO2 et contribuer à l’avènement d’une civilisation écologique.
Comme l’a écrit Jean-Claude Guillebaud, « Changer notre manière d’être au monde implique une révolution intérieure », il y a bien un profond mouvement en ce sens. Ainsi, Bertrand Vergely a écrit un livre sur l’émerveillement (10) : « C’est beau de s’émerveiller… Qui s’émerveille n’est pas indifférent. Il est ouvert au monde, à l’humanité, à l’existence. Il rendpossible un lien entreeux… Tout part de la beauté. Le monde est beau, l’humanité qui fait effort pour vivre avec courage et dignité est belle, le fond de l’existence qui nous habite est beau… Quand on vit cette beauté, on fait un avec le monde. On expérimente le réel comme tout vivant. On se sent vivre et on s’émerveille de vivre… Beauté du monde, mais aussi beauté des êtres humains, autre émerveillement… Beauté des être humains témoignant d’une beauté autre. Quelque chose nous tient en vie. Une force de vie, la force de la vie. Une force venue d’un désir de vie originel. Personne ne vivrait si cette force n’existait pas. Cela donne du sens à Dieu, source ineffable de vie… » (p 9-11). Le livre de Jean-Claude Guillebaud nous dit comment on peut vivre cet émerveillement dans la vie d’aujourd’hui. C’est un hymne à la beauté. Il ya chez lui, un enthousiasme, enthousiasme de la beauté, enthousiasme de la vie. Et, par là, comme l’écrit Bertrand Vergely, il y a une force qui s’exprime. Dans un contexte anxiogène, Jean-Claude Guillebaud nous permet de respirer. Il ouvre un espace où nous engager avec lui, dans une dynamique de vie et d’espérance.
J H
Jean-Claude Guillebaud. Sauver la beauté du monde. L’Iconoclaste, 2019-10-13
Jean-Claude Guillebaud. Une autre vie est possible. Choisir l’espérance. L’Iconoclaste, 2012 « Quel avenir pour le monde et pour la France ? » : https://vivreetesperer.com/2012/10/
Joanna Macy et Chris Johnstone. Préface de Michel Maxime Egger. L’espérance en mouvement. Labor et Fides, 2018Une vidéo de Michel Maxime Egger présente la formation mise en œuvre par Joanna Macy : le travail qui relie : https://www.youtube.com/watch?v=CRk5dpvoUDQ
Jeremie Rifkin. « Le New Deal Vert mondial ». Pourquoi la civilisation fossile va s’effondrer d’ici 2028. Le plan économique pour sauver la vie sur la terre. Les liens qui libèrent, 2019
De l’archéologie de la souffrance à une psychologie des ressources
Par Jeanne Siaud Facchin
Dans notre existence quotidienne, savons-nous reconnaître les petits bonheurs qui se présentent à nous comme des épisodes qui nous réjouissent le cœur, nous fortifient et peuvent nous construire dans une vision positive ? Dans un talk à la conférence TEDx Vaugirard Road, Jeanne Siaud Facchin nous invite à reconnaître les « petits bonheurs » et à les mémoriser dans tout notre être en développant ainsi un comportement positif au lieu de vouloir arracher à tout prix les mauvaises herbes de notre passé. Et c’est pourquoi comme psychologue, elle intitule la vidéo correspondante : « En finir avec l’archéologie de la souffrance » (1). Jeanne Siaud Facchin nous entraine ainsi avec délicatesse de cœur et enthousiasme dans un parcours où nous découvrons le potentiel des petits bonheurs.
Jeanne Siaud Facchin commence par nous raconter une belle histoire, celle d’une petite fille qui voulait offrir un cadeau d’anniversaire à son grand frère. C’est l’histoire particulièrement symbolique de la « boîte à soleil ». Elle a trouvé une boîte et toute la journée, elle a cherché à y capturer du soleil. Et le soir, la boîte est éclairée, car il se trouve, nous rapporte la conteuse à la fin de l’histoire, qu’un vers luisant est venu s’y loger ! « Quelquefois dans la vie, c’est comme ça. On croit que ce n’est pas possible. Et pourtant ! ».
La vision que nous apporte Jeanne Siaud Facchin n’est pas un rêve. Elle est bien connectée avec la réalité. Et c’est ainsi qu’elle introduit son exhortation par un récit émouvant. Comme psychologue, elle reçoit un jour un petit garçon qui vient de perdre son papa. Elle nous rapporte son désarroi face à cette situation tragique. Les savoirs théoriques ne sont d’aucun secours. Alors, elle se fie à son intuition : « Je prend une grande respiration : je me relie à ce que je ressens au plus profond de moi. Je m’entends lui dire : « Tu sais, au fond de toi, il y a un trésor. C’est tout l’amour que tu as partagé avec ton papa, les moments de bonheur que tu as passés avec lui. Et ce trésor, la mort ne l’a pas emporté. Tu l’auras toujours au fond de toi. Et tu pourras y puiser tout au long de la vie. C’est ta boîteà soleil ». Elle a rencontré, par la suite, ce petit garçon devenu grand qui se souvenait du réconfort qu’elle lui avait ainsi apporté : « Il avait ressenti quelque chose de chaud. Ça l’avait beaucoup aidé ».
A partir de cet exemple émouvant, Jeanne Siaud Facchin peut nous interpeller : « C’est pourquoi c’est si important d’avoir une boite à soleil, d’avoir cette attention de la remplir à chaque instant de sa vie. Tout le monde peut capturer du soleil, capturer ces micromoments de vie qui sont doux, agréables, qui nous font chaud au cœur, mais auxquels il faut être attentifs, car ils sont éphémères. Souvent on passe à côté. Et pour graver ces petits bonheurs, il faut faire très attention… On passe beaucoup de temps de notre vie à attendre le Bonheur ou à courir après lui. Comme si un jour le Bonheur arrivait : « Bonjour, je suis le Bonheur »… Ce sont les petits bonheurs, les bonheurs ordinaires qui fabriquent le bonheur extraordinaire ».
Mais comment y prêter attention ? Comment nous en imprégner ? Comment le mémoriser pour nous en inspirer ? « Pour graver en soi les petits bonheurs, la seule chose dont nous ayons besoin, c’est notre corps. Le bonheur, ça s’attrape en ressentant, en ressentant vraiment. Le bonheur, ça se sent. Je m’arrête un instant, je me relie à moi, aux émotions qui sont là et je les ancre aux plus profond de moi ».
Trop souvent, nous vivons en marge de notre être profond. Alors Jeanne Siaud Facchin nous propose un exercice : « Et si on ramenait tous notre attention sur nos sensations… Et puis tranquillement, je puis fermer les yeux, puis focaliser mon attention sur certains points de mon corps, tout ce que je peux sentir. Et juste là, juste maintenant, est-ce que je me relie avec mes sensations ? Je dirige mon attention pour être mieux relié à moi-même et aux autres. Est-ce que je peux sentir que je suis là, vraiment là ? Souvent, on le sait, mais dans notre tête, on est ailleurs ».
Cette attention positive reliée à la sensation nous permet d’être vraiment présent avec tout notre corps. Nous pouvons graver nos petits bonheurs dans une boîte à soleil. « Et qu’est ce qui se passe dans notre cerveau quand on est totalement relié à ce qu’on vient de vivre. Ce sont les neurosciences qui nous le disent. Notre cerveau déclanche la sécrétion d’un cocktail d’hormones qui nous font du bien, qui nous apaisent. Bien sûr, la boîte à soleil n’empêche pas les malheurs de l’existence. Elle ne peut pas empêcher les souffrances. Mais elle permet de les amortir. Elle permet d’avoir des ressources pour aller y puiser, pour ne pas être « vidé » au sens propre, pour ne pas se laisser engloutir ».
« Et si c’était ça le chemin pour vivre mieux ! Si c’était cela la psychologie d’aujourd’hui ! C’est comme une bascule. On passe de l’archéologie de la souffrance à la psychologie des ressources qu’on pourrait appeler une psychologie préventive qui nous donne des clés pour notre vie, une psychologie qui nous apprend à nourrir et cultiver des champs fertiles plutôt que de s’épuiser à tenter d’arracher de mauvaises herbes ».
« Parce que ce qui est hallucinant, c’est qu’on continue à fonctionner comme à la préhistoire. Notre cerveau est génétiquement programmé comme celui des hommes des cavernes. Notre amygdale, cette petite zone au fin fond de notre cerveau archaïque et dont la fonction est de décoder les émotions, se déclanche tout le temps face à ce qui est perçu comme une menace, comme un danger, comme si notre vie en dépendait. Et alors, des milliers d’années après, on continue à vivre dans un état d’alerte permanent. On est polarisé sur ce qui ne va pas. C’est ce qu’on voit en premier, en grand, c’est ce qui attire immédiatement notre attention. C’est pour cela qu’il est tellement important, urgent de modifier le câblage, la programmation. Il faut s’entraîner. Et la bonne nouvelle, c’est que notre cerveau est plastique, malléable ; ça s’appelle la neuro plasticité. Et grâce à la capture des petits bonheurs, on va restructurer notre cerveau, on va créer de nouvelles connexions, on va tracer de nouveaux chemins et c’est ça qui change tout. Entraîner notre cerveau à se focaliser automatiquement sur ce qui va bien et comme cela, on remplit notre boîte à soleil sans y penser ».
#
#
Ce discours nous touche parce qu’on le sent bienfaisant et parce qu’il ouvre une voie. Il y a dans ce parler une force de conviction parce qu’il fait écho à des expériences et des aspirations en nous, même lorsque nous ne pouvons pas encore les exprimer comme cela.
Pour nous, nous sentons bien combien nous sommes fortifiés par les épisodes où nous vivons un moment de bonheur et d’harmonie si nous savons l’inscrire dans notre parcours de vie. Et nous savons aussi combien il peut être réconfortant de revisiter des souvenirs heureux. Tout cela se développe d’autant mieux si nous sommes imprégnés de bienveillance et si notre attention est tournée vers le bon et le beau.
Ici, sur ce blog, nous évoquons souvent la vie et la pensée d’Odile Hassenforder telle qu’elle nous en fait part dans son livre : « Sa présence dans ma vie » (2). Dans son chemin spirituel, elle a reçu une inspiration qui l’a portée à valoriser toutes les expériences positives. Certes, cette inspiration va au delà d’une attention aux moments heureux, mais elle l’inclut. Face à la maladie, elle nous parle de la joie d’exister. « Au fond de mon lit, en pleine aphasie due à une chimio trop forte, j’ai reçu la joie de l’existence, un cadeau gratuit donné à tout humain par Dieu. En réalisant cela, je découvre le jaillissement de l’être divin qui nous partage ce qu’il est puisque nous sommes créés à son image pour évoluer à sa ressemblance (p 172). C’est l’accueil de la vie : « Que c’est bon d’exister pour admirer, m’émerveiller, adorer. C’est gratuit. D’un sentiment de reconnaissance jaillit une louange joyeuse, une adoration du Créateur de l’univers dont je fais partie, un Dieu qui veut le bonheur de ses créatures. Alors, mon « ego » n’est plus au centre de ma vie. Il tient tout simplement sa place, relié à un tout sans prétention (Psaume 131). Je respire le courant de la vie qui me traverse et poursuit mon chemin comme il est écrit dans un psaume : « Cette journée est pour moi un sujet de joie… une joie pleine en ta présence, un plaisir éternel auprès de toi. Louez l’Eternel, car il est bon. Son amour est infini » (psaume 16.115) (p 180).
Et tout au long de ce parcours, Odile nous dit combien elle apprécie les petits bonheurs et s’en nourrit. De sa fenêtre, elle admire le paysage mouvant de la nature. « Mon fauteuil de méditation matinale est orienté à l’est. J’aime admirer le lever du soleil, ces nuages qui s’élèvent, se colorent, passent du gris au rose, avancent plus ou moins vite selon le vent… Pour ma part, de tels spectacles de la nature, de la simple pâquerette au coucher de soleil m’émeuvent. Je sens mon cœur se dilater. J’appartiens à cet univers visible, mais aussi invisible… » (p 213) Et un des chapitres du livre est consacré à l’importance des rencontres ordinaires : « Des petitsriens d’une grande portée » (p 183-184).
Chacun de nous peut répondre à sa manière à l’évocation des petits bonheurs que nous décrit Jeanne Siaud Facchin. Mais qui n’apprendrait pas de son entretien un plus pour sa vie ? A partir d’une expérience toute simple : savoir apprécier et se nourrir de petits bonheurs, elle ouvre une approche nouvelle dans la démarche psychologique : « Passer de l’archéologie de la souffrance à la psychologie des ressources ». Et d’expérience, on comprend bien ce qu’elle nous rapporte des effets du fonctionnement du cerveau archaïque : la perception excessive de la menace et du danger. Alors, comment ne pas l’écouter lorsqu’elle nous invite à la « capture des petits bonheurs pour créer de nouvelles connexions et tracer de nouveaux chemins, ce qui change tout ».
(2) Hassenforder (Odile). Sa Présence dans ma vie. Parcours spirituel. Empreinte Temps présent, 2011. Sur ce blog, articles en rapport avec ce livre : https://vivreetesperer.com/?tag=odile-hassenforder
Des figures, des évènements issus du passé, éclairent encore notre présent. Des noms comme ceux de Gandhi ou de Martin LutherKing sont associés à de grands mouvements de libération pacifique et s’inscrivent dans la mémoire des hommes épris de justice.
Ainsi, la proclamation : « I have a dream », « Je fais un rêve », point d’orgue du discours de Martin Luther King dans la grande manifestation qui rassembla à Washington en 1963 des centaines de milliers d’américains en lutte pour les droits civiques des noirs (1) , est aujourd’hui encore un appel qui résonne dans les consciences.
Cet événement vient d’être commémoré le 28 août 2013, cinquante ans après. On peut se remémorer aujourd’hui cet événement fondateur. Une foule immense, des noirs, mais aussi des blancs, est rassemblée dans cette lutte pour l’égalité raciale. Au pied du monument commémorant le grand président américain, Abraham Lincoln, qui, cent ans plus tôt, avait libéré les noirs de l’esclavage, Martin Luther King commence son discours au moment où s’achève le chant qui magnifie la lutte non violente et persévérante de tout un peuple : « We shall overcome ». Ainsi, tous ceux pour qui les « negro sprirituals » expriment la communion d’un peuple, la foi en l’action divine et une espérance irrépressible, se reconnaissent dans cette manifestation et dans ce discours qui se termine par les paroles d’un chant bien connu : « Free at last » : « Enfin libres ! Enfin libres ! Dieu tout puissant, merci, nous sommes enfin libres ! ».
Le plaidoyer de Martin Luther King s’enracine dans une histoire. C’est bien sûr la mémoire de la lutte du peuple afro-américain, mais c’est aussi le grande tradition de liberté des Etats-Unis. Car cette nation s’est construite dans un mouvement d’affirmation des droits fondamentaux face aux oppressions religieuses ou monarchiques du vieux continent. Et, auXVIIIè siècle, elle a formalisé cette affirmation dans une Déclaration d’Indépendance et une Constitution. C’est à cette aspiration, à ce rêve américain que Martin Luther King fait appel lorsqu’il déclare : « Quand les architectes de notre république écrivirent les textes magnifiques de la Constitution et de la Déclaration d’Indépendance, ils signèrent un billet à l’ordre de chaque américain. C’était la promesse que chacun, oui les noirs autant que les blancs, serait assuré de son droit inaliénable à la vie, à la liberté, à la recherche du bonheur ».
Ici, cette proclamation, qui précède celle qui va émerger lors de la Révolution Française sous la forme des droits de l’homme et du citoyen, rejointl’ inspiration prophétique, celle qui, dans la Bible, appelle et entraîne le peuple juif à sortir de l’oppression, des grands empires tyranniques et du mal qui le ronge de l’intérieur. « Let my people go ! » comme le proclame un negro spiritual ! Cette marche est éclairée par une espérance mobilisatrice, par la vision d’un monde nouveau fondé sur la justice.Ainsi Martin Luther King reprend la dynamique du prophète Esaïe (Esaïe 40/4-5) lorsque celui-ci proclame : « Je fais le rêve qu’un jour chaque vallée soit glorifiée, que chaque colline et chaque montagne soit aplanie, que les endroits rudes soient transformés en plaines, que les endroits tortueux soient redressés, que la gloire du Seigneur soit révélée et que tous les vivants le voient tous ensemble ».
Ici donc, on ne se résigne pas à « la vallée de larmes ». On ne se berce pas dans une échappée des âmes. On regarde en avant à l’appel d’un Dieu qui suscite et inscrit dans l’histoire des images mobilisatrices à réaliser dans un processus de libération et de construction. Tout est mouvement. Et le mouvement se prouve en marchant. De moment en moment, jusqu’à la victoire finale où apparaîtra « un nouveau ciel et une nouvelle terre » (Apocalypse 21/1), Dieu appelle les êtres humains à entrer dans sa justice, à se laisser conduire en consciencedans l’édification d’une société plus humaine à l’aune d’un homme créé à l’image de Dieu et exprimé, à la perfection, par Jésus dans sa communion avec le Père Céleste, une préfiguration de ce qu’Il réalisera à la fin des temps.
Lorsque Martin Luther King achève son discours par sa grande invocation, « Je fais un rêve », cette invocation nous rejoint, nous émeut aujourd’hui encore. Le combat de Martin Luther King n’a pas été vain. Au cours des dernières décennies, les afro-américains ont conquis leur droit de cité aux Etats-Unis. A cet égard, l’élection de Barack Obama à la présidence des Etats-Unis a manifesté un grand changement (2). Avec d’autres personnalités engagées, Barack Obama est intervenu dans la commémoration du 28 août 2013 (3). Il a rappelé la portée incomparable de l’intervention de Martin Luther King qui « a offert le salut aux opprimés comme aux oppresseurs ». Parce ce qu’un grand nombre de gens ont participé à ce mouvement, il y a eu de grands progrès : « Parce qu’ils ont marché, des conseils municipaux ont changé, des parlements des états ont changé, le Congrès a changé, et, enfin de compte, la Maison Blanche a changé ». Mais il reste des pesanteurs. La transformation des mentalités s’opère lentement. Il y a encore des injustices à combattre. Barack Obama a donc appelé à la vigilance : « Que ce soit pour lutter contre ceux qui érigent de nouvelles barrières au vote ou faire en sorte que la justice fonctionne de manière équitable pour tout le monde et ne soit pas simplement un tunnel entre écoles sous-financées et prisons surpeuplées, il faut de la vigilance ». Aujourd’hui, d’autres causes se font entendre et peuvent s’appuyer sur une inspiration analogue à celle qui a mis en mouvement Martin Luther King, un homme qui, s’inscrit aujourd’hui dans le « patrimoine de l’humanité » et, pour les chrétiens, fait partie de la « nuée de témoins » dont nous parle le Nouveau Testament (Hébreux 12/1). Sa voix s’adresse aujourd’hui encore à chacun de nous.
Si nous avons conscience que la relation est au cœur du monde, au cœur de notre société et que c’est ainsi que tout se tient, alors c’est dire l’importance de la qualité de cette relation, l’importance d’un dialogue constructif. Chaque semaine, Gabriel Monet, nous offre un commentaire sur l’actualité . A partir d’une information particulièrement bien choisie et étudiée, il nous apporte une réflexion de fond sur une question concernant notre manière de vivre en société. « Alors que l’information nous arrive de toutes parts, chercher du sens dans ce qui se trame, se vit, se joue autour de nous, est essentiel. Il est utile de discerner les marqueurs d’une société en mouvement, de s’enthousiasmer ou de s’offusquer, de se laisser interpeller par des initiatives constructives ou de critiquer des attitudes discutables » (1). Dans ce « billet d’humeur » du 26 avril 2018, Gabriel Monet trouve dans l’actualité de bons exemples pour aborder la question du dialogue. Il en montre le sens profond, c’est à dire la recherche d’une compréhension mutuelle. C’est bien ce à quoi une inspiration chrétienne nous appelle. Toute la démarche de Gabriel, son style en forme de va et vient, et justement de dialogue débouche sur cette recherche de compréhension, une compréhension en mouvement, une compréhension qui va de l’avant. Nous voyons ici une heureuse conjonction entre l’inspiration biblique, une sagesse telle qu’elle s’exprime dans certaines traditions, l’approche compréhensive de la réalité présente dans les sciences sociales. En présentant cette chronique à ses correspondants, Gabriel Monet citait un proverbe africain : « Une de nos armes les plus puissantes est le dialogue ». Puissance du dialogue ! Face à la violence, c’est bien le cas. Et rien n’est plus urgent que d’ « Oser la fraternité » (1), ce qui est aussi le titre du livre récent dans lequel Gabriel Monet a rassemblé ses chroniques de l’année 2016-2017.
J H
Gabriel Monet. Oser la fraternité : regards chrétiens sur l’actualité de 2016-2017 (accessible sur Amazon)
Un dialogue inter-essant
Comment trouver un accord si l’on ne dialogue pas ? Il est bien des situations où des divergences de vue peuvent exister, or, à moins de renoncer à toute relation ou vainement espérer que les choses s’arrangent d’elles-mêmes, la rencontre et le dialogue semblent un passage obligé pour aller dans le sens de la conciliation. Mais passer du principe à la réalité est souvent plus complexe qu’il n’y paraît, comme l’actualité nous en donne plusieurs exemples.
Emmanuel Macron vient d’achever une visite officielle aux Etats-Unis, et a clairement cherché à être conciliant avec son homologue américain. Au point que les commentateurs parlent d’une « bromance » entre Donald Trump et le Président français. Ce mot qui est une contraction des mots « brothers » (frères) et « romance » laisse entendre qu’il existe une amitié profonde. On sait pourtant les divergences de fond comme de forme que Donald Trump suscite chez nombre de Français, et sans nul doute aussi chez Emmanuel Macron. Cette stratégie du lien et du dialogue convivial malgré certains désaccords est-elle la bonne ? Elle présente en tous cas l’avantage d’une dynamique positive et d’une minoration de ce qui dérange au bénéfice de ce qui rapproche. Mais en même temps, permet-elle de mettre en évidence ce qui ne va pas et ainsi d’essayer de faire bouger les lignes ?
L’approche inverse aurait été de ne pas dialoguer. C’est ce qu’ont fait les dirigeants coréens pendant bien longtemps avec les tensions que l’on connaît. Or l’éclaircie ouverte pour un début d’échange lors des derniers Jeux Olympiques génère diverses avancées, puisque des parlementaires des deux pays ont pu se rencontrer en Suisse fin mars, et le sommet du vendredi 27 avril entre les dirigeants des deux Corées à la Maison de la Paix dans le village frontalier de Panmunjom marque un tournant. Ainsi, au boycott semble succéder une forme de compromis relationnel qui pourra peut-être un jour tendre vers une réunification.
Il est vrai que sans dialoguer, il y a peu de chance de trouver un accord. C’est pourtant ce qu’ont décidé les syndicats cheminots en boudant la dernière session du cycle de discussions initiée par la Ministre des transports, Elisabeth Borne. Les relations entre deux interlocuteurs peuvent parfois ressembler à un bras de fer, où l’on espère l’emporter en appliquant la loi du plus fort. Faire pression peut faire partie de la résolution d’un conflit, mais c’est rarement un schéma gagnant lorsque c’est la seule approche. Concernant la SNCF, la force de la loi de la part du gouvernement peut s’avérer trop autoritaire, alors que la force de la grève montre aussi ses limites et ses inconvénients pour tous. Toujours est-il que se voir ou se parler mais sans s’écouter et sans être prêt à évoluer, est stérile et n’avance pas à grand-chose.
C’est pourquoi arrêter ou refuser le dialogue peut parfois se comprendre. Il est même des situations où le boycott devient un message en soi, une manière de signifier un désaccord. C’est ce qu’a choisi de faire Hugues Charbonneau, co-producteur du film « 120 battements par minute », Grand Prix du festival de Cannes 2017 et César du meilleur film 2018. Convié le 26 avril au dîner organisé à l’Elysée par le couple présidentiel en l’honneur du cinéma, il a décliné l’invitation et l’a fait savoir, et ce, pour dénoncer la loi « asile et immigration ». Le « sans moi » d’Hugues Charbonneau est finalement peut-être malgré tout une manière de dialoguer puisqu’il ajoute, comme pour continuer le débat : « Comment se réjouir après l’abjecte loi votée dimanche par votre majorité ? […] Votre politique est violente, vous faites ce que le vieux monde sait faire de mieux : stigmatiser et exclure ». Mais à se lancer de telles invectives, c’est plutôt un dialogue… de sourds.
On ne peut pas tous penser et agir de la même manière, c’est même plutôt une bonne chose. Ceci étant, il faut tenter de s’entendre, de collaborer, de trouver des compromis. Dialoguer est alors essentiel. Mais dialoguer n’est ni de l’ordre de la querelle, ni une simple succession d’avis, mais un échange fécond qui passe nécessairement par une écoute vraie et un partage en vue de se comprendre mutuellement, éventuellement de se rapprocher. Un véritable dialogue est forcément « intéressant », dans le sens originel du terme qui vient du latin inter esse, c’est-à-dire « être entre ». Dès lors que la parole peut se dire, qu’elle circule entre les êtres, comme le mot « dialogue » le laisse entendre (logos = parole, dialogue = parole échangée), la communication devient plus fructueuse, elle ouvre un avenir, elle est « créatrice ». Dans la Bible, la parole et le dialogue jouent un rôle clé, et parfois de manière presque surprenante le dialogue est toujours favorisé. Après la chute, Dieu prend l’initiative de la rencontre et du dialogue, bien qu’Adam et Eve aient agi dans un sens opposé à la volonté divine. Jésus, lui, n’a pas hésité à dialoguer avec tous, même avec ceux qui pouvaient sembler s’opposer à lui, que ce soit une femme samaritaine, des pharisiens… avec des résultats souvent réjouissants. Nul doute que nous gagnerons à faire de même et à toujours oser le risque du dialogue !