Parcours professionnel

Parcours professionnel, choix d’orientation et présence de Dieu

 

François a d’abord travaillé comme soignant, puis ensuite comme conseiller d’insertion et de probation au sein de l’administration pénitentiaire. A partir de cette double expérience professionnelle, il occupe aujourd’hui un poste de responsable de la santé des détenus dans le cadre d’une direction des services pénitentiaires. A la fin des années 70, François, déjà croyant, a eu une expérience de rencontre personnelle avec Dieu. A partir de cette étape, sa foi s’est approfondie, et par la suite, il a de plus en plus expérimenté son implication chrétienne dans la vie professionnelle.

Au long des années, François a l’impression d’avoir été accompagné par Dieu dans ses orientations de travail et dans la résolution de nombreux problèmes. A plusieurs reprises, il s’est trouvé dans des tournants professionnels où, dans une attitude de confiance, les portes se sont ouvertes devant lui. A chaque fois, il a réalisé qu’il était parvenu à des choix qui ont pu se réaliser grâce à Dieu.

Ainsi, lorsqu’il est entré dans l’administration pénitentiaire, cela s’est fait à la suite d’une démarche qui avait été mûrie et qui est devenue un choix très clair dans une réflexion éclairée par la foi et par la certitude que Dieu allait pourvoir à cette nouvelle orientation. Il avait l’impression que cette démarche allait se concrétiser. Effectivement, François a été le seul choisi sur ce poste en position de détachement à partir de son corps initial d’infirmier de secteur psychiatrique.

Par la suite, après plusieurs années d’expérience, il a cherché à évoluer dans sa carrière. Pour cela, à deux reprises, il s’est présenté à un concours. Mais il n’avait pas l’assurance correspondante, il ne se sentait pas bien et, au total, il a échoué. Depuis un certain temps, d’autres projets se faisaient jour en lui. A un moment critique, il a appris qu’un poste qui correspondait à ses aspirations se trouvait vacant. Pour lui, cette opportunité l’a en même temps fortifié en lui donnant l’assurance qu’il avait la capacité de remplir cette fonction. Effectivement, il a reçu un très bon accueil et le poste lui a été attribué.  François voit dans cet événement la manifestation du projet de Dieu à son égard.

Et lorsqu’il repense à sa carrière professionnelle, il est convaincu que, dans certaines circonstances, Dieu lui a ouvert les portes et qu’à ce moment là, rien ne pouvait se mettre en travers, et qu’à d’autres moments, Dieu a fermé des portes car ces choix ne correspondaient pas à ce qu’il y avait de meilleur.

« Je me rends compte des difficultés que beaucoup de mes collègues rencontrent parce qu’ils se sentent emprisonnés dans des tâches répétitives qui limitent le développement de leur potentiel, leur niveau d’aspiration et suscitent chez eux découragement et sentiments négatifs. Moi aussi, j’ai vécu difficilement un certain nombre de situations. Nous nous construisons nous-même des limites, mais Dieu nous permet de dépasser ces limites en nous redonnant confiance en nous-même et en nos capacité, et en nous donnant les moyens d’avancer ».

 

Contribution de François.

Les malheurs de l’histoire. Mort et résurrection

Des fleurs tapissent un coin de la vieille tranchée

La charge des coquelicots monte sur la colline

Des corbeaux noirs croassent sur les champs dépeuplés.

 

Souvenirs du passé, force d’un renouveau

Le vent de la forêt berce le cimetière

Et des enfants s’en vont sur les chemins boisés.

 

Pourquoi étions-nous jeunes au temps de la grande guerre.

Nous sommes née trop tôt et avons tout perdu

Dans le brouillard sombre et le bruit des obus.

Fêtes de la victoire, discours éparpillés un jour par année

Ne nous rendrons jamais les beaux draps blancs que nous avons quittés.

La vue d’un peuplier qui miroite au printemps

L’amour d’une femme, le sourire d’un  enfant.

 

Comme l’orage qui vient est sillonné d’éclairs

Comme la tempête arrache pièce à pièce notre vieille toiture,

Comme le flot débordant emporte la bonne terre

Et comme le tonnerre qui toujours retentit

Porteur de la grêle et de son clapotis,

O guerres maudites, vous parsemez l’histoire

Et quand la guerre finit

Voilà comme une vague du fond de l’océan

La sombre épidémie et ses halètements.

Pourquoi étions-nous jeunes au temps de la variole ?

Nous sommes nés trop tôt au vent du choléra.

 

Pensez à nos chemins, hommes des temps modernes,

Notre passé vaut bien vos lendemains.

Vous tenez votre vie de nos frêles amours

Les tours des cathédrales dominent encore vos cours.

Pourtant étions démunis de ce qui aujourd’hui affranchit votre vie.

 

O temps de l’avenir, brillante cité terrestre,

A quoi servirait-il que nous te construisions

Si nos yeux devaient à jamais mourir

Et dans les cimetières nos corps pourrir

Comme tous ceux-là qui sont morts avant nous ?

 

La foule immense désarmée, massacré par le temps

Défile devant nos yeux comme l’avenir de nos plans

Et même si demain ils se réalisaient

Alors ne pourrions oublier vos souffrances et vos plaies.

 

A quoi serviraient-ils les lendemains qui chantent

Si tous vos cimetières recouvraient la terre ?

A quoi servirait donc la roue de la technique

Si pour toujours vos cris étaient des cris

Et vos pleurs des pleurs ?

 

Dans le désert d’un infini et dans le poids du temps

Planète d’entre milliers au sein du firmament

Le murmure de la vie s’est fait appel.

A quoi bon le festin et à quoi bon la fête

Si demain est la mort et la mort demain ?

 

Présence salutaire, vivante Eternité,

A nos cœurs douloureux envoie un Messager

Un murmure secret a réveillé nos cœurs,

Partie d’un coin de terre est venue l’Espérance

Comme une onde, atteint les plus lointains rivages,

A travers les siècles, à travers le temps, sans cesse se propage.

 

C’est la bonne nouvelle, la seule décisive

Résurrection du Christ, résurrection des morts

Et puisqu’en attendant, il faut que l’homme vive

Et que tombent les écailles de nos déchirements

Présence de l’Esprit, renouveau de la terre, résurrection des vivants.

 

J H

 

Ce poème, en forme de cri, a été écrit, il y a des années. C’est une question lancinante qui est toujours là. En regard, un théologien, Jûrgen Moltmann, qui a vécu l’enfer du bombardement de Hambourg en 1943, a trouvé le chemin pour nous dévoiler la puissance infinie de Dieu à l’œuvre pour libérer les vivants et les morts, pour nous délivrer du mal.

 

Délivre-nous du mal !

Jürgen Moltmann entend et se fait le porte parole de tous ceux qui ont souffert de la violence et de l’injustice. Il y a dans ce monde, un grand cri, une grande demande de justice. « S’il n’y avait pas de Dieu, qu’arriverait-il à ceux qui ont faim et soif de justice dans ce monde ? » (p.61).

Ainsi,  les différentes séquences de la Bible nous montre comment Dieu vient à notre secours, apporte la justice, nous rend juste.

A travers la résurrection de Jésus-Christ, l’histoire change de visage. A la croix, Jésus devient le compagnon de tous ceux qui se sentent abandonnés de Dieu. Il libère les hommes du péché et de la culpabilité. « A travers la puissance de vie de sa résurrection, Il entraîne à la fois les victimes et les persécuteurs dans une relation juste avec  Dieu et les uns avec les autres. Dans cette loi de vie nouvelle, ils peuvent vivre, car elle s’étend à la fois aux vivants et aux morts et met fin aux revendications du mal » (p.76). Nous voici engagés dans un immense processus. « La création nouvelle de Dieu apparaît déjà aujourd’hui au milieu d’un monde encore marqué par la mort. Elle sera accomplie quand, en Christ, « le Royaume sera remis à Dieu » et qu’ainsi le but sera atteint et que Dieu sera tout en tous » (1 Cor 15.28).

 

J H

 

Source : Les malheurs de l’histoire. Délivre-nous du mal. Présentation de la pensée de Jürgen Moltmann sur le site : l’Esprit qui donne la vie http://www.lespritquidonnelavie.com/? p=702

« Délivre-nous du mal. La justice de Dieu et la renaissance de la vie », p 71-98. In : Jürgen Moltmann. De commencements en recommencements. Une dynamique d’espérance. Empreinte, 2012.

Plus largement, « L’espérance des chrétiens n’est pas une espérance exclusive ou particulariste, mais une espérance inclusive et universelle en la vie qui surmonte la mort ». Voir : « La vie par delà la mort » sur le site : « L’Esprit qui donne la vie ». http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=822

La nouvelle science de la conscience

Pour une science post-matérialiste

Le terme matérialisme évoque des sens différents selon le contexte auquel on l’applique. Ainsi, dans la vie quotidienne, on peut désigner comme « matérialiste », « une personne qui cherche des jouissance et des biens matériels » (définition google). Ainsi, beaucoup de gens dans notre société ont pu être perçus à la fois comme individualistes et matérialistes. Aujourd’hui, on peut constater, au plan social, le développement d’attitudes et de comportements en réaction contre ce matérialisme pratique. En ce sens, le sociologue américain Ronald Inglehart désigne, en terme de post-matérialiste, une évolution culturelle dans les pays économiquement avancés dans laquelle les gens cherchent moins à satisfaire des besoins physiques élémentaires et davantage des besoins immatériels tels que l’estime, l’épanouissement de la personne ou les satisfactions esthétiques.

Cependant, sur un autre registre, le matérialisme désigne une philosophie d’après laquelle « il n’existe d’autre substance que la matière », « une doctrine qui rejetant l’existence d’un principe spirituel ramène toute la réalité à la matière et à ses modifications » (Google). L’origine de cette philosophie remonte à l’antiquité où elle figurait en regard d’autres écoles philosophiques. Cependant, dans la foulée du progrès scientifique, une métaphysique matérialiste a influé sur l’activité scientifique si bien qu’on peut évoquer un « matérialisme scientifique ». Dans le chapitre d’un livre qui œuvre en faveur du développement d’un paradigme post-matérialiste, ‘La nouvelle science de la conscience’ (1), Mario Beauregard répond à une question préalable : Qu’est-ce que le matérialisme scientifique aujourd’hui ? : « Peu de scientifiques sont conscients que ce que l’on appelle « la vision scientifique du monde » repose sur un certain nombre de postulats métaphysiques – c’est-à-dire des hypothèses sur la nature de la réalité – qui ont été proposées pour la première fois par certains philosophes présocratiques. Ces postulats comprennent le matérialisme – l’idée selon laquelle tout ce qui existe est constitué exclusivement de particules et de champs matériels / physiques (les termes « matérialisme » et « physicalisme » peuvent être utilisés de manière interchangeable dans ce chapitre) – et le réductionnisme, le concept selon lequel les choses complexes ne peuvent être appréhendées qu’en les réduisant aux interactions des parties qui les constituent, ou à des choses plus simples et plus fondamentales telles que de minuscules particules matérielles. Le « mécanisme », l’idée que le monde fonctionne comme une machine, représente un autre de ces postulats. Au cours du XXe siècle, ces postulats se sont durcis, puis transformés en dogmes et en un système de croyances connus sous le nom de « matérialisme scientifique » (p 18). Cette idéologie exerce une influence dans le domaine des neurosciences. « Selon ce système de croyances, l’esprit et la conscience – et tout ce que nous vivons subjectivement (par exemple, nos souvenirs, nos émotions, nos objectifs et nos épiphanies spirituelles)… ne sont rien de plus que des processus électriques et chimiques dans le cerveau : ces processus cérébraux étant en définitive réductibles à l’interaction entre des éléments physiques fondamentaux. Une autre implication de ce système de croyances est que nos pensées et nos intentions ne peuvent avoir aucun effet sur nos cerveaux et nos corps, sur nos actions et le monde physique, puisque l’esprit ne peut impacter directement les systèmes physiques et biologiques. En d’autres termes, nous les êtres humains, ne sommes rien d’autres que des machines biophysiques complexes. En conséquence, notre conscience et notre spiritualité disparaissent automatiquement lorsque nous mourrons » (p 18).

Cependant, aujourd’hui, de plus en plus de découvertes viennent contredire les théories matérialistes. On peut envisager « une vague d’éveil pour une science et une société post-matérialiste » (p 63). « La science connaît actuellement un changement fondamental. Le matérialisme sur lequel elle s’est appuyée pendant plusieurs siècles fait aujourd’hui place à un nouveau paradigme dans lequel la conscience est considérée comme étant causale et fondamentale » (page de couverture).

 

Un mouvement pour une science post-matérialiste

De nombreux scientifiques se conjuguent aujourd’hui pour promouvoir un paradigme post-matérialiste. « L’Académie pour l’avancement des sciences post-matérialistes » a organisé en février 2014 en Arizona, un « Sommet international sur la science, la spiritualité et la société post-matérialiste ». Des scientifiques couvrant des domaines d’expertise allant de la biologie et des neurosciences à la psychologie, la médecine et la recherche psi ont participé à cet événement déterminant. Il en est résulté « un manifeste pour une science post-matérialiste » (2) auquel plus de 300 scientifiques et philosophes du monde entier ont apporté leur soutien » (p 14). Pendant le sommet, plusieurs participants ont décidé de réaliser « une anthologie des perspectives et des preuves relative à la science post-matérialiste », ouvrage publié en français sous le titre : « La nouvelle science de la conscience » (1). « Coordonné par Mario Beauregard et Guy E Schwartz, cet ouvrage appréhende les concepts post-matérialistes relatifs à l’esprit, au corps et à la santé. En s’appuyant sur de nombreuses preuves, il aborde l’organisation et les fonctions spécifiques des phénomènes non physiques, ouvrant la voie à la possibilité de considérer leur nature et leur influence dans le cadre d’une future science globale » (page de couverture).

 

Une recherche pionnière : Mario Beauregard

Dans un premier chapitre, Mario Beauregard nous introduit à une « prochaine grande révolution scientifique ». Ce chercheur travaille depuis longtemps en ce sens et nous avions rapporté une de ses conférences dans un article : « Comment nos pensées influencent la réalité » (3) et présenté un de ses livres : « Brain wars » (4).

En s’inscrivant dans la perspective du changement des paradigmes énoncée par Thomas S Kuhn, Mario Beauregard écrit : « Les scientifiques qui travaillent actuellement dans le domaine de la recherche sur la conscience et qui s’intéressent au problème : « esprit-cerveau », se trouvent dans une situation similaire à celle des physiciens au début du XXe siècle. Ils sont indéniablement confrontés à une quantité croissante de preuves d’anomalies qui ne peuvent être élucidées par les théories de la pensée matérialiste » (p 21). Mario Beauregard nous présente ensuite quelques unes de ces preuves.

« Les différentes preuves examinées ici sont regroupées en deux catégories. La catégorie I comprend les preuves comme quoi une explication matérialiste, bien que couramment présentée, est moins appropriée qu’une explication post-matérialiste. Cette catégorie comprend les phénomènes suggérant que l’esprit ne soit limité ni par l’espace, ni par le temps. La catégorie II comprend des preuves qui sont rejetées d’emblée par les théories de la pensée matérialiste, mais qui viennent soutenir une perspective post-matérialiste, celle-ci étant incompatible avec la perspective matérialiste selon laquelle l’esprit et la conscience sont produits uniquement par le cerveau » (p 22). Ces différents éléments de preuve apparaissent dans la complexité de leur nature et de leur mise en œuvre, aussi notre compte-rendu sera sommaire en renvoyant le lecteur à la description formulée dans ce chapitre.

 

L’esprit au delà de l’espace et du temps

« L’un des éléments de preuve concerne les phénomènes dit « psi » qui comprennent la perception extra-sensorielle (PES), et la psychokinésie (PK). La perception extra-sensorielle désigne l’acquisition d’informations sur des événements ou des objets extérieurs par des moyens autres que la médiation d’un vecteur de communication sensorielle connu. Cela comprend la télépathie – l’accès aux pensées d’une autre personne sans l’utilisation d’aucun de nos vecteurs sensoriels connus, la clairvoyance – la perception d’évènements ou d’objets qui ne peuvent être perçus par les sens connus, et la précognition – la connaissance d’un événement futur qui ne peut être déduit à partir d’informations connues dans le présent. La psychokinésie (PK) se réfère à l’influence de l’esprit sur un système physique qui ne peut être totalement expliqué par la médiation d’un moyen physique connu » (p 22). Depuis plusieurs décennies, des expériences répétées à travers des dispositifs sophistiqués ont prouvé la réalité de ces phénomènes.

 

L’esprit au delà du cerveau

 D’autres phénomènes concernent « l’esprit au delà du cerveau » : les expériences de la mort imminente pendant un arrêt cardiaque et la mort clinique ; recherches sur la réincarnation et les vies antérieures ; recherches sur la médiumnité ; communications sur le lit de mort ». « Les expériences de mort imminente (EMI) sont des expériences intenses et réalistes qui transforment généralement profondément la vie des personnes qui ont été proches de la mort psychologiquement et physiologiquement. Les principales caractéristiques des EMI  sont un souvenir clair de l’expérience, une activité mentale décuplée, et la conviction que l’expérience vécue est plus réelle que celle de la conscience ordinaire à l’état de veille. L’expérience hors du corps (EHC) est une autre caractéristique typique des EMI ; la personne a l’impression réelle d’être sortie de son corps et d’observer les évènements qui se déroulent autour d’elle, ou parfois dans un lieu éloigné. Les EMI sont fréquemment évoquées lors d’un arrêt cardiaque… Étant donné que les structures cérébrales qui soutiennent l’expérience consciente et les fonctions mentales supérieures ( par exemple la perception, la mémoire et la conscience) sont gravement endommagées, on ne s’attend pas à ce que les survivants d’un arrêt cardiaque aient des expériences mentales claires et lucides dont ils se souviendront… Il convient de noter que les personnes ayant vécu une EMI déclarent avoir perçu des choses qui coïncident avec la réalité alors qu’elles étaient cliniquement mortes » (p 25). Un autre chapitre du livre, sous la plume de Pim Van Lommel, médecin cardiologue réputé, est consacré aux expériences de mort imminente, « une forte indication en faveur de la conscience non locale » (p 191-209).

L’auteur évoque également le cas de « jeunes enfants ayant rapporté des vies antérieures ». « Au cours des cinquante dernières années, plus de 2500 cas de ce genre ont été étudiés ». « La plupart de ces enfants ont des souvenirs de vie antérieure entre deux et cinq ans… Environ 80% des supposés souvenirs de vie antérieure des enfants évoquent des morts violentes… Beaucoup d’enfants ont des marques de naissance qui coïncident avec des blessures qui seraient associées à leur vie antérieure… il arrive souvent que l’on parvienne à identifier la personne à laquelle l’enfant fait référence… » (p 26-27). L’auteur propose des interprétations : « Il est possible que ces enfants se souviennent de vies antérieures qu’ils ont vécues comme ils le suggèrent ou qu’ils accèdent aux informations d’un individu décédé par des moyens inconnus (c’est-à-dire la théorie du super-psi appelée également « super ESP », la récupération d’informations par le canal psychique » (p 28).

Une autre approche de recherche est engagée auprès de médiums, « personnes déclarant pouvoir communiquer avec les personnes décédées », en présumant la bonne de foi de certains d’entre eux. Des protocoles sophistiqués ont été utilisés par certains chercheurs comme le Dr Gary E Schwartz, auteur d’un chapitre technique sur ce thème dans ce même livre. « Les résultats montrent qu’avec des essais réalisés en triple aveugle dans des conditions rigoureuse, certains médiums peuvent recevoir des informations justes et précises sur des personnes décédées. » (p 29).

Mario Beauregard mentionne également « les communications sur le lit de mort ou DBC (Deathbed communication) », une autre source de preuve suggérant que la conscience et la personnalité peuvent perdurer après la mort physique. Il s’agit de toute communication entre le patient et des amis ou des parents décédés… Ce type d’expériences a été rapporté dans diverses cultures à travers l’histoire. Les DBC incluent des aspects auditifs, visuels et kinesthésiques et se manifestent souvent pat des processus communicatifs non verbaux… Un type fréquent de DBC inclue des rencontre avec des présumés esprits de personnes décédées qui semblent accueillir l’expérienceur dans l’au-delà et converser avec lui/elle d’une façon interactive… Des recherches menées auprès d’infirmières et de médecins en soins palliatifs suggèrent que ces expériences sont relativement courantes… Il existe des cas de DBC qui ne peuvent être expliqués comme de simples hallucinations… : dans de tels cas, la personne mourante semble voir une personne qu’elle croyait vivante, mais qui est en fait décédée récemment, et exprime de la surprise » (p 30).

 

Une nouvelle vision postmatérialiste

 « Prises ensemble, les différentes preuves empiriques montrent clairement que l’idée que l’esprit et la conscience sont produits par le cerveau est erronée et obsolète… Vers la fin du XIXe siècle, le psychologue américain, William James a suggéré que le cerveau pouvait jouer un rôle permissif et transmissif concernant les fonctions mentales et la conscience. Il a en outre émis l’hypothèse que le cerveau pouvait agir comme un filtre qui limite / contraint / restreint l’accès à des formes de conscience élargie. Cette hypothèse a également été défendue par les philosophes Ferdinand Schiller et Henri Bergson… » (p 31). « Cette hypothèse de la transmission apporte un cadre théorique utile… ».

« Le moment est venu de nous libérer des chaines et des œillères de l’ancien paradigme matérialiste et d’élargir notre vision de l’Univers et du vivant. Même si nous n’avons pas encore toutes les réponses, il est toutefois possible d’esquisser les grandes lignes d’un paradigme post-matérialiste » (p 31). Mario Beauregard nous présente, de son point de vue, quelques éléments clés de ce nouveau paradigme.

1° « L’esprit est irréductible et son statut ontologique est aussi primordial que celui de la matière, de l’énergie et de l’espace-temps. De plus, l’esprit ne peut être issu de la matière et réduit à quelque chose de plus élémentaire. A ce propos, le philosophe David Chalmers et le cosmologiste, Andrei Linde ont tous deux soutenu que la conscience est un constituant fondamental de l’univers. Il semble plausible que les processus / phénomènes mentaux, y compris l’intériorité subjective, existent à des degrés divers et à tous les niveaux d’organisation de l’univers… A ce sujet, le physicien Freeman Dyson suggère que puisque les atomes se comportent en laboratoire comme des agents actifs et non comme de la matière inanimée… ils doivent posséder la capacité réflexive de faire des choix… au niveau moléculaire, il est prouvé que les molécules composées de quelques protéines simples ont la capacité d’interagir de manière complexe, comme si elles possédaient leur propre intelligence… Dans cette perspective, chaque niveau d’organisation comprend un aspect physique (extérieur) et un aspect mental/ expérientiel (intérieur) (p 32-33).

2° « Comme le révèlent les phénomènes psi, il existe une profonde interaction entre le monde mental (psyché) et le monde physique (physis) qui ne sont pas vraiment séparés – ils ne le sont qu’en apparence. En fait, la psyché et la physis sont profondément interconnectées, car elles sont des aspects (ou des manifestations) complémentaires issus d’une base commune. On peut concevoir que cette base représente un niveau transcendant de l’esprit / conscience qui constitue le principe fondamental qui sous-tend l’ensemble de la réalité… » (p 33).

3° « L’esprit / volonté agit comme une force, c’est-à-dire qu’il peut impacter l’état du monde physique et agir de manière non locale. Cela implique qu’il n’est pas limité à des points spécifiques dans l’espace tels que les cerveaux et les corps, ni à des points spécifiques dans le temps comme le moment présent. Les preuves présentées dans ce chapitre de façon succincte indiquent également que les phénomènes mentaux exercent une influence sur le fonctionnement du cerveau et du corps ainsi que sur le comportement… » (p 34).

4° « Le cerveau agit comme un émetteur récepteur de l’activité mentale, c’est-à-dire que l’esprit fonctionne grâce au cerveau mais n’est pas produit par lui. Le fait que les fonctions mentales soient perturbées lorsque le cerveau est endommagé ne prouvent pas que l’esprit et la conscience soient produits par le cerveau… Dans l’idée que le cerveau puisse être une interface pour l’esprit, cet organe peut être comparé à un poste de télévision qui reçoit des signaux de diffusion et les convertit en images et en sons ». Si il est endommagé, il y a des perturbations dans la réception. « De même, une lésion dans une région spécifique du cerveau peut perturber les processus mentaux médiés par cette structure cérébrale, cependant cette perturbation n’implique pas que ces processus soient réductibles à l’activité neuronale dans cette région du cerveau » (p 34-35).

 

Pour une science post-matérialiste

Mario Beauregard a participé à la rédaction du manifeste pour une science post-matérialiste (2). Une bonne partie de son argumentation se retrouve dans ce manifeste. La perspective est vaste Elle s’inspire également de la révolution intervenue en physique dans le surgissement de la mécanique quantique : « A la fin du XIXe siècle, les physiciens découvrirent des phénomènes empiriques qui ne pouvaient être expliqués par la physique classique. Durant les années 1920 et au début des années 1930, cela a conduit au développement d’une nouvelle branche révolutionnaire de la physique, appelée : mécanique quantique. La mécanique quantique a mis en question les fondations matérielles de l’univers en montrant que les atomes et les particules subatomiques n’étaient pas des objets réellement solides – ils n’existent pas avec certitude à des emplacements spatiaux définis et à des moments définis. Plus important, la mécanique quantique a introduit notre esprit dans sa structure conceptuelle de base puisqu’il a été trouvé que les particules étant observées et l’observateur –le physicien et la méthode utilisée pour l’observation – sont liés. Suivant une interprétation de la mécanique quantique, ce phénomène implique que la conscience de l’observateur est décisive pour l’existence des évènements physiques observés et que les évènements mentaux peuvent affecter le monde physique. Les résultats d’expériences récentes soutiennent cette interprétation. Ces résultats suggèrent que le monde physique n’est plus la première ou la seule composante de la réalité et que celle-ci ne peut être pleinement comprise sans faire référence à l’esprit ». Le manifeste se poursuit en mettant l’accent sur l’influence que la pensée peut exercer sur le comportement et la santé. Et il poursuit l’argumentation apportée ici par Mario Beauregard. Au total, le manifeste proclame que l’adoption du paradigme post-matérialiste aura des effets bénéfiques pour l’ensemble de la civilisation humaine. C’est dans la même perspective que s’achève le chapitre de Mario Beauregard.

«  Individuellement et collectivement, le paradigme post-matérialiste a des implications d’une portée considérable. Ce paradigme réenchante le monde et modifie profondément notre vision de nous-mêmes en nous rendant notre dignité et notre pouvoir en tant qu’êtres humains. Le paradigme post-matérialiste favorise également des valeurs positives telles que la compassion, le respect, la bienveillance, l’amour et la paix, car il nous fait prendre conscience que les frontières entre nous-mêmes et les autres sont perméables. Ce faisant, ce paradigme favorise une prise de conscience de la profonde interconnexion entre la nature et nous au sens large, y compris tous les niveaux d’organisation de l’univers. Ces niveaux peuvent englober des domaines non physiques et spirituels. A ce sujet, il convient de rappeler que le paradigme post-matérialiste reconnaît les expériences spirituelles qui se réfèrent à une dimension fondamentale de l’expérience humaine et qui sont fréquemment rapportées dans toutes les cultures… Et enfin, ce paradigme favorise également une prise de conscience concernant  les questions environnementales et la nécessité de préserver notre biosphère, en mettant l’accent sur le lien profond qui nous unit à la nature » (p 35).

 

Une ouverture

Ce livre nous présente différentes approches du nouveau paradigme scientifique post-matérialiste. Dans sa présentation des phénomènes qui permettent d’envisager l’esprit au delà du cerveau, on constate l’universalité de ces phénomènes répandus dans toutes les cultures. Il en découle une universalité de la réalité spirituelle dont ils témoignent. Cette universalité peut embarrasser certains groupes religieux voulant s’approprier un monopole de « la vie après la vie ». En regard, un récent livre de la théologienne chrétienne Lytta Basset nous offre une approche inclusive dans son livre : « Cet Au-delà qui nous fait signe ». (5). Cette approche de l’Au-delà apparaît comme une révolution spirituelle. Le paradigme post-matérialiste nous présente une réalité interconnectée. Ainsi, « il existe une profonde interaction entre le monde mental et le monde physique qui ne sont pas vraiment séparés ». « La conscience apparaît comme un constituant fondamental de l’univers ». « Le nouveau paradigme favorise une prise de conscience de la profonde interconnexion entre la nature et nous, au sens large, y compris tous le niveaux d’organisation de l’univers » « C’est dans une perspective analogue que, selon le théologien Jürgen Moltmann, nous envisageons l’œuvre de Dieu dans la création (6). Ici, la création apparaît comme une « communauté dans laquelle toutes les créatures communiquent chacune à sa manière entre elles et avec Dieu ». Mario Beauregard envisage les incidences considérables de l’approche scientifique post-matérialiste sur notre culture. Sur le plan conceptuel, le matérialisme scientifique s’opposait à l’approche religieuse et à la perspective du salut. Ici cet obstacle est levé. « Le paradigme post-matérialiste reconnait les expériences spirituelles qui se réfèrent à un dimension fondamentale de l’expérience humaine ». Le nouveau paradigme « réenchante le monde ». C’est une perspective dans laquelle peut s’inscrire Michel Maxime Egger dans son livre : « Réenchanter notre relation au vivant » (7). Ce livre nous apporte une grande ouverture

J H

 

  1. Mario Beauregard, Gary R Schwartz, Natalie L Dyer, Marjorie Woollacott. La nouvelle science de la conscience. Visions d’un paradigme, post-matérialiste. Guy Trédaniel, 2021
  2. Manifesto for a post-materialist science : https://opensciences.org/files/pdfs/Manifesto-for-a-Post-Materialist-Science.pdf
  3. Mario Beauregard . Comment nos pensées influencent la réalité : https://vivreetesperer.com/comment-nos-pensees-influencent-la-realite/
  4. Potentiel de l’esprit humain et dynamique de la conscience : https://vivreetesperer.com/potentiel-de-lesprit-humain-et-dynamique-de-la-conscience/
  5. Une révolution spirituelle. Une nouvelle approche de l’Au-delà : https://vivreetesperer.com/une-revolution-spirituelle-une-approche-nouvelle-de-lau-dela/
  6. Dieu dans la création : https://lire-moltmann.com/dieu-dans-la-creation/
  7. Réenchanter notre relation au vivant : https://vivreetesperer.com/reenchanter-notre-relation-au-vivant/

Sortir de l’obsession de l’efficience pour entrer dans un nouveau rapport avec la nature.

De l’âge mythique du progrès incarné par l’ère industrielle à un âge de la résilience.

L’âge de la résilience selon Jérémie Rifkin

« Jérémie Rifkin est l’un des penseurs de la société les plus populaires de notre temps. Il est l’auteur d’une vingtaine de best-sellers ». On peut ajouter à cette présentation du livre de Jérémie Rifkin : « L’âge de la résilience» (1) que l’auteur n’est pas seulement un chercheur qui ouvre des voies nouvelles, mais un conseiller influent qui intervient auprès de nombreuses instances de décision. Ses livres nous font entrer dans de nouvelles manières de voir et de penser. Ainsi, sur ce blog, nous avons présenté « La troisième révolution industrielle » (2) et le « New Deal vert mondial » (3). Jérémie Rifkin est également l’auteur de grandes synthèses qui éclairent notre marche. Ainsi, sur le site de Témoins, nous avons présenté son livre sur l’empathie (4), une fresque historique très engageante. En général, comme dans ce livre ‘l’âge de la résilience’, Jérémie Rifkin développe son regard prospectif à partir d’une analyse et d’un bilan du passé. Il nous a habitué à une démarche dynamique. C’est avec d’autant plus d’attention que nous entendons ici son cri d’alarme sur l’héritage du passé et la menace du présent. Tout est à repenser. « Il ne s’agit plus de courir après l’efficacité, mais de faire grandir notre capacité de résilience. Nous devons tout repenser : notre vision du monde, notre compréhension de l’économie, nos formes de gouvernement, nos conception de l’espace et du temps, nos pulsions les plus fondamentales et, bien sûr, notre relation à la planète » (page de couverture).

 

Un chemin pour changer de vision et de paradigme

 Dans l’introduction du livre, Jérémie Rifkin esquisse un chemin pour dépasser l’héritage du passé et nous engager dans une nouvelle manière de vivre.

L’auteur nous invite donc à revisiter notre histoire. Il commence par remettre en cause le mythe du progrès. Ainsi rappelle-t-il les propos du philosophe Condorcet guillotiné en 1794 : « La perfectibilité de l’homme est réellement indéfinie. Les progrès de cette perfectibilité, désormais indépendante de toutes puissances qui voudrait les arrêter, n’ont d’autres termes que la durée du globe où la nature nous a jeté » (p 10). « Aujourd’hui, sa conception du futur nous semble naïve. Pourtant le concept de progrès n’est que la dernière itération d’une vieille croyance : les humains seraient fondamentalement différents des autres êtres vivants avec qui ils se partagent la terre » (p 10). Aujourd’hui, l’humanité est assaillie de menaces et de peurs. En regard, un peu partout, le terme de résilience est évoqué. « L’âge du progrès cède la place à l’âge de la résilience ». « Ce grand basculement de l’âge du progrès à l’âge de la résilience requiert un vaste ajustement philosophique et psychologique dans la perception qu’a l’humanité du monde qui l’entoure. A la racine de la transition, il y a un changement total de notre rapport à l’espace et au temps » (p 11).

Jérémie Rifkin raconte comment la vie ordonnée des moines bénédictins au Moyen Age a suscité une nouvelle appréhension du temps ponctué par leurs activités. C’est la naissance de l’horloge mécanique qui s’est répandue ensuite dans la civilisation urbaine. Finalement, le temps va « être perçu comme une suite d’unités standard mesurables, fonctionnant dans un univers parallèle, qui ne doit plus rien aux rythmes de la terre » (p 84). Cette nouvelle temporalité va déboucher sur une recherche d’efficacité accrue dans le temps disponible. Cette temporalité a régi de bout en bout l’âge du progrès et sa conception de l’efficience. L’efficience a cherché à « optimiser l’expropriation, la consommation et la mise au rebut des ressources naturelles, et, ce faisant, à accroitre l’opulence matérielle de la société dans des temps toujours plus courts, mais au prix de l’épuisement de la nature. Notre temporalité personnelle et le pouls temporel de notre société obéissent à l’impératif de l’efficience » (p 12).

« Dans cet ouvrage, le terme « efficiency » employé dans l’édition originale, ne signifie pas « efficacité (capacité d’atteindre un objectif), mais « efficience » (capacité d’obtenir les résultats ou les profits maximaux avec le minimum de moyens et de frais dans le minimum de temps) » (p 12). « L’âge du progrès marchait au pas de l’efficience ». « Passer du temps de l’efficience à celui de l’adaptativité : tel est le visa de réadaptation qui permettra à l’espèce humaine de sortir d’un rapport de séparation et d’exploitation avec le monde naturel pour être rapatrié parmi la multitude des forces environnementales qui animent la Terre » (p 12)… Remplacer l’efficience par l’adaptativité implique des changements radicaux dans l’économie et dans la société : elles vont passer de la productivité à la régénérativité, de la croissance à l’épanouissement, de la propriété à l’accès, des marchés avec leurs vendeurs et leurs acheteurs aux réseaux avec leurs fournisseurs et leurs utilisateurs, des processus linéaires aux processus cybernétiques, des économies d’échelle de l’intégration verticale à celles de l’intégration latérale… des conglomérats capitalistes aux petites et moyennes coopératives opérant en blockchain sur des communs fluides… de la globalisation à la glocalisation, du consumérisme à l’intendance des écosystèmes, du produit national brut (PNB) aux indicateurs de qualité de vie… (p 12-13). Déjà expert de la « troisième révolution industrielle », Jérémie Rifkin voit là un mouvement en voie de « réinsérer l’humanité dans les infrastructures indigènes de la planète : l’hydrosphère, la lithosphére, l’atmosphère et la biosphère. La nouvelle infrastructure emporte l’humanité au delà de l’ère industrielle… » (p 13).

« Sans surprise, la nouvelle temporalité s’accompagne d’une réorientation fondamentale à l’égard de l’espace ». Notre appréhension de l’espace varie dans le temps, comme l’auteur nous le fait remarquer en mettant en lumière l’avènement de la perspective dans la peinture de la Renaissance italienne et ses incidences révolutionnaires (p 86-87). Bien sûr, dans l’âge qui vient, les ressources naturelles seront perçues et gérées autrement. Mais le changement de mentalité va plus loin encore. Nous prenons conscience d’appartenir à un ensemble vivant et nous ne nous regardons plus comme des êtres à part séparés de l’extérieur. L’auteur nous fait part de découvertes importantes qui nous situent en interaction avec le vivant. « Nous commençons à comprendre que notre vie et celle des autres êtres vivants est faite de processus, de modèles et de flux… Tous les êtres vivants sont des extensions des sphères terrestres. Les minéraux et les nutriments de la lithosphère, l’eau de l’hydrosphère, l’air de l’atmosphère nous parcourent continuellement sous forme d’atomes et de molécules, s’installent dans nos cellules… et y sont remplacées régulièrement, à différents intervalles, au cours de notre vie. La majorité des tissus et organes qui constituent notre corps se renouvellent sans cesse au fil de nos existences… ». Et, par ailleurs, « Notre corps n’est pas uniquement à nous. Nous le partageons avec de nombreuses autres formes de vie – des bactéries, des virus, des protéines, des archées et des champignons… Plus de la moitié des cellules de notre corps ne sont pas humaines… elles appartiennent aux autre êtres qui vivent dans chaque coin de notre anatomie (p 179-190)… Ainsi, nous sommes tous des écosytèmes… Et, de plus, nous sommes faits de multiples horloges biologiques qui adaptent continuellement nos rythmes corporels internes à ceux que marquent les rotations de la terre… rythmes circadien et lunaire, rythme des saisons, rythmes annuels… » (p 13-14).

Ainsi, « nous faisons partie de la terre, au plus profond de notre être… » L’auteur en déduit que « cela nous inspire des idées neuves sur la nature de la gouvernance et sur notre fonctionnement en tant qu’organisme social. A l’âge de la résilience, gouverner, c’est assurer l’intendance de écosystèmes régionaux. Et cette gouvernance biorégionale est beaucoup plus partagée, distribuée… » (p 15)

Cependant, on ne peut manquer de se poser une question fondamentale. Quel est le sens de ce parcours ? « Que cherche l’humanité ? Pas seulement sa simple subsistance. Quelque chose de plus profond, de plus tourmenté bouillonne en nous – un sentiment qu’aucun autre être vivant ne possède… Nous sommes en quête continuelle du sens de nos existences. » (p 16). C’est là que Jérémie Rifkin en revient à mettre en évidence la vertu qu’il a déjà appréciée dans l’humanité : son potentiel d’empathie (4). « Cet atout rare et précieux croit, décroit et ne cesse de réapparaitre ». « Ces dernières années, la nouvelle génération a commencé à étendre son empathie au delà de notre espèce pour y inclure les autres vivants qui font tous partie de notre famille évolutionnaire. C’est ce que les biologistes appellent la « conscience biophile ». Voilà un signe encourageant ».

 

L’approche de la résilience

Dans son livre, Jérémie Rifkin nous introduit dans une histoire, celle qui analyse le pesant héritage du passé pour baliser ensuite les voies d’un avenir viable, plus précisément d’un âge de la résilience. Ce parcours s’opère en quatre parties : « Efficience contre entropie. La dialectique de la modernité ; L’appropriation de la Terre et la paupérisation des travailleurs ; Comment nous en sommes arrivés là. Repenser l’évolution sur Terre ; L’âge de la résilience : la fin de l’ère industrielle ». Aujourd’hui, le regard scientifique est en train de changer, une nouvelle manière d’approcher les réalités en terme de « socio-écosystèmes adaptatifs complexes » (p 217).

Après avoir rappelé les principes de la science classique dans la foulée de Francis Bacon, l’auteur met en lumière une nouvelle approche, l’apport d’un écologue canadien : Crawford Stanley Holling. En 1973, dans un article intitulé : « Résilience et stabilité des systèmes écologiques », il a exposé une nouvelle théorie sur l’émergence et les modes de fonctionnement de l’environnement naturel. Holling a introduit les concepts de gestion « adaptative » et de « résilience » dans la théorie des systèmes écologiques ; avec d’autres pionniers, il a posé les bases d’une méthode scientifique radicalement neuve qui, en fusionnant l’écologique et le social, allait défier les principes directeurs, tant théoriques que pratiques de l’économie admise. Il s’agit de la théorie des « socio- écosystèmes adaptatifs complexes » (p 217).

Pour Holling, « le comportement des systèmes écologiques pourrait être défini par deux propriétés distinctes : la résilience et la stabilité »… La théorie de la résilience de Holling a ensuite été importée dans la quasi-totalité des disciplines : la psychologie, la sociologie, les sciences politiques, l’anthropologie, la physique, la chimie, la biologie et les sciences de l’ingénieur. Différents secteurs économiques ont commencé à s’y intéresser… Mais le plus important est que l’épicentre de la nouvelle Grande Disruption se trouve à l’intersection de l’économie et de l’écologie. Holling précise : la résilience est la propriété du système et la persistance ou la probabilité d’extinction est le résultat. Une des principales stratégies retenues par la sélection n’a donc pas pour but de maximiser l’efficience ou un avantage particulier, mais de permettre la persistance en maintenant d’abord et avant tout la flexibilité » (p 217-218). En ce sens, la diversité est un atout. « Une méthode de gestion fondée sur la résilience… insistera sur la nécessité de garder une multiplicité d’options ouvertes, d’observer les évènements dans le contexte régional et non local et de privilégier l’hétérogénéité » (p 218). Et, dans la même perspective, il nous faut reconnaître notre ignorance et accepter l’imprévisibilité. « Dans les trente ans qui ont suivi, Holling a vu sa première esquisse de théorie de la résilience et de l’adaptation modifiée, améliorée et nuancée par d’autres et ces apports n’ont cessé d’affiner et d’enrichir sa thèse. En 2004, il a coécrit un nouvelle version de la résilience et des cycles adaptatifs ». Ici, on y exprime que « le système peut être incapable de se maintenir, ce qui l’oblige de se transformer en un nouveau système auto-organisé » (p 218-219).

L’auteur met l’accent sur les transformations qui adviennent ainsi. « Quand des forces interagissent  dans la nature, la société et l’univers, elles ne reviennent jamais à leur point de départ, car leurs interactions, si minimes soientelles, changent la dynamique (p 220). Et donc, « résilience n’a jamais voulu dire des restaurations parfaites du statu quo ante… On ne doit jamais considérer la résilience comme un état, une manière d’être dans le monde, mais comme une manière d’agir sur le monde » (p 221).

Et, si on envisage la résilience en terme de démarche thérapeutique, « elle n’est jamais un retour. On ne peut jamais revenir en arrière, mais seulement aller de l’avant vers un sens nouveau de sa capacité d’action » (p 221).

La science économique actuelle est remise en cause par la mutation en cours. « La rénovation imposera une réévaluation partielle de certains de ses fondements : la théorie de l’équilibre général, les analyses coûts-avantages, la définitions étroite des externalités et les concepts trompeurs de productivité et de PIB. Et d’abord, il faudra modérer et même remettre en cause l’obsession de l’efficience. Par dessus tout, les milieux d’affaires vont devoir renoncer complètement à leur conception du monde naturel et à leur rapport avec lui» (p 222). « Pour commencer à remodeler la théorie économique, le mieux n’est-il pas de suivre la démarche de l’âge de la résilience ? Celle qui est en train de sortir les autres discipline académiques du marasme de la recherche scientifique traditionnelle essentielle à l’âge du progrès ? ». L’auteur préconise donc l’approche des éco-systèmes adaptatifs complexes qui «  conçoit la recherche de façon fondamentalement différente de la méthode scientifique traditionnelle. Premièrement, parce que cette dernière procède souvent en isolant un seul et unique phénomène… Deuxièmement, parce que la conception admise de la recherche scientifique est… en fait complètement biaisée… Le préjugé implicite, c’est d’examiner le monde comme s’il était fait d’un assortiment d’objets passifs et même inertes par nature, dont la capacité d’action est faible ou nulle. Troisièmement, la nature est souvent perçue comme un ensemble de « ressources » à exploiter au profit de la société » (p 223-224). A la différence de la recherche classique, dans la recherche sur les socio-systèmes adaptatifs, on passe : « des caractéristiques des parties aux propriétés systémiques ; de systèmes fermés aux systèmes ouverts ; de la mesure à la détection et à l’évaluation de la complexité ; de l’observation à l’intervention » (p 225). « Pour avancer, il faut que la visée de la recherche scientifique passe, du moins en partie, de la prédiction à l’adaptation » (p 227).

L’auteur évoque la pensée du philosophe américain : John Dewey, fondateur du pragmatisme. Il fut « l’un des premiers penseurs à attirer l’attention sur les mérites de l’adaptativité en tant que méthode de recherche scientifique et de résolution de problèmes… Pour Dewey, celui ou celle qui veut comprendre une situation commence toujours son enquête en y participant activement, en faisant expérience directe du problème qu’elle pose et en subissant personnellement ses effets » (p 227). « L’adaptativité acquit un certaine influence au début du XXe siècle, mais elle a ensuite été submergé par la croisade pour l’efficience » (p 228). Mais aujourd’hui, cette obsession de l’efficience est remise en cause. « Sur cette terre qui se réensauvage, il n’est plus question de profiter (opportunités infinies) mais de limiter les risques, et l’efficience commence à céder sa place à l’adaptativité » (p 228). L’auteur examine ensuite les manifestations de ce courant visant à l’adaptativité. C’est un nouvel état d’esprit. « La science économique traditionnelle et les mécanismes du capitalisme, en théorie comme en pratique, ne survivront pas sous leur forme actuelle à la transformation induite par le passage à la pensée des systèmes adaptatifs complexes… La pensée des systèmes adaptatifs complexes va également nécessiter une réforme du monde universitaire… Il n’existe qu’une seule façon de comprendre ce qui se passe : adopter une approche interdisciplinaire du savoir… » (p 231-232). L’esprit humain se prête à ce changement. C’est ici que l’auteur met en évidence une découverte récente des anthropologues : « De nouvelles séries de données environnementales indiquent qu’homo a évolué sur fond de longues périodes d’imprévisibilité de son habitat… ». Et ils précisent : « Les facteurs essentiels au succès et à l’expansion du genre homo ont eu pour fondement la flexibilité de son système alimentaire dans des environnements imprévisibles, car c’est elle, avec la reproduction alimentaire et la flexibilité du développement, qui a permis l’élargissement géographique et réduit les risques de mortalité ». Ainsi, un de ces chercheurs a pu écrire : « L’origine du genre humain se caractérise par des formes d’adaptabilité » (p 253-254). On peut parler « d’ingéniosité de l’espèce humaine ». Jérémie Rifkin voit là un encouragement. Comment faire face au réchauffement climatique ? « C’est la question fondamentale de notre époque. L’adaptabilité humaine aux changements brutaux du régime climatique est notre point fort. C’est ce qui a fait de nous une des espèces les plus résilientes de la planète. Au seuil de l’âge de la résilience, voilà peut-être la nouvelle la plus encourageante du moment » (p 235).

 

L’âge de la résilience : la fin de l’ère industrielle

Jérémie Rifkin consacre la quatrième partie du livre aux grands axes de changement qui forment la trame du nouvel âge : l’infrastructure de la révolution résiliente ; la montée en puissance de la gouvernance biorégionale ; une place croissante de la pairocratie distribuée dans la démocratie représentative ; l’essor de la conscience biophile. Ces chapitres, à nouveau, sont riches et denses en informations et idées. Chacun de nous a conscience de ces grands mouvements. C’est pourquoi nous nous bornerons ici à un bref aperçu en renvoyant à une lecture approfondie du livre.

 

Une nouvelle infrastructure. Un nouveau paradigme économique

Jérémie Rifkin nous a déjà entretenu dans un livre précédent ‘Le New Deal vert mondial’, des transformations structurelles en train de se préparer (3). Il met ici l’accent sur l’importance des infrastructures. Elles sont « bien plus qu’un simple échafaudage qui sert à réunir un grand nombre d’êtres humains au sein d’une vie collective ». Elles associent en effet trois facteurs majeurs : « de nouvelles formes de communication, de nouvelles sources d’énergie et de nouveaux moyens de transport et de logistique ». « Quand ces trois avancées techniques apparaissent et fusionnent en une seule et même dynamique, elles changent radicalement la façon dont on communique » (p 239). Et l’auteur ajoute qu’elles ont elles-mêmes une influence sur l’ensemble de la vie collective. « On assimile très justement ces structures à de vastes « organismes sociaux ». Ce sont des systèmes auto-organisés qui agissent comme une totalité unique ».   « Les grandes révolutions infrastructurelles changent la nature de l’activité économique, la vie sociale, et les formes de gouvernement… » (p 240). Ainsi après les infrastructure du XIXe siècle (charbon, machine à vapeur, réseau ferré, télégraphe), puis du XXe siècle (réseau électrique centralisé, téléphone, radio et télévision, voitures, avions, réseaux routiers, aérodromes), « aujourd’hui, nous sommes au cœur d’une troisième révolution industrielle. L’Internet numérisé de communication haut débit converge avec un Internet numérisé continental de l’électricité, alimenté par les énergies solaire et éolienne ». Une énergie verte est revendue à l’internet continental. « Actuellement, ces deux internets numérisés convergent avec un troisième : l’Internet numérisé de la mobilité et de la logistique ». C’est la part des véhicules électriques. « Ces trois Internets vont progressivement partager un flux continu de données et d’analyses de ces données… A l’ère qui vient, on va rénover les immeubles à des fins d’énergie et de résilience climatique… ». Ce seront des « immeubles intelligents » (p 241-242).

« Les infrastructures des deux premières révolutions industrielles ont été conçues pour opérer en pyramide, de haut en bas, et pour fonctionner au mieux lorsqu’elles étaient enveloppées par plusieurs couches de droits de propriété matérielle et intellectuelle ». Les infrastructures des deux premières révolutions industrielles ont été propulsées, pour l’essentiel, par des énergies fossiles. Elles ont donné lieu à des engagements militaires. Au contraire, l’infrastructure de la nouvelle révolution industrielle est conçue pour être distribuée et non centralisée. Elle fonctionne mieux quand elle reste ouverte et transparente… ». « Elle est conçue pour s’étendre latéralement et non verticalement ». (p 244). L’auteur reconnait la présence actuelle d’oligopoles mondiaux dans ce champ. Cependant il estime que l’évolution à venir ne va pas dans le sens de la centralisation (p 245).

Des transformations majeures adviennent. « Bien qu’elle soit encore dans sa petite enfance, l’économie du partage distribuée et interconnectée par le numérique constitue un nouveau système économique. C’est le premier à entrer en scène depuis le capitalisme au XVIIIe siècle et le socialisme au XIXe siècle – encore un signe qui montre à quel point le nouvel ordre économique émergent se distingue de ce que nous avons connu sous le capitalisme industriel » (p 250). Le PIB, par exemple, perd de plus en plus son rôle d’indicateur de la performance économique. Le monde entier est concerné. « En 2020, des milliards d’êtres humains avaient un smartphone, et chacun de ses appareils possédait une puissance de calcul supérieure à celle qui avait envoyé des astronomes sur la Lune… L’humanité se connecte à un multitude de plateformes pour jouer, travailler, entretenir des relations » (p 251).

Dans ce chapitre, Jérémie Rifkin nous ouvre sans cesse de nouveaux horizons. Nous entrons dans un nouvel univers économique et social. « Quand nous dressons la liste de tous les changements induits par le passage à une infrastructure numérique intelligente de troisième révolution industrielle, l’énormité de ce qui se profile suggère une transformation radicale de notre idée de la vie économique. Elle va passer de la propriété à l’accès, des marchés « acheteurs-vendeurs » aux réseaux « fournisseurs-utilisateurs » ; des bureaucraties analogiques aux plateformes numériques… ; du capital financier au capital naturel ; de la productivité à la régénérativité ; de processus linéaires aux processus cybernétiques ; des externalités négatives à la circularité ; des économies d’échelle de l’intégration verticale à celles de l’intégration latérale ; des chaines de valeur centralisées aux chaines de valeurs distribuées ; du produit intérieur brut aux indicateurs de qualité de vie ; de la globalisation à la glocalisation ; des conglomérats de sociétés transnationales aux agiles PME opérant sur de simples réseaux blockchains glocaux et de la géopolitique à la politique de la biosphère ». Ces réalités nouvelles s’expriment souvent dans des termes techniques, un nouveau langage et une nouvelle réalité à découvrir dans ce chapitre.

Dans une conjoncture qui nous paraît si menaçante, Jérémy Rifkin introduit un nouveau regard : « Nous assistons à un saut extraordinaire dans un nouveau paradigme économique. Au début de la décennie 2040, il ne sera probablement plus perçu comme une troisième révolution industrielle fonctionnant sur un modèle économique strictement capitaliste. Notre société mondiale commence à sortir des deux cent cinquante années de révolution industrielle et à se tourner vers une ère nouvelle. Le mieux est de la nommer : « révolution résiliente » » (p 255).

 

Nouvelles formes de gouvernance

Les transformations nécessitées par la politique écologique requiert également de nouvelles formes de gouvernance. L’auteur envisage ainsi la montée en puissance d’une gouvernance biorégionale. Les accidents climatiques appellent des « mobilisations en terme de ‘gouvernance des communs’ où l’investissement personnel est bien plus fort » (p 267). Certes des fractures apparaissent actuellement dans les sociétés. Mais l’auteur développe une approche prospective.

Les régions rurales longtemps dévalorisées vont ré-émerger. Elles ont souvent des atouts en termes de potentiel solaire et éolien. Mais surtout, elles sont à même d’accueillir la nouvelle économie de partage distribuée et interconnectée par le numérique. « Les start up technologiques intelligentes peuvent opérer dans les bourgs et petites villes des zones rurales où les prix de l’immobilier et les frais généraux sont moins élevés, tout en restant compétitives sur les marchés « glocaux » (p 270). On observe par ailleurs une migration dans laquelle certains quittent les grandes villes pour s’installer dans les campagnes dans un mode de vie plus naturel ».

Récemment, « la communauté scientifique a posé le cadre d’une gouvernance biorégionale en appelant à « réensauvager » ou « reruraliser » la moitié de la terre » (p 276) en vue notamment de lutter contre la disparition des espèces et des écosytèmes. L’accent est mis sur l’importance des forêts naturelles dans le maintien de la biodiversité et la rétention et le stockage du carbone. L’auteur identifie des « bio régions » qu’on peut envisager « en termes sociaux, psychologiques et biologiques », avec l’idée de « vivre en un lieu » et en entendant par là : « une société vivant en équilibre avec la région qui la soutient à travers les liens entre les vies humaines, les autres êtres vivants et les processus de la planète – les saisons, le climat, les cycles de l’eau » (p 280). L’auteur en donne des exemples aux Etats-Unis et il met en lumière l’avènement d’une « gouvernance biorégionale » (p 176).

 

Participation et association

Nous observons aujourd’hui un « délitement de la cohésion sociale » (p 295). Le mécontentement monte et la méfiance s’accroît . Une enquête menée en 2020 dans 28 pays constate que 66% de citoyens n’ont pas confiance dans leur gouvernement actuel (p 295). Des remous, de grands changements mal interprétés suscitent l’inquiétude. La violence monte. Ces menaces appellent un renouvellement de la gouvernance à travers une participation accrue des citoyens. Ainsi un chapitre est intitulé : « La démocratie représentative fait une place à la pairocratie (le rôle des pairs) dans la démocratie représentative » (p 289). « Une jeune génération commence à tempérer la démocratie représentative avec ses succès, ses espoirs déçus et ses insuffisances en y mêlant une forme d’action politique horizontale, latérale, plus large, plus inclusive, qui insère les communautés locales au sein des écosystèmes… ». « Cette nouvelle identité politique émergente s’accompagne d’un engagement militant direct dans la gouvernance… Chaque citoyen devient partie intégrante du processus de gouvernement… Des assemblées citoyennes apparaissent. Leurs membres se réunissent entre égaux, entre pairs, travaillant parallèlement aux autorités en donnant des avis, conseils et recommandations… Ces assemblées de pairs horizontalisent la prise de décision en assurant l’engagement actif des citoyens dans la gouvernance. La démocratie représentative fait une place à une « pairocratie » distribuée comme la gouvernance locale fait une place à une gouvernance biorégionale en ces temps où les citoyens se regroupent pour réagir aux défis comme aux opportunités de sauvegarde de leur biorégion » (p 289-290). De nombreuses expériences apparaissent : budget participatif, contrôle local sur les écoles ou sur la police ».

Jérémie Rifkin inscrit son étude dans une réflexion historique sur la conception et la pratique de la liberté dans la période moderne en Occident et la vision de nouvelles générations pour lesquelles «  la liberté est affaire d’accès et d’inclusivité et non d’autonomie et d’exclusivité. Ils mesurent leur liberté au degré auquel ils peuvent accéder et participer aux plateformes qui prolifèrent sur toute la planète. L’inclusivité qu’ils ont à l’esprit est latérale et très étendue : elle englobe souvent le genre, l’ethnie, l’orientation sexuelle et même le lien avec les autres êtres vivants sur une planète en vie » (p 292). L’auteur note « l’arrivée à maturité des organisations de la société civile… Ces organisations sont des mouvements sociaux, des entreprise économiques et aussi de nouvelles formes de proto-gouvernance qui font entrer les citoyens sur la scène politique » (p 300-301).

 

Conscience biophile 

Selon Jérémy Rifkin, la grande dynamique à l’œuvre pour promouvoir l’âge de la résilience s’inscrit dans le développement d’une « conscience biophile ». Ce chapitre mériterait une analyse spécifique qui ne peut être engagée dans le cadre de cette présentation.

L’auteur commence par exposer les recherches de John Bowlby sur l’attachement. Privés de tendresse, de jeunes enfants dépérissent. Depuis l’intuition initiale de Bowlby sur le rôle que joue le comportement d’attachement, des  chercheurs ont examiné de plus près notre constitution biologique en cherchant à comprendre les mécanismes de la pulsion empathique profondément intégrés à nos circuits neuronaux. Ils ont ainsi découvert qu’au cœur même de notre être – et c’est ce qui rend notre espèce si spéciale – un élan biologique inné nous pousse à avoir de l’empathie pour « l’autre » (p 322). Comme il l’a déjà étudié dans un livre précédent sur l’empathie (4), l’auteur revient ici sur ce thème. Dans une rétrospective historique, il inscrit l’empathie dans une dimension sociale. « L’élan empathique n’est pas seulement lié aux pratiques éducatives vécues par l’enfant,… l’empathie change aussi au cours de l’histoire, elle est étroitement mêlée à l’évolution de la société ». « L’infrastructure de chaque civilisation apporte un paradigme économique qui lui est propre, un nouvel ordre social. Elle s’accompagne aussi d’une vision du monde, d’un grand récit auquel la population peut prêter allégeance. Elle permet, à chaque fois, d’élargir la solidarité empathique, qui peut englober et unir émotionnellement les diverses populations… » (p 326). L’auteur évoque ainsi des civilisations successives. Il y voit des « expansions de l’empathie » sans méconnaitre « les reculs et les retours au passé, ce grand fléau de l’histoire de l’humanité » (p 331).

Il perçoit aujourd’hui l’apparition dans la jeune génération d’« une nouvelle famille biologique plus inclusive. La conscience biophile émerge à peine. Elle sera probablement le grand récit qui va définir l’Age de la résilience en un temps où débute l’entrée de l’humanité en empathie avec les autres vivants » (p 332). Aujourd’hui, l’humanité a besoin de se « réaffilier à la nature » (p 332). Les urbains ont besoin de se reconnecter avec le vivant de telle manière que Anne-Sophie Novel nous en indique le chemin (5). Et l’auteur décrit les initiatives pour permettre aux enfants de se familiariser avec le monde naturel, comme, par exemple, les classes de nature. Au total, nous sommes appelés à un changement de perspective ; « L’universalisation de la biophilie fait passer le récit humain d’une obsession de l’autonomie à un attachement au relationnel. La formule classique de René Descartes, « Je pense, donc je suis », est déjà du passé, car la jeune génération qui grandit dans des mondes virtuels… structurés par des couches d’interconnexion horizontale lui préfère une autre maxime : « Je participe, donc j’existe » (p 352). « L’interprétation interactive de la nature, comme de celle de la nature humaine, impose de repenser radicalement le discours philosophique et politique qui a fondé l’âge du progrès » (p 353). « Deux siècles avant que le concept de conscience biophile soit introduit par E O Wilson, le grand philosophe et savant allemand Johan Wolfgang von Goethe propose de faire de la conscience biophile un contre-récit opposable à l’univers mort, rationnel, mécanique que décrit la vision stérile de Newton. Goethe est persuadé que la personnalité de chacun, de chacune – et sa résilience – est un matériau composite, fait des relations qui la tissent ou le tissent à l’intérieur même de l’étoffe de la vie ». Il envisage la nature comme « toujours changeante, en flux continuel. » (p 355). « Goethe ressent et vit l’expérience empathique avant que ce sentiment reçoive un nom. « Me mettre dans la situation des autres, comprendre toute espèce d’individualité humaine et m’y intéresser, écrit-il, c’est affirmer l’unité de la vie. Être « dans l’ensemble » : pour Goethe, cet élan ne s’arrêtait pas aux limites de notre espèce, mais s’étendait à la totalité de la nature » (p 356).

Face aux menaces qui nous inquiètent et nous embrouillent, dans une réalité complexe qui rend difficile notre discernement, nous recherchons éclairages et chemins. La vision de Jérémie Rifkin nous apporte un éclairage auquel nous ajouterons pour notre part une dimension spirituelle telle que nous la découvrons dans le livre de Michel Maxime Egger : « Ecospiritualité » (6). Jérémie Rifkin nous propose aussi un chemin. La prise de conscience des méfaits de l’héritage de l’âge du progrès débouche sur la mise en œuvre de nouveaux atouts en terme de nouveaux savoirs, de nouvelles pratiques et de nouvelles valeurs. Dans ce livre comme dans ses précédents, Jérémy Rifkin nous ouvre une nouvelle manière de voir.

J H

 

  1. Jérémy Rifkin. L’âge de la résilience. La terre se réensauvage. Il faut nous réinventer. Les liens qui libèrent, 2022
  2. La Troisième révolution industrielle : https://vivreetesperer.com/face-a-la-crise-un-avenir-pour-l%e2%80%99economie/
  3. Le New Deal Vert : https://vivreetesperer.com/le-new-deal-vert/
  4. Vers une civilisation de l’empathie : https://www.temoins.com/vers-une-civilisation-de-lempathie-a-propos-du-livre-de-jeremie-rifkinapports-questionnements-et-enjeux/
  5. Comment nous reconnecter au vivant, à la nature ? : https://vivreetesperer.com/comment-nous-reconnecter-au-vivant-a-la-nature/
  6. Ecospiritualité : https://vivreetesperer.com/ecospiritualite/

Un chemin de guérison pour l’humanité. La fin d’un monde. L’aube d’une renaissance.

La guérison du monde, selon Frédéric Lenoir.

 

            La crise économique sème le trouble et l’inquiétude. Elle perturbe et endommage la vie de beaucoup de gens. Mais nous nous rendons compte qu’elle s’inscrit dans un désordre plus général : le bouleversement des équilibres naturels. Et, d’autre part, nous percevons combien la société et la culture changent rapidement. Nous sommes engagés dans une grande mutation. Pour avancer, nous avons besoin d’y voir plus clair, de comprendre l’évolution en cours, d’en percevoir les enjeux, et, pour cela, de faire appel à des personnalités qui puissent nous apporter une analyse et parfois davantage : une vision.

Dans cette recherche, le récent livre de Frédéric Lenoir : « La guérison du monde » (1) nous apporte un éclairage particulièrement utile qui rejoint et confirme d’autres contributions que nous avons précédemment mises en évidence et qui apporte aussi des éléments nouveaux venant prendre place dans le puzzle de notre questionnement. Bien écrit, pédagogique dans son déroulement et son exposition, remarquablement informé, ce livre intervient en complément d’autres analyses économiques ou sociologiques pour apporter un éclairage sur les voies nouvelles qui s’ouvrent à la conscience humaine dans l’évolution de la culture, de la spiritualité, de la religion. Ce livre, très accessible mais aussi très dense, ne se prête pas facilement à une présentation synthétique. En envisageant de mettre par la suite en perspective tel ou tel aspect de cette réflexion, nous voulons ici présenter l’économie générale de cet ouvrage pour en souligner l’importance et la fécondité.

Tout d’abord, quelle est l’intention de Frédéric Lenoir ? A juste raison, il voit dans la crise actuelle, « un symptôme de déséquilibres beaucoup plus profonds » (p 11). Et, en particulier, il fait allusion à la crise écologique qui est une donnée fondamentale. Nous avons besoin d’une vue d’ensemble. « Il convient de considérer le monde pour ce qu’il est : un organisme complexe et qui, plus est, atteint de nombreux maux. La crise que nous traversons est systémique. Elle « fait système » et il est impossible d’isoler les problèmes les uns des autres ou d’en ignorer les causes profondes et intriquées. Pour guérir le monde, il faut donc tout à la fois connaître la véritable nature de son mal et pointer les ressources dont nous disposons pour le surmonter… » (p 12).

 

La fin d’un monde.

 

Le livre s’ordonne ainsi en deux grandes parties : « La fin d’un monde ; l’aube d’une renaissance ».

La première partie propose un diagnostic de la maladie qui affecte notre monde : secteur par secteur, mais aussi de manière transversale en essayant de comprendre ce qui relie toutes les crises sectorielles entre elles » (p 12).

L’auteur évoque ensuite les grandes transformations en cours et l’impact qu’elles ont sur les représentations et les comportements. Il inscrit la mutation actuelle  dans une histoire de longue durée qui lui permet d’en souligner l’originalité. « L’accélération du temps vécu et le rétrécissement de l’espace qui en résulte constituent deux paramètres, parmi d’autres, d’une mutation anthropologique et sociale, aussi importante à mes yeux  que le passage, il y a environ douze  mille ans, du paléolithique au néolithique, quand l’être humain a quitté un mode de vie nomade pour se sédentariser… » (p 13). C’est à partir de ce tournant que se sont constitués les cités, les royaumes, les civilisations. Mais les modèles sociaux  hérités de cette révolution du néolithique apparaissent aujourd’hui  comme destructeurs : « coupure de l’homme et de la nature, domination de l’homme sur la femme, absolutisation des cultures et des religions ».

Les trois premiers chapitres dressent un bilan de la situation actuelle en résultante des changements récents ou plus lointains : « Des bouleversements inédits ; un nouveau tournant axial de l’histoire humaine ; les symptômes d’un monde malade ». Dans un quatrième chapitre, Frédéric Lenoir nous invite à changer de logique : « La fuite en avant est impossible. Le retour en arrière est illusoire ». L’auteur en appelle à une « révolution de la conscience humaine » dont il perçoit actuellement les prémices. « Sans un changement de soi, aucun changement du monde ne sera possible. Sans une révolution de la conscience de chacun, aucune révolution globale n’est à espérer. La modernité a mis l’individu au centre de tout. C’est donc aujourd’hui sur lui, plus que sur les institutions et les superstructures, que repose l’enjeu de la guérison du monde. Comme Gandhi l’a si bien exprimé : « Soyez le changement que vous voulez dans le monde » (p 15).

 

L’aube d’une renaissance.

 

Comment susciter des transformations sensibles dans le monde d’aujourd’hui ? Frédéric Lenoir met d’abord en évidence des « voies et expériences de guérison ».

 

Voies et expériences de guérison.

 

« Le processus de guérison du monde a un caractère holistique prononcé. Il inclut la guérison de notre planète meurtrie, celle de notre humanité malade d’injustices de toutes sortes. Elle englobe aussi la guérison de notre être, de notre personne. C’est dans l’articulation entre ces trois guérisons que nous pourrons mieux saisir les perspectives écologiques, sociales et intimes de ce que certains auteurs appellent le « réenchantement du monde », ou plutôt, selon Frédéric Lenoir, le « réenchantement de notre relation au monde » (p 119).

L’auteur nous présente des expériences significatives au service de la terre (La « démocratie de la terre » de Vandana Shiva ; la « ferme de Sekem » d’Ibrahim Abouleish ou l’agroécologie de Pierre Rabbi…) et d’autres au service de l’humanité (monnaies complémentaires et alternatives ; commerce équitable/alter eco ; finance solidaire/Muhammed Yunus et Maria Nowak ; taxe Tobin ; vitalité de la société civile mondiale ; Patrick Viveret et les dialogues en humanité ; voie non violente de Nelson Mandela et de Desmond Tutu ; diplomatie de la paix de la communauté de Sant’Egidio).

Frédéric Lenoir esquisse ensuite une présentation des pratiques et des courants de pensée qui se décrivent en terme de développement personnel en caractérisant celui-ci comme une « dynamique de sens (sur le plan des significations de la vie) et une dynamique de l’existence (sur le plan de la mise en cohérence) ». En quelques pages particulièrement bien venues, il aborde les problèmes thérapeutiques. « Aujourd’hui, la médecine occidentale prend en charge les symptômes et s’interdit de remonter aux causes premières. « L’homme se guérit comme l’automobile se répare, mais l’homme n’est pas une machine… » (p 160). En regard, Frédéric Lenoir nous présente deux itinéraires exemplaires de médecins qui sont allés au delà de leur compétence scientifique classique pour adopter une approche holistique de la maladie et de la guérison : David Servan-Schreiber et Thierry Janssen. Il met en valeur un recours croissant aux médecines complémentaires et aux médecines orientales. « Trois aspects me semblent importants dans cette optique : un regard holistique posé sur la personne ; une participation de la personne à son propre processus de guérison ; une ouverture résolue au pluralisme culturel » (p 165).

 

Une redécouverte des valeurs universelles.

 

« Aucune communauté humaine n’est viable sans un solide consensus sur un certain nombre de valeurs partagées. C’est aussi vrai d’un couple, que d’un clan, d’un parti, d’une nation ou d’une civilisation… Comme son nom l’indique, une valeur exprime « ce qui vaut ». Les valeurs manifestent donc ce qui est essentiel et non négociables chez un individu ou un groupe d’individus » (p 170). Dans son unification actuelle, l’humanité a besoin de pouvoir s’appuyer sur des valeurs communes.  Et il nous faut d’autre part compenser les méfaits d’une « occidentalisation du monde dominée par une logique mécaniste et financière » (p 169). « Il s’agit donc de construire ensemble une civilisation globale fondée sur d’autres valeurs que la seule logique marchande. Une des tâches les plus importantes à mes yeux, pour donner un fondement solide à cette nouvelle civilisation planétaire, consiste donc à reformuler des valeurs universelles à travers un dialogue des cultures » ( p 169).

Dans un chapitre sur « la redécouverte des valeurs universelles », Frédéric Lenoir apporte une belle contribution à cette entreprise. Ainsi, se démarquant d’un relativisme assez répandu, l’auteur nous dit avoir pu « observer à travers les grandes civilisations humaines la permanence ou la rémanence de certaines valeurs fondamentales ». Il en relève six : « la vérité, la justice, le respect, la liberté, l’amour, et la beauté » et il nous décrit comment ces valeurs sont perçues et vécues dans les principales cultures du monde.

Ces passages, qui s’appuient sur la vaste culture de leur auteur, sont particulièrement riches de sens et apprennent beaucoup. Cependant, Frédéric Lenoir évite le piège de l’unanimisme. Il met également en évidence les différences entre les cultures. « Les valeurs ne sont pas formulées de la même façon selon les cultures et les différences sont tout aussi importantes à souligner que les convergences. La hiérarchie entre les valeurs n’est pas non plus la même dans les différentes aires de civilisation » (p 171). Ainsi « la problématique de la liberté est particulière, car elle est le principal vecteur de la modernité. Avec l’émergence en Europe, à partir du XVIIè siècle, du « sujet autonome », c’est toute une conception des libertés individuelles qui va submerger l’Occident et donner naissance aux droits de l’homme comme principes universels » ( p 191).

Après avoir évoqué la conception traditionnelle de la liberté au sein des différentes cultures, l’auteur revient à l’affirmation massive de la liberté dans l’aire occidentale. C’est sous l’angle de l’autonomie du Sujet, de l’émancipation de l’individu à l’égard du groupe, du refus le l’arbitraire que s’est développée la thématique de la liberté en Occident » (p 201). Cette dynamique rencontre des oppositions ou des réserves dans d’autres aires culturelles qui attachent davantage d’importance au groupe, à la communauté, à la tradition. En analysant la « Déclaration universelle des droits de l’homme » rédigée en 1948 sous l’égide de l’Unesco, Frédéric Lenoir note qu’elle dépasse le cadre le la liberté pour mettre en avant d’autres valeurs comme la justice, le respect, la fraternité. « Ce lien entre liberté, égalité et fraternité est capital, car la principale critique que l’on peut adresser à l’Occident moderne, c’est d’avoir oublié l’idéal de fraternité en se concentrant aussi exclusivement tantôt sur les questions d’égalité, tantôt sur les libertés individuelles ».   (p 226). « Ce n’est pas l’individualisme contemporain qui peut être posé en modèle de civilisation » (p 233). Et, dans une perspective plus large, « ce qui pourrait contribuer à débloquer l’opposition radicale entre tradition et modernité, c’est une compréhension plus large de la liberté incluant sa dimension holistique et spirituelle et une « rejonction » entre liberté et fraternité » (p 229). L’auteur esquisse une réflexion en ce domaine en mettant en valeur l’humanisme de la Renaissance qui était profondément enraciné dans une vision spirituelle. « Dans la vision humaniste de la Renaissance, l’individu ne peut s’exprimer pleinement en tant qu’homme, réaliser son potentiel personnel que s’il demeure relié au cosmos et aux êtres humains » (p 232). De fait, cette approche s’inscrit dans une conception du monde qui a été ébranlée par la suite. Aujourd’hui, face aux effets destructeurs d’une certaine approche idéologique, la question de la représentation du monde est à nouveau posée.

 

Réenchanter le monde

 

            Frédéric Lenoir aborde cette question dans un chapitre intitulé : « Réenchantement du monde ». Ici, depuis longtemps, notre réflexion rejoint la sienne et nous pensons y revenir d’une manière plus approfondie. Ce thème nous paraît central, car avec l’auteur, nous pensons que « l’une des clés qui peut nous aider à entrevoir l’explication de la crise socio-anthropologique et écologique planétaire est la différence qui existe dans notre rapport au monde entre la conception « mécaniste » et la conception « organique » que nous en avons » (p 239).

Qu’est ce que la conception mécaniste et quelles en sont les conséquences ? « La vision mécaniste ne se contente pas de considérer toutes les réalités comme objectivables… Elle affirme que cette entreprise d’objectivation, autrement dit de quantification, cette mise en équation, est la seule voie permettant d’accéder aux significations de la réalité ». Mais cette méthode, issue notamment de la pensée de René Descartes, « offre une vision philosophique bien réductrice du réel. L’univers devient un champ de forces et de mouvements relevant de la mécanique et l’être humain se réduit à l’individualisme utilitaire… » (p 240). La plupart des problèmes évoqués dans ce livre résultent d’une vision mécaniste du monde et de son application dans les différents champs de l’activité humaine. Ainsi, « la crise environnementale en est l’expression la plus frappante. On a oublié que la Terre est un organisme vivant, reposant sur des équilibres extrêmement subtils que l’on a violenté à des fins productivistes… Dans le domaine médical, l’attrait de plus en plus marqué pour les approches orientales et complémentaires n’illustre-t-il pas l’impasse d’un certain réductionnisme qui tend à réduire la personne malade à une machine corporelle déréglée avec ses pannes à réparer et ses pièces à changer… Et la crise religieuse planétaire que l’on observe n’est-elle pas elle-même le symptôme de l’essor du réductionnisme dans la compréhension du sacré, du rituel et du spirituel… » (p 240).

 

Face à la conception mécaniste, philosophie dominante en Occident depuis deux siècles, « il existe un grand courant philosophique transversal, des grecs aux romantiques en Occident, en passant par l’Inde, la Chine, le bouddhisme, le chamanisme, la mystique juive et musulmane qui offre un tout autre regard sur le réel » (p 241). Pour ce courant de pensée, auquel adhère Frédéric Lenoir, « la réalité n’est pas une machine, elle est essentiellement un organisme » (p 241). L’auteur décline les formes successives dans lesquelles le courant de pensée organique s’est manifesté.

Ainsi décrit-il la « sympathie universelle » selon laquelle « le monde qui nous entoure est pénétré en tous ses lieux par un principe de cohésion, de mouvement et de vie », conception répandue dans la sagesse de l’antiquité gréco-romaine, mais aussi dans d’autres sagesses : indiennes, chinoises, africaines, amérindiennes (p 240-243).

Puis, face à la logique mécanique qui s’est développée en Occident, à la fin du XVIIIè siècle, un vaste courant philosophique et artistique visant à renouer avec une conception organique de la nature : le Romantisme, est apparu. Dans cette mouvance, la « Naturphilosophie » est la science des romantiques allemands, une manifestation de l’alternative au scientisme. On y évoque « l’Ame du monde » (l’« anima mundi » des Anciens). C’est un concept qui permet de dépasser le dualisme cartésien entre objet et sujet, transcendance et immanence. « Il fait aussi écho, dans un nouveau contexte, à la présence divine (Shekina) dans le judaïsme et aux énergies divines dans le christianisme… » (p 246). Dans la même approche, le « transcendantalisme » américain (H D Thoreau, R W Emerson, W Whitman) articule le plus souvent quête spirituelle, vision cosmique et humanisme. La  contre culture américaine des années 60 ira puiser dans ces ressources, ainsi que dans la culture de l’Orient.

 

Plus récemment, mais depuis plusieurs décennies, des transformations interviennent au cœur même de la science.

« La science et le regard philosophique qui l’accompagne ont été totalement bouleversé au cours du XXè siècle, rendant caduque la vision réductionniste et mécaniste du réel » (p 253). L’émergence, entre le dernier tiers du XIXè et le premier tiers du XXè siècle, des géométries non euclidiennes, des relativités restreintes et générales, de la mécanique quantique, de la thermodynamique du non-linéaire, des mathématiques non standard, etc, a conduit à un changement majeur touchant la plupart des grandes disciplines. Il a abouti à la déconstruction de l’appareil conceptuel de la science moderne hérité du paradigme mécaniste et réductionniste cartésien » (p 255). La révolution intervenue en physique à la suite de l’apparition et du développement de la mécanique quantique entraîne une révolution conceptuelle qui transforme notre conception du monde et se manifeste en termes philosophiques. Elle encourage la « trandisciplinarité ». Frédéric Lenoir expose comment les pensées ont cheminé et se sont rencontrées.

 

Se transformer soi-même pour changer le monde.

Cet ouvrage se conclut par un chapitre : « Se transformer soimême pour changer le monde ». Cette affirmation est explicite et compréhensible. Frédéric Lenoir nous fait part de sa conviction en l’accompagnant d’une argumentation convaincante : « C’est quand la pensée, le cœur, les attitudes auront changés que le monde changera » (p 268). Et il dénonce « trois poisons » qui intoxiquent littéralement l’esprit humain.  « Ces poisons ne sont pas nés de la modernité ; Ils ont toujours été à l’origine des problèmes auxquels ont du faire face les sociétés humaines. Cependant, le contexte de l’hyper-modernité et de la globalisation les rend encore plus virulents, plus destructeurs. Bientôt peut-être annihilateurs. Ces trois poisons sont la convoitise, le découragement qui débouche sur l’indifférence passive, et la peur » (p 269). En réponse, trois sous-chapitres : De la convoitise à la sobriété heureuse ; du découragement à l’engagement ; de la peur à l’amour.

Puisque l’affirmation de l’individu est au cœur de la société moderne, on peut s’interroger sur la manière dont elle s’exerce. Frédéric Lenoir nous montre une évolution dans la manifestation de l’autonomie en distinguant trois phases successives : l’individu émancipé, l’individu narcissique et l’individu global. « Dans cette dernière phase, nous assistons depuis une quinzaine d’années à la naissance d’une troisième révolution individualiste ». Différents mouvements convergents qui témoignent d’« un formidable besoin de sens : besoin de redonner du sens à la vie commune à travers un regain des grands idéaux collectifs, besoin de donner du sens à sa vie personnelle à travers un travail sur soi et un questionnement existentiel. Les deux quêtes apparaissent souvent intimement liées » (p 289). Frédéric Lenoir appelle à un nécessaire rééquilibrage : « De l’extériorité à l’intériorité. Du cerveau gauche au cerveau droit. Du masculin au féminin ».

 

Frédéric Lenoir envisage la guérison du monde comme « un processus dans lequel il faut résolument s’engager pour inverser la pente actuelle qui nous conduit au désastre ». « Un chemin long et exigeant, mais réaliste. Il suffit de le savoir, de le vouloir et de se mettre en route, chacun à son niveau. Tel est l’objectif de ce livre : montrer qu’un autre état du monde est envisageable, que les logiques mortifères qui dominent encore ne sont pas inéluctables, qu’un chemin de guérison est possible » (p 306).

 

Commentaire.

 

En ouvrant ce livre, je savais la qualité de son auteur, mais je ne m’attendais pas à y trouver une synthèse aussi accomplie sur les caractéristiques de la crise du monde actuel et un ensemble de voies pour y remédier. Dans les analyses comme dans les propositions, mes pensées se sont croisées avec celles de l’auteur en les rejoignant souvent. Et par ailleurs, il y a également une proximité entre les sources bibliographiques auxquelles il se réfère et celles que je fréquente et mentionne souvent, avec des différences parfois en fonction de la spécificité de chaque itinéraire. Et par exemple, dans le rapprochement entre science et spiritualité, j’apprécie l’œuvre pionnière de Jean Staune qui s’exprime notamment dans une remarquable synthèse : « Notre existence a-t-elle un sens ? » (2). Ou bien, j’aime évoquer l’œuvre qui s’est accomplie en faveur de la paix et de la réconciliation au Centre de Caux en Suisse et qui se poursuit aujourd’hui à l’échelle internationale dans l’association : « Initiatives et changement » dans un esprit associant changement personnel et action collective : « Changer soi-même pour que le monde change » (3).

Comme le récent livre de Jean-Claude Guillebaud : « Une autre vie est possible » (4) que j’ai particulièrement apprécié et dont le déroulé et le contenu me paraissent assez proche du livre de Frédéric Lenoir,  celui-ci s’adresse à un vaste public très divers dans ses options philosophiques et religieuses. Dans ce commentaire, j’interviendrai donc sur un registre plus spécifique en rapport avec ma conviction chrétienne.

A mon sens, ce livre interpelle une partie du monde chrétien qui, d’une façon ou d’une autre s’est accommodé de la conception mécaniste,  dont Frédéric Lenoir fait mention. Les sociologues américains évoquent parfois cette conception en terme de « moderne ». Ainsi, pendant longtemps, des églises ont été largement réfractaires à la pensée écologique. Et d’autre part, la conception « mécaniste » peut s’allier également à une méfiance vis à vis des cultures orientales pour aboutir à un rejet de la conception organique dans certaines de ses manifestations comme les médecines holistiques. La lecture du livre de Frédéric Lenoir  contribue à la compréhension de certains blocages. Et, par exemple, dans les origines de ceux-ci, il n’y a pas seulement les craintes du présent, mais aussi l’héritage d’un passé fort ancien. Ainsi les propos de Frédéric Lenoir sur les séquelles de la culture du néolithique : forte hiérarchisation et domination de l’homme sur la femme, éclaire les pesanteurs de certaines organisations ecclésiales. C’est dire qu’une réflexion théologique est indispensable pour éclairer les représentations et permettre leur évolution.

Les maux qui affectent l’humanité sont anciens, mais aujourd’hui, on a conscience que le monde est menacé. Dans une perspective chrétienne inspirée par une théologie de l’espérance, la guérison du monde s’inscrit dans l’œuvre d’un Dieu créateur et sauveur qui, à partir de la victoire du Christ sur le mal, à partir de sa résurrection, a engagé un processus vers la réalisation d’une seconde création où Dieu sera tout en tous.  Nous sommes appelés à reconnaître cette œuvre et à y participer.

La réponse théologique à nombre de problèmes évoqués par Frédéric Lenoir se trouve, pour moi, dans l’œuvre de Jürgen Moltmann (5), un grand théologien qui nous présente un Dieu relationnel à la fois transcendant et immanent, et qui, considérant l’œuvre de l’Esprit de Dieu, « l’Esprit qui donne la vie » (6) a pu écrire « un traité écologique de la création » (7). Et, de même, dans la foulée de la pensée prophétique juive et de la dynamique de la résurrection du Christ, auteur d’une théologie de l’espérance, Moltmann nous invite à regarder en avant, accueillant ainsi le processus de la guérison du monde.

J’ai mis l’accent, à plusieurs reprises, sur l’importance de la contribution de Frédéric Lenoir. Les convergences dans nos orientations de recherche s’expriment notamment dans un certain nombre d’articles publiés sur la toile (8). Ce livre : « La guérison du monde » nous apporte une pensée originale et dynamique, appuyée sur des sources bibliographiques fiables, présentée avec beaucoup de pédagogie et en des termes accessibles à un vaste public . C’est dire que ce livre me paraît un outil particulièrement utile pour la réflexion sur le monde d’aujourd’hui et le rôle que nous pouvons jouer dans « un chemin de guérison ».

 

J H

 

(1)               Lenoir (Frédéric). La guérison du monde. Fayard, 2012. Frédéric Lenoir, docteur en sciences sociales, philosophe et écrivain, auteur de nombreux livres, est directeur du «Monde des religions ».  On trouvera un aperçu de son parcours sur wikipedia. http://fr.wikipedia.org/wiki/Frédéric_Lenoir

(2)               Staune (Jean). Notre existence a-t-elle un sens ? Une enquête scientifique et philosophique. Presses de la Renaissance, 2007.  Voir : http://www.temoins.com/culture/notre-existence-a-t-elle-un-sens.html

(3)               Initiatives et changement. Réconcilier les différences. Créer la confiance. Site : http://www.fr.iofc.org/

(4)               Guillebaud (Jean-Claude). Une autre vie est possible. Comment retrouver l’espérance ? L’iconoclaste, 2012. Mise en perspective : https://vivreetesperer.com/?p=937

(5)               Mise en perspective de la vie et de la pensée de Jürgen Moltmann s’après son autobiographie :  Moltmann (Jürgen). A broad place. SCM Press, 2007 http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=695   La pensée théologique de Jürgen Moltmann est présentée sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie » http://www.lespritquidonnelavie.com/

(6)               Moltmann (Jürgen). L’Esprit qui donne la vie. Cerf, 1999

(7)               Moltmann (Jürgen). Dieu dans la création. Traité écologique de la création. Cerf, 1988. Une présentation : « Dieu dans la création » http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=766

(8)               Quelques mises en perspective en rapport avec le thème de ce livre : « La vie spirituelle comme une « conscience relationnelle ». Une recherche de David Hay sur la spiritualité d’aujourd’hui » http://www.temoins.com/etudes/la-vie-spirituelle-comme-une-conscience-relationnelle-.-une-recherche-de-david-hay-sur-la-spiritualite-aujourd-hui.html                      « La dynamique de la conscience et de l’esprit humain. Un nouvel horizon scientifique d’après le livre de Mario Beauregard : « Brain wars » http://www.temoins.com/etudes/la-dynamique-de-la-conscience-et-de-l-esprit-humain.-un-nouvel-horizon-scientifique.-d-apres-le-livre-de-mario-beauregard-brain-wars.html  « Quel regard sur la société et sur le monde ? Le retour de la solidarité en sciences humaines » https://vivreetesperer.com/?p=191 « Vers une civilisation de l’empathie. A propos du livre de Jérémie Rifkin : apports, questionnements et enjeux » http://www.temoins.com/etudes/vers-une-civilisation-de-l-empathie.-a-propos-du-livre-de-jeremie-rifkin.apports-questionnements-et-enjeux.html  « La bonté humaine. Est-ce possible ? La recherche et l’engagement de Jacques Lecomte » https://vivreetesperer.com/?p=674  « Les créatifs culturels. Un courant émergent dans la société française » http://www.temoins.com/enqu-tes/les-creatifs-culturels-.-un-courant-emergent-dans-la-societe-francaise.html   « Une nouvelle manière d’être et de connaître. La révolution internet d’après Michel Serres : « Petite Poucette » https://vivreetesperer.com/?p=820  « Vers une nouvelle médecine du corps et de l’esprit. Guérir autrement. D’après Thierry Janssen : « La solution intérieure » http://www.temoins.com/developpement-personnel/vers-une-nouvelle-medecine-du-corps-et-de-l-esprit.guerir-autrement.html  « Médecine d’avenir. Médecine d’espoir. « La médecine personnalisée » d’après Jean-Claude Lapraz » https://vivreetesperer.com/?p=475  « L’invention du monde. Approche géographique de la mondialisation par Jacques Lévy » http://www.temoins.com/etudes/linvention-du-monde/toutes-les-pages.html  « Vers une modernité métisse. « Le commencement du monde » selon Jean-Claude Guillebaud » http://www.temoins.com/societe/vers-une-modernite-metisse-le-commencement-d-un-monde-selon-jean-claude-guillebaud.html   « La crise religieuse des années 60. Quel processus pour quel horizon, d’après l’historien : Hugh McLeod » http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=766 « Quel horizon pour la foi chrétienne ? « The future of faith » par Harvey Cox » http://www.temoins.com/publications/quel-horizon-pour-la-foi-chretienne-the-future-of-faith-par-harvey-cox.html  « La montée d’une nouvelle conscience spirituelle. D’après le livre de Diana Butler Bass : « Christianity after religion »  http://www.temoins.com/etudes/la-montee-d-une-nouvelle-conscience-spirituelle.-d-apres-le-livre-de-diana-butler-bass-christianity-after-religion.html  « Vivre en harmonie avec la nature. Ecologie, théologie, spiritualité, d’après Jürgen Moltmann » https://vivreetesperer.com/?p=757   « L’avenir de Dieu pour l’humanité et pour la terre d’après Jürgen Moltmann : « Sun of rigteousness, arise ! God’s future for humanity and the earth »  http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=798