The way of life: un film sur la vie et l’œuvre de Jürgen Moltmann

Un hymne à l’amour et une vision d’espérance

Jürgen Moltmann, un des plus grands théologiens de notre époque, a aujourd’hui une audience universelle. Ainsi, l’équipe chinoise qui a réalisé une délicate et émouvante vidéo à l’occasion de son anniversaire à 93 ans (1), vient de réaliser un film sur son parcours de vie et de recherche (2). Ce film nous présente à la fois la vie personnelle de Jürgen Moltmann dans son contexte familial et son parcours de recherche et d’enseignement, la vision nouvelle d’une théologie en phase avec les aspirations de nos contemporains. (3) Ainsi apparait le témoignage d’un homme qui porte amour et foi dans le même mouvement. Et ce témoignage s’allie à une vision théologique nouvelle qui change notre regard et nous ouvre un horizon.

L’amour unit. Il rassemble. Il libère. Nous voyons là un fil conducteur dans le déroulement et l’inspiration de ce film. Celui-ci ne s’ouvre-t-il pas sur le thème de l’amour entre Jürgen et son épouse Elisabeth, décédée il y a trois ans, mais toujours là dans une « seconde présence » (4), un amour qui s’exprime dans une famille unie et ouverte. Et il s’achève sur le thème de l’amitié, une amitié qui a inspiré Jürgen Moltmann dans ses relations, professionnelles entre autres (5).

La théologie de Molmann est étroitement liée à la vie de celui-ci, au départ vécue dans le bombardement de Hambourg, dans la guerre et dans un camp de prisonniers, puis ensuite dans sa participation à un mouvement social et intellectuel, qui se manifeste à l’échelle internationale pour plus de liberté et de dignité humaine (6). De la souffrance ressentie dans les épreuves de son adolescence et de sa jeunesse et de l’engagement dans la foi qui s’en est suivi, procède l’inspiration des ses trois premiers livres : Théologie de l’espérance ; Dieu crucifié ; L’Eglise dans la puissance de l’Esprit.

L’amour ne se résout pas à ce qui opprime les hommes. La pensée de Moltmann elle-même met en évidence ce qui unit et ce qui construit. Elle emprunte le vrai, là où il se trouve. Elle rejette la domination et se plait dans la conversation. C’est ce qui apparaît à travers de nombreuses interviews au sujet de la vie et de la théologie de Moltmann. Les paroles de celui-ci ponctuent le déroulement du film. Elles sont éclairées à leur tour par des interviews. Une vision commune émerge dans une pluralité d’expressions. Et cette vision est reçue universellement comme en témoignent les auteurs de ce film dans un moment consacré à la réception de la théologie de Moltmann en Chine.

Le film est intitulé : « The way of life ». Il y a bien dans ce film l’expression d’une manière de vivre. Mais il y aussi une réponse théologique aux questionnements sur nos raisons de vive, notre raison d’être. Les premiers chrétiens, rapporte-t-on, se présentaient comme « The people of the way » (7), le peuple de la voie, une voie d’amour et de paix à la suite de Jésus. « The way of life », c’est bien la voie de la Vie. Le livre le plus récent de Moltmann s’intitule « The living God and the fullness of life » (8).

Ce film éveille l’émotion. Jürgen respire la bonté. Il parle vrai. Il s’exprime avec son cœur. On ressent son empathie. Et d’autre part, ce film a été réalisé avec une remarquable délicatesse. On y ressent une affection respectueuse pour l’homme et pour le théologien, une reconnaissance pour la vision qu’il communique, une vision de foi et d’espérance en un Dieu, communion d’amour et puissance de vie. Alors les paroles portent et suscitent l’émotion. Elles répondent à nos questions et éveillent notre intelligence. Un théologien, Miroslav Volf rapporte un fait significatif. Il y a quelques années, Jürgen Moltmann intervenait à Pékin devant un public de 3000 personnes, la plupart n’étant ni théologien, ni chrétien. Et, à la fin, tous se levèrent dans une « standing ovation ».

Ce film est beau dans son déroulé et dans ses images. Il va profond en associant le témoignage et l’enseignement. Nous y voyons comme un petit chef d’œuvre.

Le film se déroule autour de cinq séquences successives intitulée : amour, souffrance, théologie, Chine, amitié. Nous essaierons d’apporter ici un aperçu de chaque séquence à partir de quelques interventions marquantes.

 

Amour

Ce film sur Jürgen Moltmann commence par une évocation de sa vie personnelle aujourd’hui. Il a cette vertu de ne pas hésiter à entrer dans l’intimité de Jürgen avec une grande délicatesse.

D’entrée, Jürgen évoque Elisabeth, son épouse, décédée de maladie en 2016, il y a trois ans. C’est un amour profond qui s’exprime là. « Elle est toute ma vie ». Au sortir d’années difficiles, la rencontre avec Elisabeth a été fondatrice. « Quand j’ai rencontré mon épouse et que j’en suis tombé amoureux, la joie de vivre est venue à moi et ne m’a jamais quitté ». Dès le départ, ce fut un compagnonnage intellectuel et théologique. « Je suis reconnaissant à Elisabeth mon épouse pour le développement de sa théologie féministe ». Effectivement, Elisabeth Moltmann Wendel a joué un rôle pionnier dans ce domaine et leurs deux pensées se sont enrichies mutuellement (9). A travers l’interview de Jürgen, on perçoit la peine qui demeure à la suite de son départ. « La peine accompagne l’amour. La nuit, la peine me submerge, mais Elisabeth s’approche de moi ». Ainsi regarde-t-il vers l’avenir en terme de retrouvailles avec Elisabeth dans la vie éternelle, mais, dès maintenant, Elisabeth est encore là, autrement. « Mon épouse Elisabeth est décédée en 2016 et je ressens encore la joie de sa présence. Je suis convaincu qu’elle est ressuscitée dans la vie éternelle. Elle est présente dans une seconde manière de présence ». Et ses proches l’accompagnent dans cette conviction.

Jürgen Moltmann avait déjà exprimé sa conviction d’une seconde présence de ceux qui nous ont quitté lors d’un récit à propos de la mort de son père dans son autobiographie (4). Voici un message précieux pour ceux qui vivent une expérience analogue.

Dans cette séquence, la vie intime de Jürgen se déroule dans une ambiance familiale et amicale imprégnée par un amour mutuel. On le voit dans le climat chaleureux de la célébration de son anniversaire et, très généreusement, dans les témoignages de ses quatre filles et de ses amis. Michael Weker, professeur de théologie qui fut son assistant, nous rapporte dans cet esprit la motivation actuelle de Moltmann. « Je pense que j’ai découvert votre secret. Chaque jour, vous avez à écrire. Et chaque mois, vous voyagez dans un pays différent ». Et Jürgen a confirmé.

Ainsi, dans cette séquence, tout parle d’amour : l’amour de Jürgen et d’Elisabeth, mais aussi cette chaleureuse ambiance familiale et amicale. Ce n’est pas hors sujet par rapport à la théologie de Moltmann. Cette théologie est étroitement liée à l’expérience humaine et elle est inspirée par la bonté et par la bienveillance. Dieu est amour. Tout est relié en Lui.

 

Souffrance

Pourquoi suis-je en vie ?

La seconde séquence du film rappelle la souffrance endurée par Jürgen Moltmann lors de la seconde guerre mondiale, une souffrance qui a bouleversé sa vie et qui a trouvé une réponse dans la consolation de Jésus. Cette séquence est donc intitulée : « Souffrance. Pourquoi suis-je encore vivant ? » C’est une question existentielle qui va éveiller la recherche de Jürgen Moltmann. Cette séquence commence par la désolation et elle s’achève par le bonheur familial qui a précédé le malheur.

A travers le témoignage de sa sœur et de son frère, nous découvrons une vie de famille unie, retranchée sur elle-même face à l’emprise nazie. Autour d’une mère optimiste et d’un père rigoureux, une vie enfantine heureuse nous est rappelée. Né en 1926, Jürgen Moltmann manifeste déjà une orientation intellectuelle. « Mon idéal était la physique atomique. Einstein et Heisenberg étaient mes héros ». C’est dans ce contexte que le malheur de la guerre a fait irruption.

A 16 ans, la classe d’âge de Jürgen est mobilisée dans la défense anti-aérienne. « Nous étudions le jour. La nuit, nous montions la garde auprès des canons, attendant la venue de la Royal Air Force. Ils ne venaient pas. Et puis ils vinrent. Hambourg fut bombardé pendant une semaine. Ce fut une tempête de feu. J’étais dedans, mais j’ai survécu tandis que beaucoup de mes amis et de mes camarades sont morts. Depuis ce temps là, je me pose la question : Pourquoi ne suis-je pas mort comme eux ? Pourquoi suis-je vivant ? »

Mobilisé ensuite dans la Wehrmacht, il parvient à se rendre. Pendant trois ans et demi, il vit enfermé dans des camps de prisonniers, en Belgique, en Ecosse, en Angleterre. « Dans ces années de désespoir, j’ai trouvé la foi dans une communauté chrétienne et l’espérance qui dépasse tout. Je suis devenu chrétien, essayant de comprendre le mystère de ma survie, de ma vie et je suis devenu théologien ». « Lorsque je fus relâché du camp de prisonnier, ce fut une libération et j’étais dans la joie ». Ainsi, c’est à partir des questions posées par la souffrance et le mystère de la vie que Jürgen Moltmann a commencé sa recherche théologique.

 

Théologie

La troisième séquence porte sur l’oeuvre théologique de Jürgen Moltmann. Elle s’appuie sur de bons connaisseurs, entre autres : Miroslav Volf (Universty of Yale), Richard Bauckam (University of St Andrews) et Michael Welker (Heidelberg University). Elle est ponctuée par des paroles de Moltmann. Elle commence par une mise en perspective des œuvres fondatrices : Théologie de l’espérance, Dieu crucifié, L’Eglise dans la puissance de l’Esprit. C’est toute l’originalité de l’œuvre de Moltmann qui apparaît.

 

Les premières œuvres

Jûrgen Moltmann : « After Auschwitz, the word of God is different from before. Theology is related to the life and death expérience of people » : « Aprés Auschwitz, la parole de Dieu n’est plus comme auparavant. La théologie est reliée avec l’expérience de la vie et de la mort des gens ».

Miroslav Volf : « Il parle de son engagement personnel dans la foi et a été capable d’articuler la foi avec la vie, personnelle et structurelle, économique et politique ».

Richard Bauckam : « Ce qui a touché Moltmann chez les chrétiens écossais qu’il a rencontré lors de sa captivité, a été leur sens du pardon. Il a été profondément influencé par la manière dont ils se sont comportés envers lui. Et les deux thèmes qu’il identifie comme venant de cette expérience, le premier d’entre eux : la souffrance naturellement, et aussi l’espoir dans la souffrance, l’ont mené à son premier grand livre : « la théologie de l’espérance ».

Moltmann enchaine en nous disant le contexte dynamique dans lequel ce livre a été écrit : Martin Luther King, John Kennedy, le socialisme à visage humain, le Concile Vatican II (6).

Moltmann : « A cette époque, nous nous sommes tournés vers l’autre facette pour montrer comment le Royaume de Dieu, dans la nouvelle création, pouvait nous influencer ici-même ».

Miroslav Volf : « Je pense que la vision de la promesse a été fondamentale dans la théologie de l’espérance. La théologie de l’espérance est fondée sur une conviction fondamentale, celle que le futur vient vers nous, non pas parce que le passé et le présent engendrent le futur, mais plutôt parce qu’il y a une possibilité de quelque chose de nouveau qui ne peut pas être simplement extrapolé de la condition dans laquelle nous sommes maintenant. C’est une idée très importante qui provient de la résurrection de Christ.

Autant que je puisse le comprendre, la théologie de l’espérance a été initiée par une conversation avec Ernst Bloch.

Moltmann : « Ernst Bloch et Franz Rosenschweig, le penseur juif qui a écrit « l’Etoile de la rédemption », nous apportent un trésor de bonnes idées théologiques. Ernst Bloch m’a encouragé dans la théologie de l’espérance ».

Richard Bauckam : « Le livre de Moltmann nous entraine vers une orientation eschatologique de la théologie. La première théologie de Moltmann a exercé une influence majeure sur le monde théologique et au delà sur le monde chrétien. Cela a été son orientation vers une espérance tournée vers le futur.

L’autre côté de la pièce, l’autre versant de son expérience l’ont mené vers son deuxième livre majeur : « Dieu crucifié ». La manière dont il a ressenti le compagnonnage de Jésus dans sa souffrance durant sa captivité, l’a conduit vers le Dieu crucifié, voyant Jésus comme le Dieu crucifié en solidarité avec tous ceux qui souffrent. Tels ont été les deux thèmes majeurs de sa théologie originelle. On ne peut envisager sa théologie en dehors de ces deux thèmes ».

Miroslav Volf : « Ce que j’ai appris du Dieu crucifié, c’est sa considération pour les victimes. La théologie générale a toujours envisagé la croix en quelque sorte comme une consolation (« solace ») par rapport aux diverses afflictions dont nous faisons l’expérience, Moltmann a élevé cette tonalité à un plus haut niveau lorsqu’il parle d’un Dieu souffrant. Ainsi la souffrance de l’histoire est portée dans l’esprit même de Dieu. Je pense que c’est une conséquence de la conception trinitaire de Dieu et de l’amour radical de Dieu tel qu’il s’engage dans le monde ».

         Moltmann : « J’ai envisagé la croix de Luther en parlant de Dieu comme une victime du pouvoir, de la violence et de l’injustice. Nous voyons dans la crucifixion du Christ le pouvoir du mal dans le monde. En Dieu crucifié, nous voyons l’amour, la patience et l’endurance de Dieu ».

Miroslav Volf : « Moltmann a suivi les évènements centraux de la dernière semaine de la vie du Christ et du commencement de l’Eglise. Ainsi la théologie de l’espérance est connectée avec la résurrection et a été suivie par ce qui a précédé la résurrection, c’est-à- dire : Dieu crucifié et ensuite par la Pentecôte : l’Eglise dans la puissance du Saint Esprit. Ainsi il y a une étroite cohérence entre les trois livres ».

Moltmann : « Le Saint Esprit dans la création et le Saint Esprit dans la vie et la voie de Jésus, le Saint Esprit est l’Esprit de vie. Le Saint Esprit pousse chaque chose à la perfection dans la nouvelle création ».

 

Une nouvelle approche théologique

Cet entretien sur les premières œuvres de Moltmann est suivi par diverses interventions qui mettent en évidence l’originalité de la nouvelle approche théologique de Moltmann.

Prof Ulrich Herrman : Les théologiens académiques sont souvent des savants de la religion. Jürgen Moltmann est un théologien qui parle de Dieu. C’est quelque chose de particulier, même dans la théologie protestante. C’est pourquoi il occupe une position spéciale.

Prof  Hong Tsin Lin (Graduate school of theology Taïwan). Hong Tsin Lin remarque combien Moltmann ne s’en tient pas à la lecture de ses cours. Il improvise. Suivre son enseignement, ce n’est pas seulement apprendre à connaître Dieu, mais aussi à connaître tout ce que Dieu a créé, connaître les gens, connaître les origines du monde.

Miroslav Volf : La théologie est l’intelligence de la foi. La foi n’est pas un catalogue de croyances auxquelles nous adhérons contre toute évidence. En fait, la foi est un acte existentiel engageant l’existence entière à vivre dans la lumière de qui est Dieu et avec la présence de Dieu dans nos vies. La vie des théologiens accompagne ce que les théologiens expriment.

Prof Xu Zhang (University of China). Dans la seconde moitié du XXè siècle, la théologie de Moltmann a inspiré la théologie de la libération, la théologie Minjung, la théologie coréenne, la théologie du Sud Est et de Taïwan

Michael Welker : Il est l’un des plus grands théologiens du XXè siècle parmi les grands noms de Karl Barth, Bonhoeffer et Tillich. Il a développé une théologie tournée vers le fond et non pas seulement sur la méthode. Et il a une merveilleuse intuition pour voir quels sont les contenus théologiques les plus utiles pour nos contemporains.

Prof Xu Hong Song (Minzu University of China) : Parmi les idées des années 1982, il a manifesté une vitalité et une créativité extraordinaire. Il a porté attention à de nombreux problèmes du monde occidental et au delà de l’humanité : problèmes de l’économie, de l’écologie, de l’oppression de la femme. Il a abordé ces problèmes en théologien avec sa sagesse pour monter la pertinence de la réflexion théologique.

Miroslav Volf : Moltmann a compris l’importance des émotions et la prend en compte dans sa théologie.

Prof Bin Yu (Minzu University of China) : Dans sa vision, il embrasse le progrès de l’humanité.

Prof Xu Hong Xong : la beauté du langage et des formes de sa théologie… seulement ceux qui ont une grande passion peuvent écrire ainsi.

Moltmann : « Le royaume de Dieu est si fascinant lorsqu’on considère le futur de l’histoire humaine et de l’histoire naturelle. Autrement nous voyons une catastrophe apocalyptique. Le Royaume de Dieu est un oui à ce monde et à la vie de ce monde.

Miroslav Volf : Moltmann proclame une théologie de solidarité avec les victimes, mais aussi une bonne nouvelle de guérison pour ceux qui persécutent. C’est l’amour inconditionnel de Dieu.

En cette fin de séquence, le professeur Klaus Dietz évoque l’audience internationale de Moltmann. A travers le monde, il y a 450 thèses de doctorat portant sur son œuvre.

Moltmann : La vie doit être aimée et vécue en dépit du danger et des catastrophes. En regardant le futur, nous devons dire oui à la vie.

 

Chine

La théologie de Moltmann a eu et a un retentissement mondial. Son accueil en Chine témoigne de cette dimension universelle. Et ce sont des théologiens chinois qui nous font le cadeau de ce film sur la vie et l’œuvre de Moltmann. La quatrième séquence est consacrée à la réception de Moltmann en Chine.

Miroslav Volf rapporte un événement particulièrement significatif. Il a participé avec Jürgen Moltmann à un grand forum à Pékin en 2010. Moltmann était un des principaux orateurs et c’est lui qui était appelé à délivrer la conférence plénière. Il y avait près de 3000 personnes. La plupart d’entre elles n’était ni des théologiens, ni  des chrétiens. Moltmann a fait un exposé où on pouvait reconnaître tous les aspects importants de sa théologie chrétienne. Quand il eut fini, tout le monde se leva et il y eut une « standing ovation ». « Les gens étaient excités et j’ai trouvé cela absolument stupéfiant ».

Dans cette séquence, plusieurs théologiens chinois marquent leur vif intérêt pour la théologie de Moltmann.

Ainsi le professeur Huilin Yang (University of China) nous montre en quoi et comment la théologie de Moltmann est importante en Chine. C’est une théologie décentrée, ouverte. Jürgen Moltmann développe une théologie écologique. Il y a une idée originale dans la théologie écologique de Moltmann. C’est aussi une théologie politique. Il s’agit de traiter justement les gens. Et cette attitude vaut dans la relation avec l’humain et la nature. Moltmann est un si grand penseur qu’il peut nous encourager à espérer dans l’avenir. Pour réfléchir ensemble, il est bon d’avoir un background en commun, une expérience commune. Ce peut être un événement traumatique. Pour Moltmann, c’est la guerre 1939-1945. Pour la génération de Huilin Yang, c’est la révolution culturelle. Ce traumatisme a engendré en retour le développement d’une pensée indépendante. Il y a des cadres imposés. Huilin Yang cite le philosophe français Alain Badiou. « Nous sommes obligés de penser ».

Dans ce paysage, il y a une longue relation de collaboration entre Moltmann et l’« Institute of sino-christian studies » . Avant même que l’Institut soit créé, cette collaboration était en route. Le premier livre traduit fut « Dieu crucifié » en 1994. La « théologie de l’espérance » fut célèbre à Hong Kong dans les années 1980. Un théologien, Milton Wan Wai-Yiu, nous rapporte comment ayant étudié la philosophie allemande en Grande-Bretagne, il a pu introduire la théologie de Moltmann à Hong Kong à travers des publications et des enseignements.

David Yeung Hee Nam, directeur de l’Institut des études sino-chrétiennes nous rapporte une longue et fructueuse collaboration avec Moltmann : il a étudié le Tao Te Ching (10), le livre de Lao Tseu, durant ces dernières années en essayant de prendre en compte les ressources du Tao Te Ching dans sa réflexion pédagogiques.

Jürgen Moltmann s’exprime à ce sujet en parlant du voisinage entre le Tao Te ching et la Bible : « J’ai donné une conférence à Taïwan. J’ai supervisé des recherches en ce domaine. Avec la compréhension du Tao Te Ching et la compréhension biblique de la création, je vois que les dirigeants doivent servir. Compassion et patience sont des vertus majeures ». La collaboration entre Moltmann et l’Institut des études sino-chrétiennes date de plus de vingt ans. « Il a beaucoup soutenu notre mouvement ». De nouveaux talents apparaissent.

 

Amitié

Ce film s’achève par une séquence sur l’amitié. Jürgen Moltmann a écrit de très belles pages sur l’amitié (5). Et on voit dans cette séquence combien l’amitié a été une trame de sa vie inspirant ses relations en tous domaines, et notamment dans sa vie professionnelle. Ce film commence par le thème de l’amour et s’achève par le thème de l’amitié.

Jürgen Moltmann : « Je crois à l’amitié entre les hommes et les femmes dans le mariage, entre les professeurs et les étudiants, entre les peuples du monde ».

Michael Welker rapporte sa relation d’amitié avec Jürgen Moltmann. Il a commencé ses études à Heidelberg, et puis admirant la « théologie de l’espérance » de Moltmann, il l’a rejoint comme jeune assistant. Il raconte comment Jürgen Moltmann a eu immédiatement avec lui une relation de dialogue et de partage, se fiant à lui, par exemple, pour la relecture de ses livres : « Nos relations ont été très libres sans aucune volonté de supériorité de la part de Moltmann. Cela a été une relation d’encouragement mutuel et d’amitié mutuelle ». Ainsi Michael Welker est bien placé pour nous parler de Jürgen Moltmann aujourd’hui : « Il est jeune de cœur, jeune d’esprit. C’est un brillant théologien, mais c’est aussi un être humain merveilleux ».

Très présent dans ce film, Miroslav Volf a aussi une relation profonde d’amitié avec Moltmann : « Jürgen Moltmann est le plus important partenaire en conversation que j’ai eu en développant ma propre théologie. Son œuvre sur la Trinité a été particulièrement importante pour moi, notamment dans son rapport avec le Dieu crucifié. Il m’a influencé, mais je pense que son influence a été très, très, significative au niveau de sa manière de faire de la théologie. Il est toujours concret, mais il recherche aussi les enjeux qui touchent les gens aujourd’hui et qui concernent des problèmes contemporains. Et il apporte la lumière de l’Evangile. Jürgen a été pour moi un père intellectuel… »

D’autres témoignages apparaissent comme celle de sa secrétaire encouragée dans son potentiel. Et on est ému par le témoignage de ses quatre filles.

Alors, on peut entendre, en conclusion, cette déclaration de Jürgen Moltmann comme l’expression d’une forte conviction : « Commencer une nouvelle vie, c’est selon Hannah Arendt, avoir la liberté de la commencer, de réaliser la possibilité de quelque chose de nouveau : Apporter la paix dans la guerre, la justice dans la violence, l’amour dans la haine.

Voilà ce qui est essentiel. Il y a un potentiel de créativité en chaque être humain et je désire éveiller cette créativité en toute personne ».

 

Une expression vivante en devenir

Ce film nous parle de la vie et de l’œuvre de Jürgen Moltmann. Nous y voyons la réception de cette oeuvre à travers les interviews de plusieurs théologiens. L’accent est mis sur les livres qui ont interpellé l’univers théologique dans les années 1960 et 1970 : « Théologie de l’espérance » et « Dieu crucifié ». Pour nous, nous sommes également particulièrement sensibles à ce que nous percevons comme un élargissement de la vision de Moltmann dans les années 1980 et 1990, et notamment les livres : « L’Esprit qui donne la vie » et « Dieu dans la création ». Nous y découvrons l’œuvre de Dieu dans le monde et dans l’humanité. Moltmann est un pionnier de la théologie écologique.

L’œuvre de Moltmann nous paraît immense, un véritable continent. Alors, elle peut être reçue différemment selon les parcours et les sensibilités de chacun. Elle ouvre des pistes nouvelles et diverses. Ainsi peut-on entendre la tonalité de l’écoute chinoise et la participation de Moltmann aux études sino-chrétiennes et son appréciation du Tao Te Ching. Ce film met en évidence l’audience mondiale de la théologie de Moltmann.

Les paroles de Jürgen Moltmann égrenées ici témoignent d’une pensée en marche ouverte à l’avenir. Ainsi, nous ne voyons pas seulement dans ce film une célébration. Nous voulons y voir aussi une expression vivante en devenir.

Ce film nous parle de la vie de Jürgen Moltmann. Sa théologie est étroitement liée à l’expérience, à son expérience et à celle des autres. Ainsi peut-elle faire écho auprès de tous.

Nous voyons dans ce film une expression de bonté, de bienveillance, de respect. C’est l’attitude de Jürgen Moltmann et c’est, d’un bout à l’autre, la manière dont on s’exprime à son sujet. Le film s’ouvre sur le thème de l’amour et s’achève sur le thème de l’amitié. Ainsi, osons nous dire que nous ressentons ce film comme un hymne à l’amour.

Ici, c’est le témoignage d’un théologien dont l’œuvre exprime l’amour de Dieu et la présence de l’Esprit.

Ici, c’est le témoignage d’une communauté vivante qui se reconnaît dans cette inspiration.

Ici, c’est le témoignage d’une équipe chinoise qui a réalisé un film d’une grande délicatesse et d’une grande beauté.

J H

 

  1. « Vivre la découverte théologique à l’échelle du monde. L’anniversaire de Jürgen Moltmann célébré en Chine » » : https://vivreetesperer.com/vivre-la-decouverte-theologique-a-lechelle-du-monde/
  2. « The way of Christ. A documentary of Jürgen Moltmann » https://www.youtube.com/watch?v=23vndWJavAY&fbclid=IwAR1M9j2vUtC9SMveWgNUpVJZyl9RV9KXIjMwF6Wo9zFB7Rn_Pmo0bCi6oQo
  3. Pour mieux connaître et comprendre la vie et l’œuvre de Jürgen Moltmann, on se reportera à son autobiographie : Jürgen Moltmann. A broad place. An autobiography. SCM Press, 2007 : « Une théologie pour notre temps. L’autobiographie de JürgenMoltmann » https://www.temoins.com/une-theologie-pour-notre-temps-lautobiographie-de-juergen-moltmann/ On pourra voir aussi le blog : « L’Esprit qui donne la vie. Réfléchir et méditer avec Jürgen Moltmann » : https://lire-moltmann.com
  4. « Par delà la séparation » https://vivreetesperer.com/par-dela-la-separation/
  5. Un très beau texte sur l’amitié, p 343-348, dans : Jürgen Moltmann. L’Esprit qui donne la vie. Cerf, 1999. Ici : https://vivreetesperer.com/amitie-ouverte/
  6. « Genèse de la pensée de Jürgen Moltmann » https://vivreetesperer.com/quelle-vision-de-dieu-du-monde-de-lhumanite-en-phase-avec-les-aspirations-et-les-questionnements-de-notre-epoque/
  7. « Le peuple de la voie », dans : Harvey Cox. The future of faith https://www.temoins.com/quel-horizon-pour-la-foi-chretienne-l-the-future-of-faith-r-par-harvey-cox/
  8. Jürgen Moltmann. The living God and the fullness of life. World Council of churches, 2016. « Le Dieu vivant et la plénitude de vie » https://vivreetesperer.com/le-dieu-vivant-et-la-plenitude-de-vie-2/
  9. « Femmes et hommes en coresponsabilité dans l’Eglise. Dialogue théologique entre Elisabeth Moltmann-Wendel et Jürgen Moltmann » https://www.temoins.com/femmes-et-hommes-en-coresponsabilite-dans-leglise/
  10. Tao Te Ching sur Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Dao_de_jing

 

 

Méditer avec Moltmann

Une vision d’espérance mise à la disposition de tous.

Au fil des années, nous avons pu constater combien la théologie de Jürgen Moltmann répondait aux aspirations et aux questionnements d’un vaste public. Ce recueil : Méditer avec Moltmann (1) s’inscrit dans cette approche. Par son accessibilité, il met la théologie de Moltmann à la portée de tous. Et pour quoi donc? L’avertissement en quatrième de couverture nous le dit :

« Dans l’histoire dont nous faisons l’expérience, il nous est plus facile de désigner le négatif dont nous voulons nous libérer que d’exprimer le positif en vue duquel nous espérons devenir libre. Mais c’est l’expérience d’un avenir plus grand qui nous mène vers des expériences  toujours nouvelles ».

Le secret de la force mobilisatrice de la pensée de Moltmann se trouve dans la profondeur des réflexions existentielles qu’il nous propose. Mais, pour que cette force nous rejoigne et nous transforme à notre tour, elle doit être méditée, digérée, expérimentée, confrontée aux joie et aux peines de notre existence. L’incarnation de l’espérance s’inscrira alors dans notre parcours de vie ».

Les textes rassemblés ici (2) proviennent du blog : « L’Esprit qui donne la vie », créé en 2011, pour communiquer la pensée de Moltmann à tous ceux qui sont à la recherche d’un Dieu, communion d’amour et puissance de vie. Il n’est pas anodin que l’éditeur ait, de lui-même choisi comme titre : « Le sourire de Dieu ».

Ce livre nous ouvre à une nouveauté de vie. Dans son adresse aux étudiants de Prétoria, qui introduit le recueil, Jürgen Moltmann déclare : « Celui qui croit au « Dieu vivant », voit le monde non seulement selon la réalité… mais aussi selon les possibilités. « Tout est possible à celui qui croit », parce que « tout est possible avec Dieu » . Toute la réalité est une possibilité réalisée. La possibilité vient en premier, la réalité vient après » (p 13). Ce livre regarde à la promesse de Dieu et nous ouvre un avenir. Dans le témoignage sur lequel s’achève ce recueil, homme de foi et d’action engagé dans de grandes causes humanitaire, Guy Aurenche nous confie une notation personnelle : « En refermant provisoirement ce livre de méditation, me vient l’appétit d’un commencement caché » ( p 156).

Au fil des années, nous avons pu constater combien la théologie de Jürgen Moltmann était libératrice, féconde et éveillait des échos chez des amis de formations et de cultures très différentes. La théologie de Moltmann est un continent. Chacun vient y chercher une réponse à ses questionnements. C’est un dialogue à partager.

J H

  1. Jean Hassenforder. Méditer avec Moltmann. Le sourire de Dieu. Préface : Discours de Jürgen Moltmann aux étudiants de Pretoria, traduit par David Gonzalez. Postface par Guy Aurenche. Empreinte Temps présent. 2019 (Collection : l’art de méditer dirigé par David Gonzalez).
  2. Issus du blog : « L’Esprit qui donne la vie », les textes sont entrés ensuite dans un processus d’édition, dans lequel, à notre regret, le référencement initial n’a pas été retranscrit. A ce sujet, on se reportera donc au blog originel : https://lire-moltmann.com

Comment dimension écologique et égalité hommes-femmes vont de pair et appellent une nouvelle vision théologique

Une approche de Jürgen Moltmann

La crise actuelle va de pair avec une crise sociale et écologique. De fait, on prend conscience qu’elle révèle l’inadéquation croissante d’un ordre établi de longue date. C’est un changement de civilisation qui s’annonce et se dessine. L’ordre patriarcal ancien est en train de s’affaisser. Or, au cours des derniers siècles, cet ordre avait privilégié un modèle mécanique autour de la fabrication des biens. Aujourd’hui, on prend conscience que ce monde allait de pair avec la conception d’un Dieu éminemment transcendant et dominant. Très tôt, dans les années 1980, Jürgen Moltmann, à travers un livre : « Dieu dans la création » (1), a su analyser cette situation et proposer un traité écologique de la création » . Nous reprenons brièvement ici un aspect éclairant de la prise de conscience qui nous est proposée (2) avec les conséquences libératrices qui en découlent.

 

La manière de se représenter le monde.

« Le monde , nous dit Jürgen Moltmann, a été perçu à travers un certain nombre de symboles. La pensée biblique, la pensée théologique sont entrées en dialogue avec ces symboles en intégrant certains éléments. Jürgen Moltmann énumère ainsi différents symboles advenus au cours du temps : la mère du monde ; la terre mère ; les symboles de la fête, de la danse, du théâtre, de la musique et du jeu ; le symbole du monde comme ouvrage et comme machine.

Lorsque le monde est conçu comme ouvrage et comme machine, Dieu est envisagé comme un maitre d’ouvrage. « L’imaginaire de ce  symbole comprend le monde de l’action, du travail et des œuvres. C’est, avant tout, le monde de l’homme au sens masculin ». « Un enfant surgit dans le ventre de sa mère et est enfanté par elle. Mais l’homme travaille sur quelque chose qui est extérieur et crée une œuvre qui subsiste en dehors de lui. Il connaît la distance qui le sépare de « l’œuvre de ses mains »…Le « monde comme ouvrage divin » reflète, malgré toute la différence, la vision du monde de l’homme travailleur. Là où cette vision s’impose… elle repousse les mythes humains de la mère du monde, de la terre mère et de la fête du ciel et de la terre » (p 387-398). A partir du symbole du monde comme ouvrage divin, se sont développés à l’époque des Lumières, les symboles modernes du monde :  le monde comme machine, le monde comme atelier, le monde comme expérience » ( p 398).

 

Les impasses d’une théologie fondée sur une représentation du monde comme ouvrage et comme machine

A partir d’une analyse historique, Jürgen Moltmann peut mettre en évidence l’impasse où nous a entrainé un monothéisme étroit, une pensée théologique fondée sur une vision du monde comme ouvrage et comme machine. « Au terme d’une longue histoire de la culture et de l’esprit, la vision du monde comme  « entente secrète », la métaphysique des puissances vitales, de leurs accords et de leurs désaccords, a été détruite, et cela, d’une part, par le monothéisme, et, d’autre part, par le mécanisme scientifico-technique, par lequel, d’ailleurs, le monothéisme a conquis la place, en désacralisant et en désenchantant la nature. Dieu et la machine ont survécu au monde archaïque et se rencontrent maintenant seuls » (A Gehlen). Si ceci devait être le but du développement, ce serait aussi, en raison de la destruction de la nature, la fin de l’homme » ( p  401). En regard, Moltmann nous propose une autre vision théologique. « La foi chrétienne de la création est la foi messianique en la création. La foi messianique en la création est une connaissance du monde et de l’homme dans la lumière messianique de leur avenir de salut »  (p 402).  Nous sommes engagés dans « une histoire cosmique inachevée » (p 254).

Les différents symboles du monde  énumérés par Moltmann peuvent nous permettre d’y percevoir la présence d’un Dieu immanent. Seul, le symbole du monde comme ouvrage et comme machine, débouche sur une transcendance de Dieu sans partage. « Le monothéisme du Dieu transcendant et  la mécanisation du monde suppriment toutes les représentations d’une immanence divine. Avec ce développement , a commencé le démembrement du divin du monde de l’homme. Le  déisme a fait de Dieu un Dieu lointain. L’athéisme devait suivre, car il faut que cette machine du monde fonctionne aussi par elle-même sans Dieu » (p 403)

Le déclin du patriarcat

« Une seconde comparaison s’attache aux intérêts et aux expériences humaines qui sont liés à ces symboles du monde. C’est pourquoi on peut reconnaître dans leur histoire le passage du matriarcat des civilisations primitives au patriarcat des civilisations historiques.  A l’apparition des symboles patriarcaux du monde est liée la prise de pouvoir et de possession par les hommes » (p 404).

En regard de la domination patriarcale, « est né le messianisme, c’est à dire le messianisme de l’enfant .« En vérité, je vous le dis, si vous ne retournez à l’état d’enfant,  vous ne pourrez entrer dans le royaume des cieux » (Matthieu 18.3). Les visions messianiques de l’avenir surmontent la puissance des symboles archaïque et rendent les hommes libres » (p 405). «  Le don messianique de l’Esprit, qui surmontent la primauté religieuse de l’homme ou de la femme, est symbolisé, en christianisme, par le  baptême des hommes et des femmes, qui remplacent la circoncision purement masculine d’Israël ». ( p 406).

 

Vers une civilisation nouvelle : écologie et égalité des genres 

Nous assistons aujourd’hui à une transformation profonde de la société qui peut être interprétée en terme d’un mouvement vers une civilisation écologique. La pression des évènements va dans ce sens et les mentalités évoluent en profondeur. Or, au  même moment, d’autres changements interviennent. Ainsi se manifeste un mouvement en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes. On pourrait se demander en quoi ce mouvement a-t-il un lien avec la mobilisation écologique. L’analyse de Moltmann nous apporte une réponse.

« Il paraît raisonnable de chercher à remplacer la vision mécaniste du monde, car c’est image marquée d’une façon unilatérale par le patriarcat. Le passage à une vision écologique du monde fait davantage justice, non seulement aux environnements naturels du monde humain, mais au caractère naturel de ce monde humain lui-même – hommes et femmes.  C’est pourquoi il implique de nouvelles formes égalitaires de communauté, dans laquelle la domination patriarcale est abolie et une communauté fraternelle est construite. Les centralisations de la conception mécaniste du monde cèdent le pas à des ententes dans le réseau des relations réciproques… » (p 409).

 

Une nouvelle expression chrétienne

Un changement de civilisation induit de nouvelles exigences, de nouvelles attentes, de nouvelles aspirations. Il appelle en regard une nouvelle dimension spirituelle. Ici, la reconnaissance du Vivant évoque respect, émerveillement, dépassement. Nous voici en demande  d’un renouvellement des pratiques et des représentations religieuses.

Les églises qui s’attarderont dans un style patriarcal, en subiront les conséquences. Cependant, l’enjeu majeur, c’est bien une transformation de la vision théologique. Dès les années 1980, Jürgen Moltmann a esquissé une réponse : une théologie écologique. Son livre : « Dieu dans la création » est présenté en ces termes : « Dans ce traité écologique de la création, Jürgen Moltmann formule, de façon nouvelle, la foi chrétienne en la création de telle sorte que celle-ci ne continue pas à être elle-même  un facteur de la crise, mais devienne un facteur de paix avec la nature.  Il s’agit d’une doctrine chrétienne de la création, c’est à dire qu’elle prend au sérieux le temps messianique qui a commencé avec Jésus et qui tend vers la libération des hommes, la pacification de la nature et la délivrance de notre environnement à l’égard des puissances du négatif et de la mort. Il s’agit d’une doctrine trinitaire de la création (un Dieu communion). L’insistance sur la création dans l’Esprit et pas seulement par la parole, nous invite à dépasser une conception typiquement moderne de la subjectivité  et de la domination mécanique du monde. Ecologie signifie le monde de la « maison » (oikos). Une telle doctrine de la création est une théologie de l’inhabitation de Dieu par son Esprit dans l’ensemble de la création ». Si la récente encyclique du pape François : « Laudato si’ » converge (3), il reste du chemin à faire : reconnaitre et accompagner l’œuvre de l’Esprit dans cette sortie de la civilisation patriarcale, l’entrée dans la dimension écologique, la confrontation avec les menaces assorties au changement,  le chemin vers une nouveauté de vie .

J H

  1. Jürgen Moltmann. Dieu dans la création. Traité écologique de la création . Traduit de l’allemand par Morand Kleiber. Cerf, 1988 (édition originale en 1985).   Voir aussi sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie » : « Dieu dans la création » : https://lire-moltmann.com/dieu-dans-la-creation/                 Sur ce blog, la pensée de Jürgen Moltmann est très présente : https://vivreetesperer.com/?s=Moltmann+&et_pb_searchform_submit=et_search_proccess&et_pb_include_posts=yes&et_pb_include_pages=yes
  2. L’analyse de la succession des symboles du monde n’est qu’un aspect de l’évolution générale de la manière de concevoir les rapports entre l’homme et la nature dans le contexte de la relation entre science et théologie. Jürgen Moltmann met en évidence l’évolution de la représentation de Dieu depuis la Renaissance : « L’omnipotence est devenu un attribut prééminent de la Divinité… Comme image de Dieu sur terre, l’être humain a été amené à se voir lui-même en correspondance comme maître et seigneur et à s’élever au dessus du monde et à le subjuguer ». https://vivreetesperer.com/vivre-en-harmonie-avec-la-nature/ La remise en cause de cette domination se poursuit aujourd’hui. Ainsi, au « Center for action and contemplation », Richard Rohr rapporte qu’au Moyen Age, l’univers était perçu comme centré autour de l’homme et de la terre. C’était une conception anthropocentrique. Dieu comme le monde était envisagé dans un ordre stable et hiérarchique. Evidemment, notre représentation de l’univers a complètement changé. « Nous ne sommes plus au centre de rien . Nous avons besoin d’une cosmologie et d’une vision du monde entièrement nouvelle »  ( 26 août 2019)                     https://cac.org/a-new-cosmology-2019-08-26/
  3. « Convergences écologiques : Jean Bastaire, Jürgen Moltmann, pape François et Edgar Morin » : https://vivreetesperer.com/convergences-ecologiques-jean-bastaire-jurgen-moltmann-pape-francois-et-edgar-morin/

Voir aussi
« Comment entendre les principes de la vie cosmique pour entrer en harmonie »
https://vivreetesperer.com/comment-entendre-les-principes-de-la-vie-cosmique-pour-entrer-en-harmonie/

« Vers une économie symbiotique »
https://vivreetesperer.com/vers-une-economie-symbiotique/

Une approche spirituelle de l’écologie

Selon Christine Kristof-Lardet

Manifestement, la transition écologique implique une transformation profonde dans notre genre de vie et, en conséquence, dans nos mentalités. Ce changement, intervenant dans des habitudes séculaires, ne va pas de soi. Il peut entrainer un ressenti de perte et un bouleversement des repères. Le coût est élevé. Face à ce coût, nous avons besoin d’une force motrice qui induise une nouvelle manière de voir, mais aussi de sentir, si bien que les comportements émergents puissent être assortis de satisfactions nouvelles. Par exemple, la « sobriété heureuse » ne peut l’être que si l’on y trouve des satisfactions morales, psychologiques et matérielles permettant de quitter la posture de consommateur traditionnel. La transition écologique implique des transformations sociales et économiques. Elle requiert en conséquence une vision éclairant ces transformations.

Aujourd’hui, à partir même des changements en cours, nous commençons à comprendre que tout se tient et à voir le vivant et le monde dans leurs interrelations, dans une approche globale, dans une perspective holistique. L’ampleur du changement requis requiert un dépassement. On rencontre ici une approche spirituelle si tant est qu’on puisse la définir, avec David Hay (1), comme « une conscience relationnelle » dans une relation avec les autres et avec soi-même, avec la nature, avec la présence divine… Et, de plus, en se référant à un chercheur anglais, Alister Hardy, le même David Hay perçoit le potentiel spirituel de l’homme comme une faculté qui s’inscrit dans l’évolution des êtres vivants. Si, la transition écologique nous achemine vers une civilisation nouvelle, ce processus requiert une vision spirituelle qui puisse éclairer les acteurs. Cette vision est déjà en cours. Elle est exprimée par des théologiens et par des sages (2). Elle inspire des pratiques nouvelles. On assiste à des émergences et à des convergences. Nous avons besoin de reconnaître ce mouvement et d’en percevoir toutes les dimensions. Comment mobilise-t-il déjà de nombreuses ressources en terme d’initiatives et de communautés ?         A ce stade, le récent livre de Christine Kristof-Lardet : « Sur la Terre comme au Ciel » (3), est une contribution particulièrement importante puisqu’elle nous fait connaître « les lieux spirituels engagés en écologie ». « Nombre de communautés spirituelles intègrent aujourd’hui la dimension écologique dans leur mode de vie et leurs structures, puisant à la source de leur sagesse les raisons de leur engagement pour la terre et le vivant. En même temps, elles sont des laboratoires où s’inventent et s’expriment des « possibles » qui peuvent nourrir notre société en quête de sens, de valeurs et de repères. Cette ouverture favorise l’émergence d’une approche spirituelle de l’écologie au sein de laquelle les postures du « méditant » et du « militant » se fécondent mutuellement » (page de couverture).

 

Approche spirituelle de l’écologie

Christinde Kristof-Lardet nous présente ainsi « une approche spirituelle de l’écologie ». C’est la poursuite d’un cheminement que Christine accomplit depuis une vingtaine d’années. « Ecojournaliste, écrivain, voyageur, militante écologiste à les heures, j’ai vu, pleuré et défendu la beauté de la Terre. Je me suis parfois posée dans des monastères retirés du monde et me suis laissé questionner. Comment, devant tant de splendeur, ne pas avoir le cœur chaviré ? Comment trouver la paix intérieure au sein du chaos que mes reportages me donnaient à voir ? Comment concilier ma quête écologique et ma quête spirituelle ? c’est lors d’une grande rencontre organisée au centre bouddhiste Karma Ling en Savoie que la jonction s’est opérée et que j’ai compris qu’écologie et spiritualité n’étaient en fait qu’une seule et même réalité. Cette prise de conscience a signé le début de mon exploration » (p 9). Dans une inspiration chrétienne et dans une dimension interreligieuse, Christine Kristof Lardet a donc suivi cette voie, la voie d’une convergence entre écologie et spiritualité. Journaliste, spécialiste des questions écologiques, elle est aujourd’hui rédactrice en chef de la revue Présence (4). Dans la continuité d’un travail jadis engagé par le WWF en direction des spiritualités, elle a poursuivi cette tâche en créant avec d’autres personnes de diverses traditions, un « Réseau des écosites sacrés ». « La vocation de ce réseau est de mettre en lumière les initiations écologiques inspirantes au sein des centres spirituels et de favoriser le dialogue entre ces lieux ».

Il s’agit bien de mettre en évidence la montée d’une approche spirituelle de l’écologie. « S’interroger sur les causes profondes de la destruction de la nature et de la crise écologique conduit à comprendre que celles-ci s’enracinent en grande partie dans notre cœur, notre culture et notre façon de « penser le monde ». C’est donc là, dans notre esprit et notre cœur que nous devons aussi chercher les solutions. La perspective de l’effondrement ne relèvent pas de la crise à résoudre ; elle nous appelle à une transformation intérieure qui seule permettra une véritable mutation de notre société… Il nous faut accomplir « un saut quantique » de la conscience. Pour cela, il convient de sortir de la séparation – perçue ou vécue comme telle – entre le monde de l’écologie et celui de la spiritualité. Développer une approche spirituelle de l’écologie, au sein  de laquelle la posture du « méditant » vient nourrir celle du « militant » – et inversement – ouvre des perspectives de réconciliation et d’espérance » (p 11).

 

Un réseau d’écosites sacrés

Nous découvrons à travers ce livre de nombreuses communautés qui s’inscrivent dans des cheminements religieux différents, du christianisme, aux religions orientales et aussi à des spiritualités émergentes et qui, chacune, s’ouvrent à la conscience écologique. On pourrait dire que, d’une certaine manière, leurs pratiques spirituelles les prédisposent à un éveil écologique, mais que c’est justement cet éveil qui engendre une dynamique commune. « L’écologie se pose de façon transversale au cœur des traditions spirituelles et inspire chacun de nous, « habitants de la maison commune », croyants et non croyants confondus : « Nous avons besoin d’une conversion qui nous unisse tous parce que le défi environnemental que nous vivons, et ses racines humaines, nous concernent et nous touchent tous », écrit le pape François dans l’encyclique « Laudato si’ » consacrée à l’écologie. Découvrir quelles sont les visions et les ressources cultivées au sein des centres spirituels, les mettre en lumière et montrer leur pertinence est un des buts de cet ouvrage » (p 11-12). Quelque soient les manques et les dysfonctionnements éventuels, ces communautés participent à une évolution générale. Elles innovent. « Toutes ces communautés, aussi imparfaites soient-elles, peuvent être également vues comme des laboratoires ou s’expérimente en miniature et de manière concentrée tout ce que notre humanité traverse à une plus grande échelle. Ce qui se joue dans notre société, notamment la transition écologique, se joue également en microcosme au sein des centres spirituels. Dans ce sens, il n’est peut-être pas vain d’imaginer que tous les trésors d’amour, de courage et de perspicacité mis en œuvre par ces communautés puissent être profitables au plus grand nombre » (p 12-13).

Ainsi, l’auteure nous introduit ici dans la vie d’une trentaine de communautés à travers « des reportages, réalisés en plusieurs années et actualisés en permanence, pensés dans une perspective de découverte et de partage et témoignages vécus »… Notre posture de base s’inscrit dans une neutralité bienveillante et lucide ». Le lecteur que nous sommes, trouve que cet objectif a été bien rempli. Chaque communauté est l’objet d’une monographie qui nous permet de la situer dans son histoire et d’en découvrir la vie quotidienne dans ses différents aspects. En 200 pages, il y a là un ensemble d’études de cas particulièrement éclairantes.

Nous voici en voyage : Des communautés chrétiennes anciennes ou nouvelles, des communautés de tradition orientale, des « communautés spirituelles intentionnelles »…

 

Quelques exemples en empruntant un tout petit bout de descriptif :

Le Centre Amma de Pontgoin 

« Le Centre Amma de Pontgoin, teinté d’Orient et d’Occident, est tout d’abord un lieu pour vivre les enseignements d’Amma… la sainte indienne qui serre les foules dans ses bras. Il s’inscrit dans la lignée des ashrams indiens par sa philosophie, les rituels et la discipline qui y est pratiquée. En même temps, cet ashram est un écosite qui expérimente et promeut un vivre-ensemble écologique en harmonie avec la nature… Au Centre Amma où l’on s’exerce aussi bien à la méditation, qu’à la permaculture, à la gouvernance partagée ou à l’art du compostage, la pratique spirituelle et l’engagement écologique se nourrissent mutuellement » ( p 21).

 

L’Arche de Saint-Antoine

« Dans cette ancienne abbaye, lovée au pied du Vercors, s’expérimente, depuis une trentaine d’années, une vie profonde de fraternité et de partage dans l’esprit de Lanza del Vasto, un disciple chrétien de Gandhi, à mi-chemin entre la vie monastique et la vie laïque. Cette communauté se compose aujourd’hui d’une cinquantaine de personnes qui expérimentent un mode de vie simple fondé sur la non-violence et la spiritualité, et sous-tendu par la recherche d’une harmonie avec soi, les autres et la nature. Ces valeurs constituent la trame d’une écologie intégrale qui se décline dans tous les aspects de la vie » (p 39).

 

Le Village des Pruniers

Fondé au cœur de la Dordogne par le vénérable moine, Thich Nhat Han en 1982, ce centre spirituel incarne le rêve de son fondateur de développer, dans un lieu de nature préservé et nourrissant, une communauté conjuguant la pratique de la pleine conscience et le vivre-ensemble fraternel… Puisant aux fondements de la tradition bouddhiste zen, cette communauté internationale propose aux multiples retraitants d’expérimenter la pratique de la méditation dans ses différentes formes et de vivre un chemin de réconciliation avec soi, avec les autres et avec la Terre » (p 59).

 

L’écohameau de La Chaux en Côte d’or

« Loin du tout-conformisme comme du tout-confort, Marie et Alexande Sokolovtch posent leur sac en juin 2009 à la ferme de La Chaux en Bourgogne après des années de nomadisme alternatif au service de jeunes démunis. Leur désir : prendre le temps, à la suite de Jésus, de vivre une simplicité volontaire et évangélique dans la cohérence entre engagement social, écologique et spirituel… Les Evangiles, c’est notre base et notre nourriture… Aujourd’hui, trois familles sont installées à La Chaux et forment avec sept enfants et un célibataire, une communauté d’une quinzaine d’habitants fixes. Inspirée des communautés de l’Arche de Lanza del Vasto, le ferme de La Chaux est aujourd’hui un bastion de la sobriété et de la débrouille, mais aussi un lieu où s’expérimente de façon atypique, le partage, l’accueil inconditionnel du prochain et la relation à la terre. Par son mode de vie et sa pratique, la ferme de La Chaux explore les différentes dimensions de l’écologie : la sobriété, l’usage du troc, la relation à la terre avec la réalisation de zones de maraichages ouvertes à tous et des cultures de variétés anciennes de blé en agroforesterie… , le partage et le don » (p 139-140)

 

Le monastère de Taulignan

« Onze sœurs vivent aujourd’hui dans ce monastère perdu au milieu de la Drome provençale. Elles cultivent des plantes aromatiques servant à créer des huiles essentielles ou des hydrolats dans la distillerie qu’elles ont fait construire en 2014. Cette activité est née de la nécessité de trouver une activité pouvant assurer leur subsistance en accord avec la vie monastique. C’est un parcours écologique qui a été encouragé par le paysan philosophe Pierre Rabbi. Au cœur de leur vie communautaire et de prière, ces pionnières cherchent à explorer entre Terre et Ciel la ligne de crête entre foi et écologie » (p 105).

 

Le monastère Orthodoxe de Solan dans le Gard

« Le monastère de Solan abrite aujourd’hui 17 moniales de tradition orthodoxe qui vivent principalement de la production de vin et des produits de leurs récoltes au potager ou au verger » . « La rencontre avec l’agroécologiste Pierre Rabbi dans les années 1990 a été décisive ». Elles ont accompli un beau parcours écologique. « Aujourd’hui, elles mettent en pratique ces principes écologiques d’autant plus naturellement qu’elles les vivent aussi de l’intérieur par la prière… la liturgie… une ascèse et l’eucharistie partagée dans une conscience ouverte au cosmos ». « Dans notre tradition, nous n’avons pas la dichotomie habituelle entre le spirituel et le matériel, le Créateur et la Création, entre l’homme et la nature… Nous nous sentons vraiment faire partie de la Création… » (p 136-131)

 

L’écovillage de Findhorn en Ecosse

« Le rôle de Findhorn depuis sa création a été de démontrer l’expérience pratique de la communion et de la coopération avec la nature fondée sur une vision de la vie et de l’intelligence organisée qui lui est inhérente » ( David Spangler). Au départ, en 1962 ,dans le nord de l’Ecosse, « c’est un groupe de trois adultes et six enfants, poussés par le « destin », qui s’installe sur un terrain de caravaning et qui développe une vie en harmonie avec le divin et la nature. Aujourd’hui, c’est une communauté composée d’environ 600 personnes qui propose un modèle de vie cohérente fondée sur trois principes : la spiritualité (par l’écoute intérieure), le service à autrui (par l’amour en action), et l’écologie globale (par l’intelligence au cœur de la nature) »… « La communauté de Findhorn s’illustre pas sa longévité et son développement exceptionnel… Elle a su conjuguer la spiritualité, la relation à la nature et le service au monde. Ces bases solides ont permis l’émergence de nouveaux paradigmes et de chemins jusque là inexplorés, en particulier la coopération avec l’intelligence de la nature… Dans ce creuset, s’est développée non seulement une conscience forte de l’unité de toutes choses, mais aussi la nécessité d’inscrire notre humanité dans le cercle beaucoup plus vaste de la communauté du vivant, avec laquelle nous partageons une fraternité ontologique » (p 177 et 198).

A travers ces quelques exemples, une grande émergence apparait et des convergences sensibles se manifestent.

A partir de cette recherche, Christine Kristof-Lardet met en évidence un dynamique spirituelle, communautaire, écologique. « Dépositaires de sagesse, ces communautés peuvent contribuer à soutenir et à nourrir l’évolution du monde, sa conversion vers un authentique respect de la planète et de tous les êtres qui l’habitent. Ce n’est que dans une approche globale, écosystémique, transdisciplinaire que nous pouvons répondre aux défis de notre temps » (p 235-236).

Ce livre bien écrit, bien construit rend compte au plus près de la démarche des communautés où la spiritualité et l’écologie s’allient. Il tient bien l’objectif annoncé : être « une ressource qui peut inspirer chacun dans sa quête d’harmonie et ouvrir des perspectives pertinentes pour notre monde en transition » .Comme l’écrit Sabish Kumar : « La transition nous appelle à passer à une vision holistique du monde, où physique et métaphysique, engagement et spiritualité dansent ensemble comme les deux faces d’une même médaille : Transition extérieure et transition intérieure vont de pair » (p 9)

J H

  1. David Hay. La vie spirituelle comme une conscience relationnelle. La recherche de David Hay sur la spiritualité d’aujourd’hui (« Something there. The biology of the human spirit ») : https://www.temoins.com/la-vie-spirituelle-comme-une-l-conscience-relationnelle-r/
  2. Une vision exprimée par des théologiens et des sages. Ce livre comprend une bibliographie étendue (p 267-273) ; L’auteure note l’influence des spiritualités bouddhiste, hindouistes et plus largement orientales . « Ces spiritualités qui, pour la plupart s’ancrent dans une approche écosystémique et holistique, ont permis d’élargir les perspectives de nos cultures souvent cartésiennes, réductionnistes et largement anthropocentriques… Les résonnances étonnantes entre les textes récents du dalaï-lama autour de la responsabilité universelle par exemple et ceux du pape François dans l’encyclique « Laudato si’» sur l’écologie intégrale, révèlent une complémentarité de points de vue » (p 81), Dans le champ de la théologie chrétienne, Jürgen Moltmann a accompli un travail pionnier puisque son livre : « Dieu dans la création » et avec pour sous-titre : « Traité écologique de la création » est paru au Cerf en 1988. Courte présentation : https://lire-moltmann.com/dieu-dans-la-creation/ La pensée théologique de Jürgen Moltmann est très présente sur ce blog : « Convergences écologiques : Jean Bastaire, Jürgen Moltmann, pape François, Edgar Morin » : https://vivreetesperer.com/convergences-ecologiques-jean-bastaire-jurgen-moltmann-pape-francois-et-edgar-morin/ Nous mettons également en évidence le courant écologique outre-Atlantique inspiré par le théologien : Thomas Berry : « Comment entendre les principes de la vie cosmique pour entrer en harmonie » : https://vivreetesperer.com/comment-entendre-les-principes-de-la-vie-cosmique-pour-entrer-en-harmonie/ Dans son « Center for action and contemplation », Richard Rohr développe également une spiritualité écologique. Nous avons rapporté certains de ses thèmes : « L’homme, la nature et Dieu » : https://vivreetesperer.com/lhomme-la-nature-et-dieu/
  3. Christine Kristof-Lardet. Sur la Terre comme au Ciel. Lieux spirituels engagés en écologie. Labor et Fides, 2019
  4. Présence. La revue des chercheurs de sens : https://revuepresence-leblog.com

Vers une personnalité unifiée

De plus en plus, quelque soient les tempêtes, nous percevons un mouvement d’unification dans le monde d’aujourd’hui (1) et, en abaissant les barrières entre les disciplines académique, ce mouvement affecte également notre usage du savoir (2). De plus en plus, l’être humain est envisagé dans une perspective globale, holistique. Le corps et l’esprit communique et interfère réciproquement comme le montre Denis Janssen dans son livre : « la guérison intérieure » (3). Dans le même mouvement, la médecine est appelée à reconnaître les interrelations entre les différents composants, les différents niveaux du corps et à s’engager dans une perspective intégrative (4). La spiritualité est, elle aussi, concernée au premier chef. On a pu la définir récemment comme une « conscience relationnelle », comme une relation avec soi-même, avec les autres, avec la nature et avec Dieu (5). La focalisation sur l’âme se détournant du corps, la méconnaissance de celui-ci, sont en train de s’éloigner. Tout est perçu en terme de relation. Comme le souligne Jürgen Moltmann dans sa théologie trinitaire, Dieu lui-même est communion d’amour, un amour qui se répand (6). La présence de Dieu se manifeste (7).

Cependant, dans ce monde en mutation, nous vivons en tension.  Les représentations du passé sont encore là et font souvent barrage.  Des attractions nouvelles nous bousculent parfois et nous dispersent. Les vicissitudes de la vie, les menaces concernant la santé sont toujours là avec les inquiétudes qu’elles génèrent.  Nous avons toujours, et même de plus en plus, besoin de vivre en relation avec une présence, la Présence divine, source de confiance et de vie. Ainsi, ce texte d’Odile Hassenforder : « Vers une personnalité unifiée », écrit, il y a une dizaine d’années, nous paraît toujours innovant. Il vient nous éclairer dans nos cheminements de vie. C’est un texte de réflexion qui a demandé à Odile un effort de synthèse. Et c’est aussi un témoignage, car Odile a écrit ce texte tout en étant confrontée à une dure maladie. Aussi bien, nous savons qu’à l’époque, elle en avait parlé à son médecin, pour elle, un ami.

Ce texte est paru en 2006 sur le site de l’association à laquelle Odile participait activement : Témoins (8). Il a été ensuite publié dans le livre : « Sa présence dans ma vie » (9). Ici, Odile exprime une vision globale d’un être humain en marche vers une personnalité unifiée, dans une perspective de plénitude (en anglais : wholeness) (11) , en Christ ressuscité, promise et offerte par Dieu.

J H

  1. Une prise de conscience de la globalisation qui remonte à la conception de la « Noosphère » selon Teilhard de Chardin : https://fr.wikipedia.org/wiki/Noosphère
  2. Michel Serres. Petite Poucette. Une nouvelle manière d’être et de connaître. Vers un nouvel usage et un nouveau visage du savoir : https://vivreetesperer.com/une-nouvelle-maniere-detre-et-de-connaitre-3-vers-un-nouvel-usage-et-un-nouveau-visage-du-savoir/
  3. Vers une nouvelle médecine du corps et de l’esprit : https://www.temoins.com/vers-une-nouvelle-medecine-du-corps-et-de-lesprit/
  4. Médecine d’avenir. Médecine d’espoir : https://vivreetesperer.com/medecine-d’avenir-medecine-d’espoir/
  5. La vie spirituelle comme une « conscience relationnelle ». la recherche de David Hay sur la spiritualité d’aujourd’hui : https://www.temoins.com/la-vie-spirituelle-comme-une-l-conscience-relationnelle-r/
  6. Dieu, communion d’amour : https://www.temoins.com/la-vie-spirituelle-comme-une-l-conscience-relationnelle-r/
  7. Jürgen Moltmann. Reconnaître la présence de Dieu à travers l’expérience : https://vivreetesperer.com/reconnaitre-la-presence-de-dieu-a-travers-lexperience/ Richard Rohr. La danse divine (The divine dance) : https://vivreetesperer.com/la-danse-divine-the-divine-dance-par-richard-rohr/   Une nouvelle manière de croire (Diana  Butler Bass) : https://vivreetesperer.com/la-danse-divine-the-divine-dance-par-richard-rohr/
  8. Sur le site de Témoins : Vers une personnalité unifiée : https://www.temoins.com/vers-une-personnalite-unifiee/
  9. Odile Hassenforder. Sa présence dans ma vie. Parcours spirituel. Empreinte, 2011 (p 207-211) Voir sur ce blog : Odile Hassenforder. Sa présence dans ma vie. Un témoignage vivant : https://vivreetesperer.com/odile-hassenforder-sa-presence-dans-ma-vie-un-temoignage-vivant/

 

Vers une personnalité unifiée

Les besoins, à différents niveaux, sont si nombreux que les multiples facettes de la relation d’aide sont toutes utiles. Pour ma part, depuis une trentaine d’années, j’ai fait bien du chemin. Dans les milieux charismatiques ou évangéliques, j’ai vu les merveilles de l’amour de Dieu, des miracles. J’ai aussi constaté qu’après amélioration, certaines personnes retombaient dans les mêmes ornières, malgré leur confiance en Dieu. Assistante sociale de profession, j’étais habituée à l’écoute et à la recherche de  solutions, sociales bien sûr, mais aussi psychologiques.

Découvertes psychologiques.

Peu à peu, tout en m’imprégnant de la Parole de Dieu, j’ai cherché à approfondir mes connaissances psychologiques en suivant diverses formations, en lisant des livres spécialisés ou en consultant des personnes compétentes. J’en ai tiré une importante leçon de vie. Quelle grande espérance de savoir que la découverte des racines de ses dysfonctionnements permet de reconstruire sa personnalité selon ses désirs profonds. De même, quelle libération de pouvoir mettre à jour ses projections ou les déviations d’une mentalité parfois marquées par un héritage ancestral… qui déforment la réalité, court-circuitent la communication et faussent la relation. Et, parallèlement, l’introduction de nouvelles représentations suscite un meilleur équilibre. C’est toujours une joie profonde de voir une personne prendre peu à peu sa vie en main.

Une approche du corps.

Observant l’influence du psychisme sur le corps, je me suis attachée, ces derniers temps, à creuser davantage mes connaissances physiologiques. Ainsi j’ai découvert que la maladie pouvait être une interpellation positive lorsqu’elle nous permettait d’aller plus loin dans la compréhension des racines de notre mal-être. Découvrir les causes permet de mieux remédier au mal. Le corps est heureusement doté  de capacités de régénération et de mécanismes d’auto-défense. Cependant, ces phénomènes peuvent céder face à de trop fortes agressions. La médecine globale, telle qu’elle se développe actuellement, cherche à remettre en ordre l’équilibre général: les circuits qui relient les différents organes à l’image de vases communicants. Tout se tient. Il y a un lien entre les glandes endocrines , les hormones, les réseaux nerveux, le flux sanguin et même les ondes énergétiques… La guérison devient alors la remise en ordre de l’harmonie  corporelle. Le traitement médical intervient comme un soutien positif pour remédier aux dysfonctionnements. Il ne s’agit plus de supprimer simplement les symptômes, mais de les considérer comme des panneaux de signalisation. Je loue le Créateur pour cette merveille qu’est notre corps dans sa complexité et dans ses potentialités (Ps .139).

La Vie circule.

Aujourd’hui, en essayant de faire une synthèse de mes découvertes, je réalise combien il y a interrelation entre les différents registres de notre être , du physique au spirituel en passant par les divers aspects de la vie psychique, de l’émotionnel au cognitif.

En lisant la Bible, j’y découvre une vision dynamique qui éclaire cette compréhension. Dans les Proverbes, par exemple, n’est-il pas indiqué que « D’aimables paroles sont bienfaisantes pour le corps (Pr. 16.24). Le cœur joyeux est un excellent remède (Pr. 17.22). La langue du sage apporte la guérison (Pr.12.18) ».

Ma pensée s’est peu à peu imprégnée d’une vision herméneutique et systémique : interprétation personnelle de chaque phénomène en le situant dans un ensemble au sein d’un système en mouvement et en évolution. Tout se tient. Avec émerveillement, je me rends compte que les textes bibliques font écho à ma manière de voir toute chose. Dieu Trinitaire nous a créés à son image pour devenir à sa ressemblance: une personne en relation. Par ailleurs, comme le montre les comparaisons employées par Jésus : l’eau vive, la sève, la lumière…la vie divine circule à tous les niveaux. Lorsque nous n’y mettons pas d’obstacles, nous pouvons en percevoir les effets bénéfiques. Le pardon des péchés fait tomber les barrières.  Dieu agit. Dieu régénère. Dieu guérit. Comme le dit l’Evangile en parlant de Jésus : « Une force sortait de Lui et les guérissait tous » (Luc 6.19, 8.46).

Notre participation à la création.

J’ai été secouée au plus profond de mon être, le jour ou j’ai réalisé que Dieu m’appelait à  participer à la gérance de sa création, à commencer par ma personnalité. Qui suis-je pour être ainsi « collaboratrice » du Créateur (Ps.8) ? Dieu continue à créer avec chacun de nous et avec moi.  Le Père Céleste agit sans cesse, dit Jésus, et Il m’invite à participer à la nouvelle création mise en route dans sa résurrection. En peu de mots ici, je voudrais dire comment je comprends le dernier verset des Psaumes comme une apothéose : « Que tout ce qui respire loue l’Eternel ! ». Toutes les expressions qui se traduisent par des mouvements, des énergies, des ondes… ne participent-elles pas à cette respiration ?

Une motivation forte.

Cette expression d’une vie qui nous dépasse et à laquelle nous participons, m’aide à accompagner positivement les personnes en difficulté. En effet, pouvoir imaginer que notre cheminement à chacun peut nous conduire vers une vie plus pleine et plus libre, est une forte motivation qui fait avancer. Ainsi une épreuve devient un tremplin pour rebondir dans l’espérance (Rom. 5.54), une invitation à faire le point pour réajuster sa vie, l’occasion d’accueillir la force divine (I Cor. 10.13) pour traverser cette crise et en sortir. En Christ ressuscité, la vie est plus forte que le mal  qui a perdu son pouvoir de destruction absolue (I Cor. 15). Le but poursuivi est de guider le cheminement de guérison vers l’harmonie de l’être tout entier en utilisant des approches différentes selon la personne intéressée, à sa mesure, en fonction de sa situation et de sa culture. Ce travail intérieur peut parfois se traduire par une transformation profonde du mode de vie (Rom. 12.1). Ainsi la vie porte davantage de fruits (Jean 15).

Une nouvelle dynamique.

Ainsi concrètement, il me paraît important d’apprendre à voir au quotidien ce qui est beau et bon autour de soi et en soi en développant ce que Paul appelle les fruits de l’Esprit (Gal. 5.23, Eph. 5.9, Col. 3.12…). Exprimer ses observations positives en les partageant avec d’autres, bénir en toutes circonstances (Mat. 5.45), voilà des attitudes qui développent en nous paix et joie, sentiment de plénitude dans la présence de Dieu (Rom. 14.17). Bien sûr, il serait mal venu d’imposer mes représentations, y compris par l’intermédiaire de versets bibliques. Chacun doit pouvoir exprimer ses souffrances comme son mal de vivre, mais à partir de là, il est possible de découvrir tout ce qui est positif dans sa vie et favoriser ainsi une dynamique nouvelle qui va avoir une influence bénéfique sur le psychisme et sur le corps. Ainsi j’encourage mon interlocuteur à manifester ses désirs profonds, et, ainsi à découvrir et à développer ses potentialités. C’est de cette façon qu’il pourra reconstruire librement sa vraie personnalité : « corps, âme, esprit » (I Th. 5.23). J’adhère à ce commentaire trouvé dans l’édition du Semeur de la Bible: Il s’agit de l’être humain, non en trois dimensions superposées, mais dans une globalité de la personne dans ses trois dimensions, pour vivre en contact, en relation: le corps dans sa présence au monde, l’âme, l’être intérieur dans sa relation au monde, l’esprit, l’être intérieur dans sa relation avec Dieu.

En marche.

Dans les limites de ce texte, il n’est pas possible d’illustrer, par des exemples concrets, ce panorama ou bien des nuances doivent être apportées. J’aime partager cette vision qui m’habite et suscite en moi un élan de vie. C’est le fruit d’une mise en place progressive de ma vie dans le projet d’un Dieu qui veut mon bonheur. Même dans les temps ou il me faut traverser la vallée de l’ombre, Il se tient à mes cotés et me reçoit à sa table en « invitée d’honneur » (Ps. 23). Sans ambition, ni prétention, simplement à ma mesure, je cherche à tenir ma place dans cette marche humaine que nous sommes appelés à effectuer ensemble en Eglise selon le projet divin (Eph. ch 1) . Cette vision, qui inspire ma vie, me permet d’affirmer à toute personne rencontrée que la vie vaut la peine d’être vécue.

Odile Hassenforder.

Voir aussi :

Médecine d’avenir. Médecine d’espoir : https://vivreetesperer.com/medecine-d’avenir-medecine-d’espoir/

Les progrès de la psychologie. Un grand potentiel de guérison : https://vivreetesperer.com/les-progres-de-la-psychologie-un-grand-potentiel-de-guerison/

La prière, selon Agnès Sanford, une pionnière de la prière de guérison : https://vivreetesperer.com/la-priere-selon-agnes-sanford-une-pionniere-de-la-priere-de-guerison/

Comment entendre les principes de la vie cosmique pour entrer en harmonie

Diversité, essence et communion

Temoins présente un article de soeur Joan BrownSelon Sœur Joan Brown

 Nous vivons dans un univers en évolution, dans un monde vivant. Avons-nous conscience d’en faire partie ou bien nous en détachons-nous pour le dominer, pour nous replier sur nous ou pour nous en évader ? Si nous entendons les principes de la vie cosmique, les lois de la vie, alors nous participerons à la vie qui nous est donnée et nous pourrons vivre en harmonie. Comment comprendre le rapport entre diversité et unité ? Comment participer au grand mouvement d’interconnexion et de reliance  constamment à l’œuvre ? Comprendre le monde, c’est nous comprendre nous-mêmes. Nous comprendre, c’est comprendre le monde et y participer. C’est une vision où s’allie la science et la spiritualité.

Aujourd’hui, les menaces qui mettent en danger les équilibres du vivant sur notre planète engendrent une prise de conscience écologique. Cette prise de conscience n’appelle pas seulement une transformation majeure de la vie économique, un changement de la production et de la consommation, mais aussi, dans le même mouvement, une transformation de notre genre de vie (1). Et donc, ce qui nous est demandé, c’est une nouvelle manière d’envisager la vie dans son essence même.

Dans l’Occident chrétien, à partir de la renaissance, en phase avec une certaine conception de Dieu, la nature a été soumise à une gouvernance autoritaire (2). Si, dans le même temps, le matérialisme s’est répandu, face à ces errements, à la fin du XXè siècle, des théologiens se sont dressés et nous ont proposé une nouvelle vision de Dieu et du monde. Ainsi, en 1985, Jürgen Moltmann, déjà reconnu comme le théologien de l’espérance, publie un livre : « Dieu dans la création » , qui porte déjà comme sous-titre, « Traité écologique de la création ». (3). Aux Etats-Unis, Thomas Berry (4), prêtre catholique engagé dans une intime compréhension des grandes cultures religieuses, de la Chine et l’Inde jusqu’aux traditions des peuples premiers, disciple de la pensée de Teilhard de Chardin, s’affirme comme un chercheur passionné à l’étude de la terre, comme un « écothéologien ». Un peu plus tard, en 2015, paraît « Laudato Si’ », la lettre encyclique du Pape François sur la sauvegarde de la maison commune (5).

La sœur franciscaine, Joan Brown (6), participe à l’inspiration de Thomas Berry et collabore avec Richard Rohr, fondateur et responsable du « Center for action and contemplation » à Albuquerque (New Mexico) (7). Elle participe à des mouvements alliant écologie et spiritualité comme les « sœurs de la terre » (« Sisters of earth ») (8). Dans l’Etat américain du Nouveau Mexique, elle anime et dirige un centre écologique et interconfessionnel : « New Mexico Interfaith Power and Light » (9). Le centre appuie les églises engagées dans la transformation écologique et participe à des actions environnementales. Dans le cadre d’un cycle de méditations : « Unité et diversité » publié du 2 au 8 juin dans le cadre des méditations quotidiennes diffusées par le « Center for action and contemplation », Joan Brown a écrit une contribution : « Diversité, essence et communion » (10).

Diversité, essence et communion

« Nous tous qui vivons, respirons et marchons sur cette Mère Terre, magnifique et sainte, nous tous, sommes appelés à comprendre les principes inhérents à l’énergie interdépendante et dynamique qui vibre dans chaque élément de la vie ».

Joan Brown distingue en effet trois mouvements qui ont émergé dès la première apparition de la vie, il y a 13,8 milliards d’années.

Ces mouvements, ces énergies, ces principes sont :

« la différenciation ou la diversité

La subjectivité, l’intériorité ou l’essence

La communion, la communauté et l’interconnexion ».

« Comprendre ces principes d’action est essentiel dans les temps critiques où  nous vivons, là où la diversité engendre des conflits, où la vie se déroule à un niveau souvent superficiel et où l’individualisme est rampant ». Ainsi, Joan Brown nous décrit ses principes d’action.

D’abord, chacun de nous – chaque être humain, chaque goutte d’eau, chaque molécule, chaque oiseau, chaque grain de sable, chaque montagne –  est distinct ou différent. Chacun, chacune est une manifestation distincte de l’énergie du Divin Amour. L’univers prospère et ne peut exister sans cette diversité. Ces différences même que nous évitons ou même détruisons, sont nécessaires à la vie  pour qu’elle se poursuive dans une multitude de formes magnifiques.

Joan Brown exprime ensuite un second principe cosmique, « plus facilement accessible aux gens de toute tradition religieuse ». Ce principe, c’est « l’intériorité ou l’essence ». Chaque créature est sainte. Chaque brin d’herbe, chaque sauterelle, chaque enfant est saint. La dégradation écologique, le racisme, la discrimination, la haine, le manque d’intérêt pour œuvrer en faveur de la justice et de l’amour, tout cela évoque un manque de respect, une incapacité d’honorer ce qui se tient devant moi… Pour aider les gens à gérer le changement climatique et à s’y adapter, ce qui est le sujet le plus critique de notre époque, je crois que nous devons nous mettre en contact avec l’essence sacrée de chaque chose qui existe, de chaque existence.

Le troisième principe cosmique est assez évident. « La communion ou la communauté est intimement liée à  la diversité/différenciation et à l’intériorité/essence. Joan Brown évoque une citation attribuée à un moine bouddhiste, Thich Nhat Hanh : «  Nous sommes ici pour nous éveiller, sortir de l’illusion de la séparation ». « La force gravitationnelle de l’amour entraine chaque être vivant et chaque chose à entrer en relation et en communion ».

Nous avons besoin d’une prise de conscience. « Si nous ne pouvons pas aimer notre prochain comme nous-même, c’est parce que nous ne nous représentons pas notre prochain comme nous-même », écrit Béatrice Bruteau, elle aussi « écospirituelle ». « Si nous sommes incapables de voir que nous sommes en communion avec l’autre, nous ne réaliserons pas que ce que nous faisons à nous-même, nous le faisons à l’autre et à la terre. De même, nous ne réalisons pas qu’en fin de compte, notre manque de compréhension se retourne contre nous en violence, que ce soit la peur des autres races et de la diversité ou la destruction de la terre parce que nous voyons le monde naturel comme un objet plutôt que comme un sujet avec une intériorité ».

C’est un appel à voir plus profond , plus grand. « Nous sommes appelé à être plus grand que ce que nous pouvons imaginer être en ce moment. Les principes cosmiques sont une nouvelle manière de comprendre, de voir et d’agir dans un monde qui parait déchiré par une mécompréhension de la beauté de la diversité, de la sainteté de l’essence et de la force évolutionnaire de la communion ».

 Nous ne attarderons pas sur l’arrière plan dans lequel nous voyons cette réflexion : la création en marche « souffrant des douleurs de l’enfantement »  (Rom 8.22) et la dynamique victorieuse de la libération divine en Christ ressuscité. Comme l’écrit Jürgen Moltmann, « le Christ ressuscité est le Christ cosmique. Il est présent en toutes choses. Finalement, il est aussi celui qui vient et qui remplira le ciel et le terre de sa justice ».

La nouvelle spiritualité de la terre éveille une « humilité cosmique ». Elle suscite également un amour cosmique tel que le staretz Sosima l’exprime dans le roman de Dostoevski : « les frères Karamazov » : « Aime toute la création, l’ensemble et chaque petit grain de sable. Aime les animaux, les plantes, chaque petite chose. Si tu aimes chaque petite chose, alors le mystère de Dieu en elle, te sera révélé. Une fois qu’il t’est révélé, alors tu le percevras de plus en plus chaque jour. Et, à la fin, tu aimeras l’univers entier d’un amour sans limites » (11)

Dans ce contexte, combien le regard de Joan Brown nous éclaire et nous apporte une manière nouvelle, une manière constructive de comprendre, de voir et d’agir dans ce monde.

J H

  1. « Vers une économie symbiotique » : https://vivreetesperer.com/vers-une-economie-symbiotique/
  2. « Vivre en harmonie avec la nature » : https://vivreetesperer.com/vivre-en-harmonie-avec-la-nature/
  3. Jürgen Moltmann. Dieu dans la création. Traité écologique de la création. Cerf, 1988 Voir aussi : « Dieu dans la création » : https://lire-moltmann.com/dieu-dans-la-creation/
  4. Vie et œuvre de Thomas Berry : https://en.wikipedia.org/wiki/Thomas_Berry http://encyclopedie.homovivens.org/documents/thomas_berry
  5. « Convergences théologiques : Jean Bastaire, Jürgen Moltmann, Pape François et Edgar Morin » : https://vivreetesperer.com/convergences-ecologiques-jean-bastaire-jurgen-moltmann-pape-francois-et-edgar-morin/
  6. Sister Joan Brown : https://www.globalsistersreport.org/authors/joan-brown
  7. Center for action and contemplation : https://cac.org/about-cac/
  8. Sisters of the earth : https://www.sisters-of-earth.net
  9. New Mexico Interfaith Power and Light : https://www.nm-ipl.org
  10. « Diversity, Essence and communion » : https://cac.org/diversity-essence-and-communion-2019-06-07/
  11. Jürgen Moltmann. The living God and the fullness of life.World council of churches, 2016 « In the fellowship of the earth » p 80-85 https://vivreetesperer.com/le-dieu-vivant-et-la-plenitude-de-vie-2/

 

Voir aussi sur ce blog :

La danse divine (The Divine Dance) par Richard Rohr :  https://vivreetesperer.com/la-danse-divine-the-divine-dance-par-richard-rohr/

Face à la violence, l’entraide, puissance de vie dans la et dans l’humanité : https://vivreetesperer.com/face-a-la-violence-lentraide-puissance-de-vie-dans-la-nature-et-dans-lhumanite/

L’homme, la nature et Dieu. Tous interconnectés dans une communauté de la création : https://vivreetesperer.com/lhomme-la-nature-et-dieu/