Quelle vision de Dieu, du monde, de l’humanitĂ© en phase avec les aspirations et les questionnements de notre Ă©poque ?

 

GenĂšse de la pensĂ©e de JĂŒrgen Moltmann 

A notre Ă©poque, un moment oĂč la conjoncture internationale s’est assombrie, pour y faire face, aller de l’avant, nous avons besoin d’une dynamique d’espĂ©rance. Nous pouvons donc nous tourner Ă  nouveau vers la pensĂ©e thĂ©ologique de JĂŒrgen Moltmann (1) qui commence Ă  Ă©merger avec la parution en 1964 d’un livre rĂ©volutionnaire Ă  l’époque : « La thĂ©ologie de l’espĂ©rance » (2).

Bien entendu, ce livre est intervenu dans un contexte social diffĂ©rent du notre, un moment oĂč le vieux monde commençait Ă  se fissurer et oĂč un nouvel horizon apparaissait. C’est l’époque oĂč Martin Luther King exprime son rĂȘve d’une AmĂ©rique libĂ©rĂ©e de la domination raciale. JF Kennedy regarde en avant dans l’esprit d’une nouvelle frontiĂšre. En TchĂ©coslovaquie, apparaĂźt un essai de socialisme Ă  visage humain, bientĂŽt Ă©crasĂ© par les chars soviĂ©tiques. Jean XXIII et le concile Vatican II entreprennent une rĂ©volution des esprits dans l’Eglise catholique. Mais c’est aussi l’époque marquĂ©e par la guerre du Vietnam, par l’affrontement Est-Ouest et la menace de la destruction nuclĂ©aire.

Plus de vint ans aprĂšs  la parution de la « ThĂ©ologie de l’espĂ©rance », en 1988, l’Eglise de la TrinitĂ© Ă  New York a invitĂ© JĂŒrgen Moltmann et son Ă©pouse Elisabeth Moltmann-Wendel, une des premiĂšres thĂ©ologiennes fĂ©ministes Ă  intervenir dans un forum de thĂ©ologiens rĂ©putĂ©s. AprĂšs deux dĂ©cennies, il Ă©tait possible et nĂ©cessaire de faire le point. En quoi l’apport de JĂŒrgen Moltmann avait-il marquĂ© un tournant dans la vision de Dieu, du monde et de l’humanité ? En quoi cet apport avait-il jouĂ© un rĂŽle majeur dans l’univers chrĂ©tien ? Avec le recul, vingt ans plus tard, comment cet apport continuait-t-il Ă  Ă©clairer les reprĂ©sentations des acteurs chrĂ©tiens ? Aujourd’hui, trente ans plus tard, cette confĂ©rence n’a pas perdu sa pertinence. En effet, elle nous aide Ă  mieux comprendre comment une rĂ©flexion thĂ©ologique peut nous aider Ă  rĂ©pondre Ă  nos questionnements dans toute leur dimension et leur actualitĂ©. Aujourd’hui, nous avons conscience de l’ampleur des mutations en cours. Une dynamique d’espĂ©rance, la conscience de l’Ɠuvre crĂ©atrice et libĂ©ratrice de Dieu est Ă  mĂȘme de nous Ă©clairer dans notre recherche et dans notre action. Voici pourquoi cette confĂ©rence n’appartient pas seulement au passĂ©. Elle nous apparaĂźt comme un Ă©pisode d’une histoire en marche.

 

Ce colloque a donnĂ© lieu Ă  une sĂ©rie de quatre vidĂ©os (3) rĂ©alisĂ©es par la « Trinity church » de New York et impulsĂ©es par deux thĂ©ologiens de cette Eglise : Frederic Burnham et Leonard Freeman. Elles prĂ©sentent Ă  la fois interviews et interventions de  JĂŒrgen Moltmann et questionnements et commentaires de thĂ©ologiens rĂ©putĂ©s. La premiĂšre vidĂ©o prĂ©sente la thĂ©ologie de l’espĂ©rance dans son contexte. La seconde vidĂ©o est consacrĂ©e Ă  un dĂ©bat sur cette thĂ©ologie. La troisiĂšme porte sur la thĂ©ologie fĂ©ministe telle qu’elle est prĂ©sentĂ©e par Elisabeth Moltmann-Wendel. Enfin la quatriĂšme concerne le rĂŽle de l’Eglise dans le monde. Notre compte-rendu ne sera pas exhaustif. Nous nous bornerons Ă  mettre en Ă©vidence quelques affirmations majeures de la thĂ©ologie de JĂŒrgen Moltmann et la maniĂšre dont certaines d’entre elles apparaissent Ă  beaucoup de thĂ©ologiens comme une rĂ©ponse attendue et libĂ©ratrice. De la mĂȘme façon, aujourd’hui encore, par rapport aux aspirations et aux questionnements de nos contemporains, nous avons besoin de rĂ©ponses adĂ©quates. En mettant en scĂšne le dĂ©bat autour de la pensĂ©e de JĂŒrgen Moltmann, ces vidĂ©os nous permettent  de mesurer l’importance de la rĂ©flexion thĂ©ologique pour Ă©clairer nos reprĂ©sentations et le cours de notre pensĂ©e.

 

La thĂ©ologie de l’espĂ©rance

Moltmann est interrogĂ© sur son parcours. Qu’est-ce qui l’a amenĂ© Ă  s’engager dans la rĂ©flexion thĂ©ologique et Ă  Ă©crire « La thĂ©ologie de l’espĂ©rance » ?

Effectivement, au dĂ©part, JĂŒrgen Moltmann Ă©tait davantage intĂ©ressĂ© par les sciences. « Quand j’avais quatorze ans, mon intention Ă©tait d’étudier les mathĂ©matiques et la physique parce que j’étais fascinĂ© par Einstein ». Et puis, JĂŒrgen Moltmann a Ă©tĂ© saisi par la tourmente de la guerre Ă  Hambourg, l’anĂ©antissement de la ville par un bombardement destructeur, son enrĂŽlement dans la Wehrmacht, sa condition de prisonnier de guerre en Grande-Bretagne pendant plusieurs annĂ©es. « Pourquoi ai-je survĂ©cu ? » s’est interrogĂ© Moltmann. Et c’est dans un camp de prisonniers qu’il a dĂ©couvert la voie chrĂ©tienne en la personne de JĂ©sus. Ainsi la thĂ©ologie de l’espĂ©rance n’est pas le produit d’une construction progressiste ; c’est un chemin de foi. « Je pense que je suis un optimiste parce qu’autrement je serais un pessimiste. Je ne suis pas un optimiste par ce que je vois, mais par ce que Ă  quoi je fais confiance lorsque j’écoute l’Evangile. C’est le triomphe de la grĂące sur le pĂ©chĂ©, de l’espĂ©rance sur la haine ».

 

JĂŒrgen Moltmann est donc « l’inventeur » d’une thĂ©ologie de l’espĂ©rance dont on peut Ă©tudier le contexte de formation. Ecoutons simplement la dynamique qui a portĂ© cette thĂ©ologie. « Quand au dĂ©but, j’ai Ă©crit la thĂ©ologie de l’espĂ©rance, il y a maintenant plus de vingt ans, j’ai commencĂ© avec le postulat que, depuis Augustin, l’espĂ©rance chrĂ©tienne avait Ă©tĂ© rĂ©duite par l’Eglise au salut des Ăąmes dans le Ciel par delĂ  la mort, et que, dans cette rĂ©duction, cette espĂ©rance avait perdu sa puissance de changement et de renouvellement de la vie. Mais, dans la thĂ©ologie de l’espĂ©rance, j’ai essayĂ© de prĂ©senter l’espĂ©rance chrĂ©tienne non plus comme une espĂ©rance pour l’au delĂ , mais plutĂŽt comme une puissance de vie qui nous fait vivre. Pour dĂ©velopper cette vision, je me suis fondĂ© sur les promesses bibliques de la nouvelle crĂ©ation, de la rĂ©surrection du corps, du ciel nouveau et particuliĂšrement de la terre nouvelle dans laquelle la justice de Dieu habitera ». JĂŒrgen Moltmann rĂ©pond au dĂ©sarroi du christianisme Ă  une Ă©poque, qui, comme celle d’aujourd’hui, se caractĂ©rise par des changements profonds dans la sociĂ©tĂ© et par une transformation des mentalitĂ©s. « Parce qu’il n’y avait plus d’espĂ©rance pour la sociĂ©tĂ© dans la tradition chrĂ©tienne, nous avons nĂ©gligĂ© la sociĂ©tĂ©. Parce qu’il n’y avait plus d’espĂ©rance pour la terre, nous avons nĂ©gligĂ© la terre et nous l’avons abandonnĂ©e aux forces de destruction que nous voyons autour de nous. Il est grand temps d’ouvrir l’expĂ©rience chrĂ©tienne Ă  sa puissance de vie universelle (all embracing power).

 

Cette nouvelle inspiration thĂ©ologique est venue dans un moment de crise. Comme le note un participant : A l’époque, «  dans les annĂ©es 60, on pouvait se demander oĂč Ă©tait l’espĂ©rance et si le christianisme Ă©tait capable de faire face Ă  la crise ». Cette thĂ©ologie de l’espĂ©rance est un nouvel horizon. « C’est une thĂ©ologie messianique qui nous donne de regarder en avant ». Cela nous permet de sortir de l’individualisme Ă©gocentrĂ© et complaisant d’une idĂ©ologie existentialiste ». « Comme pasteur, il Ă©tait difficile pour moi de prĂȘcher sur la fin des temps et le jugement final. Moltmann nous a permis de dĂ©couvrir qu’il y avait bien plus dans les Ecritures que nous le pensions ». Cette sĂ©quence nous permet de mieux comprendre la rĂ©ception de la pensĂ©e de Moltmann. A certains moments, en regard de l’évolution des mentalitĂ©s, on Ă©prouve le besoin d’un nouveau regard, d’une nouvelle vision thĂ©ologique. Cet exemple reste instructif pour aujourd’hui.

 

 DĂ©bat autour de la thĂ©ologie de JĂŒrgen Moltmann

Ce colloque a permis un partage et un dĂ©bat autour de la thĂ©ologie de Moltmann. En rĂ©ponse aux interrogations, JĂŒrgen Moltmann a pu s’expliquer sur certains points donnant lieu Ă  controverse. Une seconde vidĂ©o rapporte cette explication qui porte sur trois questions : la nature du pouvoir ; la nature de la Trinité ; la nature de la vie aprĂšs la mort. On se reportera aux diffĂ©rents dialogues pour un suivi complet. Voici quelques aperçus.

 

Toute rĂ©flexion s’inscrit dans un contexte. JĂŒrgen Moltmann en a bien conscience. « Je puis avoir une certaine obsession par rapport au pouvoir Ă  cause de mon expĂ©rience personnelle d’un pouvoir aliĂ©nant ». Moltmann a subi le rĂ©gime de l’Allemagne hitlĂ©rienne. Il note qu’un contexte allemand est bien diffĂ©rent d’un contexte anglais. Dans sa thĂ©ologie, Moltmann s’est Ă©levĂ© contre la reprĂ©sentation d’un pouvoir dominateur attribuĂ© Ă  Dieu. Il nous dit que la puissance de Dieu s’exerce dans son auto-dĂ©termination. Personne ne peut limiter Dieu exceptĂ© lui-mĂȘme dans une auto-limitation. « Les hommes ont l’amour du pouvoir, mais Dieu a le pouvoir de l’amour ».

 

A travers son attention au rĂ©cit Ă©vangĂ©lique, JĂŒrgen Moltmann nous dĂ©crit le Dieu trinitaire comme une communion d’amour. « Selon ma comprĂ©hension, on doit partir de l’histoire de JĂ©sus dans sa relation avec Celui qu’il appelait « Abba », cher pĂšre, et avec l’Esprit. L’histoire biblique est l’histoire de la collaboration entre JĂ©sus, Abba et l’Esprit ». C’est une vision qui ne vient pas d’en haut, mais d’en bas. L’unitĂ© de Dieu s’exerce dans la « pĂ©richorĂ©sis », une habitation de l’un dans l’autre. « Le PĂšre est en moi. Je suis dans le PĂšre », dit JĂ©sus.

 

L’approche eschatologique tournĂ©e vers l’avenir de Dieu, prĂ©sente dans la thĂ©ologie de l’espĂ©rance s’est appliquĂ©e largement Ă  la dimension sociale et politique de la vie. Aussi on a pu se demander si la dimension personnelle : la vie aprĂšs la mort, n’était pas nĂ©gligĂ©e. Dans ce bilan, Moltmann reconnaĂźt qu’il avait effectivement trop peu Ă©tudiĂ© cette question. InterpellĂ©e sur cette question par l’épouse d’un ami dĂ©cĂ©dĂ©, il s’est d’autant plus mis Ă  la tĂąche. « Il s’agissait d’achever ce qui avait Ă©tĂ© commencĂ© avec la thĂ©ologie de l’espĂ©rance, non pas de changer, mais de complĂ©ter ». « Dans la grande perspective du Nouveau Testament, les vivants et les morts sont en communion avec le Christ
 « Soit que nous vivions, soit que nous mourrions, nous appartenons au Seigneur, car il est mort et revenu Ă  la vie pour ĂȘtre le Seigneur des morts et des vivants » (Romains 14.8-9)(4).

Ces dialogues nous montrent la thĂ©ologie de Moltmann Ă  un moment de son Ă©volution. C’est une pensĂ©e en  mouvement qui Ă©volue, se rĂ©Ă©quilibre, s’enrichit et va Ă  la dĂ©couverte. Ici, questions, commentaires et rĂ©ponses de Moltmann se complĂštent et font ressortir la dynamique d’une pensĂ©e Ă  l’écoute.

 

La réponse féministe.

Epouse de JĂŒrgen Moltmann et pionniĂšre d’une thĂ©ologie fĂ©ministe, Elisabeth Moltmann-Wendel s’est Ă©galement exprimĂ©e dans ce colloque dĂ©diĂ© Ă  la thĂ©ologie de l’espĂ©rance. Son Ɠuvre s’inscrit en effet dans la mĂȘme perspective. Elle a retravaillĂ© les donnĂ©es chrĂ©tiennes classiques dans une perspective nouvelle. Elle s’est appuyĂ©e sur la sagesse de l’Ancien Testament et sur l’ouverture de JĂ©sus envers les femmes pour crĂ©er un modĂšle biblique inclusif. Elle s’inspire de la justification par la foi pour promouvoir la libĂ©ration des femmes. Et par rapport Ă  un Ă©tat d’esprit rĂ©pressif, elle ose proclamer la valeur de la femme en des termes percutants : « I am good. I am full. I am beautiful » : « Je suis bonne. Je suis unifiĂ©e. Je suis belle ». De fait, par rapport Ă  une reprĂ©sentation restrictive de l’Ɠuvre de Dieu, elle ouvre le regard en citant un verset du Sermon sur la Montagne (Matthieu 5.45) : « Votre PĂšre cĂ©leste fait luire son soleil aussi bien sur les mĂ©chants que sur les bons. Il fait pleuvoir sur ceux qui lui sont fidĂšles comme sur ceux qui ne le sont pas ». Elle proclame un Dieu inconditionnellement aimant.

Cependant, la puissante devise destinĂ©e Ă  libĂ©rer le potentiel des femmes : « Je suis bonne. Je suis unifiĂ©e. Je suis belle » est venue Ă  l’esprit d’Elisabeth en voyant les dĂ©gĂąts engendrĂ©s par une Ă©ducation chrĂ©tienne traditionnelle. Elle frĂ©quentait « des femmes chrĂ©tiennes bien Ă©duquĂ©es, exerçant un grand contrĂŽle sur elles-mĂȘmes, bonnes, faisant du bon travail dans l’Eglise. Je me suis rendu compte qu’elles ne parvenaient pas Ă  s’aimer elles-mĂȘmes. Alors, en rĂ©action, j’ai proclamĂ© ces trois affirmations : Je suis bonne. Je suis unifiĂ©e. Je suis belle. J’empruntais l’idĂ©e d’unitĂ©, de complĂ©tude, de plĂ©nitude (wholeness) Ă  la thĂ©ologie fĂ©ministe qui assume la femme, corps et Ăąme. La rĂ©fĂ©rence Ă  la beautĂ© m’est venue en pensant Ă  la devise : « Black is beautiful » empruntĂ©e au mouvement de libĂ©ration afro-amĂ©ricain ». Mais pourquoi cette « haine de soi » ? En quoi est-elle associĂ©e au christianisme ? « Au commencement du christianisme, dans l’Eglise primitive, la femme Ă©tait pleinement acceptĂ©e. JĂ©sus avait une relation Ă©troite avec des femmes de tout bord : pauvres, discriminĂ©es  » Plus tard, le christianisme est retombĂ© dans le sillage d’une sociĂ©tĂ© et d’une culture patriarcale. Aujourd’hui, dans l’esprit d’une justification par la foi, un Evangile de libĂ©ration est Ă  nouveau Ă  l’oeuvre et permet aux femmes de changer, de passer d’une haine de soi Ă  un amour de soi et de s’accepter holistiquement. Ce changement a bien entendu d’autres aspects : nouveau rapport avec la crĂ©ation, proclamation du partenariat et de la communautĂ© dans les relations de pouvoir.

JĂŒrgen Moltmann, interrogĂ© sur cette question, a certes confirmĂ© le caractĂšre innovant et authentiquement chrĂ©tien de cette thĂ©ologie, mais il s’est exprimĂ© aussi d’une façon plus personnelle.

Il rappelle combien l’éducation des jeunes garçons, des hommes a, elle aussi Ă©tĂ© entĂąchĂ©e par la nĂ©gativitĂ© et la violence. « Vous n’ĂȘtes rien
 vous ne pouvez rien
 vous devez faire. Vous n’ĂȘtes pas bon
 Vous n’ĂȘtes pas unifié  vous n’ĂȘtes pas beau
vous devez faire. Quelle terrible Ă©ducation ! ». Alors JĂŒrgen Moltmann apprĂ©cie le signe de libĂ©ration venant de la thĂ©ologie fĂ©ministe.

 

Ainsi, en 1988, malgrĂ© l’ébranlement culturel des annĂ©es 1960, on enregistrait encore beaucoup de rigiditĂ© dans des milieux chrĂ©tiens. Les filles et les femmes en Ă©taient particuliĂšrement victimes, mais cela touchait aussi les garçons et les hommes. En Ă©tudiant aujourd’hui la communication non violente, on peut constater un impact nĂ©gatif Ă  long terme de cette Ă©ducation associĂ©e Ă  une culture patriarcale et chrĂ©tienne. Aujourd’hui encore, une approche positive du potentiel humain se heurte Ă  un inconscient hĂ©ritĂ©. Ainsi la thĂ©ologie fĂ©ministe, exprimĂ©e dans cette vidĂ©o par Elisabeth Moltmann et Letty Russel, en affinitĂ© avec JĂŒrgen Moltmann, garde sa pertinence aujourd’hui.

 

Une théologie en mouvement.

Depuis 1988, JĂŒrgen Moltmann a Ă©tĂ© invitĂ© Ă  de nombreuses rencontres thĂ©ologiques et ses interventions sont parfois Ă©galement rapportĂ©es dans des vidĂ©os. Alors pourquoi avoir rendu compte de ce colloque organisĂ© par l’Eglise de la TrinitĂ© autour de la thĂ©ologie de l’espĂ©rance ? Il nous semble que ce compte-rendu nous permet de mieux comprendre la production et la rĂ©ception de l’Ɠuvre fondatrice de JĂŒrgen Moltmann dans son contexte historique. Nous dĂ©couvrons comment cette Ɠuvre a rĂ©pondu aux questionnements et aux aspirations des chrĂ©tiens dans un sĂ©rieux dĂ©sarroi Ă  cette Ă©poque. Et certains thĂšmes abordĂ©s dans ce colloque, comme une approche positive du potentiel humain, est encore pertinente aujourd’hui. En Ă©coutant ces interventions, nous percevons une dynamique qui nous interpelle encore aujourd’hui, car, dans un autre contexte, la conjoncture actuelle est troublĂ©e et nous avons besoin de regarder en avant.

Tout est redit par Moltmann dans un livre plus rĂ©cent (5) : « Le christianisme est rĂ©solument tournĂ© vers l’avenir et invite au renouveau. Avoir la foi, c’est vivre dans la prĂ©sence du Christ ressuscitĂ© et tendre vers le futur Royaume de Dieu
 De son avenir, Dieu vient Ă  la rencontre des hommes et leur ouvre de nouveaux horizons qui dĂ©bouchent sur l’inconnu et les invite Ă  un commencement nouveau ».

Ajoutons que le fonctionnement mĂȘme de ce colloque dans les interactions entre les organisateurs, Frederic Burnham et Leonard Freeman, le questionnement et le commentaire des thĂ©ologiens et les rĂ©ponses de JĂŒrgen Moltmann nous permet de mieux comprendre la nature de la rĂ©flexion thĂ©ologique au carrefour entre le donnĂ© des Ecritures et les maniĂšres de penser engendrĂ©es par l’évolution de la culture. C’est un Ă©clairage pour le monde d’aujourd’hui.

 

J H

 

(1)            Pour connaĂźtre l’Ɠuvre et la pensĂ©e de JĂŒrgen Moltmann, lire son autobiographie : JĂ»rgen Moltmann. A broad place.An autobiography. SCM Press, 2007. PrĂ©sentation : « Une thĂ©ologie pour notre temps. L’autobiographie de JĂŒrgen Moltmann » : http://www.temoins.com/une-theologie-pour-notre-temps-lautobiographie-de-juergen-moltmann/ et http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=695

Se reporter Ă©galement au blog dĂ©diĂ© Ă  l’Ɠuvre de JĂŒrgen Moltmann : L’Esprit qui donne la vie (bientĂŽt renouvelĂ©) : http://www.lespritquidonnelavie.com

Sur ce blog, plus particuliÚrement les articles suivants :

« Une théologie pour la vie » : https://vivreetesperer.com/?p=1917

« L’avenir inachevĂ© de Dieu » : https://vivreetesperer.com/?p=1884

« Dieu vivant, Dieu prĂ©sent, Dieu avec nous dans un monde oĂč tout se tient » : https://vivreetesperer.com/?p=2267 « Le Dieu vivant et la plĂ©nitude de vie » : https://vivreetesperer.com/?p=2413

(2)             « La thĂ©ologie de l’espĂ©rance », dans sa version allemande, est paru en 2004 et dans sa version anglaise en 2007.  Dans sa version française, il est paru au Cerf en 1970

(3)            Colloque organisĂ© par Trinity Church (New York) : Love : The foundation of hope. A celebration of the life and work of JĂŒrgen Moltmann and Elisabeth Moltmann-Wendel : 4 vidĂ©os sur You Tube : A theology of hope : https://www.youtube.com/watch?v=0GBb8–Ic3I&t=354s      Theology of hope : critiques and questions :  https://www.youtube.com/watch?v=wqJYaKB9sFs&t=7s     The feminist response : https://www.youtube.com/watch?v=HXz4WDU6iyQ Theology of hope. The church and the world : https://www.youtube.com/watch?v=uWPKdlLDLgI&t=364s

(4)            Sur ce blog : « Vivants et morts, ensemble, en Christ ressuscité » : https://vivreetesperer.com/?p=2221

(5)            JĂŒrgen Moltmann. De commencements en recommencements. Une dynamique d’espĂ©rance. Empreinte. Temps prĂ©sent, 2012 Citation : p 109-110 Sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=572

Vivant dans un monde vivant

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Changer intérieurement pour vivre en collaboration.

ApartĂ© avec Thomas d’Ansembourg recueilli par Michel de Kemmeter.

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         Dans la vie sociale et Ă©conomique, nous ressentons la requĂȘte d’une plus grande collaboration entre les acteurs, entre les personnes. Mais cette requĂȘte elle-mĂȘme appelle un changement dans nos attitudes et nos comportements, une transformation personnelle. Thomas d’Ansembourg est bien placĂ© pour nous rĂ©pondre. En effet, Ă  partir d’une carriĂšre d’avocat et, parallĂšlement, d’un engagement Ă©ducatif auprĂšs de jeunes dans la rue. Il a choisi une nouvelle orientation en se formant Ă  diffĂ©rentes approches psychothĂ©rapeutiques et particuliĂšrement Ă  la mĂ©thode de communication non violente. Il est devenu psychothĂ©rapeute, confĂ©rencier, animateur de sessions de formation. Au cours des derniĂšres annĂ©es, il a Ă©crit trois livres qui ont Ă©tĂ© apprĂ©ciĂ©s par une vaste audience (1).  Dans une rĂ©cente vidĂ©o (2), Thomas d’Ansembourg rĂ©pond aux questions de Michel de Kemmeter, ingĂ©nieur et consultant engagĂ© lui aussi dans une Ɠuvre de recherche et de formation pour « un dĂ©veloppement durable de l’humain (3).

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Une vie en transformation.

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« J’ai besoin de me sentir vivant dans un monde vivant ».

         Comment Thomas d’Ansembourg envisage-t-il son travail ?  Il « accompagne les personnes Ă  travers les mĂ©andres de l’existence pour trouver plus de sens et de paix intĂ©rieure parce que c’est dans cet esprit qu’on est gĂ©nĂ©reux et qu’on est crĂ©atif ». Et il rencontre une grande aspiration. « De plus en plus de personnes rĂ©alisent qu’ils ont besoin  de se sentir vivant dans un monde vivant, que c’est lĂ  l’essence de l’existence . J’ai besoin de me sentir vivant dans un monde vivant. La notion d’appartenance est fondamentale. Nous ne sommes pas tout seul. Nous aimons nous sentir reliĂ©s Ă  la vie en nous, Ă  la vie en l’autre, Ă  quelque chose qui va trĂšs largement au delĂ  de nous, que les religions appellent Dieu, mais que l’on peut appeler la vie, la prĂ©sence, l’amour ».

 

         Une conscience nouvelle apparaĂźt . La vision s’élargit. On ne se satisfait plus de vivre dans son petit monde Ă  soi ». « Ce n’est pas comme cela qu’on est heureux. Nous serons heureux dans des rapports de collaboration, de synergie, de cocrĂ©ation, dans le partage,dans la solidarité ».  Ce qui nous Ă©tait enseignĂ© autrefois comme une morale en terme d’obligations venant de l’extĂ©rieur apparaĂźt de plus en plus comme une aspiration Ă  une nouvelle maniĂšre d’ĂȘtre et de vivre. On recherche « les ingrĂ©dients, les clefs d’un bien-ĂȘtre ensemble ». « C’est Ă  vivre de l’intĂ©rieur. C’est Ă  instaurer ».

         Ainsi des vies se transforment. Thomas d’Ansembourg a vĂ©cu cette transformation. DĂ©jĂ , parallĂšlement Ă  une premiĂšre carriĂšre, celle d’avocat, il s’était engagĂ© dans un engagement Ă©ducatif bĂ©nĂ©vole

auprĂšs de jeunes de la rue. « je me suis vite rendu compte que, derriĂšre la violence sur les autres, sur les choses, sur les gens, la violence retournĂ©e contre soi, il y a un magnifique Ă©lan de vie, l’élan d’appartenir, d’avoir sa place, l’élan de trouver un soutien, d’ĂȘtre utile, de faire quelque chose de sa vie. Quand cet Ă©lan est bridĂ©, est empĂȘchĂ©, alors la violence s’instaure. Aider les gens Ă  trouver leur Ă©lan de vie, Ă  dĂ©ployer le meilleur d’eux-mĂȘmes, cela a fait sens pour moi ». Cette aspiration au partage se manifeste dans des milieux diffĂ©rents et, par exemple, chez certains chefs d’entreprises qui souffrent de leur isolement. Ils ont besoin de vision partagĂ©e,de direction collĂ©giale.

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Vivre pleinement. Accepter d’ĂȘtre heureux.

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« Nous avons Ă  dĂ©manteler l’interdit d’ĂȘtre heureux »

         Il y a donc actuellement une Ă©volution profonde dans les aspirations. C’est un enjeu d’ordre psycho-spirituel ». Cependant,face Ă  ce mouvement, il y a aussi des rĂ©sistances. Thomas d’Ansembourg diagnostique un empĂȘchement dans une crainte intĂ©rieure, celle d’ĂȘtre heureux. « Être heureux est ressenti comme une menace ». Il y a comme « un sabotage de la capacitĂ© d’accĂšs au bonheur ». « C’est le travail sur moi, notamment psychothĂ©rapeutique, qui m’a permis  de comprendre mon propre mĂ©canisme d’auto-sabotage ».

         Thomas d’Ansembourg Ă©voque l’expression : « On est pas lĂ  pour rigoler ». Il faut nous dĂ©faire de cette pensĂ©e. « Cette petite phrase, nous l’avons connu avec le lait maternel et, en tout cas, la culture ambiante.. il faut se battre dans la vie..La vie est une lutte. On a ce qu’on mĂ©rite..  Tous ces petits conditionnements gĂ©nĂšrent inĂ©vitablement l’idĂ©e que la vie est un combat  » . Et ce qu’on voit Ă  la tĂ©lĂ©vision nous conforte dans ce sens. « Nous avons Ă  dĂ©manteler l’interdit d’ĂȘtre heureux ». On est lĂ  pour rigoler ou plus largement, « On est lĂ  pour s’enchanter, pour s’émerveiller, pour goĂ»ter la jubilation du vivant ». C’est cela qui fait sens. On peut Ă©voquer des joies collectives : une table d’amis, une fĂȘte.. « Nous sommes lĂ  pour goĂ»ter le plaisir d’ĂȘtre en vie. Et, Ă  ce moment lĂ , je n’ai plus le dĂ©sir d’accaparer des richesses ».

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Un changement collectif. Une mutation en cours.

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« L’utopie n’est pas un Ă©garement. C’est tendre vers un autre lieu ».

         Dans son dialogue avec Thomas d’Ansembourg, Michel de Kemmeter inscrit ces questions dans le va et vient entre le personnel et le collectif . Comment notre sociĂ©tĂ© Ă©volue-t-elle ? Vers oĂč va-t-on ? Ainsi passe-t-on actuellement de l’économie de nos parents centrĂ© sur l’accumulation et la croissance Ă  une Ă©conomie que nous imaginons plus collaborative et porteuse davantage de progrĂšs humain. Si le changement commence par soi, comment est-ce que cela dĂ©bouche sur le plan collectif ?

         La rĂ©ponse de Thomas d’Ansembourg s’ouvre dans deux directions . Et tout d’abord, il envisage « un effet de masse critique, une bascule de la conscience, un effet d’entraĂźnement ». Et, Ă  l’appui de cette perspective, il Ă©voque de nombreux exemples. Les gens d’aujourd’hui, et particuliĂšrement les jeunes,  se familiarisent  plus rapidement qu’autrefois avec de nouvelles pratiques. La « Learning curve », le temps passĂ© pour apprendre une chose nouvelle se raccourcit d’annĂ©e en annĂ©e. « Nous pouvons espĂ©rer cela pour le phĂ©nomĂšne d’ouverture de cƓur ».

         Et ensuite, pour favoriser le changement, il faut faire connaĂźtre la vision nouvelle qui est en train de se dĂ©velopper. Nous ne sommes pas sur terre pour ĂȘtre limitĂ©s et dĂ©pressifs, mais pour « un joyeux dĂ©ploiement de notre ĂȘtre dans une cohabitation heureuse avec les autres » . Et il est urgent de faire savoir qu’il existe des processus, des mĂ©canismes, des apprentissages pour entrer dans cette nouvelle maniĂšre de voir et de sentir. Ainsi, face aux conditionnements individuels et collectifs, on peut envisager « une nouvelle façon d’ĂȘtre au monde ». « L’utopie n’est pas un Ă©garement, c’est tendre vers un autre lieu ».

         En dialogue avec Michel de Kemetter, Thomas d’Ansembourg nous invite Ă  oser en rĂ©alisant que nous ne sommes pas seul. Ainsi, Ă  la suite de ses confĂ©rences, beaucoup de gens viennent le voir en lui disant : « Vous mettez des mots sur ce que je ressens ». Thomas d’Ansembourg a beaucoup travaillĂ© sur la gestion non violente des conflits. Il cherche Ă  promouvoir une communication non violente. Pour lui, pas de doute ! Elle va entrer progressivement dans les apprentissages fondamentaux. « C’est la rĂ©alitĂ© de demain ». Pouvait-on imaginer, il y a vingt cinq ans, la gĂ©nĂ©ralisation du tĂ©lĂ©phone portable ? « Toute la rĂ©alitĂ© d’aujourd’hui correspond au rĂȘve d’hier ».

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Inspiration spirituelle et « intériorité citoyenne ».

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« Ouvrons un espace d’intĂ©rioritĂ© dans lequel « le souffle » puisse souffler »

         Face aux conditionnements actuels, le changement est contrariĂ© par notre peur : « Peur de sortir des sentiers battus, peur d’entreprendre, peur de lĂącher quelque chose ». Toute notre sociĂ©tĂ© est conditionnĂ©e par la peur. Comment faire bouger cela ? Quels sont les leviers ? demande Michel de Kemmeter.

          La rĂ©ponse de Thomas d’Ansembourg entre ici sur le registre spirituel. « Pour moi, c’est le travail d’intĂ©rioritĂ© et d’ouverture spirituelle ». « Toute la peur vient dans la croyance que nous avons et sur l’illusion que nous sommes seul et que nous devons lutter pour dĂ©fendre notre petite posture. Nous ne sommes pas tout seul. Ne serait-ce que gĂ©nĂ©tiquement ! Nous ne sommes pas dans la nature. Nous sommes de la nature  ».

         Prenons « conscience de ce quelque chose qui va au delĂ  de nous en ouvrant un espace d’intĂ©rioritĂ©, un espace de ressourcement dans lequel le souffle puisse souffler ».  Chacun mettra le mot qu’il veut sur le mot « souffle » : discernement de la conscience au sens laĂŻc, de la grĂące ou de l’esprit comme le proposent certaines religions, de la prĂ©sence.. Puisons dans cet ĂȘtre ce qui semble effectivement nous inspirer, nous parler quelque soient les mots qu’on emploie. Nous avons lĂ  une ressource extraordinaire pour nous transformer dĂšs que nos dĂ©ployons cet espace intĂ©rieur ».

         Et dans cette perspective, il nous faut Ă©largir notre culture. « Quittons la tentative Ă©videmment dĂ©sespĂ©rĂ©e de tout comprendre mentalement et de tout gĂ©rer mentalement 
 La petite intelligence logico-mathĂ©matique qui nous a si bien servi, n’est pas le seul canal d’apprĂ©hension et de transformation du monde. Il est urgent de dĂ©couvrir d’autres canaux ». Et il y a plus que les huit formes d’intelligence qui ont Ă©tĂ© rĂ©cemment reconnues. « Je vois des transformations extraordinaires chez ceux qui entrent dans cet espace intĂ©rieur, qui acceptent de laisser Ă  sa place, Ă  sa juste place, la comprĂ©hension intellectuelle, mentale, logique, et entrent dans des comprĂ©hensions plus subtiles dans lesquelles le souffle peut s’instaurer ».

         « J’encourage profondĂ©ment Ă  un travail d’ouverture spirituelle qui peut se vivre de façon religieuse pour ceux qui trouvent un soutien dans la religion, mais qui peut, bien, sĂ»r, se vivre dans bien d’autres formes. On parle de plus en plus de spiritualitĂ© laĂŻque. Et je pense que cette notion peut encourager les gens qui n’ont pas trouvĂ© de sens dans une pratique religieuse Ă  retrouver un cheminement spirituel en sorte de pouvoir sentir ce soutien, cette inspiration
 Je pense que c’est cela qui peut nous aider Ă  transformer notre vie et Ă  quitter la peur : sentir que nous sommes inspirĂ©s, que nous sommes portĂ©s, que nous sommes soutenus  ». Si je veux ĂȘtre en phase avec cet Ă©lan de vie, alors ma vie se transforme.

         Thomas d’Ansembourg a fait cette expĂ©rience. Et pour lui, ce message a une portĂ©e qui est Ă  la fois individuelle et collective. Et c’est pour cela qu’il a crĂ©Ă© le terme d’ « intĂ©rioritĂ© citoyenne ». Car « un citoyen pacifiĂ© est un citoyen pacifiant » . La vie intĂ©rieure n’est pas dĂ©connectĂ©e de l’action comme les exemples de Gandhi et de Mandela nous le montrent. En rĂ©ponse Ă  Michel de Kemetter,Thomas d’Ansembourg nous dit comment il intervient aujourd’hui pour permettre Ă  cette expĂ©rience de se propager dans la vie des entreprises et dans les Ă©coles qui forment les jeunes cadres. Peu Ă  peu, cette vision commence Ă  se rĂ©pandre .

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Un nouvel horizon.

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         La vision et l’Ɠuvre de Thomas d’Ansembourg s’inscrivent dan une sociĂ©tĂ© et une culture en mutation. C’est dans ce contexte qu’il peut exprimer une dynamique qui envisage le potentiel humain dans une perspective positive, voire optimiste. Ainsi affirme-t-il une nouvelle maniĂšre d’ĂȘtre et de vivre qui exprime le bonheur dans un mouvement de gĂ©nĂ©rositĂ©. « Nous sommes lĂ  pour goĂ»ter le plaisir de la vie ».

         En entendant ces paroles dans une perspective historique, on a conscience qu’elles tranchent avec le pessimisme hĂ©ritĂ©s de millĂ©naires au cours desquels l’humanitĂ© a luttĂ© pour survivre face aux famines, aux Ă©pidĂ©mies , aux massacres, aux guerres meurtriĂšres.  Cette mĂ©moire douloureuse s’est inscrite dans un Ă©tat d’esprit. Elle a influĂ© sur la tradition religieuse. Les empĂȘchements qui font obstacles aujourd’hui Ă  une nouvelle maniĂšre de vivre ne sont donc pas seulement psychologiques. Ils remontent Ă  un passĂ© collectif. Et, aujourd’hui encore, selon notre situation sociale ou gĂ©ographique, nous sommes plus ou moins confrontĂ©s Ă  des maux collectifs qui viennent assombrir notre horizon.

         C’est dire que l’option, non seulement dĂ©clarĂ©e, mais aussi expĂ©rimentĂ©e par Thomas d’Ansembourg, tire sa lĂ©gitimitĂ© non seulement d’une expĂ©rience positive, mais aussi d’un climat nouveau qui rĂ©sulte d’un changement en profondeur de notre sociĂ©tĂ©, de notre Ă©conomie et de notre culture et ouvre de nouveaux possibles . Ce changement a commencĂ© dans un tournant qui est apparu au XVIIIĂš siĂšcle. On a pu dire que c’est le moment  oĂč le bonheur est apparu comme « une idĂ©e neuve en Europe ». Et la Constitution amĂ©ricaine  a donnĂ© droit Ă  « la poursuite du bonheur ». Cette Ă©volution s’est poursuivie et elle s’est accĂ©lĂ©rĂ©e au cours des derniĂšres dĂ©cennies. Nous sommes entrĂ©s aujourd’hui dans une mutation sociale et culturelle qui n’est pas sans risques, mais qui est aussi trĂšs prometteuse.

         Conscient des dangers et des menaces , c’est en regardant le positif qu’on peut aller de l’avant. Dans son livre : « Une autre vie est possible » (4), Jean-Claude Guillebaud rĂ©fute le pessimisme systĂ©matique et nous invite au mouvement dans l’espĂ©rance. On peut percevoir aujourd’hui dans les mentalitĂ©s une Ă©volution qui rompt avec les sĂ©quelles du passĂ© et se traduit dans des comportements nouveaux. Ainsi, le livre de Jacques Lecomte sur « la bontĂ© humaine »  (5) fonde « une psychologie positive ».  JĂ©rĂ©mie Rifkin, dans une belle fresque historique, met en Ă©vidence une montĂ©e de l’empathie (6). Au titre de la spiritualitĂ©, dans son livre sur « la guĂ©rison du monde » (7). FrĂ©dĂ©ric Lenoir apporte une contribution trĂšs informĂ©e dans la mĂȘme orientation.  En particulier, il met en Ă©vidence un phĂ©nomĂšne rĂ©cent : une conjonction croissante entre la spiritualitĂ© personnelle et l’engagement dans le monde. La notion d’ « intĂ©rioritĂ© citoyenne » mise en avant par Thomas d’Ansembourg s’inscrit dans cette conjonction. 

         Thomas d’Ansembourg invite les acteurs dans la sociĂ©tĂ© et l’économie Ă  entrer dans une ouverture spirituelle. A cet Ă©gard, il rejette les exclusivismes et les querelles de chapelle. Il y a aujourd’hui  une aspiration profonde en ce domaine. Ainsi, sur ce blog, Jean-Claude Schwab met en Ă©vidence un besoin d’ancrage et propose une approche chrĂ©tienne de mĂ©ditation (8).

         Si le christianisme a Ă©tĂ© marquĂ© par un hĂ©ritage du passĂ© aujourd’hui contre productif, il a aussi souffert de la confusion avec le pouvoir impĂ©rial romain intervenu sous Constantin.  Auparavant,le message de l’Evangile avait portĂ©, pendant des dĂ©cennies, paix, libĂ©ration, guĂ©rison. Les chrĂ©tiens Ă©taient « le peuple de la Voie » (« The people of the way » (9).

         Cependant, malgrĂ© les dĂ©tournements intervenus au cours des siĂšcles, nous croyons, avec le thĂ©ologien JĂŒrgen Moltmann (10) que le christianisme se caractĂ©rise par une dynamique d’espĂ©rance : « Que le Dieu de l’espĂ©rance vous remplisse de toute joie et de toute paix dans la foi,pour que vous abondiez en espĂ©rance, par la puissance du Saint Esprit » (Romains 15, 13). « Nulle part ailleurs dans le monde des religions, Dieu n’est liĂ© Ă  l’espĂ©rance humaine de l’avenir
 Un Dieu de l’espĂ©rance qui marche « devant nous », en nous prĂ©cĂ©dant dans le dĂ©roulement de l’histoire, voilĂ  qui est nouveau. On ne trouve cette  notion que dans le message de la Bible. C’est le Dieu de l’exode d’IsraĂ«l
 Cest le Dieu de la rĂ©surrection de JĂ©sus-Christ.. De son avenir, Dieu vient Ă  la rencontre des hommes et leur ouvre de nouveaux horizons qui dĂ©bouchent sur l’inconnu et les invite Ă  un commencement nouveau » (11).

         Dans son livre : « L’Esprit qui donne la vie » (12), JĂŒrgen Moltmann nous rappelle, Ă  la suite de l’expression hĂ©braĂŻque : « Ruah Yahweh » que l’Esprit de Dieu est prĂ©sent Ă  la fois dans la crĂ©ation et dans la rĂ©demption. Lorsqu’il Ă©crit : « L’expĂ©rience de la puissance de la rĂ©surrection et la relation Ă  la puissance divine ne conduisent pas Ă  une spiritualitĂ© qui exclut les sens,  qui est tournĂ©e vers l’intĂ©rieur, hostile au corps et sĂ©parĂ©e du monde, mais Ă  une vitalitĂ© nouvelle de l’amour et de la vie « (12 a), il nous invite Ă  une spiritualitĂ© engagĂ©e qui n’est pas en dissonance avec la perspective exprimĂ©e par Thomas d’Ansembourg.

         A une Ă©poque oĂč on prend conscience de plus en plus des interconnections et des interrelations dans un monde oĂč tout se tient, Moltmann nous apporte une vision thĂ©ologique en phase avec cette prise de conscience. « Si l’Esprit Saint est rĂ©pandu sur toute la crĂ©ation, il fait de la communautĂ© de toutes les crĂ©atures avec Dieu et entre elles, cette communautĂ© de la crĂ©ation dans laquelle toutes les crĂ©atures communiquent, chacune Ă  sa maniĂšre et avec Dieu
 Tout existe, vit et se meut dans l’autre, l’un dans l’autre, l’un pour l’autre, dans les structures cosmiques de l’Esprit Saint.. L’essence de la crĂ©ation dans l’Esprit est, par consĂ©quent, la « collaboration » et les structures manifestent la prĂ©sence de l’Esprit, dans la mesure oĂč elles font reconnaĂźtre l’ « accord gĂ©nĂ©ral »  « Au commencement Ă©tait la relation » (M Buber » (13) . Cette vision nous paraĂźt propice Ă  la comprĂ©hension de la grande mutation dans laquelle le monde est engagĂ© et elle nous rappelle la pensĂ©e de Thomas d’Ansembourg lorsque celui-ci s’écrie : « J’ai besoin de me sentir vivanr dans un monde vivant
 Nous ne sommes pas tout seuls. Nous aimons nous sentir reliĂ©s Ă  la vie, en nous, en l’autre, Ă  quelque chose qui va largement au delĂ  de nous.. Nous ne sommes pas dans la nature.. Nous sommes de la nature ».

         Nous assistons aujourd’hui Ă  une Ă©volution profonde des mentalitĂ©s. MalgrĂ© les obstacles hĂ©ritĂ©s du passĂ© (14), de nouvelles formes de convivialitĂ© Ă©mergent (15). Dans les diffĂ©rents registres de la vie sociale et Ă©conomique, portĂ©s par internet, de nouveaux modes de collaboration apparaissent et se dĂ©veloppent au point qu’on puisse dĂ©jĂ  parler de « sociĂ©tĂ© collaborative » (16). L’apartĂ©, recueilli par Michel de Kemmeter auprĂšs de Thomas d’Ansembourg, s’inscrit dans la recherche qui se propose d’éclairer les changements en cours dans la sociĂ©tĂ© et dans l’économie pour baliser des voies nouvelles. Dans cette vidĂ©o, Thomas d’Ausembourg s’inscrit dans  le mouvement actuel oĂč les gens ressentent le besoin d’une maniĂšre nouvelle d’ĂȘtre et de vivre, et, Ă  partir de sa culture, de sa recherche et de son expĂ©rience, il nous invite Ă  entrer dans une dĂ©marche spirituelle. Ce dialogue animĂ© et chaleureux entre Thomas d’Ausembourg et Michel de Kemetter   apportent des Ă©clairages qui nous ouvrent Ă  des comprĂ©hensions nouvelles. C’est une vidĂ©o  suggestive et Ă©clairante qui nous invite Ă  une rĂ©flexion en profondeur tant en rapport avec notre existence personnelle qu’avec notre vie en sociĂ©tĂ©.

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J.H.

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(1)            On trouvera la biographie de Thomas Ausembourg sur son site : http://www.thomasdansembourg.com/fr/index.html  Il nous y propose aussi des ressources. Au cours de la dezrniĂšre dĂ©cennie, Thomas d’Ausembourg a Ă©crit trois livres qui ont Ă©tĂ© lus par une vaste audience : « Cessez d’ĂȘtre gentil. Soyez vrai » (2001) ; « Etre heureux. Ce n’est pas nĂ©cessairement confortable » ( 2004) : « Qui fuis-je ? OĂč cours-tu ? A quoi servons-nous ? Vers l’intĂ©rioritĂ© citoyenne » (2008).

(2)            ApartĂ© avec Thomas d’Ansembourg sur le dĂ©veloppement humain et sociĂ©tal, recueilli par Michel de Kemmeter (Master in systemic economy. The systemic economy and you. UHDR Universe City) http://www.youtube.com/watch?v=X2Z_wzM9N2Q

(3)            ItinĂ©raire de Michel de Kemmeter sur Wikipedia : http://en.wikipedia.org/wiki/Michel_de_Kemmeter  IngĂ©nieur, consultant, Michel de Kemmeter est devenu chercheur, formateur, confĂ©rencier pour la prise en compte de la rĂ©alitĂ© humaine dans l’économie. Il a publiĂ© un livre sur « la valeur du temps (Ed Racine, 2006) . Il a crĂ©Ă© un rĂ©seau de rĂ©flexion et de recherche sur le dĂ©veloppement humain et sociĂ©tal (Universal human development and research (UHDR) Dans ce cadre, il a rĂ©alisĂ© un ensemble d’interviews sur vidĂ©o qui peuvent ĂȘtre consultĂ©es sur le web. C’est une ressource prĂ©cieuse.

(4)            Présentation du livre de Jean-Claude Guillebaud : « Une autre vie est possible ».  Sur ce blog : « Quel avenir pour le monde et pour la France »  https://vivreetesperer.com/?p=937

(5)            Présentation du livre de Jacques Lecomte : « La bonté humaine. Altruisme, empathie, générosité ». Sur ce blog : « La bonté humaine. Est-ce possible ? » https://vivreetesperer.com/?p=674

(6)            PrĂ©sentation du livre de JĂ©rĂ©mie Rifkin : « Une conscience nouvelle pour un monde en crise. Vers une civilisation de l’empathie ». Sur le site de TĂ©moins : « Vers une civilisation de l’empathie » http://www.temoins.com/etudes/vers-une-civilisation-de-l-empathie.-a-propos-du-livre-de-jeremie-rifkin.apports-questionnements-et-enjeux.html

(7)            PrĂ©sentation du livre de FrĂ©dĂ©ric Lenoir : « La guĂ©rison du monde ». Sur ce blog : « Un chemin de guĂ©rison pour l’humanité » https://vivreetesperer.com/?p=1048

(8)            Propos de Jean-Claude Schwab : « Accéder au fondement de son existence ». Sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=1295

(9)            Présentation du livre de Harvey Cox : « The future of faith ». Sur le site de Témoins : « Quel horizon pour la foi chrétienne ? » http://www.temoins.com/publications/quel-horizon-pour-la-foi-chretienne-the-future-of-faith-par-harvey-cox.html

(10)      PrĂ©sentation de la pensĂ©e thĂ©ologique de JĂŒrgen Moltmann   sur le blog Ă  l’intention d’un large public : « L’Esprit qui donne la vie » : http://www.lespritquidonnelavie.com/

(11)      Moltmann (JĂŒrgen). De commencements en recommencements. Une dynamique d’espĂ©rance. Empreinte, 2012. Citation p. 109. PrĂ©sentation du livre sur ce blog : « une dynamique de vie et d’espĂ©rance » https://vivreetesperer.com/?p=572

(12)      Moltmann (JĂŒrgen). L’Esprit qui donne la vie. Cerf, 1999. 12a : p. 27

(13)      Moltmann (JĂŒrgen). Dieu dans la crĂ©ation. TraitĂ© Ă©cologique de la crĂ©ation. Cerf, 1988. Citation p. 24-25

(14)      D’aprĂšs les travaux de Yann Algan, la dĂ©fiance est plus rĂ©pandue en France que dans d’autres pays. Pourquoi ? Comment y remĂ©dier ?: « Promouvoir la confiance dans une sociĂ©tĂ© de dĂ©fiance », sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=1306

(15)      « Émergence d’espaces conviviaux et aspirations contemporaines. TroisiĂšme lieu (« Third place » et nouveaux modes de vie », sur le site de TĂ©moins : http://www.temoins.com/index.php?option=com_content&view=article&id=1012&catid=4  Comment envisager la montĂ©e de la convivialitĂ© et de la collaborativitĂ© dans une vision d’avenir ? la thĂ©ologie de JĂŒrgen Moltmann  nous aide Ă  rĂ©pondre Ă  cette question : « Une vision de la libertĂ©. Comment vivre ensemble entre ĂȘtres humains », sur le blog : Vivre et espĂ©rer : https://vivreetesperer.com/?p=1343

(16)      Deux livres rĂ©cents viennent mettre en Ă©vidence le dĂ©veloppement et la vitalitĂ© de cette nouvelle « sociĂ©tĂ© collaborative » : Novel (Anne-Sophie), Riot (StĂ©phane).Vive la corĂ©volution ! Pour une sociĂ©tĂ© collaborative. Alternatives, 2012 ; Manier (BĂ©nĂ©dicte). Un million de rĂ©volutions tranquilles. Les liens qui libĂšrent, 2012 . Sur RFI , « C’est pas du vent » animĂ©e par Anne-CĂ©cile Bras, dimanche 23 juin 2013, une Ă©mission sur ce thĂšme : « la vie Share. Le partage, c’est maintenant » : « Échanger nos biens, nos savoirs entre citoyens d’un mĂȘme pays ou d’une mĂȘme planĂšte, le tout grĂące Ă  internet . La rĂ©volution collaborative, nĂ©e il y a dix ans aux Etats-Unis, est en plein essor en Europe ».

La vision du monde selon le Nouveau Testament

La vision du monde selon le Nouveau Testament

D’aprĂšs N T Wright, exĂ©gĂšte et thĂ©ologien  anglais

Au dĂ©part, dans les annĂ©es 1970, N T Wright (1) est un exĂ©gĂšte innovant qui prend en compte le milieu et la culture de l’époque oĂč JĂ©sus a vĂ©cu et oĂč l’Évangile s’est propagĂ©. Son parcours s’est poursuivi dans des fonctions pastorales. De 2003 Ă  2010, il est Ă©vĂȘque anglican de Durham. N T Wright a Ă©crit de nombreux livres. Il prĂ©sente dans leur contexte les livres du Nouveau Testament pour le grand public. ThĂ©ologien, il met l’accent sur le rĂŽle majeur de Paul (2). Il proclame la rĂ©alitĂ© fondamentale de la rĂ©surrection. Il prĂ©sente la foi chrĂ©tienne Ă  un grand public dans une vision dynamique. Ainsi, dans un livre bien accueilli : « Surprised by Hope », Wright met en avant l’accent sur la RĂ©surrection comme un fondement de l’espĂ©rance partagĂ©e par tous les chrĂ©tiens. Il critique la polarisation sur une conception du salut comme « aller au ciel quand vous mourrez ». Il s’élĂšve contre la doctrine de « l’enlĂšvement de l’Église », prisĂ©e par certains milieux aux Etats-Unis.

Or, en 2019, NT Wright, avec MichaĂ«l F Bird vient de rĂ©aliser une grande Ɠuvre, un livre de prĂšs de mille pages, une « introduction Ă  l’histoire, Ă  la littĂ©rature et Ă  la thĂ©ologie des premiers chrĂ©tiens » : « The New Testament and its world » (le Nouveau Testament et son monde » (3). Ce livre est « votre chemin de passage du XXIĂš siĂšcle Ă  l’ùre de JĂ©sus et des premiers chrĂ©tiens ». Il « replace le Nouveau Testament et le premier christianisme dans son contexte original ». « Rassemblant plusieurs dĂ©cennies de la recherche innovante de NT Wright, cet ouvrage prĂ©sente les livres du Nouveau Testament comme un phĂ©nomĂšne historique, littĂ©raire et social localisĂ© dans le monde du judaĂŻsme du Second Temple au milieu de l’univers politique et culturel grĂ©co-romain et Ă  l’intĂ©rieur du premier christianisme ». (Page de couverture). Un commentateur peut Ă©crire : « « La grande et hardie interprĂ©tation du Nouveau Testament construite par NT Wright parait ici dans un volume accessible ». Cet ouvrage est donc destinĂ© Ă  nous permettre de lire intelligemment le Nouveau Testament, mais son auteur NT Wright dĂ©sire Ă©galement que cette lecture compte pour nous aujourd’hui : « Making the New Testament matter for today » (p 878). Ainsi, le dernier chapitre s’intitule : « Bringing it all together ».  En quoi tout ceci nous concerne et importe pour nous ? Nous dĂ©bouchons ici sur une vision du monde.

 

Rendre le Nouveau Testament pertinent pour aujourd’hui

« Naturellement, le Nouveau Testament porte une foi Ă  confesser ». Cependant, « la vĂ©ritĂ© dont parle le Nouveau Testament est toujours profondĂ©ment personnelle. C’est une personne, JĂ©sus, le Messie d’IsraĂ«l et le Seigneur du monde, Celui dans lequel la vĂ©ritĂ© de Dieu est incarnĂ©e et son projet accompli. En derniĂšre analyse, la vĂ©ritĂ© biblique n’est pas une sĂ©rie de propositions Ă  mettre dans leur ordre logique. C’est une l’histoire, une histoire qui culmine dans le Messie d’IsraĂ«l, JĂ©sus, et trouve son issue ultime dans la nouvelle crĂ©ation finale » (p 879). NT Wright situe le Nouveau Testament par rapport Ă  l’Ancien. Les citations de ce dernier ne sont pas tant un mode de preuve. « Les premiers chrĂ©tiens se virent eux-mĂȘmes comme s’inscrivant dans des rĂ©cits de crĂ©ation, l’exil d’IsraĂ«l et l’espoir d’un nouvel exode dans le rĂ©cit de l’évangile de l’église »  Ainsi, « Abraham s’inscrit dans une grande histoire, celle d’IsraĂ«l de telle maniĂšre qu’Abraham est le point de dĂ©part de l’opĂ©ration divine de sauvetage, le Messie Ă©tant la conclusion dramatique et inattendue en charge de mettre le tout en pratique. La communautĂ© croyante est le peuple Ă  la dimension du monde sous la conduite de l’Esprit ». L’auteur s’interroge sur les rĂ©sistances de certains vis-Ă -vis de ce narratif, soit qu’il leur apparaisse comme rĂ©duisant la grĂące Ă  un simple surplus d’un progrĂšs historique immanent, soit qu’il soit confondu avec une pensĂ©e HĂ©gĂ©lienne. Mais « quand nous saisissons le monde de la pensĂ©e et particuliĂšrement le monde narratif du Second Temple, des juifs, tels que Paul, Pierre et Jean
. nous voyons comment, pour eux, la bonne nouvelle de JĂ©sus le Messie, crucifiĂ© et ressuscitĂ© faisait sens dans ce monde. Leurs allusions Ă  Adam, Abraham et IsraĂ«l n’étaient pas des preuves auxquelles ils faisaient appel. Ils savaient plutĂŽt qu’ils puisaient dans une histoire singuliĂšre, linĂ©aire. Par exemple, Abraham Ă©tait perçu comme le commencement de la rĂ©ponse divine Ă  Adam nĂ©cessitant une pleine rĂ©ponse dans l’accomplissement ultĂ©rieur du Messie. De surcroit, il y a une Ă©troite connexion entre Abraham et la maison de David »  « il y a le sens qu’EsaĂŻe 40-55 est maintenant devenu vrai en JĂ©sus et est maintenant en train de devenir vrai dans l’église conduite par l’Esprit. L’Ɠuvre du « serviteur » a accompli le projet divin de mettre fin au long exil d’IsraĂ«l et de restaurer la crĂ©ation elle-mĂȘme ». NT Wright met en Ă©vidence les oublis qui ont longtemps affectĂ© l’exĂ©gĂšse occidentale et engendrĂ© une perte de sens : on avait perdu de vue que « le projet de Dieu Ă  travers Abraham Ă©tait de sauver la race humaine » et que, pour ce sauvetage, Dieu travaillait Ă  l’intĂ©rieur de la crĂ©ation Ă  travers ses « porteurs d’image (« image-bearers ») si bien que sauver les humains du pĂ©chĂ© et de la mort n’était pas accompli pour leurs seuls bĂ©nĂ©fices, mais, de telle maniĂšre qu’à travers des humains renouvelĂ©s, Dieu sauve la crĂ©ation elle-mĂȘme ». A la suite des exils d’IsraĂ«l et des souffrances engendrĂ©es, le nouvel exode est le sauvetage d’IsraĂ«l – dans la personne du Messie qui a vaincu la puissance des tĂ©nĂšbres et est ressuscitĂ© des morts – et, avec cela, le sauvetage de la race humaine dans son ensemble » (p 880).

 

Quelle vision du monde ?

« La thĂ©ologie chrĂ©tienne est une thĂ©ologie narrative (storied theology). Elle parle d’un grand narratif au sujet de Dieu et de la relation de Dieu avec le monde de la crĂ©ation Ă  la nouvelle crĂ©ation avec JĂ©sus au milieu
 le narratif concerne un crĂ©ateur et sa crĂ©ation : des humains faits Ă  l’image du crĂ©ateur et appelĂ©s Ă  rĂ©aliser certaines tĂąches ». Le crĂ©ateur a agi pour remĂ©dier Ă  la rĂ©bellion des humains, Ă  travers IsraĂ«l et Ă  l’extrĂȘme Ă  travers JĂ©sus. L’histoire continu : « Le crĂ©ateur agit par son Esprit dans le monde pour y apporter sa restauration et une nouvelle floraison, ce qui est son but ».

Cependant, « ce narratif constitue Ă©galement une vision du monde, une maniĂšre de comprendre les rĂ©alitĂ©s et les relations dans le monde comme nous les percevons ». « Une vision du monde n’est pas ce que nous regardons, mais ce Ă  travers quoi nous regardons. Elle gĂ©nĂšre une reprĂ©sentation de la maniĂšre dont nous devrions vivre dans le monde et, par-dessus tout, le sens de l’identitĂ© et de la place qui permet Ă  des ĂȘtres humains d’ĂȘtre ce qu’ils sont. Les visions du monde procurent des rĂ©ponses gĂ©nĂ©ralement non dĂ©finies et implicites, mais d’autant plus puissantes pour des questions qui commencent avec : « qui ? », « oĂč ? », et « quoi ? », « comment ? », et « quand ? ». Des croyances et des actions Ă©mergent de cette combinaison sous-jacente de rĂ©cits, de symboles, de pratiques, et de questions qui constituent la vision du monde » (p 881).

NT Wright présente alors les réponses apportées par la théologie chrétienne à ces cinq questions qui fondent une vision du monde.

° Qui sommes-nous ? « Nous sommes des humains faits Ă  l’image du crĂ©ateur. Nous avons des responsabilitĂ©s vocationnelles qui correspondent Ă  ce statut. Fondamentalement, nous ne sommes pas dĂ©terminĂ©s par la race, le genre, la classe sociale, la localisation gĂ©ographique, et nous ne sommes pas de simples pions dans un jeu dĂ©terministe ».

° OĂč sommes-nous ? « Nous sommes dans un monde bon et beau bien que passager, la crĂ©ation de Dieu dans l’image duquel nous sommes faits. Nous ne sommes pas dans un monde Ă©tranger et hostile (comme les gnostiques l’imaginent), ni dans un cosmos auquel nous devons allĂ©geance comme Ă  un ĂȘtre divin (comme les panthĂ©istes le suggĂ©reraient) et non plus dans un monde dĂ©pourvu de sens (comme l’épicurianisme, ancien et moderne, le suggĂšre) ».

° Qu’est ce qui est mauvais ? « L’humanitĂ© s’est rebellĂ©e contre le crĂ©ateur. Cette rĂ©bellion reflĂšte une dislocation cosmique entre le crĂ©ateur et la crĂ©ation et le monde est en consĂ©quence dĂ©saccordĂ©e avec son intention crĂ©atrice. Une vision chrĂ©tienne du monde rejette le dualisme qui associe le mal Ă  la crĂ©ation et Ă  la nature physique. Elle rejette Ă©galement le monisme qui analyse le mal simplement en terme de quelques humains en partie dĂ©saccordĂ©s avec leur environnement. Son analyse du mal est plus subtile et va plus loin  » Elle refuse Ă©galement d’ériger en vĂ©ritĂ© des analyses partielles comme celles de Marx et de Freud.

° Comment ceci peut ĂȘtre mis Ă  l’endroit ? « Le crĂ©ateur a agi, est agissant et agira Ă  l’intĂ©rieur de sa crĂ©ation pour traiter avec le poids du mal amenĂ© par la rĂ©bellion humaine et ainsi ramener le monde Ă  la finalitĂ© pour laquelle il a Ă©tĂ© fait, c’est-Ă -dire qu’il rĂ©sonne pleinement avec sa prĂ©sence et sa gloire. Naturellement, cette action trouve son centre, son moteur en JĂ©sus et dans l’esprit du crĂ©ateur ». Les solutions partielles sont Ă©cartĂ©es.

° Quelle heure est-il ? « De l’ancien IsraĂ«l aux juifs du second Temple et jusque dans le premier christianisme, il y a toujours eu un sens de lĂ  oĂč nous sommes dans l’histoire. Du point de vue chrĂ©tien, nous sommes dans le temps de l’accomplissement, le temps oĂč le royaume de Dieu a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© lancĂ© d’une façon dĂ©cisive sur terre comme au ciel Ă  travers l’Ɠuvre de JĂ©sus lui-mĂȘme. Toutes choses, y compris la mort, sont soumises Ă  son rĂšgne. C’est le cinquiĂšme acte de la scĂšne cosmique de cinq actes qui commença avec la crĂ©ation, continue avec la rĂ©bellion humaine, a vu l’appel d’Abraham et de sa famille, et puis a vu cela porter le fruit ultime en JĂ©sus. L’église menĂ©e par l’esprit est appelĂ©e Ă  vivre la vie humaine authentique anticipant dans le prĂ©sent la vie de « l’ñge Ă  venir », dans la libĂ©ration de la puissance du mal qui a Ă©tĂ© lancĂ©e par la mort et la rĂ©surrection de JĂ©sus » (p 882).

N T Wright nous montre en quoi la vision du monde chrétienne induit un genre de vie.

« La vision du monde chrĂ©tienne engendre un mode particulier d’ĂȘtre au monde ». Et lĂ , l’auteur cite l’épitre Ă  DiognĂšte, Ă©crite par un auteur chrĂ©tien de la fin du IIe siĂšcle. Il y est dit que « ce que l’ñme est dans le corps, c’est ainsi ce que sont les chrĂ©tiens dans le monde, c’est-Ă -dire : moyens de vie, prĂ©servation, guĂ©rison et amour rĂ©pandus dans le monde ».

En fait, dans le cas du christianisme, on pourrait mieux l’exprimer comme étant « pour » le monde puisque, fondamentalement, dans la vision du monde chrĂ©tienne, l’humanitĂ© s’inscrit dans le dispositif du crĂ©ateur de prendre soin du monde, et les chrĂ©tiens, en particulier, sont en charge d’apporte la guĂ©rison dans le monde » (p 882-883). Naturellement, comme pour d’autres visions du monde, ceux qui y adhĂšrent ne sont pas forcĂ©ment Ă  la hauteur, mais, en principe, la vision chrĂ©tienne du monde incite Ă  la guĂ©rison du monde et Ă  l’anticipation de l’accomplissement final.

Quelle sont les croyances de base ? s’interroge NT Wright. Il passe en revue les affirmations de base des premiers siĂšcles. « InspirĂ© directement par le Nouveau Testament lui-mĂȘme, le IIe siĂšcle a insistĂ© sur le fait que la rĂ©demption signifiait la rĂ©affirmation de la bontĂ© de la crĂ©ation originelle. Les IIIe et le IVe siĂšcles, faisant Ă  nouveau Ă©cho au Nouveau Testament, ont insistĂ© sur le fait que JĂ©sus Ă©tait et doit ĂȘtre identifiĂ© comme incarnant dans une forme humaine le Dieu unique d’IsraĂ«l. Les IVe et Ve siĂšcle, s’appuyant sur les Ă©crits bibliques ont insistĂ© sur le fait que la vie chrĂ©tienne, Ɠuvre et tĂ©moignage, Ă©tait et est elle-mĂȘme l’Ɠuvre du mĂȘme Dieu vivant en la personne de son esprit
 Le Nouveau Testament fournit ainsi la base pour une thĂ©ologie et une vision du monde que nous pouvons expliquer et Ă©noncer dans la guidance de l’Esprit, quelques rĂ©alitĂ©s universelles dans l’expĂ©rience humaine : la justice, la spiritualitĂ©, la relation, la beautĂ©, la libertĂ©, la vĂ©ritĂ© et la puissance. Une vision chrĂ©tienne du monde nous dit ce que ces rĂ©alitĂ©s signifient, qu’en faire, comment nous en rĂ©jouir et comment ne pas en abuser. Une vision chrĂ©tienne du monde centrĂ©e sur ces rĂ©alitĂ©s nous rend capable de nous engager dans une adoration authentique, d’accomplir la vocation chrĂ©tienne et de promouvoir l’épanouissement des humains, individuellement et collectivement » (p 884).

 

Une vision du monde qui ouvre un chemin

Ce chapitre se poursuit par deux dĂ©veloppements, l’un sur « la mission » et l’autre sur « une maniĂšre de vivre chrĂ©tien ». Nous y renvoyons le lecteur. Cependant, en lien avec la perspective de NT Wright sur la vision du monde chrĂ©tienne, nous l’entendons prĂ©ciser sa maniĂšre d’envisager la mission de l’Église.

« La mission de l’église – ou plus justement la mission de Dieu Ă  travers l’église, la tĂąche en cours pour laquelle le Dieu vivant envoie et Ă©quipe l’église – peut ĂȘtre justement comprise seulement Ă  la lumiĂšre d’une eschatologie pleinement biblique. Cela veut dire adopter fermement la vision biblique de la nouvelle crĂ©ation, du nouveau ciel et de la nouvelle terre, inaugurĂ©e quand JĂ©sus a annoncĂ© le royaume de Dieu et a ressuscitĂ© des morts aprĂšs avoir vaincu les puissances des tĂ©nĂšbres et appelĂ©e Ă  ĂȘtre consommĂ©e Ă  son retour en gloire quand il rendra toute chose nouvelle. La mission de l’église dĂ©rive de cette inauguration, dynamisĂ©e par le mĂȘme esprit par le pouvoir duquel JĂ©sus est ressuscitĂ© et elle pointe en avant vers cette consommation, l’anticipant, dĂ©montrant sa vie transformant la rĂ©alitĂ© mĂȘme dans le moment prĂ©sent, et appelant les hommes, les femmes et les enfants Ă  prendre part Ă  la vie nouvelle commune et personnelle qui est dĂ©jĂ  une rĂ©alitĂ© et qui sera pleinement rĂ©alisĂ©e Ă  la fin… Dans cette perspective, le rĂŽle de l’église est de proclamer le seigneur JĂ©sus, d’appeler les gens Ă  le suivre avec foi, Ă  nourrir les croyants de maniĂšre Ă  ce qu’ils deviennent de saint disciples et pratiquent la misĂ©ricorde et la justice dans chaque contexte et chaque environnement  » (p 884).

 

En espérance

Ce chapitre s’achĂšve par une grande Ă©vocation de l’espĂ©rance qui vient nous Ă©clairer au milieu des ombres que nous rencontrons en chemin et dans l’écart que nous ressentons parfois ente la vision et le vĂ©cu quotidien. « En Romains 15.4, Paul nous indique que le but de l’écriture est de nous permettre d’avoir une espĂ©rance. Il parlait naturellement des Ă©critures d’IsraĂ«l, mais le mĂȘme rĂŽle est dĂ©volu aux premiers Ă©crits chrĂ©tiens. Si il en est ainsi, alors, un but Ă©minent de l’étude du nouveau Testament est d’expliquer et d’éclairer la substance de cette espĂ©rance. En fait, nous pourrions mĂȘme dire que la mission de l’église est de partager et de reflĂ©ter l’espĂ©rance future telle que le Nouveau Testament la prĂ©sente ». Cette espĂ©rance n’est-elle pas Ă  porter dans un monde plus ou moins dĂ©sespĂ©rĂ©, lĂ  oĂč on voit « les effets du chaos financier global », lĂ  oĂč il y a « du chĂŽmage et des familles brisĂ©es », lĂ  oĂč « les rĂ©fugiĂ©s se sentent Ă©trangers et mĂ©prisĂ©s », lĂ  oĂč « l’injustice raciale parait hideusement naturelle et oĂč la xĂ©nophobie fait partie de la rhĂ©torique politique habituelle ». Et NT Wright continue d’énumĂ©rer les situations marquĂ©es par la souffrance sociale,  « un monde dans lequel les riches ne cessent de devenir plus riches et les pauvres  ne cessent de devenir plus pauvres ». « L’église dans la puissance de l’esprit doit marquer dans sa vie et son enseignement qu’il y a plus pour ĂȘtre humain que la simple survie, plus que l’hĂ©donisme et le pouvoir, plus que l’ambition et la distraction
 Il y a quelque chose de plus puissant que l’économie et les bombes ». « Il y a une maniĂšre diffĂ©rente d’ĂȘtre humain et elle a Ă©tĂ© lancĂ©e, d’une façon dĂ©cisive par JĂ©sus. Il y a un nouveau monde et il a dĂ©jĂ  commencĂ© et il Ɠuvre par la guĂ©rison et le pardon, et se manifeste Ă  travers de nouveaux dĂ©parts et une fraiche Ă©nergie ».

« L’église, parce qu’elle est la famille qui croit en la nouvelle crĂ©ation, une croyance constamment rĂ©affirmĂ©e dans le Nouveau Testament, devrait se manifester dans chaque ville et chaque village comme l’espace oĂč l’espĂ©rance Ă©clate. Non pas seulement l’espĂ©rance qu’il y a quelque chose de meilleur dans l’au-delà : plutĂŽt, une croyance que le nouveau monde de Dieu a Ă©tĂ© semĂ©, comme des graines dans un champ et qu’il est dĂ©jĂ  en train de produire des fruits surprenants. La vie du nouveau monde a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© dĂ©chargĂ©e dans le temps prĂ©sent. Et ce que nous faisons comme rĂ©sultat de cette vie, cette Ă©nergie et cette direction donnĂ©es par l’esprit, est dĂ©jĂ  en soi, une partie du nouveau monde que Dieu est en train de crĂ©er. Quand cette espĂ©rance prend racine, l’histoire racontĂ©e par l’ensemble du Nouveau Testament prend vie Ă  nouveau et Ă  nouveau, Ă  travers JĂ©sus et par son esprit. Le nouveau monde est né ». (p 889).

InspirĂ© par une connaissance intime du Nouveau Testament, NT Wright dĂ©veloppe une thĂ©ologie qui va de pair avec une vision chrĂ©tienne du monde et l’espĂ©rance qui l’accompagne. Dans la perspective de NT Wright, Ă  partir de la mort et de la rĂ©surrection de JĂ©sus, en rĂ©ponse aux attentes prophĂ©tiques, nous sommes engagĂ©s dans une nouvelle crĂ©ation et appelĂ©s Ă  participer Ă  « un nouveau monde ». Certes, dans notre actualitĂ© si brutale, ce « nouveau monde » est parfois difficile Ă  reconnaitre. A nous d’en faire l’expĂ©rience et de le dĂ©couvrir. Cette dynamique thĂ©ologique vient bousculer une piĂ©tĂ© repliĂ©e sur elle-mĂȘme et exclusivement tournĂ©e vers un salut individualiste. Ainsi l’auteur Ă©met un reproche : « Nous avons PlatonisĂ© (suivant la philosophie de Platon) notre eschatologie, substituant les Ăąmes allant au paradis Ă  la nouvelle crĂ©ation promise » (p 878). Cette thĂ©ologie se fonde sur une histoire et accorde une grande importance Ă  l’église. On peut envisager l’Ɠuvre du Saint Esprit, au-delĂ . EngagĂ©e dans le monde, cette thĂ©ologie a Ă©tĂ© bien reçue dans les milieux de l’Église Ă©mergente, comme il en a Ă©tĂ© de mĂȘme pour la thĂ©ologie de JĂŒrgen Moltmann, thĂ©ologie elle aussi Ă  dimension eschatologique. Ce fut dans sa « thĂ©ologie de l’espĂ©rance » que JĂŒrgen Moltmann rencontra une vaste audience (4) et le texte de NT Wright sur la vision chrĂ©tienne du monde s’achĂšve par un accent sur l’espĂ©rance.

J H

 

  1. N T Wright. Wikipedia. The free encyclopedia: https://en.wikipedia.org/wiki/N._T._Wright
  2. Paul : sa vie et son Ɠuvre, selon NT Wright : https://vivreetesperer.com/paul-sa-vie-et-son-oeuvre-selon-nt-wright/
  3. N T Wright. Michaël Bird. The New Testament in its world. An introduction to the history, literature and theology of the first Christians. Zondervan, 2019
  4. Quelle vision de Dieu, du monde, de l’humanitĂ© en phase avec les aspirations et les questionnements de notre Ă©poque ? GenĂšse de la pensĂ©e de JĂŒrgen Moltmann : https://vivreetesperer.com/quelle-vision-de-dieu-du-monde-de-lhumanite-en-phase-avec-les-aspirations-et-les-questionnements-de-notre-epoque/

Face à la détresse du monde

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Veiller et guetter.

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SƓur Anne, ne vois-tu rien venir ?

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         SƓur Anne ne vois-tu rien venir ? Dans un conte de Charles Perrault (1), c’est la question dĂ©sespĂ©rĂ©e que la femme de Barbe bleue attendant du secours pose Ă  sa sƓur Anne alors que son mari s’apprĂȘte Ă  l’exĂ©cuter. Et cette question figure aujourd’hui dans notre mĂ©moire collective.

         Quel avenir existe-t-il encore pour nous lorsque nous vivons dans la tourmente ? Nous pouvons nous poser cette question Ă  un moment particuliĂšrement difficile de l’histoire, mais c’est aussi une question existentielle pour tous ceux d’entre nous qui se sentent menacĂ©s. Peut-on attendre un secours, lequel et quand va-t-il venir ?

         Dans une courte vidĂ©o (2) intitulĂ©e : « SƓur Anne ne vois-tu rien venir ? », Nadine Heller rĂ©pond Ă  notre attente dans l’esprit des Ă©vangiles. Dieu nous appelle Ă  veiller et guetter. Il nous appelle Ă  une espĂ©rance active. En phase avec nos sentiments, nos questionnements, nos aspirations, avec une grande justesse de ton et beaucoup de simplicitĂ©, Nadine Heller nous invite Ă  regarder au loin « pour voir l’aube qui pointe » et « ĂȘtre des semeurs de vie, des porteurs de vie, pour choisir la vie (3) ».

         Dans ce message, Nadine Heller partage avec nous un passage de l’Apocalypse qui ouvre une dynamique d’espĂ©rance et de vie. Nous voyons bien aujourd’hui quelle est la puissance du mal et de la mort. Mais Dieu  nous offre un horizon qui va au delĂ . Ecoutons les propos de Nadine.

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         « Vous entendez cette rumeur qui enfle. Toutes ces voix que le monde entier court Ă  sa perte, que tout fout le camp, que l’ĂȘtre humain est devenu fou. Oui, bien sĂ»r, nous les entendons ces voix. Et si, dans nos moments de silence, nous entendions tous les cris de dĂ©tresse qui, de par le monde entier, montent vers le ciel,  nous deviendrions fou.

         Alors que faire ? est-ce qu’il faut nous boucher les oreilles ? Est-ce qu’il faut-il fermer les yeux ? Est-ce qu’il faut-il s’isoler ? Les  Ă©vangiles eux nous invitent Ă  tout autre chose. Dieu nous invite Ă  veiller et Ă  guetter. Un peu comme si nous Ă©tions appelĂ©s Ă  ĂȘtre des sentinelles qui doivent monter sur une tour de guet pour regarder au loin, non pas pour regarder les catastrophes qui vont arriver, mais pour regarder au loin l’aube qui pointe. Un peu comme ce que nous pouvons lire dans le livre de l’Apocalypse au Chapitre 21 : « Oui, voici ce que je vois. Un ciel nouveau, une terre nouvelle. J’entend une voix forte qui vient du siĂšge et qui dit : Maintenant, la maison de Dieu est au milieu des hommes. Il va habiter avec eux. Ils seront ses peuples. Dieu lui-mĂȘme sera avec eux et Il sera leur Dieu. Il essuiera toutes les larmes de leurs yeux. La mort n’existera plus. Il n’y aura plus ni deuil, ni larmes, ni souffrance ».

         Quelle espĂ©rance ! Mais cette espĂ©rance ne fait pas de nous des utopistes ou des doux rĂȘveurs. Au contraire, c’est une espĂ©rance qui nous invite Ă  ĂȘtre actifs comme des guetteurs qui guetteraient le moindre signe de lumiĂšre dans ce monde. Et aussi une espĂ©rance active qui nous invite, vous, moi, Ă  ĂȘtre des porteurs de lumiĂšre, Ă  ĂȘtre de ceux qui sĂšment sans compter la paix, l’amour, la justice au nom du Christ
qui les fait vivre, Ă  ĂȘtre des semeurs de vie, Ă  ĂȘtre des porteurs de vie, Ă  choisir la vie, car, vous et moi, nous sommes invitĂ©s Ă  choisir la vie et Ă  ensemble porter l’espĂ©rance ».

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         Dans cette conversation, Nadine Heller a partagĂ© avec nous un passage de l’Apocalypse qui ouvre pour nous un horizon de vie . Nous voyons bien  aujourd’hui quelle est la puissance du mal et de la mort. Mais Dieu nous ouvre un horizon qui va au delĂ .

         « Puisse le Dieu de l’EspĂ©rance vous remplir de toute joie et de toute paix dans la foi de telle maniĂšre que, par la puissance du Saint Esprit, vous puissiez abonder en espĂ©rance, Ă©crit Paul aux Romains (Romains 15.13). Un grand thĂ©ologien, JĂŒrgen Moltmann (4),  nous montre combien cet accent est original, unique, parmi les diffĂ©rentes religions. « Nulle part ailleurs dans le monde des religions, Dieu est ainsi associĂ© Ă  un espoir humain pour l’avenir. Le futur est un Ă©lĂ©ment essentiel de la la foi de PĂąques. La foi signifie vivre dans la prĂ©sence de Christ ressuscitĂ© et nous nous mouvons dans le Royaume de Dieu qui vient. Notre expĂ©rience de la vie quotidienne prend place dans une attente crĂ©ative de Christ en train de venir. Nous attendons et nous avançons, nous espĂ©rons et nous endurons, nous prions et nous observons. Nous sommes Ă  la fois curieux et patients » (5) . 

         Cette approche rejoint celle qui nous est proposĂ©e par Nadine Heller, pasteure de l’Eglise protestante Unie de Saint-Chamond, dans le cadre de la chaine : « Pasteur du dimanche » (6). Avec   des mots justes, elle aussi nous invite Ă  vivre  dans une espĂ©rance active, une dynamique de vie. Ensemble et chacun de nous, choisissons la Vie.

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J H

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(1)            « SƓur Anne, ne vois-tu rien venir ? », une adjuration cĂ©lĂšbre issue d’un conte de Charles Perrault : La Barbe Bleue paru dans « les contes de ma mĂšre l’Oye » en 1697. Voir Wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/SƓur_Anne  Le texte : http://www.alalettre.com/perrault-oeuvres-barbe-bleue.php

(2)            Vidéo de Nadine Heller : « Soeur Anne, ne vois-tu rien venir ? » dans la chaine : pasteurdudimanche » ( décembre 2013) sur You Tube : http://www.youtube.com/watch?v=mYV_UUujPQ4&feature=youtu.be

(3)            « J’ai mis devant toi la vie et la mort. Choisis la vie afin que tu vives » (DeutĂ©ronome 30.19) . Cette parole biblique va droit Ă  l’essentiel pour notre vie. Il y a dans ce monde, y compris l’hĂ©ritage religieux, tant de dĂ©formations qui peuvent nous Ă©loigner de la vie. Aussi, on se  rĂ©jouit de voir que l’équipe de « pasteurs du dimanche » ait pris comme devise  : « Choisis la vie ».

(4)            JĂŒrgen Moltmann figure parmi les plus grand thĂ©ologien de notre temps . En phase avec les grands questionnements de notre Ă©poque, il a commencĂ© par Ă©crire une thĂ©ologie de l’espĂ©rance. On trouvera une mise en perspective de son itinĂ©raire et de son Ɠuvre dans une prĂ©sentation de son autobiographie : « Une thĂ©ologie pour notre temps » : http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=695. Un blog : « L’Esprit qui donne la vie », prĂ©sente sa pensĂ©e au public francophone : http://www.lespritquidonnelavie.com/

(5)            Sur ce blog : « Quelle espĂ©rance ? Un espoir pour l’avenir humain. Le Royaume de Dieu en train de venir » : https://vivreetesperer.com/?p=890 ? Le passage sur l’espĂ©rance ici mentionnĂ© est issu du livre : « JĂŒrgen Moltmann. In the end
the beginning. Fortress Press, 2004. RĂ©cemment traduit en français : JĂŒrgen Moltmann. De commencements en recommencements. Une dynamique d’espĂ©rance. Empreinte temps prĂ©sent, 2012 (Voir le chapitre : la force vitale de l’espĂ©rance). PrĂ©sentation de  ce livre sur ce blog : « Une dynamique de vie et d’espĂ©rance » : https://vivreetesperer.com/?p=572. Bien sĂ»r, en ce temps de NoĂ«l, la naissance de JĂ©sus manifeste le dĂ©but du processus de libĂ©ration.

(6)            Quelques pasteurs de l’Eglise Protestante Unie ont choisi de s’entendre pour proposer chaque dimanche une courte vidĂ©o (2 Ă  3 minutes) qui s’adressent Ă  nous dans une parole d’ouverture, de partage et de conviction en alliant une rĂ©flexion sur la vie et l’actualitĂ© et l’éclairage d’un passage biblique dans son originalitĂ© pour aujourd’hui. « L’objectif de « pasteurdudimanche.fr » est de proposer une parole courte sur une actualitĂ© et un texte biblique qui invite Ă  aller plus loin ».Il y a lĂ  le dĂ©sir manifeste de s’adresser Ă  un public qui dĂ©passe de loin les seuls pratiquants protestants. La premiĂšre vidĂ©o a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e par JoĂ«l Dahan en octobre 2011. Aujourd’hui, le site : « pasteurdudimanche.fr » renvoie Ă  plus de 90 vidĂ©os !  Naturellement, certains messages nous touchent plus que d’autres, mais un dĂ©sir de convivialitĂ© et d’authenticitĂ© se manifeste dans chaque vidĂ©o. Ce site est devenue une ressource importante pour la vie et l’expression chrĂ©tienne. http://www.youtube.com/playlist?list=PL6F0WgMatbJUxPNorU-tyfYon2NQBXsRG

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Sur ce blog, d’autres textes sur ce thùme :

« Confiance. Le message est passé ! Le livre d’Odile Hassenforder : « Sa prĂ©sence dans ma vie ». http://www.youtube.com/playlist?list=PL6F0WgMatbJUxPNorU-tyfYon2NQBXsRG

« EspĂ©rer, c’est voir l’amour divin Ă  l’oeuvre ». https://vivreetesperer.com/?p=870

« Les malheurs de l’histoire. Mort et rĂ©surrection ». https://vivreetesperer.com/?p=744

« En eau profonde ». https://vivreetesperer.com/?p=409

« Sur la terre comme au ciel » http:/www.vivreetesperer.com/p=338

Pour une Ă©ducation nouvelle, vague aprĂšs vague

 

Une avancĂ©e majeure : l’expĂ©rimentation de CĂ©line Alvarez dans une classe maternelle Ă  Genevilliers.

 

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ConsidĂ©rer l’enfant, l’adolescent, prendre en compte ses aspirations, lui permettre d’apprendre et de se dĂ©velopper en suivant son Ă©lan intĂ©rieur, crĂ©er une ambiance, un environnement favorable Ă  cette dynamique : pendant tout le XXĂš siĂšcle, des pionniers comme Maria Montessori, Dewey, Freinet, Decroly, ont cherchĂ© Ă  promouvoir une Ă©ducation nouvelle face Ă  un enseignement plus ou moins imposĂ© d’en haut. Aujourd’hui, dans une part croissante de la sociĂ©tĂ©, un Ă©tat d’esprit propice Ă  l’initiative et Ă  la crĂ©ativitĂ© apparaĂźt, se projetant naturellement sur la maniĂšre de concevoir l’éducation des enfants. La rĂ©volution numĂ©rique change de fond en comble les conditions de la transmission du savoir en le rendant accessible Ă  tous (1). L’éducation apparaĂźt de plus en plus comme une requĂȘte majeure de la sociĂ©tĂ© de la connaissance et de la nouvelle Ă©conomie, et aussi comme la condition sinĂ© qua non d’une sociĂ©tĂ© plus dĂ©mocratique. Ainsi, l’échec scolaire se rĂ©vĂšle de plus en plus intolĂ©rable. En France, les dĂ©gĂąts sont particuliĂšrement importants puisque 40% des Ă©lĂšves sortent du CM2 avec de graves lacunes. Ce sont les mĂȘmes qui ne poursuivent pas une scolaritĂ© normale au collĂšge et se retrouvent ensuite en difficultĂ© dans la recherche d’une insertion professionnelle.

 

L’expĂ©rimentation menĂ©e par CĂ©line Alvarez pendant trois ans dans une classe maternelle au sein d’une zone d’éducation prioritaire Ă  Gennevilliers s’inscrit dans ce paysage. Si cette expĂ©rience s’est heurtĂ©e aux rigiditĂ©s du systĂšme, Ă  travers des rĂ©sultats remarquables scientifiquement testĂ©s, elle a permis de valider une approche dont on perçoit l’exceptionnelle fĂ©conditĂ©. CĂ©line Alvarez milite donc aujourd’hui pour une promotion de cette approche chez des acteurs motivĂ©s. Et son livre : « Les lois naturelles de l’enfant » (2), Ă  partir de l’expĂ©rience de l’auteur et de l’approche de la recherche, nous entraine dans une voie nouvelle.

 

Une expérimentation innovante pour un nouvel horizon

Les propos de CĂ©line Alvarez mettent en Ă©vidence une forte motivation, un projet longuement rĂ©flĂ©chi et muri, une action volontaire pour pĂ©nĂ©trer dans l’enseignement public afin d’y expĂ©rimenter une nouvelle approche. Effectivement, en septembre 2011, elle parvient Ă  prendre en charge une classe maternelle Ă  Gennevilliers en zone d’éducation prioritaire. Et elle va poursuivre cette expĂ©rience pendant trois ans jusqu’à ce que des empĂȘchements institutionnels viennent y faire obstacle. Quelles sont les grandes caractĂ©ristiques de son approche ?

 

 

Globalement, CĂ©line Alvarez s’inspire de l’expĂ©rience pionniĂšre de Maria Montessori. Celle-ci, doctoresse au dĂ©but du XXĂš siĂšcle, s’était elle-mĂȘme appuyĂ©e sur les travaux de deux mĂ©decins français, Jean Itard et Edouard Seguin. « En 1907, Maria Montessori crĂ©a ce qu’elle appelait les « maisons d’enfants » qui regroupaient une quarantaine d’enfants de trois Ă  cinq ans : le principe pĂ©dagogique essentiel de ces lieux de vie et d’apprentissage Ă©tait l’autonomie accompagnĂ©e et structurĂ©e » (p 17). CĂ©line Alvarez rĂ©cuse une dĂ©pendance rigide vis Ă  vis de cette mĂ©thode, mais, Ă©crit-elle, « Lorsque j’ai dĂ©couvert les Ă©crits du Dr Montessori, ils m’ont rapidement passionnĂ©e justement pour cette dĂ©marche scientifique non dogmatique et Ă©volutive . Ils Ă©taient par ailleurs d’une justesse Ă©poustouflante, visionnaire et profondĂ©ment humaine. J’ai alors Ă©tudiĂ© quotidiennement pendant plus de sept annĂ©es ses travaux que j’ai enrichi de l’apport des connaissances scientifiques actuelles sur le dĂ©veloppement humain et de la linguistique française »  C’est sur cette base que j’ai effectuĂ© mes recherches en axant mes rĂ©flexions sur le dĂ©veloppement des compĂ©tences exĂ©cutives des enfants
 sur les activitĂ©s de langage
ainsi que sur les moments de regroupements indispensables pour la consolidation des fondamentaux. Enfin, et surtout, j’ai limitĂ© le nombre d’activitĂ©s proposĂ©es aux enfants pour privilĂ©gier et renforcer le lien social
 Cette reliance sociale fut un vĂ©ritable catalyseur d’épanouissement et d’apprentissage » (p 18).

 

A l’approche de Maria Montessori si rĂ©volutionnaire Ă  son Ă©poque en affirmant une conception nouvelle de l’enfant et de son potentiel et en lui offrant un environnement pĂ©dagogique, stimulant et respectueux, CĂ©line Alvarez a ajoutĂ© une prise en compte de la recherche scientifique actuelle, et, dans le mĂȘme mouvement, elle a fait de cette innovation une expĂ©rimentation accompagnĂ©e par une Ă©valuation rigoureuse. « La premiĂšre annĂ©e malgrĂ© l’absence de cadrage institutionnel officiel, le cabinet du ministre et l’acadĂ©mie ont autorisĂ© les tests visant Ă  mesurer les progrĂšs des enfants. Ces derniers ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ© par le CNRS de Grenoble » ( p 18). Et, cette Ă©valuation va rapidement mettre en Ă©vidence la rĂ©ussite exceptionnelle de cette nouvelle approche pĂ©dagogique. DĂšs la fin de la premiĂšre annĂ©e scolaire, tous les Ă©lĂšves, sauf un, progressent plus vite que la norme, beaucoup connaissent des progressions trĂšs importantes
 Certains des enfants qui avaient, en dĂ©but d’annĂ©e, un retard de plusieurs mois, voire de plusieurs annĂ©es, ont non seulement rattrapĂ© la norme, mais l’ont Ă©galement dĂ©passĂ©e sur certains domaines de compĂ©tences cognitives fondamentales ».

Il y avait lĂ  une grande rĂ©ussite. Elle fut mĂ©connue par le systĂšme bureaucratique puisqu’en juillet 2014, le Ministre de l’Education Nationale dĂ©cida l’arrĂȘt de l’expĂ©rience. DĂšs lors, CĂ©line Alvarez a donnĂ© sa dĂ©mission et poursuivi son action par d’autres voies et en pleine libertĂ©. « AprĂšs les rĂ©sultats extraordinaires et trĂšs prometteurs des enfants, je ressentais comme une grande urgence de partager trĂšs largement et avec une libertĂ© et une rapiditĂ© que l’Education Nationale n’aurait pu m’offrir, les contenus thĂ©oriques ainsi que les outils pĂ©dagogiques qui avaient eu un impact si positif ».

 

Les lois naturelles de l’enfant

DĂ©jĂ , au printemps 2014, CĂ©line Alvarez avait fait connaĂźtre la dynamique de son expĂ©rience dans une intervention Ă  TEDXIsĂšreRiver : « Pour une refondation de l’école guidĂ©e par les enfants » (3). Aujourd’hui, elle diffuse ses connaissances et son savoir-faire Ă  travers un site particuliĂšrement efficient, notamment grĂące Ă  la mise en ligne de nombreuses vidĂ©os (4). Enfin un livre : « les lois naturelles de l’enfant »  (2), nous prĂ©sente  une comprĂ©hension de l’enfant et une approche Ă©ducative fondĂ©e sur l’expĂ©rience et un recours mĂ©thodique Ă  la recherche scientifique dans toute son extension et Ă  l’échelle internationale.

CĂ©line Alvarez prĂ©sente ce livre en ces termes :  « Le livre que vous avez entre les mains
 dĂ©gage les grands principes de l’apprentissage identifiĂ©s par la recherche, ainsi que les invariants pĂ©dagogiques qu’ils imposent. Nous verrons d’abord l’importance de nourrir l’intelligence extraordinaire de l’enfant dans les premiĂšres annĂ©es de sa vie en lui offrant un environnement de qualitĂ©, riche, dynamique, complexe et en lui permettant d’ĂȘtre actif et de rĂ©aliser les activitĂ©s qui le motivent. Nous abordons dans la deuxiĂšme partie, l’importance d’aider l’enfant Ă  organiser et Ă  s’approprier toutes ces informations qu’il perçoit du monde extĂ©rieur, notamment grĂące Ă  du matĂ©riel didactique lui prĂ©sentant de maniĂšre trĂšs concrĂšte les bases de la gĂ©ographie, de la musique, du langage et des mathĂ©matiques. Nous verrons ensuite, dans une troisiĂšme partie qu’il est fondamental de permettre Ă  l’enfant de dĂ©velopper ses potentiels embryonnaires au moment oĂč ils cherchent Ă  se dĂ©velopper, – ni avant, ni aprĂšs. Et enfin, dans la quatriĂšme partie de ce livre, nous aborderons une condition environnementale-clé : l’importance du lien humain. Les interactions sociales variĂ©es, chaleureuses, empathiques et bienveillantes sont en effet un des leviers les plus importants pour le plein Ă©panouissement de l’intelligence humaine…» (p 28-29).

 

Un événement significatif

Lorsqu’on retrace l’histoire de l’innovation pĂ©dagogique en France au cours des derniĂšres dĂ©cennies, l’initiative de CĂ©line Alvarez nous paraĂźt tout Ă  fait remarquable. En effet, elle est l’aboutissement d’une longue prĂ©paration thĂ©orique et pratique et d’une action consciente et persĂ©vĂ©rante. Dans un premier temps, elle parvient Ă  franchir les obstacles institutionnels pour ĂȘtre ensuite empĂȘchĂ©e, mais rebondir dans un mouvement plus large.

Cette initiative s’inscrit Ă©galement dans un changement en cours des mentalitĂ©s, l’éveil d’un nouvel Ă©tat d’esprit. Si l’on prend en compte un certain nombre d’indicateurs, il y aurait aujourd’hui dans certains milieux une nouvelle vague en faveur d’une Ă©ducation nouvelle. Ce dĂ©sir s’exprime par exemple dans des interventions diffusĂ©es par les cercles TEDx. On compte aujourd’hui en France environ 200 Ă©coles Montessori, ce qui est un chiffre Ă©levĂ© sans aucune mesure avec celui qu’on aurait pu relever Ă  la fin du XXe siĂšcle. La rĂ©fĂ©rence Ă  Maria Montessori (5) est elle-mĂȘme significative. A travers son livre « L’enfant » (6) et sa conception du petit enfant comme « un embryon spirituel », elle Ă©veille pour nous un Ă©veil Ă  une dimension plus profonde de l’ĂȘtre humain (7). Par ailleurs, le systĂšme classique, hiĂ©rarchisĂ©, compartimentĂ©, uniformisĂ© est battu en brĂšche. Une association comme « Le printemps de l’éducation » tĂ©moigne de cet Ă©tat d’esprit nouveau. L’innovation entreprise par CĂ©line Alvarez participe Ă  ce climat.

Mais elle ajoute Ă  cet Ă©lan la mise en Ɠuvre d’une recherche scientifique accompagnant et lĂ©gitimant des pratiques nouvelles. Cette recherche confirme les intuitions des pionniers de l’éducation nouvelle en dĂ©montrant les bienfaits physiologiques et psychologiques de ces pratiques. La recherche pĂ©dagogique est prĂ©sente en France depuis des dĂ©cennies, mais ici on peut observer des conclusions tout Ă  fait remarquables. CĂ©line Alvarez fait appel tout particuliĂšrement aux neurosciences, Ă  la psychologie positive et Ă  la linguistique. Si l’appel  Ă  la recherche est toujours fructueux, il nous parait actuellement tout particuliĂšrement bĂ©nĂ©fique, non seulement en raison des avancĂ©es scientifiques, mais parce qu’un nouveau regard se manifeste aujourd’hui dans ces avancĂ©es (8). La mise en Ă©vidence de la prĂ©cocitĂ© du dĂ©veloppement de l’intelligence dans la petite  enfance, la mise en valeur de l’empathie (9), l’accent nouveau apportĂ© par la psychologie positive (10) sont des acquis qui ont commencĂ© Ă  apparaĂźtre Ă  la fin du XXĂš siĂšcle (11). Ainsi, le titre ambitieux du livre de CĂ©line Alvarez : « Les lois naturelles de l’enfant » peut s’appuyer sur un ensemble de dĂ©couvertes qui vont de pair avec des valeurs qui se sont frayĂ© un chemin Ă  travers le XXĂ© siĂšcle, mais remontent bien plus loin encore.

CĂ©line Alvarez attache ainsi une grande importance Ă  la « reliance », c’est Ă  dire « l’acte de relier ou de se relier, ou le rĂ©sultat de cet acte », soit « le sentiment ou l’état de reliance ». La recherche met en Ă©vidence les effets extrĂȘmement positifs da la reliance sur notre fonctionnement physiologique. « Lorsque nous nous mettons en lien avec autrui de maniĂšre gĂ©nĂ©reuse, chaleureuse, empathique, tout notre organisme s’épanouit et se rĂ©gĂ©nĂšre avec une puissance extraordinaire
 Ainsi, lorsque nous sommes chaleureux et bienveillant envers un enfant (mais Ă©galement envers un adulte), nous agissons de maniĂšre puissamment positive tant sur sa santĂ© que sur ses capacitĂ©s cognitives, sociales et morales. Dans la classe maternelle de Gennevilliers, nous avons usĂ© sans modĂ©ration de ce levier : nous avons adoptĂ© une posture accueillante, chaleureuse et empathique, en veillant bien Ă©videmment toujours Ă  poser les limites claires d’un cadre structurant. A mon sens, cette posture fut, pour les enfants de la classe, un vĂ©ritable catalyseur cognitif, moral et social » ( p 355).

L’auteur nous montre comment cette attitude a permis l’expression des tendances empathiques et altruistes des enfants. « Le jeune enfant est un ĂȘtre d’amour
Les enfants sont fondamentalement mus par des Ă©lans altruistes, gĂ©nĂ©reux
 » ( p 396). Ainsi CĂ©line Alvarez n’hĂ©site-t-elle pas Ă  intituler la quatriĂšme partie de son livre sur la mise en Ɠuvre de la reliance dans sa classe maternelle : « Le secret, c’est l’amour ». « L’amour n’est pas le premier mot qui vient Ă  l’esprit lorsqu’on aborde le sujet de l’apprentissage, et il s’agit lĂ  d’une erreur fondamentale
L’amour est le levier de l’ñme humaine. Nous sommes cĂąblĂ©s pour la rencontre chaleureuse et empathique avec l’autre et, lorsque nous obĂ©issons Ă  cette grande loi dictĂ©e par notre intelligence, alors tout devient possible » (p 352).

Ainsi, dans son approche comme dans ce livre, CĂ©line Alvarez conjugue l’intelligence et le cƓur. Nous savons par expĂ©rience combien le mal est prĂ©sent dans ce monde. Nous oublions trop souvent qu’il peut y avoir en regard une contagion du bien. Et, tout autour de nous, nous rencontrons des formes positives de reliance. Ce livre nous parle d’éducation. Oui, une autre Ă©ducation est possible. Mais il a encore une portĂ©e plus vaste. Car, Ă  partir d’une vie enfantine Ă©panouie, il Ă©voque aussi pour nous une vie autre . « Le secret, c’est l’amour ». C’est une espĂ©rance en marche.

 

Jean Hassenforder

 

(1)            « Petite Poucette » de Michel Serres. « Une nouvelle maniĂšre d’ĂȘtre et de connaĂźtre » : https://vivreetesperer.com/?p=820                                    « Une rĂ©volution en Ă©ducation. L’impact d’internet pour un nouveau paradigme en Ă©ducation » : https://vivreetesperer.com/?p=1565

(2)            CĂ©line Alvarez. Les lois naturelles de l’enfant. Les ArĂšnes, 2016. Un horizon pour l’éducation. La rĂ©fĂ©rence aux acquis scientifiques est fondĂ©e sur une remarquable bibliographie Ă  l’échelle internationale. Voir en particulier les notes.

(3)            CĂ©line Alvarez. Pour une refondation de l’école guidĂ©e par les enfants. ExposĂ© Ă  TEDxIsĂšreRiver (2014). Une intervention qui prĂ©sente la dynamique de innovation : https://www.youtube.com/watch?v=nwVgsaNQ-Hw

(4)            Site prĂ©sentant la dĂ©marche de CĂ©line Alvarez : « les lois naturelles de l’enfant ». Un beau support de communication avec de nombreuses vidĂ©os :     https://www.celinealvarez.org/notre-demarche

(5)            Liste des Ă©coles Montessori en France : http://www.ecoles-montessori.com. Un site sur la vie, l’Ɠuvre et le message de Maria Montessori : http://www.montessori-formations.fr/index.html  « L’enfant, ĂȘtre humain libre, peut nous enseigner Ă  nous et Ă  la sociĂ©tĂ©, l’ordre, le calme, la discipline et l’harmonie. Quand nous l’aidons, l’amour fleurit, un amour dont nous avons le plus grand besoin pour unir tous les hommes et crĂ©er une vie heureuse » Maria Montessori

(6)             Maria Montessori. L’enfant. DesclĂ©e de Brouwer, 2016 PremiĂšre Ă©dition en 1936. Lu trĂšs tĂŽt, dans notre premiĂšre jeunesse, ce livre a Ă©tĂ© pour nous une dĂ©couverte marquante.

(7)            Il y a quelques annĂ©es, une recherche de Rebecca Nye a mis en Ă©vidence la prĂ©sence d’une conscience spirituelle chez l’enfant. L’enfant nous dit-elle, a une « sensibilitĂ© innĂ©e Ă  la la transcendance ». « Pendant l’enfance, la spiritualitĂ© consiste principalement Ă  ĂȘtre attirĂ©e par l’interaction, Ă  rĂ©pondre au dĂ©sir d’entrer en relation avec quelqu’un d’autre que soi, que ce soit les autres, Dieu, la crĂ©ation ou la sensation plus profonde d’ĂȘtre soi ». Des recherches ont mis en Ă©vidence une sensibilitĂ© des enfants Ă  la prĂ©sence de Dieu.  Ces dĂ©couvertes viennent contredire des reprĂ©sentations longtemps dominantes qui mĂ©connaissaient la vitalitĂ© spirituelle des enfants. Pendant des siĂšcles de chrĂ©tientĂ©, une mentalitĂ© rĂ©pressive a dominĂ© en prenant forme dans la thĂ©ologie augustinienne du pĂ©chĂ© originel. A l’encontre de cette mentalitĂ©, aujourd’hui les paroles de JĂ©sus sur l’enfant reprennent toute leur actualitĂ© et on en perçoit davantage la portĂ©e. JĂ©sus a parlĂ© des enfants comme ceux « dont les anges dans le ciel se tiennent constamment auprĂšs de mon PĂšre cĂ©leste » (Matthieu 18.10) . « Si quelqu’un accueille un enfant, ce n’est pas seulement moi qu’il accueille, mais aussi Celui qui m’a envoyé » (Marc 9.37). On voit lĂ  un univers oĂč l’amour s’exprime, un univers appelĂ© Ă  sâ€˜Ă©tendre. Voir le livre : Rebecca Nye. La spiritualitĂ© de l’enfant. Empreinte. Temps prĂ©sent, 2015  http://www.temoins.com/lenfant-est-un-etre-spirituel/           Sur le site de TĂ©moins, voir aussi : « DĂ©couvrir la spiritualitĂ© des enfants. Un signe des temps ? » : http://www.temoins.com/decouvrir-la-spiritualite-des-enfants-un-signe-des-temps/

(8)            « Quel regard sur la société et sur le monde ? Un changement de perspective » : https://vivreetesperer.com/?p=191

(9)            « Vers une civilisation de l’empathie ? A propos du livre de JĂ©rĂ©mie Rifkin » : http://www.temoins.com/vers-une-civilisation-de-lempathie-a-propos-du-livre-de-jeremie-rifkinapports-questionnements-et-enjeux/

(10)      Sur ce blog : « La bontĂ© humaine. Est-ce possible ? La recherche et l’engagement de Jacques Lecomte » : https://vivreetesperer.com/?p=674

(11)      Sur ce thÚme, voir aussi quelques articles récents mis en ligne sur ce blog : « Une belle vie se construit avec de belles relations » : https://vivreetesperer.com/?p=2491              « La gratitude : un mouvement de vie » : https://vivreetesperer.com/?p=2469

 

Sur ce blog, on pourra voir aussi :

« Bienveillance humaine. Bienveillance divine. Une harmonie qui se répand » (Lytta Basset. Oser la bienveillance) : https://vivreetesperer.com/?p=1842