Comment nous reconnecter au vivant, Ă  la nature

https://boutique.salamandre.org/images/326x454/l-enqu%C3%AAte-sauvage-pourquoi-et-comment-renouer-avec-la-nature-_62137347e121b.pngL’enquĂȘte sauvage, de Anne-Sophie Novel

Nous savons que l’humanitĂ© est menacĂ©e par l’oppression qu’elle exerce sur la nature et par les consĂ©quences qui en rĂ©sultent : le dĂ©rĂšglement climatique et le recul de la biodiversitĂ©. Nous en sommes troublĂ©s, inquiets, angoissĂ©s. Mais, dans notre sociĂ©tĂ© urbaine, n’avons-nous pas perdu Ă©galement notre connection avec le vivant, avec la nature ? De la symbiose avec la nature qui s’établit, de fait, dans les sociĂ©tĂ©s rurales d’autrefois, ne sommes-nous pas aujourd’hui devenus prisonniers d’une vie qui tourne sur elle-mĂȘme sans plus ce contact rĂ©el avec le vivant sauvage, c’est-Ă -dire ce qui ne nous est pas soumis. C’est ainsi qu’un livre d’Anne-Sophie Novel vient nous surprendre : « L’enquĂȘte sauvage » (1). Si nous apprenions Ă  nous retrouver avec le vivant, avec la nature, nos engagements Ă©cologiques seraient d’autant plus profonds qu’ils seraient l’expression de toute notre personnalitĂ©, Ă  la fois de la tĂȘte et du cƓur. Anne-Sophie Novel nous propose un voyage pour nous plonger dans la nature sauvage en apprenant Ă  Ă©couter, Ă  observer, Ă  ressentir, Ă  s’ensauvager. A partir de lĂ , c’est un nouveau genre de vie qui Ă©merge, un terreau fertile pour l’engagement Ă©cologique.

A plusieurs reprises sur ce blog, nous avons rencontrĂ© Anne-Sophie Novel, militante Ă©cologiste et pionniĂšre d’une Ă©conomie collaborative. Nous avons rapportĂ© son livre visionnaire : «  Vive la co-rĂ©volution. Pour une sociĂ©tĂ© collaborative » (2). Journaliste indĂ©pendante, spĂ©cialisĂ©e dans les questions d’environnement et d’écologie, Anne-Sophie Novel, anime un blog : « MĂȘme pas mal » (3), et collabore Ă  plusieurs organes de presse.

 

Nous reconnecter au vivant, à la nature : un besoin vital

L’attention pour le vivant est au cƓur de cette recherche. « Le vivant. LĂ  est justement le sujet de cet ouvrage, un sujet mis Ă  l’index par notre systĂšme politico-Ă©conomique, car jugĂ© trop « fleur bleue », bien lĂ©ger et « bisounours » dans une civilisation oĂč la recherche de vitesse, d’efficacitĂ© ou de profit gĂ©nĂšrent de multiples violences » (p 8). Mais, de fait, c’est bien une question prioritaire qui nous concerne tous. Car, « cette rupture avec le vivant porte atteinte Ă  tous
 Et en particulier Ă  celles et Ă  ceux qui n’ont pas les moyens de se ressourcer rĂ©guliĂšrement en pleine nature, de rĂ©inventer leurs vies loin des bouchons et du bĂ©ton. Sans un nouveau rapport avec le vivant, notre civilisation occidentale va droit dans le mur. Et les plus fragiles d’entre nous en premier » (p 8). Anne-Sophie Novel a donc Ă©crit un livre pour nous permettre de nous reconnecter au vivant et Ă  la nature. Nous voici aujourd’hui en prĂ©sence d’une « quĂȘte universelle » :

« Reconnecter nos vies et notre sociĂ©tĂ© Ă  la nature est devenu une urgence vitale pour faire face aux crises Ă©cologiques et climatiques, pour enrayer l’extinction du vivant et renverser le modĂšle de dĂ©veloppement dominĂ© par les marchĂ©s financiers – et pour faire face aux dommages sociaux qu’ils engendrent. Il faut faire une force des interdĂ©pendances entre notre espĂšce et toutes les autres, la base d’un nouveau contrat social entre humains, et aussi entre humains, animaux et plantes. Il nous faut apprendre Ă  nous appuyer sur la nature et les ressources qu’elle offre sans chercher Ă  seulement la contraindre, la souiller ou l’épuiser. Il nous faut bĂątir un monde pour tous avec des espaces naturels, sinon sauvages pour nous ressourcer » (p 8-9).

 

Anne-Sophie Novel : un nouveau point de départ

Une opportunitĂ© s’est offerte Ă  Anne-Sophie Ă  l’occasion du confinement du printemps 2020. Elle s’est dĂ©cidĂ©e Ă  Ă©crire Ă  partir d’un nouveau genre de vie. En effet, « elle s’est arrachĂ©e Ă  la ville comme on arracherait une « mauvaise herbe », presque machinalement, par la force des choses ». Avec ses deux enfants : AdĂšle (10 ans) et Ulysse (5 ans), elle a « pris refuge sur la terre natale de son Ă©poux, Nicolas, dans une maison de famille conçue comme une grande cabane camouflĂ©e par les chĂȘnes en lisiĂšre de forĂȘt
 Loin de me rĂ©duire Ă  nĂ©ant, ce dĂ©racinement forcĂ© en mars 2020 s’est rĂ©vĂ©lĂ© ĂȘtre une renaissance » (p 18).

Cette expĂ©rience nouvelle a Ă©tĂ© dĂ©cisive. « J’ai surmontĂ© mes peurs. Je me suis reconnectĂ©e. J’ai rĂ©veillĂ© en moi, des souvenirs, un vĂ©cu. Je me suis enracinĂ©e tout en me dĂ©ployant autrement ». C’est Ă  partir de cette expĂ©rience qu’Anne-Sophie a trouvĂ© un nouvel Ă©lan pour s’engager dans une enquĂȘte oĂč elle n’a pas seulement consultĂ© de nombreux militants, innovateurs et experts, mais, en mĂȘme temps Ă©prouvĂ© et exprimĂ© de nouveaux ressentis personnels. Il lui a Ă©tĂ© donnĂ© ainsi de vivre une aventure qui lui a permis « d’adopter un Ɠil neuf pour rejoindre la nature autrement, de grandir avec elle, de renouer avec le vivant » (p 19). « GuidĂ©e par de nouvelles envies, par une autre Ă©coute, par des questions que je n’avais jamais explorĂ©es aussi profondĂ©ment, j’aspire Ă  comprendre intimement ce que cela signifie
 Qu’est-ce que le « vivant » et la « nature » pour moi ? Quels ont Ă©tĂ© nos rapports jusqu’à maintenant ? Et qu’est-ce que cela m’apporte d’y prĂȘter une attention nouvelle ? » (p 19).

 

Le mouvement d’une enquĂȘte et l’architecture d’un livre

Ainsi, dans ce livre, Anne-Sophie Novel nous invite Ă  la suivre dans une « enquĂȘte sauvage » composĂ©e de lectures, de rĂ©flexions personnelles, d’expĂ©riences et de nombreuses rencontres sur le terrain ». Cet ouvrage est particuliĂšrement dense et cette densitĂ© exclue tout compte-rendu dĂ©taillĂ©. En voici donc l’architecture et le mouvement comme Anne-Sophie nous en donne la trame. Dans un premier mouvement, au travers d’une expĂ©rience qui met en Ɠuvre tous les sens, Anne-Sophie se connecte au vivant et Ă  la nature. « Dans la redĂ©couverte du vivant, il m’a fallu tendre l’oreille dans un premier temps (chapitre Ecouter), puis ouvrir les yeux et changer de regard (chapitre Observer) avant de commencer Ă  Ă©prouver vraiment les bienfaits de la nature (chapitre Ressentir). Plus avant, « j’ai cherchĂ© Ă  surmonter mes peurs et mes angoisses pour entrer pleinement dans le monde sauvage et me regarder autrement (chapitre S’ensauvager). A partir de lĂ , Anne-Sophie Novel peut envisager autrement la transformation urgemment requise par la transition Ă©cologique. « Plongeant dans nos racines profondes, j’ai considĂ©rĂ© sous un autre prisme le soin apportĂ© au monde vĂ©gĂ©tal (chapitre Cultiver), avant de m’interroger sur nos façons d’habiter le monde (chapitre Cohabiter) : des conflits d’usage aux nombreuses solutions et initiatives pour protĂ©ger le vivant. J’en viens aux luttes et aux procĂ©dĂ©s sĂ©mantiques et juridiques dĂ©veloppĂ©s par de multiples gardiens et gardiennes de la terre (chapitre Lutter). Et je pars Ă  la rencontre d’éducateurs et de professeurs passionnĂ©s, mais aussi de naturaliste amateurs
 qui s’engagent au quotidien Ă  transmettre leurs dĂ©couvertes et leurs solutions pour prĂ©server l’essentiel (chapitre Transmettre).

 

A l’écoute

En lisant le premier chapitre ‘Ecouter’, donc un point de dĂ©part, on comprend l’approche de Anne-Sophie Novel. Celle-ci apparaĂźt clairement dans l’avant-propos du chapitre :

« Si l’on comprend que se taire permet de faire le premier pas vers la vie sauvage

OĂč l’on doit lĂącher prise pour accepter l’inconnu et dĂ©velopper un autre type d’attention

OĂč l’on est subjuguĂ© par un sentiment ocĂ©anique en pleine forĂȘt

OĂč l’on se laisse guider par les oiseaux pour entrer dans la phonocĂšne » (p 21).

Anne-Sophie nous rapporte ses expĂ©riences de marche en silence dans la nature. Et, par exemple, une « marche main dans la main et Ă  l’aveugle ». Au total, « c’est une façon de se mettre au diapason. Il faut accepter de se taire, de ne plus rien dire, ne rien formuler, ni attendre, se laisser porter et tout oublier pour revoir tout autrement. LĂ  oĂč avant, j’entrais sans crier gare, sans cesser de bavarder lors de balades ou de randonnĂ©es, maintenant je marque le pas, je ralentis, je baisse la voix, j’essaye d’avancer en chƓur » (p 22).

Dans une expĂ©rience de marche silencieuse en Gironde, Anne-Sophie rĂ©alise une ballade sensorielle grĂące Ă  l’organisatrice, Magali Coste, Ă©cothĂ©rapeute. Au delĂ  de l’exercice des cinq sens les plus connus, elle apprend la complexitĂ© de la perception. C’est la dĂ©couverte de « la proprioception (ou perception, consciente ou non, des diffĂ©rentes parties du corps), l’équilibrioception (ou sens de l’équilibre), la thermoception (ou sens de la chaleur et de l’absence de chaleur)  » (p 23).

Dans son nouveau lieu d’habitation au printemps 2020, Anne-Sophie, qui prĂ©fĂ©rait la mer, a dĂ©couvert la campagne. Elle nous raconte une ballade avec sa famille dans la forĂȘt voisine. « Nous marchions depuis plusieurs heures lorsque nous avons dĂ©bouchĂ© sur une clairiĂšre dont je ne connaissais pas l’existence. Il faisait doux, le temps Ă©tait magnifique, les herbes Ă©taient trĂšs hautes, une brise y dessinait des ondes de douceur. Un instant magique
 A chaque pas, s’ouvraient Ă  nous de magnifiques orchidĂ©es sauvages, de somptueux papillons tout petits tout blancs et nous savourions un moment suspendu quand un souffle inattendu vint nous surprendre  » (p 27) Anne-Sophie sursaute et interroge Ă  ce sujet son mari Nicolas. « C’est le vent dans les arbres, le ballet de la canopĂ©e. Je suis subjuguĂ©e par le spectacle de ces Ă©lĂ©ments
 C’est non seulement beau, mais tellement Ă©vident. Comment n’avais-je pas perçu auparavant la beautĂ© de cette Ă©cume vĂ©gĂ©tale ? Le vent dans ces feuillages me fait un bien fou, je le savoure, respire profondĂ©ment. En moi, ce jour lĂ , s’est passĂ© quelque chose. J’ai Ă©tĂ© happĂ©e, comme appelĂ©e, profondĂ©ment captivĂ©e. J’ai senti pousser une autre nature, insoupçonnĂ©e, indispensable  » (p 27-28).

Un autre aspect de l’écoute, c’est le chant des oiseaux. Anne-Sophie y accorde beaucoup d’importance dans ce chapitre. « La nature m’a toujours parlĂ© et le chant des oiseaux tient, en la matiĂšre, l’essentiel de la partition. C’est d’ailleurs un trait commun Ă  de nombreux naturalistes et amoureux de la nature que d’avoir Ă©tĂ© orientĂ©s par ces sirĂšnes » (p 29). Comme c’est le cas tout au long de ce livre et ce qui contribue Ă  en faire la grande richesse, Anne Sophie Novel part Ă  la rencontre de ces chercheurs pour nous faire part de leurs dĂ©couvertes. Et ainsi, elle interroge l’audio-naturaliste Fernand Deroussen « pour tenter de mieux comprendre les ressorts de l’écoute dans l’apprĂ©hension du vivant ». Et celui-ci lui dit : « Les oiseaux me passionnent, ils sont incontournables, mais en forĂȘt, on ne les voit jamais. C’est ainsi que j’ai commencĂ© Ă  ĂȘtre attentif Ă  leurs chants  ». Son approche dĂ©bouche sur « la conscience de faire partie d’un tout ». « Dans la nature, les espĂšces se comprennent, il y a un langage universel, un langage d’écoute des autres formes de vie. HĂ©las, l’homme a perdu ce langage, l’humain ne vit que pour l’humain ». A la diffĂ©rence des bioacousticiens, Fernand rĂ©colte les sons Ă  des fins artistiques. « On doit connaĂźtre ce qu’on Ă©coute, forcĂ©ment, mais je me prĂ©occupe plus de l’émotion et de la beauté » (p 29).

Anne-Sophie est maintenant sensible aux sons. Elle Ă©coute tous les bruits de la nuit. Et elle a remarquĂ© le bruit de fond Ă©mis par les activitĂ©s humaines et si dĂ©rangeant. Les biologistes ont commencĂ© par Ă©tudier cette pollution sonore et Ă  en mettre en Ă©vidence les mĂ©faits. « A court terme, le bruit chasse les pollinisateurs et les insectes ». (p 32). Elle a mĂȘme une incidence sur la vĂ©gĂ©tation en rĂ©duisant le nombre de jeunes pousses
 En 1962 dĂ©jĂ , Rachel Carson alertait sur « Le printemps silencieux ». « Nous sommes tellement bruyants que nous n’entendons plus la vie autour de nous » (p 33).

Anne-Sophie a Ă©galement rencontrĂ© FrĂ©dĂ©ric Giguet, un Ă©minent ornithologue, professeur au MusĂ©um national d’histoire naturelle. « Pendant quinze ans, FrĂ©dĂ©ric Giguet s’est occupĂ© du « Suivi temporel des oiseaux communs ». FascinĂ© par les oiseaux depuis le plus jeune Ăąge (A six ans, il demandait dĂ©jĂ  Ă  ses parents d’aller en Camargue pour voir les flamants roses), cet ornithologue sait Ă  quel point les oiseaux sont d’excellents indicateurs de l’état de santĂ© des Ă©cosystĂšmes » (p 34-35). Ainsi, le programme « Oiseaux des jardins », lancĂ© en 2012, afin d’impliquer le public dans le dĂ©compte des oiseaux, a toute sa raison d’ĂȘtre.

Anne-Sophie nous raconte Ă©galement sa visite au « Jardin des murmures », de Magali Costes, « composĂ© d’une prairie, d’une bambouseraie, d’un jardin mĂ©dicinal et d’un petit vallon traversĂ© par un ruisseau » (p 38). « Ces espaces trĂšs divers facilitent la reproduction de nombreux oiseaux ». « Nous sommes ici dans une communautĂ© reconnue comme telle oĂč « le moins que l’on puisse faire pour mĂ©nager la vie commune, c’est de ne rien faire ». Et Magali Coste, amoureuse des oiseaux, sait partager sa passion. « Nous comprenons grĂące Ă  elle que le plumage des oiseaux change chaque annĂ©e, qu’ils le nettoient
 Les mĂ©sanges sont mĂȘme de vĂ©ritables herboristes capables de ramener dans leurs nids de la lavande, de la menthe, du camphrier ou de l’immortelle dont les propriĂ©tĂ©s aromatiques ont des propriĂ©tĂ©s fongicides et insecticides qui leur sont trĂšs utiles (p 39).

Anne-Sophie poursuit son enquĂȘte en rencontrant GrĂ©goire LoĂŻs, ornithologue responsable du programme « Vigie-Nature » du MusĂ©um d’histoire naturelle. La conversation se porte notamment sur les aptitudes extraordinaires des oiseaux migrateurs. « Avec lui, je rĂ©alise que les volatiles sont des messagers prĂ©cieux. Ils ont parcouru des milliers d’annĂ©es pour arriver jusqu’ici. Ils sont dotĂ©s de compĂ©tences « surhumaines » et savent parcourir des distances phĂ©nomĂ©nales ». « L’oiseau n’est pas perchĂ©. Il est ancrĂ©. C’est un trait d’union entre le ciel et la terre, Ă  travers les Ăąges, Ă  travers les espĂšces » (p 40). Dans cette conversation, « le regard d’Anne-Sophie sur les volatiles a fini par se transformer totalement » (p 39).

Et si on Ă©largissait encore l’angle de vue ? « La philosophe Viviane Despret questionne le comportement des volatiles en s’appuyant sur les travaux des ornithologues ». Elle force le trait.

« Je me dis qu’on a peut-ĂȘtre Ă  faire Ă  des compositions, voire Ă  des partitions – au sens musical. On peut mĂȘme aller plus loin et se dire que ce qui intĂ©resse les oiseaux, ce sont les relations avec les autres oiseaux/congĂ©nĂšres, et finalement pas des histoires de reproduction, de territoire Ă  dĂ©fendre ou Ă  conquĂ©rir, etc  » (p 41). Et « riche des observations ornithologiques qu’elle a Ă©tudiĂ©es, elle les remet dans le sensible, dans l’étoffe du ressenti, et nous invite Ă  inscrire notre Ă©poque
 sous le signe du « PhonocĂšne », entendu comme une Ăšre oĂč on va devoir entendre les sons de la terre ». « Avec l’ouĂŻe, on est dans un rapport plutĂŽt de curiositĂ©. On est en quĂȘte de rĂ©el. Entrer dans le phonocĂšne, c’est se mettre dans d’autres systĂšmes par rapport Ă  la vĂ©ritĂ© qui produisent plus de rĂ©el, qui sortent de l’idĂ©e que l’humain est exceptionnel, notamment parce qu’il a le langage  » (p 42).

Anne-Sophie Novel rappelle qu’une proposition de loi pour « protĂ©ger le patrimoine sensoriel des campagnes » a Ă©tĂ© votĂ©e dĂ©finitivement par le parlement français en janvier 2021.

Toutes ces dĂ©couvertes n’ont pas Ă©puisĂ© la curiositĂ© d’Anne-Sophie Novel qui nous dit poursuivre sa recherche par des observations personnelles et par l’exploration des ressources d’internet.

Nous venons de rapporter la richesse du chapitre : « Ecouter », tant par l’expression des ressentis de l’auteure que par une enquĂȘte soutenue auprĂšs des meilleurs experts. Et ce n’est que le premier chapitre ! C’est dire combien ce livre est une ressource majeure. Nous y apprenons la biodiversitĂ© concrĂštement et sur toutes les coutures. Anne-Sophie Novel dĂ©ploie dans ce livre une recherche active qui nous entraine dans un mouvement de vie en phase avec le vivant.     Dans la conclusion de ce livre, elle rappelle son intention : « Aujourd’hui, il nous faut dĂ©fendre la puissance de la vie contre la logique mortifĂšre des lobbies. Et comprendre que le monde sauvage incarne tout ce Ă  quoi nous avons renoncé : la libertĂ©, l’autonomie et la connaissance parfaite de notre environnement. La nature est un espace d’enseignements illimitĂ©s : elle nous apprend la patience, la rĂ©silience et l’adaptation, elle nous apprend Ă  jouir des mille ressources qu’offre le monde vivant et Ă  lutter pour qu’il demeure ainsi » (p 232). Tout au long de ce livre, elle a bien suivi cette piste. Elle peut ainsi continuer Ă  nous appeler Ă  un mouvement concret : « Passez le plus de temps possible au grand air au contact de tous les ĂȘtres qui palpitent, des roches, des cours d’eau, du vent
 Soyez libres, enracinĂ©s et riches de la diversitĂ© qui vous entoure, dans cette puissance spontanĂ©e (et gratuite) du vivant  » (p 233). Anne-Sophie Novel ouvre pour nous un horizon et une dynamique.

J H

  1. Anne-Sophie Novel. L’enquĂȘte sauvage. Pourquoi et comment renouer avec le vivant. Salamandre, Colibris. 2022
  2. Une rĂ©volution de l’ « ĂȘtre ensemble » : https://vivreetesperer.com/une-revolution-de-letre-ensemble/ Voir aussi : Anne-Sophie Novel, militante Ă©cologiste et pionniĂšre de l’économie collaborative : https://vivreetesperer.com/anne-sophie-novel-militante-ecologiste-et-pionniere-de-leconomie-collaborative/
  3. Le blog d’Anne-Sophie Novel : MĂȘme pas mal : https://www.lemonde.fr/blog/alternatives/a-propos/

 

Voir aussi :

« Animal » de Cyril Dion : https://vivreetesperer.com/?s=Cyril+Dion+animal&et_pb_searchform_submit=et_search_proccess&et_pb_include_posts=yes&et_pb_include_pages=yes

Ecospiritualité : https://vivreetesperer.com/ecospiritualite/

L’espĂ©rance en mouvement : https://vivreetesperer.com/lesperance-en-mouvement/

Jane Goodhall : une recherche pionniÚre sur les chimpanzés, une ouverture spirituelle, un engagement écologique : https://vivreetesperer.com/jane-goodall-une-recherche-pionniere-sur-les-chimpanzes-une-ouverture-spirituelle-un-engagement-ecologique/

A travers les mĂ©andres de l’histoire, une humanitĂ© meilleure qu’il n’y paraĂźt

https://m.media-amazon.com/images/I/41NEIidZccL._SX195_.jpgUne approche « optimiste » pour une action positive
Selon Rutger Bregman

Lorsqu’on remonte le cours de l’histoire, notre attention est attirĂ©e par les massacres qui la jalonnent, autant de malheurs engendrĂ©s par les ambitions, les Ă©goĂŻsmes, les fureurs collectives. Dans son livre sur la ,

philosophie de l’histoire, « Darwin, Bonaparte et le Samaritain », Michel Serres nous parle d’un Ăąge dur symbolisĂ© par la figure guerriĂšre de Bonaparte (1). Il y a donc lĂ  la matiĂšre d’une dĂ©prĂ©ciation de l’homme. Dans une gĂ©nĂ©ralisation abusive, il peut nous apparaĂźtre comme violent et Ă©goĂŻste. Ce regard engendre la mĂ©fiance et cette mĂ©fiance alimente les tensions. Ainsi l’homme est perçu comme dangereux. Alors ses instincts prĂ©sumĂ©s nĂ©fastes doivent ĂȘtre rĂ©primĂ©s et il doit ĂȘtre encadrĂ© par un pouvoir fort, autoritaire et hiĂ©rarchique. En Occident, cette vision sombre de l’homme a Ă©tĂ© religieusement cautionnĂ©e par la thĂ©ologie du pĂ©chĂ© originel (2), mais on la retrouve Ă©galement chez ses penseurs matĂ©rialistes comme Freud (3). Cette vision nĂ©gative de l’homme n’est pas sans consĂ©quences. Loin de faire barrage, elle amplifie le mal. Elle ouvre la voie au fatalisme et Ă  la rĂ©signation. Elle influe sur nos comportements. Ce problĂšme a Ă©tĂ© abordĂ© en France par un pionnier de la psychologie positive Jacques Lecomte (4). En psychologie aussi, si nous nous attardons uniquement sur nos  dysfonctionnements, cette orientation fera barrage Ă  une dynamique positive. Nous avons dĂ©jĂ  prĂ©sentĂ© sur ce blog le beau livre de Jacques Lecomte : « La bontĂ© humaine ». L’homme n’est pas monolithique. Il y a en lui des inclinations diffĂ©rentes.

Dans son rĂ©cent livre : « HumanitĂ©. Une histoire optimiste » (5), le chercheur nĂ©erlandais, Rutger Bregman, s’engage dans la mĂȘme voie Ă  partir d’une recherche approfondie qui prend souvent la forme d’enquĂȘtes. Il dĂ©monte le mythe que les gens sont « égoĂŻstes » et « agressifs » et il ouvre la voie Ă  une autre perception : « Les gens sont des gens bien » (p 21). On connaĂźt de mieux en mieux les effets positifs de l’effet placebo. Notre imagination transforme les situations en bien, mais ce peut ĂȘtre aussi en mal, ce qu’on qualifie aujourd’hui d’ « effet Nocebo ». Voici la raison d’ĂȘtre du livre de Rutger Bregman : « Une vision nĂ©gative de l’humanitĂ© n’a-t-elle pas aussi un effet nocebo ? Si nous croyons que la plupart des gens sont mauvais, c’est ainsi que nous allons nous traiter mutuellement. Du coup, nous allons flatter chez chacun et chacune les plus vils instincts. AprĂšs tout, peu d’idĂ©es ont autant d’influence sur le monde que notre vision de l’humanitĂ©. Ce que l’on prĂ©suppose chez l’autre, c’est ce que l’on suscite. Quand il s’agit des plus grands dĂ©fis de notre Ă©poque, du rĂ©chauffement climatique au dĂ©clin de la confiance que l’on porte au prochain, je pense que la rĂ©ponse commence par une autre perception du genre humain. Je ne compte pas prĂ©tendre dans ce livre que l’homme est naturellement bon. Nous ne sommes pas des anges. Nous avons tous une bonne et une mauvaise jambe. La question, c’est de savoir laquelle nous exerçons. Je souhaite simplement montrer que nous avons tous et toutes naturellement depuis l’enfance -que ce soit sur une ile inhabitĂ©e, lorsqu’une guerre Ă©clate ou que les digues se rompent- une forte prĂ©fĂ©rence pour notre bonne jambe. Ce livre rassemble un grand nombre d’élĂ©ments scientifiques. Il en ressort qu’il est rĂ©aliste d’avoir une vision plus positive de l’ĂȘtre humain. D’ailleurs, je pense que cela peut devenir encore plus rĂ©aliste si nous nous mettons Ă  y croire » (p 28-29).

Tout au long de ce livre, Rutger Bregman relate des faits historiques ou des histoires. Il analyse les interprĂ©tations, et bien souvent, pour en diminuer les biais, il effectue des enquĂȘtes en remontant le temps. Comme un dĂ©tective, il dĂ©couvre les dessous des faits Ă©tudiĂ©s. Rutger Bregman allie ainsi la dĂ©marche d’un auteur de roman policier et celle d’un historien et d’un sociologue. Il met sa grande culture au service d’une cause : la mise en Ă©vidence d’une nouvelle vision de l’humanitĂ©.

 

Un nouveau regard Ă  propos de situations sociales en tension

Pour dĂ©monter les prĂ©jugĂ©s et introduire un nouveau regard, ce livre nous entraine dans un parcours. Et, tout d’abord, Ă  partir d’exemples saisissants, il contredit des reprĂ©sentations nĂ©gatives de situations sociales et nous apporte en regard une vision positive. Comme l’affirme Gustave Thibon dans « la psychologie des foules », est-il vrai que, dans des situations d’urgence, « l’homme descend de plusieurs degrĂ©s sur l’échelle de la civilisation » ? (p 11).          L’expĂ©rience dĂ©ment cette prĂ©diction. Lorsqu’en septembre 1940, les bombardiers allemands s’attaquĂšrent Ă  la ville de Londres et commencĂšrent leur Ɠuvre de destruction, la population, loin de s’effondrer sous le choc, rĂ©sista. « Gustave Le Bon, le fameux psychologie des masses, n’aurait pas pu ĂȘtre plus Ă©loignĂ© de la vĂ©ritĂ©. La situation d’urgence ne convoquait pas le pire chez les ĂȘtres humains. Le peuple britannique s’était prĂ©cisĂ©ment Ă©levĂ© de quelques degrĂ©s sur l’échelle de la civilisation » (p 14). Etait-ce lĂ  un phĂ©nomĂšne spĂ©cifiquement britannique ? Pas vraiment puisque lorsque par la suite des bombardements Ă©crasĂšrent les villes allemandes, la population rĂ©sista.

Rutger Bregman apporte d’autres exemples. Ainsi lorsque l’ouragan Katrina dĂ©vasta La Nouvelle OrlĂ©ans aux Etats-Unis, il n’en rĂ©sulta pas une sauvage anarchie comme cela fut rapportĂ© par certains medias , mais au contraire un mouvement de solidaritĂ© et d’amour du prochain, un dĂ©menti au commentaire d’un historien britannique : « Retirez les Ă©lĂ©ments de base de la vie organisĂ©e et civilisĂ©e et nous retournerons en quelques heures Ă  un Ă©tat de nature hobbesien (Ă  l’image de la thĂ©orie d Hobbes), celui d’une guerre de tous contre tous » (p 23). D’autres chercheurs montrent  au contraire que, dans les situations d’urgence, c’est ce que les gens ont de meilleur qui revient Ă  la surface (p 26). Le pessimisme dominant sur la nature humaine apparait dans un roman de William Golding : « Sa majestĂ© de mouches » (Lord of the flies). C’est la dĂ©sintĂ©gration d’un groupe d’écoliers britanniques ayant Ă©chouĂ© dans une ile dĂ©serte. Cette histoire est une pure invention. Elle tĂ©moigne du parti pris de l’auteur : « L’homme produit le mal comme l’abeille produit le miel ». Ce livre a connu un grand succĂšs. « Il a Ă©tĂ© traduit en plus de trente langues et est devenu un des plus grands classiques du XXĂš siĂšcle » (p 42). En fait, il a rejoint et confortĂ© un pessimisme ambiant . Rutger Bregman nous raconte combien ce livre l’avait attristĂ©. Aussi lorsque le temps de sa recherche est arrivĂ©, il a dĂ©couvert un auteur « assez torturé » (p 43) et surtout, Ă  sa maniĂšre de dĂ©tective, il s’est mis Ă  chercher si, en vrai, on avait des rĂ©cits d’enfants naufragĂ©s et comment ils avaient rĂ©agi. Et, Ă  partir d’internet, cette enquĂȘte a finalement abouti. Dans le Pacifique, six enfants avaient Ă©chouĂ© sur une ile dĂ©serte. Ils s’étaient bien entendu et finalement ils avaient pu ĂȘtre libĂ©rĂ©s (p 41-57). Au total, Rutger Bregman nous rapporte les effets nĂ©gatifs des rĂ©cits cyniques  sur notre vision du monde.

 

La nature humaine à travers l’histoire

Mais d’oĂč vient l’humanité ? Quel est notre hĂ©ritage ? Comment notre vie en sociĂ©tĂ© a-t-elle Ă©voluĂ© jusqu’à aujourd’hui ? L’auteur s’engage dans une recherche anthropologique. Son chapitre sur l’état de nature commence par une Ă©vocation de la vision opposĂ©e de Hobbes et de Rousseau. « Hobbes, le pessimiste croyait que l’homme Ă©tait naturellement mauvais. Seule la civilisation, pensait-il, pouvait nous sauver de nos instincts bestiaux. En face, Rousseau Ă©tait convaincu que nous Ă©tions profondĂ©ment bons. Mais il pensait que la civilisation nous avait abimé » (p 61) . L’auteur envisage l’évolution de l’humanitĂ© de l’homme de NĂ©anderthal Ă  l’Homo Sapiens. Si on a pu soupçonner l’Homo Sapiens d’avoir Ă©liminĂ© ses prĂ©dĂ©cesseurs, Rutger Bregman rĂ©pond Ă  cette accusation en mettant en valeur la spĂ©cificitĂ© positive de notre espĂšce : la sociabilitĂ©. Et, pour cela, il nous rapporte une expĂ©rience entreprise en SibĂ©rie montrant la possibilitĂ© d’évolution de renards argentĂ©s d’une redoutable agressivitĂ© Ă  une sensibilitĂ© extrĂȘme et Ă  toutes les qualitĂ©s attenantes. Cette extraordinaire expĂ©rience nous aide Ă  percevoir les caractĂ©ristiques positives de l’Homo Sapiens : « Les ĂȘtres humains sont des machines Ă  apprendre hypersensibles. Nous sommes nĂ©s pour apprendre, pour nouer des liens et pour jouer » (p 87).

Et cependant, la violence meurtriĂšre est un fait historique. L’auteur n’élude pas le problĂšme. Il y rĂ©pond d’abord par un chapitre qui montre que, mĂȘme dans l’armĂ©e, les soldats ne sont pas prĂ©disposĂ©s Ă  tirer pour tirer. Et de plus il semble que le phĂ©nomĂšne de la guerre ait eu un commencement. « La guerre ne remonte pas Ă  des temps immĂ©moriaux. Selon l’éminent archĂ©ologue, Brian Ferguson, elle a eu un dĂ©but ». « Disposons-nous de preuves archĂ©ologiques pour Ă©tayer l’existence de formes de guerre primitives antĂ©rieures Ă  la domestication du cheval, Ă  l’invention de l’agriculture et aux premiĂšres colonies de peuplement ? Quelles sont les preuves que nous sommes d’une nature belliqueuses ? RĂ©ponse : il n’y en a pratiquement pas  » (p 111).

Nous voici donc engagĂ© dans une recherche historique. Selon Rutger Bregman, la guerre n’a guĂšre prospĂ©rĂ© chez les chasseurs cueilleurs, des sociĂ©tĂ©s portĂ©es au partage.

Cependant, le climat se rĂ©chauffant aprĂšs la derniĂšre pĂ©riode glaciaire, il y a environ 15000 ans, la lutte commune contre le froid a cessĂ©. Les populations se sont installĂ©es. « Plus important encore, les gens ont commencĂ© Ă  accumuler des biens » (p 120). Le patrimoine s’est accru. Des pouvoirs autoritaires se sont mis en place. « Ce qui est fascinant, c’est que c’est justement Ă  cette Ă©poque aprĂšs la fin de la pĂ©riode glaciaire qu’ont eu lieu les premiĂšres guerres » (p 121). Il y a une corrĂ©lation entre le dĂ©veloppement des Ă©tats et des empires et l’expansion de la guerre. « Notre vision de l’histoire a Ă©tĂ© dĂ©formĂ©e. La civilisation est devenue synonyme de paix et de progrĂšs tandis que la vie sauvage Ă©quivalait Ă  la guerre et au dĂ©clin. En rĂ©alitĂ©, pendant la majeure partie de notre histoire, cela a Ă©tĂ© plutĂŽt le contraire (p 131). De fait, « le vĂ©ritable progrĂšs est en fait trĂšs rĂ©cent ». « Il ne s’agit donc pas d’ĂȘtre fataliste face Ă  la civilisation. Nous pouvons choisir de rĂ©organiser nos villes et nos Etats dans l’intĂ©rĂȘt de chacun et de chacune  » (p 133).

 

Au nom de préjugés pessimistes, comment des expérience en psychologie sociale ont été dévoyées.

Dans les annĂ©es 1950 et 1960, la psychologie sociale a grandi. C’est alors que dans l’humeur dominante de l’époque, de jeunes psychologues ont rĂ©alisĂ© des expĂ©rimentations qui partaient de postulats nĂ©gatifs sur la nature de l’homme. Certaines d’entre elles ont exercĂ© une grande influence, par exemple une expĂ©rience menĂ©e par Stanley Milgram Ă  l’universitĂ© Yale. Des moniteurs Ă©taient chargĂ©s d’envoyer des Ă©lectrochocs (en rĂ©alitĂ© factices) Ă  des cobayes donnant de mauvaises rĂ©ponses. De fait, la majoritĂ© des moniteurs suivirent les consignes de l’expĂ©rimentateur jusqu’à de grandes dĂ©charges. Ces rĂ©sultats furent abondamment diffusĂ©s. « Pour Milgram, tout tournait autour de l’autoritĂ©. Il dĂ©crit l’humain comme un ĂȘtre qui suivait des ordres sans broncher » (p 183). Un Ă©cho aux atrocitĂ©s nazies
         Comme pour d’autres expĂ©rimentations mettant en valeur le cĂŽtĂ© sombre de la nature humaine, Rutger Brugman a enquĂȘtĂ©, remontant dans les archives et dans la mĂ©moire humaine. Et, Ă  partir de lĂ , il met en Ă©vidence les biais de ces expĂ©riences. Ici, il montre les rĂ©sistances larvĂ©es des participants. « Si vous pensez qu’une telle rĂ©sistance ne sert Ă  rien, lisez donc l’histoire du Danemark pendant la seconde guerre mondiale. C’est l’histoire de gens ordinaires tĂ©moignant d’un courage extraordinaire. Une histoire qui montre que cela a toujours un sens de rĂ©sister mĂȘme dans les circonstances les plus sombres » (p 196).

 

La violence meurtriÚre est un fait. Comment en comprendre les ressorts ?

Pendant la seconde guerre mondiale, on a pu constater les performances de l’armĂ©e allemande. Une contre propagande a Ă©tĂ© organisĂ©e. Les effets ont Ă©tĂ© limitĂ©s. La recherche a montrĂ© quelles raisons bien plus simples permettaient d’expliquer les performances presque surhumaines de l’armĂ©e allemande. Kameradschaft : l’amitié  En fin de compte, les soldats ne se battaient pas pour un Reich millĂ©naire, pour « le sang et le sol ». Ils se battaient pour leurs camarades qu’il ne fallait pas laisser tomber. « En fait, nos ennemis souvent nous ressemblent » (p 228). MĂȘme pour les terroristes, les liens sociaux comptent beaucoup. « Cela n’excuse pas leurs crimes, mais cela les explique » (p 230).

Ensuite, l’auteur rappelle les Ă©tudes qui montrent la rĂ©pugnance de beaucoup de soldats Ă  tirer sur leurs ennemis. « Il y a une aversion atavique des ĂȘtres humains pour la violence » (p 241). « La plupart du temps, on ne tire pas de prĂšs, mais de loin » (p 241). « Les guerres, de mĂ©moire d’homme, se gagnent donc en employant le plus de gens possible pour tirer Ă  distance » (p 241). « Enfin, il y a un groupe pour lequel il est aisĂ© de garder une distance avec l’ennemi, c’est le groupe qui se trouve au sommet » (p 243). Alors comment se fait-il que les Ă©goĂŻstes, « les bandits, les personnalitĂ©s narcissiques, les sociopathes pervers parviennent si souvent Ă  se hisser au sommet de la hiĂ©rarchie ? » (p 204). Rutger Bregman s’interroge donc sur le pouvoir et, Ă  cet Ă©gard, il rappelle les Ă©crits de Machiavel : « la thĂ©orie selon laquelle il vaut mieux mentir et tricher si l’on veut parvenir Ă  quelque chose » (p 216). L’auteur se montre trĂšs critique vis Ă  Ă  vis du pouvoir, de ses effets et de ses consĂ©quences. Il rappelle le mot cĂ©lĂšbre de lord Acton : « Tout pouvoir corrompt et le pouvoir absolu corrompt absolument » (p 254). Par ailleurs le pouvoir va de pair avec le dĂ©veloppement ou le maintien des inĂ©galitĂ©s. « Certaines sociĂ©tĂ©s ont donc montĂ© quelque chose pour mieux distribuer le pouvoir. Nous appelons cela la dĂ©mocratie ». Mais il y a des limites.

 

L’hĂ©ritage des lumiĂšres

Le siĂšcle des lumiĂšres : une Ă©tape majeure dans l’histoire occidentale. Rutger Bregman nous en montre les apports dĂ©cisifs. Les lumiĂšres ont posĂ© les fondements du monde moderne de la dĂ©mocratie Ă  l’état de droit, de l’éducation Ă  la science » (p 265). Cependant certains philosophes des lumiĂšres comme Hobbes posaient sur l’homme un regard trĂšs pessimiste. « Face Ă  la corruption de l’homme, ils s’appuyaient sur la raison ». « Ils se sont persuadĂ©s que nous pouvions dĂ©velopper des institutions intelligentes qui tiendraient compte de notre Ă©goĂŻsme inné » (p 266). L’économie a Ă©tĂ© envisagĂ©e comme la mise en Ɠuvre des intĂ©rĂȘts. Dans la premiĂšre dĂ©mocratie occidentale, les Etats-Unis, la constitution posait des contrĂŽles et des contre-pouvoirs. « On doit faire jouer l’ambition contre l’ambition » (p 267).

Lorsqu’on dresse l’hĂ©ritage des lumiĂšres, on y voit de grands bienfaits. Mais aussi, il y a une part d’ombre. Et, dĂšs lors, on peut s’interroger pourquoi les institutions hĂ©ritiĂšres des lumiĂšres (dĂ©mocratie,  Ă©tat de droit, vie Ă©conomique) se fondaient-elles sur une conception aussi pessimiste de la nature humaine. Pourquoi s’attachaient-elles Ă  une vision si nĂ©gatives de l’humanité ? Ces nĂ©gations n’ont-elles pas nuit Ă  une bonne marche des institutions ? « Pourrions-nous miser sur la raison et utiliser notre entendement pour crĂ©er de nouvelles institutions qui s’appuieraient sur une toute autre conception de l’humanité ? » (p 271). La recherche de Rutger Brugman va s’orienter dans ce sens.

 

L’influence des reprĂ©sentations sur les attitudes et les comportements. Les effets placebo et nocebo

Si, dans sa recherche de la vĂ©ritĂ©, l’auteur en Ă©tait venu Ă  se mĂ©fier des croyances, Ă  un moment, il a commencĂ© Ă  douter du doute lui-mĂȘme. C’est ici qu’il nous rapporte les cĂ©lĂšbres recherches de Bob Rosenthal. « Les rats, dont les Ă©tudiants pensent, en fonction des informations qui leur ont Ă©tĂ© donnĂ©es, qu’ils sont plus intelligents et plus vifs, rĂ©ussissent effectivement mieux » (p 277). Rosenthal dĂ©couvre que « la façon dont les Ă©tudiants manipulaient les rats « intelligents »- plus chaleureuse, plus douce et plus chargĂ©e d’attentes- changeait la façon dont les rats se comportaient » (p 278). Et cette influence d’une image positive sur les rĂ©alisations de ceux Ă  qui elle est affectĂ©e s’est confirmĂ©e brillamment dans une Ă©cole. Les Ă©lĂšves dont il Ă©tait cru qu’ils Ă©taient plus douĂ©s que les autres, rĂ©ussissaient beaucoup mieux. Rosenthal appelle sa dĂ©couverte l’effet Pygmalion. L’effet Pygmalion rappelle l’effet placebo. Seulement, « il ne s’agit pas ici d’une attente d’un effet sur nous-mĂȘme. Cette fois, c’est une attente qui produit un effet sur les autres » (p 279). Contrairement Ă  d’autres, cette dĂ©couverte a Ă©tĂ© validĂ©e maintes fois. Mais en a-t-on tirĂ© tous les enseignements ? « Si nos attentes peuvent devenir rĂ©alitĂ©, c’est aussi le cas de nos hantises. Le jumeau malĂ©fique de l’effet Pygmalion est appelĂ© « l’effet Golem » (p 279). « Notre monde est tissĂ© d’effets Pygmalion et d’effets Golem
 L’homme est une antenne qui s’ajuste Ă  la frĂ©quence des autres » (p 280-281). C’est dire l’influence de nos reprĂ©sentations collectives et notamment du regard que nous portons sur la condition humaine d’autant qu’il y a des effets induits. On adopte ce que les autres adoptent. Les gens se laissent souvent entrainer par ce qui leur apparaĂźt l’opinion dominante. DĂšs lors, Rutger Bregman s’interroge. « Notre conception nĂ©gative de l’humanitĂ© relĂšve-t-elle aussi de l’ignorance collective. Craignons-nous que la plupart des gens soient Ă©goĂŻste parce que nous pensons que c’est ce que pensent les autres ? Et nous conformons-nous Ă  ce cynisme alors que nous aspirons en rĂ©alitĂ© Ă  une vie plus riche en gentillesse et en fraternité » (p 283). Ne nous laissons pas enfermer dans des spirales nĂ©gatives. « La haine n’est pas la seule Ă  ĂȘtre contagieuse. La confiance l’est aussi » (p 283).

 

Puissance de la motivation intrinsĂšque

La conviction d’un homme peut susciter la confiance et des rĂ©alisations Ă  contre-courant qui sortent de l’ordinaire. L’auteur nous donne l’exemple de Jos de Blok, fondateur de la Fondation Boutsorg, une organisation nĂ©erlandaise de soins Ă  domicile ou prĂ©vaut l’entraide en dehors d’une tutelle hiĂ©rarchique (p 285). A cette occasion, Rutger Bregman met en valeur « une motivation intrinsĂšque ». « Pendant longtemps, on a cru que le monde du travail dĂ©pendait du « bĂąton et de la carotte ». Ainsi FrĂ©dĂ©ric Taylor, dans son « organisation scientifique du travail » assure que « ce que les employĂ©s attendent par dessus tout de leurs employeurs, c’est un bon salaire » (p 282). Cependant, en 1969, un jeune psychologue, Edward Deci rompt avec la psychologie behaviouriste oĂč les ĂȘtre sont considĂ©rĂ©s comme passifs en montrant que l’effort n’est pas toujours proportionnĂ© Ă  une rĂ©compense matĂ©rielle. Une prise de conscience de la motivation intrinsĂšque Ă©merge. Mais elle tarde Ă  se rĂ©pandre dans les organisations. Cependant, il y a aujourd’hui beaucoup d’innovations qui vont dans ce sens. L’auteur nous en dĂ©crit plusieurs. Il y a bien une motivation intrinsĂšque. « Edward Deci, le psychologue amĂ©ricain grĂące auquel notre façon d’envisager la motivation a Ă©tĂ© transformĂ©e de fond en comble, estime que la question n’est plus de savoir comment nous motiver les uns les autres. La vraie question est plutĂŽt de savoir comment crĂ©er une sociĂ©tĂ© dans laquelle les gens se motivent eux-mĂȘmes » (p 299-230). Rutger Bregman poursuit : « Et si nous fondions la sociĂ©tĂ© toute entiĂšre sur la confiance ? ». Ainsi Ă©voque-t-il un mouvement de transformation sociale qui s’exprime dans des expĂ©riences Ă©ducatives et politiques. Il y a bien une Ă©volution des mentalitĂ©s. Ainsi prend-on conscience aujourd’hui de tout ce dont nous disposons en commun. C’est le terme anglais : « commons ». Pendant longtemps, tout ce qu’il y avait au monde faisait partie des « commons ». Cependant au cours des dix mille derniĂšres annĂ©es, la propriĂ©tĂ© s’est dĂ©veloppĂ©e. Mais aujourd’hui, il y a de nombreuses situations oĂč les « commons » prospĂšrent et il y a lĂ  un horizon nouveau.

 

Face Ă  la violence

Dans la derniĂšre partie du livre, Rutger Brugman envisage diffĂ©rentes stratĂ©gies pour diminuer la violence et rĂ©soudre les conflits. Le titre est significatif : « L’autre joue », en rĂ©fĂ©rence Ă  une parole de JĂ©sus. Et il commence en rapportant une anecdote. AgressĂ© par un jeune qui s’empare de son porte-monnaie, un travailleur social lui propose de manger avec lui. Une relation s’établit. Rutger Bregman ne cache pas sa stupĂ©faction en entendant cette histoire. Elle lui fait penser aux clichĂ©s qu’enfant il entendait Ă  l’église. Et il rĂ©flĂ©chit. « Ce dont je me rend compte maintenant, c’est qu’en fait JĂ©sus dĂ©crivait un principe trĂšs rationnel. Les psychologues modernes parlent ainsi de « comportement non complĂ©mentaire »  Il est facile de faire le bien autour de soi lorsqu’on est soi-mĂȘme bien traitĂ©. Ou comme le disait JĂ©sus : « Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle rĂ©compense mĂ©ritez-vous ? ». La question est de savoir si on peut aller un cran plus loin. Et si nous partions du principe que non seulement nos enfants, nos collĂšgues et nos concitoyens, mais aussi nos ennemis ont un bon fond. Le mahatma Gandhi et Martin Luther King, les plus grands hĂ©ros du XXĂš siĂšcle brillaient par leurs comportements non complĂ©mentaires, mais c’étaient des figures presque surhumaines. D’oĂč la question : en sommes-nous capables ? Et cela fonctionne-t-il aussi Ă  grande Ă©chelle dans les prisons et les commissariats de police, aprĂšs les attentats et en temps de guerre ? ». Dans ce livre, le lecteur dĂ©couvrira quelques exemples. Ainsi l’auteur dĂ©crit des prisons norvĂ©giennes ou l’engrenage de la violence est rompu par un climat de confiance. Et puis, il analyse des situations oĂč un renouveau de comprĂ©hension rĂ©sulte d’une rĂ©duction de l’isolement social et d’un abaissement des barriĂšres entre les groupes. Il y a lĂ  un autre apport original de ce livre qui mĂ©rite une lecture approfondie.

 

Un nouveau regard

La richesse de cet ouvrage nous a incitĂ© Ă  Ă©crire un long compte-rendu pour en  partager l’apport et inviter Ă  la lecture d’un livre qui, de bout en bout se lit passionnĂ©ment. En effet, non seulement il nous invite Ă  un regard neuf, mais il nous entraine dans un chemin d’exploration. Bien sur, nous ne suivons pas nĂ©cessairement l’auteur dans certaines de ses affirmations, il y a d’autres approches dans l’histoire qui mĂ©riteraient d’ĂȘtre mentionnĂ©es (6), mais il nous offre un livre facilement accessible qui nous permet d’accĂ©der Ă  un ensemble de recherches et d’innovations. C’est un livre qui ouvre notre regard. Ce n’est pas rien d’entendre un historien israĂ©lien renommĂ© Yuval Noah Harari affirmer : « L’ouvrage de Rutger Brugman m’a fait voir l’humanitĂ© sous un nouveau jour ». Et, ce livre nous invite aussi Ă  changer dans nos comportements comme il Ă©nonce « dix prĂ©ceptes » en conclusion. « Le monde serait meilleur si nous portions sur l’autre un regard bienveillant et si nous cherchions Ă  le comprendre. Le bien est contagieux » (p 420). Le sous-titre : « Une histoire optimiste » nous avait au dĂ©part dĂ©concertĂ© et amenĂ© Ă  vĂ©rifier le sĂ©rieux du livre en nous renseignant sur l’auteur Ă  travers un moteur de recherche. Le titre en anglais nous paraĂźt plus approprié : « A hopeful history » (une histoire qui incite Ă  l’espoir). Oui, la pĂ©riode actuelle est particuliĂšrement difficile. Cependant, il y a aussi des courants, parfois encore peu visibles, qui se dĂ©veloppent pour affronter les menaces et construire d’autres possibles. Pour y participer, cette lecture nous paraĂźt trĂšs utile.

J H

  1. Une philosophie de l’histoire, par Michel Serres https://vivreetesperer.com/une-philosophie-de-lhistoire-par-michel-serres/
  2. Bienveillance humaine. Bienveillance divine. Une harmonie qui se répand https://vivreetesperer.com/bienveillance-humaine-bienveillance-divine-une-harmonie-qui-se-repand/
  3. Vers une civilisation de l’empathie https://www.temoins.com/?s=empathie&et_pb_searchform_submit=et_search_proccess&et_pb_include_posts=yes&et_pb_include_pages=yes
  4. La bonté humaine https://vivreetesperer.com/la-bonte-humaine/ Voir aussi : Vers un nouveau climat de travail dans des entreprises humanistes et conviviales https://vivreetesperer.com/vers-un-nouveau-climat-de-travail-dans-des-entreprises-humanistes-et-conviviales-un-parcours-de-recherche-avec-jacques-lecomte/
  5. Rutger Bregman. HumanitĂ©. Une histoire optimiste. Seuil, 2020 Rutger Bregman est Ă©galement l’auteur du livre (best seller) : Utopies rĂ©alistes. Seuil, 2017
  6. Comment l’Esprit de l’Evangile a imprĂ©gnĂ© les sociĂ©tĂ©s occidentales, et, quoiqu’on en dise, reste actif aujourd’hui https://vivreetesperer.com/comment-lesprit-de-levangile-a-impregne-les-mentalites-occidentales-et-quoiquon-dise-reste-actif-aujourdhui/

 

Plus proches sur facebook. Plus solidaires dans le monde

Une orientation nouvelle pour facebook

A une Ă©poque oĂč une mutation technologique interfĂšre avec l’évolution Ă©conomique, dans un cours parsemĂ© de troubles qui suscite une inquiĂ©tude sociale et un malaise politique, la nĂ©cessitĂ© de faire face engendre le besoin d’échapper Ă  l’isolement et de participer Ă  une dimension communautaire.

Ce besoin a Ă©tĂ© diagnostiquĂ© par Thomas Friedman, un expert amĂ©ricain, qui, dans son livre : « Thank you for being late » (1), nous appelle Ă  prendre le temps de la rĂ©flexion face au phĂ©nomĂšne de l’accĂ©lĂ©ration gĂ©nĂ©ralisĂ©e des techniques de communication et aux effets induits qui bouleversent notre maniĂšre de travailler et, plus gĂ©nĂ©ralement, notre maniĂšre de vivre. Thomas Friedman nous dit combien dans cette situation mouvementĂ©e, nous avons besoin d’une force spirituelle et d’un enracinement social. Et, pour cela, « cherchons Ă  enraciner autant de gens que possible dans des communautĂ©s saines » (p 34). C’est le moyen de dĂ©velopper une solidaritĂ© efficace. Les africains expriment cela dans les termes d’un dicton : « Elever un enfant requiert tout un  village ».Thomas Friedman a lui aussi grandi dans une forte communautĂ© et il en expĂ©rimentĂ© les bienfaits.  Depuis le livre d’Alexis de Tocqueville : « De la dĂ©mocratie en AmĂ©rique », nous savons combien  la dynamique associative a portĂ© la vie des Etats-Unis dans toutes ses dimensions. Mais aujourd’hui, on peut observer les bienfaits de la vie associative  dans beaucoup d’autres pays, en France en particulier. Et dans notre pays, cette dynamique ne faiblit pas. Au contraire, elle engendre une vitalitĂ© (2).

Aujourd’hui, dans une nouvelle conjoncture mondiale, facebook prend conscience de l’importance de la dimension communautaire. En 2016, des alĂ©as politiques ont contribuĂ© Ă  renforcer la conscience qu’une communication saine Ă  l’échelle des peuples et du monde Ă©tait un bien prĂ©cieux auquel il fallait veiller. A cet Ă©gard, facebook a bien une responsabilitĂ© particuliĂšre puisqu’aujourd’hui deux milliards d’humains sont connectĂ©s.

 

Facebook : un nouvel horizon

Le 22 juin 2017, Mark Zuckerberg, fondateur et directeur de facebook a Ă©mis une dĂ©claration par laquelle il engage ce rĂ©seau dans une politique qui va chercher Ă  rassembler davantage les gens (« bringing people closer together »), Ă  travers une politique qui met l’accent sur le dĂ©veloppement communautaire, la promotion de communautĂ©s dans le rĂ©seau (3).

Une grande organisation n’inflĂ©chit pas son orientation sans une Ă©tude prĂ©alable. C’est bien ce qui s’est passĂ© ces derniers mois et qui aboutit Ă  ce changement de cap. Ainsi, Mark Zuckerberg s’est beaucoup entretenu avec les responsables des communautĂ©s dĂ©jĂ  actives dans le rĂ©seau. Celles-ci apparaissent aujourd’hui comme un exemple dont on peut s’inspirer. Ainsi mentionne-t-il une communautĂ© professionnelle rassemblant des serruriers. Il y a aussi des communautĂ©s centrĂ©es sur un aspect de la vie : partager les expĂ©riences et les questions de jeunes mamans et de jeunes papas, aider des jeunes Ă  entrer au collĂšge. Voici une rĂ©alisation particuliĂšrement originale : « Il y a quelques semaines, j’ai rencontrĂ© Lola Omolola. Lola vit Ă  Chicago et elle est originaire du NigĂ©ria. Il y a deux ans, Lola a fondĂ© un groupe secret appelé : « Female IN ». Elle le dĂ©crit comme un groupe de soutien qui ne porte pas de jugement en vue de donner aux femmes un endroit sĂ»r pour parler de tout, du mariage aux questions de santĂ© et aux problĂšmes de travail. Aujourd’hui ce groupe a plus d’un million de membres Ă  travers le monde, toutes des femmes, parce qu’une femme s’est souciĂ©e de leur donner une voix ». Lorsqu’une communautĂ© rĂ©pond ainsi Ă  des besoins, ĂȘtre responsable de sa bonne marche est un vĂ©ritable engagement.  Ces responsables ont besoin de soutien.  Facebook va s’engager en ce sens.

 

 

Un nouvel horizon : « Bringing people together »

« Dans les dĂ©cennies passĂ©es, nous nous sommes centrĂ©s sur un objectif : rendre le monde plus ouvert et plus connectĂ© (« bringing the world more open and connected »). Nous n’avons pas terminĂ©. Mais j’avais l’habitude de penser que si nous donnions simplement une voix aux gens et que nous les aidions Ă  se connecter, cela rendrait par lĂ  mĂȘme le monde meilleur. De bien des maniĂšres, cela a Ă©tĂ© le cas. Mais notre sociĂ©tĂ© est encore divisĂ©e. Maintenant, je pense que nous avons la responsabilitĂ© de faire davantage. Il n’est pas suffisant de simplement connecter le monde ; nous devons aussi travailler Ă  rendre le monde plus proche, rapprocher les gens ensemble (« bring people closer together »). Nous avons besoin de donner une voix aux gens pour permettre une expression de la diversitĂ© des opinions, mais nous avons aussi besoin de crĂ©er du commun pour que nous puissions ensemble faire des progrĂšs. Nous avons besoin de rester connectĂ©s avec les gens que nous connaissons et auxquels nous faisons dĂ©jĂ  attention, mais nous avons aussi besoin de rencontrer des gens nouveaux avec des perspectives nouvelles. Nous avons besoin de la famille et des amis, mais nous avons aussi besoin de participer Ă  des communautĂ©s.

Aujourd’hui, nous avons choisi de redĂ©finir notre mission. Notre projet est de donner aux gens le pouvoir et la capacitĂ© de crĂ©er des communautĂ©s et de rendre le monde plus proche. Nous ne pouvons pas faire cela seuls. Il nous faut donner aux gens la capacitĂ© de crĂ©er ces communautĂ©s.

Nos vies sont maintenant connectĂ©es. Dans la prochaine gĂ©nĂ©ration, nos grands dĂ©fis seront Ă©normes : mettre fin Ă  la pauvretĂ©, guĂ©rir les maladies, arrĂȘter le changement climatique, rĂ©pandre la libertĂ© et la tolĂ©rance, stopper le terrorisme. Nous devons bĂątir un monde oĂč les gens vont converger pour effectuer ces efforts significatifs ».

 

Une dynamique communautaire

« Cela ne peut pas venir d’en haut. Il est nĂ©cessaire que les gens le dĂ©sirent. Les changements commencent sur le plan local lorsqu’un nombre suffisant d’entre nous se sent concernĂ© et soutenu pour s’engager dans des perspectives plus vastes.

Les gens ont gĂ©nĂ©ralement envie d’aider les autres, mais nous trouvons aussi que nous avons nous-mĂȘmes Ă©galement besoin d’ĂȘtre soutenus. Les communautĂ©s nous donnent le sentiment que nous faisons partie de quelque chose qui est plus grand que nous-mĂȘmes, que nous ne sommes pas seuls, qu’il y a quelque chose de mieux Ă  rĂ©aliser en avançant.

Nous retirons tous du sens de nos communautĂ©s. Que ce soient des Ă©glises, des Ă©quipes de sport, des groupes de voisinage, nous recevons d’elles la force d’ouvrir notre horizon et de nous engager pour des causes plus grandes. Des Ă©tudes ont prouvĂ© que, plus nous sommes connectĂ©s, plus nous nous sentons heureux et en meilleure santĂ©. Les gens qui vont Ă  l’église sont plus nombreux Ă  se porter volontaires et Ă  donner, pas seulement parce qu’ils sont religieux, mais aussi parce qu’ils font partie d’une communautĂ©.

C’est pourquoi il est si frappant de voir que, pendant les derniĂšres dĂ©cennies, l’appartenance Ă  tous les genres de groupes a baissĂ© d’un quart (l’auteur dĂ©crit la situation amĂ©ricaine). Il y a lĂ  beaucoup de gens qui ont besoin de trouver le sens d’un but et un soutien quelque part. VoilĂ  notre dĂ©fi. Nous sommes appelĂ©s Ă  bĂątir un monde oĂč chacun puisse avoir un sens de projet et de communautĂ©. C’est ainsi que nous pourrons rendre le monde de plus en plus proche, oĂč nous pourrons prendre soin d’une personne en Inde, en Chine, au NigĂ©ria et au Mexique aussi bien que d’une personne ici.

Je sais que nous pouvons faire cela. Nous pouvons renverser ce déclin, rebùtir nos communautés et rendre le monde plus proche.

 

Promouvoir la participation à des communautés significatives (« meaningful communities »)

« La plupart d’entre nous, nous faisons partie de groupes, soit dans le monde physique, soit sur internet. Une personne moyenne sur facebook est membre d’environ 30 groupes, mais, si vous avez de la chance, il peut y en avoir un ou deux qui sont importants pour vous. Les autres sont des groupes occasionnels. Nous avons trouvĂ© que cent millions de gens sont membres de communautĂ©s significatives. Elles comptent pour vous ». Mark Zuckerberg prĂ©cise sa pensĂ©e : Les communautĂ©s significatives auxquelles nous tendons ne sont pas uniquement en ligne. « Si vous avez besoin d’ĂȘtre soutenu dans une maladie, si vous avez de nouveaux parents, ces communautĂ©s n’interagissent pas seulement en ligne. Elles organisent des repas et se soutiennent dans la vie quotidienne ». Des communautĂ©s en ligne peuvent Ă©galement Ă©largir des communautĂ©s physiques.

Si deux milliards de gens utilisent facebook, pourquoi avons-nous aidĂ© seulement 100 millions Ă  joindre des communautĂ©s significatives ? Aujourd’hui, nous sommes en train de nous fixer un but : aider un milliard de gens Ă  joindre des communautĂ©s significatives. Si nous rĂ©ussissons cela, cela commencera Ă  fortifier notre tissu social et Ă  rapprocher le monde : « bring the world closer together ».

Cette missive se termine sur des considĂ©rations stratĂ©giques.  Comment agir pratiquement pour atteindre cet objectif ? Facebook est appelĂ© Ă  innover, car il n’est pas familiarisĂ© avec le dĂ©veloppement communautaire.  Il ne suffit pas de faire connaĂźtre aux gens, grĂące Ă  l’intelligence artificielle, des communautĂ©s qui peuvent ĂȘtre significatives pour eux ; il est Ă©galement nĂ©cessaire que le nombre de nouvelles communautĂ©s significatives grandisse rapidement, et pour cela facebook se propose d’encourager et d’aider les nouveaux leaders.

 

Un grand dessein

Facebook est apparu en 2006, il y a dix ans seulement. Le chemin parcouru est impressionnant. Aujourd’hui, deux milliards d’humains utilisent et frĂ©quentent facebook. Et voici que le fondateur et animateur de facebook, Mark Zuckerberg, prend conscience qu’un nouveau pas est nĂ©cessaire  parce que, dans ce monde en mutation, une exigence nouvelle apparaĂźt : face Ă  la tentation de la division et du repli, renforcer les forces de cohĂ©sion et d’unification, permettre aux gens de vivre davantage en convivialitĂ© et en solidaritĂ©. Il y a bien lĂ  une contribution pour rĂ©pondre Ă  une aspiration qui se fait jour dans tous les pays. C’est par exemple l’émergence de la notion de tiers lieu, un espace social propice Ă  la convivialitĂ© entre la maison et le travail (4). En France mĂȘme, on appelle Ă  plus de convivialitĂ© (5), plus de fraternitĂ© (5). Il y a partout des forces collaboratives en voie de s’exprimer. Ce nouvel espace ouvert Ă  la dynamique associative doit encourager la crĂ©ativitĂ© dans l’expression sociale sur tous les registres : entraide, Ă©ducation, santĂ©, spiritualitĂ©.

Des formes anciennes dĂ©clinent, des formes nouvelles apparaissent. C’est bien le mouvement de la vie. « L’essence  de la crĂ©ation dans l’Esprit est la « collaboration » et les structures manifestent la prĂ©sence de l’Esprit dans la mesure oĂč elles font connaĂźtre « l’accord gĂ©nĂ©ral ». « Au commencement Ă©tait la relation » (Martin Buber) » (JĂŒrgen Moltmann) (7). En Ă©coutant Mark Zuckerberg et en lisant sa missive trĂšs simple, trĂšs conviviale, on peut percevoir, dans ces propos, la genĂšse d’une grande innovation sociale Ă  l’échelle du monde. Il y a lĂ  un grand dessein. On le reçoit comme une promesse.

 

J H

 

(1)            Thomas Friedman. Thank you for being late. An optimist’s guide to thriving in the age of accelerations. Allen Lane, 2016  Mise en perspective : « Un monde en changement accĂ©lĂ©ré » : https://vivreetesperer.com/?p=2560

(2)            Roger Sue. La contresociĂ©tĂ©. Les liens qui libĂ©rent, 2016         Mise en perspective : « Vers une sociĂ©tĂ© associative. Transformations sociales et Ă©mergence d’un individu relationnel » : https://vivreetesperer.com/?p=2572

(3)             Mark Zuckerberg. Bringing the world closer together (22 juin 2017) : https://www.facebook.com/zuck/posts/10154944663901634     The Zuckerberg interview. Extended cut : https://www.youtube.com/watch?v=RYC7nAcZqn0

(4)            Emergence d’espaces conviviaux et aspirations contemporaines. TroisiĂšme lieu (« Third place ») et nouveaux modes de vie  : http://www.temoins.com/emergence-despaces-conviviaux-et-aspirations-contemporaines-troisieme-lieu-l-third-place-r-et-nouveaux-modes-de-vie/

(5)            Appel à la fraternité. Pour un nouveau vivre ensemble : https://vivreetesperer.com/?p=2086

(6)            JĂŒrgen Moltmann. Dieu dans la crĂ©ation. TraitĂ© Ă©cologique de la crĂ©ation. Cerf, 1988

 

Voir aussi : « la création de la Chan Zuckerberg initiative » : https://vivreetesperer.com/?p=2283

 

Génération Y : une nouvelle vague pour une nouvelle maniÚre de vivre

 Au cours des derniĂšres dĂ©cennies, on a pu observer dans chaque gĂ©nĂ©ration, des styles diffĂ©rents se marquant dans les aspirations, les reprĂ©sentations, les comportements. S’il y a bien un mouvement dans la durĂ©e oĂč se marque une orientation globale, il y a une dominante particuliĂšre dans chaque gĂ©nĂ©ration. Et certaines d’entre elles, comme la gĂ©nĂ©ration qui a participĂ© aux Ă©vĂšnements de la fin des annĂ©es 1960, Ă  travers le moment de 1968, est perçue comme une gĂ©nĂ©ration innovante par les sociologues et les historiens (1). Dans la perspective des mutations en cours dans nos sociĂ©tĂ©s (2), le mouvement se poursuit. AssurĂ©ment, la mondialisation, la rĂ©volution numĂ©rique, la prise de conscience Ă©cologique ne peuvent pas se dĂ©velopper sans marquer les esprits. Et c’est ainsi qu’on parle aujourd’hui d’une gĂ©nĂ©ration Y qui rassemble les jeunes nĂ©s dans les annĂ©es 1980 et 1990 (3). Les changements de mentalitĂ© sont rapides et on Ă©voque dĂ©jĂ  une prochaine gĂ©nĂ©ration Z. Cependant, notons d’emblĂ©e que si les enquĂȘtes mettent bien en Ă©vidence des inflexions, la jeunesse n’est pas homogĂšne dans ses conditions sociales et son rapport Ă  la sociĂ©tĂ©, et donc dans ses comportements. Si cette rĂ©alitĂ© appelle la prudence dans les gĂ©nĂ©ralisations, il n’en est pas moins vrai qu’on peut constater des changements de mentalitĂ© sensibles dans certaines portions des jeunes gĂ©nĂ©rations, particuliĂšrement dans le groupe le plus instruit.

Les aspirations nouvelles interpellent les institutions. Elles font irruption dans la vie professionnelle oĂč elles remettent en question les cadres dominants et les institutions Ă©tablies. Ainsi la gĂ©nĂ©ration Y manifeste une recherche de sens et un dĂ©sir d’accomplissement. La gĂ©nĂ©ration suivante poursuit le mouvement vers une recherche accrue d’autonomie et d’initiative.

Emmanuelle Duez n’est pas seulement observatrice. Elle est actrice sur ce terrain jusque dans la crĂ©ation et le dĂ©veloppement d’une entreprise directement concernĂ©e. Dans une vidĂ©o rapportant une intervention au « Positive Economy Forum » (Le Havre, 2015) (4), elle exprime ainsi une perspective militante. Le titre de la vidĂ©o annonce la couleur : « Cette vidĂ©o va changer votre maniĂšre de voir les jeunes (gĂ©nĂ©ration Y et Z) » (5). Si on ne lui demande pas comme Ă  un sociologue de nuancer ses propos, son intervention ouvre tout grand un nouvel horizon et nous appelle Ă  rĂ©flĂ©chir. Vague aprĂšs vague, une nouvelle maniĂšre de vivre apparaĂźt dans un monde en pleine mutation. Elle n’est pas sans limite, mais Ă  nous d’en voir les promesses et d’y participer.

 

PremiĂšre gĂ©nĂ©ration d’un nouveau monde

La gĂ©nĂ©ration Y, issue des naissances durant les annĂ©es 80 et 90, a grandi dans un monde en pleine mutation si bien que les mentalitĂ©s correspondantes rompent avec des habitudes bien installĂ©es. Ainsi au dĂ©part, peut-elle Ă©veiller une inquiĂ©tude chez les plus anciens. Cependant, la gĂ©nĂ©ration Y est bien la premiĂšre d’un nouveau monde.  Emmanuelle Duez dĂ©finit la gĂ©nĂ©ration Y comme « la gĂ©nĂ©ration premiĂšre fois » :

° La premiÚre génération mondiale

° La prochaine grande génération (La moitié de la population mondiale a moins de trente ans)

° La premiĂšre gĂ©nĂ©ration numĂ©rique (Michel Serres dĂ©finit la rĂ©volution numĂ©rique comme la troisiĂšme rĂ©volution anthropologique de l’humanitĂ© (6)). C’est la raison pour laquelle on appelle la gĂ©nĂ©ration Y, la gĂ©nĂ©ration « Digital native ».

° La premiĂšre gĂ©nĂ©ration postmoderne Ă  l’aube d’une nouvelle Ăšre. Tous les grands modĂšles qui ont sous tendu la conception de notre sociĂ©tĂ© actuelle sont Ă  rĂ©inventer.

° La premiĂšre gĂ©nĂ©ration omnisciente grĂące Ă  l’usage d’internet (rĂ©sumĂ© de l’intervention (7))

Ainsi cette gĂ©nĂ©ration rĂ©pandue dans tous les continents, est en mesure d’exercer un rĂŽle dĂ©terminant : « La gĂ©nĂ©ration Y est une gĂ©nĂ©ration  massive et globalisĂ©e qui arrive dans un monde Ă  rĂ©inventer avec un pouvoir dans ses mains : le numĂ©rique.

Ces nouveaux comportements interpellent les diffĂ©rentes institutions politiques, scolaires, religieuses. Intervenant dans un forum d’économie positive, Emmanuelle Duez montre l’impact de ce changement de comportement dans la vie des entreprises.

« Le sujet Y ne comprend pas et ne reconnaßt pas le systÚme de management actuellement en vigueur dans les entreprises.

Le sujet Y prĂ©fĂšre partir ou « dĂ©brancher la prise » (C’est Ă  dire se dĂ©sengager).

On assiste à un turn over en hausse parmi ces jeunes malgré une situation économique compliquée.

Ils croient qu’autre chose est possible et portent un regard diffĂ©rent sur l’entreprise.

Ils font plusieurs paris :

Faire passer le pourquoi avant le comment

Faire passer la flexibilité avant la nécessité

Faire passer l’exemplaritĂ© avant le statut

Avoir l’ambition de s’accomplir avant de rĂ©ussir ».

Emmanuelle Duez esquisse ensuite un regard sur la gĂ©nĂ©ration suivante en train d’apparaĂźtre. C’est la gĂ©nĂ©ration Z. TrĂšs critique et consciente des changements Ă  venir, les jeunes appartenant Ă  cette gĂ©nĂ©ration manifestent une attitude d’autonomie et s’attachent Ă  leurs parcours de formation. « Ainsi, la gĂ©nĂ©ration Z estime devoir apprendre ses mĂ©tiers d’une maniĂšre rĂ©volutionnaire par rapport aux gĂ©nĂ©rations passĂ©es : demain, on apprendra de soi, de l’entreprise et de l’école (D’aprĂšs une enquĂȘte, seulement 7% des sujets interrogĂ©s estiment que les compĂ©tences professionnelles seront apprises Ă  l’école) ».

 

 

La mixité : une nouvelle maniÚre de travailler ensemble

Emmanuelle Duez Ă©voque la gĂ©nĂ©ration Y dans diffĂ©rentes instances et elle en aborde toutes les facettes. Dans une intervention au forum CafĂ© Solidays (8), elle met en Ă©vidence une autre caractĂ©ristique de cette gĂ©nĂ©ration : une familiaritĂ© avec la mixitĂ©. Au dĂ©part, elle cite Françoise l’HĂ©ritier : « La grande rĂ©volution qu’on est en train de vivre, ce n’est pas le numĂ©rique, c’est le fait que les femmes n’ont jamais Ă©tĂ© si puissantes ». « Evidemment, il y a de grandes diffĂ©rences selon les cultures. Evidemment, il y a encore Ă©normĂ©ment Ă  faire. Mais il y a Ă©normĂ©ment qui a Ă©tĂ© fait. Aujourd’hui, il y a des gĂ©nĂ©rations entiĂšres d’hommes  qui pensent que la femme est l’égale de l’homme. Et cela, c’est rĂ©volutionnaire, car, jusqu’à prĂ©sent, cela n’avait jamais encore Ă©tĂ© le cas. Ici aussi, la gĂ©nĂ©ration Y, c’est la gĂ©nĂ©ration « premiĂšre fois ».

Nos mĂšres ont Ă©tĂ© la premiĂšre gĂ©nĂ©ration de femmes Ă  travailler, et donc elles ont Ă©levĂ© leurs enfants, et notamment leurs garçons, avec l’idĂ©e qu’évidemment les femmes sont l’égale de l’homme, Ă©videmment je dois pouvoir travailler en entreprise de maniĂšre Ă©quilibrĂ©e. Il y a donc une nouvelle gĂ©nĂ©ration d’hommes qui disent : En fait, je ne vois pas en quoi il y a une diffĂ©rence. Et si la pierre angulaire des combats fĂ©ministes des derniĂšres annĂ©es a Ă©tĂ© la recherche d’un Ă©quilibre de vie, c’est quelque chose que je revendique pour moi-mĂȘme. J’ai 25 ans. Je sors d’une grande Ă©cole. Je sors d’une universitĂ©  Je sors de nulle part. J’aspire Ă  avoir une vie Ă©quilibrĂ©e. C’est un glissement trĂšs important. Car on adopte lĂ  une revendication « fĂ©minine » majeure. Cette revendication lĂ  n’est pas seulement française. Elle est mondiale »

 

Une action qui porte les valeurs de le génération Y : les innovations conduites par Emmanuelle Duez : WoMen up et le boson project

Consciente du changement actuel des mentalités, active pour les promouvoir, Emmanuelle Duez a engagé des initiatives innovantes.

Il y a cinq ans, c’est la naissance de « WoMen up », « la premiĂšre association d’Europe qui travaille Ă  la fois sur le genre et la gĂ©nĂ©ration. C’est une association qui repose sur une conviction trĂšs forte : aujourd’hui, lorsqu’on parle du travail dans les entreprises, le combat pour la mixitĂ© et celui pour un bon Ă©quilibre de vie se rejoignent. On s’appuie sur la gĂ©nĂ©ration nouvelle favorable Ă  la mixitĂ© comme levier pour transformer l’entreprise et y promouvoir des valeurs « fĂ©minines » comme un travail diffĂ©rent et une vie plus Ă©quilibrĂ©e.

Comment fait-on ? On fait des appels de candidature. Et pendant un an, on accompagne des jeunes hommes et des jeunes femmes qui sont des jeunes actifs en derniĂšre annĂ©e d’étude Ă  qui on donne des rĂŽles modĂšles, c’est Ă  dire des gens qui incarnent tout ce que je viens de raconter : oui, il n’y a pas de diffĂ©rence entre les genres. Oui, on a le droit d’assumer la volontĂ© d’avoir un Ă©quilibre de vie. On a le droit de sortir des sentiers battus mĂȘme lorsqu’on est un homme, car, paradoxalement, aujourd’hui, c’est plus difficile. On essaie de transformer ces jeunes en ambassadeurs. On essaie de faire en sorte qu’ils s’engagent sur le long terme afin que les hommes soient les libĂ©rateurs du potentiel fĂ©minin et que les femmes continuent sur leur lancĂ©e parce que les femmes sont en mouvement pour Ă©crire leur propre histoire ».

La deuxiĂšme innovation, c’est une start up qui s’appelle le « boson project ». « The boson  project » est une start up composĂ©e d’entrepreneurs engagĂ©s Ă  faire bouger les lignes dans les entreprises en mettant les collaborateurs au cƓur des processus de transformation, notamment les plus jeunes. Cabinet de conseil d’un nouveau genre, nous abordons la problĂ©matique cruciale de la mutation des organisations, depuis des structures rigides-processĂ©es trĂšs hiĂ©rarchisĂ©es, lourdes, parfois inertes, parfois mĂȘme contreproductives dans leurs modes de fonctionnement actuels, vers des structures fluides, transversales, transparentes, interconnectĂ©es, flat et nĂ©cessairement engagĂ©es par et pour le capital humain » (9).

« La gĂ©nĂ©ration Y entre dans un modĂšle qui n’a pas Ă©tĂ© bĂąti Ă  notre Ă©poque. Elle rentre dans un modĂšle avec des hiĂ©rarchies, des strates, des silos. On a oubliĂ© que c’était le capital humain qui Ă©tait au cƓur de tout. Le vrai sujet, ce n’est pas une histoire de jeunesse et de gĂ©nĂ©ration. Ce qu’on essaye de faire lĂ , c’est de transformer ces jeunes collaborateurs qui se cognent la tĂȘte Ă  des logiques qu’ils ne comprennent pas en ambassadeurs d’une autre maniĂšre de voir les choses parce qu’on pense qu’ils sont intimement et inconsciemment porteurs d’un autre modĂšle d’entreprise.

On essaie de passer d’une sociĂ©tĂ© de contrĂŽle Ă  une sociĂ©tĂ© de confiance. Avec « WoMen up », on transforme les hommes et les femmes en ambassadeurs de la mixitĂ©. Avec le « boson project », on essaye de transformer des collaborateurs en « corporate hackers » : « Engagez-vous pour transformer les entreprises de l’intĂ©rieur » ».

 

 

Un appel à s’engager

Dans ses diffĂ©rentes interventions, Emmanuelle Duez appelle ses auditeurs Ă  s’engager dans cette grande transformation. Ici, elle Ă©voque la maniĂšre dont elle a rencontrĂ© des gens qui s’engageaient radicalement jusqu’au sacrifice : les forces spĂ©ciales de la Marine.

En regard, « l’engagement, c’est facile ». Elle s’adresse Ă  la jeune gĂ©nĂ©ration : « On a une chance extraordinaire. On a moins de trente ans. On a le pouvoir entre nos mains. On a besoin de nous. Ce serait trop simple de dire : je regarde les choses se faire. Si on ne s’engage pas, on va regretter les choix que d’autres gĂ©nĂ©rations auront fait pour nous, car les trente prochaines annĂ©es, ce sont les nĂŽtres ».

 

Génération Y : changer les institutions !

Conscients de la grande mutation en cours, nous savions que la jeunesse y Ă©tait sensible dans ses reprĂ©sentations, dans ses comportements et dans ses choix. Mais les interventions d’Emmanuelle Duez Ă©clairent singuliĂšrement la situation et les enjeux. Sa rĂ©flexion s’appuie sur celle des chercheurs. Elle s’appuie sur une expĂ©rience engagĂ©e tout-Ă -fait exceptionnelle. Si sa vivacitĂ© peut dĂ©ranger certains, dans son enthousiasme, elle nous ouvre un nouvel horizon.

De fait la transformation en cours ne concerne pas seulement les entreprises, mais les institutions dans leur ensemble, politiques, scolaires, religieuses. Bien souvent, ces institutions redoutent le changement, et, d’une façon ou d’une autre, elles temporisent et cherchent Ă  l’éviter. Mais parfois, des brĂšches s’ouvrent. Ainsi, rĂ©cemment, on voit une jeune gĂ©nĂ©ration accĂ©der Ă  la dĂ©putation dans le sillage de la RĂ©publique en marche. L’écart entre les aspirations de la gĂ©nĂ©ration Y et beaucoup d’institutions religieuses est Ă©galement considĂ©rable. Des recherches anglophones montrent en quoi et pourquoi la gĂ©nĂ©ration Y se dĂ©tourne de pratiques qui n’ont plus de pertinence pour elle, « irrelevant ». A entendre les attitudes et les valeurs de la gĂ©nĂ©ration Y, on imagine l’écart avec des Ă©glises hiĂ©rarchisĂ©es et patriarcales. En regard, des innovations apparaissent particuliĂšrement dans le courant de l’Eglise Ă©mergente (10).

Nous sommes engagĂ©s aujourd’hui dans une grande mutation. Nous en percevons les processus. Nous en apprĂ©cions les dimensions. Emmanuelle Duez nous rappelle cette dynamique. C’est un espace de grande opportunitĂ©. Mais si celle-ci peut ĂȘtre saisie par ceux qui y sont le mieux prĂ©parĂ©s, cette situation est aussi source d’inquiĂ©tude et de crainte pour beaucoup (11). Ainsi il est bon d’entendre Emmanuelle Duez nous introduire dans la maniĂšre dont une nouvelle gĂ©nĂ©ration entre dans la scĂšne du changement et les valeurs qu’elle entend promouvoir. Ces valeurs, ce sont aussi celles que beaucoup d’entre nous avons portĂ©es pendant des annĂ©es et qui se traduisent aujourd’hui par l’avancĂ©e de La gĂ©nĂ©ration Y, issue des naissances durant les annĂ©es 80 et 90, a grandi dans un monde en pleine mutation si bien que les mentalitĂ©s correspondantes rompent avec des habitudes bien installĂ©es. Ainsi au dĂ©part, peut-elle Ă©veiller une inquiĂ©tude chez les plus anciens. Cependant, la gĂ©nĂ©ration Y est bien la premiĂšre d’un nouveau monde.  Emmanuelle Duez dĂ©finit la gĂ©nĂ©ration Y comme « la gĂ©nĂ©ration premiĂšre fois ». Ainsi, pouvons nous apprĂ©cier le projet de la gĂ©nĂ©ration Y dans ses aspects positifs. C’est une bonne nouvelle.

 

Jean Hassenforder

 

(1)            Sur le site Témoins : « La crise religieuse des années 1960. Quel processus pour quel horizon ? » : http://www.temoins.com/la-crise-religieuse-des-annees-1960-quel-processus-pour-quel-horizon/

(2)            Sur les mutations en cours : « Quel avenir pour le monde et pour la France ? » (Jean-Claude Guillebaud) : https://vivreetesperer.com/?p=945 « La fin d’un monde. L’aube d’une renaissance » (FrĂ©dĂ©ric Lenoir) : https://vivreetesperer.com/?p=1048 « Comprendre la mutation actuelle de notre sociĂ©tĂ© requiert une vision nouvelle du monde » : https://vivreetesperer.com/?p=2373

« Un monde en changement accéléré (Thomas Friedman) : https://vivreetesperer.com/?p=2560

(3)            La gĂ©nĂ©ration Y est l’objet de nombreuses Ă©tudes et recherches. PrĂ©sentation gĂ©nĂ©rale sur Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/GĂ©nĂ©ration_Y

(4)            Premier forum sur l’économie positive au Havre en septembre 2012 : https://vivreetesperer.com/?p=880

(5)            Intervention d’Emmanuelle Duez sur la gĂ©nĂ©ration Y au forum d’économie positive au Havre (2015) : https://www.youtube.com/watch?v=gkdvEg1kwnY

(6)            « Une nouvelle maniĂšre d’ĂȘtre et de connaĂźtre » (« Petite Poucette » de Michel Serres : https://vivreetesperer.com/?p=836

(7)            Sur le site Adozen. fr, mise en ligne de la mĂȘme vidĂ©o : « Cette vidĂ©o va changer votre maniĂšre de voir les jeunes » avec un rĂ©sumĂ© des propos d’Emmanuelle Duez que nous avons repris ici pour une part : http://adozen.fr/video-generations-y-et-z/

(8)            Intervention d’Emmanuelle Duez au Forum cafĂ© Solidays : « GĂ©nĂ©ration Y : l’opportunitĂ© de rĂ©inventer le monde » : https://www.youtube.com/watch?v=Y1wY6RiGrP4

(9)            « The boson project » : https://www.thebosonproject.com/le-boson

(10)      L’Eglise Ă©mergente : sur le site de TĂ©moins : http://www.temoins.com

(11)      Dans une intervention à Ted X Marseille, Emmanuelle Duez décrit les inquiétudes et les craintes et, en regard, exprime une dynamique : « Du poids des maux à la responsabilité des idées : https://www.youtube.com/watch?v=1oKk4i6aOtU

Partager les solutions. Propager les innovations. C’est changer le monde

Entretien entre Christian de Boisredon et Pierre Chevelle

Comme l’écrit JĂŒrgen Moltmann, un thĂ©ologien de l’espĂ©rance, « Pour agir, nous avons besoin de croire que notre action peut s’exercer avec profit. Nous devenons actifs pour autant que nous puisions entrevoir des possibilitĂ©s futures. Nous entreprenons ce que nous pensons ĂȘtre possible » (1). Ainsi, nous pouvons nous demander quelles sont les incidences de l’information qui nous parvient constamment Ă  travers les mĂ©dias. Si l’accent est mis sur les mauvaises nouvelles, jugĂ©es plus spectaculaires, si le ton se fait constamment critique, il en rĂ©sulte un pessimisme qui entraine le repli et la dĂ©mobilisation . Si, au contraire, Ă  travers l’analyse des Ă©vĂšnements, l’énoncĂ© des problĂšmes et des menaces s’accompagne d’une recherche de voies nouvelles et de la mise en Ă©vidence des initiatives et des innovations dĂ©jĂ  en cours pour faire face, alors une mobilisation pourra s’opĂ©rer. C’est tout le mĂ©rite du journalisme des solutions de contribuer Ă  cet Ă©tat d’esprit. Ne pas dĂ©livrer l’information, comme si elle nous conduisait fatalement dans une impasse, mais rechercher les issues et mettre en Ă©vidence les solutions Ă  travers les multiples initiatives, innovations et dĂ©couvertes dĂ©jĂ  en route. Aujourd’hui, il y a bien un courant d’action qui Ɠuvre pour nous apporter une information Ă  partir de laquelle nous puissions construire.

Christian de Boisredon fait partie des innovateurs qui ont introduit en France ce nouvel Ă©tat d’esprit comme en tĂ©moignent ces quelques jalons dans son parcours (2). En 1998, Ă  l’ñge de 24 ans, avec deux amis, Christian entreprend un tour du monde, en Afrique, en AmĂ©rique latine, en Asie Ă  la rencontre des gens « qui font avancer le monde ». A la suite de cette aventure,  il Ă©crit un livre : « L’espĂ©rance autour du monde » (3) qui devient un best-seller et est traduit en plusieurs langues. « Ce projet a Ă©tĂ© le premier tour du monde de ce type et il a lancĂ© la vogue des tours du monde engagĂ©s dans cet esprit ». Christian de Boisredon initie et fonde ensuite l’association : « Reporters d’espoir » qu’il prĂ©side et dirige jusqu’en 2007. En 2011, Christian fonde « Sparknews », une entreprise sociale qui a pour mission de partager les projets qui proposent des solutions innovantes aux problĂšmes de sociĂ©tĂ©. Sparknews travaille Ă  l’échelle internationale en collaboration avec les grands journaux de rĂ©fĂ©rence des quatre continents. (4)

L’exemple de Christian est un exemple pour une jeune gĂ©nĂ©ration qui s’engage dans le mĂȘme sens. Ainsi, Pierre Chevelle (5), diplĂŽmĂ© de l’Ecole de commerce ESCP Europe, se consacre aujourd’hui Ă  la promotion de l’innovation sociale et solidaire. Intervenant sur You Tube, confĂ©rencier, il est aussi l’auteur d’un livre : « Changer le monde en deux heures ». Une interview de Christian de Boisredon par Pierre Chevelle est donc particuliĂšrement Ă©clairante (6). C’est une  conversation entre deux innovateurs autour de l’information comme vecteur de changement.

Sparknews (6)

Il Inspire 120 MILLIONS de Personnes | Christian de Boisredon, Sparknews

Pierre Chevelle nous dit comment il a dĂ©couvert l’entreprenariat social en travaillant Ă  Sparknews, agence d’information fondĂ©e par Christian de Boisredon.

Mais quelles sont au juste les objectifs de Sparknews ? Christian rĂ©pond en ce sens : « L’idĂ©e, c’est de repĂ©rer les plus beaux projets qui existent dans le monde entier, les faire connaĂźtre notamment avec les mĂ©dias, les connecter avec les entreprises pour qu’ils travaillent ensemble et qu’ensemble nous changions le monde ». Pierre demande Ă  Christian d’expliquer en quoi consistent les opĂ©rations que Sparknews rĂ©alise avec certains journaux. « On a convaincu 60 journaux dans le Monde, parmi les plus grands : Times, Die Welt, El Pais, Figaro. On leur a proposĂ© d’écrire deux articles sur les plus beaux projets innovants qu’il y avait dans leur pays. Ensuite, on a tout mis en commun. Le mĂȘme jour, ils ont publiĂ© des articles en provenance de tout le monde. Au total,  le lectorat de ces tous ces mĂ©dias, ce sont 120 millions de lecteurs.

Quand les journaux ne parlent que des problĂšmes, les gens se disent : je suis au courant. Mais qu’est-ce que je peux faire avec cela ? et donc, c’est totalement dĂ©primant. Notre idĂ©e, ce n’est pas d’annoncer de bonnes nouvelles. En regard des problĂšmes, c’est de parler aussi des solutions ».

 

Faire connaĂźtre les initiatives Ă  impact positif

Pierre : « Peux-tu nous donner des exemples d’initiatives concrĂštes que vous avez relayĂ©es dans les mĂ©dias ? ».

Christian : «  Par exemple, c’est une entreprise au Maroc : « Go Energyless », une entreprise sociale. Ils ont fabriquĂ© une sorte de rĂ©frigĂ©rateur pour les endroits oĂč il n’y a pas d’électricitĂ©, un systĂšme de double pot oĂč on met du sable entre les deux pots avec de l’eau, et, de fait, l’évaporation de l’eau fait refroidir la tempĂ©rature Ă  l’intĂ©rieur des pots. Ce qui permet de conserver beaucoup plus longtemps fruits et lĂ©gumes, mais aussi l’insuline pour les diabĂ©tiques dans les endroits oĂč il n’y a pas d’électricitĂ©, donc pas de frigidaires. Ce projet a Ă©tĂ© mĂ©diatisĂ© dans tous les journaux lors de « l’impact journalism day » et ces entrepreneurs ont Ă©tĂ© contactĂ©s par quatre ou cinq pays. Ils sont en train de travailler ensemble pour rĂ©pliquer le projet. L’impact des mĂ©dias est vraiment colossal. Il peut ĂȘtre parfois nĂ©gatif, mais il peut ĂȘtre aussi trĂšs positif. Il y a des informations qui peuvent changer notre vie. Ce peut ĂȘtre un petit article ou bien une page de livre de Pierre (« Changer le monde en deux heures »)

Christian rapporte d’autres exemples : « Quand j’avais quatorze ans, mon frĂšre, avec un de ses amis, Ă©tait au Chili . La semaine, il travaillait dans une banque, et, le week-end, il faisait du bĂ©nĂ©volat. Il se demandait : « Qu’est-ce qu’on peut faire vraiment pour aider les gens dans les bidonvilles ? » C’était dans les annĂ©es 80. Un jour, il tombe sur un article qui parle de Mohammed Yunus au Bangladesh qui avait inventĂ© la premiĂšre banque de microcrĂ©dit. LĂ  bas, Ă  l’époque, personne ne connaissait. C’était un des tous premiers articles. Ils se disent : « C’est gĂ©nial. Une banque pour les pauvres. Si cela a marchĂ© lĂ  bas, il n’y a pas de raison que cela ne marche pas au Chili. Et donc, ils ont crĂ©Ă© la premiĂšre banque de microcrĂ©dit au Chili et, trente ans plus tard, cette banque a permis la crĂ©ation de prĂšs de  30000 micro entreprises. Cent mille personnes ont ainsi changer de vie. Un jour, je me suis dit : Ce qui est fou, c’est que si un  journaliste n’avait pas Ă©crit l’article que mon frĂšre et son copain ont lu, la vie de 100000 personnes n’aurait pas Ă©tĂ© changĂ©e.

Voici un autre exemple. Tristan Lecomte est celui qui a crĂ©Ă© Alter eco. qui a vraiment dĂ©mocratisĂ© le commerce Ă©quitable en France, qui l’a introduit dans les grandes surfaces chez Monoprix. Tristan me racontait qu’auparavant il travaillait dans le marketing. VoilĂ . C’était passionnant. Mais cela ne lui suffisait pas. Et puis, un jour, sa sƓur lui avait dĂ©coupĂ© un article qui parlait du commerce Ă©quitable Ă  une Ă©poque oĂč personne ne connaissait vraiment. Cet article, il ne l’avait vraiment pas lu. Il l’avait mis dans un coin, et puis, un an plus tard, en rangeant ses affaires, il est tombĂ© dessus. Et il s’est dit : c’est cela que je veux faire et c’est comme cela qu’il a eu autant d’impact.

Avec nos opĂ©rations, on touche 120 millions de personnes, mais en plus, on donne envie aux mĂ©dias de continuer, de parler plus souvent de ces sujets. Par exemple, le rĂ©dacteur du Tages Anzeiger, qui est le plus grand journal suisse, nous a dit : On a rarement un impact de retours  aussi positifs des lecteurs, et, du coup, la rĂ©daction s’est dit :  Comment peut-on parler plus souvent de ces sujets ? Ils ont commencĂ© par faire une chronique hebdo sur les solutions ».

Pierre : « J’avais parlĂ© de vous dans mon premier livre : « Changer le monde en deux heures ». Comment les gens qui regardent cette vidĂ©o peuvent-ils vous aider ? ».

Christian : « La meilleure façon de nous aider, c’est de nous signaler les projets innovants que vous connaissez. Je me souviens par exemple d’une personne qui nous avait envoyĂ© une vidĂ©o sur un projet absolument gĂ©nial. C’est une Ă©cole de langues au BrĂ©sil qui s’est rendu compte qu’il y avait beaucoup d’élĂšves qui ne pouvaient aller apprendre l’anglais aux Etats-Unis. Ils se sont rendu compte qu’aux Etats-Unis, il y avait des maisons de retraite oĂč les vieux s’ennuyaient toute la journĂ©e. Donc, ils ont crĂ©Ă© un systĂšme un peu comme Skype. Cela s’appelle : « Speaking exchange ». Ce sont des conversations qui se passent entre de jeunes brĂ©siliens et des retraitĂ©s amĂ©ricains. Cette vidĂ©o est bouleversante parce que c’est plus d’humanitĂ©. Tout le monde est gagnant. Les jeunes apprennent l’anglais et les vieux ont du lien social et se sentent utiles. Nous avons mĂ©diatisĂ© le projet : « Speaking exchange » dans plus de soixante journaux dans lesquels nous travaillons ».

Pierre : « La partie Ă©mergĂ©e de Sparknews, c’est votre site qui est un peu le You Tube des solutions. Si vous dĂ©primez un peu, vous pouvez aller vous balader sur le site ». Christian : « Effectivement, sur le site, il y a plus de 3000 vidĂ©os qui montrent qu’on peut trouver des solutions. Face Ă  tous les problĂšmes, quelqu’un me disait que tous les dimanches, il regarde une vidĂ©o avec ses enfants Pour lui, c’est une façon de leur monter autre chose que ce qu’ils voient tous les jours Ă  la tĂ©lé ».

 

Avec qui peut-on collaborer ?

Pierre : « Vous travaillez beaucoup avec Axa et Total.  Qu’est-ce qu’on peut rĂ©pondre aux gens qui trouvent que cela pose un problĂšme Ă©thique ? Christian :  « Nous avons une autre stratĂ©gie. Si on les met sur les bancs des accusĂ©s en leur disant : « Vous ĂȘtes des mĂ©chants », finalement, ils n’ont aucun intĂ©rĂȘt Ă  Ă©voluer, alors on leur dit : « Oui, vous faites partie des problĂšmes, mais on peut peut-ĂȘtre rĂ©flĂ©chir ensemble comment vous pouvez faire partie des solutions ». On leur amĂšne des innovations positives dans le domaine de l’énergie qui peuvent potentiellement ĂȘtre le « busines model » du domaine. On ne peut pas leur dire du jour au lendemain : vous allez arrĂȘter le pĂ©trole. Cela prend du temps de gĂ©rer cette transition. AprĂšs, si on constate qu’ils n’en ont rien Ă  faire, on arrĂȘte de travailler avec eux, mais ce n’est pas du tout ce qui s’est passé ».

 

Entreprendre : Entreprenariat social et micro engagement

Pierre : « Et si on parlait de toi ? La moyenne d’ñge des entrepreneurs sociaux est souvent assez jeune. Toi, tu as un peu plus d’expĂ©rience. Tu as fait un tour du monde. Tu as rĂ©alisĂ© Reporters d’espoir, maintenant Sparknews et surement plein d’autres projets. Quel regard portes-tu sur la carriĂšre d’entrepreneur social ? »

Christian : Je me souviens qu’à trente ans, au fond de moi, j’avais envie d’ĂȘtre entrepreneur social, mais je pensais que je n’étais pas capable de l’ĂȘtre.  Un jour, il y a quelqu’un qui m’a dit : « Mais, en fait, tu es un entrepreneur ». C’est quelqu’un qui avait dix ans de plus que moi, qui avait montĂ© sa boite. En fait, c’est le plus grand compliment qu’on ait pu me faire parce que j’ai rĂ©alisĂ© qu’on n’avait pas besoin d’ĂȘtre parfait pour ĂȘtre entrepreneur ».

Pierre : « Le micro engagement, qu’est-ce que cela Ă©voque pour toi ? ». Christian : « Pierre, je trouve cela super que tu aies fait ce bouquin : « Changer le monde en deux heures », parce que je m’en souviens trĂšs bien : Quand j’avais 23-24 ans, il y avait des jeunes qui partaient une semaine,  un mois dans une association et des gens leur disaient : « C’est pour te donner bonne conscience. Cela ne sert Ă  rien ». Quand j’ai fait le tour du monde, on s’est arrĂȘtĂ© quelques jours dans un mouroir de MĂšre TĂ©rĂ©sa. En principe, n’importe qui  peut passer la porte des soeurs et aider pour une demie journĂ©e, pour quelques heures. Il y avait un homme qui venait d’arriver, que des gens venaient d’apporter parce qu’il n’arrivait plus Ă  marcher, un indien rachitique visiblement en train de mourir. Et lĂ , il y a un amĂ©ricain qui arrive, un touriste et qui dit : « Est- ce que je peux aider ? Une bonne sƓur lui passe une bouteille d’huile et lui dit : « tu vas masser l’homme qui est là ». L’amĂ©ricain se met Ă  le masser pendant une heure, deux heures. Au dĂ©but de la matinĂ©e, cet homme Ă©tait totalement terrorisĂ© et au fur Ă  mesure que le jeune amĂ©ricain prenait soin de lui, le regardait dans les yeux, il ne pouvait pas parler, mais il y avait une humanitĂ©. Ce vieil homme indien est mort au bout de deux heures. Il est vrai que ce jeune amĂ©ricain n’a passĂ© que deux heures. C’est peu, mais c’est sans doute les deux heures les plus importantes de la vie de cet homme. Bien sĂ»r, c’est un cas un peu extrĂȘme, mais je pense qu’on a toujours la tentation de se dire : cela ne sert Ă  rien. Il faudrait que je donne ma vie. Il faudrait que je m’engage complĂštement et, du coup, on ne fait pas les petites choses qu’on pourrait faire ».

Pierre : « Aurais-tu des conseils Ă  donner Ă  des personnes, et notamment aux jeunes, comme il y en a plein sur You tube, qui ont envie d’agir, mais qui ne savent pas par oĂč commencer ? »

Christian : « Partez de vos passions et regardez ce qui vous plait. Cela peut ĂȘtre le cheval, cela peut ĂȘtre les jeux vidĂ©o, cela peut ĂȘtre n’importe quoi
 et regardez ce qui se fait dans ces domaines. Par exemple, les jeux vidĂ©os ont un impact social, sensibilisent. Partez de vos passions et partez de ce qui vous provoque, de ce qui vous choque parce que c’est cela qui vous donnera le moteur et l’énergie  »

 

Muhammad Yunus et le microcrédit

Pierre : « Quels sont les gens qui t’inspirent aujourd’hui ? »

Christian : « Celui qui m’a le plus inspirĂ©, c’est Muhammad Yunus. Muhammad Yunus a Ă©tĂ© le premier grand entrepreneur social. Ce que je trouve incroyable, c’est qu’il n’était pas du tout destinĂ© Ă  cela. C’est simplement parce qu’un jour il s’est dit : j’enseigne des thĂ©ories mathĂ©matiques Ă©conomiques qui ne sont mĂȘme plus capables de rĂ©soudre les problĂšmes  de la famine, et donc, avec ses Ă©tudiants, il est allĂ© dans un village pour comprendre ce qui se passait et, c’est comme cela qu’il a compris le problĂšme des pauvres et qu’en prĂȘtant quelques dollars, il pouvait changer leur vie. Ensuite, il est allĂ© voir les banquiers en disant : « Tiens, vous devriez le faire puisque c’est votre job ». et puis, comme ils n’ont pas compris ou ils n’ont pas voulu le faire, il l’a fait lui-mĂȘme. Et, Ă  chaque fois qu’il y avait un problĂšme, il est arrivĂ© Ă  le contourner. Je me souviens par exemple qu’au Bangladesh, il y a les mollahs puisque c’est un pays musulman. Ils lui disaient : « Vous n’avez pas le droit de prĂȘter aux femmes ». il leur dit : « Je vais vous raconter l’histoire d’une femme entrepreneur ». Donc, il leur raconte l’histoire de cette femme entrepreneur. En fait, cette femme, c’était une des femmes de Mahomet
 Donc, cela prouve bien que, si Mohammed l’a Ă©pousĂ©, c’était trĂšs bien qu’elle soit une femme entrepreneur ».

 

Changer le monde 

Pierre : « Tu penses qu’on peut changer le monde ? »

Christian :  « Oui, je suis convaincu qu’on peut changer le monde.

Je suis croyant, donc je ne peux pas croire que Dieu se soit amusĂ© de nous mettre dans un monde oĂč les clĂ©s Ă©taient pipĂ©es d’emblĂ©e. AprĂšs, on peut croire ce que l’on veut, mais je ne peux pas croire dans un monde oĂč il n’y a pas des clĂ©s pour qu’on y arrive. C’est sĂ»r que c’est compliquĂ©, mais, en fait, il suffit parfois de changer quelques paramĂštres et cela change tellement de choses  qu’on peut vraiment inverser la tendance. C’est se rappeler que rien n’est impossible . Cela ne veut pas dire qu’on peut tout rĂ©ussir, mais, en tout cas, c’est possible qu’on rĂ©ussisse. Quand je suis sorti de l’Ecole, l’entreprenariat social, cela n’existait pas . Les formations supĂ©rieures autour de l’entreprenariat social n’existaient pas. Quand j’ai fait mon tour du monde de l’espĂ©rance en 1998, j’avais 24 ans. On a trouvĂ© des projets super, mais ces projets Ă©taient des projets ridicules par rapport Ă  ce qu’on trouve aujourd’hui. Non seulement il y en avait beaucoup moins, mais ils Ă©taient dix mille fois moins innovants. Aujourd’hui, comme le dit Olivier Kayser, le laboratoire d’innovations positives est rempli. Maintenant, il faut crĂ©er des usines pour changer d’échelle ».

Pierre : «  Pour toi, changer le monde, cela veut dire quoi ? »

Christian : Cela veut dire que tout le monde puisse ĂȘtre heureux. Cela ne veut pas dire forcĂ©ment ĂȘtre riche, mais que tout le monde puisse ĂȘtre heureux ».

Dans cette mutation profonde dans laquelle l’humanitĂ© est engagĂ©e depuis plusieurs dĂ©cennies, vague aprĂšs vague, nous sommes nombreux Ă  participer Ă  ce mouvement pour un changement positif. A cet Ă©gard, cette conversation entre Christian de Boisredon et Pierre Chevelle nous paraĂźt exemplaire, car elle met en Ă©vidence une mĂȘme orientation entre deux personnes  dont le positionnement varie quelque peu selon l’ñge. Et le questionnement de Pierre Chevelle est particuliĂšrement prĂ©cieux parce qu’il traduit Ă©galement les aspirations et les attentes d’une jeune gĂ©nĂ©ration.

Christian de Boisredon, Ă  travers de multiples exemples, corrobore notre conviction que les reprĂ©sentations ont un rĂŽle majeur et que c’est Ă  travers des reprĂ©sentations positives que les comportement peuvent Ă©voluer favorablement et contribuer Ă  un changement social pour une vie meilleure. Et, en tout cela, nous avons besoin d’une vision animĂ©e par l’espĂ©rance (1). Ainsi Christian de Boisredon a-t-il intitulĂ© « l’espĂ©rance autour du monde », le livre qui rapporte son projet pionnier. Aujourd’hui encore, c’est le mĂȘme esprit qui nous anime. Dans la tourmente, gardons cette boussole.

 

J H

 

(1)            « Agir et espĂ©rer. EspĂ©rer et agir.  Selon JĂŒrgen Moltmann » https://vivreetesperer.com/?p=2720

(2)             Présentation de Christian de Boisredon sur Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Christian_de_Boisredon  Témoignage de Christian de Boisredon à TED x Saint Sauveur Square (You Tube) : https://fr.wikipedia.org/wiki/Christian_de_Boisredon

(3)            Christian de Boisredon.Nicolas de Faugeroux. LoĂŻc de Rosando. L’espĂ©rance autour du monde. PrĂ©face de Dominique Lapierre. Presses de la renaissance, 2000

(4)            Sparknews « Pour construire un monde meilleur, commencer par le raconter autrement  et valoriser les initiatives Ă  impact positif pour retrouver la confiance et donner envie d’agir » : https://www.sparknews.com

(5)            Le site de Pierre Chevelle : Changer le monde en deux heures : https://www.en2heures.fr

(6)            Interview de Christian de  Boisredon par Pierre Chevelle : « il inspire 120 millions de personnes. Christian de Boisredon. Sparknews. » Sur You tube : https://www.youtube.com/watch?v=9F9d6VS6EoU

 

Au fil des années, Vivre et espérer participe  à la mise en valeur des projets innovants et des initiatives à impact positif. Quelques exemples en rappel :

 

« Vers une économie symbiotique » : https://vivreetesperer.com/?p=2165

« Le film : Demain » : https://vivreetesperer.com/?p=2422

« Vers un nouveau climat de travail dans des entreprises humanistes et conviviales. Un parcours de recherche avec Jacques Lecomte » : https://vivreetesperer.com/?p=2318

« Le monde va beaucoup mieux que vous ne le croyez, selon Jacques Lecomte » : https://vivreetesperer.com/?p=2604

« Alexandre GĂ©rard : chef d’entreprise, pionnier d’une »entreprise libĂ©rĂ©e » : https://vivreetesperer.com/?p=2746

« Pour une Ă©ducation nouvelle, vague aprĂšs vague . L’expĂ©rimentation de CĂ©line Alvarez dans une classe maternelle de Gennevilliers » : https://vivreetesperer.com/?p=2497

« Sugata Mitra : Un avenir pĂ©dagogique prometteur Ă  partir d’une expĂ©rience d’auto apprentissage d’enfants indiens en contact avec un ordinateur » : https://vivreetesperer.com/?p=2165

« Médiation animale » : https://vivreetesperer.com/?p=2785

« Pourquoi et comment innover face au changement accéléré du monde » : https://vivreetesperer.com/?p=2624

« Cultiver la terre en harmonie acec la nature. La permaculture : une vision holistique du monde » : https://vivreetesperer.com/?p=2405

« Les plantes mĂ©dicinales au cƓur d’une nouvelle approche mĂ©dicale : phytothĂ©rapie clinique intĂ©grative et mĂ©decine endobiogĂ©nique » : https://vivreetesperer.com/?p=2687

« Génération Y : une nouvelle vague pour une nouvelle maniÚre de vivre » : https://vivreetesperer.com/?p=2652