Le Dieu vivant et la plénitude de vie

 

Face à nos questions existentielles, une théologie pour la vie en dialogue avec la culture contemporaine

 

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Aujourd’hui, dans la lignĂ©e de ses nombreux ouvrages , le nouveau livre de JĂŒrgen Moltmann publiĂ© par le Conseil ƒcumĂ©nique des Eglises, s’intitule : « The living God and the fullness of life » (Le Dieu vivant et la plĂ©nitude de vie ») (1). Comme le souligne un commentateur, James M Brandt (2), Moltmann poursuit son projet thĂ©ologique : mettre en valeur la rĂ©alitĂ© du Dieu vivant et montrer ce Ă  quoi la vie humaine ressemble lorsqu’elle prend forme dans une rencontre avec le Dieu d’IsraĂ«l et JĂ©sus-Christ. Brandt rappelle Ă  cette occasion la place occupĂ©e par JĂŒrgen Moltmann dans la thĂ©ologie chrĂ©tienne depuis les annĂ©es 60. « Dans ces annĂ©es lĂ , de pair avec Wolfhart Pannenberg, Moltmann a dĂ©veloppĂ© une thĂ©ologie de l’espĂ©rance en mettant l’eschatologie au centre de la pensĂ©e et de la vie chrĂ©tienne et en participant significativement Ă  la construction d’une thĂ©ologie de l’engagement politique, particuliĂšrement la thĂ©ologie de la libĂ©ration. En 1972, son livre : « Dieu crucifié » a fait progresser la thĂ©ologie de la croix dĂ©veloppĂ©e par Luther en affirmant combien la souffrance de Dieu est primordiale pour comprendre qui est Dieu. L’Ɠuvre de Moltmann sur le Saint Esprit et sur le Dieu trinitaire a Ă©tĂ© une grande contribution au renouveau de la pneumatologie et de la pensĂ©e trinitaire. Un seul de ces apports aurait suffi Ă  nous permettre de percevoir Moltmann comme un gĂ©ant de la thĂ©ologie, ajoute Brandt. Toutes ces contributions font peut-ĂȘtre de lui, le thĂ©ologien le plus important de notre Ă©poque ».

 

Alors que la plupart des ouvrages prĂ©cĂ©dents traitaient d’une grande question thĂ©ologique, « The living God and the fullness of life » est davantage un livre de synthĂšse qui cherche Ă  rĂ©pondre aux questions existentielles de l’homme contemporain Ă  partir des acquis d’une recherche fondamentale.  L’auteur s’adresse en premier Ă  un public marquĂ© par une culture moderne qui ferait appel Ă  « des concepts humanistes et matĂ©rialistes » de la vie, une culture dans laquelle Dieu serait absent. Cette vie sans transcendance engendre un manque et induit ce que Moltmann appelle une « vie diminuĂ©e ».

Si une forme de christianisme a pu apparaĂźtre comme un renoncement Ă  une vie pleinement vĂ©cue dans le monde, Moltmann nous prĂ©sente au contraire un Dieu vivant qui suscite une plĂ©nitude de vie. Dieu n’est pas lointain. Il est prĂ©sent et agissant. « Avec Christ, le Dieu vivant est venu sur cette terre pour que les humains puissent avoir la vie et l’avoir en abondance (Jean 10.10). Moltmann nous propose une spiritualitĂ© dans laquelle « la vie terrestre est sanctifiĂ©e » et qui se fonde sur la rĂ©surrection du Christ. Dans la dynamique de cette rĂ©surrection, « L’horizon de l’avenir, aujourd’hui assombri par le terrorisme, la menace nuclĂ©aire et la catastrophe environnementale, peut s’éclairer. Une lumiĂšre nouvelle est projetĂ©e sur le passĂ© et ceux qui sont morts. La vie entre dans le prĂ©sent pour qu’on puisse l’aimer et en jouir
 Ce que je dĂ©sire, Ă©crit Moltmann, c’est de prĂ©senter ici une transcendance qui ne supprime, ni n’aliĂšne notre vie prĂ©sente, mais qui libĂšre et donne vie, une transcendance par rapport Ă  laquelle nous ne ressentions pas l’envie de lui tourner le dos, mais qui nous remplisse d’une joie de vivre » (p X-XI).

 

Ce livre se développe en trois mouvements.

Dans le premier, en introduction, Moltmann dĂ©crit le visage du monde moderne tel qu’il est issu de l’époque des LumiĂšres dans une diversitĂ© de trajectoires selon les histoires nationales. Et il entre en dialogue avec deux penseurs de cette pĂ©riode : Lessing et Feuerbach, critiquant ainsi les racines de l’agnosticisme et de l’athĂ©isme contemporain.

Mais Ă  quel Dieu pouvons-nous croire ? La reprĂ©sentation de Dieu telle qu’elle ressort de l’expression des mentalitĂ©s et de la rĂ©flexion des thĂ©ologiens a une influence considĂ©rable sur notre pensĂ©e et sur notre vie. En proclamant un Dieu vivant, le Dieu de l’Exode et de la RĂ©surrection, Moltmann rĂ©fute l’image d’un Dieu lointain, mais nous prĂ©sente au contraire un Dieu qui s’implique en notre faveur. Dans ce second mouvement, en premiĂšre partie, le livre nous introduit dans la comprĂ©hension de ce que la Bible veut nous dire par l’expression : « Le Dieu vivant » (« The living God ». L’auteur se propose de « libĂ©rer le Dieu d’IsraĂ«l et JĂ©sus-Christ de l’emprisonnement des dĂ©finitions mĂ©taphysiques qui sont issues de la philosophie grecque et de la conception religieuse des LumiĂšres » (p XI). Elle interpelle une conception de Dieu immuable, impassible, dominatrice qui fait obstacle Ă  un engagement aimant et libĂ©rateur de Dieu dans l’humanitĂ©.

Dans un troisiĂšme mouvement, en deuxiĂšme partie, le livre porte sur le dĂ©ploiement et l’épanouissement de la vie humaine dans la vie de Dieu. « Mon but est de montrer comment une plĂ©nitude de vie (fullness of life) procĂšde du dĂ©veloppement de la vie humaine dans la joie de Dieu, dans l’amour de Dieu, dans le vaste espace de la libertĂ© de Dieu, dans la spiritualitĂ© des sens et dans une puissance imaginative et crĂ©ative de la pensĂ©e qui traverse les frontiĂšres » (p XI). Les deux-tiers de l’ouvrage sont ainsi consacrĂ©s Ă  des chapitres qui viennent Ă©clairer notre existence : la vie Ă©ternelle dans la communion avec la vie divine ; celle des vivants et des morts ; la communion de la terre ; la vie dans le grand espace de la joie en Dieu ; la libertĂ© vĂ©cue dans la solidarité ; la libertĂ© vĂ©cue dans une sociĂ©tĂ© ouverte ; la vie aimĂ©e et aimante ; une spiritualitĂ© des sens : espĂ©rer et penser ; la vie, une fĂȘte sans fin. C’est toute la vie humaine qui est concernĂ©e.

Ecrit Ă  l’intention d’un vaste public, ce livre nous paraĂźt nĂ©anmoins particuliĂšrement dense, notamment dans son argumentation philosophique. C’est pourquoi dans cette mise en perspective, il est exclu d’en rendre compte d’une façon linĂ©aire et exhaustive. Ainsi faisons-nous le choix de nous centrer sur le chapitre qui ouvre le troisiĂšme mouvement : la vie Ă©ternelle.

 

La vie Ă©ternelle

La vie Ă©ternelle ne tourne pas le dos Ă  la condition terrestre de l’homme, mais elle l’anime. Elle ne s’adresse pas Ă  des individus qui seraient polarisĂ©s sur le salut de leur Ăąme. Elle s’inscrit dans un univers interrelationnel. « L’ĂȘtre humain n’est pas un individu, mais un ĂȘtre social
 Il meurt socialement lorsqu’il n’a pas de relations » (3). Ainsi, selon Moltmann, le vie Ă©ternelle s’inscrit dans trois dimensions : « Comme enfants de Dieu, les ĂȘtres humains vivent une vie divine. Comme parents et enfants, ils s’inscrivent dans la sĂ©quence des gĂ©nĂ©rations humaines. Comme crĂ©atures terrestres, ils vivent dans la communautĂ© de la terre » (p 73). DĂšs lors, le chapitre s’articule en trois parties : « In the fellowship of the divine life » (Dans la communion de la vie divine) ; « In the fellowship of the living and of the dead » (Dans la communion entre les vivants et les morts » ; « In the fellowship of the earth » (Dans la communion avec la terre)

 

Dans la communion de la vie divine

« On entend dire que la vie sur terre n’est rien qu’une vie mortelle et finie. Dire cela, c’est accepter la domination de la mort sur la vie humaine. Alors cette vie est bien diminuĂ©e. Dans la communion avec le Dieu vivant, cette vie mortelle et finie, ici et maintenant, est une vie interconnectĂ©e, pĂ©nĂ©trĂ©e par Dieu et ainsi, elle devient immĂ©diatement une vie qui est divine et Ă©ternelle » (p73). « La vie humaine est enveloppĂ©e et acceptĂ©e par le divin et le fini prend part Ă  l’infini. La vie Ă©ternelle est ici et maintenant. Cette vie prĂ©sente, joyeuse et douloureuse, aimĂ©e et souffrante, rĂ©ussie ou non, est vie Ă©ternelle. Dans l’incarnation du Christ, Dieu a acceptĂ© cette vie humaine. Il l’interpĂ©nĂštre, la rĂ©concilie, la guĂ©rit et la qualifie pour l’immortalitĂ©. Nous ne vivons pas simplement une vie terrestre, ni seulement une vie humaine, mais nous vivons aussi simultanĂ©ment une vie qui est remplie par Dieu, une vie dans l’abondance (Jean 10.10)
 Ce n’est pas la foi humaine qui procure la vie Ă©ternelle. La vie Ă©ternelle est donnĂ©e par Dieu et elle est prĂ©sente dans chaque vie humaine, mais c’est le croyant qui en a conscience. On la reconnaĂźt objectivement et subjectivement, on l’intĂšgre dans sa vie comme la vĂ©ritĂ©. La foi est une joie vĂ©cue dans la plĂ©nitude divine de cette vie. Cette participation Ă  la vie divine prĂ©suppose deux mouvements qui traversent les frontiĂšres : l’incarnation de Dieu dans la vie humaine et la transcendance de cette vie humaine dans la vie divine  » (p74).

« La Parole est devenue chair et elle a habitĂ© parmi nous
et nous avons contemplĂ© sa gloire » (Jean 1.14). « La Parole a pris notre condition humaine fragile, corruptible, mortelle. Ce qui a Ă©tĂ© pris par Dieu est guĂ©ri de tout ce qui le sĂ©parait de lui. L’incarnation de Dieu en Christ est un miracle de guĂ©rison de portĂ©e universelle pour l’humanitĂ© et pas pour l’humanitĂ© seulement » (p 74). « L’incarnation a Ă©galement uns signification, une dimension cosmique » (« Jean-Paul II).

Et, par ailleurs, l’Esprit de Dieu est venu rĂ©sider dans l’humanitĂ©. « Votre corps est le temple du Saint Esprit. Aussi glorifiez Dieu dans votre corps » (1 Corinthiens 6.19-20). Alors, dans les ĂȘtres humains, dans leurs esprits (Rom 8.15), dans leurs cƓurs (Rom 5.5) et mĂȘme dans leurs corps, on trouve la puissance de la vie divine. Dans leur ĂȘtre fini, imparfait et mortel, rĂ©side ce qui est infini, parfait et immortel, ce qu’on appelle l’Esprit de Dieu ». « Comme Karl Rahner, nous dit Moltmann, « on peut voir lĂ  une « auto-transcendance » de l’existence humaine, qui est une consĂ©quence de l’auto-immanence de l’Esprit dans l’existence humaine » ( p 75).

JĂŒrgen Moltmann nous ouvre ainsi un grand horizon : « Nous sommes nĂ©s dans cette vie ouverte et divine. MĂȘme avant notre naissance, le vaste espace de Dieu Ă©tait lĂ  pour nous » (p 75) : « Je te connaissais avant de t’avoir formĂ© dans le sein de ta mĂšre » (JĂ©rĂ©mie 1.5). Chaque enfant naĂźt dans un grand oui de Dieu Ă  la vie ». Ainsi, dans nos difficultĂ©s, nous pouvons avoir « une ferme assurance au sujet de notre existence, une assurance qui peut rĂ©sister au doute et Ă  la dĂ©pression parce qu’elle est plus forte


Nous mourrons dans cette vie ouverte et divine. Pour nous, la mort est la fin de la vie mortelle, mais pour la vie divine dans laquelle nous avons vĂ©cu, aimĂ© et souffert, c’est une transition d’une condition mortelle Ă  l’immortalitĂ© et de ce qui est passager Ă  ce qui est Ă©ternel » (1 Cor 15. 42-44) (p 76).

 

La communion avec les vivants et les morts

Nous prenons davantage conscience aujourd’hui de l’interrelation qui prĂ©vaut dans tous les domaine. Ainsi « l’ĂȘtre humain est un ĂȘtre en relation ». Cette rĂ©alitĂ© se manifeste Ă©galement dans la succession des gĂ©nĂ©rations. « Les ĂȘtres humains participent Ă  une communautĂ© des vivants et des morts mĂȘme s’ils n’en ont pas toujours conscience ». Ainsi, dans les sociĂ©tĂ©s modernes occidentales, l’individualisme fait obstacle Ă  cette conscience collective. Cela rĂ©duit la conscience de la communion entre les vivants et les morts. A cet Ă©gard, les sociĂ©tĂ©s traditionnelles, en particulier celles d’ExtrĂȘme Orient, ont quelque chose Ă  nous rappeler, car elles vivent actuellement cette communion entre les vivants et les morts. Dans le monde moderne occidental, nous avons besoin d’une culture nouvelle du souvenir « de maniĂšre Ă  ne pas vivre seulement comme individus pour nous-mĂȘme, mais en vue de regarder au delĂ  de nous-mĂȘme ». C’est seulement si nous percevons notre durĂ©e de vie dans le cadre plus vaste de la succession des gĂ©nĂ©rations que nous pouvons entrer « dans la mĂ©moire du passĂ© et dans l’avenir en espĂ©rance de ce qui est Ă  venir ».

Pour rĂ©aliser cette communion entre les vivants et les morts, une transcendance de la vie et de la mort est requise
 La foi chrĂ©tienne envisage cette communion des vivants et des morts dans le Christ qui est mort dans une mort humaine et a Ă©tĂ© ressuscitĂ© dans la vie divine. En consĂ©quence, la communautĂ© chrĂ©tienne est  une communautĂ© non seulement des vivants, mais des morts. « Le Christ est mort et ressuscitĂ© pour qu’il puisse ĂȘtre le Seigneur Ă  la fois des morts et des vivants » Rom 14.9) (p 78).  « Depuis qu’il est « descendu dans le royaume des morts », comme le dĂ©clare le symbole des apĂŽtres », Christ a brisĂ© la puissance de la mort et il a ramenĂ© les morts dans le partenariat de la vie divine. La barriĂšre de la mort qui sĂ©parait les morts des vivants a Ă©tĂ© brisĂ©e dans la rĂ©surrection du Christ en vie Ă©ternelle. Dans la communautĂ© du Christ, les morts ne sont pas « morts », selon la reprĂ©sentation courante, mais ils sont grandement prĂ©sents (« present in a highly personal sense »).

 

Communion avec la terre

TrĂšs tĂŽt, dĂšs les annĂ©es 1980, JĂŒrgen Moltmann s’est engagĂ©e dans une rĂ©flexion thĂ©ologique qui est venu Ă©clairer et accompagner le mouvement Ă©cologique ; Son livre : « Dieu dans la crĂ©ation » (1988) porte en sous-titre : « TraitĂ© Ă©cologique de la crĂ©ation ». Ce que Motmann Ă©crit dans ce chapitre : « In the fellowship of the earth » s’inscrit ici dans une pensĂ©e trĂšs vaste et trĂšs Ă©laborĂ©e.

Moltmann  nous rappelle qu’au cours des derniers siĂšcles, l’humanitĂ© a fait preuve d’un esprit dominateur en exploitant la terre jusqu’à une vĂ©ritable dĂ©vastation. Cette attitude s’est inspirĂ©e, pour une part, d’une comprĂ©hension partiale de la Bible selon laquelle l’ĂȘtre humain Ă©tait « la couronne de la crĂ©ation » parce qu’il Ă©tait seul Ă  avoir Ă©tĂ© crĂ©Ă© Ă  l’image de Dieu, et, par suite, en charge de gouverner la terre (p 81).  Cependant, on pourrait dire, Ă  l’inverse, que l’ĂȘtre humain est une crĂ©ature qui vient en dernier, et que, par suite, l’humanitĂ© dĂ©pend pour sa vie de tout ce qui a Ă©tĂ© crĂ©Ă© par ailleurs.

« Selon le premier rĂ©cit de la crĂ©ation, la terre n’est pas assujettie par l’ĂȘtre humain. La terre est un ĂȘtre grand, unique, crĂ©atif qui engendre la vie : plantes, arbres et animaux de toute espĂšce (GenĂšse 1.24).  On ne dit rien de semblable pour d‘autres ĂȘtres crĂ©Ă©s, y compris pour l’homme » (p 81). La terre n’est pas seulement un abri pour les ĂȘtres vivants. Elle les engendre. Ainsi Moltmann en est venu Ă  se faire une haute idĂ©e de la terre. « La terre est plus que vivante parce qu’elle engendre la vie. Elle est plus qu’un organisme parce qu’elle produit des organismes. Elle est plus qu’intelligente, car elle engendre de l’intelligence. Elle est plus grande que l’humanitĂ©. Elle survivra Ă  l’humanitĂ©, mĂȘme si celle-ci met fin Ă  son existence » (p 82).

Et, sur le plan biblique, dans l’épisode de NoĂ©, Dieu fait alliance avec la terre. L’arc en ciel est un signe de cette alliance entre Dieu et la terre (GenĂšse 9.13). Les droits de la terre sont exprimĂ©s dans les rĂšgles du Sabbat. Ainsi la terre a un droit au repos du sabbat pour qu’elle puisse rĂ©gĂ©nĂ©rer ses forces vitales. Pour la foi chrĂ©tienne, le salut de la terre vient du Christ cosmique. Dieu a « rĂ©concilié » (Col 1.20) l’univers en unissant toute chose en Christ : « les choses dans le ciel et les choses sur la terre » (Eph 1.10) . Le Christ ressuscitĂ© a Ă©tĂ© aussi exalté  et le Christ exaltĂ© est le Christ cosmique. Il est prĂ©sent en toutes choses. Finalement, il est aussi celui qui vient et qui remplira le ciel et la terre de sa justice » (p 83).

A nouveau, Moltmann critique la religion gnostique qui privilĂ©gie le dĂ©part vers le ciel et dĂ©considĂšre la terre. La participation Ă  la vie de la terre conduit au ressenti d’une vie universelle. La nouvelle spiritualitĂ© de la terre Ă©veille une « humilitĂ© cosmique ». Elle suscite Ă©galement un amour cosmique tel que le Staretz Sosima l’exprime dans le roman de Dostoevski : « les frĂšres Karamazov » : «  Aime toute la crĂ©ation, l’ensemble et chaque petit grain de sable. Aime les animaux, les plantes, chaque petite chose. Si tu aimes chaque petite chose, alors le mystĂšre de Dieu en elle, te sera rĂ©vĂ©lĂ©. Une fois qu’il t’est rĂ©vĂ©lĂ©, alors tu le percevras de plus en plus chaque jour. Et Ă  la fin, tu aimeras l’univers entier d’un amour sans limite (« all comprehensive ») ».

 

Les chapitres qui s’inscrivent dans l’approche sur la plĂ©nitude de vie (fullness of life) sont particuliĂšrement riches et denses. En effet, sur des thĂšmes majeurs comme la joie, la souffrance, la libertĂ©, la solidaritĂ©, l’amitiĂ©, l’amour, la vie sensorielle, l’espĂ©rance, la fĂȘte et la cĂ©lĂ©bration, ils apportent une rĂ©flexion originale qui, parfois, sur certains points, peut ĂȘtre contestĂ©e, mais Ă©lĂšve toujours notre pensĂ©e dans une expression Ă  mĂȘme de susciter la mĂ©ditation et d’éveiller l’émerveillement. Cependant, comme dans ce livre, la pensĂ©e de Moltmann se dĂ©veloppe souvent Ă  partir d’un dĂ©bat philosophique, sa lecture requiert un effort particulier de la part de ceux  qui ne sont pas habituĂ©s Ă  cette approche. De plus, dans un volume limitĂ© en nombre de pages, la briĂšvetĂ© du propos ne rend pas toujours bien compte de la densitĂ© de la pensĂ©e. Ce livre est nĂ©anmoins non seulement important, mais original, car il est Ă©crit Ă  l’intention de tous ceux qui vivent aujourd’hui dans la culture occidentale. Il nous aide Ă  rĂ©pondre aux objections auxquelles nous sommes confrontĂ©. Et il nous ravit en montrant tout ce que nous pouvons recevoir de la foi chrĂ©tienne pour notre existence.  A une Ă©poque marquĂ©e par l’inquiĂ©tude, JĂŒrgen Moltmann nous apporte un message de vie, une vision d’avenir en traduisant Ă©galement cet apport dans ce qu’il peut Ă©clairer notre vie concrĂšte.

Ce livre nous invite Ă  nous rĂ©fĂ©rer aux autres ouvrages du mĂȘme auteur pour mieux comprendre l’ampleur et le sens de sa recherche. En dehors de la suite des ouvrages de fond traduits en français et publiĂ©s aux Ă©ditions du Cerf, nous suggĂ©rons la  lecture d’un livre publiĂ© en 2010 dans une traduction en anglais et qui prĂ©sente, en des termes accessibles, les avancĂ©es thĂ©ologiques de Moltmann : « Sun of rigtneousness, arise. God’s future for humanity and the earth » (4). En français, nous disposons depuis 2012, d’un livre qui, Ă  partir d’une approche existentielle, peut Ă©galement nous introduire dans la dĂ©marche de Moltmann. « De commencements en recommencements. Une dynamique d’espĂ©rance » (5). Voici de quoi accompagner ce nouveau livre : « The living God and the fullness of life » qui nous apporte aujourd’hui une rĂ©flexion bienvenue sur les fondements d’une approche chrĂ©tienne dans la culture d’aujourd’hui

 

J H

 

(1)            Moltmann (JĂŒrgen). The living God and the fullness of life. World Council of Churches publications, 2016  Disponible sur Amazon.fr : http://www.amazon.fr/Living-God-Fullness-Life/dp/0664261612/ref=sr_1_1?s=english-books&ie=UTF8&qid=1459608494&sr=1-1&keywords=The+living+God+and+the+fullness+of+life

(2)            Sur le site : Journal of Lutheran Ethics, compte-rendu dĂ©taillĂ© de « The living God and the fullness of life », par James M Brandt, professeur de thĂ©ologie historique Ă  la Saint Paul School of Theology. Nous recommandons la lecture de cette remarquable prĂ©sentation. L’auteur conclut ainsi son analyse :  « Perhaps the signal contribution of this book, in an age drawn to spirituality and action but leary of doctrine, is the way it links deep theological reflection with a vibrant vision of life. Life that is given meaning by the joy od God’presence in, with, and under the sensual goodness of the world, and community that overcomes barriers and create new relationships in anticipation of God’s future. In The Living God, there is inspiration aplenty for the thinking and the living » : http://elca.org/jle/articles/1143

(3)            « Dieu vivant, Dieu prĂ©sent, Dieu avec nous dans un monde oĂč tout se tient » : https://vivreetesperer.com/?p=2267

(4)            Moltmann (JĂŒrgen). Sun of righteousness, arise ! God’s future for humanity and the earth. Fortress Press, 2010

(5)            Moltmann (JĂŒrgen). De commencements en recommencements. Une dynamique d’espĂ©rance. Empreinte Temps prĂ©sent, 2012.  PrĂ©sentation sur ce blog : « Une dynamique de vie et d’espĂ©rance » : https://vivreetesperer.com/?p=572

 

Voir aussi :

« Le Dieu Vivant et la plĂ©nitude de  vie. Eclairages apportĂ©s par la pensĂ©e de JĂŒrgen Moltmann » : https://vivreetesperer.com/?p=2413

« Dieu vivant, Dieu prĂ©sent, Dieu avec nous dans un monde oĂč tout se tient » : https://vivreetesperer.com/?p=2267

 

Apport de l’immigration africaine à la culture du care


 
Hommage reconnaissant et engagé

Si le systĂšme de santĂ© français est en crise, confrontĂ© aux menaces technocratiques, il reste que le mouvement du care poursuit sa route, gagne dans les esprits et se marque sur le terrain. On pourra se reporter au livre de Fabienne BrugĂšre : « l’éthique du care » (1). C’est « une approche de sollicitude envers les ĂȘtres vulnĂ©rables ». Fabienne BrugĂšre Ă©crit ainsi : « Il existe une « caring attitude », une façon de renouveler le lien social par l’attention aux autres, le « prendre soin », le « soin mutuel , la  sollicitude et le souci des autres. Ces comportements adossĂ©s Ă  des politiques, Ă  des collectifs, ou Ă  des institutions, s’inscrivent dans une nouvelle anthropologie qui combine la vulnĂ©rabilitĂ© et la relationalité ». Il y a donc bien une « culture du care » qui progresse discrĂštement en France. Une expĂ©rience  de trois ans de vĂ©cu en hĂŽpital et en ehpad, en rassemblant mes souvenirs de paroles et de gestes bienfaisants, me permet de mettre en valeur la grande part  que prennent les soignants issus de l’immigration africaine dans la culture du care. Cette propension s’interprĂšte naturellement dans la commune relationalitĂ© propre aux deux cultures.

Certes, on doit se garder de toute idĂ©alisation. Il y a parfois dans les souvenirs des moments ou la relation a Ă©tĂ© difficile en raison de caractĂšres impĂ©rieux ou de difficultĂ©s de comprĂ©hension linguistique. Mais, c’est le loin l’admiration et la reconnaissance qui l’emportent. Dans cet article, nous allons donc Ă©grainer des souvenirs de paroles et de gestes bienfaisants et de faits significatifs. Comme nous rapportons gĂ©nĂ©ralement du positif, nous nous permettons de mentionner gĂ©nĂ©ralement les prĂ©noms (parfois les abrĂ©geant pour Ă©viter une reconnaissance directe si les circonstances y  incitent)  Et plutĂŽt que de prĂ©senter une simple galerie, nous reprendrons ses souvenirs dans des thĂšmes successifs. Comment avons-nous pu apprĂ©cier cette dynamique soignante ?  Comment s’est manifestĂ©e une prĂ©sence portant du sens,  en l’espĂšce, bien souvent, une prĂ©sence croyante ? Comment peut-on Ă©galement percevoir une dynamique sociale dans l’apprentissage de nouveaux savoirs et la mobilitĂ© d’une diaspora ? Enfin, nous regretterons, ici ou lĂ  , une frilositĂ© des instances dirigeantes vis-Ă -vis de cet apport. Dans notre mĂ©moire, cette immigration africaine est principalement subsaharienne, mais elle est parfois Ă©galement maghrĂ©bine. Les territoires d’outre-mer se relient Ă  cette mouvance. Ajoutons une participation fĂ©minine motrice,  rejoignant celle du care

 

Une dynamique soignante

Cette aprĂšs-midi lĂ , Ă  l’occasion d’un incident, je fus saisi d’émotion en entendant Nathalie, l’aide-soignante de l’étage, me proclamer en quelque sorte sa vocation. Avec un sourire rayonnant, elle me dit : « Pour moi, je ne conçois pas mon travail, uniquement comme des tĂąches pratiques, comme faire la toilette. Je sais combien l’attention aux accrocs des personnes ĂągĂ©es est importante et peut prĂ©venir des catastrophes. Je suis une soignante ». Et elle rappela combien les gens Ă©taient solidaires dans son village d’Afrique. Cette « vocation » m’apparut Ă©galement chez une infirmiĂšre qui, Ă  la diffĂ©rence d’autres de passage, se prĂ©senta trĂšs clairement avec un enthousiasme contagieux et rĂ©confortant : « Je suis Yolande ». Effectivement, trĂšs jeune au Cameroun, elle vivait dans une famille oĂč son pĂšre Ă©tait mĂ©decin vĂ©tĂ©rinaire. « Toute petite, je savais qu’il soignait les animaux. Moi, je me suis dit : « je ferais plutĂŽt le mĂ©tier d’infirmiĂšre ». Et alors, je pourrai avoir des moments d’échange avec mon pĂšre sur le fait de soigner et sur l’évolution de la mĂ©decine. J’avais huit ans » (2). Venue en France, Yolande a surmontĂ© ses difficultĂ©s financiĂšres initiales et, avec le mĂȘme dĂ©sir d’apprendre er le mĂȘme dĂ©sir de soigner, elle est devenue aide-soignante, puis infirmiĂšre.

Quand on est hospitalisĂ©, on a besoin d’encouragement et ce sont parfois des aides-soignantes qui apportent une aide prĂ©cieuse. Dans le roulis d’une hospitalisation pour covid, il y avait dans cette clinique une aide-soignante qui se dĂ©tachait par un soin prĂ©venant. La doctoresse Ă©coutait cette femme d’origine africaine. Par la suite, arrivant dans un hĂŽpital pour un suivi d’hospitalisation, je me souviens d’une aide-soignante qui m’assura que c’était le bon endroit pour remonter. Ces aides-soignantes n’ont pas une vie facile, mais ce sont de bonnes personnes animĂ©es par un Ă©lan de vie. Cet Ă©lan de vie, on le retrouve aussi dans la prĂ©sence de certaines personnes assurant le service des repas et du mĂ©nage.

C’est le cas dans cet ehpad oĂč comptent la gentillesse et le sourire des personnes apportant le repas. Fati est originaire de la rĂ©gion de Tombouctou dans le Mali. Elle est attentive et encourageante. Elle s’est familiarisĂ©e avec l’établissement et sait oĂč demander. Elle sait aider discrĂštement.  Originaire de la cĂŽte d’Ivoire, Salimata est joyeuse et enjouĂ©e. La bonne humeur, cela compte dans cet univers monotone.

Dans cet ephad, il y a de nombreuses aides-soignantes avec souvent des annĂ©es d’expĂ©rience. On les rencontre notamment au moment de « la toilette » Dans ce moment de proximitĂ©, on peut apprĂ©cier la prĂ©venance et le respect de beaucoup d’entre elles. Elles aussi viennent de diffĂ©rents pays d’Afrique de la CĂŽte d’Ivoire et du Cameroun au Congo. Une occasion de manifester ma reconnaissance Ă  des aides-soignantes dialoguantes comme Lucie, Alice, Lydienne, RĂ©gine, Judith, Nathalie, Solange
Il y a des exceptions oĂč on peut ĂȘtre confrontĂ© Ă  des personnes impĂ©rieuses et peu communicantes . Toutes ces soignantes, parfois Ă  l’épreuve d’un temps Ă©levĂ© de transport, apportent une vitalitĂ© qui s‘inscrit dans une culture du care.

La mĂ©moire d’une aide significative nous revient ici comme un exemple qui vient illustrer cette contribution de l’immigration africaine au care. InfirmiĂšre dans cet ephad, elle s’appelait Janette. MĂšre de famille, elle avait trois enfants. Mal en point Ă  l’époque, j’avais remarquĂ© sa prĂ©venance. Elle m’avait en quelque sorte adoptĂ©. Et lorsque ma santĂ© s’affichait positivement, j’observais chez elle un discret et curieux mouvement de danse. J’ai compris depuis combien la danse est consubstantielle Ă  la culture africaine

 

Une présence croyante

La vulnĂ©rabilitĂ© des patients et des personnes fragiles entraine un besoin de confiance. Il y a des soignantes qui y rĂ©pondent en puisant dans une culture croyante. C’est le cas chez de nombreuses soignantes issues de l’immigration africaine. L’épreuve amĂšne Ă  chercher l’essentiel. Dans un contexte de proximitĂ©, des soignantes apportent discrĂštement un tĂ©moignage de leur foi Ă  travers gestes et paroles. Une culture croyante affleure. D’une clinique, je me souviens de cette aide-soignante estimĂ©e qui me parla un jour de son jeune fils Ă  l’école dont les parents prenaient soin pour le protĂ©ger et elle me dit combien la priĂšre comptait Ă  cet Ă©gard.   Dans l’immigration africaine, la culture croyante va souvent de pair avec une culture chaleureuse qui tranche avec « une culture froide » individualiste et technocratique qui nuit Ă  la sollicitude et sape le moral de personnes Ă©prouvĂ©es.

Venant de CĂŽte d’Ivoire et participant Ă  une culture familiale chaleureuse, cette animatrice s’interrogeait sur la maniĂšre de tĂ©moigner de sa foi dans un milieu de personnes ĂągĂ©es et handicapĂ©es et leur manifestait une intelligente sollicitude. Cependant, en Ă©voquant cette prĂ©sence croyante, je pense particuliĂšrement Ă  une infirmiĂšre qui exerçait sa fonction avec chaleur et enthousiasme. Parfois elle chantait et dans la tonalitĂ©, je reconnaisais des hymnes connus. Me sachant chrĂ©tien, elle n’hĂ©sita pas Ă  se dire pentecĂŽtiste. Me concernant, tout naturellement, venait l’expression : « Dieu vous bĂ©nit ».

Notons que la croyance en Dieu se manifeste dans la culture africaine avec beaucoup de tolĂ©rance. J’ai appris par Fati qu’au Mali, la communautĂ© musulmane coexistait avec diffĂ©rentes Ă©glises chrĂ©tiennes et que dans sa famille elle-mĂȘme, il y avait des musulmans et des chrĂ©tiens.

 

Une dynamique sociale et culturelle

En s’inscrivant dans la culture française Ă  travers l’activitĂ© du care, l’immigration africaine rĂ©alise un parcours de promotion impressionnant. C’est un mouvement en marche pour le meilleur. On peut l’observer chez de trĂšs jeunes. D’origine maghrĂ©bine, Leila, trĂšs attentive et communicante, vit avec ses parents dans une famille de sept enfants, dont les ainĂ©s ont dĂ©jĂ  une inscription professionnelle. Et elle-mĂȘme poursuit des Ă©tudes d’infirmiĂšre. Telle autre jeune fille, d’origine ivoirienne, vivant dans une famille nombreuse et Ă©galement excentrĂ©e en grand banlieue s’engage dans des Ă©tudes d’infirmiĂšre.

Cependant, on observe dans la vie des soignantes, des parcours impressionnants de promotion. BĂ©ninoise, PhilomĂšne, rĂ©duite en esclavage domestique par un mĂ©nage français qui l’avait emmenĂ© en France en promettant Ă  ses parents de lui permettre de faire des Ă©tudes, a pu s’échapper avec l’aide d’une voisine (3). Elle est soutenue par une association, effectue une formation d’auxiliaire de vie, travaille dans l’aide Ă  domicile, travail Ă©puisant lorsque on ne dispose pas d’une voiture pour les transports, puis dans une crĂšche. Comme aide Ă  domicile, j’ai pu apprĂ©cier la qualitĂ© de son attention et elle est devenue une amie. Aujourd’hui, mariĂ©e, mĂšre de plusieurs enfants, elle commence une formation d’aide-soignante.

En terme de promotion sociale et professionnelle, l’itinĂ©raire de Yolande est exemplaire. « En arrivant en France en 2003, j’ai travaillĂ© comme femme de chambre pendant cinq ans pour financer une formation d’aide-soignante
 J’ai approfondi le cĂŽtĂ© relationnel qui Ă©tait dĂ©jĂ  ancrĂ© en moi, mais dont j’ai mieux compris l’application. Cela m’a confortĂ© dans la vocation de soignante que j’avais depuis l’enfance
.J’ai commencĂ© Ă  travailler dans les hĂŽpitaux .. Cela m’a permis d’accroitre mes connaissances pendant douze ans. Ensuite, j’ai voulu Ă©voluer dans m carriĂšre professionnelle. C’est alors que j’ai suivi une formation d’infirmiĂšre pendant trois ans  ». En revoyant ce parcours, je comprend maintenant pourquoi et comment le gout d’apprendre Ă©tait si vif chez Yolande. J’ai pu partager avec elle des textes et des livres. Trop souvent, des gens sont assis sur leur culture acquise dans de longues Ă©tudes. Des mouvements comme Peuple et Culture nous ont appris les vertus de la culture populaire et de l’éducation permanente. Animateur dans cet ephad, il s’appelait Sylvain. De par ses origines, il participait Ă  plusieurs cultures.  Il venait de choisir ce mĂ©tier d’animateur en ephad par souci d’humanitĂ©. Il cherchait sa voie et je le sentais en dĂ©sir d’apprendre et de comprendre. Ce fut un beau moment de partage. Pendant quelque temps, il prit mĂȘme connaissance des articles de Vivre et espĂ©rer


On retrouve chez beaucoup de soignantes de l’immigration africaine, ce mouvement de promotion dans un univers caractĂ©risĂ© par la mobilitĂ©. Cette mobilitĂ© est sociale dans un mouvement ascendant. Elle est aussi internationale. On peut apercevoir ici des effets de diaspora. Telle soignante a des sƓurs en Europe de Nord. Et puis, les relations avec « le pays » sont fortes et constantes. Une telle soutient des orphelins dans sa ville d’origine. Telle autre travaille en surplus pour permettre Ă  tous les membres de sa famille africaine d’acheter des cadeaux de NoĂ«l. Et d’ailleurs, on s’en va souvent au pays pour s’y ressourcer ou pour des Ă©vĂšnements familiaux. Il arrive mĂȘme qu’on participe de Paris Ă  un courant politique . Telle soignante franco-ivoirienne participe au « mouvement des gĂ©nĂ©rations capables ».

 

Face Ă  des brimades

On sait que la sociĂ©tĂ© française est traversĂ©e par des courants politiques opposĂ©s dans leur attitude vis-Ă  vis de l’immigration. Ainsi, il y a bien une attitude d’ouverture qui peut s’appuyer sur un grand mouvement associatif et l’appui des Ă©glises. Mas il y a aussi la pression hostile engendrĂ©e par une mĂ©moire dominatrice et par la peur d’une perte d’identitĂ© dans une sociĂ©tĂ© en crise de valeurs.

On peut donc observer une certaine frilositĂ© dans l’attitude vis-Ă -vis de l’immigration. Ainsi tarde la modernisation d’une administration bureaucratique lente dans l’accueil et dans la facilitation administrative de l’immigration reconnue. PhilomĂšne venait d’effectuer une aide Ă  domicile . Elle devait joindre l’administration pour une dĂ©marche indispensable. Je luis proposais de s’installer tranquillement pour tĂ©lĂ©phoner. Au bout du fil, nous attendĂźmes pendant une heure avant de pouvoir joindre le service.

D’origine ivoirienne, Pris avait effectuĂ© de bonnes Ă©tudes artistique dans une universitĂ© française. Elle avait trouvĂ© un travail d’animatrice dans cet ephad et s’y Ă©tait engagĂ© avec empathie, sensibilitĂ© et crĂ©ativitĂ©. En demande de renouveler son permis de sĂ©jour, l’administration estima que sa rĂ©munĂ©ration Ă©tait trop faible pour correspondre Ă  ses titres universitaires. En l’absence d’un mouvement favorable de l’employeur, elle dut quitter prĂ©cipitamment l’établissement.

Les soignantes franco-africaines oeuvrent dans un secteur de santĂ© aujourd’hui dĂ©favorisĂ© sur le plan des rĂ©munĂ©rations. Dans cet ephad, sous la responsabilitĂ© de deux soignants franco-africains : Judith et Eric, une section syndicale CFDT veille Ă  la dĂ©fense du personnel et milite pour une juste rĂ©munĂ©ration. Un jour, une grĂšve apparut. On peut se rĂ©jouir de la rĂ©ussite de cette grĂšve d’autant qu’elle fut menĂ©e dans un esprit de responsabilitĂ© en veillant Ă  ne pas nuire aux personnes dĂ©pendantes et en poursuivant avec succĂšs la nĂ©gociation avec la direction.

Nous voici dans un aspect plus sombre de cette histoire. RĂ©cemment, j’ai Ă©tĂ© conduit Ă  m’engager pour la dĂ©fense de soignantes brusquement congĂ©diĂ©es.  Dans un effort de remise en ordre vis-Ă vis de certains dysfontionnements, une nouvelle direction a pris des mesures sans prendre suffisamment en compte l’histoire des lieux et les Ă©tats de service de plusieurs soignantes.

Depuis peu, j’avais fait connaissance de Joan, assistante de nuit, une jeune personne active et cultivĂ©e finançant par ce travail des Ă©tudes d’anglais Ă  l’UniversitĂ© Villetaneuse. On lui reprocha un Ă©cart, un retard et une dispute, et elle fut congĂ©diĂ©e du jour au lendemain. Certes, on a pu me dire que je n’avais entendu qu’une version, la sienne.

Joan travaillait dans l’établissement depuis plusieurs annĂ©es. Ayant pris sa dĂ©fense au travers d’un mail, elle me rapporta combien elle avait Ă©tĂ© reçue Ă  la direction sans avoir le sentiment d’ĂȘtre Ă©coutĂ©e. Ce matin-lĂ , elle avait Ă©tĂ© profondĂ©ment humiliĂ©e. Au point qu’elle me dise : « Vous ĂȘtes un blanc, vous ! Jamais, on aurait osĂ© vous traiter de la sorte ». Je n’avais jamais entendu une telle remarque et j’en ai frĂ©mi.  A la mĂȘme pĂ©riode, un dĂ©lĂ©guĂ© syndical m’avait remerciĂ© pour mon soutien en Ă©voquant le ressenti d’une population qui se sent brimĂ©e.

Juste auparavant, une infirmiĂšre apprĂ©ciĂ©e de tous Ă  la suite d’un engagement chaleureux dans l’établissement pendant deux annĂ©es, Ă   l’écoute active » des patients, s’était vu brutalement congĂ©diĂ©e, dans un soudain non renouvellement de son CDD. Certes, la nouvelle direction cherchait Ă  rĂ©former un systĂšme dĂ©faillant. On lui reprocha une bavure mĂ©dicale, mais elle ne put prĂ©senter sa dĂ©fense. On ne tint aucun compte de son Ɠuvre sans doute dans ce mĂ©canisme de l’idĂ©e unique qui ne tient pas compte d’un ensemble. Elle fut donc Ă©liminĂ©e du jour au lendemain sans mĂȘme ĂȘtre reçue. A travers des mails, je m’engageais Ă  fond contre un tel gachis et demandant une mĂ©diation. Il y eut dialogue, mais il n’aboutit pas. La section syndicale CFDT s’engagea elle aussi. En vain. Je n’incrimine pas ici une discrimination, mais le dĂ©faut de mentalitĂ© d’un systĂšme qui regarde d’en haut.  Pour le bien, cette infirmiĂšre portera ailleurs son Ă©coute active et sa culture du care.

Ce sont lĂ  des bavures au regard de la magnifique avancĂ©e que nous venons de dĂ©crire, la promotion d’une population d’origine africaine dans la contribution au dĂ©veloppement d’une culture et d’une sociĂ©tĂ© du care.

 

Une vision relationnelle

Dans son livre sur l’éthique du care (1), Fabienne BrugĂšre met l’accent sur la dimension relationnelle de cette approche. « Chaque vie dĂ©ploie un monde qu’il s‘agit de maintenir, de dĂ©velopper et de rĂ©parer. L’individu est relationnel et non pas isolé ». « La thĂ©orie du care est d’abord Ă©laborĂ©e comme une Ă©thique relationnelle structurĂ©e par l’attention des autres ».

Or, cette dimension relationnelle est trÚs présente dans la culture africaine.

Ainsi, apparait-elle dans l’Ɠuvre de Fatou Diome, Ă©crivaine franco-sĂ©nĂ©galaise (4).

A plusieurs reprises, Fatou Diome s’est exprimĂ©e Ă  propos des personnes ĂągĂ©es en sollicitant du respect Ă  leur Ă©gard. Dans la culture africaine, il y a une continuitĂ© entre les gĂ©nĂ©rations  et les « anciens » sont respectĂ©s. Or Fatou Diome a Ă©tĂ© elle-mĂȘme Ă©levĂ©e par ses grands-parents et elle leur voue une infinie reconnaissance. Nous avons pu ainsi visionner une sĂ©quence de vidĂ©o  sur les personnes ĂągĂ©es, mise en ligne sur facebook. Il s’en dĂ©gage une grande Ă©motion . J’ai pu partager ce visionnement avec deux personnes travaillant Ă  l’ephad : RĂ©gine et Fati. Toutes deux se sont reconnues dans cette vidĂ©o et ont exprimĂ© une grande Ă©motion. Fati n’a-t-elle pas Ă©tĂ© Ă©levĂ©e par ses deux grands-mĂšres et un grand-pĂšre
. Ce fut une Ă©motion partagĂ©e

Si la culture du care met l’accent sur la dimension relationnelle, elle rencontre Ă  cet Ă©gard la culture africaine ou cette dimension est privilĂ©giĂ©e  (5). Un thĂ©ologien travaillant dans une UniversitĂ© de Zambie, Teddy Chawe Sakupapa Ă©voque « la centralitĂ© de la vie et de la relation entre les ĂȘtres dans la vision africaine du monde ». On peut rappeler ici le concept de l’ubuntu dans la galaxie bantoue. Wikipedia en donne la dĂ©finition suivante : « la qualitĂ© inhĂ©rente d’ĂȘtre une personne parmi d’autres personnes. Le terme ubuntu est souvent liĂ© Ă  un proverbe qui peut ĂȘtre traduit ainsi : « Je suis ce que je suis par ce que vous ĂȘtes ce que vous ĂȘtes » ou « Je suis ce que je suis grĂące Ă  ce que nous sommes tous » (6). Teddy Chawe Sakupapa Ă©crit : « Dans une rĂ©alitĂ© interreliĂ©e, il n’y a pas de sĂ©paration entre le sĂ©culier et le sacré ». « La relationalitĂ© est au cƓur de l’ontologie africaine »

Cette approche correspond Ă  la dĂ©finition de la spiritualitĂ© selon David Hay comme « conscience relationnelle avec soi-mĂȘme, les autres, la nature et Dieu ». Et Teddy Chawe Sakupapa peut Ă©voquer « une force vitale comme prĂ©sence de Dieu dans toute la crĂ©ation ».

A travers sa culture relationnelle , l’immigration africaine est propice Ă  la culture du care qui se fonde sur la relationalité . A partir de notre mĂ©moire, nous avons rassemblĂ© ici des rĂ©cits vĂ©cus Ă  travers lesquels on peut voir l’invention d’une culture franco-africaine en voie de promouvoir une culture du care dans les contextes oĂč celle-ci commence Ă  pĂ©nĂ©trer. Ce texte exprime, souvent avec Ă©motion, une immense gratitude pour le vĂ©cu de ces rencontres. C’est aussi une action de grĂące pour le puissant apport de la culture franco- africaine Ă  la sociĂ©tĂ© du care. Puisse la France manifester sa reconnaissance en retour.

J H

 

  1. Une voix diffĂ©rente. Pour une sociĂ©tĂ© du care : https://vivreetesperer.com/une-voix-differente/ ‘De
  2. De YaoundĂ© Ă  Paris. D’aide-soignante Ă  infirmiĂšre. Une vie au service du care et de la santé : https://vivreetesperer.com/de-yaounde-a-paris/
  3. De l’esclavage Ă  la lumiĂšre. Du BĂ©nin Ă  la rĂ©gion parisienne. Une histoire de vie : https://vivreetesperer.com/de-lesclavage-a-la-lumiere/
  4. Fatou DiomĂ©, invitĂ©e d’un monde, un regard : https://www.google.fr/search?hl=fr&as_q=Fatou+DiomĂ©&as_epq=&as_oq=&as_eq=&as_nlo=&as_nhi=&lr=&cr=&as_qdr=all&as_sitesearch=&as_occt=any&as_filetype=&tbs=#fpstate=ive&vld=cid:402c46cc,vid:5yIAErUWBo8,st:469
  5. Esprit et écologie dans le contexte de la culture africaine : https://www.temoins.com/esprit-et-ecologie-dans-le-contexte-de-la-theologie-africaine/
  6. La philosophie de l’ubuntu d’aprùs Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Ubuntu_(philosophie)

 

Comment les BĂ©atitudes viennent Ă©clairer nos parcours personnels et contribuer au dĂ©veloppement d’une contre-culture

Un livre de Frédéric de Coninck, bibliste et sociologue

Les paroles de JĂ©sus dans les BĂ©atitudes apparaissent comme majeures dans son enseignement et elles viennent donc inspirer la vie chrĂ©tienne, mais pour un grand public, il peut ĂȘtre utile d’en rapporter la prĂ©sentation dans WikipĂ©dia : « Les BĂ©atitudes (du latin beatitudo : le bonheur) sont le nom donnĂ© Ă  une partie du Sermon sur la montagne, rapportĂ© dans l’Évangile selon Matthieu (5.3-12) et Ă  une partie de Sermon dans la plaine de l’Évangile selon Luc (6.20-23) » (1).

MalgrĂ© l’importance de ces paroles dans l’enseignement de JĂ©sus, leur rĂ©ception ne va pas de soi comme en tĂ©moigne FrĂ©dĂ©ric de Coninck en racontant des Ă©tapes de son long cheminement dans son approche des BĂ©atitudes jusqu’à la rĂ©daction de son livre. Maintenant FrĂ©dĂ©ric peut nous dire ici combien ces paroles de JĂ©sus sont lĂ  pour inspirer notre vie chrĂ©tienne tant personnelle que collective. TrĂšs tĂŽt cependant, FrĂ©dĂ©ric avait Ă©tĂ© touchĂ© par la maniĂšre dont les sƓurs protestantes de Pomeyrol proclamaient l’esprit des BĂ©atitudes en termes de « joie, simplicitĂ©, misĂ©ricorde », en phase avec la galaxie spirituelle de « la FraternitĂ© spirituelle des veilleurs », des sƓurs de Grandchamp et de la communautĂ© de TaizĂ© (p 10-13).

Cependant, au terme de son long cheminement, FrĂ©dĂ©ric vient nous dire que ce message des BĂ©atitudes est accessible Ă  tous et qu’il est aussi indispensable pour tous, face aux alĂ©as de la vie. « Je voudrais montrer la pertinence de ce message pour encourager les chrĂ©tiens Ă  le prendre au sĂ©rieux et Ă  se tourner vers Dieu pour lui demander son aide. Je le fais d’abord pour eux parce que la radicalitĂ© de l’évangile est libĂ©ratrice et source de bonheur ».

« Je le fais ensuite pour le monde autour d’eux ». JĂ©sus ne s’est pas adressĂ© seulement aux disciples, mais Ă  la foule qui l’entourait. « Il m’importe que ce peuple qui vit les BĂ©atitudes ne soit pas limitĂ© Ă  des petits cercles restreints dans l’espace et faciles Ă  isoler. Il importe que « la foule » entende quelque chose de ce message. C’est cela qui donnera corps et chair Ă  notre tĂ©moignage et qui pourra montrer au monde autour de nous que Dieu ne l’a pas oubliĂ© et qu’il a aujourd’hui encore quelque chose Ă  lui dire, une bonne nouvelle Ă  lui annoncer » (p 17).

Voici pourquoi FrĂ©dĂ©ric de Coninck a intitulĂ© son livre : « Les BĂ©atitudes au quotidien. La contre-culture heureuse des Évangiles dans l’ordinaire de nos vies » (2).

 

Quelques clés pour comprendre les béatitudes. La construction de ce livre

La lecture des BĂ©atitudes n’est pas sans prĂ©senter quelques difficultĂ©s. FrĂ©dĂ©ric de Coninck nous prĂ©sente quelques approches pour en faciliter la comprĂ©hension. « Il est trĂšs Ă©clairant », nous dit-il, de rattacher les phrases des BĂ©atitudes Ă  l’ensemble de l’évangile de Matthieu ainsi qu’à d’autres livres de la Bible ». « Ce bref texte ne doit pas ĂȘtre extrait de l’évangile de Matthieu et regardĂ© pour lui-mĂȘme ». On doit le considĂ©rer en rapport avec ce qui prĂ©cĂšde (les tentations de JĂ©sus) et ce qui suit. « Ce texte est un moment dans l’ensemble du ministĂšre de JĂ©sus, auxquels de nombreux autres moments font Ă©cho » (p 20).

Et, d’autre part, une bonne part des mots ont une histoire dans l’Ancien Testament. On tiendra compte Ă©galement de la traduction dans le passage du lexique hĂ©breu au lexique grec.

FrĂ©dĂ©ric de Coninck nous invite Ă  entrer dans «la visĂ©e du texte : faire entrer dans une spiritualitĂ© plutĂŽt que d’édicter des rĂšgles de conduite ».

« Les BĂ©atitudes heurtent en effet, si on les prend comme des devoirs Ă  accomplir. Plus mĂȘme que heurter, elles Ă©crasent. Naturellement, JĂ©sus recommande certaines attitudes au travers de ce texte. Mais son propos est plutĂŽt d’ouvrir l’accĂšs Ă  une vie libre et heureuse. C’est ainsi qu’il a vĂ©cu, lorsqu’il est venu parmi nous, et c’est ainsi qu’il nous invite Ă  le rejoindre, au milieu de nos aliĂ©nations, de nos errances et de nos fausses pistes » (p 21).

L’auteur ouvre quelques orientations.

° Les BĂ©atitudes ouvrent Ă  une pratique. « Elles nous incitent Ă  mettre en Ɠuvre l’esprit de pauvretĂ©, la construction de la paix, la recherche de la justice etc. Ă  la mesure de nos forces ».

° Elles rĂ©pondent Ă  beaucoup d’énigmes et d’impasses qui taraudent le monde d’aujourd’hui.

° « Enfin, les BĂ©atitudes ne sont pas seulement des poteaux indicateurs. Elles sont aussi une voie d’entrĂ©e pour construire une relation avec le Christ. Nous comprenons mieux qui est Dieu en nous, en nous mettant Ă  l’écoute de ses paroles et cela modifie la relation que nous avons avec lui. Et qui dit relation transformĂ©e, dit vie transformĂ©e : nous nous approchons de l ’esprit des BĂ©atitudes au fil de l’évolution de notre rapport avec Dieu ».

« Porter attention Ă  la visĂ©e communautaire, voire collective, de ces aphorismes majeurs, Ă©claire leur sens et nous fournit une clĂ© d’entrĂ©e majeure pour les actualiser ».

FrĂ©dĂ©ric de Coninck nous rappelle l’enfermement de l’individualisme prĂ©gnant dans la sociĂ©tĂ© contemporaine.

Or, « les BĂ©atitudes sont Ă©crites au pluriel ». « Elles concernent le peuple tout entier ». Ainsi, selon FrĂ©dĂ©ric, « les BĂ©atitudes, Ă  la fois nous rejoignent dans notre intimitĂ©, dans nos rĂ©actions les plus personnelles et les plus secrĂštes, et elles se projettent vers des formes collectives oĂč elles peuvent se vivre ». On peut donc lire les BĂ©atitudes comme le socle d’une spiritualitĂ© intime, aussi bien que communautaire, voire sociale. Et les trois lectures s’enchaĂźnent l’une avec l’autre. Le bonheur qu’elles procurent s’approfondit si on suit le passage entre ces trois niveaux. Elles nous appellent Ă  vivre les uns avec les autres d’une maniĂšre renouvelĂ©e et joyeuse et c’est ainsi qu’elles prennent corps et sortent de l’idĂ©alisme dont on peut les soupçonner. Et c’est pour cela que je parle de contre-culture : ce ne sont pas seulement des choix ponctuels, ce ne sont pas seulement des choix individuels, c’est une autre maniĂšre de voir le monde et d’y vivre ».

C’est dans cette perspective que le livre a Ă©tĂ© conçu. Les chapitres portant successivement sur chaque BĂ©atitude, sont coupĂ©s en deux parties ; d’abord l’étude du texte, en le rattachant au reste de l’Évangile de Mathieu et aux passages de l’Ancien Testament qui l’ont prĂ©cĂ©dĂ©, ensuite une actualisation que j’ai appelĂ©e : « au quotidien ». Cette actualisation montre les dĂ©gĂąts causĂ©s par le fait de tourner le dos, individuellement et collectivement,  Ă  l’esprit des BĂ©atitudes. Elle trace ensuite la voie d’une spiritualitĂ© heureuse, Ă  la suite du Christ et dans la lumiĂšre de l’Esprit au niveau individuel et intime d’abord. Ensuite j’examine les retentissements communautaires et potentiellement sociaux de cette spiritualité » (p 26-27). Il y a lĂ  un horizon potentiellement socio-politique. « Celui qui tente de suivre (sans mĂȘme y parvenir complĂ©tement) la dĂ©marche proposĂ©e par les BĂ©atitudes se retrouve Ă  rebours des tendances dominantes, inscrit dans une contre-culture. Et il dĂ©couvre que cette contre-culture est une contre-culture heureuse, au milieu de sociĂ©tĂ©s d’abondance, inquiĂštes, dĂ©boussolĂ©es et malheureuses » (p 27).

A titre d’exemple, nous prĂ©senterons maintenant un chapitre consacrĂ© Ă  une des BĂ©atitudes.

 

Heureux les doux, car ils hériteront la terre

L’auteur consacre le chapitre 5 Ă  la bĂ©atitude : « Heureux les doux, car ils hĂ©riteront la terre », en donnant pour titre Ă  ce chapitre : De la tragĂ©die du pouvoir Ă  une politique de la douceur. Une spiritualitĂ© de la grĂące en action.

Son premier commentaire explicite ce titre. « Cette bĂ©atitude et les mentions (rares, mais dĂ©cisives) de la douceur de JĂ©sus lui-mĂȘme dans l’évangile de Matthieu nous entrainent vers un sujet crucial : le pouvoir, ses tragĂ©dies et le moyen de traverser les espaces politiques (dans tous les sens du terme) d’une maniĂšre heureuse et pertinente. Autour du thĂšme de la douceur, on peut parcourir toute la gamme qui va du choix individuel Ă  une pratique communautaire, jusqu’à un contre-modĂšle de ce qui structure un bonne partie des pratiques sociales » (p 59)

Comme Ă  l’habitude, FrĂ©dĂ©ric de Coninck Ă©claire la bĂ©atitude en rapportant l’inspiration de l’Ancien Testament, ici en se rĂ©fĂ©rant au Psaume 37. En effet, cette bĂ©atitude est une citation littĂ©rale de la version grecque du Psaume 37, qui traduit par « doux », un mot hĂ©breu qui peut aussi vouloir dire « pauvre » ou « humble ». Dans le Psaume 37, c’est la formule : « Ils hĂ©riteront de la terre » qui sert de leitmotiv. Cependant, en hĂ©breu, il n’y a qu’un mot pour dire ‘le pays’ ou ‘la terre’. Pour le Psalmiste, ce sont plutĂŽt finalement les doux, les justes, ceux qui espĂšrent le Seigneur et qui gardent ses voies, qui possĂ©deront le pays
 Sur un mode apaisĂ© et distanciĂ©, ce texte fait bien Ă©cho Ă  la tragĂ©die du pouvoir
 Celui qui est en position de pouvoir a tendance Ă  en abuser
 A l’inverse, les prophĂštes et les psaumes ne cessent de souligner que l’on n’accĂšde pas au pouvoir par le pouvoir » (p. 61)

L’auteur voit dans l’opposition entre Saul et David, « une illustration majuscule de la tragĂ©die du pouvoir ». David n’est pas un doux au sens oĂč nous l’entendons, mais il manifeste un respect du pouvoir royal (en tant qu’institution), une sensibilitĂ© aux autres, une Ă©coute de la critique qui en fait un antitype de Saul. Il possĂšde une forme d’humilitĂ© et d’ouverture aux autres qui tranche avec l’orgueil et l’enfermement de Saul ». FrĂ©dĂ©ric de Coninck commente cette histoire (p 62-66).

« Dans le psaume 37, JĂ©sus sĂ©lectionne le verset le plus Ă©loignĂ© de la vengeance Ă  savoir celui qui parle de la douceur. Le mot hĂ©breu signifie plutĂŽt ce qui est humble et respectueux. JĂ©sus lui-mĂȘme se dira : « doux et humble » (Mt 11-29). C’est le sens le plus proche. On est Ă  l’opposĂ© de la tragĂ©die du pouvoir  ». D’autre part, JĂ©sus n’envisage pas le succĂšs d’une nation ou d’un parti. « La version grecque qui avait dĂ©jĂ  Ă©largi du « pays » Ă  la « terre » est, dans le cas prĂ©sent, pertinente » (p 67). Du cĂŽtĂ© de la tragĂ©die du pouvoir, JĂ©sus a refusĂ© « tous les royaumes du monde et leur gloire » (Mat 4.8) que le diable lui proposait. « La douceur et l’humilitĂ© s’opposent trait pour trait Ă  la violence ». Qu’entend donc JĂ©sus par « hĂ©riter la terre » ? « En fait, la douceur (de mĂȘme que la misĂ©ricorde et la fabrique de la paix) correspond Ă  la grĂące en action. C’est pour cela que cette bĂ©atitude dĂ©crit plus encore que les autres, JĂ©sus lui-mĂȘme. Et c’est pourquoi il dira explicitement : « Je suis doux et humble de cƓur » (Mat 11.29)
 La grĂące et le mode d’ĂȘtre et d’agir de JĂ©sus dans ce monde brutal et dĂ©chirĂ© par la tragĂ©die du pouvoir. JĂ©sus fait grĂące et cela se traduit par son accueil et sa douceur
 Au-delĂ  de la dĂ©nonciation du pouvoir, cela construit des espaces de vie plus vastes qu’on ne l’imagine souvent : des espaces de vie sociale heureuse qui vont jusqu’aux limites de la terre. C’est lĂ  l’hĂ©ritage que JĂ©sus nous promet. La « terre » est, si l’on veut, l’ici-bas, traversĂ© par une logique contre-culturelle » (p 68-69).

FrĂ©dĂ©ric de Coninck cite la parole de JĂ©sus : « Venez Ă  moi, vous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous donnerai le repos. Prenez sur vous mon joug et mettez-vous Ă  mon Ă©cole, car je suis doux et humble de cƓur » (Mat 11.28-30). « Les mots de « joug » et de « fardeau », ne sont pas employĂ©s au hasard, nous dit l’auteur. « Il s’agissait, quasiment, pour les juifs qui Ă©coutaient JĂ©sus, de termes techniques qui dĂ©signaient les devoirs de la loi ». « JĂ©sus appelle donc ceux qui souffrent une dure domination Ă  venir vers lui pour desserrer l’étreinte. Et, il pense, en premier lieu, Ă  la torture morale que les personnes subissent en s’efforçant d’observer la loi. C’est de ce fardeau qu’il entend en premier lieu les dĂ©livrer ». « Pour la plupart des habitants d’IsraĂ«l, la religion Ă©tait devenue un carcan difficile Ă  porter. JĂ©sus se pose en rupture. Il est celui qui vient allĂ©ger le poids du fardeau » (p 69-72).

En JĂ©sus, la douceur s’est Ă©galement manifestĂ©e dans sa recherche de proximitĂ© en contraste avec l’isolement du pouvoir. JĂ©sus « cherche Ă  rejoindre l’autre dans les difficultĂ©s et les pĂ©nibilitĂ©s de la vie, Ă  marcher avec lui. C’est ce que Kierkegaard a appelĂ© « l’école du christianisme ». L’attitude de la grĂące que JĂ©sus enseigne Ă  adopter dans cette Ă©cole rejoint celui qui est prĂȘt Ă  rĂ©pondre Ă  un appel et non pas celui qui est contraint d’obĂ©ir Ă  un ordre
 La stratĂ©gie Ă©ducative de JĂ©sus est en ligne avec sa stratĂ©gie politique. Il renonce lĂ  aussi Ă  cadrer de trop prĂšs par la loi  » (p 72). « Quel est donc le territoire Ă©trange que JĂ©sus entend construire Ă  travers cette Ă©cole particuliĂšre ? Il ressemble sans doute plus Ă  un rĂ©seau oĂč les personnes se reconnaissent mutuellement proches les unes des autres, qu’à un espace dĂ©limitĂ© rĂ©gi par un souverain » (p 72-73).

On retrouve mention de cette douceur dans le rĂ©cit de la passion. Matthieu s’inspire du prophĂšte Zacharie Ă  propos de l’épisode du jour des Rameaux. « Voici que ton roi vient Ă  toi, doux et montĂ© sur une Ăąnesse et sur un Ăąnon (Mat 21.4-30). L’auteur constate que Matthieu s’inspire beaucoup du prophĂšte Zacharie, mais « il y pioche dans les Ă©pisodes les plus opposĂ©s au triomphe militaire
 On comprend indirectement que pour Matthieu, JĂ©sus a pleinement accompli la prophĂ©tie de Zacharie en restant le roi doux montĂ© sur un Ăąne et sans avoir besoin de faire appel au versant sombre et violent des autres passages » (p 75).

FrĂ©dĂ©ric de Coninck s’interroge ensuite sur les effets de cette attitude « au quotidien ». Comment cet esprit s’est-il manifestĂ© dans l’histoire ? Il nous entretient d’une longue « éclipse de la politique de la douceur », de la violence dominatrice qui s’est imposĂ©e lorsque la christianisme a pactisĂ© avec l’empire, « jusqu’à la rĂ©surgence franciscaine, puis la RĂ©forme radicale au XVIe siĂšcle » (p 78).

Citant une personnalitĂ© de cette RĂ©forme radicale, Pilgram Marpeck, FrĂ©dĂ©ric de Coninck distingue deux logiques d’action : Ou on parle beaucoup d’attention « à l’ordre social que produisent le droit et l’usage lĂ©gitime de la force », ou on recherche un mode de vie inspirĂ© par « la grĂące, la pitiĂ©, l’amour de l’ennemi, la patience et la foi au Christ sans coercition ». Cette seconde approche engendre quelque chose plutĂŽt de l’ordre de la thĂ©rapeutique. D’ailleurs, « la figure de JĂ©sus thĂ©rapeute est frĂ©quente chez Marpeck ». « Est-ce que cela a du sens de vivre l’amour dans un mode brutal ? C’est ce qu’annonce cette bĂ©atitude. Cela a du sens mĂȘme individuellement. Et collectivement, cela produit un espace social particulier. Quand les chrĂ©tiens s’interrogent sur le rĂŽle social qu’ils peuvent tenir dans la sociĂ©tĂ©, ils sous-estiment souvent la portĂ©e d’une attitude de douceur, d’accueil de l’autre, de compassion. Ils sous-estiment Ă©galement la consistance du territoire qui se construit de cette maniĂšre » (p 78).

Qu’en est-il aujourd’hui ? « Quels territoires Ă©mergent, mettant en Ɠuvre la grĂące et la douceur ? On en a plusieurs exemples dans l’Église comme hors de l’Église. Les dĂ©marches coopĂ©ratives ou associatives, par exemple, construisent des entitĂ©s fragiles, bien plus fragiles que les Ă©tats… Mais l’élan, la capacitĂ© Ă  faire face Ă  des situations critiques, l’invention de nouvelles maniĂšres de vivre ensemble, sont clairement du cĂŽtĂ© des espaces de vie oĂč l’on s’accueille les uns les autres avec douceur et bienveillance » (p 79). Significativement, un des premiers sociologues des religions, Henri Desroche, s’est intĂ©ressĂ© d’un cotĂ© Ă  ce qu’on appelle ‘Les religions de contrebande’, et de l’autre aux mouvements coopĂ©ratifs contemporains. Entre La sociĂ©tĂ© vue d’en bas par les contrebandiers de la religion et les coopĂ©ratives, il y a des analogies et des familiaritĂ©s » (p 79).

Il y a grand besoin de douceur « dans nos sociĂ©tĂ©s contemporaines qui sont malades de la faiblesse des relations de proximitĂ© et de la force des relations sociales formelles qui poussent Ă  l’individualisme ». (p 80).

Le chapitre se conclut ainsi : « La douceur est un portail d’entrĂ©e dans la contre-culture heureuse Ă  laquelle nous invite le Christ. Elle est mĂȘme, peut-ĂȘtre, le trait qui se rapproche le plus de sa personne. C’est en tout cas le trait que souligne l’Évangile de Matthieu.

« Heureux les doux, car ils hériteront la terre » (p 80).

 

Une ouverture évangélique

Dans son livre, FrĂ©dĂ©ric nous aide Ă  lire les BĂ©atitudes dans leur contexte biblique. Comme dans ses nombreux livres parus depuis les annĂ©es 1990 et souvent prĂ©sentĂ©s sur le site de TĂ©moins (3), FrĂ©dĂ©ric allie la compĂ©tence et une intelligence informĂ©e par une culture originale tant Ă  travers son mĂ©tier de sociologue qu’à travers les questions qu’il pose et auxquelles il cherche Ă  rĂ©pondre. C’est une recherche en Ă©volution, car FrĂ©dĂ©ric est lui-mĂȘme constamment en quĂȘte, comme il nous en dĂ©crit ici le cheminement.

En Ă©voquant une contre-culture nourrie par les BĂ©atitudes, FrĂ©dĂ©ric de Coninck nous parait bien inspirĂ©. Car, on prend partout conscience que notre sociĂ©tĂ© fait fausse route. La prise de conscience Ă©cologique contribue Ă  la mise en Ă©vidence de l’inadĂ©quation d’une culture instrumentale et individualiste. Avec Corinne Pelluchon, comment entrer dans l’ñge du vivant ? (4) Une aspiration spirituelle se dĂ©veloppe.

Si le mal est, hĂ©las trĂšs actif aujourd’hui, Il y a donc bien Ă©galement un nouvel Ă©tat d’esprit Ă  mĂȘme d’entendre le message des bĂ©atitudes. Ainsi avons-nous prĂ©sentĂ© le livre de Michel Serres : « Une philosophie de l’histoire » (5) : « Au sortir de massacres sĂ©culaires, vers un Ăąge doux portant la vie contre la mort ». Des courants alternatifs apparaissent et se dĂ©veloppent. Parmi ces mouvements, on peut noter la promotion de la sollicitude et du soin dans un culture et une sociĂ©tĂ© du « care ». (6). A la mĂȘme Ă©poque, apparait Ă©galement la promotion de la non-violence Ă  travers le mouvement de la « communication non-violente ». (7) On peut voir ici une Ɠuvre de l’Esprit de Dieu qui agit bien au-delĂ  des Églises. L’inspiration des BĂ©atitudes vient nous Ă©noncer le dessein de Dieu Ă  travers les paroles de JĂ©sus. Si ce texte est rĂ©pĂ©tĂ© Ă  maintes reprises dans l’enseignement chrĂ©tien, le livre de FrĂ©dĂ©ric de Coninck vient renouveler et actualiser notre comprĂ©hension.

J H

 

  1. Les Béatitudes , dans Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Béatitudes
  2. FrĂ©dĂ©ric de Coninck. Les BĂ©atitudes au quotidien. La contre-culture heureuse des Évangiles dans l’ordinaire de nos vies. Exelcis, 2023
  3. Frédéric de Coninck sur le site de Témoins : https://www.temoins.com/?s=Fr%C3%A9d%C3%A9ric+de+Coninck&et_pb_searchform_submit=et_search_proccess&et_pb_include_posts=yes&et_pb_include_pages=yes
  4. Des Lumiùres à l’ñge du vivant. Selon Corinne Pelluchon : https://vivreetesperer.com/des-lumieres-a-lage-du-vivant/
  5. Une philosophie de l’histoire, par Michel Serres : https://vivreetesperer.com/une-philosophie-de-lhistoire-par-michel-serres/
  6. Une voix différente. Pour une société du care : https://vivreetesperer.com/une-voix-differente/
  7. Marshall Rosenberg et la communication non violente : https://vivreetesperer.com/vois-la-beaute-en-moi-un-appel-a-entendre/

Empathie et bienveillance. RĂ©volution ou effet de mode ?

 La montĂ©e de l’empathie. 

14937267872_SHUM293_258Empathie est un terme de plus en plus frĂ©quemment employĂ©. Sciences Humaines, dans son numĂ©ro de juin 2017, nous offre un dossier sur l’empathie (1).

« L’empathie est une notion dĂ©signant la comprĂ©hension des sentiments et des Ă©motions d’un autre individu, voire, dans un sens plus gĂ©nĂ©ral de ses Ă©tats non Ă©motionnels, de ses croyances. En langage courant, ce phĂ©nomĂšne est souvent rendu par l’expression : « se mettre Ă  la place de l’autre ». Cette comprĂ©hension se traduit par un dĂ©centrement, et peut mener Ă  des actions liĂ©es Ă  la survie du sujet visĂ© par l’empathie. Dans l’étude des relations interindividuelles, l’empathie est donc diffĂ©rente des notions de sympathie, de compassion, d’altruisme qui peuvent en rĂ©sulter ». Cette dĂ©finition de Wikipedia (2) converge avec les significations dĂ©gagĂ©es par Sciences Humaines : « L’empathie cognitives consiste Ă  comprendre les pensĂ©es et intentions d’autrui
 L’empathie affective est la capacitĂ© de comprendre, non pas les pensĂ©es, mais les Ă©motions d’autrui
L’empathie compassionnelle est l’autre nom de la sollicitude. Elle ne consiste pas simplement Ă  constater la souffrance ou la joie d’autrui, mais suppose une attitude bienveillante Ă  son Ă©gard ». Ainsi, en regard d’un individualisme Ă©gocentrĂ©, l’empathie fonde une relation attentionnĂ©e Ă  autrui : « Se mettre Ă  la place des autres ». Elle dĂ©bouche sur la sollicitude, sur la bienveillance, sur la sympathie. C’est une capacitĂ© qui nourrit les relations humaines.

 

La montĂ©e de l’empathie

Pour qui perçoit les expressions de ceux qui s’intĂ©ressent Ă  la vie humaine et Ă  sa signification, Ă  la fois sur le Web et dans la littĂ©rature courante, il apparaĂźt que le terme : empathie est de plus en plus employĂ©. Et on observe la mĂȘme Ă©volution positive pour un terme comme : bienveillance. On ressent lĂ  un changement d’attitude, une Ă©volution dans les reprĂ©sentations comme si un nouveau paradigme Ă©mergeait peu Ă  peu dans la vie sociale. A une Ă©poque troublĂ©e comme la notre, oĂč les menaces abondent, oĂč la violence s’exprime de diverses maniĂšres, notamment sur le Web, n’y aurait-il pas lĂ  une tendance Ă  long terme qui soit pour nous une source d’encouragement et d’espoir. Dans ce dossier de Sciences Humaines, un article introductif de Jean-François Dortier : « Empathie et bienveillance, rĂ©volution ou effet de mode ? », nous aide Ă  y voir plus clair (3).

« Comment un mot quasi inconnu, il y a un demi-siĂšcle, a pris autant d’importance en si peu de temps ? Ce succĂšs du mot en dit long tant sur la façon de penser les rapports humains que sur nos attentes dans ce domaine ». Jean-François Dortier nous prĂ©sente ainsi un graphique trĂšs Ă©vocateur sur l’usage du mot « empathie » dans les livres de langue française de 1950 Ă  aujourd’hui. En lente progression durant les dĂ©cennies 1960, 1970 et 1980, l’usage grimpe en flĂšche dans les dĂ©cennies 1990 et 2000.

De fait, cette progression est d’autant plus puissante  que la recherche sur ce thĂšme et l’intĂ©rĂȘt qu’il Ă©veille, s’exerce dans une grande variĂ©tĂ© de champs. «  Dans le monde animal, l’éthologue Franz de Waal se taille de beaux succĂšs avec ses ouvrages sur l’empathie chez les primates
 Dans le rĂšgne animal, la solidaritĂ© est omniprĂ©sente
 Chez le petit humain, l’empathie joue un rĂŽle fondamental dĂšs la naissance  ». Et cette disposition est nĂ©cessaire dans tout le processus d’éducation. Mais, plus gĂ©nĂ©ralement, « l’empathie est devenue un enjeu humain majeur pour comprendre les humains et construire le « vivre ensemble ». Au travail, Ă  l’école, Ă  l’hĂŽpital, et mĂȘme en politique (4), l’empathie et son corollaire la bienveillance sont sollicitĂ©es pour rendre les collectifs humains plus viables ». Il peut y avoir des difficultĂ©s et des oppositions, mais progressivement secteur aprĂšs secteur, la bienveillance gagne du terrain. Ainsi, Ă  la fin du XXĂš siĂšcle, elle s’impose dans la thĂ©orie et la pratique du « care ». Elle va de pair avec l’apparition de la « communication non violente » et l’essor de la psychologie positive au dĂ©but du XXIĂš siĂšcle. Et comme en traite deux articles dans ce dossier, elle inspire de plus en plus l’éducation et pĂ©nĂštre dans la gestion des entreprises. A cet Ă©gard, nous avons rendu compte sur ce blog du livre phare de Jacques Lecomte : « Les entreprises humanistes. Comment elles vont changer le monde » (5). Par ailleurs, la progression de l’empathie dans les mentalitĂ©s se rĂ©alise Ă  l’échelle internationale comme le montre l’économiste et philosophe amĂ©ricain, JĂ©rĂ©mie Rifkin, dans un livre de synthĂšse : « The empathic civilization. The rise to global consciousness in a world in crisis » (2009) traduit en français sous le titre : Une nouvelle conscience pour un monde en crise. Vers une civilisation de l’empathie » (6).

 

Un changement de regard

Face Ă  une vision pessimiste de l’homme qui enferme celui-ci dans le mal et la violence, une vision qui remonte loin dans le temps et s’est appuyĂ©e sur des conceptions religieuses et philosophiques (7),

Ă  l’encontre, un puissant mouvement est apparu et met l’accent sur la positivitĂ©. Il se manifeste Ă  la fois dans les idĂ©es et dans les pratiques. En fĂ©vrier 2011, dĂ©jĂ , Sciences Humaines avait publiĂ© un dossier : « Retour de la solidarité : empathie, altruisme, entraide » (8). Et Martine Fournier, coordinatrice de ce dossier, pouvait Ă©crire : « L’empathie et la solidaritĂ© seraient-elles devenues un paradigme dominant qui traverse les reprĂ©sentations collectives ? De l’individualisme et du libĂ©ralisme triomphant passerait-on Ă  une vision portant sur l’attention aux autres ? Le basculement s’observe aussi bien dans le domaine des sciences humaines et sociales qu’à celles de la nature. Ainsi, alors que la thĂ©orie de l’évolution Ă©tait massivement ancrĂ©e dans un paradigme darwinien « individualiste » centrĂ© sur la notion de compĂ©tition et de gĂȘne Ă©goĂŻste, depuis quelques annĂ©es un nouvel usage de la nature s’impose. La prise en compte des phĂ©nomĂšnes de mutualisme, symbiose et coĂ©volution entre organismes tend Ă  montrer que l’entraide et la coopĂ©ration seraient des conditions favorables de survie et d’évolution des espĂšces vivantes Ă  toutes les Ă©tapes de la vie ».

Il y a lĂ  un changement de regard. Les dĂ©couvertes elles-mĂȘmes dĂ©pendent pour une part des questions posĂ©es, c’est Ă  dire d’une nouvelle orientation d’esprit. Une transformation profonde de la maniĂšre de penser et de sentir est en cours. Cette transformation porte une signification spirituelle. Elle rompt avec des reprĂ©sentations anciennes. Elle s’inscrit dans un contexte d’universalisation oĂč diffĂ©rentes traditions viennent apporter leur contribution. Pour notre part, nous nous rĂ©fĂ©rons Ă  la « parabole du bon samaritain » rapportĂ©e dans l’Evangile de Luc (10.29-37). L’empathie compassionnelle s’y manifeste puissamment. « Un homme descendait de JĂ©rusalem Ă  JĂ©richo. Il tomba au milieu des brigands qui le dĂ©pouillĂšrent, le chargĂšrent de coups et s’en allĂšrent, le laissant Ă  demi mort  » Passent deux religieux sans lui prĂȘter attention. « Mais un samaritain qui voyageait, Ă©tant venu lĂ , fut Ă©mu de compassion lorsqu’il le vit
 Il prit soin de lui ». Dans un livre sur la philosophie de l’histoire : « Darwin, Bonaparte et le Samaritain », Michel Serres voit notre humanitĂ© en train de sortir d’un Ă©tat de violence et de guerre dans lequel elle a Ă©tĂ© enfermĂ©e pendant des millĂ©naires. Et si la paix commence Ă  apparaĂźtre, Michel Serres voit dans la figure du Samaritain l’emblĂšme de l’entraide et de la  bienveillance. Cette parole de JĂ©sus a grandi et portĂ© des fruits.

 

Empathie, bienveillance : l’audience de ces notions est-elle un effet de mode ou une rĂ©volution ? S’interroge Jean-François Dortier dans le titre de son article en introduction du rĂ©cent dossier de Sciences Humaines. Dans les tempĂȘtes de l’actualitĂ©, on perçoit et on dĂ©plore des pulsions de violence et d’agressivitĂ©. Mais, par delĂ , Ă  une autre Ă©chelle de temps, on peut apercevoir un autre mouvement. Le montĂ©e de l’empathie et de la bienveillance nous parait plus qu’un effet de mode.  Lorsqu’on mesure l’ampleur et la pĂ©nĂ©tration de ce mouvement, on peut y voir une Ă©volution en cours des mentalitĂ©s.

 

J H

 

(1)            Dossier : Les pouvoirs de l’empathie, p 24-45. Sciences Humaines, juin 2017

(2)            Empathie : Wikipedia https://fr.wikipedia.org/wiki/Empathie

(3)            Jean-François Dortier. Empathie et bienveillance. Révolution ou effet de mode ? Sciences Humaines, juin 2017, p 26-31

(4)            Pour la premiĂšre fois Ă  notre connaissance, la bienveillance est apparue en politique. Ce fut dans la campagne prĂ©sidentielle en marche d’Emmanuel Macron. Edouard TĂ©treau nous fait part de cette rĂ©alitĂ© dans un article des Echos : « Les leçons de la start Up Macron » (15 mai 2017) : « Leçon numĂ©ro 3 : cette rĂ©ussite tient aussi – surtout ? – Ă  un mot et une rĂ©alitĂ© bien rarement vue et entendue dans ma gĂ©nĂ©ration et les prĂ©cĂ©dentes, dans le monde du travail en France. Ce mot et cette rĂ©alitĂ© s’appellent la bienveillance. En jetant les bases de son mouvement et de son pari, Emmanuel Macron a exigĂ©, et obtenu, de ses plus proches collaborateurs, cette qualitĂ©-lĂ . La bienveillance entre eux, et vers l’extĂ©rieur. Les cyniques du XXĂšme siĂšcle, ceux qui n’ont rien compris au film de ces derniĂšres semaines, doivent s’esclaffer Ă  l’Ă©vocation de ce mot, signifiant le « sentiment par lequel on veut du bien Ă  quelqu’un ». La bienveillance n’est pas la faiblesse, ou la gentillesse façon Bisounours. Elle est l’apanage des forts, qui choisissent de mettre de cĂŽtĂ© leurs petits intĂ©rĂȘts privĂ©s pour se mettre au service de l’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral. Les mĂ©diocres ne pouvant s’occuper que d’eux-mĂȘmes ».

(5)            Jacques Lecomte. Les entreprises humanistes. Les ArÚnes, 2016. Mise en perspective sur ce blog : « Vers un nouveau climat de travail dans une entreprise humaniste et conviviale » : https://vivreetesperer.com/?p=2318

(6)            JĂ©rĂ©mie Rifkin. Une nouvelle conscience pour un monde en crise. Vers une civilisation de l’empathie. Les Liens qui LibĂšrent, 2011. Mise en perspective sur le site de TĂ©moins : « A propos du livre de JĂ©rĂ©mie Rifkin » : http://www.temoins.com/vers-une-civilisation-de-lempathie-a-propos-du-livre-de-jeremie-rifkinapports-questionnements-et-enjeux/

(7)            Ce regard nĂ©gatif sur l’homme a Ă©tĂ© liĂ© Ă  une conception Ă©crasante du pĂ©chĂ© originel. Voir Ă  ce sujet : Lytta Basset. Oser la bienveillance. Albin Michel, 2014  Voir sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=1842 Un autre facteur a Ă©tĂ© le Darwinisme social associĂ© Ă  une conception matĂ©rialiste. Voir le chapitre : « The theory of evolution and christian theology : from « the war of nature » to natural cooperation and from « the struggle for existence » to mutual recognition » p 209-223, dans : JĂŒrgen Moltmann. Sun of righteousness, arise ! God’s future for humanity and the Earth. Fortress Press, 2010

(8)            Le retour de la solidarité. Dossier animé par Martine Fournier. Sciences humaines, février 2011. Mise en perspective sur ce blog : « Quel regard sur la société et sur le monde ? » : https://vivreetesperer.com/?p=191

(9)            Michel Serres. Darwin, Bonaparte et le samaritain. Une philosophie de l’histoire. Le pommier, 2016. Sur ce blog, mise en perspective : « Au sortir de massacres sĂ©culaires, vers un Ăąge doux portant la vie contre la mort » : https://vivreetesperer.com/?p=2479

 

Voir aussi :

« Pour un processus de dialogue en collectivité » : https://vivreetesperer.com/?p=2631

« Branché sur le beau, le bien, le bon » :

https://vivreetesperer.com/?p=2617

« Comment la bienveillance peut transformer nos relations :

https://vivreetesperer.com/?p=2400

Quand un jeune africain construit, Ă  quatorze ans, une Ă©olienne pour apporter l’électricitĂ© dans son village

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« The boy who harnessed the wind ».

 

         Dans notre monde oĂč violences, dĂ©chirements et souffrances ne sont que trop visibles, il y a aussi un mouvement vers la paix, la libertĂ©, la solidaritĂ© qui conforte notre espĂ©rance. Et, en regard de tout ce qui porte atteinte Ă  la vie, il y a une multitude de gestes et de comportements qui nous parlent de bontĂ©, de gĂ©nĂ©rositĂ©, de crĂ©ativitĂ©.

Les Ă©chos qui nous en parviennent touchent notre cƓur et suscitent en nous enthousiasme et Ă©merveillement.

         Aujourd’hui, l’information circule Ă  travers le monde et nous dĂ©couvrons des merveilles sur le web. Et, ainsi, nous pouvons partager aujourd’hui l’histoire de William Kamkwanba, un jeune africain du Malawi, qui, Ă  quatorze ans, dans un environnement particuliĂšrement dĂ©muni, a construit par lui-mĂȘme, une Ă©olienne dans un petit village Ă©loignĂ©.

          Il Ă©tait une fois
  un jeune garçon qui avait commencĂ© Ă  aller Ă  l’école et qui, Ă  la suite d’une grande sĂ©cheresse et famine, qui, en 2002, avait ravagĂ© son village et ruinĂ© sa famille, n’a pu poursuivre des Ă©tudes faute de pouvoir payer les droits de scolaritĂ© correspondant. A l’école, William avait commencĂ© Ă  aimer les sciences. Alors, dĂ©sormais en dehors de toute scolaritĂ©, il s’est rendu Ă  la bibliothĂšque publique d’une ville voisine pour y emprunter des livres de physique, et, tout particuliĂšrement un livre qui va l’accompagner dans sa dĂ©marche : « Using energy ».

         A partir de cet ouvrage, mais en devant supplĂ©er aux lacunes de celui-ci quant au comment faire, William va s’engager Ă  14 ans dans la construction d’une Ă©olienne. Car, nous dit-il, dans la vidĂ©o (1) qui raconte son histoire,  « il y assez de vent au Malawi ».  Tout seul, malgrĂ© les incomprĂ©hensions et les moqueries, Ă  partir de matĂ©riaux issus de rebuts, il parvient Ă  construire une Ă©olienne rudimentaire, mais efficace. Dans ce village dĂ©muni, quelque part l’électricitĂ© apparaĂźt. Et nous participons Ă  la joie de William lorsqu’il parvient grĂące Ă  cette Ă©lectricitĂ© Ă  Ă©couter de la musique reggae en provenance d’une radio du Malawi. Et, pour la ferme, il rĂ©alise une seconde Ă©olienne permettant de pomper l’eau.

         DĂ©sormais, William n’est plus confrontĂ© aux moqueries. Et lorsqu’il va rapporter les livres empruntĂ©s Ă  la bibliothĂšque, il peut rĂ©pondre Ă  la question du bibliothĂ©caire : « Vous avez construit une Ă©olienne en utilisant le savoir qui est dans ce livre ? Et je rĂ©pondis : « oui ». L’histoire se rĂ©pand dans le pays. A la fin de l’annĂ©e 2006, la presse en parle. En dĂ©cembre 2007,  ce jeune garçon crĂ©atif est invitĂ© pendant trois semaines aux Etats-Unis, un pays qui sait encourager les talents dans le monde. En 2009, il est invitĂ© au forum Ted. Ce tĂ©moignage est prĂ©sentĂ© sur une autre vidĂ©o (2) et se termine par une expression de confiance : « Dieu bĂ©nit.  N’abandonnez pas ! ». William Kamkwanba va pouvoir poursuivre des Ă©tudes. Et grĂące Ă  lui, son village aujourd’hui dispose de l’électricitĂ©. VoilĂ  qui change la vie de sa famille et de toutes les familles de ce village
 En 2013, un livre racontant cette histoire vient d’ĂȘtre publié : « The boy who harnessed the wind » (Le garçon qui a domptĂ© le vent » (3). William se consacre aujourd’hui Ă  la construction d’éoliennes pour mettre l’électricitĂ© Ă  la disposition de ses concitoyens, et, par lĂ  mĂȘme aussi l’accĂšs Ă  internet.

         L’exemple de William n’est pas isolĂ©.  On trouve sur le web des vidĂ©os qui tĂ©moignent de la crĂ©ativitĂ© d’autres jeunes africains (4). Il y a dans les pays du sud, en phase avec une capacitĂ© de communion spirituelle, un Ă©lan de vie qui se traduit de multiples façons : dans la maniĂšre dont les enfants surmontent les obstacles pour se rendre Ă  l’école (5), dans la lecture partagĂ©e des albums et des livres (6), dans un engagement musical (7). Et, aux cotĂ©s de ces enfants, de ces jeunes, il y a des adultes qui les accompagnent, car il n’y a pas plus belle tĂąche.  Bien sĂ»r, nous entendons lĂ  un appel universel et lĂ  oĂč cela est nĂ©cessaire, dĂ©passons les encombrements, les rigiditĂ©s, les surditĂ©s. Aujourd’hui comme hier, il y a une ouverture vers l’avenir. Il Ă©tait une fois


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J H

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(1)            La vidéo sur You Tube : African genius : 14 years old self-taught engineer makes electricity for village : http://www.youtube.com/watch?v=rruNxURlWCY

(2)            William Kamkwamba. « How I harnessed the wind » (Ted talks, 2009) : http://www.youtube.com/watch?v=6QkNxt7MpWM

(3)            William Kamkwamba  prĂ©sente son Ɠuvre sur un site personnel : http://www.williamkamkwamba.com/ On trouvera sur ce site les coordonnĂ©es de son livre : The boy who harnessed the wind by William Kamkwamba and Bryan Mealer (2013).

(4)            AgĂ© de 15 ans, un jeune de Sierra Leone, Kelvin Doe, s’est formĂ© par lui mĂȘme et est devenu un brillant inventeur, fabriquant des batteries, des gĂ©nĂ©rateurs et des transmetteurs Ă  partir de rebuts et crĂ©ant sa propre station de radio. Il a Ă©tĂ© invitĂ© au MIT aux Etats-Unis.. Voir la vidĂ©o : http://www.youtube.com/watch?v=XOLOLrUBRBY

(5)            Sur ce blog : prĂ©sentation du film : « Sur le chemin de l’école » : https://vivreetesperer.com/?p=1556

(6)            Sur ce blog,  prĂ©sentation du livre « Laissez les lire » dans lequel GeneviĂšve Patte prĂ©sente son itinĂ©raire de bibliothĂ©caire pour enfants, trĂšs en phase avec les expĂ©riences de lecture dans les pays d’AmĂ©rique Latine : https://vivreetesperer.com/?p=1556

(7)             Sur ce blog : « De la décharge publique à la musique » https://vivreetesperer.com/?p=1603

Sur le dĂ©veloppement en Afrique, sur le site de TĂ©moins, on pourra lire : Promesses d’avenir pour l’Afrique : un nouveau regard : http://www.temoins.com/societe/promesse-d-avenir-pour-l-afrique.-un-nouveau-regard.html