Une bonne nouvelle : la paix, ça s’apprend

 9782330063276FS         Nos sociétés sont traversées par des poussées de violence. Il y a là des phénomènes complexes qui peuvent être analysés en termes sociaux, économiques, culturels, politiques, mais également dans une dimension psychosociale, un regard sur les comportements. En dehors même de ces épisodes, dans la vie ordinaire, nous pouvons percevoir et éprouver des manifestations d’agressivité. A une autre échelle, au cours de l’histoire, nous savons combien la guerre a été un fléau dévastateur (1). Ainsi, affirmer la paix aujourd’hui, c’est garder la mémoire du malheur passé pour empêcher son retour, mais c’est aussi effectuer un pas de plus : réduire les sources de violence, pacifier les comportements.

Psychothérapeute, engagé depuis des années dans une campagne pour le développement de la personne, auteur de plusieurs livres, animateur d’un site (2), Thomas d’Ansembourg milite pour répandre des pratiques de paix. Dans cette interview en vidéo à la Radio Télévision Belge Francophone (3), il explique pourquoi il vient d’écrire un nouveau livre en ce sens : « La paix, ça s’apprend. Guérir de la violence et du terrorisme » (4). « Nous avons réagi, David (le co-auteur) et moi à l’attentat du Bataclan, vite relayé par l’attentat de Bruxelles. Nous avons réalisé qu’on ne peut se contenter de mesures de sécurité (renforcement de frontières et traitement de symptômes). Il nous est apparu que le terrorisme est un épiphénomène d’un malaise extrêmement profond de la société et qu’il était intéressant de voir ce qui génère un tel malaise. Dans nos pratiques, lui comme historien et moi comme accompagnant de personnes, nous avons réalisé que la paix, c’est une discipline. Cela ne tombe pas du ciel. C’est une rigueur, c’est un exercice. Cela demande un engagement, de la détermination et du temps, et, petit à petit, on atteint des états de paix qui deviennent de plus en plus contagieux. Et cela devrait s’apprendre, depuis la maternelle, dans toutes les écoles. Tel est le propos de ce livre. C’est de faire savoir. Mettons en place des processus pour pouvoir éduquer des populations à se pacifier ».

 

 

Pour une pacification intérieure 

« Depuis près de vingt-cinq ans que j’accompagne des personnes dans la quête de sens et la pacification intérieure, j’ai acquis cette confiance que la violence n’est pas l’expression de notre nature. C’est parce que notre nature est violentée que nous pouvons être violents. Quand mon espace n’est pas respecté, je puis être agressif. Quand mon besoin d’être compris et écouté, n’est pas nourri et respecté, je puis être agressif. Et il en va de même lorsque des besoins importants ne sont pas respectés. D’où l’importance d’apprendre à respecter notre nature et donc de la connaître ». Ainsi « apprendre la connaissance de soi dès l’école maternelle nous paraît absolument essentiel aujourd’hui. Jusqu’ici, cela me semblait un enjeu de santé publique, mais aujourd’hui cela me paraît aussi un enjeu de sécurité publique. Tout citoyen qui va à l’école a besoin d’apprendre qui il est, qu’est-ce qui le met en joie… mais aussi qu’est-ce qui le chagrine, qu’est-ce qui le met en colère. Il est bon de comprendre ce qui vous met en rage avant de faire exploser sa rage à la tête des autres. On a largement dépassé la notion de développement personnel. Il y a là un enjeu de santé publique. La plupart de nos gouvernants ne savent pas tout cela, ne connaissent même pas les outils correspondants et la plupart des médias dédaignent cette approche en la considérant comme du « bisounours » alors que ces outils sont des clés pour le vivre ensemble ».

 

Des outils pour le vivre ensemble

La paix peut s’apprendre à travers des outils. Thomas d’Ansembourg n’a pas souhaité réaliser un inventaire de tous les outils. Dans ce livre, il nous en présente trois qui sont particulièrement efficaces.

« La Pleine conscience » est une approche de méditation qui se dégage des rituels religieux traditionnels et qui peut être vécue d’une façon laïque et d’une manière spirituelle si on le souhaite. Elle permet de trouver un espace de fécondité, de créativité, d’alignement qui est très bénéfique pour le vivre ensemble ».

Thomas d’Ansembourg nous parle également de la communication non violente, une approche « qu’il enseigne depuis des années et qui est proposée dans de nombreux milieux depuis des classes maternelles jusqu’à des prisons en passant par des cockpits d’avion… C’est une approche pratico-pratique pour mieux vivre les relations humaines, dépasser les conflits, les querelles d’égo ».

Il y a une troisième pratique, celle de la bienveillance.

« Il y a plusieurs aspects de la bienveillance : accueillir l’autre tel qu’il est et non tel que je voudrais qu’il soit, être ouvert à son attitude et à sa différence, être disponible à une remise en question par son attitude. Cela demande de l’humilité, peut-être du courage. Et puis, il y a cette attitude positive de prendre soin, bien veiller sur l’autre, l’encourager dans son développement qui n’est pas forcément celui que j’aurais aimé avoir pour lui. Je pense par exemple à notre attitude avec les enfants, ne pas projeter sur eux nos attentes. Cela demande du travail sur soi. Ce n’est pas ingénu. Cela requiert une hygiène de conscience pour remettre en question nos projections, nos attentes, nos préjugés, des idées toutes faites, pour ouvrir notre cœur.

Le monde se transforme à vive allure. « Nous assistons à un métissage incroyable de la planète, de grands exodes en fonction du réchauffement climatique. C’est plus urgent d’apprendre à vivre ensemble, et pour cela, d’avoir des clés de connaissances de soi pour avoir une bonne estime de soi et une capacité d’accueillir la différence, des clés d’ouverture à l’autre et la cohabitation. Cela ne tombe pas du ciel. On voit bien qu’il y a des tentatives de repli et de méfiance. Ce n’est pas comme cela que nous allons grandir ensemble. Nous avons besoin d’approches pour vivre ensemble. On n’en trouve pas encore dans nos pratiques scolaires, ni même dans nos pratiques religieuses. Il y a de belles idées , mais cela appelle une pratique. Comment est-ce qu’on vit quand on est plein de rage et de colère ? On a besoin d’apprendre à vivre la rage et la colère pour la transformer. Grâce à la communication non violente, j’ai appris à faire des colères non violentes, à exprimer ma colère sans agressivité. Ce sont des apprentissages que l’on peut faire ».

 

Promouvoir la paix

Thomas d’Ansembourg porte une dynamique et il l’envisage sur différents registres. Ainsi peut-il souhaiter la création d’un ministère de la paix avec un budget, des formations, de la recherche scientifique en neurosciences, en relations humaines.

Et au plan de la transformation des relations quotidiennes, il a conscience de la puissance des outils existants. « Je sais que ces outils transforment la vie des gens. Je rencontre des personnes dont la vie a pivoté parce qu’ils ont appris à savoir qui ils sont, qu’est ce qui fait sens pour eux… ». Ainsi, « il y a des processus, il y a des clés efficaces. J’aimerais qu’ils soient fournis au grand public. Nous assistons à tellement de détresses dans notre société : solitudes, addictions, divorces douloureux, dépendances… Des outils magnifiques existent. Ne pas les faire connaître est une sorte de non assistance à personne en danger ».

 

Au milieu des drames de l’histoire, l’inspiration de la non violence apparaît comme un fil ténu, mais solide avec des moments de lumière qui sont entrés dans notre mémoire collective depuis les premières communautés chrétiennes jusqu’à  Gandhi et Martin Luther King.

Aujourd’hui, le mouvement pour la paix peut s’appuyer sur de nouvelles méthodes où s’allient une orientation d’esprit et des approches nourries par la psychologie, une conscience renouvelée du corps et les neurosciences. Ainsi, face aux routines traditionnelles, une motivation nouvelle peut apparaître en s’appuyant  sur l’efficacité démultipliée de  nouvelles méthodes. Dans ce livre et dans cette interview, Thomas d’Ansembourg nous apporte une bonne nouvelle : la paix, ça s’apprend ! La paix, c’est possible ! Une voie est ouverte. A nous de nous mobiliser…

 

J H

 

(1)            « Une philosophie de l’histoire, par Michel Serres » : https://vivreetesperer.com/?p=2479

(2)            Site de Thomas d’Ansembourg : http://www.thomasdansembourg.com

(3)            « La paix, ça s’apprend ! Il était une foi  01.02.2017 RTBF » https://www.youtube.com/watch?v=hP-_atpsfT0

(4)            David Van Reybroucq. Thomas D’Ansembourg. La paix, ça s’apprend. Guérir de la violence et du terrorisme. Actes sud, 2016

 

Sur ce blog, voir aussi :

Eclairages de Thomas d’Ansembourg :

« Face à la violence, apprendre la paix » : https://vivreetesperer.com/?p=2332

« Un citoyen pacifié devient un citoyen pacifiant » : https://vivreetesperer.com/?p=2156

« Femmes et hommes. Monde nouveau. Alliance nouvelle » : https://vivreetesperer.com/?p=1791

« Vivant dans un monde vivant » :                 https://vivreetesperer.com/?p=1371

 

La bienveillance selon Lytta Basset

« Bienveillance humaine. Bienveillance divine. Une harmonie qui se répand (Oser la bienveillance) » : https://vivreetesperer.com/?p=1842

 

Martin Luther King

« La vision mobilisatrice de Martin Luther King.  « I have a dream »  : https://vivreetesperer.com/?p=1493

 

Cultiver la terre en harmonie avec la nature

 La permaculture : une vision holistique du monde

 Aujourd’hui, nous savons que la terre est menacée. C’est le changement climatique et le recul de la biodiversité. Et nous, nous prenons conscience de tout ce que nous recevons de la nature, une symbiose elle aussi en danger. En regard, à travers de multiples organisations, un puissant mouvement écologique est apparu. Les états entrent peu à peu dans cette mobilisation pour ce qu’on peut appeler la sauvegarde de l’humanité. Nous sommes tous concernés. C’est un appel pressant à changer de genre de vie. L’agriculture est particulièrement concernée. Au cours des dernières décennies, elle a été entrainée dans une escalade productiviste en rupture avec une relation équilibrée et durable avec l’environnement naturel. En regard, on a pu observer un engagement militant dans une manière nouvelle de vivre et de cultiver la terre. Cette approche est illustrée notamment par la grande figure de Pierre Rabhi. On assiste par ailleurs à l’invention de nouvelles pratiques qui allient efficacité accrue et respect de la nature. C’est un lieu d’innovation, c’est un front pionnier qui attire de nouveaux acteurs à la recherche d’une vie plus proche de la nature.

Ce courant est porteur d’espérance et il nous a par utile d’en faire mention sur ce blog. Nous avons déjà décrit l’apparition et le développement des « Incroyables comestibles » en France (1). Un ami engagé dans un « Jardin de Cocagne » (2), nous a récemment fait connaître cette belle innovation. Aujourd’hui, nous découvrons une nouvelle manière de cultiver la terre en harmonie avec l’environnement naturel. Ces initiatives innovantes sont « des fermes d’avenir ». Elles apparaissent et se développent dans des formes diverses selon la personnalité des intervenants et les caractéristiques de l’environnement.

 

La ferme biologique du Bec Hellouin

En naviguant sur le web, une expérience s’impose, celle de la ferme biologique du Bec Hellouin en Normandie. Cette réalisation est le fruit d’un itinéraire singulier. Au début des années 2000, Perrine et Charles  Hervé-Gruyer s’installent en ce lieu avec le désir d’y vivre une vie de famille. Au départ, pour assurer leur subsistance alimentaire, ils s’engagent progressivement dans une aventure agricole, découvrent en 2008 la permaculture et, à partir de là, développent une microagriculture intensive en s’inspirant à la  fois de pratiques ancestrales et de recherches innovantes .

Aujourd’hui, « la ferme biologique du Bec Hellouin est une ferme expérimentale fonctionnant selon les principes de la permaculture… Nous mettons en pratique un ensemble de solutions inspirées du fonctionnement des écosystèmes naturels, qui permettent de produire en abondance des fruits et des légumes sains : cultiver en buttes, agroforesterie, cultures associées, traction animale… La production maraichère de la ferme est plusieurs fois supérieure à la moyenne nationale par unité de surface, pratiquement sans recours aux énergies fossiles… L’herbage, situé en zone protégée Nature 2000, où nous avons créé les jardins, est devenue une oasis de vie où se côtoient un grand nombre d’espèces végétales et animales : 800  végétaux différents environ sont cultivés sur la ferme. Les deux iles-jardins, le jardin mandala, les mares, la foret nourricière, les vergers forment un agro-écosystème hautement productif et durable » .

Depuis fin 2011, la ferme du Bec Hellouin est engagée dans un programme de recherche avec l’INRA (Institut national de recherche agronomique) et AgroParis Tech. Elle met en oeuvre également un programme de formation. (3) Il y a là une belle dynamique que Perrine et Charles Hervé-Gruyer nous communiquent dans une vidéo (4).

 

 

Une approche holistique : la permaculture

Cette entreprise innovante s’inspire d’une vision évoquée par le terme de permaculture. Différentes définitions ont été proposées pour décrire cette approche. Nous reprenons ici la présentation qu’en donne Perrine et Charles Hervé-Gruyer, eux-mêmes auteurs d’un livre sur la permaculture.

« Créée dans les années 90 en Australie par Bill Molisson et David Holmgren, la permaculture est un système conceptuel inspiré du fonctionnement de la nature. Depuis des centaines de millions d’années, la nature crée des écosystèmes harmonieux et durables, qui génèrent eux-mêmes les conditions favorables au développement de formes de vie plus évoluées. Permaculture signifiait, à l’origine, agriculture permanente, puis le concept s’est élargi pour devenir culture permanente dans le sens de durable.

L’être humain, particulièrement en Occident, durant les derniers siècles, artificialise les écosystèmes et s’impose de ce fait l’obligation de devoir compenser par son travail et par des entrants les fonctions remplies naturellement par le vivant… La permaculture cherche à concevoir des installations harmonieuses, durables, résilientes, économes en travail comme en énergie, à l’instar des systèmes naturels. Son concept de design repose sur un principe essentiel : positionner au mieux chaque élément de manière à ce qu’il puisse agir positivement avec les autres…

La  permaculture repose sur trois principes : prendre soin de la terre, prendre soin des hommes, partager équitablement les ressources. La permaculture a un objet large : elle intègre l’agro-écologie, la construction écologique, les énergies renouvelables… dans une vision pragmatique et souple pouvant être adaptée à chaque territoire, aux besoins et aux aspirations de chaque personne ou communauté.

A la ferme du Bec Hellouin, nous étudions particulièrement les adaptations de la permaculture à l’agriculture biologique. Contrairement à une idée trop répandue, la permaculture n’est pas un ensemble de techniques de jardinage, mais bien un système conceptuel. Ces applications sont toutefois particulièrement pertinentes dans le domaine de la production agricole. La permaculture permet de concevoir des agro-systèmes tout à la fois harmonieux, durables, économes et productifs ».

 

Fermes d’avenir

On constate aujourd’hui que la vision éthique d’une activité humaine en phase avec la nature inspire beaucoup de gens et suscite un attrait pour de nouvelles formes de travail agricole. Dans un monde troublé, on peut y voir un désir d’enracinement. Ainsi, de nouvelles initiatives apparaissent comme celle des « fermes d’avenir.

Une association s’est créée pour favoriser le développement de ces fermes (5). Quelle est la vision de cette association ?

« Nous souhaitons  donner au plus grand nombre l’envie et les moyens de lancer leur propre projet agricole, écologique et rentable. Notre démarche touchera en particulier les agriculteurs souhaitant effectuer leur transition, les citadins souhaitant lancer une activité de maraichage et  les propriétaires fonciers soucieux de valoriser une partie de leurs terres… L’objectif primordial est de montrer qu’il est possible, sur un hectare, de créer un emploi pérenne de maraichage biologique…Dans un premier temps, notre défi est donc de créer une microferme exemplaire en maraichage, s’inspirant de la permaculture et de l’ensemble des techniques efficaces de l’agro-écologie…L’association Fermes d’avenir s’est développée autour d’un projet fondateur : la création de la microferme expérimentale de la Bourdaisière (37). Mais, au demeurant, de nombreuses fermes partout en France sont engagées dans une démarche exemplaire  respectant la terre, respectant les hommes et imprégnée d’une forte dimension éthique ».

 

 

Action pionnière : Maxime de Rostolan

Dans ce mouvement, les itinéraires des acteurs sont significatifs. C’est le cas pour Maxime de Rostolan, fondateur et dirigeant de l’association « Fermes d’avenir ». « Ingénieur chimiste de formation, Maxime de Rostolan, son diplôme en poche, s’intéresse au traitement de l’eau et s’engage alors dans un tour du monde afin de sensibiliser le public à cette question. A son retour dans l’hexagone, il se passionne pour la biomimétisme et crée l’association : « Biomecry France » qui encourage les entreprises à transformer leurs produits et métiers en s’inspirant de la nature. Il planche ensuite sur le financement participatif et lance « Blue Bees », une plateforme dédiée aux projets d’agriculture et d’écologie. Aujourd’hui, Maxime dirige « Fermes d’avenir ». Son nouveau défi : déployer un modèle agricole écologique et rentable à grande échelle ».

Maxime de Rostolan nous parle de son projet dans un exposé (vidéo) lors d’un colloque Ted X à Tours (6). « Depuis que j’ai vingt ans, j’essaie de trouver des solutions pour changer le monde… A force de chercher, j’ai découvert qu’il existe un partenaire de choix : le laboratoire du vivant ». Effectivement, on peut s’inspirer de la nature comme nous l’enseigne le biomimétisme. Maxime a pris conscience de l’impasse où se trouve aujourd’hui l’agriculture classique qui abuse de la mécanisation et des produits chimiques. « En 50 ans, on a divisé par 25, notre efficacité énergétique pour produire de l’alimentation ». Maxime se réfère lui aussi à la vision nouvelle ouverte par la permaculture. En 2010, il en découvre les potentialités à la ferme du Bec Hellouin.

Mais comment déployer ce type de ferme sur le territoire ? Les chercheurs de l’INRA sont intéressés par la possibilité de suivre une ferme de ce genre en phase d’installation. Maxime va donc se lancer dans l’innovation. Il se forme en conséquence et il s’engage dans le développement d’une ferme expérimentale de 1 ha 4, la ferme de la Bourdaisière à Montlouis sur Loire. Premier objectif : fournir les données correspondantes aux chercheurs de l’INRA. Deuxième objectif : créer une boite à outils qui permette à toute personne qui le souhaite de reproduire cette expérience. Troisième objectif : évaluer les services écosystémiques rendus par ce type d’agriculture : préserver la diversité, entretenir la qualité de l’eau, favoriser le paysage, créer une dynamique sur les territoires… ». Dans cet entretien en 2015, Maxime de Rostolan nous dit que depuis un an et demi, l’objectif a été tenu. « La nature est généreuse ! ». Et il a découvert un métier dans lequel il se trouve à l’aise.

 

Manifestement, les fermes d’avenir ouvrent une voie nouvelle en permettant à de nombreux acteurs de s’engager dans ce nouveau métier. « C’est une triste chose de songer que la nature parle et que l’homme n’écoute pas » a écrit Victor Hugo. Aujourd’hui, ce constat est battu en brèche.  La permaculture témoigne d’une vision nouvelle qui est en train de se communiquer et de se répandre. De la ferme du Bec Hellouin à celle de la Bourdaisière, un puissant mouvement d’innovation apparaît et porte une nouvelle conception des rapports entre l’homme et la nature. C’est une nouvelle éthique.

 

J H

 

(1)            « Incroyable, mais vrai ! Comment « Les incroyables comestibles » se sont développés en France » : https://vivreetesperer.com/?p=2177

(2)            Réseau Cocagne : http://www.reseaucocagne.asso.fr

 

(3)            Le site de la ferme du Bec Hellouin ne présente pas seulement les activités de la ferme, mais aussi les principes de la permaculture et de l’agroécologie : http://www.fermedubec.com

(4)            Histoire et présentation de la ferme du Bec Hellouin par les créateurs : Perrine et Charles Hervé-Gruyer. Cette vidéo montre concrètement les différents visages de la ferme et exprime l’inspiration de cette innovation : https://www.youtube.com/watch?v=5w3VqluGfGY

(5)            Fermes d’avenir : http://www.fermesdavenir.org

(6)            « La terre et l’éthique » : Maxime de Rostolan à TEDx Tours : https://www.youtube.com/watch?v=2qWKKQowguM

 

 

Sur ce blog, voir aussi :

« Pour une conscience écologique » : https://vivreetesperer.com/?p=694

« Vivre en harmonie avec la nature » :

https://vivreetesperer.com/?p=757

« Anne-Sophie Novel, militante écologiste et pionnière de l’économie collaborative » : https://vivreetesperer.com/?p=1975

« Convergences écologiques : Jean Bastaire, Jürgen Moltmann, Pape François, Edgar Morin » : https://vivreetesperer.com/?p=2151

 

Thomas d’Ansembourg : « Un citoyen pacifié devient un citoyen pacifiant »

Une campagne du mouvement Colibris pour une (r)évolution intérieure.

Face aux dysfonctionnements de notre société, le mouvement Colibris, qui puise son inspiration tout particulièrement chez Pierre Rabhi, appelle ses membres à des voies alternatives de reconstruction. « Soyons le changement ! ». Et « si la plus importante révolution à mener était votre (r)évolution intérieure ! ». Le mouvement Colibris vient donc de lancer une nouvelle campagne citoyenne dans ce sens. « Dans la continuité du travail réalisé autour des principaux leviers de la société : économie, agriculture, démocratie, énergie, Colibris souhaite passer un message fort et montrer que la vraie (r)évolution est celle qui nous amène à nous transformer nous mêmes pour transformer le monde » (1). Le mouvement Colibris a donc suscité une rencontre où une douzaine de participants ont apporté leur témoignage sur leur évolution intérieure. Ces messages ont été enregistrés sur de courtes vidéos que nous pouvons regarder avec respect et reconnaissance (2).

On trouvera parmi ces témoignages une intervention de Thomas d’Ansembourg. Sur ce blog, à deux reprises, nous avons fait connaître des vidéos de Thomas d’Ansembourg particulièrement éclairantes (3). Thomas sait nous parler de son expérience de vie et des clés de compréhension et de transformation dont il fait usage en psychothérapie. On trouvera ces mêmes qualités dans la vidéo que nous présentons ici, et qui, en quelques minutes, nous ouvre un chemin (4).

L’itinéraire de Thomas d’Ansembourg est rappelé au préalable en ces termes : « Thomas d’Ansembourg a exercé la profession d’avocat. Parallèlement, il s’est engagé dans une association d’aide concrète aux jeunes qui connaissent des problèmes de délinquance, violence, prostitution et dépendances de toutes sortes. Par cette double approche juridique et sociale, il s’est impliqué dans la gestion des conflits et la recherche de sens. Dans le souhait de comprendre la difficulté d’être en général et particulièrement la violence, Thomas a entrepris une psychothérapie. Il découvre alors la liberté de prendre du champ sur l’inconscient et mesure qu’il aurait pu passer sa vie, se croyant libre, alors qu’il était pris au piège de ses conditionnements éducatifs, habitudes de pensée et systèmes de croyances. Il décide de devenir psychothérapeute pour partager ces prises de conscience et accompagner d’autres personnes dans ces processus de cœur et de conscience. Il se forme à différentes approches et particulièrement à la méthode de communication non violente (CNV) avec son fondateur Marshall Rosenberg.

 

Quel est le message de cette vidéo ? Nous présentons ici quelques citations qui en sont extraites pour qu’elles nous accompagnent dans le chemin de réflexion ouvert par Thomas d’Ansembourg.

Evoquant son expérience d’avocat, Thomas d’Ansembourg évoque un manque de formation pour l’exercice de cette profession : « Nous éviterions bien des conflits si nous avions quelques clés de connaissance de soi, de compréhension des émotions, de capacité à mieux les gérer et les exprimer sans agresser, à exprimer ses besoins et à être à l’écoute des besoins des autres d’une façon ouverte et empathique et que cela faisait très clairement défaut dans nos éducations. Moi-même comme avocat, je n’ai pas reçu une clé d’écoute, pas une clé de compréhension de la mécanique relationnelle, pas une clé de gestion des émotions. J’étais éduqué pour faire des contrats, des plaidoiries, mais pas pour être à l’écoute d’un humain en difficulté ».

En s’orientant, parallèlement à son travail d’avocat, vers l’accompagnement de jeunes en difficultés, il s’est « vite rendu compte que quelques clés de connaissance de soi faciliteraient la vie collective : Apprendre à connaître ses émotions, à les démélanger les unes des autres, à identifier nos besoins, à leur donner des priorités, à ne pas les confondre avec nos envies, nos désirs qui sont changeants, multiples et dispersants, à être capables d’exprimer cela par des demandes tout en étant en empathie avec le besoin de l’autre dans la capacité d’écouter ce besoin même si il est différent, tolérer le désaccord et la différence et chercher ensemble des solutions négociées qui seraient satisfaisantes pour chacun ».

Thomas s’est alors engagé dans une psychothérapie. Il a senti « un pivotement intérieur » en prenant du champ sur l’inconscient : « J’aurais pu passer ma vie dans des enfermements » avec la prise de conscience que le mot : « enfer » peut s’appliquer à ceux-ci. Thomas d’Ansembourg est maintenant psychothérapeute depuis plus de vingt ans. Il encourage le développement d’une « intériorité citoyenne », une vie intérieure qui peut s’exprimer au service de la vie communautaire. « Je fais le lien avec ce que la plupart des spiritualités nous disent de façon concordante : si nous prenons du temps d’écoute intérieure, de discernement et d’entrer dans un puits de connaissance universelle qui est, semble-t-il, au cœur de chacun de nous, nous nous relions, nous appartenons ». « Et voilà, il m’est donc apparu qu’un citoyen pacifié devient un citoyen pacifiant (5). Il s’implique. Il laisse un sillage de bienveillance, de bienfaisance, de douceur, de générosité, de collaboration, de synergie. Il donne envie qu’on aille avec lui. En se sentant pacifié, il donne envie d’être pacifiant à notre tour ».

J’ai la conviction que cette vie intérieure peut se nourrir de multiples façons. Bien sûr, je recommande de porter régulièrement des moments de gratitude (6). Toutes les personnes qui pratiquent régulièrement des moments de gratitude sentent une énergie, une vitalité, une joie d’être au monde ». Cela ne vient pas nécessairement immédiatement, mais cela « ne manque pas de venir si on jardine cette vie intérieure avec suffisamment de bienveillance et d’attention ».

Dans ce travail, je propose également un exercice, c’est de se poser cette simple petite question que l’on pose autour de soi une dizaine de fois par jour : Comment cela va ? Comment te sens-tu ? Se poser à soi cette question : Comment vas-tu ? Comment te sens-tu ? Qu’est-ce qui est heureux dans ton cœur ? Célébrer ce qui va bien.  Commencer par ce qui va bien. Il y a des chose qui vont bien même si nos vies sont tragiques ».  Repérons ce qui correspond à nos aspirations profondes et qui nous procurent du contentement. Quand ces aspirations sont nourries en moi, je vais bien. « Je tend donc vers cela. Si ce qui me correspond, c’est « le partage, l’écoute et la sincérité », je vais chercher à créer ces conditions. « Ainsi nous apprenons à nous centrer. Il y a les choses joyeuses qui vont bien dans mon cœur. Je les honore, les célèbre et j’oriente ma vie dans ce sens. Et puis il y a les choses moins joyeuses, plus difficiles, plus éprouvantes. Je les accueille, je les écoute et j’essaie de les comprendre. Petit à petit, j’oriente ma vie pour ne plus retomber dans les circonstances dont je sais par expérience qu’elles ne m’apportent pas de bien-être. Et ainsi, je récupère les manettes de mon existence.

Qu’est ce qui arrive à la plupart de nos contemporains ? Ils n’ont pas les manettes pour orienter leur vie. Or ce n’est pas compliqué. Cela demande juste un peu de jardinage intérieur ».

 

 

Ce message est porteur car il se développe à partir d’une expérience et il s’exprime sur un ton qui suscite la sympathie. Il aide à mieux interpréter nos situations de vie et à y faire face. Il nous encourage. Un changement est possible. Oui, nous pouvons !

Bien sûr, dans ce court message, Thomas d’Ansembourg n’a pas le temps d’aborder des situations critiques ou d’entrer dans une réflexion approfondie sur la manière dont nous percevons le sens profond de nos existences, lequel a tant d’importance dans la dynamique de notre vie.

Il s’exprime cependant sur le rapport entre psychologie et spiritualité.

« Je fais le lien avec ce que la plupart des spiritualités nous disent de façon concordante. Si nous prenons un temps d’écoute intérieure, de discernement et d’entrer dans un puits de connaissance universelle qui est, semble-t-il, au cœur de chacun de nous, nous nous relions, nous appartenons ».

Cette conscience d’une relation, d’une appartenance à plus grand que soi, nous paraît essentielle. Et il en est de même du fil conducteur que nous pouvons suivre dans le monde. Sommes-nous inspirés par la sympathie et l’amour ? A certains moments et dans certaines conditions, certains milieux religieux ont pu être pollués par des représentations négatives. Mais aujourd’hui ce n’est pas le courant principal. Thomas d’Ansembourg évoque les bienfaits de la gratitude. A ce sujet, un remarquable article est paru dans Wikipedia. Free encyclopedia (anglophone) (6). « L’étude systématique de la gratitude à l’intérieur de la psychologie a commencé seulement autour des années 2000, peut-être parce ce que la psychologie traditionnellement se focalisait sur les situations de détresses… ». Des études récentes suggèrent que les gens reconnaissants sont aussi plus altruistes et vivent dans un état de bien être subjectif plus élevé.  Cependant cet article met également l’accent sur la manière dont la gratitude et la reconnaissance sont au cœur des pratiques de vie chrétiennes et juives. « Dans le judaïsme, la gratitude est une part essentielle de l’acte d’adoration et de la vie du croyant. De même l’expression de la gratitude modèle et donne sa forme à la pratique de vie chrétienne ». Ainsi, sur des registres différents, l’expression de la gratitude est bien une démarche fondamentale. Elle éclaire la relation positive et débouche sur une harmonie.

Dans la gratitude comme dans la démarche de prendre soin de nous-même, il y a un mouvement commun qui est la bienveillance. Dans son livre : « Oser la bienveillance », Lytta Basset a mis en valeur cette dimension essentielle de notre existence : « Bienveillance humaine, bienveillance divine » (7).

Cette vidéo de Thomas d’Ansembourg nous invite à fréquenter ses autres enseignements et notamment les deux autres vidéos rapportées sur ce blog (3). Dans ce monde où nous pouvons être tenté par le pessimisme, l’agressivité ou le repli, cette vidéo contribue à la campagne du mouvement Colibris : « Faisons notre part ! Soyons le changement ! Engageons-nous dans une (r)évolution intérieure ». Thomas d’Ansembourg nous apporte un message tonique. Oui, cette évolution positive est possible. Il y a de l’espoir !

 

Jean Hassenforder

 

(1)            « Une (r)évolution intérieure » : https://www.colibris-lemouvement.org/revolution/une-revolution-interieure

Sur ce blog, un regard sur le mouvement Colibris : « une jeunesse engagée pour une société plus humaine et plus durable » : https://vivreetesperer.com/?p=1780

(2)            « Entretiens : ma ®évolution intérieure » : https://www.colibris-lemouvement.org/revolution/une-revolution-interieure/entretiens-ma-revolution-interieure

(3)            « Femmes et hommes. Monde nouveau. Alliance nouvelle » : https://vivreetesperer.com/?p=1791 « Vivant dans un monde vivant. Changer intérieurement pour vivre en collaboration » : https://vivreetesperer.com/?p=1371

(4)            « Thomas d’Ansembourg : ma (r)évolution intérieure » : vidéo You Tube : https://www.youtube.com/watch?v=gWLoMcVoHaU

(5)            Dans son livre : « la guérison du monde», Frédéric Lenoir met en évidence le développement d’un courant spirituel qui allie intériorité et engagement collectif. Sur ce blog : « Un chemin de guérison pour l’humanité » : https://vivreetesperer.com/?p=1048

(6)            « Gratitude. From Wikipedia. The free encyclopedia » : https://en.wikipedia.org/wiki/Gratitude Sur ce blog, « Avaaz : Transformation sociale et transformation personnelle vont de pair » : des moments de gratitude sont envisagés dans ce processus : https://vivreetesperer.com/?p=2034

(7)            Sur ce blog : Lytta Basset. « Oser la bienveillance ». « Bienveillance humaine. Bienveillance divine. Une harmonie qui se répand » : https://vivreetesperer.com/?p=1842

Pour une conscience écologique

Une expérience de terrain

 

J’ai poursuivi mes études universitaires jusqu’au doctorat en écologie. J’ai mené mon travail de thèse dans un laboratoire du CNRS, dans le cadre d’un programme européen de recherche sur la biodiversité des plaines inondables, avec des équipes de recherche d’Umea en Suède, de Cambridge au Royaume-Uni et de Grenoble.

Cette thèse a été un réel voyage initiatique. J’ai été confrontée à l’immense complexité de la nature, à l’impossibilité de l’appréhender dans sa globalité et au constat, que « plus on sait… moins on sait« … car on prend conscience de l’immensité des connaissances qui nous échappent. Chaque question à laquelle on parvient à répondre, même partiellement, ouvre vers un horizon de milliers d’autres…

A cette époque, certains de mes collègues chercheurs participaient à des projets avec des non-chercheurs, notamment des techniciens de collectivités. Ils relataient souvent la difficulté de transmettre les connaissances scientifiques à des gens étrangers au monde de la recherche.

C’est ce qui m’a motivée à entreprendre un DESS en communication scientifique alors que je terminais ma thèse en parallèle. Après avoir obtenu ces deux diplômes, j’ai trouvé un premier poste comme directrice d’une association en charge de la gestion d’un espace naturel en bordure d’un grand fleuve.

 

Préserver la biodiversité.

 

Cette expérience a été difficile, mais très formatrice. J’ai notamment eu l’occasion de m’impliquer dans des projets de développement du territoire, avec les collectivités territoriales locales. Cette découverte a confirmé l’envie de m’orienter vers un travail dans la fonction publique territoriale. Après avoir quitté mon poste de directrice, j’ai donc passé le concours d’ingénieur territorial puis obtenu un poste comme chargée de mission patrimoine naturel dans une importante collectivité. Au sein d’une équipe d’une douzaine de personnes, je suis chargée de mettre en oeuvre la politique décidée par les élus en matière de biodiversité. Je travaille sur de nombreux projets en lien avec la restauration et la protection des milieux naturels, de la faune et de la flore. Mon travail consiste à financer et accompagner le montage des projets menés par différentes types de structures, principalement des associations ou d’autres collectivités (communes, communautés de communes,…).

 

Biodiversité… au bord d’une route ardéchoise

 

J’ai aussi la chance de mener certains projets en direct, notamment ceux qui concernent la trame verte et bleue. Ce terme traduit en fait une nouvelle stratégie qui émerge pour préserver la biodiversité. Jusqu’à il y a quelques années, les actions étaient surtout focalisées sur la protection de milieux naturels dits « remarquables », car constitués d’espèces ou d’habitats naturels rares ou menacés. Mais le constat mondial de l’érosion de la biodiversité, combiné aux avancées des connaissances scientifiques notamment de l’écologie du paysage, ont montré que les causes principales de cette érosion de la biodiversité était la disparition des milieux naturels, et leur fragmentation, résultant des activités humaines (infrastructures toujours plus nombreuses, urbanisation galopante, modification des pratiques agricoles et notamment intensification des cultures,…). Aujourd’hui, on change de stratégie en cherchant à reconnecter les milieux naturels entre eux, ou en préservant les connexions qui subsistent, afin de permettre aux espèces de se déplacer, ce qui leur est nécessaire pour accomplir les différentes phases de leur cycle de vie.

 

L’homme et la nature.

 

Mon travail est passionnant à de nombreux titres. Si l’on y réfléchit bien, il concerne en premier lieu les relations.

 

        Les activités humaines fragmentent les milieux naturels

 

La nature : un milieu interactif

 

Avant d’être un mouvement politique, l’écologie est la science qui étudie les interactions entre les différents compartiments du vivant. La nature qui nous entoure est caractérisé par un grand nombre d’interactions complexes, entre les espèces entre elles, entre les espèces et le monde physique… Beaucoup de choses sont reliées, et perturber ou supprimer un maillon de la chaîne affecte l’ensemble…

Le fonctionnement de la nature est dynamique… une dynamique dans l’espace et dans le temps. Les espèces se déplacent pour s’alimenter, se reproduire, migrer ; sous nos climats, les saisons s’enchaînent et chacune d’entre elles correspond à des processus du vivant particuliers ; les générations d’individus se succèdent à des échelles de temps très différentes selon les espèces (de la bactérie, à l’éléphant !). Bien que l’homme aime comprendre, acquérir de nouvelles connaissances, le fonctionnement de la nature nous reste encore bien mystérieux, et surtout échappe à notre contrôle.

 

       Des plantes carnivores en France… oui, ça existe ! (Drosera rotundifolia)

 

Des limites au contrôle de l’homme.

 

La nature rappelle à l’homme son incapacité à tout contrôler…. ce qu’il a parfois bien du mal à accepter. Nous avons essayé de « domestiquer » la nature. Nous avons canalisé les fleuves, construit des digues, mais les inondations continuent… car elles sont normales, et font partie des processus naturels qui créent la vie en transportant des sédiments, en créant de nouveaux milieux,… Mais nous avons essayé de contrôler ce processus, nous avons construit nos habitations en zones inondables, nous avons créé de nombreux barrages pour créer de l’électricité… Intentions louables et légitimes, mais décisions souvent excessives que nous avons prises sans en mesurer suffisamment les impacts… Par exemple, les nombreux barrages ont perturbé le transport des sédiments qui se trouvent piégés derrière… Comme conséquence, on a constaté des phénomènes d’érosion en aval des barrages, les rivières « s’enfoncent » et les niveaux de nappe phréatique en font de même… du coup, plus de sécheresse, besoin de plus d’irrigation, cercle vicieux…

 

       Les tourbières… des milieux fragiles mais essentiels

 

L’homme contrôle, domine, veut exercer un pouvoir sans limite, et quand le fonctionnement de la nature se rappelle à lui, sous forme catastrophique bien souvent, l’homme considère la nature comme « hostile »…. Il oublie sa responsabilité dans ces phénomènes.

Je trouve que ces constats, que je rapporte ici de manière rapide et caricaturale, peuvent amener des réflexions d’ordre plus spirituel… Soigner les relations, plus que la domination… Quand nous contrôlons les autres, de manière consciente ou inconsciente, nous sommes souvent confrontés à des retours de bâtons parfois violents…

La recherche de l’harmonie, entre humains, ou entre l’homme et la nature, demande un état d’esprit particulier : persévérance, humilité…

 

Au delà de l’immédiat, penser dans la durée.

 

Dans l’exercice de mon métier, je suis parfois découragée en me disant que ce je fais, c’est une goutte d’eau dans l’océan… Il faut déployer tellement d’énergie pour protéger quelques hectares ! On se heurte à tellement d’obstacles, un pas en avant, quatre en arrière… Malgré sa conscience de l’avenir, j’ai parfois l’impression que l’être humain ne se comporte pas plus intelligemment (voire moins) que les animaux. Il « consomme » les ressources à sa disposition, sans se préoccuper ou si peu, de ce qui va se produire lorsque ces ressources deviendront insuffisantes.

 

        Les rivières, une écologie dynamique !

 

Je crois qu’on touche là à une question un peu existentielle… Les processus écologiques se déroulent bien souvent à des échelles de temps qui dépassent la durée d’une vie humaine. Penser à l’avenir de notre planète (donc à celui de l’espèce humaine), c’est intégrer l’idée de sa propre mort et agir en sachant qu’on ne verra sans doute pas le résultat de son action. On touche à l’idée du temps, de l’éternité…

 

Céleste

 

Merci à Céleste, qui, à partir de son expérience, nous fait entrer dans une prise de conscience écologique. Les titres et l’accentuation de certains passages en caractères gras relèvent de la rédaction.

Les photos ont été prises par Céleste.
On peut la joindre à l’adresse mail suivante: despiedsetdesailes@gmail.com

Identité narrative

Identité narrative

Une identité qui se manifeste à travers la narration, d’après la philosophie de la reconstruction de Paul Ricoeur : « Soi-même comme un autre »

Comment nous percevons nous, nous-même ? Comment envisageons-nous notre chemin de vie ? Comment l’exprimons-nous ? Quel regard portons-nous sur notre parcours, sur ses défaillances comme sur ses points forts ? Percevons-nous notre vie en termes de moments dispersés et contradictoires ou bien comme orientée dans une même direction. Et, lorsque nous ressentons le besoin de faire le point, au moyen d’une narration, d’un récit, n’est-ce pas là que peut se manifester une conscience du mouvement de notre personnalité et de la vocation que nous y percevons ? Ce peut être ainsi une manière de prendre davantage conscience de nous-même, de ce qui nous nous tient à cœur, de ce à quoi nous nous sentons appelés. Nous pouvons ainsi exprimer une assurance dans le contexte du témoignage, une ‘attestation’ dans le langage du philosophe Paul Ricoeur pour qui l’idéal de vie consiste à ‘vivre bien avec et pour les autres dans des institutions justes’. Cette identité narrative est étudiée dans un livre de la philosophe Corine Pelluchon (1) : ‘Paul Ricoeur, philosophie de la reconstruction. Soin, attestation, justice’ (2). L’auteure y commente un livre majeur de Paul Ricoeur : ‘Soi-même comme un autre’.

A quelles questions ce livre veut-il répondre ? « Comment retrouver notre capacité d’agir quand nos repères s‘effondrent à la suite d’évènements traumatiques ? Quelle conception du sujet rend justice à la dimension narrative de l’identité ainsi qu’au tôle décisif joué par autrui et par les normes sociales dans la constitution de soi ? … » (page de couverture).

Par ailleurs, dépourvu de formation philosophique stricto sensu, nous ne rendrons pas compte de l’ensemble du livre, mais après avoir repris quelques considérations sur l’œuvre de Paul Ricoeur, nous présenterons l’approche narrative, en évoquant en fin de parcours ‘les prolongements de la théorie narrative en médecine et en politique’.

 

L’œuvre de Paul Ricoeur

Corine Pelluchon nous raconte d’abord comment ce livre est issu d’un séminaire consacré à l’étude de ‘Soi-même comme un autre’ et intitulé ‘Soin, attestation, justice’ dans le cadre d’un parcours en ‘Humanités médicales’. En 2021, l’auteure a approfondi sa réflexion sur Paul Ricoeur. « C’est ainsi qu’est né ce livre dans le but de faire comprendre une œuvre magistrale » (p 9).

Quel est l’esprit de cette œuvre ? « L’œuvre de Paul Ricoeur est une œuvre de reconstruction. Ce mot doit s’entendre de plusieurs manières qui s’entremêlent dans ‘Soi-même comme un autre’. La reconstruction est le fruit de la réflexion entendue comme réappropriation de notre effort pour exister. La réflexion en tant que telle est ressaisie de soi… Par l’interprétation, le sens, reconfiguré, permet au sujet de faire le lien entre le passé, le présent et l’avenir, c’est-à-dire d’affirmer son identité narrative et de pouvoir se poser comme un sujet capable de tenir ses promesses » (p 10). Ainsi, nous entendons la réflexion de Paul Ricoeur comme un aide « à mener une vie bonne dans un monde qui ne l’est pas » (p 11). C’est nous encourager à exister, à surmonter les crises, à poursuivre une action en personne responsable.

Paul Ricoeur adopte une ‘phénoménologie herméneutique’ qui se manifeste dans une approche constructive. Il s’oppose aux ‘herméneutes du soupçon’. « L’ambition de Paul Ricoeur est d’élaborer une philosophie rendant possible l’action d’un sujet soumis à la passivité… mais également capable d’initiatives… Si on ne rend pas justice à cette faculté qu’a l’être humain de se poser comme un sujet et de se reconnaitre dans ses actes, on ne peut plus parler de liberté et de responsabilité » (p 11). « Dans ‘Soi-même comme un autre’, les différents fils de son œuvre se rassemblent autour d’un motif central : bâtir une ontologie de l’agir qui donne du sens à l’action individuelle en dépit des épreuves et aide aussi à penser les conditions d’une revitalisation de l’espace politique sans laquelle les institutions démocratiques ne sont que des coquilles vides » (p 13).

La réflexion de Paul Ricoeur vient nous aider à être nous-même en traversant les crises et en éclairant notre travail de reconstruction. « Pour assumer sa parole et ses actes, être quelqu’un qui ne dit pas seulement « je », mais « me voici », il est indispensable de se penser comme moi, et non pas comme un moi quelconque. Continuer d’exister, se reconstituer après une dépression ayant provoqué l’effondrement du psychisme, rétablir de la cohérence dans une existence marquée par de nombreuses ruptures, penser sans illusion rétrospective que sa vie possède une unité malgré la discontinuité, redéfinir ses priorités, être disponible pour les autres et, de nouveau pouvoir s’engager parce que l’on croit à l’avenir : tel est le sens de l’herméneutique de soi que Paul Ricoeur parachève dans cet ouvrage dont la notion cardinale est celle d’attestation » (p 14).

 

Le sens d’une vie

Identité narrative et herméneutique de soi

A travers l’expression d’une histoire de vie, de ce récit, de cette narration, on découvre l’originalité, la singularité de sa personnalité, de son identité, ce qui se traduit en une interprétation, une herméneutique de soi.

« Parler d’identité narrative signifie d’abord que la connaissance de soi passe par le fait de se raconter, de tisser les différents évènements de sa vie pour leur conférer une unité et un sens qui n’est pas définitif et n’exclue pas la remise en question. L’identité n’est pas figée, ni à priori ; elle se transforme et se construit à travers les histoires que nous racontons sur nous-mêmes et sur les autres, et elle se nourrit des lectures et des interprétations qui enrichissent notre perception du monde et de nous. Plus précisément, l’identité narrative fait tenir ensemble les deux pôles dont la fiction littéraire présentant des cas-limites soulignent l’écart maximal. En effet, quand on parle de soi et qu’on veut se connaitre ou se faire connaitre à quelqu’un pour être compris de lui, on se raconte en mêlant des éléments reflétant à la fois son caractère (le ‘quoi’) et le maintien de soi, l’ipse (le ‘qui’). Or l’intérêt de la théorie narrative est de détailler les opérations mises en œuvre pour conjuguer l’unité et la diversité de sa vie » (p 120).

L’auteure met l’accent sur la tension entre unité et diversité au cours des vies. « Notre identité se construit par la manière dont nous agençons les évènements et les interprétons, en reconnaissant que certains s’inscrivent dans une certaine continuité avec ce que nous étions (idem), alors que d’autres nous ont poussé à remanier nos valeurs et à procéder à des changements importants de notre ipséité » (p 121) « Alors, la première opération que la théorie narrative met en avant est la configuration : le récit est un art de composition servant à faire le lien entre la concordance et la discordance. Se raconter, se connaitre, s’interpréter, c’est procéder à une synthèse de l’hétérogène… » (p 121).

Cette approche contribue non seulement à permettre à la personne de reconnaître la dynamique de sa vie, d’en bénéficier et, à la limite, de la partager, mais aussi de traverse des crises et d’en ressortir. « La notion d’unité narrative de la vie est essentielle si l’on veut saisir l’effort par lequel un individu tente de se reconstruire après une crise existentielle » (p 123). Dans une perspective qui débouche sur l’engagement de la personne, Paul Ricoeur en privilégie le ressort : une motivation enracinée dans l’histoire de vie : « Parce que l’identité narrative est une étape dans la construction de son concept d’attestation, Ricoeur privilégie la dimension de cohérence sur celle de discordance » (p 126). La crise peut déboucher sur un rebondissement. « Le sujet se rassemble après l’évènement ou les évènements l’ayant brisé. Bien plus, pour pouvoir répondre à l’appel des autres, il doit retrouver l’estime de soi ». (p 126). « Dans le projet d’ensemble de Paul Ricoeur, la notion d’unité narrative est un des éléments de son ontologie de l’agir, qui est une ontologie de l’homme capable, agissant et souffrant. Cette prise en compte de l’existant toujours situé dans un contexte social et géographique et qui a besoin, pour s’épanouir, de s’affirmer dans plusieurs domaines et d’être reconnu, le mène, pour introduire sa conception de l’unité narrative de la vie à distinguer des plans de vie, c’est-à-dire de vastes unités pratiques comme la vie professionnelle, familiale ou associative » (p 127)

La mise en œuvre d’une identité narrative n’est pas sans rencontrer des difficultés auxquelles l’auteure prête attention.

« Ne raconte-t-on pas uniquement ce qui a été métabolisé ou ce qui est métabolisable ? Jusqu’où et à quelles conditions faut-il accorder du crédit à la notion d’identité narrative, qui implique que le sujet appréhende l’unité de sa vie ? (p 123). Elle aborde aussi le cas des personnes atteintes de la maladie d’Alzeimer. En bref, « ces personnes ne se rappellent plus ce qu’elles ont fait et qui elles étaient… La capacité de rassembler sa vie en un tout est compromise par la maladie d’Alzeimer. L’enfermement dans le présent, caractéristique de cette pathologie, semble rendre la notion d’identité narrative totalement inopérante » (p 137) ; cependant, « il serait inexact de dire que la maladie d’Alzeimer prive la personne de son identité ». L’auteure aborde alors les modalités de son accompagnement.

Corine Pelluchon traite également des difficultés ressenties par les personnes ayant vécu une abomination. « Qu’il existe des narrations empêchées parce que le traumatisme n’est pas dicible, ou parce qu’en faire le récit serait s’infliger une peine supplémentaire puisqu’il ne serait pas reçu, souligne en creux l’importance de la narration. Celle-ci ne vise pas forcément à restaurer l’unité de vie, à rendre acceptable ce qui ne l’est pas ou à réparer l’irréparable. Toutefois, le témoignage peut donner un nouveau sens à la vie, comme on le voit dans l’œuvre de Semprun qui a beaucoup écrit, à partir des années 1960, sur la déportation » (p 135). Là, l’auteure souligne que la difficulté de s’exprimer dans une narration n’entame en rien ‘l’importance du récit dans l’existence’. Parfois, « la difficulté de vivre est aussi une difficulté de raconter et de se raconter… Pourtant, le récit existe. Même brisé, il ouvre le possible, puisqu’aucun récit ne clôt le sens, ne serait-ce que parce qu’il est lu par d’autres » (p 136).

Ainsi, Corine Pelluchon en arrive à affirmer le rôle essentiel du récit : « Le récit est un existential, une structure de l’existence. Notre identité est narrative, même si nous ne pouvons totalement nous rassembler et présenter une synthèse de l’hétérogène conférant une unité à notre existence et nous permettant de regarder l’avenir avec confiance. Dire que le récit est un existential signifie qu’il est nécessaire à la compréhension de soi et qu’il permet aussi de tenir bon, même quand il est différé et qu’il s’agit d’un récit qui parle de l’inénarrable ou met en scène la dissolution du soi… Le récit n’est pas seulement nécessaire sur le plan moral pour être un sujet responsable sachant quelles sont ses valeurs et ses priorités. Pour exister comme sujet, il faut pouvoir se raconter, même par bribes ou en confessant que l’on ne parvient pas à supprimer la déchirure » (p 136). L’auteure évoque également la psychanalyse : « Que la narration soit un existential apparait avec force quand on pense aux personnes qui reproduisent le refoulé sous la forme de symptômes et que la mise en récit de soi, comme la psychanalyse, peut aider (p 137).

 

L’approche narrative en médecine

Corine Pelluchon poursuit son étude de la mise en œuvre de la théorie narrative de Paul Ricoeur dans les champs de la médecine et de la politique.

L’apparition d’une médecine narrative s’inscrit dans un mouvement d’humanisation d’une profession tentée par une technicisation outrancière.

« Née aux Etats-Unis à la fin des années 1990 sous l’impulsion de Rita Sharon, professeur de médecine clinique à l’Université de Columbia, la médecine narrative, qui connait désormais un certain succès en France, répond à deux objectifs. Le premier est d’établir une relation entre médecins et patients qui soit fondée sur l’empathie et l’écoute attentive, afin que les traitements soient adaptés aux personnes et que le malade ne se sente pas objectivé. Le deuxième objectif de la médecine narrative est d’aider les soignants à réfléchir à leur métier, qui les confronte à la souffrance et à la mort, et à s’interroger sur le sens du soin en prenant en compte à la fois la souffrance des personnes et les contraintes économiques et relationnelles.

Bien que Rita Sharon ne se réfère pas à Ricoeur et que ceux qu’elle a inspiré connaissent souvent mal ce philosophe, la médecine narrative illustre ce qu’il écrit sur la narration et son herméneutique de soi éclaire même certains aspects de cette pratique » (p 141). L’auteure nous montre comment la médecine narrative rejoint l’approche de Paul Ricoeur. « La médecine narrative suppose en premier lieu de reconnaitre que les patients ont des histoires à raconter. Pour se connaitre et se faire connaitre à autrui, il faut se raconter, mettre en récit sa vie… Cet aspect est consonant avec la phénoménologie herméneutique de Ricoeur et avec son insistance sur le récit en première personne, qui découvre un sujet incarné et toujours situé… En termes ricoeuriens, on dira que la première compétence que la médecine narrative cherche à développer est la capacité de reconnaitre que le patient a besoin d’énoncer les symptômes motivant sa demande de soins, et de raconter une histoire lui permettant d’insérer l’épisode pathologique, qui est toujours vécu comme une rupture de l’unité – une discordance – dans une unité, une série d’évènements – une concordance. En mettant en intrigue les évènements de sa vie et en situant sa maladie à un certain moment de son existence, le récit aide le malade à reconfigurer le temps et à donner du sens à ce qui lui arrive » (p 142).

« La médecine narrative passe par un travail sur les textes des patients… Cette analyse doit aider le soignant à appréhender le désir du narrateur, c’est-à-dire qu’il doit lui permettre de comprendre le sens que le patient donne à sa maladie. Cette manière de procéder évite de faire disparaitre le malade derrière sa maladie et de réduire celle-ci à sa dimension objective (disease) en négligeant sa dimension narrative (illness) » (p 143). Rita Sharon comme Paul Ricoeur critique le positivisme « Non seulement le vécu du malade ne doit pas être éclipsé par une ontologie de l’évènement, mais, de surcroit, la médecine elle-même est un art de l’interprétation… Le choix des traitements et l’accompagnement supposent de s’appuyer sur le vécu du malade et de chercher le sens global qu’il confère à sa maladie. Ainsi la médecine narrative rejoint-elle la phénoménologie herméneutique pour postuler un certain holisme de la compréhension » (p 144). La compétence narrative ne se borne pas à « reconnaitre les histoires des patients, mais aussi à les absorber, les interpréter et être émus par elles ». « Si les récits sont si éclairants, c’est parce que leurs auteurs ne relatent pas seulement des faits, mais décrivent leur vécu » (p 145). Si « le récit est lu au soignant qui va s’en servir comme d’un support pour élaborer avec le patient une démarche thérapeutique », il contribue également à ce que l’identité de la personne puisse se recomposer (p 146).

Cette approche se développe à l’encontre des dérives technicistes de la médecine. « Affirmer que la compétence première du soignant est une compétence narrative vise à répondre aux reproches adressés à la médecine contemporaine qui, en raison de sa haute technicité, tend à devenir impersonnelle et froide. Les contraintes économiques et l’organisation managériale de la santé aggravent ce phénomène. Le défaut d’écoute est compensé par l’inflation technologique et le soin est réduit à une protocolisation souvent déshumanisante (3). Pour briser ce cercle vicieux, la médecine narrative cherche à développer l’empathie, l’écoute attentive, et la capacité à comprendre les malades… Il s’agit de rééquilibrer le système de santé afin que la médecine, qui est une science et un art, et qui passe par la relation entre une équipe de soins et un sujet toujours singulier, soit plus juste et plus efficace » (p 142-143) (4).

 

Récit et politique

Corine Pelluchon aborde également le rôle du récit dans la constitution et l’entretien de l’identité d’une communauté politique. On se reportera à sa démonstration.

« En traitant des implications politiques du récit… Paul Ricoeur évoque Walter Benjamin qui, dans ‘Der erzähler’, publié en 1936, rappelle que l’art de raconter est ‘l’art d’échange des expériences’ et que celles-ci désignent, non l’observation scientifique, mais ‘l’exercice populaire de la sagesse pratique’. Ce texte, brièvement mentionné par Ricoeur est d’une grande pertinence quand on s’interroge sur le lien entre récit et politique » (p 153). Corine Pelluchon nous montre en quoi un manque de récit collectif pertinent engendre un désarroi politique : « Il y a un rapport étroit entre les crispations identitaires et l’impossibilité pour les individus de s’insérer dans un tissu d’expériences qui les précédent et les dépassent en les interprétant sans clore le sens. C’est pourquoi l’herméneutique est essentielle à la démocratie et contient la promesse d’une éthique interculturelle. Toutefois, avant de parler des conditions permettant à une communauté de construire un récit collectif qui ne s’apparente pas à une mystification et corresponde à une identité narrative, qui est par définition dynamique et ouverte aux influences étrangères, il importe d’insister sur une des affirmations principales de ‘Soi-même comme un autre’ : pour ‘rencontrer l’autre sans avoir peur de lui ni chercher à l’écraser, il faut savoir qui l’on est’. Pour ‘avoir en face de soi un autre que soi, il faut être un soi’ » (p 154).

N’en va-t-il pas de même collectivement ? Pour entrer pacifiquement en contact avec l’étranger, un peuple a besoin de se sentir lui-même.

« L’identité narrative implique l’ouverture à autrui comme aux autres cultures, mais cela exige que le noyau créateur d’un peuple qui renvoie aux images et symboles constituant un fonds culturel soit exploré et transmis » (p 154). C’est là aussi qu’une approche herméneutique, un travail d’interprétation et de réinterprétation est nécessaire. « Il ne s’agit pas de sacraliser un noyau éthico-mytique, mais de le soumettre à l’interprétation afin qu’une culture, prenant conscience d’elle-même, libère sa créativité. En l’absence d’un travail herméneutique visant à déchiffrer ces images et symboles qui forment ‘le rêve éveillé d’un groupe historique’, on ne peut rendre hommage à la diversité des cultures et s’y rapporter ‘autrement que par le choc de la conquête et de la domination’ » (p 153).

Cependant, nous dit Corine Pelluchon, l’âge moderne est marqué par le déclin du récit : manque de recul et manque de lien. On se reportera à son analyse inspirée par la réflexion de Walter Benjamin (p 156-159). Tout se tient. La reconnaissance des autres, la reconnaissance de l’étranger va de pair avec la connaissance de soi que ce livre présente en terme d’identité narrative.

« La connaissance de soi offre la capacité à aller vers l’autre, le travail sur les signes et les symboles de sa culture étant à la fois une condition de possibilité de l’accueil de l’autre et de l’hospitalité linguistique et leur conséquence » (p 161).

Voici une réflexion qui nous concerne. Comment nous percevons-nous ? Quel rapport entretenons-nous avec notre passé ? Et en quoi, le récit que nous pouvons en établir nous aide-t-il à déboucher sur un sens et sur un engagement ? Un autre philosophe, Charles Pépin envisage notre rapport avec le passé dans un livre : « Vivre avec son passé. Aller de l’avant » (5) Ainsi écrit-il :

« La question de l’identité personnelle est un des problèmes philosophiques les plus passionnants…. Qu’est-ce qui nous définit en tant qu’individu singulier, nous distingue de tout autre ? Qu’est-ce qui demeure en nous de manière permanente et constitue ainsi le socle de notre identité ? … Si nous nous interrogeons en ce sens, nous sentons bien combien nous pensons notre être, notre personnalité à travers notre histoire personnelle ». Charles Pépin interroge à ce sujet d’autres philosophes, des écrivains. Nous retrouvons là la pensée éclairante de Bergson (6). Ainsi Bergson écrit : « Dans une conférence donnée à Madrid, Henri Bergson synthétise cette idée de ressaisir notre passé pour nous projeter dans l’avenir sous le concept de récapitulation créatrice ». Et, pour notre part, nous aimons la manière dont il envisage un élan vital : « L’élan vital se particularise en chacun de nous… Notre personnalité est plus que la condensation de l’histoire que nous avons vécue depuis notre naissance… Elle est notre identité, mais propulsée vers l’avant, traversée par cette force de vie qui nous pousse à agir, à créer. »

Si nous revenons à la théorie narrative de Paul Ricoeur, à travers le livre de Corine Pelluchon, nous découvrons combien elle est féconde dans un champ très vaste de l’identité personnelle envisagée sous la forme d’identité narrative jusqu’à la médecine et la politique. Voici une approche à même d’éclairer les histoires de vie dont la rédaction s’est multipliée dans les dernières décennies. C’est aussi un apport pour considérer les reconfigurations qui apparaissent dans les témoignages qui abondent aujourd’hui dans le registre chrétien.

J H

 

  1. Les lumières à l’âge du vivant : https://vivreetesperer.com/des-lumieres-a-lage-du-vivant/
  2. Corinne Pelluchon. Paul Ricoeur, philosophe de la reconstruction. Soin, attestation, justice. PUF, 2022
  3. Pistes de résistance face à la montée d’une technocratie deshumanisante : https://vivreetesperer.com/pistes-de-resistance-face-a-la-montee-dune-technocratie-deshumanisante/
  4. Le soin est un humanisme : https://vivreetesperer.com/de-la-vulnerabilite-a-la-sollicitude-et-au-soin/
  5. Mieux vivre avec son passé : https://vivreetesperer.com/mieux-vivre-avec-son-passe/
  6. Bergson, notre contemporain : https://vivreetesperer.com/comment-en-son-temps-le-philosophe-henri-bergson-a-repondu-a-nos-questions-actuelles/