Au sortir de massacres séculaires, vers un âge doux portant la vie contre la mort.
A travers une culture encyclopédique, Michel Serres a développé une pensée créative et originale dans un style imagé. Il ouvre de nouvelles compréhensions plus vastes, plus profondes. Les ouvrages de Michel Serres nous entraînent dans une vision nouvelle du monde. C’est le cas dans son livre : « darwin, bonaparte et le Samaritain. Une philosophie de l’histoire » (1).
En page de couverture, quelques lignes explicitent le titre concernant ce regard nouveau sur l’histoire de l’humanité.
« Darwin raconte l’ouverture de Faune et de Flore. Devenu empereur, Bonaparte, parmi les cadavre sur le champ de bataille, prononça, dit-on, ces mots : « Une nuit de Paris réparera cela ». Quant au Samaritain, il ne cesse, depuis deux mille ans, de se pencher sur la détresse du blessé. Voilà trois personnages qui scandent sous mes yeux, trois âges de l’histoire.
Le premier âge est plus long qu’on ne croit, le deuxième est pire qu’on ne pense, le dernier meilleur qu’on ne dit.
Histoire ou utopie ? Il n’y a pas de philosophie de l’histoire sans un projet, réaliste et utopique. Réaliste : contre toute attente, les statistiques montrent que les hommes pratiquent l’entraide plutôt que la concurrence. Utopique : puisque la paix devint notre souci ainsi que la vie. Tentons de les partager avec le plus grand nombre. Voici un projet aussi réaliste et difficile qu’utopique, possible et enthousiasmant ».
Le livre se répartit en trois parties : « Premier âge, long : le Grand récit. Deuxième âge, dur : trois morts. Troisième âge, doux : trois héros. » et se termine par une réflexion sur « les sens de l’histoire ». Le regard de Michel Serres renouvelle notre vision du passé dans une approche si dense, si riche, si originale qu’elle ne peut être résumée. Nous mettrons l’accent sur l’émergence actuelle d’un nouvel âge, cet « âge doux » évoqué par l’auteur. Et nous commenterons cette prise de conscience.
Le Grand Récit
Au départ, l’auteur montre comment les progrès récents de la science, à travers une capacité nouvelle de dater les phénomènes, nous ouvrent à une mémoire de l’univers, à une mémoire de la terre dans laquelle l’histoire humaine vient s’inscrire. Une nouvelle synthèse peut ainsi s’élaborer. Nous voici en présence d’un « Grand Récit ».
C’est une situation nouvelle. Michel Serres dégage quelques caractéristiques fondamentales de ce temps long. « Le couple énergie-entropie régit le monde physique ; analogue, le couple vie-mort régit le monde vivant » (p 33). Ainsi, dans l’évolution, pendant que la vie irrésistible perpétue son développement, la mort frappe espèces et individus. Dans notre humanité, on observe une évolution analogue. « D’une part, l’énergie et la vie prennent des figures nouvelles comme l’invention et la paix, d’autre part, l’entropie et la mort réapparaissent en guerres et répétitions » et menacent l’existence de l’humanité (p 33).
Cependant, en regard, l’auteur distingue deux formes, deux pratiques : les pratiques dures qui mobilisent des hautes énergies et les pratiques douces qui font appel à des basses énergies, à l’échelle informationnelle. Parallèlement, Michel Serres oppose deux âges : un « âge dur » caractérisé par la violence et par la guerre, et un « âge doux » convivial et inventif en lutte contre la mort.
Un âge dur
Dans son regard sur la plus grande part de l’histoire humaine, Michel Serres fait ressortir les composantes d’un âge dur. C’est la prépondérance de la guerre avec les massacres qui l’accompagnent. Cette importance des conflits militaires ne nous avaient sans doute pas échappé, mais l’auteur éveille en nous une prise de conscience de cette réalité dévastatrice. « Toute notre culture baigne dans le sang versé au cours de violences qui s’enchainent et nous enchainent à la guerre perpétuelle » (p 47). Ainsi a-t-on calculé qu’au cours des derniers millénaires, moins de 10% des années ont été consacrées à la paix, c’est à dire à la vie (p 48). Et l’auteur évoque les massacres tels qu’ils apparaissent dans des textes littéraires comme l’Iliade et se manifestent dans des données chiffrées que nous ignorons bien souvent. Sait-on par exemple que les guerres de la Révolution Française et celles de Napoléon ont engendré la mort d’un million cinq cent mille français plus que le million trois cent mille victimes provoquées par la Première Guerre Mondiale entre 1914 et 1918… (p 79). Dans ce contexte, un culte a été voué à l’héroïsme patriotique. « Chacun doit donner sa vie pour sa patrie » ( p 53). Les religions ont participé à cette idéologie mortifère. Michel Serres nous rappelle les analyses de René Girard. La violence se manifeste jusque dans le sacrifice animal.
L’auteur nous amène également à entrevoir les rapports entre économie et violence. Et il nous invite à réfléchir au phénomène de ladette. « Avoir et Dû : voilà le titre de deux colonnes dans un bilan comptable. « Je dois » signifie à la fois une obligation morale et une dette à restituer » (p 64). Si la dette asservit les gens et les peuples, elle s’exprime aussi en termes religieux. C’est ici que Michel Serres met l’accent sur le pouvoir libérateur de la Passion du Christ. « A partir du Vendredi saint, nous n’aurons plus jamais de vains devoirs, ni de dettes… Ces péchés nous sont remis… » (p 67). Et plus encore, « le caractère intégral de la remise de nos dettes s’efface devant l’annonce triomphale que cesse le règne même de la dette, c’est à dire de la mort…De même que la Résurrection du Christ ne marque pas une vengeance sur ceux qui l’ont tué, mais positivement une victoire sur la mort elle-même » (p 67) ». Il y a là un tournant. Mais, dans un monde dominé par la violence et par la mort, le potentiel de la libération se fraye difficilement un chemin.
Et, de même, dans son inventaire des raisons d’espérer, l’auteur se refuse à croire à une méchanceté irrémédiable de l’homme. Les recherches (2) vont à l’encontre des théories et concepts abstraits prétendant l’homme, en général mauvais, en général, égoïste et violent, incapable d’empathie… En la plupart d’entre nous, une manière d’amour l’emporte sur la haine… l’humain est humain » (p 87).
Pendant des millénaires, la « thanocratie » a prévalu. « Déclinée trois fois dans la religion, longtemps sacrificielle, les armes, létales toujours, et l’économie, exploitant les faibles et blessant le monde, la mort me paraît le moteur de l’histoire » ( p 72). Il a fallu la menace d’anéantissement collectif éveillée par l’usage de la bombe atomique en 1945 à Hiroshima et Nagasaki pour qu’une prise de conscience s’effectue. Mais dans la période sombre qui a précédé, on peut entrevoir un mouvement de libération qui s’est frayé un chemin. Ce mouvement débouche aujourd’hui. Dans cette histoire, Michel Serres, évoque la part du christianisme : « Sa leçon majeure n’enseigne-t-elle pas l’incarnation, l’allégorie vive de la Naissance, enfin la Résurrection, soit une victoire non pas contre nos ennemis, comme pendant le règne de la Mort, mais contre la Mort elle-même ? Par ce rééquilibrage, un tout autre monde semble annoncé, promis, espéré… » (p 77).
Un âge doux
Nous voici aujourd’hui au début d’un nouvel âge : un âge doux. Michel Serres y voit la mise en œuvre de la néguentropie, selon Wikipedia : « Une entropie négative, un facteur d’organisation des systèmes physiques et, éventuellement sociaux et humains, qui s’oppose à la tendance naturelle à la désorganisation ». « Comme la vie produit des individus nouveaux, l’esprit inventif et novateur, effet de la néguentropie, devient source de nouveautés, produit à nouveau de la néguentropie. Puisque celle-là se trouve déjà là ensemencée dans l’Univers et au sein du réseau évolutif, l’âge de l’Esprit, doux par rapport aux hautes énergies, dites entropiques, perdure donc en tous temps, travaillant à se libérer d’un étranglement mortel » (p 92). « L’âge doux, celui des esprits, advient dès que ceux-ci se mettent à lutter contre la mort de manière efficace. Nous y sommes. De même qu’il y eut trois manières de s’entre égorger durement, armée, religieuse, économique, de même l’âge que j’appelle doux se décline de trois manières, portant sur la vie et l’esprit : médicale, pacifique et numérique » (p 93).
Un premier fait est le développement de la médecine et son efficacité accrue. C’est un état d’esprit. « En refusant les lois de la jungle, nos pratiques combattent l’évolution, la sélection naturelle » (p 103). « Il y a deux âges : assassin-victime ; malade-médecin » (p 104). Par sa faiblesse et le fait qu’il détienne, miraculeusement, parmi la violence usuelle, d’être pansé par et parmi les siens, le malade est un personnage emblématique décisif, rare, faible, mourant même, mais producteur d’humanité » (p 103).
Dans cette perspective, la parabole du Samaritain résonne avec une force particulière, comme une injonction révolutionnaire à l’encontre d’un univers de violence. L’émotion nous gagne lorsque nous entendons ces paroles. Michel Serres célèbre la figure du médecin : « Celle qui se penche sur les blessés ; celui qui écoute les plaintes de l’agonie ; celle qui s’incline ; l’attentive qui cherche à comprendre et peut-être guérira…. Non, il ou elle, n’est pas seulement le héros de ce temps, mais sans doute, celle et celui de toute l’histoire » (p 107).
Très concrètement, l’auteur met l’accent sur l’espace de paix qui s’est créé en Europe occidentale après 1945 au sortir d’une guerre dévastatrice. « De 1945 à 2015, comptons soixante-dix ans de paix, laps de temps exceptionnel, inconnu en Europe depuis au moins la guerre de Troie ». Bien sûr, il y a un abcès au Moyen-Orient, mais au total dans le monde, homicides et violences ne cessent de reculer. L’industrie du tabac est bien plus meurtrière que le terrorisme (p 122). On assiste à des changements profonds comme le recul de la peine de mort. « Sortant à peine de l’enfer, nous avons construit une sorte d’utopie dont nous ne pouvons connaître la nouveauté que par comparaison avec ce qui se passe alentour qui ressemble trait pour trait à ce qui se passait chez nous avant cette ère nouvelle ».
Cependant la paix est constamment à maintenir et à construire. L’auteur évoque une figure exemplaire, celle de François de Callières (1645-1717) qui publia un livre décisif : « De la manière de négocier avec les souverains ». Conseiller de Louis XIV, un roi qui ne cessa de faire la guerre – plus de trois cent mille morts- , François de Callières sait de quoi il parle. Il définit le rôle du négociateur : éviter au maximum les conflits. « Tout prince chrétien doit avoir pour maxime principale de n’employer la voie des armes pour soutenir et faire valoir ses droits qu’après avoir tenté et épuisé celle de la raison et de la persuasion (p 126). Promouvoir la paix, c’est aussi construire un vivre ensemble. Michel Serres évoque les réalisations coopératives du « socialisme utopique » qui ont porté du fruit alors que les théories prétendument « scientifiques » du socialisme ont durement échoué. « Pas un seul mort de leur fait, du concret, de la continuité » (p 134). Et aujourd’hui, on peut se réjouir de toutes les réalisations du mouvement associatif. L’auteur nous appelle à prendre en compte, à prendre en charge : « le personnage commun, banal, minuscule, individuel, faible, malade, infirme, virtuel, oui, miraculeux, si délaissé dans son fossé, si oublié dans sa bonté, si concret dans son humilité qu’il passe pour inexistant… » (p 135).
Ainsi, trois sens au terme « doux » : la vie prolongée par le biologiste et le médecin ; la paix nouvelle, mais qui dure, les basses énergies. Voici les trois composantes de l’âge doux » (p 138). Les nouvelles technologies qui ouvrent l’ère du virtuel s’inscrivent dans cet univers de basses énergies. Face aux puissants qui prédominent, face au déploiement de la violence, un texte biblique « prophétise exactement le troisième âge, celui là même que nous vivons aujourd’hui et qui, à l’écart du feu et des hautes énergies, destructrices, cultive les basses, l’information, les signaux, les signes, les paroles… que le tonnerre rend inaudible » : « Il y eut un grand ouragan, si fort qu’il fendait les montagnes et brisait les rochers, en avant de Yahvé, mais Yahvé n’était pas dans l’ouragan…Après le feu, le bruit d’une brise légère. Dès qu’Elie l’entendit, il se voilà le visage avec son manteau, il sortit et se tint à l’entrée de la grotte. Alors une voix lui parvint qui dit… » (I Rois 19, 11-13) (p 139).
En se rappelant les effets démocratiques de l’imprimerie, l’émergence d’internet peut nous émerveiller. C’est là que Michel Serres évoque Petite Poucette, cette jeune fille emblématique des usages révolutionnaires d’internet qu’il a brillamment évoquée dans un précédent livre (3). « Face à l’aristocratie des puissants, des riches, des représentants, le portable dans la paume, Petite Poucette annonce : « Maintenant, tenant en main le monde… ». Elle a accès à tout. Tout lui appartient. « Troisième héroïne de l’âge doux, Petite Poucette monte ainsi sur la plus haute marche du podium, entre le médecin et le négociateur. Elle incarne une nouvelle démocratie du savoir dont l’utopie fait peur aux anciens… » (p 142).
Le paysage de la communication change. Tout se lie, tout se relie. « Il me paraît prévisible que la main du marché devra un jour adapter sa puissance relationnelle à celle, concrète, du monde et, sans doute, s’adapter, voire obéir à sa loi. Nous entrons dans un temps où se joue un « mano a mano » décisif pour notre survie entre l’homme individuel ou global et la planète entière » (p 147).
Quel avenir ?
Nous voyons bien aujourd’hui des menaces s’élever à l’encontre de la civilisation nouvelle en train de grandir (4). Michel Serres est bien conscient de ce danger. « Je ne suis ni sourd, ni aveugle aux forces atroces qui pendant cet âge si court s’opposent à la prégnance neuve de la paix ». Pour faire face aux attitudes passées qui remontent parfois, « nous devons trouver des stratégies propres à notre temps et délaisser celles que nous venons de quitter. Secourir, soigner, partager, négocier, dialoguer, suivre les trois modèles qui nous guident pour vivre dans notre âge… » (p 118).
Cependant, lorsqu’on voit la violence se propager jusque sur internet, on peut s’inquiéter. L’auteur est attentif à ce danger. « Libérer le nombre impose des risques… Combien de temps faut-il pour qu’une multiplicité désordonnée s’organise et forme une communauté d’autant plus nouvelle que ce type de libération, inattendu, n’a aucun équivalent dans le passé ? Peut-on éviter une violence interminable avant de parvenir à une cohésion ? Confirmé par l’advenue du troisième âge où le multiple se libère vraiment, mon utopie espère échapper à cet étau (p 145).
Ce livre ouvre pour nous une compréhension originale de l’histoire humaine. Il met en évidence une dynamique qui suscite l’espérance. Ainsi, Michel Serres nous y parle de survie dans un triple sens :
« Survivre : laisser survivre ou conserver
Survivre : mettre l’accent sur une nouvelle histoire, un nouveau sens de l’histoire
Survivre : vivre mieux que la vie, accéder avec joie à l’esprit.
Créer ces trois survies en compagnie du plus grand nombre possible, voilà le projet aussi réaliste, dangereux, difficile qu’utopique, possible et enthousiasmant » (p 161).
Une vision prophétique
Ces dernières années, le ciel s’est assombri. Des orages éclatent. Mais, comme en toute navigation, il importe de garder le cap. Dans ce temps de crise, on a besoin de ne pas perdre confiance, mais de discerner les courants porteurs, parfois peu visibles et souterrains. « Sans vision, le peuple meurt », nous dit un verset de la Bible (Proverbes 29.18). Le livre de Michel Serres nous communique une telle vision. C’est l’émergence d’un âge doux où la paix l’emporte sur la guerre et la vie sur la mort. Et, si on perçoit bien les menaces envers cette nouvelle manière de vivre, Michel Serres met en valeur la dynamique du processus.
Il se trouve que d’autres chercheurs mettent également en évidence un changement positif intervenu au cours de ces dernières décennies. Ainsi, d’une certaine façon, le livre de JérémieRifkin : « Une nouvelle conscience pour un monde en crise. Vers une civilisation de l’empathie » (5) converge avec le texte de Michel Serres. En effet, à partir d’une rétrospective historique approfondie, Jérémie Rifkin perçoit, dans ces dernières décennies, « la plus grande poussée empathique de l’histoire de l’humanité » . Et d’après la recherche de Ronald Inglehart sur les valeurs dans le monde (World values survey) (6), on enregistre depuis 1981, une évolution, certes diversifiée, mais rapide vers une valorisation de l’expression personnelle et la recherche d’une qualité de vie. Une autre recherche a montré l’expansion du courant des « culturels créatifs » (6) qui valorise ce qu’on pourrait appeler une sobriété heureuse et conviviale.
Jérémie Rifkin nous montre une évolution vers une pacification des esprits. Ainsi rejoint-il Michel Serres sans encourir le reproche qu’on peut parfois faire à celui-ci de présenter une catégorisation trop tranchée entre « âge dur » et « âge doux » . Il est également très attentif au potentiel de changement à travers et dans l’économie.
Dans son analyse, à plusieurs reprises, Michel Serres met en lumière l’incidence du récit évangélique et de la foi qui s’en inspire sur l’évolution des esprits Ces passages nous paraissent particulièrement importants. Au cœur de l’histoire, nous percevons la singularité, l’originalité, le potentiel de vie et d’espérance de cette inspiration. Si, pendant les siècles de l’âge dur, les institutions religieuses ont souvent pactisé avec l’idéologie ambiante, on voit bien ici combien les textes évangéliques ont joué le rôle de ferment. Et, aujourd’hui dans ce livre, ils contribuent à interpréter l’histoire.
Rappelons cette citation : « La leçon majeure du christianisme n’enseigne-t-elle pas l’incarnation, l’allégresse vive de la naissance, enfin la Résurrection, soit une victoire non plus contre les ennemis comme pendant le règne de la Mort, mais contre la Mort elle-même » (p 77).
Ici, Michel Serres est en phase avec Jürgen Moltmann, le théologien de l’espérance . Leurs pensées se rejoignent à plusieurs égards
Engagé très tôt dans une théologie écologique (7), Moltmann inscrit l’histoire de l’humanité dans celle de la nature.
« La nouvelle vision du monde écologique part de l’idée que la terre est notre maison. L’humanité fait partie d’un grand univers en évolution. La terre, notre maison, est vivante avec une communauté de vie singulière… La protection de la vitalité, de la diversité et de la beauté de la terre est une responsabilité sacrée…. Cela rejoint la richesse des traditions bibliques concernant la terre » (8).
Cependant, c’est aussi sur la question de l’attitude vis-à-vis de la mort que la pensée théologique de Moltmann appuie la recherche de Michel Serres. En effet, dans une civilisation dominée par la guerre et par la mort, cet « âge dur » qui nous a été décrit, la religion a pu se résigner dans une acceptation de la mort comme une fatalité, détournée vers une émigration de l’âme vers l’au delà. Au contraire, avec force, Moltmann proclame la lutte contre la mort. « La résurrection du Christ porte le « oui » de Dieu à la vie et son « non » à la mort et suscite nos énergies vitales. Les chrétiens sont des gens qui refusent la mort ( « Protest people against death »)….L’origine de la foi chrétienne est, une fois pour toutes, la victoire de la vie divine sur la mort. « La mort a été engloutie dans la victoire » (1 Corinthiens 15.54). C’est le cœur de l’Evangile. C’est l’Evangile de la vie ».
Et Jürgen Moltmann poursuit : « Cette théologie de la vie doit être le cœur du message chrétien en ce XXIè siècle. Jésus n’a pas fondé une nouvelle religion. Il a apporté une vie nouvelle dans le monde, aussi dans le monde moderne. Ce dont nous avons besoin, c’est une lutte partagée pour la vie, la vie aimée et aimante qui se communique et est partagée, en bref la vie qui vaut d’être vécue dans cet espace vivant et fécond de la terre » (9).
Comme Michel Serres, Jürgen Moltmann porte également attention aux émergences : « L’histoire présente des situations qui contredisent le Royaume de Dieu et sa justice. Nous devons nous y opposer. Mais il existe également des situations qui correspondent au Royaume de Dieu et à sa justice. Nous devons les soutenir et les créer lorsque c’est possible. Il existe ensuite dans le temps présent des paraboles du Royaume futur et nous y voyons ce qui arrivera au jour de Dieu. Nous entrevoyons déjà maintenant quelque chose de la guérison et de la nouvelle création de toutes chose que nous attendons. Nous le traduisons par une attente créatrice… » (10).
Si la vision de Michel Serres est particulièrement originale, elle est aussi en convergences avec la pensée de quelques autres penseurs contemporains. Son livre nous appelle à un regard nouveau. La pensée de Michel Serres nous ouvre à la reconnaissance d’une civilisation nouvelle en train d’apparaître et de s’étendre, cet « âge doux » déjà suffisamment avancé pour que Michel Serres puisse le décrire et le caractériser. Il y a dans ce discernement un aspect prophétique. Michel Serres nous invite à entrer dans une nouvelle manière de vivre.
(2) Lecomte (Jacques). La bonté humaine. Altruisme, empathie, générosité. Odile Jacob, 2012. Mise en perspective sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=674
(4) Menaces multiples et même, menaces de guerres, comme en traite Pierre Servent dans son livre : « Extension du domaine de la guerre » (Robert Laffont, 2016)
(8) « In the fellowship of the earth », p 80-85, in : Jürgen Moltmann. The Living God and the fullness of life. World Council of Churches, 2016. Présentation du livre sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=2413
(10) Moltmann (Jürgen) . De commencements en recommencements. Une dynamique d’espérance. Empreinte temps présent, 2012 (p 115) Présentation sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=572
Et si nous reconnaissions aujourd’hui tout ce que nous avons reçu des autres et qui fait que nous sommes là, vivant, tout ce qui nous a permis de grandir en amour, en joie, en compréhension, en confiance (1). Et si nous exprimions cette reconnaissance dans un mouvement de vie bienfaisant à la fois pour ceux à qui nous l’exprimons, mais aussi pour nous-même. Car au cœur de ce mouvement, il y a une dynamique à la fois personnelle et collective où nous pouvons percevoir l’inspiration de l’Esprit. C’est dire combien il est bon d’entendre parler de gratitude, d’en découvrir la portée et les effets. C’est pourquoi l’intervention de Florence Servan-Schreiber à Ted X Paris sur « le pouvoir de la gratitude », accessible en vidéo sur internet (2) est particulièrement bienvenue. Cet exposé est remarquable parce qu’il allie une compétence de psychologie ayant accès aux meilleures sources et une démarche personnelle exprimée dans un esprit de recherche, de dialogue, de conviction et d’authenticité. Cousine de David Servan-Schreiber (3), un médecin particulièrement innovant, dont en sait l’intelligence et le courage dans sa lutte contre la maladie, Florence s’est formée à la psychologie transpersonnelle en Californie et elle s’inscrit aujourd’hui dans le courant de la psychologie positive à la fois par sa pratique et par ses écrits qui en diffuse les apports auprès du grand public (4). Cependant, dans cet exposé, Florence Servan-Schreiber s’implique personnellement et elle nous décrit comment elle a vécu la découverte de la gratitude, une dimension bien souvent méconnue dans certains contextes culturels.
Florence commence son « talk » en nous parlant de son cousin, David Servan-Schreiber, un jeune psychiatre, qui, à 30 ans, menacé par un cancer au cerveau, « a mobilisé toutes les connaissances, toute son énergie pour essayer de voir comment, dans ces circonstances, il pouvait vivre, non seulement le plus longtemps possible, mais surtout le mieux possible ». On sait qu’en conséquence, il a adopté de nouvelles pratiques de vie. « Mais ce que l’on sait moins, parce qu’il ne l’a pas publié, c’est l’attention qu’il a porté aux détails et aux petites choses de la vie. Jusqu’à son dernier souffle, David a été un phénomène de gratitude ». Ainsi, la gratitude, c’est une disposition extrêmement concrète. « La gratitude, c’est un sentiment de reconnaissance lorsque nous réalisons la saveur ce que nous vivons. C’est, par exemple, un rayon de soleil sur la joue. C’est l’odeur d’un bébé surtout quand c’est le sien… C’est le fait de se déplacer pour vous apprendre des choses… ». Pourquoi David m’a-t-il mis sur la voie de tout cela ? Parce que nous parlions beaucoup de psychologie ensemble. Parce que, aux Etats-Unis, il existe des laboratoires entiers qui étudient les circonstances et les conséquences de la gratitude ».
Ainsi, depuis douze ans, au centre de recherche « Greatergood » de l’Université de Berkeley, Robert Emmons (5) travaille dans le courant de la psychologie positive pour essayer de comprendre, le processus de la gratitude et les effets que cela peut avoir sur nous. Florence nous rapporte les conclusions de ses recherches. « D’abord, sur le plan psychologique, quand nous savons nous émerveiller des petites choses… ne serait-ce que la température qu’il fait dans cette salle, le fait que nous ayons pu arriver à l’heure… ne serait-ce que cela… Et bien, nous nous sentons plus heureux, plus relié aux autres, plus vivants. Ensuite, les bénéfices sur le plan relationnel, sont, en tout premier, de nous sentir beaucoup moins seul parce que la gratitude provient toujours de quelque chose ou de quelqu’un qui est à l’extérieur de nous.C’est un sentiment qui nous rend humble, qui nous donne envie de donner à notre tour ».
Et puis, il y a aussi des conséquences positives sur le plan physiologique. Florence évoque une recherche menée depuis 1986 dans un centre universitaire au Minnesota (USA). Un chercheur a émis l’hypothèse d’un lien entre le fait d’éprouver de la gratitude, de savoir s’émerveiller et la longévité. Mais comment trouver deux populations comparables en tous points, excepté l’attitude à tester ? « Ils ont trouvé dans un couvent où on conserve 150 ans d’archives. La première chose qu’on demande aux jeunes femmes entrant au couvent à l’âge de 20 ans, c’est d’écrire une lettre qui les présente, qui raconte leur vie. Elles refont la même chose à 40 ans et à 70 ans. Et parallèlement, les dossiers médicaux ont été archivés. On a remis ces lettres à des sémanticiens qui étudient la teneur du vocabulaire et on leur a demandé de quantifier la nature des mots qui expriment de l’émerveillement, de l’optimisme et de la gratitude. Et ensuite on a corrélé la densité de gratification de ces femmes avec leur état de santé et la durée de leur vie. On s’est aperçu que plus il y avait de termes qui expriment de la gratitude et de l’émerveillement, plus elles ont vécu longtemps. Et ainsi, on a trouvé un écart de sept ans entre les deux groupes contrastés. Dans des enquêtes menés dans d’autres milieux, on a obtenu les mêmes résultats ».
Cette valorisation du positif n’est pas toujours bien reçue dans certaines formes de culture, en particulier en France. « Moi, je suis née à Paris. J’ai grandi à Paris. Ici, cela ne va pas de soi de parler de ce qui va bien, de ce qui nous émerveille. Mais à force d’avoir fréquenté David, d’avoir lu toute cette documentation, j’ai quand même voulu essayer. Chercheur à l’Université de Pennsylvanie (et leader dans le courant de la psychologie positive), Martin Seligman (6) nous propose une méthode adaptée. Il suffit de repérer dans sa journée trois situations : moments, interactions, goûts, sensations qui vous ont fait du bien et pour lesquelles vous avez envie de dire : « Alors là, merci ! », pour faire progresser son niveau de bonheur d’une façon durable ».
Florence nous raconte comment, rentrée à la maison, elle parle de tout cela à table avec son mari et ses trois enfants qui, à ce moment là, ont entre 8 et 14 ans. « Si on sait repérer 3 kifs (7) dans sa journée, on vivra plus longtemps, on vivra en meilleure santé, on sera plus heureux. On s’est lancé. Ce n’est pas facile pour tout le monde. Notre rapport avec la gratitude est un peu différent. Pour Léon, le plus jeune, c’était très difficile. Mais une des plus grande fierté de maman, c’est qu’aujourd’hui, Léon a 14 ans et qu’il a adopté cette pratique. Il peut vous dire les 3 kifs de sa journée. Quand on fait cela avec les gens qu’on connaît, avec les gens avec lesquels on travaille, il se passe quelque chose de particulier, parce que ce n’est pas un sujet courant de conversation. Si cela vous touche, cela me touche. Il y a une règle. Un kif, cela ne se commande pas, cela ne se critique pas si on le fait publiquement. On écoute les autres et, éventuellement, on peut y ajouter le sien ».
Mais on peut aller plus loin. Si on n’a pas envie de parler, on peut avoir, sur sa table de nuit, un carnet de kifs, un journal degratitude qui permet de tout noter avant de se coucher. Robert Emmons s’est aperçu que si c’est la dernière chose que je fais dans la journée, le sommeil est plus profond, le sommeil est plus long et,
si on souffre de douleurs chroniques, les douleurs se dissipent.
Et ensuite, il y a le niveau suivant. C’est « la lettre de gratitude ». Quand nous sommes habités par un sentiment de reconnaissance, le cerceau ne peut pas éprouver en même temps du ressentiment et de la colère. Pendant un an, je n’ai fait aucun cadeau. Le seul cadeau que j’ai fait pour l’anniversaire de mes amis, c’est de leur écrire une lettre de gratitude. J’ai donc revisité mes relations et je me suis rendu compte de la chance que j’avais. « Si tu n’étais pas dans ma vie, voilà ce que je ne serais pas ». Cela permet de mesurer la profondeur de la relation avec les amis ». On peut aller plus loin encore. « Martin Seligman a suggéré des visites de gratitude. Vous préparez la lettre, vous prenez rendez-vous et vous lisez votre lettre. J’ai écrit une lettre de gratitude à mon mari. Nous sommes ensemble depuis 25 ans. En 25 ans de vie commune, ma liste des reproches est facile à faire. Mais là, il ne s’agit pas de cela. « Si tu n’étais pas dans ma vie, si je ne t’avais pas rencontré ce jour là, voilà ce que je ne serais pas devenu, tout ce qui m’aurait manqué… ».
« Voilà ce quoi cela sert la gratitude. C’est simplement vivre exactement la même vie, mais en mieux. Je ne change pas les personnages. Je ne change pas le décor. Et cela devient extraordinairement utile lorsque cela ne va pas, lorsque la vie ne vous donne pas ce que vous voulez, vous donne le contraire de ce que vous voulez, lorsque le temps que vous avez à passer avec quelqu’un que vous aimez est compté, alors, en appliquant ce filtre là, on réalise, malgré tout cela, la chance que l’on a ».
Le message que nous communique Florence sur « le pouvoir de la gratitude » passe d’autant mieux qu’il est le fruit d’une expérience personnelle et qu’il nous est communiqué avec beaucoup de convivialité, de simplicité et d’authenticité. Ce message parle à notre intelligence, mais il parle aussi à notre cœur.
Les sources citées par Florence Servan-Schreiber s’inscrivent dans le courant de la psychologie positive. Et lorsqu’on va à la rencontre de ces sources sur internet, à travers les personnalités de Roger Emmons (5) et de Martin Seligman (6) et des centres de recherche où ils travaillent, on découvre une approche de recherche qui porte un véritable changement de paradigme en psychologie. Comme le déclare Martin Seligman (6), il s’agit de ne plus se focaliser uniquement sur ce qui ne va pas, mais de prendre en compte également ce qui va pour le mettre en valeur et en tirer des enseignements. Ce développement de la psychologie positive (8), témoigne d’une évolution actuelle dans les mentalités qui rend possible un changement de regard. C’est le passage d’un regard pessimiste sur la nature humaine et peu sensible au potentiel humain à un regard qui met en valeur un processus reconnaissant et développant le positif dans l’existence humaine. Ce mouvement est profond. Dans son livre : « Vers une civilisation de l’empathie » (9), Jérémie Rifkin nous montre comment nous sortons d’une idéologie qui a assombri la psychologie à la prise de conscience d’un potentiel jusque là méconnu. Et ce mouvement commence à se faire sentir en France dans le champ des sciences humaines (10).
Ce changement nous paraît se manifester également dans une transformation profonde qui est en train de s’opérer dans le champ religieux. Comme le fait remarquer la théologienne Lytta Basset, la conception du péché originel, telle que l’a développé Saint Augustin, a assombri le christianisme occidental pendant des siècles en induisant la culpabilisation et la peur. Lytta Basset nous invite à sortir de cette emprise dans un livre : « Oser la bienveillance » (11) qui montre combien celle-ci est au cœur d’un message évangélique bien entendu.
Avec du recul, on comprend mieux ce qui a été et est contesté dans l’héritage religieux traditionnel. Cependant, les idéologies adverses qui ont prospéré, sont, elles aussi, en perte de vitesse. Ainsi, un nouveau regard sur le monde est en train d’apparaître dans une vision holistique. On a pu définir la spiritualité comme « une consciencerelationnelle » qui s’exerce dans le rapport ave soi-même, avec les autres, avec la nature et avec Dieu (12). En christianisme, JürgenMoltmann ouvre des pistes nouvelles dans une théologie de l’Esprit attentive à l’émergence et la présence de Dieu dans l’immanence et une théologie de l’espérance ouverte aux potentialités de l’avenir (13).
Dans un contexte où les anciennes barrières s’affaissent et où une interconnexion s’opère, Martin Seligman s’inspire des valeurs fondamentales ancrées dans les traditions religieuses et spirituelles de l’humanité (6). Parler de la gratitude, c’est s’inscrire dans une inspiration spirituelle qui irrigue les siècles. En termes chrétiens, la gratitude et l’émerveillement se rejoignent à travers les psaumes dans l’expression de notre relation à Dieu. C’est une reconnaissance continuelle. « Mon âme bénis l’Eternel ! N’oublie aucun de ses bienfaits » (Ps 103.2). Il y a des vies qui sont animées par un mouvement de gratitude et d’émerveillement. C’est ce qui apparaît dans le témoignage d’Odile Hassenforder dans son livre : « Sa présence dans ma vie » (14). A travers les épreuves, ce mouvement apparaît constamment comme une présence de vie. « Que c’est bon d’exister, pour admirer, m’émerveiller, adorer. C’est gratuit. Je n’ai qu’à recevoir, en profiter, goûter sans culpabilité, sans besoin de me justifier (Justifier quoi ? de vivre ?). D’un sentiment de reconnaissance jaillit une louange joyeuse, une adoration au créateur de l’univers dont je fais partie, au Dieu qui veut le bonheur de ses créatures… Comme il est écrit dans un psaume : Cette journée est pour moi un sujet de joie. Une joie pleine en sa présence, un plaisir éternel auprès de toi, mon Dieu… Louez l’Eternel, car il est bon. Son amour est infini » (Ps 16.118). La vie est vraiment trop belle pour être triste. Alleluia » (p 174).
Notre commentaire vient témoigner en faveur de l’importance du thème de la gratitude. A travers son expérience personnelle et sa compétence psychologique, Florence Servan-Schreiber nous invite à une découverte, celle d’un mouvement du cœur et de l’esprit qui se révèle bienfaisant pour chacun en nous reliant les uns aux autres.
Jean Hassenforder
(1) Sur ce blog, un poème : « Nos vies dépendent l’une de l’autre » : «… Je tisse le lange de l’être qui naît. Sans lui, rien ne serait… Si tu ne m’avais dit : « avance ». D’autres attendent que tu crées. Rien ne serait… » https://vivreetesperer.com/?p=12
(3) Le parcours de David Servan-Screiber est impressionnant. Une formation originale et créative en psychiatrie et dans le domaine des neurosciences, principalement aux Etats-Unis. Atteint d’un cancer au cerveau au début des années 90, il va expérimenter un ensemble de pratiques innovantes qui vont lui permettre de résister à la maladie pendant 20 ans et qu’il va mettre au service de tous dans un ensemble d’écrits. Une créativité qui se manifeste également à travers des avancées comme l’EMDR. Un article dans Wikipedia rend bien compte de cette exceptionnelle contribution. https://fr.wikipedia.org/wiki/David_Servan-Schreiber
(4) Formée à la psychologie transpersonnelle aux Etats-Unis, Florence Servan-Schreiber développe en France des pratiques innovantes et, par ses activités et ses écrits, elle participe à la diffusion des idées nouvelles. Au cours des dernières années, elle met en valeur les apports de la psychologie positive, notamment à travers plusieurs livres. https://fr.wikipedia.org/wiki/Florence_Servan-Schreiber Voir aussi « L’hyper pouvoir de l’amour. Florence Servan-Schreiber. Vidéo TED X Lille 2015) https://www.youtube.com/watch?v=ES0qIGoXtCA
(5) Robert Emmons est professeur de psychologie à l’Université de Californie et expert mondial dans le domaine de la gratitude. Il travaille au Centre de recherche : « Greater Good The science of a meaningful life ». Ce centre travaille, entre autres, sur des sujets comme l’empathie, la compassion, le pardon, l’émerveillement. Une excellente communication avec de nombreuses vidéos. Une ressource où l’on viendra puiser. http://greatergood.berkeley.edu/topic/empathy
(6) Professeur à l’Université de Pennsylvanie, psychologue éminent, Martin Seligman est pionnier de la psychologie positive. Cette approche scientifique s’appuie notamment sur des « valeurs millénaires dans toutes les traditions du monde : sagesse/connaissance, courage, humanité, justice, tempérance, transcendance ». https://fr.wikipedia.org/wiki/Martin_Seligman Sur Ted, une interview de Martin Seligman sur la psychologie positive : https://www.ted.com/talks/martin_seligman_on_the_state_of_psychology?language=fr
(7) Kif est un mot qui s’est introduit récemment dans le langage courant. « Un « kif » ou « kiff » est une passion, un plaisir personnel ou simplement un moment de bonheur ». Wikipedia nous rapporte l’origine et la popularisation de ce thème. https://fr.wikipedia.org/wiki/Kiffer
(8) Le courant de la psychologie positive est bien présent aujourd’hui en France. On pourra consulter le site : « Psychologie positive » animé par Jacques Lecomte : http://www.psychologie-positive.net
(11) « Bienveillance humaine. Bienveillance divine. Une harmonie qui se répand » (« Oser la bienveillance » par Lytta Basset) https://vivreetesperer.com/?p=1842
Ainsi, une attitude de gratitude et d’émerveillement dans les petites choses : « De petits riens de grande portée. La bienveillance au quotidien » : https://vivreetesperer.com/?p=1849
La gratitude et le bonheur sous un autre aspect :
« Une boite à soleil. Reconnaître les petits bonheurs comme un flux de vie. De l’archéologie de la souffrance à une psychologie des ressources, par Jeannne Siaud Fachin » (TED X Paris Vaugirard Road) : https://vivreetesperer.com/?p=2002
Nous ne pouvons pas ignorer les messages de plus en plus précis et de plus en plus pressants qui annoncent un bouleversement climatique et la ruine de la biodiversité. Mais que faire ? Refuser d’y penser ou au contraire affronter le défi. Ces dernières années, la prise de conscience a grandi et elle a même débouché sur la réussite d’une grande négociation internationale, la COP 21. Mais des mesures techniques suffisent-elles ? Comme tout se tient, nous sommes également appelés à changer de genre de vie, et pour cela, nous devons modifier notre regard et adopter des comportements nouveaux. Nous avons besoin d’y voir plus clair, de découvrir de nouveaux chemins. Un film vient de sortir et répond à cette question.
« Demain » est un film documentaire français réalisé par Cyril Dion et Mélanie Laurent. Devant un futur que les scientifiques annoncent préoccupant, leur film a la particularité de ne pas donner dans la catastrophe » (Wikipedia). En réponse à leurs questions, qui sont aussi les nôtres, les deux jeunes réalisateurs, Cyril et Mélanie, sont partis aux quatre coins de la planète pour trouver les hommes et les femmes qui proposent des solutions à ces problèmes ». Ils ont découvert, et ils nous permettent d découvrir avec aux, qu’un mouvement est déjà en marche pour répondre à ce défi. « Partout, des hommes et des femmes racontent un autre monde qui respecte la nature et les humains, d’autres façons de faire l’agriculture et l’économie, d’autres formes d’éducation et de démocratie… Ces personnes écrivent une nouvelle histoire. Elles nous disent qu’il faut nous bouger maintenant » (1)
Nous voyons ainsi des innovations apparaître et apporter des transformations radicales dans les principaux secteurs de l’activité humaine : l’agriculture, l’énergie, l’économie, la démocratie, l’éducation. Et l’on s’aperçoit qu’un nouvel état d’esprit est en train d’émerger et, qu’en certains lieux, le changement est déjà très avancé.
Cultiver la terre autrement, c’est aussi traduire une attitude nouvelle vis à vis de la nature.
Ainsi, en ville, ressent-on sans doute davantage un manque qui tient à son éloignement. Et la recherche d’un nouveau mode d’accession à la nourriture est une expression de vie. Petite ville anglaise en déshérence dans une région ayant perdu son industrie, Todmorden est devenu le berceau d’une culture de légumes et de fruits au sein même d’une ville. Cette innovation s’est répandue ensuite en Grande-Bretagne et dans le monde. C’est le mouvement des « Incroyables comestibles ». Oui, incroyable, mais vrai !
Et cette vidéo nous présente également les fermes urbaines qui ont commencé à se développer dans la ville américaine de Détroit ruinée par la perte de son industrie automobile. Mais l’apparition des fermes urbaines correspond à un besoin plus général puisque, comme il nous est rappelé, aujourd’hui le phénomène urbain devenant majoritaire, il est bon d’en rapprocher la production de nourriture. Et, en même temps, on prend conscience des dégâts suscités par une agriculture industrielle, grande consommatrice d’énergie et peu protectrice des sols. En fait, elle met à mal les équilibres naturels. Un paradigme opposé est en train de s ‘affirmer : la permaculture qui associe les espèces, régénère les sols et déploie un travail respectueux de la nature. La vidéo nous montre un exemple impressionnant et réjouissant de cette nouvelle forme de culture à la ferme du BecHellouin en Normandie.
On sait aujourd’hui combien la consommation des carburants fossiles dérègle le climat. Ce dérèglement climatique est une grande menace. Or, à nouveau, ce reportage nous apporte une bonne nouvelle. Partout dans le monde, les énergies renouvelables se développent rapidement. Les énergies issues de la biomasse, les dispositifs solaires et éoliens sont aujourd’hui compétitifs. A nouveau, les exemples présentés par cette vidéo de l’Ile de la Réunion à l’Islande sont éloquents. A Copenhague, c’est toute la vile qui se transforme. Car si l’énergie éolienne est une ressource particulièrement efficace au Danemark, dans la ville elle-même, un processus est mis en œuvre pour réduire la consommation d’énergie. Le paysage urbain se modifie en favorisant le développement du vélo et de la marche à pied. La transformation de la vie urbaine apparaît également dans la manière dont la ville de San Francisco parvient à recycler 80% de ses déchets.
A travers ces exemples, on perçoit également l’apparition d’un nouveau genre de vie, plus économe et plus sobre. Et justement, PierreRabhi, paysan philosophe aujourd’hui bien connu, accompagnateur du mouvement Colibris, dénonce l’aberration que représente une croissance économique indéfinie au profit d’une humanité insatiable. Le reportage s’oriente alors vers les prémices d’une nouvelle économie. La vidéo nous présente une entreprise particulièrement innovante à tous égards, et notamment en matière de développement durable : Pocheco. Les réalisateurs mettent également l’accent sur des expériences de monnaie locale qui réduisent l’emprise des banques et encouragent une économie de proximité. Les exemples sont empruntés à la Suisse et à la Grande-Bretagne (Totnes et Bristol).
Mais, les difficultés rencontrées pour développer une nouvelle économie ne tiennent-elles pas, pour une part, à la distance qui s’est installée entre les gouvernants et les gouvernés ? Cette question est abordée, peut-être un peu trop sommairement. Mais, là aussi, des exemples positifs nous sont apportés. C’est l’insurrection non violente des citoyens islandais face à la gestion politique de la banqueroute des banques d’Islande. C’est la république des villages enInde. Ce reportage nous présente l’action concrète d’un maire qui parvient à transformer la vie de sa commune, ce qui implique également un changement dans les mentalités.
Et, bien sûr, cette ®évolution requiert une nouvelle éducation. A cet égard, l’exemple de la Finlande est remarquable. L’enseignement finlandais montre qu’il est possible à la fois d’obtenir d’excellents résultats scolaires dans les classements internationaux et de développer un climat de confiance et de respect qui encourage la réussite de tous les enfants dans la reconnaissance de la diversité de leurs rythmes, de leurs aptitudes et de leurs aspirations. La Finlande met en pratique, à une vaste échelle, ce que les pionniers de l’éducation nouvelle ont expérimenté et formulé.
Le film : « Demain » est en salle depuis le 2 décembre 2015. Et, en quelques mois, il a déjà été vu en France par plus d’un million de spectateurs. C’est dire combien il répond à à un besoin de compréhension et d’action. Et, c’est vrai, face aux menaces, il nous encourage lorsqu’il se conclut sur cette parole : « Si on se rassemble, on a tous le pouvoir de changer le monde ».
Ce film rassemble les pièces d’un puzzle et nous voyons apparaître l’image d’un monde nouveau. Et, il est aussi un fil conducteur. Il nous montre un chemin. On perçoit, dans le déroulement de ce film, un souffle épique. De découverte en découverte, nous éprouvons un sentiment d’émerveillement. Et nous ressentons du bon, du bien et du beau, car ce film ne nous parle pas seulement de découvertes techniques, fondamentalement, il nous montre également une qualité nouvelle de la relation humaine. C’est une émergence. C’est un monde nouveau qui est en train d’apparaître. Et, personnellement, nous voyons, dans cette émergence, l’œuvre de l’Esprit (2).
De nombreux articles parus sur ce blog rejoignent la démarche de ce film (3). Celui-ci est désormais accessible en DVD (4). C’est un bel outil pour encourager la prise de conscience qui est aujourd’hui engagée.
J H
(1) Co-produit par le mouvement Colibris, le film « Demain » a reçu le César du meilleur film documentaire. Voir aussi le livre de Cyril Dion sur le même thème : Demain. Un nouveau monde en marche. Actes Sud, Domaine du possible, 2015. Site du film « Demain ». Bande-annonce : http://www.demain-lefilm.com
(2) « L’ « essence » de la création dans l’Esprit est la « collaboration », et les structures manifestent la présence de l’Esprit, dans la mesure où elles font connaître l’ « accord général ». « Au commencement était la relation » (M Buber) Jürgen Moltmann. Dieu dans la création p 25 Un blog sur la pensée théologique de Moltmann : « L’Esprit qui donne la vie » : http://www.lespritquidonnelavie.com
Éclairages apportés par la pensée de Jürgen Moltmann
Dans son livre : « The living God and the fullness of life » (Le Dieu vivant et la plénitude de vie » (1), Jürgen Moltmann nous parle de la puissance de vie, active dans le message du Christ qui se déclare « La résurrection et la vie », une force présente chez les premiers chrétiens et qui peut tout autant se déployer dans le monde d’aujourd’hui. Jürgen Moltmann exprime également une vision du monde en ce sens. Voici, à ce sujet, quelques brefs extraits de son livre, que, sans expertise d’une traduction professionnelle, nous avons rapporté en français, en espérant que ce livre sera bientôt traduit et publié dans notre langue. En lisant ces passages, on se reportera au texte anglais.
Le livre de Jürgen Moltmann est très riche et très dense. Ces quelques passages ne sont pas représentatifs de l’ensemble. Simplement, ils ont été retenus ici comme une invitation à la réflexion et à la méditation.
J H
Dieu vivant, Dieu trinitaire
Le Dieu vivant ne peut être nul autre que le Dieu trinitaire. Le Dieu trinitaire vit une vie éternelle comme un amour mutuel au sein de Dieu. L’histoire du Christ est son histoire de vie pour nous, parmi nous et avec nous. Dans l’Histoire du Christ, sa vie éternelle absorbe en elle notre vie finie. Et, ceci étant, cette vie mortelle est alors déjà une vie éternelle. Nous vivons dans sa vie éternelle même quand nous mourrons. (p 69)
Plus forte est la résurrection
Pourquoi le christianisme est-il uniquement une religion de la joie, bien qu’en son centre, il y a la souffrance et la mort du Christ sur la croix ? C’est parce que, derrière Golgotha, il y a le soleil du monde de la résurrection, parce que le crucifié est apparu sur terre dans le rayonnement de la vie divine éternelle, parce qu’en lui, la nouvelle création éternelle du monde commence. L’apôtre Paul exprime cela avec sa logique du « combien plus ». « Là où le péché est puissant, combien plus la grâce est-elle puissante ! » (Romains 5.20). « Car le Christ est mort, mais combien plus il est ressuscité » (Romains 8.34. Trad. de l’auteur). Voilà pourquoi les peines seront transformées en joies et la vie mortelle sera absorbée dans une vie qui est éternelle.
« Tout ce qui venait de la souffrance s’évanouissait rapidement
Et ce que mon oreille entendait n’était rien d’autre qu’un chant de louange » ( Werner Bergengruen) (p 100-101).
La vie éternelle nous est donnée
Si nous cessons de considérer la fin temporelle de la vie humaine, mais à la place, regardons à son commencement éternel, alors la vie humaine est entourée et acceptée par le divin et le fini fait partie de l’infini. Cette vie actuelle, cette vie joyeuse et douloureuse, aimée et souffrante, réussie et infructueuse, est vie éternelle. Dieu a accepté cette vie humaine et l’a interpénétrée, réconciliée et guérie, qualifiée en immortalité. Nous ne vivons pas seulement une vie terrestre et, pas seulement une vie humaine, mais simultanément, nous vivons aussi une vie qui est divine, éternelle et infinie.
« Celui qui croit a la vie éternelle » (Jean 6.47). Mais ce n’est pas la foi humaine qui acquiert la vie éternelle. La vie éternelle est donnée par Dieu. Elle est présente dans chaque personne humaine, mais c’est le croyant qui la perçoit. On la reconnaît objectivement et on l’absorbe subjectivement comme vérité dans sa propre vie. La foi est la joie dans la plénitude divine de la vie. Cette participation à la vie divine présuppose deux mouvements qui traversent les frontières : l’incarnation de Dieu dans cette vie humaine, et la transcendance de la vie humaine dans la vie divine. (p 73-74)
Dieu présent et proche
La foi chrétienne n’est pas tournée vers un Dieu lointain, mais elle se vit dans la présence de Dieu qui nous entoure de tous côtés.
« Tu m’entoures par derrière et par devant. Tu mets ta main sur moi. Une science aussi merveilleuse est au dessus de ma portée. Elle est trop élevée pour que je puisse la saisir » (Psaume 139. 5-6). Il est vrai que nous ne pouvons voir Dieu. Cependant, ce n’est pas parce que Dieu est si loin, mais parce qu’il est si près… « Dieu est plus près de nous que nous ne pouvons l’être de nous-même », déclare Augustin. « En lui, nous avons la vie, le mouvement et l’être » (Actes 17.28).
Mais cela n’est pas seulement vrai pour nous-même. Cela s’applique à tout ce que Dieu a créé. Il n’y a rien là dedans qui échappe à la présence de Dieu. Nulle part, nous ne pourrions ne pas rencontrer Dieu. En conséquence, nous rencontrerons toute chose avec révérence… Alors nous voyons toute chose dans la présence de Dieu et la présence de Dieu en toute chose…
Au moment où nous croyons cela, une spiritualité cosmique commence. Nous commençons à voir toute chose avec étonnement et nous sommes saisis par une profonde révérence envers la vie… Dieu nous attend en toute chose qu’Il a créée et nous parle à travers elles. Celui qui a des yeux pour voir le voit. Celui qui a des oreilles pour entendre l’entend. La création entière est un grand et merveilleux sacrement de la présence de Dieu qui y réside. (p 170-171)
Marcher dans l’espérance
L’espérance ne signifie pas se fixer sur l’attente d’un temps meilleur dans le futur. C’est une attente tendue vers le jour nouveau. L’espoir d’une vie en plénitude nous rend curieux et ouvre nos sens à ce qui vient nous rencontrer. En vertu de cette espérance, nous sommes ouverts à l’étonnement et nous nous ouvrons à l’émerveillement à chaque nouvelle journée. Nous nous éveillons parce que nous savons que nous sommes attendus. Dans la force de l’espérance, nous ne capitulons pas face à la puissance de la mort, de l’humiliation et de la déception. Nous poursuivons la tête haute parce que nous voyons au delà du jour actuel. La personne qui abandonne l’espoir dans la vie et se désespère se tient aux portes de l’enfer au sujet duquel Dante a écrit : « Abandonnez toute espérance, vous qui entrez ici ». La personne qui garde l’espoir dans la vie est déjà sauvée. Cette espérance la garde en vie. Cette espérance la rend capable de vivre à nouveau. (p 169)
Une vision du futur
L’espérance eschatologique appelle le futur de Dieu « qui est à venir » (Apocalypse 1.4) dans le présent, qualifiant ainsi le présent pour être un présent de ce futur, en conformité avec le Christ, « Celui qui est venu dans ce monde » comme l’exprime la confession de foi de Marthe (Jean 11.27). La proclamation de l’Evangile aux pauvres, la guérison des malades par Jésus, et les béatitudes du Sermon sur la montagne sont des signes de la présence du futur de Dieu dans ce monde. « Le royaume de Dieu est au milieu de vous ».
D’autre part, l’espérance eschatologique ouvre chaque présent au futur de Dieu. « Portes, relevez vos linteaux ; haussez-vous, portails éternels pour que le grand roi fasse son entrée. » (Psaume 24.7).
On imagine que cela puisse trouver sa résonance dans une société ouverte au futur. Les sociétés fermées rompent la communication avec les autres sociétés. Les sociétés fermées s’enrichissent au dépens des sociétés à venir. Les sociétés ouvertes sont participatives et elles anticipent. Elles voient leur futur dans le futur de Dieu, le futur de la vie et le futur de la création éternelle…
La vie dans la joie est déjà une anticipation de la vie éternelle. La bonne vie est déjà le commencement d’une vie rayonnante là-bas. La plénitude de la vie ici pointe au delà d’elle-même à la plénitude de la vie là-bas. Dans la joie, en perspective de ce qui est espéré dans le futur, nous vivons ici et maintenant, nous pleurons avec ceux qui pleurent et nous nous réjouissons avec ceux qui se réjouissent (Romains 12.15). La vie dans l’espérance n’est pas une vie à moitié sous condition. C’est une vie pleine qui s’éveille aux couleurs de l’aube de la vie éternelle. (p 189-190)
Liberté : une attente créatrice
Si la foi chrétienne est une foi en la résurrection, alors elle est tournée vers l’avenir et peut être énoncée comme la passion créatrice pour une vie future éternellement vivante. Ainsi elle transcende les limitations du présent et elle traverse la réalité actuelle pour entrer dans les potentialités de l’avenir…
L’espérance chrétienne n’est pas une simple attente ou le fait d’ « attendre et voir ». C’est une attente créatrice des choses que Dieu a promis par la résurrection du Christ. Ceux qui attendent quelque chose avec passion se préparent à cette intention, eux et leur communauté. Dans cette préparation, le chemin de Celui qui vient est préparé à travers des essais pour correspondre à ce qui est anticipé, avec toutes les capacités et les potentialités dont on dispose.
Ces correspondances avec l’avenir que Dieu a promis, sont des anticipations du futur. La personne qui espère un monde de liberté désirera ici et maintenant une libération par rapport à la répression politique et l’exploitation économique…La personne qui espère une vie éternellement vivante, sera déjà saisie, ici et maintenant, par cette vie « unique, éternelle et rayonnante » et rendra la vie vivante partout où elle peut. La liberté n’est pas une conscience de la nécessité (« Insight into necessity »), c’est une conscience de la potentialité (« insight into potentiality »). La liberté n’est pas une harmonie des formes actuelles de pouvoir. C’est leur harmonisation avec ce qui est à venir, comme l’annonce le prophète Esaïe : « Lève toi. Sois éclairée, car ta lumière arrive. Et la gloire de l’Eternel se lève sur toi » (Esaïe 60.1). (p 115)
Prier en liberté
Jürgen Moltmann évoque diverses attitudes corporelles mises en œuvre dans certains milieux pour la prière (s’agenouiller, courber la tête, fermer les yeux) dont il s’interroge sur le conception de Dieu et du rapport à lui qu’elles expriment. En regard, il décrit l’attitude des premiers chrétiens.
Nous découvrons une attitude d’adoration complètement différente parmi les premiers chrétiens tels qu’ils sont décrits dans les catacombes de Rome et de Naples. Ils se tiennent droits avec la tête levée et les yeux ouverts. Leurs bras sont étendus, leurs mains ouvertes et tournées vers le haut (1Timothée 2.8). C’est une attitude qui dénote une grande attente et une ouverture à embrasser l’autre avec amour. Ceux qui s’ouvrent à Dieu de cette manière sont manifestement des hommes et des femmes libres… Cette attitude était traditionnellement utilisée dans les prières pour la venue de l’Esprit Saint. C’est l’attitude des prêtres orthodoxes dans l’épiclèse de l’Esprit. Le mouvement pentecôtiste moderne l’a adoptée dans son culte. Cela devient aussi l’attitude des personnes qui sont remplies par une espérance messianique et qui font face aux incertitudes de leur temps. « Redressez-vous et relevez la tête parce que votre délivrance approche » (Luc 21.28).
Dans le Nouveau Testament, prier n’est jamais mentionné d’une façon isolée, mais toujours en lien avec : observer, faire attention : « observer et prier » (« watch and pray »). Aussi, en termes métaphoriques, prier n’est jamais tourné seulement vers le haut, mais toujours en même temps dans un regard en avant. Ici, Dieu n’est pas craint comme celui qui a le pouvoir suprême, mais il est perçu comme le grand espace (« broad place ») dans lequel une personne entre en prière et peut se développer (Psaume 31.8 et 18.19). La première attitude chrétienne dans l’adoration et la prière montre que le christianisme est, dans sa forme sensorielle, une religion de liberté. La posture debout devant Dieu est étonnante et incomparable. Les personnes qui prient, prient alors dans un esprit qui s’appelle : liberté. C’est la liberté en Dieu. (p 203)
La foi, participation à la puissance créatrice de Dieu
Dans la foi chrétienne, la liberté ne signifie pas la conscience de la nécessité (« Insight into necessity »), ni un pouvoir indépendant et souverain de l’individu sur lui-même et ses capacité. Juste comme la foi d’Israël est ancrée dans le Dieu de l’Exode, la foi chrétienne est ancrée dans la résurrection du Christ. A travers la foi, hommes et femmes prennent conscience de leur libération et entrent dans le vaste espace divin. A travers la foi, ils participent à la puissance créatrice de Dieu. « A Dieu, tout est possible » (Mat 19.26). Car « Tout est possible à celui qui croit » (Marc 9.23). La personne qui fait confiance à un Dieu qui libère et ressuscite des morts, participe à travers l’Esprit de Dieu à l’abondance des potentialités de Dieu. Paul met cela en évidence à partir de l’exemple d’Abraham qu’il décrit comme un modèle pour une vie vécue dans la foi. « Il est notre père devant Dieu auquel il a cru, le Dieu qui rend la vie aux morts et fait exister ce qui n’existait pas… Il crut, espérant contre toute espérance » (Romains 4.16-18). Face au non être, la liberté de Dieu se révèle une puissance créatrice, et, en face de la mort, elle se montre une force qui donne la vie… Dans la foi, les êtres humains correspondent au Dieu créateur, au Dieu qui donne la vie, et, dans le respect de Dieu, participent aux énergies divines. Cela va bien au delà des limites de ce qui paraît humainement possible, comme l’indique la parole : « Tout est possible à celui qui croit ». Dans leur liberté limitée, empreinte de finitude, les êtres humains découvrent en Dieu des possibilités insondables. Ainsi la liberté de l’homme ne peut être limitée par Dieu, mais, dans le nom de Dieu, elle se révèle sans limites. (p 108)
(1) Moltmann (Jürgen). The living God and the fullness of life. World Council of Churches publications, 2016
Sur ce blog, voir aussi : « Dieu vivant, Dieu présent, Dieu avec nous dans un monde où tout se tient » : https://vivreetesperer.com/?p=2267
Aujourd’hui, nous savons que la terre est menacée. C’est le changement climatique et le recul de la biodiversité. Et nous, nous prenons conscience de tout ce que nous recevons de la nature, une symbiose elle aussi en danger. En regard, à travers de multiples organisations, un puissant mouvement écologique est apparu. Les états entrent peu à peu dans cette mobilisation pour ce qu’on peut appeler la sauvegarde de l’humanité. Nous sommes tous concernés. C’est un appel pressant à changer de genre de vie. L’agriculture est particulièrement concernée. Au cours des dernières décennies, elle a été entrainée dans une escalade productiviste en rupture avec une relation équilibrée et durable avec l’environnement naturel. En regard, on a pu observer un engagement militant dans une manière nouvelle de vivre et de cultiver la terre. Cette approche est illustrée notamment par la grande figure de Pierre Rabhi. On assiste par ailleurs à l’invention de nouvelles pratiques qui allient efficacité accrue et respect de la nature. C’est un lieu d’innovation, c’est un front pionnier qui attire de nouveaux acteurs à la recherche d’une vie plus proche de la nature.
Ce courant est porteur d’espérance et il nous a par utile d’en faire mention sur ce blog. Nous avons déjà décrit l’apparition et le développement des « Incroyables comestibles » en France (1). Un ami engagé dans un « Jardin de Cocagne » (2), nous a récemment fait connaître cette belle innovation. Aujourd’hui, nous découvrons une nouvelle manière de cultiver la terre en harmonie avec l’environnement naturel. Ces initiatives innovantes sont « des fermes d’avenir ». Elles apparaissent et se développent dans des formes diverses selon la personnalité des intervenants et les caractéristiques de l’environnement.
La ferme biologique du Bec Hellouin
En naviguant sur le web, une expérience s’impose, celle de la ferme biologique du Bec Hellouin en Normandie. Cette réalisation est le fruit d’un itinéraire singulier. Au début des années 2000, Perrine etCharles Hervé-Gruyer s’installent en ce lieu avec le désir d’y vivre une vie de famille. Au départ, pour assurer leur subsistance alimentaire, ils s’engagent progressivement dans une aventure agricole, découvrent en 2008 la permaculture et, à partir de là, développent une microagriculture intensive en s’inspirant à la fois de pratiques ancestrales et de recherches innovantes .
Aujourd’hui, « la ferme biologique du Bec Hellouin est une ferme expérimentale fonctionnant selon les principes de la permaculture… Nous mettons en pratique un ensemble de solutions inspirées du fonctionnement des écosystèmes naturels, qui permettent de produire en abondance des fruits et des légumes sains : cultiver en buttes, agroforesterie, cultures associées, traction animale… La production maraichère de la ferme est plusieurs fois supérieure à la moyenne nationale par unité de surface, pratiquement sans recours aux énergies fossiles… L’herbage, situé en zone protégée Nature 2000, où nous avons créé les jardins, est devenue une oasis de vie où se côtoient un grand nombre d’espèces végétales et animales : 800 végétaux différents environ sont cultivés sur la ferme. Les deux iles-jardins, le jardin mandala, les mares, la foret nourricière, les vergers forment un agro-écosystème hautement productif et durable » .
Depuis fin 2011, la ferme du Bec Hellouin est engagée dans un programme de recherche avec l’INRA (Institut national de recherche agronomique) et AgroParis Tech. Elle met en oeuvre également un programme de formation. (3) Il y a là une belle dynamique que Perrine et Charles Hervé-Gruyer nous communiquent dans une vidéo (4).
Une approche holistique : la permaculture
Cette entreprise innovante s’inspire d’une vision évoquée par le terme de permaculture. Différentes définitions ont été proposées pour décrire cette approche. Nous reprenons ici la présentation qu’en donne Perrine et Charles Hervé-Gruyer, eux-mêmes auteurs d’un livre sur la permaculture.
« Créée dans les années 90 en Australie par Bill Molisson et David Holmgren, la permaculture est un système conceptuel inspiré du fonctionnement de la nature. Depuis des centaines de millions d’années, la nature crée des écosystèmes harmonieux et durables, qui génèrent eux-mêmes les conditions favorables au développement de formes de vie plus évoluées. Permaculture signifiait, à l’origine, agriculture permanente, puis le concept s’est élargi pour devenir culture permanente dans le sens de durable.
L’être humain, particulièrement en Occident, durant les derniers siècles, artificialise les écosystèmes et s’impose de ce fait l’obligation de devoir compenser par son travail et par des entrants les fonctions remplies naturellement par le vivant… La permaculture cherche à concevoir des installations harmonieuses, durables, résilientes, économes en travail comme en énergie, à l’instar des systèmes naturels. Son concept de design repose sur un principe essentiel : positionner au mieux chaque élément de manière à ce qu’il puisse agir positivement avec les autres…
La permaculture repose sur trois principes : prendre soin de la terre, prendre soin des hommes, partager équitablement les ressources. La permaculture a un objet large : elle intègre l’agro-écologie, la construction écologique, les énergies renouvelables… dans une vision pragmatique et souple pouvant être adaptée à chaque territoire, aux besoins et aux aspirations de chaque personne ou communauté.
A la ferme du Bec Hellouin, nous étudions particulièrement les adaptations de la permaculture à l’agriculture biologique. Contrairement à une idée trop répandue, la permaculture n’est pas un ensemble de techniques de jardinage, mais bien un système conceptuel. Ces applications sont toutefois particulièrement pertinentes dans le domaine de la production agricole. La permaculture permet de concevoir des agro-systèmes tout à la fois harmonieux, durables, économes et productifs ».
Fermes d’avenir
On constate aujourd’hui que la vision éthique d’une activité humaine en phase avec la nature inspire beaucoup de gens et suscite un attrait pour de nouvelles formes de travail agricole. Dans un monde troublé, on peut y voir un désir d’enracinement. Ainsi, de nouvelles initiatives apparaissent comme celle des « fermes d’avenir.
Une association s’est créée pour favoriser le développement de ces fermes (5). Quelle est la vision de cette association ?
« Nous souhaitons donner au plus grand nombre l’envie et les moyens de lancer leur propre projet agricole, écologique et rentable. Notre démarche touchera en particulier les agriculteurs souhaitant effectuer leur transition, les citadins souhaitant lancer une activité de maraichage et les propriétaires fonciers soucieux de valoriser une partie de leurs terres… L’objectif primordial est de montrer qu’il est possible, sur un hectare, de créer un emploi pérenne de maraichage biologique…Dans un premier temps, notre défi est donc de créer une microferme exemplaire en maraichage, s’inspirant de la permaculture et de l’ensemble des techniques efficaces de l’agro-écologie…L’association Fermes d’avenir s’est développée autour d’un projet fondateur : la création de la microferme expérimentale de la Bourdaisière (37). Mais, au demeurant, de nombreuses fermes partout en France sont engagées dans une démarche exemplaire respectant la terre, respectant les hommes et imprégnée d’une forte dimension éthique ».
Action pionnière : Maxime de Rostolan
Dans ce mouvement, les itinéraires des acteurs sont significatifs. C’est le cas pour Maxime de Rostolan, fondateur et dirigeant de l’association « Fermes d’avenir ». « Ingénieur chimiste de formation, Maxime de Rostolan, son diplôme en poche, s’intéresse au traitement de l’eau et s’engage alors dans un tour du monde afin de sensibiliser le public à cette question. A son retour dans l’hexagone, il se passionne pour la biomimétisme et crée l’association : « Biomecry France » qui encourage les entreprises à transformer leurs produits et métiers en s’inspirant de la nature. Il planche ensuite sur le financement participatif et lance « Blue Bees », une plateforme dédiée aux projets d’agriculture et d’écologie. Aujourd’hui, Maxime dirige « Fermes d’avenir ». Son nouveau défi : déployer un modèle agricole écologique et rentable à grande échelle ».
Maxime de Rostolan nous parle de son projet dans un exposé (vidéo) lors d’un colloque Ted X à Tours (6). « Depuis que j’ai vingt ans, j’essaie de trouver des solutions pour changer le monde… A force de chercher, j’ai découvert qu’il existe un partenaire de choix : le laboratoire du vivant ». Effectivement, on peut s’inspirer de la nature comme nous l’enseigne le biomimétisme. Maxime a pris conscience de l’impasse où se trouve aujourd’hui l’agriculture classique qui abuse de la mécanisation et des produits chimiques. « En 50 ans, on a divisé par 25, notre efficacité énergétique pour produire de l’alimentation ». Maxime se réfère lui aussi à la vision nouvelle ouverte par la permaculture. En 2010, il en découvre les potentialités à la ferme du Bec Hellouin.
Mais comment déployer ce type de ferme sur le territoire ? Les chercheurs de l’INRA sont intéressés par la possibilité de suivre une ferme de ce genre en phase d’installation. Maxime va donc se lancer dans l’innovation. Il se forme en conséquence et il s’engage dans le développement d’une ferme expérimentale de 1 ha 4, la ferme de la Bourdaisière à Montlouis sur Loire. Premier objectif : fournir les données correspondantes aux chercheurs de l’INRA. Deuxième objectif : créer une boite à outils qui permette à toute personne qui le souhaite de reproduire cette expérience. Troisième objectif : évaluer les services écosystémiques rendus par ce type d’agriculture : préserver la diversité, entretenir la qualité de l’eau, favoriser le paysage, créer une dynamique sur les territoires… ». Dans cet entretien en 2015, Maxime de Rostolan nous dit que depuis un an et demi, l’objectif a été tenu. « La nature est généreuse ! ». Et il a découvert un métier dans lequel il se trouve à l’aise.
Manifestement, les fermes d’avenir ouvrent une voie nouvelle en permettant à de nombreux acteurs de s’engager dans ce nouveau métier. « C’est une triste chose de songer que la nature parle et que l’homme n’écoute pas » a écrit Victor Hugo. Aujourd’hui, ce constat est battu en brèche. La permaculture témoigne d’une vision nouvelle qui est en train de se communiquer et de se répandre. De la ferme du Bec Hellouin à celle de la Bourdaisière, un puissant mouvement d’innovation apparaît et porte une nouvelle conception des rapports entre l’homme et la nature. C’est une nouvelle éthique.
J H
(1) « Incroyable, mais vrai ! Comment « Les incroyables comestibles » se sont développés en France » : https://vivreetesperer.com/?p=2177
(3) Le site de la ferme du Bec Hellouin ne présente pas seulement les activités de la ferme, mais aussi les principes de la permaculture et de l’agroécologie : http://www.fermedubec.com
(4) Histoire et présentation de la ferme du Bec Hellouin par les créateurs : Perrine et Charles Hervé-Gruyer. Cette vidéo montre concrètement les différents visages de la ferme et exprime l’inspiration de cette innovation : https://www.youtube.com/watch?v=5w3VqluGfGY