En lutte pour l’autonomie alimentaire dans une ville africaine : Bangui

https://oubanguimedias.com/wp-content/uploads/2021/05/184146193_1969286729889465_5214458422780581924_n-912x640.jpgInterview de Rodolphe Gozegba

Docteur en théologie après la soutenance d’une thèse sur Jürgen Moltmann, un pionnier de la théologie écologique, Rodolphe Gozegba est rentré dans son pays, la Centrafrique, en décembre 2020. Avec une association déjà à l’œuvre : A9, il a immédiatement commencé à entreprendre une action de sensibilisation pour la  réalisation d’une autonomie alimentaire dans la ville de Bangui. Rodolphe répond ici à quelques questions.

A quels besoins, le développement de l’autonomie alimentaire à Bangui répond-il ?

Tout d’abord je voudrais vous remercier pour l’intérêt que vous portez à mon pays la Centrafrique, qui est en souffrance depuis de nombreuses années. Mais au début de l’année 2021, celle-ci s’est encore exacerbée. Par la coupure en raison de conflits politiques de la route d’approvisionnement venant du Cameroun et du Tchad, le pays et surtout la capitale Bangui ont frôlé la famine. La capitale ne recevait plus de denrées même essentielles. Sa dépendance alimentaire vis-à-vis de l’extérieur devenait flagrante.

L’association A9 dont l’objectif est d’améliorer la vie quotidienne des Centrafricains par la réalisation de 9 actions à plus ou moins long terme a décidé de commencer par cette première action d’urgence : permettre à la capitale puis au pays tout entier d’acquérir son autonomie alimentaire. Cette première opération est intitulée «  Nourris ta ville en 90 jours ».

Quel accueil cette action a-t-elle rencontré et rencontre-t-elle aujourd’hui?

L’association A9 a été lancée officiellement dans la capitale de Bangui le 23 avril 2021, sous le parrainage de la Mairie de Bangui. Je profite d’ailleurs de la présente pour adresser encore mes plus vifs remerciements à monsieur le Maire et à tout le Conseil municipal pour l’accueil chaleureux et efficient qu’ils nous ont réservé.

Durant cette journée, nous avons présenté les objectifs de l’association et avons explicité devant nombre de journalistes et de personnes à haute responsabilité des domaines publics ou privés l’opération « Nourris ta ville en 90 jours ».

Le projet a fait l’objet d’un très bon accueil, d’autant plus qu’il coïncide avec les préoccupations actuelles de la mairie de Bangui et du gouvernement.

Après un premier travail de sensibilisation, dans quelle étape expérimentale, cette action entre-t-elle aujourd’hui?

Comme vous l’avez compris, les autorités locales, à travers la Marie de Bangui, approuvent le projet et appuient l’initiative d’A9.

Il nous appartient maintenant d’engager concrètement cette action en nous tournant vers les habitants de la capitale. Il est essentiel que ceux-ci se sentent concernés et s’investissent dans la réalisation effective de cette opération.

Pour ce faire, A9 va organiser arrondissement par arrondissement (Bangui compte au total 8 arrondissements) la sensibilisation des Banguissois pour les inciter à mettre en culture les lopins de terre à côté de leur maison qui sont actuellement pour l’essentiel d’entre eux laissés inexploités.

Le travail de A9 va s’étaler sur plusieurs mois où elle devra être disponible pour former, répondre aux questions, encourager, motiver de nouveaux adhérents, organiser des évènements valorisant le travail accompli (concours du plus beau jardin, du plus beau légume, concours de dessin, création d’un marché permettant la vente du surplus de récolte…).

A9 souhaite aussi distribuer des graines aux adhérents à titre d’encouragement et même des outils, tels une bêche ou une houe, à ceux qui sont trop pauvres pour l’acquérir par leurs propres moyens.

A cet effet, A9 a déjà lancé récemment par radio un appel au don d’outil et est en attente des résultats.

Dans quel esprit, cette campagne se déroule-t-elle?

Cette opération doit être perçue comme essentielle. Elle va permettre aux Banguissois d’acquérir leur autonomie alimentaire et de ne plus être dépendants de l’extérieur pour se nourrir. Elle va aussi jouer un grand rôle économique dans la mesure où cette agriculture urbaine – pour lui donner le nom qu’elle mérite – peut non seulement nourrir une population qui parfois n’a les moyens que de manger une fois par jour, mais aussi créer des emplois ou en tous cas donner un complément de revenus.

Nous espérons beaucoup pouvoir toucher les jeunes personnes (jeunes femmes et jeunes hommes) souvent sans travail, faute d’en trouver, et de leur permettre ainsi de se créer une source de revenus dont ils pourront être fiers.

Dans ces débuts, une phase évidemment difficile, comment envisager un soutien de cette action à l’échelle internationale?

Vous le savez, la réalité est toujours là ! Tout projet aussi magnifique soit-il, aussi primordial surtout soit-il, nécessite de l’argent. A9 a investi jusqu’à présent ses fonds propres, ceux qui lui ont été confiés par ses membres de la première heure. Mais le projet est tellement vaste que toute aide sera la bienvenue : plus nous serons nombreux à croire en ce projet, et à y travailler, plus vite il pourra avancer et donner de fruits rapidement.

Interview de Rodolphe Gozegba
par Jean Hassenforder

 

Voir aussi sur Vivre et espérer

En route pour l’autonomie alimentaire
https://vivreetesperer.com/en-route-pour-lautonomie-alimentaire/
Et un article de Rodolphe Gozegba dans : Oubangui medias : https://oubanguimedias.com/2021/05/14/centrafrique-dr-rodolphe-gozegba-lautonomie-alimentaire-peut-etre-acquise-en-90-jours/?fbclid=IwAR0OfusKC5Ctnd1E8Xq57TSbwGDsARj4rXiTDQ4dThMWtuZpuTsYCn0sJ5k

 

 

 

Le temps des consciences

Une rencontre entre Nicolas Hulot et Frédéric Lenoir

La crise actuelle multiforme et menaçante nous interpelle. Quelles en sont les origines et comment y faire face ? Ces questions sont partout posées . Parmi les réponses, on peut retenir un livre rapportant une rencontre entre Nicolas Hulot et Frédéric Lenoir : « D’un monde à l’autre. Le temps des consciences » (1).

Ces deux personnalités ont un parcours original et leur rencontre est donc prometteuse. « Nicolas Hulot a passé une partie de sa vie à voyager dans les parties les plus reculées du monde au fil de son émission de télévision : Ushaïa. Engagé depuis trente ans dans la protection de l’environnement , il fut ministre de la transition écologique et solidaire de mai 2017 à août 2018. Auteur de nombreux ouvrages, il a créé la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme ». « Frédéric Lenoir est philosophe et sociologue, auteur de nombreux essais et romans traduits dans une vingtaine de langues. Il est notamment l’auteur des best sellers : « Du Bonheur », « Un voyage philosophique », « La puissance de la joie » ou « Le miracle Spinoza ». Il est cofondateur de la fondation Seve (Savoir Être et Vivre Ensemble) qui propose des ateliers de philosophie avec des enfants » (page de couverture). Le parcours de Frédéric Lenoir est diversifié à la fois quant à ses fonctions et quant à ses intérêts (2). En effet, si ses nombreux livres témoignent de son évolution spirituelle (3), il est connu aussi pour avoir été directeur du Monde des religions. Nous avons ici présenté son remarquable livre : « La guérison du monde » paru en 2012. Dans ce livre, Frédéric Lenoir envisage la crise qui affecte nos sociétés et il en présente les menaces et les opportunités : « Un chemin de guérison pour l’humanité. La fin d’un monde. Le début d’une renaissance » (4). On retrouve l’approche de Frédéric Lenoir dans ce livre : « Le temps des consciences » et on y trouve aussi l’authenticité et l’originalité de la démarche de Nicolas Hulot. De la crise du progrès à la recherche de sens, le livre se déroule en abordant de grandes questions de société comme « le règne de l’argent » ou « les limitations de la politique » ou un examen de nos attitudes : « Tout est question de désir », « Du toujours plus au mieux-être ». Les auteurs nous font part de leur réflexion, mais aussi de leur expérience. Ainsi, dans le chapitre : « Les limites de la politiques», Nicolas Hulot nous fait part des démêlés qui l’ont affecté dans son passage au gouvernement.

 

La crise du progrès

« En s’interrogeant sur ce qui appartient au progrès ou ce qui n’en est qu’une illusion, nous touchons d’emblée au cœur de la réflexion que nous devons engager en ce début de siècle. Sous bien des aspects, le projet s’est vidé de sens et est devenu une machine incontrôlable » (p 13), nous dit Nicolas Hulot. Mais il rappelle aussi les avancées majeures que sont l’augmentation de l’espérance de vie, les acquis sociaux et les libertés individuelles. Il y a un siècle, 80% de la population mondiale vivait dans l’extrême pauvreté contre 10% aujourd’hui en 2020. Mais, on doit « redéfinir ce que nous estimons relever du progrès afin de distinguer ce qui est une addition de performances technologiques de ce qui participe de notre raison d’être et à l’amélioration durable de la condition humaine » (p 12).

Frédéric Lenoir met en évidence les origines de cette crise. Déjà, dans son livre « La guérison du monde », il déplore le passage d’une conception « organique » du monde à une approche mécanique. C’est le philosophe René Descartes qui induit ce passage : « Au XVIIè siècle, le philosophe René Descartes considère que la nature  n’est que de la matière qu’on peut utiliser pour ses ressources. L’être humain devient, selon son mot célèbre, « maitre et possesseur de toutes choses ». Cette pensée réductionniste et utilitariste ouvre le champ de la science expérimentale, mais elle s’allie aussi au capitalisme naissant. La nature est totalement désenchantée. Elle abandonne ses dimensions sacrées pour devenir une chose… L’être humain n’est plus relié au cosmos ce qui pose une question fondamentale : comment vivre en étant déraciné du monde naturel ? » (p 25-26).

Nicolas Hulot dénonce aussi l’exploitation de la nature comme une marchandise. Comme le rappelle Frédéric Lenoir, la prise de conscience actuelle n’est pas sans précédent. Déjà les romantiques, au tournant du XVIIè et du XIXè siècle « offrent une vision du réel plus profonde que celle proposée par la vision cartésienne et reprise par l’idéologie capitaliste ». Pour eux, le monde « n’est pas fait de matière inerte, mais il est un organisme vivant. Ils invitent l’être humain à s’épanouir non pas en regardant la matière désenchantée, mais en contemplant l’âme du monde » (p 244-245), cette âme que le philosophe Platon avait mis en valeur. Frédéric Lenoir fait aussi référence au mouvement transcendentaliste américain : Henry David Thoreau et Ralph Wado Emerson qui tentent de reconnecter l’être humain à ses racines naturelles, et un siècle plus tard à la « Beat generation » (p 246-247).

Face aux déviances du monde actuel, Nicola Hulot partage avec nous la vision puissante et prémonitoire de Victor Hugo : « La grande erreur de notre temps, cela a été de pencher, je dis même de courber l’esprit des hommes vers la recherche du bien-être matériel. Il faut relever l’esprit de l’Homme vers le beau, le juste et le vrai, le désintéressé et le grand. C’est là et seulement là que vous trouverez la paix de l’Homme avec lui-même et par conséquent avec la société » (p 246).

 

Appel à la recherche de sens

« Actuellement, face à la crise actuelle, nous subissons comme des esclaves, alors que nous devrions prendre des décisions et faire des choix. La révolution qui se présente actuellement à nous n’est pas technologique. Elle est celle de l’esprit. Et nous devons l’accueillir ensemble… » (p 35) « L’homme doit faire fonctionner son esprit pour sortir du désarroi tragique de ne plus être relié à rien. » « Aujourd’hui, pense Nicolas Hulot, nous devons effectuer un nouveau saut, celui du sens » (p 37). Frédéric Lenoir évoque de même les besoins humains décrits dans la « pyramide d’Abraham Maslow » : « On peut cependant contester le fait que l’être humain passe à une aspiration supérieure lorsqu’un besoin plus fondamental a été satisfait… Ce n’est pas ce que l’expérience de la vie m’a montré. J’ai rencontré à travers de nombreux voyages des gens qui avaient parfois de la peine à survivre et dont la dimension spirituelle les aidait fortement à vivre et à être joyeux… C’est la réaction de notre esprit face aux événements que nous ne pouvons pas maitriser qui fait de nous des êtres joyeux ou tristes. C’est aussi la réflexion intellectuelle et morale qui nous permet de grandir en humanité et de vivre en harmonie avec les autres humains et espèces sensibles. Alors, je te rejoins complètement : La grande aventure du siècle doit  être celle de du sens » (p 36-37).

Le livre se termine donc par un chapitre : « donner du sens » avec  une citation de Friedrich Hegel en ouverture : « Ce qui s’agite dans l’âme humaine, c’est la quête de sens ». Or, trop souvent, cette quête est méconnue, nous dit Nicolas Hulot : « Boutée hors des débats publics, cantonnée à la sphère privée, voire réduite au non-dit, la question du sens est la grande absente des médias. C’est pourtant elle qui nous permettra de retrouver la pureté de ce qui se dissimule derrière le mot ‘progrès’ trop souvent confondu avec une addition de puissance et une augmentation de l’efficacité. La dimension spirituelle a été engloutie par la société technologique, matérialiste et consumériste » (p 290).

Ce chapitre, riche et diversifié, nous apporte des pistes de réflexion. Ainsi Frédéric Lenoir nous appelle à reconnaitre « la vibration spirituelle qui rassemble tous les humains ». « J’ai constaté cela en rencontrant des gens très éloignés de moi, notamment lors de voyages à l’étranger. Il est possible de vibrer sur la même « longueur d’onde » grâce à un simple sourire, un échange de regard ou quelques gestes… Comme l’ensemble du monde animé, l’être humain a une intériorité qui donne du sens à son corps, l’anime ou l’oriente de telle ou telle manière (p 292-293). « C’est un peu cela que j’appelle le sacré, cette vibration qui relie tous les individus entre eux et qui nous relie tous au monde », commente Nicolas Hulot. Frédéric Lenoir évoque la dimension anthropologique du sacré (5), développée notamment par Rodolf Otto et William James, dans un univers qui nous dépasse, face auquel nous ressentons crainte, émerveillement et qui nous bouleverse. C’est cette expérience profonde qu’on peut qualifier de sacrée ainsi que le lien mystérieux qui nous rassemble au-delà de toutes nos différences. « L’expérience la plus profonde et la plus belle que peut faire l’homme est celle du mystère », a dit Albert Einstein » (p 293). Frédéric Lenoir poursuit sa réflexion dans une rétrospective historique. « Les grands courants de spiritualité et de sagesse du monde sont nés au sein ou en marge des religions en réaction contre leur politisation, leur ritualisation et leur formalisme excessifs » (p 297).

Aujourd’hui, comment vivre ensemble harmonieusement ? « Puisque nous partageons une même communauté de destins, il s’agit de redéfinir des valeurs universelles communes. Ces valeurs nous permettent de déterminer ce qui est essentiel dans notre vie et ce qui ne l’est pas. Elles sont l’objectif ou l’horizon vers lequel l’être humain tend pour croitre de manière harmonieuse : solidarité, fraternité, liberté, beauté, respect, justice » (p 299). En réponse, on découvre un Nicolas Hulot particulièrement sensible à la beauté : « L’un de mes premiers guides a été la beauté, car j’ai eu la chance d’en être le témoin privilégié tout au long de ma vie. Source d’humilité sur le mystère du monde, elle fait prendre conscience de la sacralité de la nature. Je suis intimement convaincu que c’est la beauté qui relie tous les êtres humains. Elle est un langage universel… La beauté de la nature nous enseigne l’harmonie, l’équilibre, la juste mesure qui font défaut dans les comportements humains. Du monde fractal à l’espace, il y a un ordre. La beauté se loge partout jusqu’au fond des abysses… La beauté est ce qui nous guide peut-être jusqu’à ce que certains appellent Dieu et nous ramène au premier matin du monde. Elle est une force d’émerveillement pour celui qui sait orienter son regard, ses sensations, ses champs émotionnels et de conscience Je dois tout mon chemin à cette rencontre avec la beauté qui m’a mené vers le respect, le juste, le vrai et le nécessaire (p 299). En communion avec Frédéric, cet éloge de la beauté se poursuit. « Il n’y a pas que la beauté des paysages, mais aussi la beauté des esprits, des gestes, des pensées, des regards, des corps, des mots. Elle se niche partout pour nous donner des joies durables… La beauté est universelle ». (p 303-304). On reconnaît là une capacité d’émerveillement et tout sur ce quoi elle débouche (6). Ces propos rejoignent ceux de Jean-Claude Guillebaud dans son livre : « Sauver la beauté du monde » (7).

La conversation se poursuit à propos d’autres valeurs fondamentales comme la solidarité, la fraternité, la liberté. Les deux intervenants évoquent les personnalités qui les inspirent dans leurs parcours : Nelson Mandela pour Nicolas Hulot et le Dalaï Lama pour Frédéric Lenoir, et en remontant dans le passé, Victor Hugo pour N. Hulot et Baruch Spinoza pour F. Lenoir, et, en fin de chapitre, on en revient à la recherche d’une vision collective : « Je me demande si ce n’est pas la catastrophe écologique doublée par des crises sanitaires, qui lui sont corrélées, qui pourrait susciter un idéal collectif. Il s’agit de redécouvrir des valeurs universelles qui permettent de vivre une meilleure harmonie ensemble et avec notre environnement : La beauté, la justice, la solidarité, la liberté tant politique qu’intérieure » (p 339-340). Et, comme l’écrit Nicolas Hulot, « Cette crise économique et sanitaire a la vertu de nous rappeler que nous vivons en équilibre sur un fil de soie et que nous faisons partie d’un miracle… N’oublions jamais que, dans le domaine du vivant, l’homme est une possibilité parmi des milliards d’autres qui a eu la chance de tomber sur la combinaison gagnante… S’il fait partie d’un tout, l’homme ne peut se substituer au tout… Nous devons être les jardiniers. Il faut les faire jaillir en chacun d’entre nous pour échapper au sable mouvant de la profusion des moyens, accéder au bonheur, et décider de la direction à prendre ensemble… Le sens doit être un opérateur de conscience permettant de faire le tri. » (p 341).

Face à la crise actuelle, nous cherchons quelles en sont les origines et comment y faire face. Nous comprenons mieux aujourd’hui comment un changement de mentalité et des représentations correspondantes a entrainé la crise actuelle. Ce livre nous aide à mieux percevoir les conséquences d’une affirmation de la toute puissance de l’homme : « L’homme, maitre et possesseur de toutes choses », selon Descartes. En regard, à travers la recherche de Frédéric Lenoir et l’expérience de Nicolas Hulot, cet ouvrage nous appelle à reconnaître que l’homme n’est pas détaché de la nature, qu’il s’inscrit dans une dimension spirituelle dans la rencontre avec le sacré et le mystère du monde. Si nous sommes tous aujourd’hui à la recherche de sens, est-ce seulement en raison d’une déviation matérialiste ? Est-ce que cela ne tient pas aussi aux manquements d’une religion occidentale trop centrée sur la destinée individuelle de l’homme ? A cet égard, la parution de l’encyclique : « Laudato Si » (8) apparaît comme un tournant révolutionnaire. Et le dernier demi-siècle a été marqué par l’apparition d’une théologie nouvelle, la théologie de Jürgen Moltmann, une théologie de l’espérance dans la perspective d’une seconde création à l’œuvre en Christ ressuscité (9). Ainsi, pour comprendre et agir, nous pouvons accéder aujourd’hui à différentes ressources. Ce livre est significatif par la qualité et la complémentarité de ses auteurs.

 

J H

  1. Nicolas Hulot Frédéric Lenoir. D’un monde à l’autre. Le temps des consciences. Propos recueillis par Julie Klotz. Fayard, 2020. Voir à ce sujet sur France Culture : « Nicolas Hulot et Frédéric Lenoir, pour un monde en quête de sens » : https://www.franceculture.fr/emissions/de-cause-a-effets-le-magazine-de-lenvironnement/de-cause-a-effets-le-magazine-de-lenvironnement-du-mardi-08-septembre-2020
  2. Parcours de Frédéric Lenoir : https://www.fredericlenoir.com/bio-longue/
  3. Mieux comprendre l’évolution spirituelle de Frédéric Lenoir à travers une vidéo rapportant une interview conjointe de Carolina Costa, pasteure et Frédéric Lenoir, philosophe et sociologue
  4. https://www.rts.ch/play/tv/pardonnez-moi/video/carolina-costa–frederic-lenoir?urn=urn:rts:video:8266285
  5. « Un chemin de Guérison pour l’humanité. La fin d’un monde. L’aube d’une renaisssance » : https://vivreetesperer.com/un-chemin-de-guerison-pour-lhumanite-la-fin-dun-monde-laube-dune-renaissance/
  6. Voir : Hans Jonas. Les pouvoirs du sacré. Une alternative au récit du désenchantement. Seuil, 2020
  7. Autour du livre de Bertrand Vergely : Retour à l’émerveillement : « Avant toutes choses, la vie est bonne » : https://vivreetesperer.com/avant-toute-chose-la-vie-est-bonne/
  8. « Sauver la beauté du monde » : https://vivreetesperer.com/sauver-la-beaute-du-monde/
  9. Autour de Laudato Si : « Convergences écologiques : Jean Bastaire, Jürgen Moltmann, pape François et Edgar Morin » : https://vivreetesperer.com/convergences-ecologiques-jean-bastaire-jurgen-moltmann-pape-francois-et-edgar-morin/
  10. Un blog dédié à l’œuvre de Jürgen Moltmann : https://lire-moltmann.com Voir aussi : « Une vision d’espérance dans un monde en danger » : https://www.temoins.com/une-vision-desperance-dans-un-monde-en-danger/

Un chemin spirituel vers un nouveau monde

« S’élancer vers une nouvelle terre. Une approche contemporaine pour s’éveiller à demain et traverser les changements ».

A la sortie de la pandémie, le monde va-t-il reprendre ses habitudes, se réinstaller dans un système économique et social dont on voit bien qu’il va à sa perte. La crise du coronavirus va-t-elle permettre une accélération de « la transition vers des sociétés post-carbone respectueuses des limites de la biosphère, de la justice globale et des droits des générations futures ? » (1). Cependant, cette mutation globale requiert une profonde transformation des mentalités. Cette transformation appelle un cheminement spirituel qui  induise une évolution des comportements et la mise en pratique de valeurs nouvelles. C’est aussi, comme l’écrit Michel Maxime Egger dans un article du « Temps » (2), « le besoin d’un nouvel imaginaire qui puisse entrainer une mobilisation collective ».

Michel Maxime Egger est un sociologue et un théologien (chrétien orthodoxe) qui anime aujourd’hui le « Laboratoire de transition intérieure » de l’association suisse : « Pain pour le prochain ». Depuis plus de vingt ans, il milite pour le développement durable et des relations Nord Sud plus équitables. En 2004, il a fondé le réseau « Trilogies » (3) qu’il anime depuis « pour mettre en dialogue : traditions spirituelles, quête de sens, écologie et grands enjeux socio-économiques ». C’est une approche qui associe « le cosmique, l‘humain et le divin ». Dans cette perspective, Michel Maxime Egger a écrit plusieurs livres :

A partir de la spiritualité chrétienne, « La Terre comme soi-même. Repères pour une écospiritualité » (2015).

A partir de la profondeur de la psychè humaine : « Soigner l’esprit. Guérir la terre. Introduction à l’échopsychologie » (2015).

A partir de la spiritualité dans une approche interreligieuse : « Ecospiritualité. Réenchanter notre relation à la nature » (2018).

Michel Maxime Egger a préfacé récemment un livre de la grande militante écologiste américaine : Joanna Macy : « L’espérance en mouvement » Nous avons présenté cette œuvre sur « Vivre et espérer » (4).

Michel Maxime Egger intervient dans de nombreuses rencontres. Et ainsi, en mai-juin 2020, il a répondu à une interview rapportée dans une vidéo qui introduit un cycle de méditation : « meditatio écologie » « organisée par la « Communauté mondiale pour la méditation chrétienne ». L’horizon ouvert nous est annoncé par le titre  de cette vidéo : « S’élancer vers une nouvelle terre. Une approche contemporaine pour  s’éveiller à demain et traverser les changements » (1). Nous accompagnons ici cette interview en évoquant quelques unes de ses expressions. Mais la vidéo s’entend avec tant de clarté et avec tant de sympathie qu’elle se suffit à elle-même.

La première question porte sur la réaction personnelle : « Pouvez-vous nous dire dans un registre personnel comment vous voyez ce qui se passe aujourd’hui ? En quoi vous êtes touché de manière sensible et comment y faites vous  face ? » Chacun réagit selon  les conditions d’habitat et de travail, mais aussi selon les circonstances  familiales. Ici Michel Maxime Egger profite du confinement pour être présent à sa maman dans son départ au Ciel et accompagner son papa dans sa nouvelle solitude, une école de compassion. Et naturellement  les nouvelles limitations sont une invitation à « aller vers le dedans, revenir vers soi, descendre à l’intérieur de soi » : prière, méditation, contact avec la nature…

La seconde question est plus générale. « Qu’est-ce que cette crise du Covid 19  nous dit de notre manière de vivre aujourd’hui ? Quel lien avec la crise écologique ? Comment met-elle le doigt sur une fragilité et questionne-t-elle nos vies spirituelles ? »

Si on entend par apocalypse révélation et dévoilement, cette crise a une « dimension apocalyptique ». Nous sommes conviés à écouter, à entendre. A travers ses symptômes, le  coronavirus est un puissant  révélateur . « Il donne le fièvre et tue par suffocation. Le symbole d’un système qui réchauffe et asphyxie la planète par son obsession de la croissance, sa démesure consumériste et sa quête du produit sans fin. Ensuite par son origine : le Covid 19 vient d’animaux abominablement maltraités , et son développement est indissociable des perturbations climatiques et écosystémiques…. Enfin par sa diffusion et ses impacts : impressionnant d’observer comment un virus microscopique peut mettre le monde à l’arrêt et l’économie à terre. L’expression de la vulnérabilité d’un système globalisé dont l’interconnexion est à la fois la force et la faiblesse » (2)

Cependant, Michel Maxime Egger nous appelle également à redécouvrir des éléments essentiels. Et tout d’abord, « Nous sommes un avec le Vivant. Le Vivant est un ». Nous sommes ensemble dans une situation de profonde interdépendance Or « par notre domination, par notre arrogance, nous avons brisé cette unité ». C’est un appel à la réconciliation avec la Terre, avec le Vivant.

Cette crise nous rappelle que « nous ne sommes pas les maitres et possesseurs de la nature. La nature n’est pas qu’un stock de ressources, mais elle est au contraire la source de la vie, une source qui nous appelle au respect, à un respect profond » .

Un troisième élément que cette crise du coronavirus nous rappelle, c’est que « nous ne sommes pas tout puissants, mais profondément fragiles, profondément vulnérables. C’est un appel à redécouvrir l’humilité ».

Et puis, parce que nous avons été amenés à réduire notre consommation, « nous avons appris que le bonheur ne réside pas dans des biens en quantité, mais dans des biens de qualité. Et, bien que physiquement, nous ayons du garder nos distances, nous avons redécouvert l’importance des relations humaines, des relations d’entraide pour la coopération. Ainsi ce virus nous apprend à retrouver, d’une part, la solidarité, et, d’autre part, par la réduction de la consommation, la sobriété ».

« A quels changements, attitudes et actions sommes-nous appelés, individuellement et collectivement, en lien avec un chemin spirituel tel que celui de la méditation ? »

« J’entend dans cette crise un triple appel : un appel à un choix radical, un appel à une métanoïa, un appel à un engagement, ces trois  dimensions étant profondément interreliées »

« Choix radical : Je vis depuis longtemps avec cette idée que l’humanité est arrivée à une croisée des chemins, à une forme de carrefour. Nous avons en fait le choix, selon l’expression du sociologue Edgar Morin, entre le coté de l’abime et la métamorphose. Pour moi, cette crise du coronavirus a confirmé cette vision d’un carrefour de l’humanité ». « La grande question aujourd’hui : Est-ce que l’après sera un simple retour à l’avant ou au contraire aurons nous su, pu profiter de ce temps de ralentissement, de retour sur soi-même pour pouvoir faire des pas vers cette transition écologique et sociale qui est absolument nécessaire ». « J’ai souvent médité sur la phrase du Deutéronome (Deutéronome 30) dans le Premier Testament : « Je te propose vie et bonheur, mort et malheur. Choisis la vie pour que toi et ta postérité (les générations futures), vous viviez ». Mais de quelle vie parle-t-on ? D’une Vie avec un grand V, d’une vie connectée avec ce qui est vivant, d’une vie ralliée avec ce qui est Vivant, mais aussi à la source du Vivant, à ce Souffle, cet Esprit qui est à la source de toute chose, qui anime toute chose, qui anime la Création, qui est le mystère du Divin quelque soit le nom qu’on veuille lui donner. Evidemment, pour entrer dans cette  connection là, la méditation est un espace, un chemin privilégié. S’ouvrir à ce Souffle, à cet Esprit, à cette dimension, attire une métamorphose, une métanoia, un retournement. Se métamorphoser, c’est en quelque sorte mourir pour renaitre. Mourir à ce qui conduit à la mort… pour pouvoir  renaitre…renaitre au nouveau et donc à la vie, une vie plus forte que la mort, une vie animée par le souffle de l’Esprit et dont la résurrection du Christ a été une des manifestations et un des symboles et qui nous ouvre à une dimension d’inconnu. Ce choix de la vie, cette métanoia sont les fondements d’un engagement, à la fois personnel et collectif, pour la transition écologique et sociale, au  sens fort du mot transition : trans ire : aller au delà, parce qu’il ne s’agit pas simplement de corriger un système ou de l’améliorer, mais bien de changer le système, changer le paradigme pour opérer, ce que le pape François, dans son encyclique, Laudato Si, appelle une révolution culturelle courageuse.

 Quel encouragement, quelle perspective pourriez-vous nous donner pour s’élancer vers une nouvelle terre ?

Cette tâche est gigantesque, mais il est important de ne pas se décourager devant l’ampleur de la  tâche ! Michel Maxime Egger nous propose plusieurs pistes.

Ne pas rejeter les émotions que nous pouvons avoir comme la peur, la tristesse, le découragement, le sentiment d’impuissance, mais simplement les accueillir … Elles sont . Elles appartiennent à notre humanité. Mais ce qui est extrêmement important, c’est de ne pas nous laisser enfermer, dominer, submerger par ces émotions, et, pour cela, créer des espaces où ces émotions puissent s’exprimer, se partager pour pouvoir ensuite être transformées….

Deuxième piste : « le mot confiance ou le mot foi ». Et à coté de toutes ses failles, « il y a en l’être humain créé à l’image de

Dieu… un être capable d’amour, capable de relations harmonieuses avec les autres. Ce sont des qualités, des dimensions à reconnaître, à cultiver et ce à l’intérieur de chaque être humain.

Troisième piste : entrer dans la conscience que chacun de nous tient le fil d’un autre possible. Un fil parfois ténu, mais qui est bien là. Mais pour pouvoir tisser ce fil, c’est extrêmement important d’aller à la source de ce fil, se connecter à ce qui est le plus vivant, le plus vibrant en nous, c’est à dire en fait se connecter à notre  désir. Cela  prendra des formes différentes…il  ne pourra y avoir d’écologie intégrale durable si c’est une écologie du défaut. Ce  doit être une écologie du désir.

Quatrième piste : commencer là où nous sommes, par de petits pas … L’important, c’est de se mettre en mouvement….

Cinquième élément : croire que c’est possible. Et pour cela se rappeler que l’histoire est pleine de causes qui apparaissaient au départ impossibles et sans espoir et qui se sont réalisées. Pensons à l’abolition de l’esclavage, à la chute du mur, à la fin de l’apartheid. … Il y a eu des basculements systémiques et structurels…

Sixième piste : construire des appuis et des alliances. On a  besoin des autres. On ne peut pas réaliser la transition tout seul. Et pour cela, pour construire ces alliances, on a besoin de dialogue. On a besoin de s’écouter, on a besoin de coopérer. Passer du pouvoir sur au pouvoir de… c’est à dire on se met au service de quelque chose avec d’autres…

Septième piste. Comme l’a dit Joanna Macy, opérer le changement de cap en gardant le cap de la joie profonde. C’est à dire cultiver des énergies comme l’amour, comme la joie, comme l’enthousiasme. Ces énergies ne sont pas seulement des énergies renouvelables. Ce sont, bel et bien, des énergies inépuisables.

Huitième piste. Pour tout cela, il est nécessaire de créer à l’intérieur de nous un espace où va pouvoir agir à travers nous une force, un esprit, une énergie ( c’est tout le rôle de la méditation), qui n’est pas celle de notre égo, ce moi volontariste qui est aux commandes, une force qui va pouvoir agir en nous, nous traverser, agir à travers nous, une autre force, une autre  énergie , un souffle qui est aussi un souffle de la terre, un souffle du vivant, mais aussi un souffle du Vivant avec un grand V, un souffle de l’Esprit, le souffle du Mystère au delà de tout nom. Et quand on laisse ce Souffle agir, dans cette ouverture, c’est aussi une ouverture à l’avenir, a ce qui va advenir, dans la  confiance, dans une ouverture au fait que cette  terre, cette terre nouvelle vers laquelle on s’élance, on ne sait pas la forme qu’elle va prendre. Il y a là une dimension d’inconnu, une dimension d’inouï, une dimension d’improgrammable à respecter. Oui, cette terre nouvelle, on ne peut pas la programmer, mais elle va émerger de quelque chose qu’on ne connait pas encore.

Voici une pensée unifiante, tournée vers l’avenir, qui en rejoint d’autres, présentes sur ce blog, telle que celle de Jürgen Moltmann. Cette méditation s’inscrit  dans la réflexion que le vision écologique induit également sur ce blog . « Nous sommes un avec le Vivant. Le Vivant est un », nous dit Michel Maxime Egger.

J H

 

  1. Dans cette interview en vidéo, Michel Maxime Egger introduit Meditatio Ecologie sur le thème : « S’élancer vers une nouvelle terre. Une approche contemplative pour s’éveiller à demain et traverser les changement » : https://www.youtube.com/watch?v=CxrfhAgi_0s&feature=share&fbclid=IwAR1ynwSqVhbTPyTDqv8QudnoR6vkT8fNr7VSexdHr25Xv83SSwH2B407jPQ
  2. Michel Maxime Egger. Après le coronavirus, besoin d’un nouvel imaginaire. Le Temps, 6 mai 2020 : https://www.letemps.ch/opinions/apres-coronavirus-besoin-dun-nouvel-imaginaire?utm_source=facebook&utm_medium=share&utm_campaign=article&fbclid=IwAR0PcSdvtfQ1UN62KbGft6FFgTSpeKSIKpKI2WppO69zGTEkqv672oGM7kA
  3. Le site de Michel Maxime Egger : Trilogies. Entre le cosmique, l’humain et le divin : https://trilogies.org/auteurs/michel-maxime-egger
  4. L’espérance en mouvement. Vivre et espérer : https://vivreetesperer.com/lesperance-en-mouvement/

 

Voir aussi :

En route pour l’autonomie alimentaire : https://vivreetesperer.com/en-route-pour-lautonomie-alimentaire/
Vers une économie symbiotique : https://vivreetesperer.com/vers-une-economie-symbiotique/
L’homme, la nature et Dieu : https://vivreetesperer.com/lhomme-la-nature-et-dieu/
Comment entendre les principes de la vie cosmique pour entrer en harmonie : https://vivreetesperer.com/comment-entendre-les-principes-de-la-vie-cosmique-pour-entrer-en-harmonie/
Une approche spirituelle de l’écologie (Sur la Terre comme au Ciel) : https://vivreetesperer.com/une-approche-spirituelle-de-lecologie/
Un avenir écologique pour la théologie moderne
https://vivreetesperer.com/un-avenir-ecologique-pour-la-theologie-moderne/

Comment  dimension écologique et égalité hommes-femmes vont de pair et appellent une nouvelle vision écologique : https://vivreetesperer.com/comment-dimension-ecologique-et-egalite-hommes-femmes-vont-de-pair-et-appellent-une-nouvelle-vision-theologique/

Convergences écologiques : Jean Bastaire, Jürgen Moltmann, pape François, Edgar Morin : https://vivreetesperer.com/convergences-ecologiques-jean-bastaire-jurgen-moltmann-pape-francois-et-edgar-morin/

 

…En route pour l’autonomie alimentaire

Une nouvelle manière de vivre en harmonie avec le vivant

« En route pour l’autonomie alimentaire » (1), tel est le titre d’un livre récent de François Rouillay et de Sabine Becker. Prendre ce chemin,  c’est répondre au déséquilibre d’une existence humaine où le contact s’est rompu entre la terre nourricière et l’assiette de nos repas  et où la continuité de notre alimentation est soumise à la menace d’une rupture dans nos chaines d’approvisionnement éclatées dans la distance géographique et soumises aux aléas de la spéculation.

Cependant, ce livre nous dit bien plus. Car emprunter le chemin de l’autonomie alimentaire, c’est également s’engager dans un nouveau genre de vie , une vie en phase avec la nature nourricière. Et tout ceci implique une nouvelle éthique qui fonde une approche collaborative : « prendre soin de soi, de l’autre et de la terre ». (p 62)

Ainsi ce livre : « En route pour l’autonomie alimentaire » est ambitieux, mais il est aussi réaliste. Le sous-titre nous en informe : « Guide pratique à l’usage des familles, villes et territoires » .  En effet, nous n’avançons pas dans l’inconnu. Le chemin est déjà reconnu et balisé par de nombreuses initiatives collaboratives. Et ceux qui sont déjà impliqués dans ces initiatives où la présence du vivant engendre du bonheur  peuvent accéder à une joie que les auteurs mettent en lumière : « Lorsque nous sommes connectés par le partage, cette énergie, ce carburant, cette essence qui résident en nous nous permet d’avancer, d ‘évoluer, de faire tomber nos barrières, nos zones d’ombre. La joie est une immense force qui nous conduit vers l’amour libéré de nos peurs et autres pollutions psychiques, vers l’amour semblable à celui de l’enfant…. » (p 195).

Ce livre nous permet d’entrer dans une recherche où la vie se reconstruit différemment : un volet participatif, un volet éducatif, un volet coopératif  et un volet régénératif. A chaque fois, nous découvrons de belles expériences dans une grande variété d’approches du « permis de végétaliser la ville en paysage nourricier », aux « poulaillers participatifs », aux « ateliers de cuisine » et aux « zones d’activité nourricière ». C’est une collaboration inventive.

Les auteurs : une approche pionnière

Auteur du livre avec Sabine Becker , François Rouillay a été un pionnier de cette approche au cours de la dernière décennie. Il raconte comment, à un moment propice, où, consultant en politiques publiques, il s’interrogeait à leur sujet, il a découvert une approche innovante qui débute dans une petite ville anglaise. Effectivement, elle est née à Todmorden quand deux mères de famille, subissant le déclin économique et social du nord de l’Angleterre, ont décidé de réagir et de créer un mouvement pour planter légumes et fruits dans la ville en vue d’offrir une nourriture à partager . François Rouillay s’est engagé pour développer cette expérience en France en suscitant un mouvement : « Les incroyables comestibles » . « Il s’agissait de fabriquer des bacs de nourriture à partager sur un domaine privé ouvert au public ou visible depuis la rue qui enverrait un signal très fort d’offrande de nourriture que l’on aurait  soi-même mise en terre » (p 19). Pendant trois ans, François Rouillay a été l’animateur de ce mouvement , travaillant « dans la foi absolue que celui-ci aurait un effet transformateur dans les quartiers et dans les villes. Et ce fut le cas » (p 19). Le mouvement s’est alors répandu à vive allure. En trois ans, il s’est propagé en France et à l’international dans plus de 800 villes et 30 pays. A l’époque, nous avons rapporté sur Vivre et espérer une interview de François Rouillay en pleine action :

https://vivreetesperer.com/incroyable-mais-vrai-comment-les-incroyables-comestibles-se-sont-developpes-en-france/ Ce fut une véritable épopée. François Rouillay a ainsi « accompagné des centaines et  des centaines de groupes ». Malheureusement, cette activité s’est révélée épuisante et a porté atteinte à la vie privée de François.  En mars 2015, « il décide de passer la main après trois années de bénévolat ». Une nouvelle étape commence pour François Rouillay. Il rencontre Sabine Becker. La perspective s’élargit. En conjuguant la compétence de chacun, ils induisent le développement d’un mouvement pour l’autonomie alimentaire.

Sabine Becker a exercé, pendant trente-deux ans, la profession d’ingénieure urbaniste dans différentes collectivités publiques. Au vu des obstacles rencontrés, elle  a pris conscience que son activité professionnelle « n’était pas juste » et « elle a cherché à comprendre pourquoi ». « Une grande quête s’en est suivie qui m’a conduite à étudier le fonctionnement de l’être humain dans les différentes dimensions qui le composent. Je me suis également formée à la connaissance des énergies dans le monde vivant des humains, mais aussi des règnes végétal, animal et minéral » (p 23). « Ma vision est devenue holistique et mon regard est appliqué au travail sur soi, au travail collectif et aux territoires » (p 24).

François Rouillay et Sabine Becker se sont ainsi rejoints, « lui dans le domaine de la participation citoyenne au service de l’autonomie alimentaire et donc de la restauration de la santé des personnes, des sols et de la biodiversité, et, elle, dans le domaine holistique du fonctionnement humain en matière comportemental sur les plans émotionnel et mental (p 24). Ensemble, à la suite des expériences passées, ils ont dégagé une vision du retour à l’autonomie alimentaire et élaboré des stratégies pour  sa mise en œuvre. « Il s’agissait pour nous de diffuser la connaissance à partir de méthodes pédagogiques accessibles au plus grand nombre, d’expérimenter des techniques de fabrication de sol nourricier en milieu urbain et périurbain  et d’animer des réseaux de personnes volontaires  engagées dans l’agriculture urbaine et la transition alimentaire sur les territoires » (p 24).

C’est dans ce but que François Rouillay et Sabine Becker ont créé « L’Université francophone de l’autonomie alimentaire » et le site francophone qui en est l’expression : http://www.autonomiealimentaire.info

Et c’est ainsi qu’ils en sont venus à publier ce livre : « En route vers l’autonomie alimentaire ». Cet ouvrage présente la feuille  de route de 21 actions résultant de nombreuses expériences et réflexions et permettant le retour à l’autonomie alimentaire de manière individuelle et collective.

 

Pour des paysages nourriciers

Développer l’autonomie alimentaire, c’est non seulement faire face à des déséquilibres insécurisant, c’est établir une relation bienfaisante avec la nature pourvoyeuse de nourriture . Comment envisager cette autonomie ? C’est « la capacité d’un territoire urbain à produire une nourriture saine permettant de répondre aux besoins quotidiens primordiaux des habitants …. Il s’agit d’obtenir, à travers une production locale constituée de  fruits, de légumes, de légumineuses, de noix, de diverses céréales, d’œufs et de viandes, si nous sommes loin de la mer, de poissons  d’élevage en eau douce,  ainsi que de produits laitiers et d’huiles végétales ; le tout étant récolté, voire transformé sur ce territoire, ou situé dans une proche périphérie (moins d’une heure de trajet), élevé et cultivé selon des méthodes respectueuse de la santé et de l’environnement » (p 37).

Or, une telle politique requiert un nouvel aménagement de l’espace. Et cet aménagement dépend lui-même de notre niveau de conscience. Les auteurs mettent en évidence les déviations qui sont intervenues au cours  des dernières décennies. «  Comment se fait-il qu’au cours des cinquante dernières années nous soyons passés des espaces nourriciers aux espaces verts d’ornement ? » . Et, par ailleurs, « les entrées de nos villes forment des espaces périurbains voués invariablement aux zones commerciales avec leurs parkings et leurs ronds points » (p 47). En regard, le développement de l’autonomie alimentaire requiert une conscience collective. « Et l’un des moyens pour y contribuer est tout simplement de rendre les paysages nourriciers….. ». « A plus grande échelle que celle des bacs de nourriture, cela permettrait de mettre en évidence le lien entre le sol et l’assiette et nous en redonnerait le goût » (p 68). Tout au long de ce livre, nous voyons comment des paysages nourriciers peuvent apparaître et se développer. Et, par exemple, une des premières actions recommandées, c’est d’obtenir l’autorisation de planter légumes et fruitiers dans la ville auprès des collectivités publiques. C’est « le permis de végétaliser la ville en  espace nourricier » (p 17). « Le  permis de végétaliser est une pratique récente que le mouvement international : « Incredible edible » (Incroyables comestibles ) a grandement contribué à généraliser. Il exprime avant tout une volonté politique d’ouvrir l’espace public à la participation citoyenne pour l’agriculture urbaine. Pour des questions de sécurité et de responsabilité, il a progressivement été accompagné de protocoles (conventions simplifiées entre des citoyens désireux de jardiner la ville et les services techniques de la collectivité) et d’une procédure administrative (p 67) . En France, de nombreuses villes ont maintenant officialisé leur permis de végétaliser .

 

Une dynamique associative

Ce livre nous indique un chemin : en route vers l’autonomie alimentaire. Mais le mouvement en ce sens est déjà  bien engagé. Et il manifeste une dynamique associative. Celle-ci s’est déjà révélée dans la rapide expansion du mouvement des « Incroyables comestibles » qui a gagné ville après ville. La même force anime les nombreuses et diverses initiatives qui apparaissent dans ce livre. C’est le commun dénominateur des volets « participatif, éducatif, coopératif, régénératif » de la feuille de route  (p 6-7). Et ainsi les maîtres-mots sont bien : collaboration, coopération, participation, partage. Ainsi parle-t-on de « vergers et de jardins partagés », de « pépinières citoyennes participatives » et même de « poulaillers participatifs ». Ainsi cette collaboration s’exerce en divers domaines et à des échelles différentes. François Rouillay nous rapporte le fonctionnement d’un poulailler participatif  au Québec. « Sept familles s’y impliquent en intervenant à tour de rôle pendant une semaine pour préparer la moulée, donner à manger, nettoyer et « cueillir » les œufs. Le service revient toutes les sept semaines » ( p 110).

Tout ce mouvement, si divers dans ses expressions, s’inscrit dans « une vision commune partagée » : «  Nous ne sommes absolument pas dans une démarche autarcique d’individualités en repli… La logique cosmique des choses nous indique que nous sommes interdépendants les uns des autres …. Nous avons besoin les uns des autres pour rendre possible l’expression d’une intelligence collective autour d’une vision commune partagée » (p 193).

Ce livre témoigne d’une vision. Elle s’exprime notamment dans l’épilogue : « Voir les choses dans leur ensemble ; les fondements : eau, sol, semences, arbres ; l’homme est le gardien des équilibres ; l’univers est un lieu de création et d’abondance » (p 197-199). Ce sont des pensées directrices qui orientent notre marche vers une société nouvelle, un nouveau genre de vie, une éthique.

En même temps, à travers ce livre, on reconnaît le levain dans la pâte d’aujourd’hui comme l’écrit le préfacier, Fabien Tournan : «  Le fil conducteur de ce guide porte sur l’émersion de ce qui existe déjà, qui est là partout dans le monde, expérimenté, enseigné, mais masqué par le vacarme du modèle marchand qui domine…. Il nous conduit à nous reconnecter à la terre, à celle qui nous nourrit, que nous devons préserver, entretenir, celle dont nous devons prendre soin. C’est un livre qui nous invite ainsi à rencontrer la paix » (p 10) . Avec François Rouillay et Sabine Becker, entrons dans ce beau voyage.

(1) François Rouillay et Sabine Becker . En route pour l’autonomie alimentaire. Guide pratique à l’usage des familles, villes et territoires  Terre vivante, 2020

Aujourd’hui, le 12 juin 2020, François Rouillay fait le point dans une vidéo : « Autonomie alimentaire. Comment s’impliquer ? » :

https://www.youtube.com/watch?v=nE9kU0d93YA&feature=youtu.be&fbclid=IwAR1Xx0IHD6Tu9QKn-RltCDF1F_XGdutACjK2qKiTE0jMPp3BUaKQu78NTTI

J H

 

Voir aussi :

« Vers une économie symbiotique » : https://vivreetesperer.com/vers-une-economie-symbiotique/

 

 

Un avenir écologique pour la théologie moderne

https://wordery.com/jackets/cd0f6010/m/the-spirit-of-hope-jurgen-moltmann-9780664266639.jpgUne espérance pour des temps troublés Selon Jürgen Moltmann

Un nouveau livre de Jürgen Moltmann vient de paraître en anglais à la fin de cette année 2019. Il est publié conjointement en Europe et aux Etats-Unis avec des titres analogue : « Hope in these troubled times » et « The Spirit of hope. Theology for a world in peril » (1). En cette période de l’histoire, nous ressentons effectivement de nombreuses menaces depuis le danger du dérèglement climatique jusqu’aux reflexes politiques de repli autoritaire. Venant d’un théologien qui a pris en compte les problèmes du monde au cours de ces dernières décennies, ce livre est bienvenu. La profondeur de cette pensée éclaire nos problèmes. Et si elle reprend et approfondit des éclairages antérieurs, elle ouvre aussi des pistes toutes nouvelles, comme une réflexion sur l’interpellation des grandes religions du monde par une sensibilité religieuse nouvelle autour de la dimension écologique de la terre. L’écothéologie de Moltmann se déploie dans deux chapitres successifs : L’espérance de la terre : l’avenir écologique de la théologie moderne » ; « Une religion terrestre commune : les religions mondiales dans une perspective écologique ».

 

L’espérance de la terre : l’avenir écologique de la théologie moderne »

Une approche historique montre qu’à partir du XVIè siècle, une volonté de puissance sur la nature s’est imposée à travers la conjonction d’une approche scientifique et d’une interprétation biblique. L’humanité est devenue « le centre du monde ». Seul l’être humain a été reconnu comme ayant été créé à l’image de Dieu et supposé soumettre la terre et toutes les autres créatures. Il devient le « Seigneur de la terre » et, dans ce mouvement, il se réalise comme le maitre de lui-même.

Aujourd’hui, cette dérive apparaît clairement. Les humains sont des êtres créés au sein de la grande communauté de la vie et ils font partie de la nature. Selon les traditions bibliques, Dieu n’a pas infusé l’Esprit divin seulement dans l’être humain, mais dans toutes les créatures de Dieu. « Les êtres humains sont si étroitement connectés avec la nature qu’ils en partage la même détresse et la même espérance de rédemption « (p 19). Les humains font partie de la nature. Pour survivre, ils doivent s’y intégrer. C’est un changement de représentation : « le passage du centre du monde à une intégration cosmique, de l’arrogance de la domination sur le monde à une humilité cosmique » (p 16).

La visée dominatrice de l’humanité a été également la conséquence d’une représentation de Dieu. Au bout du compte, suite à une interprétation juive d’un monde dé-divinisé et à une certaine approche scientifique, « Dieu a été pensé comme sans le monde, de la façon à ce que le monde étant sans Dieu puisse être dominé et que les humains puissent vivre sans Dieu » (p 21). Et le monde étant compris comme une machine, l’humain est menacé aujourd’hui d’être considéré également comme une machine.

Mais aujourd’hui, une compréhension écologique de la création est à l’œuvre. « Le Créateur est lié à la création non seulement extérieurement, mais intérieurement. La création est en Dieu et Dieu est dans la création. Selon la doctrine chrétienne originelle, l’acte de création est trinitaireLe monde est une réalité non divine, mais il est interpénétré par Dieu. Si toutes les choses sont crées par Dieu le père, à travers Dieu le fils et en Dieu le Saint Esprit, alors elles sont aussi de Dieu, à travers Dieu et en Dieu « (p 22). Ce qui ressort d’une vision trinitaire, c’est l’importance et le rôle de l’Esprit. « Dans la puissance de l’Esprit, Dieu est en toute chose et toute chose est en Dieu ». C’est la vision d’Hildegarde de Bingen dans le monde médiéval (2). A la Réforme, Calvin affirme le rôle majeur de l’Esprit. Moltmann rapporte la doctrine juive de la Shekinah dans l’Ancien Testament. « Dieu désire habiter au milieu du peuple d’Israël. Il habitera pour toujours dans la nouvelle création où toutes les choses seront remplies de la gloire de Dieu (Esaïe 6.3) (p 23). Cette même pensée se retrouve chez Paul et Jean dans le Nouveau Testament. Vraiment, il y a aujourd’hui un changement de paradigme : « D’un monde sans Dieu à un monde en Dieu et à Dieu dans le monde » (p 20).

Dans la conception mécaniste du monde, celui-ci était achevé, terminé. Aujourd’hui, un monde inachevé est ouvert au futur. Et, on prend conscience que la terre, formant un système complexe et interactif a la capacité d’amener la vie. C’est la théorie, abondamment discutée, de Gaia. « Cette théorie ne signifie pas la déification de la terre, mais la terre est envisagée comme un organisme vivant qui suscite la vie » (p 24). Les êtres humains sont eux-mêmes des êtres terrestres. « Dans notre dignité humaine, nous faisons partie de la terre et nous sommes membres de la communauté terrestre de la création » (p 25). Moltmann rappelle que dans le premier récit biblique de la création, la terre est une grande entité qui engendre les êtres vivants. Et dans l’alliance de Dieu avec Noé, il y a une place pour la relation de Dieu avec la terre.

Au total, « L’Esprit divin est la puissance créatrice de la vie ». « Le Christ ressuscité est le Christ cosmique et le Christ cosmique est « le secret du monde ». Il est présent en toute chose » (p 26) . « Dans la tradition chrétienne, on a envisagé un double apport : la « théologie naturelle » qui résulte d’une connaissance de Dieu à travers le livre de la nature et une connaissance surnaturelle de Dieu, issue du « livre des livres », de la Bible. La révélation biblique n’évacue pas et ne remplace pas la théologie naturelle, mais elle la corrige et la complète (p 28). Dans la promesse d’une Nouvelle Alliance, telle qu’elle est formulée en Jérémie (31. 33-34), tous les hommes connaitront Dieu, du plus petit jusqu’au plus grand (p 28). Alors, la connaissance de Dieu sera toute naturelle. La théologie naturelle peut être ainsi envisagée comme une préfiguration. Mais, aujourd’hui, elle doit envisager la réalité dans un état où l’on y perçoit les « soupirs et les gémissements de le création ». Nous sommes en chemin. « Tous les êtres créés sont avec nous en chemin dans la souffrance et l’espérance. L’harmonie de la nature et de la culture humaine nous accompagne sur ce chemin ». « La théologie naturelle ainsi décrite est une théologie de l’Esprit Saint et de la sagesse de Dieu. Aujourd’hui, l’essentiel est de percevoir en toutes choses et dans la complexité et les interactions de la vie, les forces motrices de l’Esprit de Dieu et de ressentir dans nos cœurs l’aspiration de l’Esprit vers la vie éternelle du monde futur » (p 29).

La spiritualité parle au cœur. C’est le lieu où nous faisons l’expérience de L’Esprit de Dieu. Longtemps, dans la tradition d’Augustin, la spiritualité a été tournée uniquement vers l’intérieur ; C’était une spiritualité de l’âme et de l’intériorité. Mais les sens de l’homme : la vue, l’ouïe, le toucher peuvent également porter la spiritualité. La présence du Saint Esprit peut être perçue à travers la nature comme ce fut le cas pour Hildegarde de Bingen et François d’Assise. Jürgen Moltmann appelle à vivre une spiritualité en phase avec la création. Il évoque une nouvelle « mystique de la vie ». « Ceux qui commencent à aimer la vie – la vie que nous partageons – résisterons au meurtre des hommes et à l’exploitation de la terre et lutterons pour un avenir partagé ». (p 31).

 

Une approche religieuse de la terre.

Les religions du monde dans une perspectives écologique

Comment les grandes religions mondiales abordent la montée de la conscience écologique ? En quoi sont-elles interpellées par cette transformation profonde de la vision du monde ? Jürgen Moltmann entre ici dans un champ nouveau. C’est une approche originale.

Les grandes religions ont dépassé aujourd’hui leurs aires initiales . Elles sont entrées dans la mondialisation, le « village global ». Elles participent ainsi à une évolution qui nous appelle à passer des particularismes nationaux à une politique mondiale inspirée par la requête écologique. L’économie aussi est interpellée. Les ressources de la terre sont limitées. Il nous faut passer d’une économie quantitative à une économie qualitative, à une « économie de la terre ».

Les religions du monde existent depuis bien avant la globalisation. Elles ont accompagné la vie domestique dans « la célébration religieuse des évènements de la vie ». Mais, pour certaines, elle se sont considérablement engagées dans le champ politique. Des religions politiques ont accompagné la fondation des états. « Ces religions sont invariablement monothéistes : un Dieu, un Gouvernant, un Empire, avec un gouvernant qui se présente également comme « le grand prêtre du Ciel » (p 37). Les exemples sont multiples : Rome, la Perse, la Chine, le Japon. A l’époque moderne, les empires ont eu également une connotation religieuse. En regard , le bouddhisme est probablement la plus ancienne religion du monde indépendante des états. Les religions abrahamiques se sont référées à une conception exclusive du Dieu d’Israël. Dans l’histoire, christianisme et islam ont eu tendance à appuyer la formation d’empires à travers une religion politique. « La christianisation de l’empire romain a donné naissance aux empires d’Europe qui se sont entredéchirés et effondrés durant la première guerre mondiale (p 38).

Le monde prémoderne était caractérisé par une culture agraire vivant en symbiose avec la nature. La religion prémoderne est une religion cosmique. L’unité sociale était le village. Aujourd’hui, on est passé du village à la ville. Le monde urbanisé, globalisé donne aux religions un caractère mondial si certaines conditions sont remplies comme la séparation de la religion et de la politique et la garantie de la liberté de conscience. Ce monde urbanisé, globalisé abrite ainsi une société multireligieuse. On trouve des chamans en Californie et des bouddhistes tibétains en Allemagne.

Dans ce nouveau paysage humain, Moltmann introduit la terre comme une interlocutrice majeure à travers laquelle la nature et l’humanité se rejoignent et il revient sur la théorie de Gaia déjà évoquée. La terre est certes le sol sur lequel et à partir duquel nous vivons. Mais aujourd’hui, dans la nouvelle configuration qui résulte de la découverte de l’espace et de l’exploration spatiale (3), la terre apparaît comme un système complexe et unique qui peut être perçu comme un organisme vivant. « La théorie de Gaia n’est pas un essai pour déifier la terre, mais une compréhension de la planète terre come un organisme qui engendre la vie et suscite les environnements correspondants » (p 40). Ainsi la terre peut apparaître comme un organisme vivant avec une sensibilité propre. Et comme, nous autres humains, nous sommes des créatures terrestres, pour comprendre notre humanité, nous devons comprendre la terre. C’est « la fin de l’anthropocentrisme du monde moderne ». « La race humaine s’inscrit dans la vie du système terrestre » (p 41). Moltmann reprend en ce sens des éclairages bibliques déjà évoqués. En Genèse 1.24, c’est la terre qui engendre les êtres vivants. Et l’alliance de Dieu avec Noé n’envisage pas seulement l’humanité, mais aussi la terre.

Ce regard nouveau interpelle les grandes religions du monde, car jusqu’ici, elles se sont intéressées uniquement au monde humain. Mais, si le monde humain est inscrit dans la nature de la terre et ne peut survivre sans elle, alors l’attention des religions doit se porter également sur la terre. « Les religions mondiales ne peuvent l’être que si elles deviennent des religions de la terre et envisagent l’humanité comme humanité comme un élément intégré dans la planète terre. Si les religions missionnaires de l’histoire veulent atteindre les extrémités de la terre, elles doivent se transformer elles-mêmes en religions universelles de la terre. Pour cela, elles doivent redécouvrir la sagesse écologique aujourd’hui oubliée et la révérence naturelle des religions locales de la nature » (p 43). Beaucoup d’adhérents des religions historiques ont rabaissé les religions de la nature, les considérant comme primitives. Il y a là une erreur à corriger. « On doit chercher à réinterpréter la sagesse pré-industrielle pour notre âge post-industriel. « Car si les religions mondiales ne peuvent pas y parvenir, qui le pourrait ? » (p 43).

« Les religions mondiales se tournaient invariablement vers un monde au delà. Le nirvana des religions bouddhistes et le Dieu des religions monothéistes se tournaient vers un au delà de ce monde. Les religions politiques impériales envisageaient l’empereur dans la position d’un fils du Ciel. Ces religions percevaient le monde comme « mondain, pénible, mortel, futile et temporaire » (p 43). L’âme était destinée à échapper à ce monde. « Les religions ont offert un soulagement par rapport à l’étrangeté de ce monde, mais elles ont aussi rendu ce monde étranger ». « Si les religions du monde veulent atteindre les extrémités de la terre, elle doivent se retourner vers la terre et y apprécier les beautés et les vertus qu’elles projetaient dans le monde au-delà » (p 44). Ainsi les religions du monde doivent s’engager sérieusement dans la perspective écologique et commencer par s’appliquer à elles-mêmes les requêtes correspondantes ».

La religion hébraïque nous offre une religion de la terre dans la forme de l’année sabbatique. Tous les sept ans, la terre doit se reposer. Le repos sabbatique de la terre est béni par Dieu. Cette disposition permet à la terre de porter à nouveau du fruit » (p 44).

En terme d’image, Jürgen Moltmann rapporte qu’en Chine, les peintures comportent toujours une chute d’eau, une eau vive qui descend du ciel sur la terre. C’est un symbole fort. Puissent un jour les religions du monde couler comme une eau vive de l’au-delà dans notre monde apportant la joie du ciel pour faire le bonheur de la terre et apportant l’eau vive de l’éternité dans notre temps. « J’aspire à la venue du royaume de Dieu sur la terre comme au Ciel » (p 44)

Ce livre apporte ainsi , entre autres, un éclairage fondamental sur le rapport entre écologie et religion. « Il argumente que la foi chrétienne – et aussi les autres religions du monde – doivent s’orienter vers la plénitude de la famille humaine et l’environnement physique nécessaire à cette orientation » (page de couverture). Cet éclairage s’inscrit dans une première section du livre portant sur les défis que le monde actuel porte à l’espérance tandis que la seconde section présente des ressources en provenance de la première Eglise, de la Réforme et de la conversation théologique contemporaine. Moltmann rappelle que la foi chrétienne a beaucoup à dire en réponse à un monde qui va en se désespérant. Dans « le oui éternel du Dieu vivant », nous affirmons la valeur et le projet en cours de notre fragile humanité. De même, l’amour de Dieu nous donne force pour aimer la vie et résister à la culture de mort » (page de couverture).

Aujourd’hui, la recherche montre l’intensité des nouvelles aspirations spirituelles qui se retrouvent mal dans la religion organisée. Ce décalage existe également dans le rapport entre écologie et religion. Jürgen Moltmann décrit ce décalage et nous indique des pistes nouvelles. La voie écologique est, aujourd’hui, un chemin obligé. C’est une contribution bienvenue à un moment où des initiatives conséquentes commencent à apparaître dans le champ chrétien aussi bien dans le champ de la pensée (4) que de l’action (5).

J H

  1. Jürgen Moltmann. Hope in these troubled times. World Council of Churches, 2019 et, version américaine : Jürgen Moltmann. The Spirit of hope. Theology for a world in peril. Wesminster John Knox Press, 2019. Pour des raisons d’opportunité, nous avons travaillé sur cette seconde version.
  2. Hildegarde de Bingen. « L’homme, la nature et Dieu » : https://vivreetesperer.com/lhomme-la-nature-et-dieu/
  3. « Pour une conscience planétaire. Blueturn : la terre vue du ciel » : https://vivreetesperer.com/pour-une-conscience-planetaire/
  4. « Convergences écologiques : Jean Bastaire, Jürgen Moltmann, Pape François et Edgar Morin » : https://vivreetesperer.com/convergences-ecologiques-jean-bastaire-jurgen-moltmann-pape-francois-et-edgar-morin/ « Comment entendre les principes de la vie cosmique pour entrer en harmonie » : https://vivreetesperer.com/comment-entendre-les-principes-de-la-vie-cosmique-pour-entrer-en-harmonie/
  5. « Une approche spirituelle de l’écologie : « Sur la Terre comme au Ciel » : https://vivreetesperer.com/une-approche-spirituelle-de-lecologie/

« L’espérance en mouvement » : affronter la menace environnementale et climatique pour une nouvelle civilisation écologique » : https://vivreetesperer.com/lesperance-en-mouvement/

Voir aussi : « Comment dimension écologique et égalité hommes-femmes vont de pair et appellent une nouvelle vision théologique » : https://vivreetesperer.com/comment-dimension-ecologique-et-egalite-hommes-femmes-vont-de-pair-et-appellent-une-nouvelle-vision-theologique/

L’espérance en mouvement

L'espérance en mouvementAffronter la menace environnementale et climatique pour une nouvelle civilisation écologique

Joanna Macy Chris Johnstone Michel Maxime Egger

 Les éditions Labor et Fides nous offre une collection dédiée à la question écologique. « Les études des scientifiques convergent. La civilisation industrielle basée sur la consommation industrielle des ressources entame désormais une confrontation ultime avec les limites du système terre dont elle dépend. Les dérèglements et dégradations en cours provoquent des dommages et catastrophes naturelles de plus en plus graves et des souffrances intolérables à un nombre croissant d’êtres humains. La collection « Fondations écologiques » dirigée par Philippe Roch et Michel Maxime Egger, propose des ouvrages cherchant à dégager les concepts, les valeurs et les moyens propres à fonder une civilisation respectueuse des limites écologiques d’un côté, et de la diversité des aptitudes et des aspirations humaines de l’autre » ( p 4).

En 2018, est paru dans cette collection, un livre de deux personnalités écologiques anglophones : Joanna Macy et Chris Johnstone : « L’Espérance en  mouvement. Comment faire face au triste état de notre monde sans devenir fou » (1). Ce livre est préfacé par Michel Maxime Egger, un pionnier francophone de l’écospiritualité et de l’écopsychologie (2). En suivant cette préface (au thème repris dans une vidéo)  (3), nous entrerons dans la perspective de la transition écologique et nous apprécierons l’appel de ce livre dans toute son originalité.

Vers un nouveau paradigme : écologie extérieure et écologie intérieure.

« Il ne s’agit pas seulement de protéger le milieu naturel, mais de transformer le paradigme  culturel, psychologique et spirituel qui sous-tend le modèle productiviste et consumériste qui détruit la planète…Pour cela, l’économie extérieure ne suffit pas… Cette écologie doit être complétée par une écologie intérieure et verticale… Cette nouvelle approche de l’écologie centrée sur l’approche de relations réharmonisées avec la terre et tous les être qui l’habitent, a pris de plus en plus d’ampleur ces vingt dernières années … Elle se décline selon deux axes : l’écopsychologie qui explore les relations profondes entre la psyché humaine et la terre… et l’écospiritualité qui ouvre explicitement à une dimension de mystère et d’invisible, de transcendance et de sacré, non réductible aux noms et aux formes multiples –doctrinales symboliques et rituelles – que leur donnent les traditions religieuses instituées » ( p 9-10).

 

Une visionnaire : Joanna Macy

  Joanna Macy, l’auteure du livre : « L’Espérance en mouvement », est « l’une des grandes figures de la « révolution tranquille » qui apparait aujourd’hui. Elle est l’une des rares à participer à la fois aux deux courants de l’écopsychologie et de l’écospiritualité ». Michel Maxime Egger nous présente les grandes étapes de sa vie, les « cercles expansifs » de son parcours.

Le premier cercle recouvre ses racines judéo-chrétiennes. « Si elle a vécu Dieu comme « une présence chaude et enveloppante » pendant son enfance, la théologie universitaire va transformer cette présence en vide et la foi chrétienne en injonctions morales ». Elle s’éloigne ( p 12).

Le deuxième cercle est sa formation universitaire. « Joanna a fait une formation en théorie générale des systèmes. Cela lui a donné des outils conceptuels forts pour une compréhension holistique et organique des problèmes de la planète ». Elle a vu dans cette approche « la plus importante révélation cognitive de notre temps, de la physique à la psychologie ». « Elle montre que nous tissons notre monde en une toile vivante qui forme notre demeure qu’il ne tient qu’à nous de perpétuer » ( p 13).

« Le troisième cercle est la découverte du bouddhisme à travers la rencontre avec des maitres tibétains ». Dans les années 60, elle participe à des actions humanitaires dans des régions bouddhistes. « Le bouddhisme lui a appris la nécessité de regarder la souffrance en face. Plus encore, il lui a permis de développer les ressources intérieures pour assumer cette dernière, vivre avec elle et la transformer en force de vie. Il l’a également ouverte à l’expérience de la compassion comme réponse organique à l’interdépendance de  toutes choses qui constitue la loi de la toile de la vie ». Cette inspiration spirituelle va l’accompagner dans son engagement écologique.

Cet engagement se poursuit sans l’approche de l’écologie profonde, une identification avec les réalités naturelles. « Une manière de rompre avec une posture anthropocentrique et de prendre conscience de l’unité ontologique de l’être humain avec la terre et les êtres qui la peuplent » ( p 14).

Enfin, on peut percevoir un cinquième cercle dans son engagement pour la surveillance des déchets nucléaires. « L’énergie atomique  constitue le symbole par excellence de la nature brisée et de la séparation de l’être humain avec la Terre ».

« Pour Joanna Macy, les cinq cercles n’en font qu’un. Elle voit entre eux de fortes convergences : la pensée et la pratique bouddhiste entrent en interaction avec les valeurs du mouvement vert et les principes gandhiens, la psychologie humaniste avec l’écoféminisme, l’économie durable avec la théorie des systèmes, l’écologie profonde et la nouvelle science paradigmatique » ( p 15).

 

Le Travail qui relie

« C’est riche des apports de tous ces cercles que Joanna Macy va, à partir du milieu des années 80, développer « le Travail qui relie », une méthodologie puissante de transformation personnelle et collective pour contribuer au changement de cap » ( p 16).

Car c’est bien à un changement de cap que Joanna Macy nous appelle à l’encontre de deux autres scénarios : « On fait comme d’habitude » et : on se prépare à subir « la grande désintégration ». Tout ce livre a pour but de renforcer « notre contribution au changement de cap en faisant tout notre possible » ( p 29-30).

Michel Maxime Egger porte son regard d’analyste, d’interprète et de témoin sur l’approche du « Travail qui relie ». « le but essentiel du travail qui relie est d’amener les gens à découvrir et à faire l’expérience de leurs connexions naturelles avec les êtres qui les entourent ainsi qu’avec la puissance systémique et autorégénératrice  de la grande toile de la vie, cela afin qu’ils puissent trouver l’énergie et la motivation de jouer leur rôle dans la création d’une civilisation durable » (Joanna Macy) ( p 12). L’objectif est d’aider les personnes à éveiller et développer leurs ressources – intérieures et sociales –  pour passer du déni à la réalité, de l’apathie au désir d’agir, de l’impuissance à l’empowerment, de la compétition à la coopération, du désespoir à la résilience, du moi ego-centré au soi relié »…

Cette série de passages est le cœur de ce que Joanna Macy appelle « l’espérance en mouvement » qui constitue le titre de cet ouvrage… « L’espérance vient de l’intérieur. Ele jaillit du cœur profond, telle une aspiration à accomplir le non encore advenu de l’histoire. L’espérance est en cela intrinsèquement liée au processus de la personne qui grandit en humanité et réalise son potentiel cosmique, humain et divin » ( p 17).

Le « Travail qui relie » se présente comme une spirale qui se déploie organiquement selon quatre temps :

S’enraciner dans la gratitude

Honorer sa souffrance pour le monde

Changer de vision

Aller de l’avant

C’est cette approche que présente Joanna Macy dans ce livre.

A travers la gratitude, « reconnaître les dons de la vie donne des forces ». A travers cette analyse, l’auteure rejoint la recherche psychologique dans ses découvertes récentes (4).

Honorer notre souffrance pour le monde, c’est accepter nos émotions face aux malheurs du monde, ne pas les refouler. C’est accepter de voir la réalité en face et ne pas nous réfugier dans le déni. C’est accepter d’entrer en relation avec les victimes dans une attitude d’empathie et de compassion. L’auteure nous appelle à reconnaitre et à accepter notre souffrance pour le monde. « Quand nous entendons les pleurs de la terre en nous, non seulement nous nous libérons des résistances, mais nous permettons la circulation des flux de reliance qui nous connectent avec le monde. Ces canaux agissent comme un système racinaire qui nous donne accès à une force et à une reliance qui perdurent aussi anciennes que la vie elle-même » (p 112). Dans cette pratique d’acceptation de la souffrance du monde, Joanna Macy fait largement appel aux ressources de la tradition bouddhiste. On pourrait de même se reporter à la compassion divine telle qu’elle se manifeste dans l’inspiration chrétienne.

En nous invitant ensuite à porter un nouveau regard, Joanna Macy élargit notre conscience comme l’indiquent les titres des différents chapitres :  une conscience de soi élargie ; un pouvoir d’un autre genre ; une expérience plus riche de la communauté ; une vision élargie du temps.

Et puis, nous pouvons ensuite aller de l’avant : Joanna Macy nous parle d’inspiration, d’imagination, d’intelligence collective, de confiance, de reliance. « Nous vivons à un moment où le corps vivant de notre terre est attaqué. Cependant, l’agresseur n’est pas une force étrangère, mais notre propre société de croissance industrielle. Dans le même temps, un processus de récupération extraordinaire est en cours, une réponse créative vitale que nous appelons le changement de cap. En relevant le défi de jouer le meilleur rôle possible, nous découvrons ce trésor qui enrichit nos vies et participe à la guérison du monde. Une huitre en réponse au traumatisme fait pousser une perle. Et nous, nous faisons pousser pour l’offrir ainsi, notre don de l’espérance en mouvement » (p 290).

 

Le mouvement de l’espérance

Dans son œuvre militante pour une nouvelle civilisation écologique, Michel Maxime Egger a écrit de nombreux livres. Et, aux éditions Jouvence, il a publié un livre accessible à tous : « Ecospiritualité. Réenchanter notre relation à la nature » (5). Voici ce qu’il écrit à propos de l’espérance : « L’espérance vient de l’intérieur. Elle jaillit du cœur profond,  telle une aspiration pour faire advenir le non encore advenu de l’histoire… C’est là qu’intervient la foi. Non pas comme une adhésion à un système de croyances, mais comme le fruit de l’expérience intime du divin. Ma foi est la connaissance que « la vie va vers la vie » et que « la mort n’est pas la fin de tout »… « Elle donne du sens, le courage de vivre et de s’engager, une confiance fondamentale en la vie, en l’Esprit, en la capacité de l’humain à changer » (p 115)

Si l’espérance monte ainsi du cœur profond, nous y voyons un mouvement général de l’Esprit qui fait lever cette espérance, une dynamique qui nous porte ensemble vers l’avenir. En termes chrétiens, la théologie de l’espérance développée par Jürgen Moltm

ann nous permet d’entrer dans cette dynamique et d’y reconnaître l’œuvre de Dieu. « La promesse de Dieu ouvre le futur et donne ainsi le courage d’aller vers l’avant ». « La promesse que l’avenir de Dieu s’ouvre à nous donne naissance à une mission dans l’histoire, de telle sorte que cet avenir puisse être anticipé dans le contexte des possibilités que nous découvrons » (6) « Le Dieu qui a ressuscité Jésus est le créateur d’une existence nouvelle de tout ce qui est créé ». « La résurrection est le premier acte de la nouvelle création de ce monde transitoire en une forme nouvelle vraie et durable ».  Dieu renouvelle la terre. Si aujourd’hui le monde est encore exposé aux forces de mort – et combien ne le voit-on pas aujourd’hui ! –  il est appelé à devenir la maison de Dieu ( 7). La pensée de Jürgen Moltmann et du pape François dans l’encyclique Laudato si’ se rencontrent (8).

Une perspective analogue est exprimée par Michel Maxime Egger : « L’Esprit est toujours à l’œuvre agissant à l’intérieur de la Création. Le récit allégorique de l’Apocalypse, qui clôt la Bible,  raconte l’histoire – invisible, souterraine, spirituelle – qui se joue sous la surface de l’histoire apparente, pleine de bruits et de fureurs. Cette histoire visible – avec ses nœuds, ses fils coupés, brisée et enchevêtrés qui symbolisent les souffrances, violences, et désordres de la Création – représente l’envers de la toile de la vie que le divin continue  de tisser –silencieusement et amoureusement –  avec nos vies et celles de toutes les créatures. Cela, dans l’attente que les êtres humains opèrent la mutation de conscience, le retournement intérieur nécessaire pour permettre au motif harmonieux de l’endroit de se manifester ».

« L’écospiritualité invite chacun et chacune à s’ouvrir à une telle vision d’espérance et à effectuer cette transformation. Elle souhaite ainsi nourrir le désir de nous engager pour la transition vers une société écologique, juste et résiliente ». ( p 117).

Ainsi, le livre de Joanna Macy et Chris Johnstone : « L’espérance en mouvement » est bien nommé. Cette espérance est en marche aujourd’hui à travers des voies à la fois diverses et convergentes (9).

J H

  1. Joanna Macy, Chris Johnstone. L’espérance en mouvement. Comment faire face au triste état de notre monde sans devenir fou. Préface de Michel Maxime Egger. Labor et Fides, 2018
  2. Michel Maxime Egger est sociologue, écothéologien et acteur engagé de la société civile en Suisse. Il est l’auteur de plusieurs livres. Il a fondé le réseau : Trilogies « pour mettre en dialogue traditions spirituelles, quêtes de sens, écologie et grands enjeux socio-économiques de notre temps ». Il chemine dans la spiritualité chrétienne orthodoxe. http://trilogies.org/auteurs/michel-maxime-egger
  3. Vidéo de Michel Maxime Egger présentant le travail qui relie https://www.youtube.com/watch?v=CRk5dpvoUDQ
  4. « La gratitude : un mouvement de vie » : https://vivreetesperer.com/la-gratitude-un-mouvement-de-vie/
  5. Michel Maxime Egger. Ecospiritualité. Réenchanter notre relation avec la nature. Jouvence, 2018
  6. « Une théologie pour notre temps… Chapitre : une théologie de l’espérance : https://lire-moltmann.com/une-theologie-pour-notre-temps/
  7. « Dieu dans la création » : https://lire-moltmann.com/dieu-dans-la-creation/
  8. « Convergences écologiques : Jean Bastaire, Jürgen Moltmann, Pape François et Edgar Morin » : https://vivreetesperer.com/convergences-ecologiques-jean-bastaire-jurgen-moltmann-pape-francois-et-edgar-morin/
  9. Entre autres, chemins écologiques sur ce blog :                          « Vers une économie symbiotique » : https://vivreetesperer.com/vers-une-economie-symbiotique/              « L’homme, la nature et Dieu » : https://vivreetesperer.com/lhomme-la-nature-et-dieu/                « Comment entendre les principes de la vie cosmique pour entrer en harmonie : https://vivreetesperer.com/comment-entendre-les-principes-de-la-vie-cosmique-pour-entrer-en-harmonie/                                                                                   « Une approche spirituelle de l’écologie (Sur la Terre comme au Ciel) : https://vivreetesperer.com/une-approche-spirituelle-de-lecologie/

Aspects politiques et économiques de l’écologie :

« La course pour la terre » : https://vivreetesperer.com/la-course-pour-la-terre/

« Le New Deal Vert » : https://vivreetesperer.com/le-new-deal-vert/