The Good Life

The Good Life

Ce que nous apprend la plus longue étude scientifique sur le bonheur et la santé

Cette annĂ©e 2023, vient de paraĂźtre le bilan d’une recherche exceptionnelle par son Ă©tendue et sa durĂ©e pour la comprĂ©hension de la b vie humaine dans son projet de vie bonne : »The Good Life and how to live it. Lessons from the World’s longest study on happiness » (1). Ce livre a Ă©tĂ© trĂšs rapidement traduit et publiĂ© en français :  « The good life : ce que nous apprend la plus longue Ă©tude scientifique sur le bonheur et la santé » (2). « En cette pĂ©riode de grande incertitude, les docteurs Robert Waldinger et Marc Schultz, actuels directeurs de l’étude, font pour la premiĂšre fois la synthĂšse de dĂ©cennies de recherches associant rĂ©sultats mĂ©dicaux, trajectoires personnelles, sagesses ancestrales et outils concrets, ils nous prouvent scientifiquement qu’une vie vĂ©ritablement heureuse n’est pas synonyme de rĂ©ussites et de succĂšs financiers, et que nous avons en nous les clĂ©s de notre Ă©panouissement et de notre rĂ©silience ».

DĂ©jĂ , certaines dĂ©couvertes inattendues avaient Ă©tĂ© dĂ©voilĂ©es par Robert Waldinger dans une vidĂ©o Ted X (3). Comme si un aveuglement l’en avait longtemps empĂȘchĂ©, une constatation Ă©tait apparue : l’importance de la vie relationnelle pour l’épanouissement humain. « Le message le plus Ă©vident est celui-ci : « Les bonnes relations nous rendent plus heureux et en meilleure forme. C’est tout ».Et, les connections sociales sont vraiment trĂšs bonnes pour nous et la solitude tue. Les gens qui sont les plus connectĂ©s Ă  leur famille, Ă  leurs amis, Ă  leur communautĂ©, sont plus heureux physiquement et en meilleure santĂ© et ils vivent plus longtemps que les gens moins bien connectĂ©s » (3).

 

La grande enquĂȘte d’Harvard sur le dĂ©veloppement adulte

Dans les annĂ©es 1930, alors que les Etats-Unis luttaient pour sortir de la grande DĂ©pression, et comme le « New Deal » prenait son essor, « il y eut un intĂ©rĂȘt croissant pour comprendre quels facteurs permettaient aux ĂȘtres humains de prospĂ©rer en contraste avec ce qui les faisaient Ă©chouer . Cet intĂ©rĂȘt nouveau a conduit deux groupes de chercheurs Ă  Boston Ă  initier des projets de recherche se proposant de suivre deux groupes trĂšs diffĂ©rents de garçons.

Le premier Ă©tait un groupe d’étudiants de deuxiĂšme annĂ©e au CollĂšge d’Harvard parce qu’ils Ă©taient considĂ©rĂ©s comme devant probablement grandir en devenant des hommes en bonne santĂ© et bien ajustĂ©s . Dans l’esprit du temps, mais bien en avance sur ses contemporains dans la communautĂ© mĂ©dicale, Arlie Rock, le nouveau  professeur d’hygiĂšne, dĂ©sirait passer d’une attention Ă  ce qui rendait les gens malades Ă  ce qui  rendait les gens en bonne santé  » ( pagination livre anglophone p 11). La seconde Ă©tude fut initiĂ©e par un juriste et un travailleur social auprĂšs de jeunes garçons ĂągĂ©s de 14 ans  habitant dans des quartiers dĂ©favorisĂ©s et venant de familles en difficultĂ©s, pour 60% ayant au moins un parent issu de l’immigration mais ayant Ă©vité  de tomber dan la dĂ©linquance, un des buts de l’enquĂȘte Ă©tant justement de prĂ©venir la dĂ©linquance. Lorsque les deux enquĂȘtes se sont rejointes, une mĂ©thodologie commune a Ă©tĂ© adoptĂ©e. « les enquĂȘtĂ©s se sont vus soumis Ă  des examens mĂ©dicaux, et ont Ă©tĂ© interviewĂ©s Ă  domicile » . Cette enquĂȘte se caractĂ©rise par l’ampleur et le volume des donnĂ©es recueillies durant un parcours de vie intĂ©gral. « Dans notre Ă©tude longitudinale, chaque rĂ©cit de vie se fonde sur des donnĂ©es dĂ©taillĂ©es concernant la santĂ© et les conditions physiques. Nous avons Ă©galement enregistrĂ© d’autres donnĂ©es de base comme la nature de leur emploi, le nombre des amis proches, leurs loisirs. A un niveau plus profond, nous les avons sondĂ© sur leur expĂ©rience subjective . nous leur avons posĂ© des question sur leur satisfaction au travail, leur satisfaction maritale, leur maniĂšre de rĂ©soudre les conflits, l’impact psychologique des mariages et des divorces, les naissances et les dĂ©cĂšs . Nous les avons interrogĂ© sur leurs souvenirs familiaux
. Nous avons Ă©tudiĂ© leurs croyances spirituelles et leurs prĂ©fĂ©rences politiques, leurs pratiques d’église, leur participation Ă  des activitĂ©s communautaires, leur but dans la vie
  Tous les deux ans, nous leur avons envoyĂ© de longs questionnaires et tous les cinq ans, nous avons recueillis des donnĂ©es mĂ©dicales complĂštes. Tous les quinze ans, nous avons eu avec eux une rencontre face Ă  face » ( p 14-15). C’est dire la connaissance dĂ©taillĂ©e qui en est rĂ©sultĂ©e. Mais la vie sociale et les mƓurs Ă©voluent. Les chercheurs en ont tenu compte et ils ont Ă©galement pris en charge les rĂ©sultats d’autres recherches.  « Le but de ce livre est d’offrir ce que nous avons appris sur la condition humaine, de vous montrer ce que l’étude d’Harvard peut dire au sujet de l’expĂ©rience universelle d’ĂȘtre en vie » ( p 16).

 

Qu’est-ce qui rend une vie bonne ?

« Qu’est-ce qui rend une vie bonne ? C’est la question que se pose les chercheurs ? Mais il y donc une question prĂ©alable : qu’entend-on par : vie bonne ? Quand on demande aux gens ce qu’ils attendent de la vie, la rĂ©ponse la plus courante est : ĂȘtre heureux. Mais qu’est-ce que le bonheur signifie ? Pour rĂ©pondre Ă  cette question, les auteurs ont notamment recours Ă  la pensĂ©e grecque. «  Il y a plus de deux mille ans, Aristote utilisait un terme qui est encore beaucoup utilisĂ© en psychologie aujourd’hui : « eudaimonia ». Ce terme se rĂ©fĂšre Ă  un Ă©tat de  profond bien-ĂȘtre dans lequel une personne sent que sa vie a un sens et un but. Il est souvent mis en contraste  avec « hedonia » (origine du mot hĂ©donisme) qui renvoie Ă  un bonheur flottant de plaisirs variĂ©s » ( p 18). « On peut parler de  bonheur hĂ©donique quand on dit : avoir du bon temps, mais le bonheur eudaimonique correspond Ă  ce que nous voulons signifier lorsque nous disons : la vie est bonne
 C’est un genre ce bonheur qui peut passer Ă  la fois Ă  travers des hauts et des bas ».

Certains psychologues ont contestĂ© l’emploi du mot bonheur comme une appellation fourre-tout et prĂ©fĂšrent des termes comme bien-ĂȘtre. Un des auteurs Ă©voque des gens qui prospĂšrent (thriving) . Cependant, tout le monde comprendra ce qu’on entend par ĂȘtre heureux et le terme de bonheur est entendu ici  dans le sens prĂŽnĂ© par Aristote : « eudaimonia ».. ( p 19)

 

Chemins heureux ou malheureux

A partir de leur immense banque de donnĂ©es, les auteurs peuvent suivre les Ă©volutions des uns et des autres et dans quel sens elles tournent. C’est ainsi qu’il  nous est prĂ©sentĂ© deux rĂ©cits de vie, deux Ă©tudes de cas, un chemin plutĂŽt heureux et une autre, plutĂŽt malheureux ( p 31-35).

« En 1946, John Marsden et Leo DeMarco se trouvaient tous deux Ă  un carrefour majeur dans leur vie. Tous deux avaient la bonne fortune d’ĂȘtre rĂ©cemment diplĂŽmĂ© de Harvard. Toux deus venaient de servir militairement durant la seconde guerre mondiale. Ils bĂ©nĂ©ficiaient des avantages accordĂ©s aux vĂ©tĂ©rans. Tous deux Ă©taient bien dotĂ©s financiĂšrement. La famille de John Ă©tait riche et Leo appartenait Ă  la classe moyenne supĂ©rieure
.ils semblaient tous deux pouvoir bĂ©nĂ©ficier de la vie bonne ».
John aurait pu travailler dans l’entreprise familiale. Il prĂ©fĂ©ra entreprendre des Ă©tudes de droit, y consacra toutes ses forces et il obtint le diplĂŽme dans un bon rang

LĂ©o, ambitionnait d’ĂȘtre Ă©crivain. Mais, aprĂšs le dĂ©cĂšs de son pĂšre, sa mĂšre contracta la maladie de Parkinson. Il vint s’occuper d’elle et trouva un travail d’enseignant dans une Ă©cole secondaire. Peu aprĂšs, Leo rencontra Grace dont il tomba profondĂ©ment amoureux. Ils se mariĂšrent immĂ©diatement et l’annĂ©e suivante, ils eurent leur premier enfant. A partir de lĂ , son orientation s’affermit. Il continua Ă  enseigner pendant les quarante annĂ©es suivantes.

« Nous sommes invitĂ©s Ă  passer vingt neuf ans et Ă  nous retrouver en fĂ©vrier 1975. Les deux hommes ont 55 ans. John s’est mariĂ© Ă  34 ans et il est maintenant un juriste ayant rĂ©ussi et gagnant 52000 dollars par an. Leo est encore enseignant dans une Ă©cole secondaire et il gagne 18000 dollars par an. Un jour, ils ont reçu le mĂȘme questionnaire. Et lĂ , il y a des questions cruciales : « La vie comporte plus de peine que de plaisir » John rĂ©pond : vrai et Leo : faux. « Je me sens souvent affamĂ© d’affection ». John rĂ©pond : vrai et Leo rĂ©pond : faux.( p 32-33)
. »

John Marsden, un des membres de l’échantillon ayant rĂ©ussi professionnellement le plus brillamment Ă©tait aussi un des moins heureux. Comme Leo DeMarco, il souhaitait ĂȘtre proche des gens
 mais il rapportait constamment des sentiments de dĂ©connection et de tristesse dans sa vie. Il lutta dans son premier mariage et il s’aliĂ©na ses enfants. Quand John se remaria Ă  62 ans, il en vint assez vite Ă  considĂ©rer cette relation comme sans amour.

Leo De Marcos, quant Ă  lui, se pensait lui-mĂȘme premiĂšrement en relation avec les autres. – sa famille, son Ă©cole et ses amis apparaissent frĂ©quemment dans ses rapports et il est gĂ©nĂ©ralement considĂ©rĂ© comme un des plus heureux des enquĂȘtĂ©s. Il avait quatre filles et une femme qui l’aimait. Il Ă©tait apprĂ©ciĂ© par ses amis. Contrairement Ă  John, il trouvait du sens dans son travail parce qu’il prenait plaisir Ă  ce que ses destinataires y trouvaient. ( p 34-35).

Cette comparaison illustre bien comment la recherche de la rĂ©ussite  financiĂšre n’apporte pas le bonheur. Et « le moteur de la vie bonne n’est pas le moi (the self) comme John Marsden le croyait, mais plutĂŽt nos connexions avec les autres ainsi que la vie de Leo DeMarcos  le dĂ©montra » ( p 52).

 

Un nouvel Ă©clairage sur la vie

« AprĂšs avoir Ă©tudiĂ© des centaines de vie en entier, nous pouvons confirmer ce que nous savons dĂ©jĂ , une immense gamme de facteurs contribue au bonheur d’une personne. Le dĂ©licat Ă©quilibre des contributions de l’économique, du social, du psychologique, et de la santĂ© est complexe et toujours changeant
. Ceci dit, si vous regardez de maniĂšre rĂ©pĂ©tĂ©e Ă  travers le temps, le mĂȘme genre de donnĂ©es sur un grand nombre de gens et Ă  travers de nombreuses Ă©tudes, des configurations commencent Ă  Ă©merger et les facteurs prĂ©dicteurs du bonheur humain deviennent clairs.  Parmi ces facteurs   prĂ©dicteurs de la santĂ© et du bonheur, du bon rĂ©gime diĂ©tĂ©tique Ă  l’exercice, au niveau de vie, une vie de bonnes relations ressort en puissance et en consistance » ( p 19-20).

« L’étude de Harvard comme d’autres Ă©tudes parallĂšles  porte tĂ©moignage de l’importance des connexions humaines  Elle montre que les gens qui sont les plus connectĂ©s  Ă  la famille, aux amis, Ă  la communautĂ© sont plus  heureux et physiquement en meilleure santĂ© que les gens qui sont moins bien connectĂ©s. Les gens qui sont plus isolĂ©s qu’ils ne le souhaiteraient voient leur santĂ© dĂ©cliner plus vite que les gens qui se sentent connectĂ©s aux autres. Les gens isolĂ©s vivent Ă©galement des vies plus courtes. Malheureusement, ce sentiment de dĂ©connection est en train de grandir dans le monde. Environ un amĂ©ricain sur quatre rapporte se sentir seul – plus de soixante millions de gens. En Chine, la solitude parmi les personnes les plus ĂągĂ©es a nettement grandi, ces derniĂšres annĂ©es et la Grande-Bretagne a crĂ©Ă© un ministre de l’isolement (A minister of loneliness),  pour faire face Ă  ce qui est en train de devenir un enjeu majeur de santĂ© publique » ( p  21). Le flĂ©au de la solitude s’étend aujourd’hui.

Si les conditions sont difficiles, certains peuvent se demander si une ouverture aux relations est encore possible pour eux. « Est-ce que c’est trop tard pour moi ? ». AprĂšs investigation, les chercheurs rĂ©pondent, il n’est jamais trop tard. « Votre Ă©ducation dans l’enfance n’est pas votre destin, vos dispositions naturelles ne sont pas votre destin, votre voisinage n’est pas votre destin ». De fait, la solitude peut advenir dans diffĂ©rentes situations. Au total, « c’est la qualitĂ© de la relation qui compte. Dit simplement, « Vivre au sein d’une relation chaleureuse protĂšge Ă  la fois le mental et  le corporel. C’est un important concept, le concept de protection » (p 23). Les auteurs poursuivent en dĂ©clinant que ces conclusions en faveur de l’importance de la relation ne sont pas seulement le produit d’une recherche scientifique, mais Ă©galement le legs d’une sagesse de longue date. Les auteurs citent Aristote et Lao Tseu (p 24). Nous ajouterons que cette vision est au cƓur des Evangiles.

Le livre se poursuit en étudiant les conditions pour développer une aptitude relationnelle et formule des propositions en ce sens.

 

Un message largement diffusé

On pourra accompagner la lecture de ce livre par la consultation de vidĂ©os et d’articles. Ces documents nous aideront Ă  diriger notre attention sur tel ou tel point important pour nous. En premier lieu, nous signalons ici une interview  Ted de Robert Waldinger sous titrĂ©e en français : https://www.youtube.com/watch?v=IStsehNAOL8

On trouver Ă©galement un entretien avec Robert Waldinger dans « The Guardian ». C’est un article de fond : https://www.theguardian.com/lifeandstyle/2023/feb/06/how-to-have-a-happy-life-according-to-the-worlds-leading-expert                  Organe de diffusion du centre de recherche californien : « Greater Good Science Center », le « Greater Good Magazine  Science-based insights for a meaningful life », Ă©voque naturellement le livre : « The good life », en mettant particuliĂšrement l’accent sur les moyens pour cultiver de meilleures relations : https://greatergood.berkeley.edu/article/item/what_the_longest_happiness_study_reveals_about_finding_fulfillment

Enfin, on trouvera, traduites en français, les réponses de Robert Waldinger à de nombreuses questions sur le site de BBC News Afrique : https://www.bbc.com/afrique/articles/ck5yl5p43xko

Nous achÚverons cette présentation  en reprenant quelques unes de ces réponses.

 

Comment développer de bonnes relations ?

Robert Waldinger Ă©met quelques suggestions pour nourrir et dynamiser les relation. Et l’une d’entre elles « consiste Ă  reconnaĂźtre quelqu’un lorsqu’il fait quelque chose de bien ». Nous prĂȘtons souvent attention Ă  ce que nous n’aimons pas. Mais « il y a une forme pratique de la gratitude oĂč nous nous demandons : A quoi  ressemblerait ma vie si ces personnes ne faisait pas ces choses ou si cette personne n’était pas dans ma vie ? Une autre suggestion pour nourrir les relations est de maintenir « une curiositĂ© radicale ». « Des Ă©tudes ont Ă©tĂ© menĂ©es sur la façon dont nous sommes Ă  l’écoute des sentiments d’une autre personne. Elle montre que surtout lors de la premiĂšre rencontre, nous sommes trĂšs attentifs aux sentiments d’une autre personne. Mais, une fois que nous sommes ensemble depuis des annĂ©es, nous savons beaucoup moins ce qu’elle ressent
. Il d’agit de renverser la situation et d’ĂȘtre curieux ».  On pose la question Ă  Robert Waldinger si le nombre  des amis compte. « Oui, mais c’est quelque chose de trĂšs individuel. Certains d’entre nous sont trĂšs timides, et pour ces personnes, avoir beaucoup de monde autour d’elle est stressant. D’autres personnes en revanche trĂšs extraverties ont besoin de beaucoup de monde dans leur vie et cela leur donne de l’énergie 
 Chacun d’entre nous doit dĂ©terminer par lui-mĂȘme quelle quantitĂ© d’activitĂ© sociale est bonne pour lui et pour sa vie ». On est parfois déçu parce qu’on se dit : « C’est toujours moi qui passe les appels, qui Ă©coute ». « Conseilleriez-vous aux gens de parler ouvertement Ă  leurs amis de ce qu’elles ressentent ? ». « Oui, je pense que ce serait bien, car certaines personnes ne se rendent pas compte ». « Aujourd’hui, de nombreux Ă©changes sont virtuels grĂące aux rĂ©seaux sociaux. En terme de relations, quelle est la meilleure façon d’utiliser les rĂ©seaux sociaux ? La façon dont nous utilisons les rĂ©seaux sociaux pour entrer en contact avec d’autres personnes a vraiment de l’importance. Si nous les utilisons activement, cela augmente notre bien-ĂȘtre. Et l’exemple que j’aime utiliser est celui d’un de mes amis, qui, pendant son confinement durant la pandĂ©mie, a repris contact avec ses amis de l’école primaire. Maintenant, ils prennent un cafĂ© virtuel tous les dimanches matin sur zoom. Et ils passent des moments merveilleux Ă  parler de leur vie et de leur enfance. C’est un exemple de rĂ©seau social actif et tout le monde en est plus heureux ». Cependant, il y a aussi une « consommation passive des mĂ©dias sociaux. Ce genre de consommation nous fait sentir plus mal et les adolescents sont particuliĂšrement sensibles Ă  cela. TrĂšs vulnĂ©rables ».  Pourquoi, le mot regret revient-il souvent dans le livre ? Effectivement, on le voit apparaĂźtre chez des personnes ĂągĂ©es.  Robert Waldinger Ă©voque deux grands regrets Ă©voquĂ©s Ă  l’ñge de 80 ans : « Chez les hommes, avoir passĂ© trop de temps au travail et pas assez ave les personnes chĂšres ;  chez les femmes avoir passĂ© trop de temps Ă  me prĂ©occuper de ce que pensent les autres. Pour gĂ©rer les regrets, il ne sert Ă  rien d’ĂȘtre en colĂšre contre soi. Utilisez les regrets pour un meilleur parti de la vie qui nous attend ». Il y a un chapitre dans le livre : « Il n’est jamais trop tard ». « Ce que nous voyons dans les histoires du livre, qui sont tirĂ©es de la vie rĂ©elle, c’est que les gens trouvent des liens qu’ils n’attendaient pas Ă  diffĂ©rents moments de leur vie, que ce soient avec leurs parents ou avec leurs enfants, qu’il s’agisse de liens amoureux ou d’amitiĂ©s. Donc, Ă  ceux qui pensent que les choses ne leur  arriveront jamais, nous disons : « Vous n’avez aucun moyen de savoir ». Le message est que cela vaut la peine d’y travailler, car, Ă  tous moments de la vie, vous pouvez crĂ©er de nouvelles et bonnes connexions ».

Ce livre rend compte d’un travail de recherche incomparable par son ampleur et sa durĂ©e. Le thĂšme nous concerne tous : les conditions d’une vie bonne. La rĂ©ponse n’était pas Ă©vidente au dĂ©part . Elle s’est imposĂ©e en cours de route. Ce sont les gens les plus connectĂ©s Ă  leurs amis, Ă  la famille, Ă  la communautĂ© qui sont les plus heureux et physiquement en meilleure santĂ©. Cette conclusion nous paraĂźt en phase avec une vision du monde qui met la relation au cƓur du Vivant dans toutes ses manifestations. N’a-t-on pas dĂ©fini la vie spirituelle comme une « conscience relationnelle », une « relation Ă  la nature, aux autres personnes, Ă  nous-mĂȘmes et Ă  Dieu » (4).  Dans leur mise en perspective, les auteurs se rĂ©fĂšrent Ă  une sagesse de longue date ( p 24). La discrĂ©tion vis Ă  vis de l’inspiration Ă©vangĂ©lique nous paraĂźt surprenante. Car la parole : « Tu aimeras le prochain comme toi-mĂȘme » (Matthieu 22.39) est au cƓur de l’enseignement de JĂ©sus. C’est bien l’amour qui est premier comme en tĂ©moigne l’hymne de Paul Ă  l’amour au chapitre 13 de la premiĂšre Ă©pitre aux Corinthiens. Cet amour est gĂ©nĂ©reux. Nourri par la communion divine, il Ɠuvre  pour la justice et il est dĂ©sintĂ©ressĂ©, ce qui apparait peu dans ce livre sur la « good life »   Cependant, au total, l’amour apparaĂźt  comme une force supĂ©rieure, les amitiĂ©s en dĂ©rivent et le contextualisent dans la vie quotidienne Des thĂ©ologiens comme JĂŒrgen Moltmann et Richard Rohr dĂ©veloppent une vision relationnelle. Richard Rohr Ă©crit ainsi : « Nous pouvons dire que Dieu est essentiellement relation . J’appelerai « salut » la disposition, la capacitĂ© et le vouloir d’ĂȘtre en relation (p 46). La voie de JĂ©sus, c’est une invitation Ă  un mode trinitaire de vie, d’amour et de relation sur la terre comme c’est le cas dans la divinitĂ©. Comme la TrinitĂ©, nous vivons intrinsĂšquement dans la relation. Nous appelons cela l’amour. Nous sommes faits pour l’amour. En dehors de cela, nous mourrons trĂšs rapidement. Et notre lignage spirituel, nous dit que Dieu est personnel : « Dieu est amour » ( p 47) (5).

J H

 

  1. Robert Waldinger, Marc Schulz. The Good Life and how to live it. Lessons from the world longest study on happinesss. Penguin, Random house, 2023
  2. Marc Schultz, Robert Waldinger. The Good Life. Ce que nous apprend la plus longue étude scientifique sur le bonheur et la santé. Le Duc, 2023
  3. « Une vie se construit avec de belles relations » : https://vivreetesperer.com/une-belle-vie-se-construit-avec-de-belles-relations/
  4. La vie spirituelle comme une conscience relationnelle. Une recherche de David Hay sur la spiritualitĂ© d’aujourd’hui : https://www.temoins.com/la-vie-spirituelle-comme-une-l-conscience-relationnelle-r/
  5. La danse divine (The divine dance) par Richard Rohr : https://vivreetesperer.com/la-danse-divine-the-divine-dance-par-richard-rohr/

 

Pour des oasis de fraternité

https://images-na.ssl-images-amazon.com/images/I/41lLBAkJuXL._SX262_BO1,204,203,200_.jpgPourquoi la fraternité ?
Selon Edgar Morin

Edgar Morin vient de publier un petit livre : « La fraternitĂ©. Pourquoi ? » (1). C’est une alerte. C’est un appel. C’est, en quelque sorte, un manifeste. Et ce manifeste nous est adressĂ© par un des plus grands penseurs de notre Ă©poque (2). Au fil des annĂ©es, Edgar Morin ne nous rapporte pas seulement une vie militante et crĂ©ative, mais, sociologue et philosophe, il est Ă©galement un immense penseur, un penseur encyclopĂ©dique, un penseur pionnier, auteur d’une sĂ©rie de livres intitulĂ©e : « La MĂ©thode » : apprendre Ă  envisager la globalitĂ© et Ă  reconnaĂźtre la complexitĂ©.

Au cours de dĂ©cennies de recherche, Edgar Morin a Ă©crit un grand nombre de livres couronnĂ©s par une audience internationale, puisque traduits en 28 langues. Alors pourquoi y ajoute-t-il aujourd’hui un livre engagĂ©, en rĂ©ponse aux inquiĂ©tudes suscitĂ©es par les tensions et les dĂ©rives qui se manifestent dans nos sociĂ©tĂ©s ?

Face aux périls

Dans une rĂ©cente vidĂ©o (3), Edgar Morin n’hĂ©site pas Ă  dĂ©clarer :
« Le pire est envisageable, mais le meilleur est encore possible ». C’est dire l’importance de l’enjeu, mais quelles sont donc les menaces ?

Si l’individualisme comporte des aspects positifs comme les possibilitĂ©s ouvertes par l’autonomie personnelle, il entraine Ă©galement une « dĂ©gradation des solidaritĂ©s » (p 38). De mĂȘme, la mondialisation a un « effet paradoxal » : « Elle crĂ©e une communautĂ© de destin pour toute l’humanitĂ© en dĂ©veloppant des pĂ©rils globaux communs : la dĂ©gradation de la biosphĂšre, l’incertitude Ă©conomique et la croissance des inĂ©galitĂ©s, la multiplication des armes  » (p 41). Et puis, Edgar Morin dĂ©nonce Ă©galement des modes de pensĂ©e qui engendrent des effets nĂ©gatifs. Certes, « La domination d’une pensĂ©e qui sĂ©pare et compartimente, et qui, elle-mĂȘme, ne peut accĂ©der aux problĂšmes fondamentaux et globaux de la sociĂ©té » nous paraĂźt ancienne, mais elle prend force lorsque « le mode de connaissance dominant devient le calcul, qui traduit toutes les rĂ©alitĂ©s humaines en chiffres et ne voit dans les individus-sujets que de objets » (p 39). Ainsi, dans ces conditions, les trois moteurs couplĂ©s : sciences-techniques-Ă©conomies conduisent aux catastrophes Ă©cologiques, au pĂ©ril mortel des armes nuclĂ©aires et autres, aux dĂ©shumanisations de tous ordres » et, en mĂȘme temps, aux dangers du transhumanisme » (p 51). En regard, Edgar Morin nous prĂ©sente un ensemble de propositions. Cette voie nouvelle passe par un « changement de notre façon de connaĂźtre et de penser, rĂ©ductrice, disjonctive, compartimentĂ©e pour un mode de pensĂ©e complexe qui relie, capable d’apprĂ©hender les phĂ©nomĂšnes dans leur diversitĂ© et leur unitĂ© ainsi que leur contextualité » (p 52).

Cependant, si la conflictualitĂ© prend des formes nouvelles, elle s’inscrit dans une longue histoire. Il y a bien des maux terribles dans notre passĂ©. La mise en garde vis Ă  vis des pĂ©rils actuels ne doit pas nous les faire oublier (4). Edgar Morin ne les Ă©voque pas ici, mais il analyse les racines anthropologiques et idĂ©ologiques de la conflictualitĂ©.

La force de l’entraide

Le grand livre de Darwin, « De l’origine des espĂšces au moyen de la sĂ©lection naturelle, ou la lutte pour l’existence dans la nature » (1859-1861) a Ă©tĂ© lu, Ă  une Ă©poque, comme « confirmant le dĂ©veloppement des plus agressifs et mieux adaptĂ©s Ă  un monde conflictuel, et utilisĂ© comme justification pseudo-scientifique du darwinisme social. Le penseur libertaire, Pierre Kropotkine, s’opposa vigoureusement Ă  cette doctrine politique comme Ă  l’interprĂ©tation dominante du darwinisme oĂč le « struggle for life » devenait le dĂ©terminant de la solution au profit des meilleurs  » (p 17). Edgar Morin nous montre comment le darwinisme social a perdu son emprise. Aujourd’hui, on reconnait l’importance de la symbiose et des relations associatives. Face aux forces de conflit et de destruction, « les forces

d’association et d’union s’activent dans les Ă©cosystĂšmes » (p 21) Aujourd’hui, l’entraide est reconnue comme une force motrice (5).

La fraternité : une grande aspiration

Le fraternitĂ©, c’est une nĂ©cessitĂ© sociale, c’est aussi un besoin intĂ©rieur
 Ainsi Edgar Morin ne trace pas uniquement un chemin collectif. Il raconte l’histoire de sa vie. Il exprime un ressenti. « De mĂȘme que je n’ai jamais pu vivre sans amour, je n’ai jamais pu vivre sans fraternité  Il y a les grandes fraternitĂ©s durables. Mais il y a aussi les fraternitĂ©s provisoires. Ces fraternitĂ©s dues Ă  la rencontre, au hasard, Ă  la communion, Ă  l’adhĂ©sion enthousiaste, Ă  des je-ne-sais quoi oĂč deux ĂȘtres se reconnaissent plus que camarades, sont des moments solaires qui rĂ©chauffent nos vies dans leur cheminement dans un monde prosaĂŻque (p 35-36).

LibertĂ©, Ă©galitĂ©, fraternitĂ©, belle devise (6) mais « la fraternitĂ© ne peut pas venir d’une injonction statique, supĂ©rieure, elle doit venir de nous (p 9). Elle peut s’appuyer sur une aspiration humaine. Les sources du sentiment qui nous portent vers autrui, collectivement (nous) ou personnellement (tu) sont les sources de la fraternitĂ© (p 11).

Mais Edgar Morin sait combien cette fraternitĂ© doit ĂȘtre entretenue, car elle est menacĂ©e par des forces opposĂ©e. Il y a opposition entre tout ce qui pousse Ă  l’union -eros- et, d’autre part, tout ce qui pousse au conflit -polemos- ainsi que ce qui nous pousse Ă  la destruction et Ă  la mort -thanatos- » (p 25). Il y a interaction. Ainsi, « tout ce qui ne rĂ©gĂ©nĂšre pas, dĂ©gĂ©nĂšre et il en est ainsi de la fraternité »

Des oasis de fraternité

Face Ă  des menaces bien identifiĂ©es, Edgar Morin entrevoit « un bouillonnement d’initiatives privĂ©es, personnelles, communautaires, associatives qui font germer ici et lĂ  les Ă©bauches d’une civilisation vouĂ©e Ă  l’épanouissement personnel dans l’insertion communautaire
 il y a lĂ  comme des oasis
 (p 44). On retrouve dans la description d’Edgar Morin un foisonnement d’innovations, des fablabs (laboratoires de fabrication collaboratifs) Ă  toute la gamme des initiatives Ă©cologiques et sociales. A cet Ă©gard, le film : « Demain » nous avait bien montrĂ© le sens de ce mouvement (7) . Ce blog rapporte des innovations de ce genre (8).

« Nous devons tout faire pour sauvegarder et dĂ©velopper la fraternitĂ© des oasis. Le dĂ©ferlement des forces nĂ©gatives en notre Ă©poque de rĂ©gressions Ă©thiques et politiques gĂ©nĂ©ralisĂ©es, rend de plus en plus nĂ©cessaire la constitution de ces oasis. Nous devons crĂ©er des ilots de vie autre, nous devons multiplier ces ilots, car, ou bien les choses vont continuer Ă  rĂ©gresser et les oasis seront des ilots de rĂ©sistance de la fraternitĂ©, ou bien, il y aura des possibilitĂ©s positives et ce seront les points de dĂ©part d’une fraternitĂ© plus gĂ©nĂ©ralisĂ©e dans une civilisation rĂ©formĂ©e » (p 36).

MontĂ©e d’une prise de conscience

Il apparaĂźt de plus en plus aujourd’hui que le rationalitĂ© technique et scientifique ne suffit pas. La relation humaine est essentielle dans toutes ses dimensions Ă©thiques : care, empathie, fraternitĂ©. C’est un mouvement gĂ©nĂ©ral qui s’exprime Ă©galement sur le plan spirituel. Si, de par son histoire personnelle et le cheminement de sa rĂ©flexion, agnostique, Edgar Morin n’entre pas dans la dimension religieuse, son Ă©loge de la fraternitĂ© rejoint les croyants engagĂ©s en ce sens.

L’amour partagĂ© est au cƓur de l’Évangile. Il a cheminĂ© parfois en sous-main dans des moments peu avenants de la chrĂ©tientĂ©. Michel ClĂ©venot a pu Ă©crire une histoire de la pratique chrĂ©tienne sous le titre : « Les hommes de la fraternité » (9). Et, dans son grand livre : « Le PhĂ©nomĂšne humain » (10), Pierre Teilhard de Chardin voit dans l’amour, le cƓur du vĂ©cu chrĂ©tien : « L’amour chrĂ©tien, chose incomprĂ©hensible pour ceux qui n’y ont pas goutĂ©. Que l’infini et l’intangible puissent ĂȘtre aimable ; que le cƓur humain puisse battre pour son prochain d’une charitĂ© vĂ©ritable : ceci paraĂźt Ă  bien des gens que je connais tout simplement impossible
 Et cependant, que fondĂ© ou non sur une illusion, ce sentiment existe, et qu’il est mĂȘme anormalement puissant, comment en douter – rien qu’à enregistrer brutalement les rĂ©sultats qu’il ne cesse de produire autour de nous
 Et n’est-ce pas un fait enfin, celui lĂ , je le garantis, que si l’amour de Dieu venait Ă  s’éteindre dans l’ñme des fidĂšles, l’énorme Ă©difice de rites, de hiĂ©rarchie et de doctrines que reprĂ©sente l’Eglise retournerait instantanĂ©ment dans la poussiĂšre dont il est sorti » (Ă©crit en 1938-1940). Aujourd’hui, Ă  travers la pensĂ©e thĂ©ologique de JĂŒrgen Moltmann (11), nous apprenons Ă  reconnaĂźtre l’inspiration de l’Esprit dans la manifestation de la fraternitĂ© oĂč qu’elle soit, souvent dans des espaces oĂč la rĂ©fĂ©rence religieuse s’en est allĂ©e.

Sur ce blog, un prĂ©cĂ©dent article annonçait la recherche actuelle de fraternitĂ© : « Appel Ă  la fraternitĂ© ». Ce livre d’Edgar Morin, accessible Ă  tous est la contribution d’un grand penseur Ă  cette quĂȘte. L’engagement d’un homme de savoir dans cette cause nous paraĂźt hautement significatif.

J H

  1. Edgar Morin. La Fraternité. Pourquoi ? Actes Sud, 2019
  2. Edgar Morin Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Edgar_Morin
  3. Entretien avec Edgar Morin 28 mars 2019 : https://www.youtube.com/watch?v=RghwWsPihs0
  4. Ne pas oublier l’ñge dur dont nous sommes sortis depuis quelques dĂ©cennies : Michel Serres  Darwin, Bonaparte et le samaritain. Une philosophie de l’histoire : https://vivreetesperer.com/une-philosophie-de-lhistoire-par-michel-serres/
  5. Face à la violence, l’entraide : le livre de Pablo Servigne et Gauthier Chapelle : https://vivreetesperer.com/face-a-la-violence-lentraide-puissance-de-vie-dans-la-nature-et-dans-lhumanite/
  6. Une vision de la libertĂ©, selon JĂŒrgen Moltmann : https://vivreetesperer.com/une-vision-de-la-liberte/
  7. Le film « Demain » : https://vivreetesperer.com/le-film-demain/
  8. Le mouvement collaboratif, qui se dĂ©veloppe actuellement, prĂ©sente des facettes diffĂ©rentes : des communautĂ©s fraternelles, mais aussi des entreprises solidaires. Peu prĂ©sent dans ce livre sur la fraternitĂ©, cet aspect Ă©conomique doit ĂȘtre mis en valeur. La convergence est manifeste dans le livre d’Isabelle Delannoy : « L’économie symbiotique » . La prĂ©sentation de ce livre est accompagnĂ©e de la mention des initiatives analysĂ©es sur ce blog : https://vivreetesperer.com/vers-une-economie-symbiotique/
  9. Michel Clévenot. Les hommes de la fraternité en 12 volumes « Les hommes de la fraternité. Une histoire post-moderne du christianisme » : https://www.religiologiques.uqam.ca/no9/cleve.pdf
  10. Pierre Teilhard de Chardin. Le phénomÚne Humain. Seuil (Points Sagesse) Citation : p 297-298
  11. JĂŒrgen Moltmann. L’Esprit qui donne la vie. Cerf, 1999 « Un Esprit sans frontiĂšres » : https://vivreetesperer.com/un-esprit-sans-frontieres/
  12. Sur ce blog : « Appel à la fraternité » avril 2015 : https://vivreetesperer.com/appel-a-la-fraternite/

La participation des expériences spirituelles à la conscience écologique

Selon un article de Jack Forster : Religious experience and ecology

 Nous subissons aujourd’hui les consĂ©quences du manque de respect portĂ© Ă  la nature et de la maltraitance Ă  son Ă©gard qui en est rĂ©sultĂ©. La crise Ă©cologique actuelle rĂ©sulte de l’imposition d’une culture humaine dominatrice et manipulatrice Ă  l’égard du vivant. En regard, une prise de conscience Ă©cologique apparaĂźt aujourd’hui. Elle requiert un changement de genre de vie. Elle appelle une transformation des mentalitĂ©s. Au total, nous avons besoin d’une nouvelle vision du monde. Cette mutation exige un renouvellement des connaissances et la prise en compte de nouvelles approches. Ainsi la dimension spirituelle s’affirme dans une Ă©cospiritualité » (1). Celle-ci a des visages multiples.

En Grande- Bretagne, depuis plusieurs dizaines d’annĂ©es, il existe un centre de recherche qui aborde la question spirituelle Ă  travers la recension et l’étude d’expĂ©riences spirituelles et religieuses spontanĂ©es, un soudain et passager ressenti mystique d’unitĂ© et de reliance, d’amour et de lumiĂšre ; c’est le « Alister Hardy Religious Experience Research Center » fondĂ© en 1969 par Alister Hardy, un grand biologiste. Nous avons rapportĂ© le rĂŽle pionnier de ce centre en prĂ©sentant un livre de David Hay, membre de la mĂȘme Ă©quipe : « Something there » (2). Aujourd’hui, Jack Hunter, chercheur lui aussi au Centre de recherche sur l’expĂ©rience religieuse de l’UniversitĂ© du Pays de Galles, publie un livre oĂč il s’interroge sur ce qu’une nouvelle approche des phĂ©nomĂšnes paranormaux avec ses consĂ©quences sur l’apprĂ©hension du monde peut apporter Ă  la prise de conscience Ă©cologique : « Greening the paranormal. Exploring the ecology of extrordinary experience » (3). Le mĂȘme auteur, Jack Hunter, vient de publier l’éditorial d’un numĂ©ro spĂ©cial du « Journal for the Study of Religious ExpĂ©rience » (2021 N°2) intitulé : « Religious experience and ecology » (expĂ©rience religieuse et Ă©cologie » (4). Nous nous appuierons ici sur cet article.

 

Une personnalitĂ© emblĂ©matique : Alister Hardy, biologiste des environnements marins, puis chercheur sur l’expĂ©rience religieuse et spirituelle

Au dĂ©part, Jack Forster rend hommage au fondateur du Centre de recherche sur l’expĂ©rience religieuse, Sir Alister Hardy, en Ă©crivant combien le thĂšme du rapport entre Ă©cologie et expĂ©rience religieuse aurait Ă©tĂ© cher Ă  son cƓur. En effet, Alister Hardy a d’abord Ă©tĂ© un grand biologiste dans le domaine marin oĂč il est reconnu pour ses recherches sur le plancton et les nombreuses connections que celui-ci entretient avec les Ă©cosytĂšmes marins. Il a Ă©tĂ© Ă©galement l’inventeur du « continuous plankton recorder » (enregistreur continu du plancton) qui sert Ă  suivre les niveaux de plancton dans l’ocĂ©an, un dispositif qui est encore couramment utilisĂ© dans ce domaine. Pendant plusieurs dĂ©cennies, Sir Alister Hardy (1896-1985) a poursuivi une carriĂšre acadĂ©mique avec des titres divers : professeur de zoologie et d’ocĂ©anographie Ă  Hull, professeur d’histoire naturelle Ă  Aberdeen, et enfin, professeur de zoologie et d’anatomie comparĂ©e Ă  Oxford.

Lorsqu’il prend sa retraite, il s’engage dans une nouvelle orientation de recherche gardĂ©e jusque lĂ  en veilleuse. En 1969, il fonde la « Alister Hardy Religious Experience Research Unit », devenu « Alister Hardy Religious Experience Research Centre » (5). Il entreprend lĂ  un travail particuliĂšrement original : la collecte et l’analyse de rĂ©cits sur les expĂ©riences spirituelles et religieuses. La question configurant la demande de rĂ©cit Ă©tait la suivante : « Vous est-il arrivĂ© d’avoir conscience d’une prĂ©sence ou d’une puissance (ou d’ĂȘtre influencĂ©e par elle) que vous l’appeliez Dieu ou non et qui est diffĂ©rente de votre perception habituelle ? ». Plus de 6000 documents de premiĂšre main ont ainsi Ă©tĂ© recueillis et sont aujourd’hui accessibles.

Ainsi, dans la vie d’Alister Hardy, deux passions se sont conjuguĂ©es. « Dans ses notes autobiographiques, Hardy rapporte avoir eu dans son enfance des expĂ©riences dans la nature, des expĂ©riences puissantes et transformatrices. Celles-ci auront une influence significative sur le dĂ©roulement de sa vie et de son Ɠuvre ». Jack Forster poursuit : « Alister Hardy rapporte comment Ă©tudiant, il lui arrivait de rĂȘver en observant la conduite des papillons et d’avoir des moments d’extase en marchant le long des bords de la riviĂšre prĂšs de son Ă©cole Ă  Oundle dans le Nottinghamshire ». Il Ă©crit : « Il n’y a pas de doute que, comme jeune garçon, j’étais en train de devenir ce qui pourrait ĂȘtre dĂ©crit comme un mystique de la nature. Quelque part, je sentais la prĂ©sence de quelque chose qui Ă©tait au delĂ  et cependant faisait partie de toutes les choses qui me ravissaient : les fleurs sauvages et vraiment aussi les insectes. Je rapporterais quelque chose que je n’ai jamais dit Ă  quelqu’un auparavant, mais maintenant que je suis dans ma 88Ăšme annĂ©e, je pense que je puis l’admettre. Juste Ă  l’occasion, quand j’étais sĂ»r que personne ne pouvait me voir, je devins si impressionnĂ© par la gloire de la scĂšne naturelle, que pendant un moment ou deux, je tombais Ă  genoux dans la priĂšre, non pas une priĂšre pour demander quelque chose, mais une priĂšre pour remercier Dieu que je sentais trĂšs rĂ©el pour moi, pour les gloires de son Royaume et pour m’avoir permis de les ressentir ». La conjugaison d’une expĂ©rience mystique et d’une mentalitĂ© scientifique chez Alister Hardy nous rappelle le mĂȘme rapprochement rapportĂ© par Jane Goodhall (6). Il y lĂ  un tĂ©moignage pour aujourd’hui.

 

Les  expériences extraordinaires de transcendance et la nature

Le philosophe W.T. Stace (1886-1967) a considĂ©rĂ© que le mysticisme de la nature Ă©tait une des formes principales du mysticisme. Les expĂ©riences correspondantes sont extraverties, tournĂ©es vers l’extĂ©rieur. « Elles sont suscitĂ©es par le paysage extĂ©rieur et le transfigure, induisant frĂ©quemment un sens de l’unitĂ© sous-jacente du monde naturel ».

« Dans les archives du Centre Alister Hardy, il y a de nombreux rĂ©cits analogues d’expĂ©riences transcendantes et extraordinaires apparemment induites par une immersion dans des systĂšmes Ă©cologiques vibrants ». Dans son Ă©tude pionniĂšre des compte-rendus recueillis : « The spiritual nature of man » (1979) (la nature spirituelle de l’homme), Alister Hardy identifie « la beautĂ© naturelle » comme un des dĂ©clencheurs les plus ordinaires des expĂ©riences religieuses, plus frĂ©quents que l’adoration religieuse, en suggĂ©rant ainsi une corrĂ©lation importante entre les environnements naturels et les expĂ©riences extraordinaires ». Jack Forster cite Paul Marshall, auteur d’un livre rĂ©cent sur la relation entre le monde naturel et les expĂ©riences mystiques. « Ces expĂ©rience sont importantes, car elles constituent un des principaux genres d’expĂ©riences prises en compte par les chercheurs ». Et, souligne Jack Forster, ces expĂ©riences jouent en faveur de la relation entre l’homme et la nature et d’une attitude pro-environnementale.

 

Phénoménologie et écologie : unité et diversité 

Les expĂ©riences extraverties dans des environnements naturels sont souvent associĂ©es Ă  un sens d’unitĂ© (oneness) et de communion avec la nature, une caractĂ©ristique qui relie ces expĂ©riences avec les expĂ©riences mystiques du genre classique telles que celles qui sont vĂ©cues dans beaucoup de traditions mystiques du monde.

Jack Forster nous rapporte un exemple de récit (7) parmi ceux recueillis au centre Alister Hardy.

« Il y a une douzaine d’annĂ©es, j’avais quatre grands ormes sur la pelouse de mon jardin. J’étais fortement attirĂ©e vers ces arbres et j’avais l’habitude de caresser leur tronc et de leur parler. Je sentais toujours leur rĂ©ponse Ă  travers une forte vibration Ă  travers mes mains, puis Ă  travers mon corps entier. Cela me donnait la conviction que j’étais Un avec tous les Êtres. Le mĂȘme flux vital qui coule Ă  travers mon corps, coule Ă  travers toute vĂ©gĂ©tation, les animaux, les oiseaux, les poissons, les minĂ©raux, sous le sol et sous la mer, et mĂȘme les pierres sur lesquelles nous marchons. Chaque chose animĂ©e ou inanimĂ©e est maintenu ensemble avec les atomes qui appartiennent Ă  l’Être divin ».

Une conscience de l’unitĂ© de la nature apparaĂźt dans ce tĂ©moignage. Mais il y en a d’autres oĂč se manifestent tout autant la complexitĂ© et la diversitĂ©. L’auteur nous en propose un :

« Plus j’allais vers le village, plus les alentours paraissaient devenir vivants. C’était comme si quelque chose, qui avait Ă©tĂ© dormant quand j’étais dans le bois, venait Ă  la vie. J’ai du dĂ©river ver un Ă©tat d’exaltation.

La lune, quand je la regardais, semblait ĂȘtre devenue personnalisĂ©e et observatrice comme si elle Ă©tait consciente de ma prĂ©sence. Une douce senteur remplissait l’air
 La riviĂšre me faisait entendre qu’elle m’avait dĂ©jĂ  vu auparavant. Le sentiment que j’étais en train d’ĂȘtre absorbĂ© dans un environnement vivant, gagnait en intensitĂ© et Ă©tait en voie d’atteindre son apogĂ©e. Cela semblait sortir du ciel dans lequel des harmonies majestueuses rĂ©sonnaient. La pensĂ©e que c’était la musique des sphĂšres fut immĂ©diatement suivie par une irruption de corps lumineux : mĂ©tĂ©ores ou Ă©toiles circulant dans leurs courses prĂ©destinĂ©es en Ă©mettant Ă  la fois de la lumiĂšre et de la musique ».

« Des expĂ©riences comme celles-ci pourraient  ĂȘtre perçues comme des expressions d’une vision animiste, une rĂ©alisation de ce que Graham Harvey a Ă©loquemment Ă©crit : « Le monde est plein de personnes parmi lesquelles seules quelques unes sont humaines ….  ». Dans l’expĂ©rience ci dessus, un dialogue s’établit entre l’expĂ©rienceur et la riviĂšre, la lune et les arbres. Mais ces voix multiples sont juste un prĂ©lude Ă  l’apogĂ©e de l’expĂ©rience : l’harmonisation symphonique de voix diverses et nombreuses de la nature en un ensemble conçu comme « la musique des sphĂšres ».

Ainsi Jack Forster peut dĂ©clarer : « Alors, les expĂ©riences religieuses extraverties rĂ©vĂšlent une image du monde qui est Ă  la fois fondamentalement « unitaire et interconnectĂ©e » et « diverse, complexe et multiple ». Jack Forster nous renvoie en regard Ă  la maniĂšre dont des chercheurs se reprĂ©sentent les Ă©cosystĂšmes. Ainsi, le biologiste vĂ©gĂ©tal, FrĂ©dĂ©ric Clements (1874-1945), « envisageait les Ă©cosystĂšmes comme des organismes Ă  grande Ă©chelle, consistant en une multitude d’organismes plus petits inrerconnectĂ©s (plantes, animaux etc). Ces Ă©cosystĂšmes avaient tendance Ă  se dĂ©velopper vers une complexitĂ© accrue et de plus grands niveaux de diversitĂ© et d’interconnection ». Il voyait lĂ  comme une progression finalisĂ©e vers un Ă©cosystĂšme entrevue comme une apogĂ©e, « un organisme ou un superorganisme avec sa propre histoire de vie ayant suivi des voies tĂ©lĂ©ologiques prĂ©dĂ©terminĂ©es, allant constamment dans la direction d’une plus grande biodiversitĂ© et de la stabilitĂ© et de l’harmonie globale d’un superorganisme ». Cette conception des Ă©cosystĂšmes « rĂ©sonne avec les expĂ©riences mystiques de la nature dĂ©crites plus haut ». Ces expĂ©riences spirituelles extraverties tournĂ©es vers la nature « peuvent ĂȘtre comprises comme des instances oĂč l’expĂ©rienceur ne perçoit plus de sĂ©paration entre lui-mĂȘme et les Ă©cosytĂšmes qui l’entourent, en devenant simultanĂ©ment conscient de la diversitĂ© et de l’interconnectivitĂ© de la vie aussi bien que de son unitĂ© sous-jacente, lui-mĂȘme imbriquĂ© dans cet ensemble ». Jack Forster ouvre ainsi un horizon : « En ces moments oĂč l’expĂ©rience est en harmonie avec la rĂ©alitĂ© Ă©cologique, nous pourrions dire que l’expĂ©rienceur est entrĂ© dans un Ă©tat de « conscience Ă©cologique » ou qu’il a dĂ©veloppĂ© une conscience de son « soi Ă©cologique ».

 

L’expĂ©rience extraordinaire et le soi Ă©cologique

Le concept de « ecological self », le soi Ă©cologique provient des Ă©crits du philosophe norvĂ©gien, Arne Naess (1912-2009). Celui-ci suggĂ©rait qu’à travers le processus de rĂ©alisation de soi, les ĂȘtres humains passeraient ultimement de conceptions Ă©gotiques du soi (bornĂ©es, individualistes) Ă  un soi Ă©cologique. Le soi Ă©cologique Ă©merge quand des personnes en viennent Ă  s’identifier avec l’environnement dans la mesure oĂč elles rĂ©alisent que la conservation du monde naturel est en mĂȘme temps un acte d’auto-prĂ©servation. Au fond, « c’est la conscience qu’il n’y a pas de frontiĂšre solide et impermĂ©able entre le soi et l’écosystĂšme, que le soi est profondĂ©ment imbriquĂ© dans cet Ă©cosystĂšme, qu’il fait partie d’un systĂšme Ă©cologique plus vaste et est connectĂ© Ă  tous ses autres aspects ». La science de l’écologie met l’accent sur les interrelations. Le soi Ă©cologique se construit Ă  partir de cette conscience de l’interconnection.

Jack Hunter s’avance ensuite dans un champ plus vaste et plus conjecturel. En effet, il considĂšre, dans une commune attention, les expĂ©riences religieuse et spirituelles et la gamme des expĂ©riences paranormales. Il y perçoit un certain nombre de similaritĂ©s phĂ©nomĂ©nologiques comme « par exemple, le rĂŽle de la lumiĂšre dans beaucoup d’expĂ©riences extraordinaires aussi bien que des similaritĂ©s dans leurs effets postĂ©rieurs ». Les diffĂ©rents genres d’expĂ©riences extraordinaires sont « associĂ©s avec l’émergence d’une plus grande identification avec le monde naturel ». Jack Hunter envisage diffĂ©rentes expĂ©riences comme les expĂ©riences de sortie du corps ou les expĂ©riences proches de la mort. « Est-ce une coĂŻncidence que les expĂ©riences paranormales, religieuses et autres extraordinaires soient associĂ©es avec une conception Ă©tendue du soi et un sens accru de la connectivitĂ© naturelle ? ». A la recherche d’explications, Jack Hunter envisage que ces expĂ©riences, bouleversant les expĂ©rienceurs, les Ă©cartent de leurs modĂšles d’interprĂ©tation habituels, les ouvrant ainsi Ă  la conscience qu’ils font partie d’un monde vivant beaucoup plus large, d’un vaste « Ă©cosystĂšme invisible ».

 

Décoloniser la recherche sur les expériences religieuses

Dans cet article, Jack Hunter aborde Ă©galement un problĂšme mĂ©thodologique. Le cadre actuel de la recherche sur les expĂ©riences religieuse s’étend-t-il suffisamment au delĂ  de son point de dĂ©part occidental ? On imagine les gains qui pourraient advenir en sortant d’un cadre culturellement et mĂ©thodologiquement limitĂ©. C’est Ă©largir l’horizon.

 

Une affinité entre les expériences spirituelles et religieuses et la conscience écologique

Il y a bien une affinitĂ© entre les expĂ©riences spirituelles et religieuses et la conscience Ă©cologique. C’est la conclusion de Jack Hunter.

« Pour rĂ©sumer briĂšvement, il y a, de longue date, une reconnaissance de la relation entre l’expĂ©rience religieuse, mystique et spirituelle et le monde naturel. Vraiment, la fascination de Sir Alister Hardy pour ces deux champs dĂ©coule de ses propres expĂ©riences religieuses extraverties durant son enfance. Les expĂ©riences religieuses extraverties paraissent rĂ©vĂ©ler une relation dynamique entre l’unitĂ© et la diversitĂ© dans la nature. Certaines mettent l’accent sur l’unitĂ© sous- jacente de la nature tandis que d’autres mettent en valeur la complexitĂ© et la multiplicitĂ©. Cette relation dynamique se manifeste aussi dans les perspectives qui ont Ă©mergĂ© de la science Ă©cologique qui considĂšre les Ă©cosystĂšmes comme des entitĂ©s holistiques constituĂ©es par de nombreuses parties prenantes interactives.

Les expĂ©riences religieuses extraverties sont des moments oĂč les expĂ©rienceurs deviennent conscients et font eux-mĂȘmes l’expĂ©rience de faire partie de ces vastes systĂšmes complexes ».

Cet  article nous parait particuliĂšrement important. Le grand mouvement de la prise de conscience Ă©cologique n’appelle-t-il pas, en soutien, une mobilisation spirituelle et n’induit-il un nouveau regard sur le monde : le vivant, l’humain et le divin ? En correspondance, comment ce nouveau regard est-il accueilli et exprimĂ© dans la thĂ©ologie chrĂ©tienne ? Sur ce blog, on trouvera des rĂ©ponses dans les approches de JĂŒrgen Moltmann (8), de Richard Rohr et de Michel Maxime Egger.

JH

  1. EcospiritualitĂ©. Une approche spirituelle : https://vivreetesperer.com/ecospiritualite/ On notera l’abondance et la diversitĂ© de la littĂ©rature anglophone sur le thĂšme de la « spiritual ecology », du rapport entre Ă©cologie et spiritualitĂ©. Par exemple : Ecology and spirituality. Research Oxford encyclopedias. 2019 : https://oxfordre.com/religion/view/10.1093/acrefore/9780199340378.001.0001/acrefore-9780199340378-e-95
  2. La vie spirituelle comme une conscience relationnelle. Une recherche de David Hay sur la spiritualitĂ© d’aujourd’hui : https://www.temoins.com/la-vie-spirituelle-comme-une-l-conscience-relationnelle-r/
  3. Jack Hunter. Greening the paranormal. Exploring the ecology of extraordinary experience. 2019 https://www.amazon.fr/Greening-Paranormal-Exploring-Extraordinary-Experience/dp/1786771098
  4. Jack Hunter. Religious experience and ecology. Editorial : https://rerc-journal.tsd.ac.uk/index.php/religiousexp/issue/view/11
  5. Alister Hardy Religious Experience Research Center : https://www.uwtsd.ac.uk/library/alister-hardy-religious-experience-research-centre/
  6. Jane Goodhall : une recherche pionniĂšre sur les chimpanzĂ©s, une ouverture spirituelle, un engagement Ă©cologique : https://vivreetesperer.com/jane-goodall-une-recherche-pionniere-sur-les-chimpanzes-une-ouverture-spirituelle-un-engagement-ecologique/ Richard Rohr nous introduit dans une dĂ©marche expĂ©rientielle dans sa sĂ©quence : Contempler la crĂ©ation (voir l’expĂ©rience de Sherri Mitchell) : https://vivreetesperer.com/contempler-la-creation/
  7. Expériences de plénitude : https://vivreetesperer.com/experiences-de-plenitude/
  8. Et sur le site : l’Esprit qui donne la vie : Un avenir thĂ©ologique pour l’écologie selon JĂŒrgen Moltmann : https://lire-moltmann.com/un-avenir-ecologique-pour-la-theologie/ En voici quelques extraits significatifs : « Les humains sont des ĂȘtres crĂ©Ă©s au sein de la grande communautĂ© de la vie et ils font partie de la nature. Selon les traditions bibliques, Dieu n’a pas infusĂ© l’Esprit divin seulement dans l’ĂȘtre humain, mais dans toutes les crĂ©atures de Dieu
 Le CrĂ©ateur est liĂ© Ă  la crĂ©ation non seulement intĂ©rieurement, mais extĂ©rieurement. La crĂ©ation est en Dieu et Dieu est dans la crĂ©ation
 »

Face Ă  la violence, apprendre la paix

La communication non violente, avec Thomas d’Ansembourg 

Nous sommes confrontĂ©s Ă  la violence. C’est une rĂ©alitĂ© qui nous environne : violence dans les rapports sociaux, mais aussi violence perçue dans les rĂ©actions de tel ou tel. Nous savons comment la violence peut ĂȘtre dĂ©vastatrice. Alors comment lui rĂ©sister ?

Les approches non violentes dans des conflits politiques et sociaux telles que celles de Gandhi et de Martin Luther King sont aujourd’hui bien connues. Plus rĂ©cemment, un psychologue amĂ©ricain, Marshall B Rosenberg a dĂ©veloppĂ© un ensemble de pratiques sous le terme de « Communication non violente ». « La communication non violente, c’est la combinaison d’un langage, d’une façon de penser, d’un savoir faire de communication et de moyens d’influence qui servent mon dĂ©sir de faire trois choses : me libĂ©rer du conditionnement culturel qui est en discordance avec la maniĂšre de vivre ma vie ; acquĂ©rir le pouvoir de me mettre en lien avec moi-mĂȘme et autrui d’une façon qui me permette de donner naturellement Ă  partir de mon cƓur ; acquĂ©rir le pouvoir de crĂ©er des structures qui entretiennent cette façon de donner » (1).

A plusieurs reprises sur ce blog (2), nous avons prĂ©sentĂ© l’enseignement de Thomas d’Ansembourg sur la relation et communication dans la vie sociale. A un moment de sa vie, Thomas a vĂ©cu comme animateur avec des jeunes de la rue. C’est Ă  partir de cette expĂ©rience qu’il a dĂ©cidĂ© de se former Ă  la communication non violente avec Marshall Rosenberg. Puis il a continuĂ© son parcours comme psychothĂ©rapeute. Ainsi est-il bien placĂ© pour nous aider Ă  comprendre la  violence et Ă  la dĂ©passer. Dans cette vidĂ©o : « La paix, ça s’apprend ! » (3), Thomas d’Ansembourg nous raconte briĂšvement son parcours et rĂ©pond aux questions qui lui sont posĂ©es. Il y a lĂ  des rĂ©ponses Ă  nos propres questionnements. Voici donc, en notes, quelques extraits de ses propos.

 

La paix, ça s’apprend !

La paix, ça s’apprend ! Oui, mais « curieusement, nous sommes tout Ă  fait prĂȘts Ă  apprendre la guerre, et, depuis l’époque des romains, nous connaissons l’adage : « Si tu veux la paix, prĂ©pares la guerre ! ». Et forcĂ©ment, comme on prĂ©pare la guerre, on a pour cela des budgets, de l’organisation, des responsables, des formations, des spĂ©cialisations. C’est extraordinaire comme on est habituĂ© Ă  prĂ©parer la guerre, Ă  y consacrer du temps et de l’argent ». Et, en regard, il y a bien peu d’efforts pour engager notre Ă©nergie en faveur de la paix et nous former en ce sens. « Pour la paix, il n’y a pas de budgets, pas de formations, pas de responsables
 Je me suis intĂ©ressĂ© Ă  faire le parallĂšle. Si nous mettions autant d’attention Ă  prĂ©parer la paix, est-ce que nous n’aurions pas quelque chance d’en avoir davantage parce qu’on y serait davantage prĂ©paré ».

Un parcours de formation et d’action

Thomas nous raconte comment il a Ă©tĂ© amenĂ© Ă  s’intĂ©resser Ă  cette question. « Quand j’ai commencĂ© mon travail comme avocat, je me suis rendu compte que beaucoup de conflits Ă©taient le fruit de malentendus. Si nous apprenions Ă  mieux nous exprimer et Ă  mieux Ă©couter l’autre, il y aurait beaucoup moins de malentendus. Nous aurions intĂ©rĂȘt Ă  apprendre qui nous sommes, Ă  gĂ©rer nos Ă©motions, Ă  nous aligner sur notre Ă©lan de vie, aussi apprendre Ă  exprimer ce que nous sommes et nos ressentis d’une façon adĂ©quate, sensible et, de mĂȘme, Ă  Ă©couter ce que l’autre ressent ».

Puis, deuxiĂšme expĂ©rience, Thomas a commencĂ© Ă  s’occuper de jeunes de la rue. « Je me suis aperçu que la violence Ă©tait souvent liĂ©e Ă  un manque de discernement, de conscience, de capacitĂ© d’expression de ce que nous vivons. Un peu d’apprentissage de soi, de connaissance de soi, Ă©viterait Ă  beaucoup de ces jeunes d’entrer dans des mĂ©canismes de violence ».

Thomas a ensuite dĂ©cidĂ© de suivre une psychothĂ©rapie qui a Ă©tĂ© Ă©galement source de prise de conscience. « Quand je suis entrĂ© moi-mĂȘme en thĂ©rapie, je me suis aperçu du temps que je mettais Ă  dĂ©manteler des attitudes, des automatismes, des conditionnements. Il faut du temps pour dĂ©faire ce qui empĂȘche, avant de construire.

« Quand je suis devenu moi-mĂȘme thĂ©rapeute », poursuit Thomas, « j’ai fait moi-mĂȘme la mĂȘme constatation et combien nous manquions d’apprentissages de base ».

Au cours de son service militaire, Thomas d’Ansembourg s’est engagĂ© comme officier dans l’arme des paracommandos. Dans ce cadre, il a Ă©tĂ© soumis Ă  un entrainement particuliĂšrement rigoureux et vigoureux. Cet apprentissage a Ă©tĂ© pour lui « une expĂ©rience humaine de rencontre avec soi, de confrontation avec les limites du corps, de la volontĂ©, des Ă©motions ». Il en est restĂ© une dĂ©couverte : ces limites peuvent ĂȘtre dĂ©passĂ©es. « Nous avons un potentiel pour aller bien au delĂ  des limites que nous connaissons. Nous avons des ressources exceptionnelles pour aller au delĂ  de ce que nous croyons ».

Thomas d’Ansembourg a trouvĂ© en Marshall Rosenberg un formateur et un accompagnateur qui lui a permis de s’engager dans la voie de la communication non violente. « C’est un apprentissage systĂ©matique pour entraĂźner notre esprit Ă  Ă©couter autrement, Ă  regarder autrement ». Ce n’est « pas seulement un outil relationnel, mais aussi un outil de connaissance de soi ».

 

Outils pour la connaissance de soi

« Il y a aujourd’hui des outils de connaissance de soi extrĂȘmement performant. Ils ont fait leur preuve pendant de nombreuses annĂ©es. Ils sont gĂ©nĂ©reux. Ils sont pertinents. Ils se vivent dans le respect de toutes les traditions. Il est grand temps que nous les fassions connaĂźtre. Ne pas les connaĂźtre serait comme une non assistance Ă  personnes en danger ». Mais quels sont ces outils ? demande un auditeur. Il y a bien cette approche de la communication non violente qui a tant apportĂ© et apporte tant Ă  Thomas. Mais il y en a beaucoup d’autres. Thomas cite notamment la PNL, l’analyse transactionnelle, la gestalt, la sophrologie, des approches plus physiques : le yoga, le qi gong


 

Autour de l’agacement

En rĂ©ponse aux questions des auditeurs, Thomas d’Ansembourg ouvre pour nous des portes de comprĂ©hension, des approches pour un changement intĂ©rieur.

« Comment Ă©viter d’ĂȘtre agacé ? Lui demande-t-on. « On ne l’évitera pas. Ce qui est important, c’est de savoir pourquoi nous sommes agacĂ©s, peut-ĂȘtre rĂ©guliĂšrement agacĂ©s. Qu’est ce qui est rĂ©current lĂ  dedans ? Comment anticiper pour ne pas se retrouver dans une situation d’agacement ? Beaucoup de nos contemporains vivent de l’agacement Ă  rĂ©pĂ©tition sans jamais sonder pourquoi ils se trouvent agacĂ©s et sans savoir qu’est-ce qui est en leur pouvoir pour transformer cette situation. J’ai pu voir moi-mĂȘme dans mes propres agacements et aussi dans l’accompagnement des personnes que nous sommes beaucoup plus puissants que nous croyons dans notre capacitĂ© non pas de changer l’autre ou les circonstances, mais dans celle de changer notre maniĂšre de vivre par rapport Ă  l’autre et aux circonstances ». Il y a des pistes pour sortir de ces impasses. « Tu es peut-ĂȘtre agacĂ©, Ă©nervĂ©. Tu te sens seul. Qu’est-ce que cela dit de toi ? Qu’est-ce que tu as besoin de dĂ©velopper, de transformer ? Tu as peut-ĂȘtre besoin de demander de l’aide. Il est bon de pouvoir tirer parti d’une friction ou d’un agacement pour tenter d’éviter que cela ne se reprĂ©sente ».

 

Changer le monde ?

Quel peut ĂȘtre l’impact de cette approche dans la vie du monde ? Thomas d’Ansembourg rĂ©pond prudemment. « On ne peut pas changer le monde. Mais on peut changer sa façon d’ĂȘtre au monde » et par suite influer sur le monde. « Imaginez que chaque citoyen sur la planĂšte prenne du temps chaque jour pour se pacifier, rĂ©concilier ses tensions, comprendre ce qu’elles veulent dire, vĂ©rifier qu’elles s’alignent sur son Ă©lan intĂ©rieur  » Thomas d’Ansembourg croit au pouvoir de la non violence. « Nous crĂ©ons un nouveau climat et cela demande une vision Ă  long terme  ». « C’est particuliĂšrement prĂ©cieux d’avoir ces clĂ©s de pacification aujourd’hui puisque des tensions considĂ©rables viennent autour de nous sur nos territoires en Europe et que cela nous demande une vigilance pour ne pas ĂȘtre dans l’action-rĂ©action qui est toujours une façon de gĂ©rer ce genre de choses ».

 

Face au terrorisme 

Comment rĂ©agir devant l’horreur du terrorisme ? D’abord en accueillant bien sĂ»r la colĂšre, la tristesse, le dĂ©pit. Evidemment on ne peut pas ĂȘtre indiffĂ©rent par rapport Ă  ces Ă©vĂšnements. En quoi cela nous subjugue par rapport Ă  nos critĂšres ? En mĂȘme temps, manifestement, nous avons Ă  faire aux symptĂŽmes tragiques d’une sociĂ©tĂ© extrĂȘmement malade. Il me semble que nos gouvernants se prĂ©occupent surtout des symptĂŽmes sans tenter de comprendre la cause. Certains l’ont bien identifiĂ©e. Elle vient d’un monde que nous avons crĂ©Ă© qui se rĂ©vĂšle un monde centrifuge. Ceux qui n’arrivent pas  Ă  rester au centre, Ă  s’accrocher Ă  l’axe, sont jetĂ©s au dehors et forcĂ©ment, ceux qui n’ont plus rien Ă  gagner n’ont plus rien Ă  perdre. Et ils nous le font cruellement sentir. Je souhaiterais qu’un peu plus de nos contemporains mesurent qu’il s’agit parallĂšlement de remettre en question notre systĂšme socio-Ă©conomique. Notre systĂšme capitaliste patriarcal est Ă  bout de souffle et il est grand temps d’inventer une autre façon de gĂ©nĂ©rer et de partager les biens et les ressources ». Thomas Ă©voque une rĂ©flexion d’Albert Jacquard, un scientifique engagĂ©. : « La prĂ©sence d’une prison dans une ville est le signe qu’il y a un problĂšme dans la sociĂ©tĂ© toute entiĂšre ». Les mesures de sĂ©curitĂ© ne suffisent pas. « Je me dis qu’on oublie de s’intĂ©resser aux problĂšmes qui affectent la sociĂ©tĂ© toute entiĂšre et qui continuent de gĂ©nĂ©rer des poches de frustration ».

 

Face Ă  la violence

Mais d’oĂč vient la violence ? Est-ce une fatalitĂ© biologique selon laquelle « l’homme serait un loup pour l’homme » ? « La violence n’est pas l’expression de notre nature. La violence est l’expression des frustrations de notre nature » rĂ©pond Thomas. « C’est lorsque notre nature est frustrĂ©e que nous pouvons ĂȘtre violent. Un ĂȘtre humain qui a reçu de l’amour, de l’attention, de la valorisation de ses talents, de l’encouragement dans ses faiblesses, pourquoi cet individu utiliserait-il une stratĂ©gie violente pour se sentir vivre ? ».

Autre question : comment fait-on par rapport Ă  la violence des autres ? La solution n’est-elle pas de dĂ©velopper notre paix, notre propre bienveillance ? Effectivement, Thomas nous invite Ă  nous tourner vers nous-mĂȘme. « Ce sera trĂšs difficile de comprendre la violence des autres si on refuse de voir la notre. Et beaucoup de nos contemporains refusent de voir la leur. La plupart des gens n’imaginent pas de quelle violence subtile il s’agit : le jugement sur soi, la condamnation, les systĂšmes de pensĂ©e qui nous forment, la culpabilitĂ© qui dĂ©chire. La plupart de nos contemporains n’imaginent pas la violence qu’ils exercent sur eux-mĂȘmes et ils se trouvent encagĂ©s en tenant bien la clĂ© en main pour ne pas se libĂ©rer. Nous avons besoin d’apprendre Ă  dĂ©membrer cette violence sur nous-mĂȘme. C’est la condition pour accueillir la violence de l’autre, sinon la violence de l’autre nous rappelle la violence que nous exerçons sur nous-mĂȘme. Lorsque l’autre nous juge, cela interpelle la partie de nous-mĂȘme qui nous juge aussi. Je ne puis pas Ă©couter l’autre me traiter d’égoĂŻste si il y a une partie de moi qui me dit : « Je suis un Ă©goĂŻste. Je ne pense qu’à moi. C’est inadmissible ».

 

Le pouvoir de l’empathie

Thomas nous appelle Ă  reconnaĂźtre et Ă  dĂ©velopper notre empathie. « Je suis de plus en plus surpris par le pouvoir de l’empathie. L’empathie, c’est la capacitĂ© de me relier Ă  ce que l’autre ressent et Ă  ce qu’il aimerait, mĂȘme si on n’est pas d’accord. L’empathie ne veut pas dire qu’on est d’accord, qu’on souscrit, qu’on est prĂȘt Ă  faire ce que l’autre demande. L’empathie, c’est comprendre ce que l’autre ressent, mais sans ĂȘtre forcĂ© d’y souscrire. Je suis impressionnĂ© par la puissance de l’empathie. Beaucoup de nos besoins de violence, d’agressivitĂ© viennent du besoin d’ĂȘtre compris, d’ĂȘtre rejoint, du dĂ©sir que notre maniĂšre d’ĂȘtre soit entendue. Si nous arrivons Ă  crĂ©er un climat d’écoute et d’empathie pendant un certain temps, j’ai la conviction qu’il y aura du changement ».

 

Pardon
réconciliation


Un auditeur demande Ă  Thomas d’Ansembourg ce qu’il pense du pardon. « J’ai grandi dans la tradition catholique. Comme enfant et jeune homme encore, on m’a beaucoup parlĂ© du pardon. Intellectuellement ces paroles me paraissaient belles et nĂ©cessaires, mais je n’ai pas ressenti un dĂ©clic dans mon cƓur. Par la suite, quand j’ai appris ce qu’était l’empathie, l’empathie pour soi et l’empathie pour l’autre, j’ai tout Ă  coup ressenti ce « tilt » : aller jusqu’à comprendre l’autre mĂȘme si on a souffert de lui. Or c’est un effet que je n’avais pas perçu en disant : « Je te pardonne. Ce n’est pas grave ». Je gardais quand mĂȘme le souvenir d’une tristesse, d’un agacement. Maintenant, je sais qu’on peut appendre Ă  se rĂ©concilier et je prĂ©fĂšre la dĂ©marche de rĂ©conciliation. Comprendre ce que l’autre a ressenti et le dĂ©couvrir dans son humanitĂ© et dans son dĂ©nuement, cela demande que nous ayons acceptĂ© nous-mĂȘme de nous voir dans notre humanitĂ©, dans notre pauvretĂ©, dans notre dĂ©nuement, par moment dans notre impuissance. Plus nous porterons de l’humanitĂ© envers nous-mĂȘme, plus nous dĂ©velopperons de l’humanitĂ© pour l’humain devant nous. C’est une dĂ©marche. C’est un travail. Si on comprend ainsi le mot pardon, j’y souscris.

 

Que penser des religions ?

Un auditeur pose une grande question Ă  Thomas d’Ansembourg : « Que penses-tu des religions ? »

« J’ai de l’estime pour les religions qui aident les personnes Ă  mieux vivre, qui leur donnent des outils de compassion pour les autres, d’entraide et d’éveil au meilleur de soi. Il se trouve que j’ai perçu des limites dans la façon dont la religion m’étĂ© enseignĂ©e. J’ai grandi dans une tradition catholique trĂšs pratiquante. J’ai explorĂ© ces ressources et, Ă  un moment, elles ne me servaient plus. Il a fallu que je cherche autre chose qui n’était pas en contradiction avec la pratique religieuse, mais qui ne s’y trouvait pas, notamment la connaissance de soi. Le fait d’entrer en thĂ©rapie n’était pas cautionnĂ© par la religion. Les religieux me disaient : « Mais priez ! Allez faire une retraite spirituelle et tout ira bien  » Et bien non ! Dans le climat que j’ai vĂ©cu, je sentais plutĂŽt un Ă©touffoir, une limite, un empĂȘchement Ă  me mettre moi-mĂȘme dan une perspective d’expansion et de mettre ainsi le meilleur de moi-mĂȘme au service des autres. Si la religion aide Ă  grandir et Ă  ĂȘtre plus joyeux et plus gĂ©nĂ©reux, alors c’est une appartenance magnifique. Je serais toutefois vigilant en constatant qu’il peut arriver en thĂ©rapie beaucoup de personnes ayant Ă©tĂ© « obscurcies » par une pratique religieuse qui les empĂȘche d’ĂȘtre elles-mĂȘmes. Elles Ă©taient juste des copies conformes de leurs parents, de leurs milieux. Or, on est sur terre pour transformer le monde et apporter de la nouveautĂ©. Et la nouveautĂ© vient lorsqu’on est crĂ©ateur et quand on a appris Ă  se connaĂźtre et Ă  se confronter avec son ombre. Et pour se confronter avec son ombre, il faut l’avoir rencontrĂ©e. La plupart des religions disent : « N’allez pas voir votre ombre ! » Comment voulez-vous dĂ©passer quelque chose que vous ne connaissez pas ? Cette religion me tirait hors de moi. Je n’avais pas un creuset d’intĂ©rioritĂ© transformante oĂč je pouvais nettoyer mes tristesses, mes dĂ©sarrois. Il me manquait ce petit laboratoire intĂ©rieur. J’ai pu voir par la suite qu’on peut vivre une religion trĂšs stricte sans espace d’intĂ©rioritĂ©, sans aucun recul. Je vous engage donc Ă  dĂ©velopper une vie intĂ©rieure profonde qui peut bien se vivre dans un cadre religieux, mais aussi dans un autre cadre.

 

Une conscience de la respiration

A la fin de la session, un auditeur demande Ă  Thomas d’Ansembourg, un exercice, « une petite pratique pour une Ă©ducation Ă  la paix, un entrainement Ă  la paix ». En rĂ©ponse, Thomas propose un exercice simple et porteur de sens. « Vous pouvez commencer votre journĂ©e par 3 ou 4 minutes de prĂ©sence. Vous posez votre main sur votre poitrine en constatant que vous respirez et vous prenez deux ou trois respirations dans cette conscience. Je respire. Cela respire en moi. Goutez cette conscience que c’est la Vie qui respire en vous. Il n’y a rien Ă  faire.  Et puis, Ă  cĂŽtĂ© de cette conscience de la Vie qui est en vous, qui est lĂ  constamment, ajoutez une petite visualisation de ce qui se passe. Entrez dans l’intime de vos poumons. Visualisez ce qui se passe Ă  chaque instant dans vos poumons : un Ă©change entre oxygĂšne et gaz carbonique. La vie est Ă©change. Sans Ă©change, il n’y a pas de vie. Ajoutez un sentiment, ne serait-ce que de la gratitude pour cela. Mesurez l’ñge que vous avez, le nombre de respirations que vous avez prises depuis la toute premiĂšre Ă  la sortie du sein maternel  et combien votre respiration est fidĂšle depuis tant d’annĂ©es et elle le sera indĂ©fectiblement jusqu’à votre dernier souffle. FidĂ©litĂ© de la vie. Portez de la gratitude, de la reconnaissance Ă  la fois pour le souffle physique, et, pour ceux qui partagent cette perspective, pour le souffle de l’Esprit qui souffle Ă  travers toute personne et tout ĂȘtre, quelque soient les mots que vous mettiez sur cette rĂ©alitĂ©. Un petit exercice de quelques secondes qui vous relie Ă  la sensation d’ĂȘtre vivant, Ă  la merveille de l’organisation biologique de la vie, Ă  l’appartenance au souffle que ce soit simplement le souffle physique qui est le mĂȘme pour tous les ĂȘtres vivants et nous relie au Cosmos et Ă  la totalitĂ©, mais Ă©galement au souffle qui nous relie Ă  la dimension spirituelle, le souffle qui inspire notre humanitĂ© depuis des millĂ©naires au delĂ  de ce que nous voyons.

 

Interprétations

Comment ne pas nous interroger sur la violence qui nous environne ? La confĂ©rence questions-rĂ©ponses de Thomas d’Ansembourg nous apporte un Ă©clairage prĂ©cieux. Cette approche nous aide Ă  comprendre, mais elle nous ouvre aussi des pistes pour des prises de conscience dĂ©bouchant sur un changement personnel. Et ce changement personnel contribue Ă  une pacification collective : « Un citoyen pacifiĂ© est un citoyen pacifiant ». Cet enseignement est le fruit de l’expĂ©rience de Thomas qui nous fait le cadeau de nous la partager. Mais elle est donc Ă©galement associĂ©e Ă  un parcours personnel dans un contexte spĂ©cifique. Aussi, sur certains points, notre interprĂ©tation peut ĂȘtre diffĂ©rente. Nous ouvrons ici quelques pistes de rĂ©flexion complĂ©mentaires.

 

Pour une théologie de la vie

         Thomas d’Ansembourg a Ă©tĂ© apparemment confrontĂ© Ă  un catholicisme traditionnel dont il s’est Ă©loignĂ© parce qu’il en percevait les limites et les empĂȘchements qui en rĂ©sultaient dans son Ă©volution personnelle. Cependant, il y a aujourd’hui plusieurs maniĂšres d’envisager et de vivre la foi chrĂ©tienne. Dans son oeuvre thĂ©ologique, JĂŒrgen Moltmann nous montre l’influence que la philosophie platonicienne a exercĂ©e dans une part du christianisme associĂ©e Ă  une sociĂ©tĂ© traditionnelle. La terre Ă©tait perçue comme « une vallĂ©e de larmes ». Le salut Ă©tait associĂ© Ă  un dĂ©tachement du corps et une Ă©chappĂ©e de l’ñme vers l’au delĂ . En rĂ©ponse, Moltmann nous propose une thĂ©ologie de la vie. Ainsi Ă©crit-il, dans son tout rĂ©cent livre : « The living God and the fullness of life » (4) : « Le christianisme naissant a conquis le monde ancien avec son message au sujet du Christ : « Il est la rĂ©surrection et la vie ». C’est le Christ qui vient en ce monde et c’est cette vie avant la mort qui est Ă©ternelle parce qu’elle est remplie de Dieu dans la joie. Car, en Christ, le Dieu vivant est venu sur cette terre pour « qu’ils puissent avoir la vie et l’avoir en abondance » (p IX)
 Dans la rĂ©surrection du Christ, une vie entre dans le prĂ©sent qui ne peut ĂȘtre qu’aimĂ©e et vĂ©cue joyeusement
 Je dĂ©sire prĂ©senter une transcendance qui ne supprime, ni n’aliĂšne notre vie prĂ©sente, mais qui libĂšre et donne Ă  la vie une transcendance dont nous n’ayons pas besoin de nous dĂ©tourner, mais qui nous remplisse d’une joie de vivre » (p X). N’est-ce pas cette dynamique de vie qui manquait dans l’univers religieux que Thomas a rencontrĂ© dans son enfance et sa jeunesse ? Dans cette perspective, Moltmann accorde une grande importance Ă  la prĂ©sence et Ă  l’Ɠuvre de l’Esprit Saint, un Esprit crĂ©ateur et qui donne la vie (5). Nous percevons cette prĂ©sence de l’Esprit dans la dimension du Souffle Ă  laquelle Thomas d’Ansembourg fait allusion en commentant l’exercice de la respiration.

 

Face à la peur : le témoignage de Barack Obama

L’approche dĂ©veloppĂ©e Ă  travers cette confĂ©rence peut aider des gens trĂšs diffĂ©rents. « Ces outils de connaissance de soi se vivent dans le respect de toutes les traditions ». Dans une perspective chrĂ©tienne, ils s’inscrivent dans une vision de foi qui engendre la confiance et donne la force. Elle apporte un soutien face Ă  l’adversitĂ©. A cet Ă©gard, le rĂ©cent tĂ©moignage (6) du PrĂ©sident des Etats-Unis, Barack Obama, nous paraĂźt particuliĂšrement Ă©loquent. On imagine autant la responsabilitĂ© qu’il assume que les drames et les menaces auxquels il peut ĂȘtre confrontĂ©. Dans une rencontre nationale autour de la priĂšre (« National prayer breakfast »), Barack Obama a choisi de commenter un verset biblique (2 TimothĂ©e 7) : « Car Dieu ne nous a pas donnĂ© un esprit de peur, mais un esprit de puissance, d’amour et de sagesse ».   Ainsi nous parle-t-il de la peur : « La peur peut nous amener Ă  nous en prendre violemment Ă  ceux qui sont diffĂ©rents de nous
 Elle peut nous entrainer vers le dĂ©sespoir, la paralysie ou le cynisme. La peur peut susciter nos impulsions les plus Ă©goĂŻstes et briser les liens communautaires. La peur est une Ă©motion primaire que nous Ă©prouvons tous. Et elle peut ĂȘtre contagieuse se rĂ©pandant Ă  travers les sociĂ©tĂ©s et les nations.

Pour moi, et je le sais pour beaucoup d’entre vous, la foi est le grand remĂšde Ă  la peur. JĂ©sus est un grand remĂšde Ă  la peur. Dieu donne aux croyants la puissance, l’amour, la sagesse qui sont requis pour surmonter toute peur
 La foi m’aide Ă  faire face aux craintes quotidiennes auxquelles nous sommes tous confrontĂ©s
 Elle m’aide Ă  affronter quelques unes des tĂąches spĂ©cifiques de ma fonction
 Nelson Mandela a dit : « J’ai appris que le courage n’était pas l’absence de peur, mais le fait de la surmonter  »  Et certainement, il y a des moments oĂč je dois me rĂ©pĂ©ter cela Ă  moi-mĂȘme dans ma  fonction
 Et comme prĂ©sident, comme chaque leader, chaque personne, j’ai connu la peur, mais ma foi m’a dit que je n’avais pas Ă  craindre la mort, que l’acceptation du Christ promet le vie Ă©ternelle
 Dans la force de Dieu, je puis rĂ©sister, faire face aux alĂ©as, me prĂ©parer Ă  l’action  ». Barack Obama ajoute longuement combien, dans ces Ă©preuves, il a Ă©tĂ© encouragĂ© par la foi des autres.

 

Face à la violence : compréhension et changement intérieur

A plusieurs reprises dans ses propos, Thomas d’Ansembourg indique le registre dans lequel il se situe : « Je vous engage Ă  dĂ©velopper une vie intĂ©rieure profonde » qui peut se vivre dans diffĂ©rents cadres. Nous venons d’ajouter ici en regard quelques pistes de rĂ©flexions personnelles. A plusieurs reprises, nous avons prĂ©sentĂ© sur ce blog l’apport de Thomas d’Ansembourg qui nous paraĂźt apporter un Ă©clairage prĂ©cieux pour nous situer personnellement dans le monde d’aujourd’hui et Ă©voluer en consĂ©quence. Le problĂšme de la violence se pose Ă  nous aujourd’hui avec acuitĂ©, mais il nous interroge aussi par rapport Ă  certains comportements que nous rencontrons dans la vie quotidienne, et, comme Thomas l’a bien montrĂ©, par rapport Ă  certaines de nos rĂ©actions. C’est pourquoi, rencontrant cette vidĂ©o : « La paix, ça s’apprend » Ă  un dĂ©tour d’internet, nous avons immĂ©diatement choisi de la mettre ici en Ă©vidence. Voici un Ă©clairage qui ne nous apporte pas seulement une comprĂ©hension, mais qui nous ouvre un chemin.

J H

 

(1)            Voir : « Communication non violente » sur Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Communication_non-violente

(2)            « Un citoyen pacifié devient un citoyen pacifiant » https://vivreetesperer.com/?p=2156

« Femmes et hommes. Monde nouveau. Alliance nouvelle » https://vivreetesperer.com/?p=1791

« Vivant dans un monde vivant. Changer intérieurement pour vivre en collaboration » https://vivreetesperer.com/?p=1371

(3)            « La paix, ça s’apprend » par Thomas d’Ansembourg : vidĂ©o sur YouTube : https://www.youtube.com/watch?v=2rwhx8XyyYw

(4)             Moltmann (JĂŒrgen). The living God and the fullness of life ». World Council of churches, 2016 Sur ce blog : voir aussi : « Dieu vivant. Dieu prĂ©sent. Dieu avec nous dans un monde oĂč tout se tient » : https://vivreetesperer.com/?p=2267

(5)            Moltmann (JĂŒrgen). L’Esprit qui donne la vie. Cerf, 1999. « l’Esprit de Dieu s’appelle l’Esprit Saint parce qu’Il vivifie notre vie prĂ©sente et non parce qu’Il lui est Ă©tranger et en est Ă©loignĂ©. Il place cette vie dans la prĂ©sence du Dieu vivant et dans le courant de l’amour Ă©ternel. Pour marquer l’unitĂ© entre expĂ©rience de Dieu et expĂ©rience vitale, je parle dans le prĂ©sent ouvrage de « l’Esprit qui donne la vie ». Voir aussi une introduction Ă  la pensĂ©e thĂ©ologique de JĂŒrgen Moltmann sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie » : http://www.lespritquidonnelavie.com

(6)            Remarks of the President at National Prayer Breakfast : https://www.whitehouse.gov/the-press-office/2016/02/04/remarks-president-national-prayer-breakfast-0 Vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=ifvN7JDpkXw

 

Sur ce blog, voir aussi :

« La force de l’empathie » : https://www.youtube.com/watch?v=ifvN7JDpkXw

« Bienveillance humaine. Bienveillance divine. Une harmonie qui se répand » : https://vivreetesperer.com/?p=1842

Entrer dans la bénédiction

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BĂ©nir, c’est participer Ă  l’Ɠuvre de Dieu en rĂ©pandant la paix : au sens de « shalom », une paix entendue, dans un sens trĂšs large : plĂ©nitude, harmonie, santĂ©.

 

         En nous parlant ainsi de la bénédiction, Jean-Claude Schwab nous ouvre un horizon de vie.

         RĂ©cemment, on pouvait lire sur la lettre d’une entreprise de tĂ©lĂ©communication (1), un message Ă©clairant : « AllĂŽ provient de l’ancien mot anglais : hallow (sois bĂ©ni), le salut des marins quand leurs bateaux se croisaient. Au fil du temps, le mot se transforme en hello. Ce sont les standardistes qui dĂ©mocratisĂšrent l’usage du hello au tĂ©lĂ©phone qui devint phonĂ©tiquement notre allĂŽ français ». Aujourd’hui, Ă  une Ă©poque oĂč l’interconnexion est dĂ©sormais une caractĂ©ristique majeure de notre existence, il est bon de se rappeler que le bon exercice de la communication dĂ©pend de la reconnaissance d’une dimension qui fonde une confiance rĂ©ciproque. Tel Ă©tait le cas de ces marins d’autrefois lorsqu’ils se saluaient en terme de bĂ©nĂ©diction.

         Et, de mĂȘme aujourd’hui, nous savons combien notre existence dĂ©pend de la qualitĂ© des relations qui donnent forme Ă  notre environnement. Nous comprenons l’importance de notre maniĂšre de penser. Actuellement, de nombreuses recherches montrent les effets bĂ©nĂ©fiques d’une pensĂ©e positive tant Ă  l’égard des autres qu’à  l’égard de nous-mĂȘme (2). Nous voyons lĂ  une disposition de la crĂ©ation qui trouve signification et vigueur dans la bĂ©nĂ©diction.. Et d’ailleurs, dĂšs le milieu du XXĂš siĂšcles, des thĂ©rapeutes chrĂ©tiens comme Agnes Sanford et Norman Peale (3) ont tĂ©moignĂ© d’une expĂ©rience des effets d’une pensĂ©e de bĂ©nĂ©diction à  l’intention de tel ou tel.

         Lorsque nous croyons que Dieu est prĂ©sent et agissant au cƓur mĂȘme de notre monde, nous voyons en lui la source de vie, la puissance d’inspiration qui porte tout ce qui va dans le sens de la vie.Il nous appelle Ă  participer Ă  son Ɠuvre (4). Nous sommes tous appelĂ©s Ă  entrer dans la bĂ©nĂ©diction.

          Dans le passĂ©, Jean-Claude Schwab, pasteur de l’Eglise RĂ©formĂ©e en Suisse romande, a animĂ© des sessions Ă  TĂ©moins dans le cadre de l’AFRAI, une association chrĂ©tienne se donnant pour but de manifester l’action de Dieu pour le dĂ©veloppement et la restauration de la personne dans toutes ses dimensions (5) . Il anime Ă©galement des sessions durant les vacances d’étĂ© (6). L’une d’entre elles a Ă©tĂ© consacrĂ©e au thĂšme de la bĂ©nĂ©diction. Dans un numĂ©ro du magazine TĂ©moins, nous avions recueilli Ă  ce sujet les propos de Jean-Claude Schwab qui nous fait entrer dans le mouvement de la bĂ©nĂ©diction : affirmer la bĂ©nĂ©diction ; reconnaĂźtre la bĂ©nĂ©diction ; rĂ©pandre la bĂ©nĂ©diction,  comme une maniĂšre bienfaisante de penser et de vivre.

         RĂ©cemment, les numĂ©ros du magazine TĂ©moins ont Ă©tĂ© numĂ©risĂ©s et mis en ligne (7) sur le site de TĂ©moins, le site de « la culture chrĂ©tienne interconfessionnelle ». On pourra donc y consulter cet article dans le cadre mĂȘme du numĂ©ro dans lequel il a Ă©tĂ© publiĂ© (novembre-dĂ©cembre 2000) (8).

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J.H.

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Entrer dans la bénédiction

 

         BĂ©nir, c’est proclamer la paix, agir en faveur de la paix, Ă©tablir un espace de paix.  Ici, on doit entendre le mot « paix » d’une façon trĂšs large, en retournant au terme hĂ©braĂźque originel : Shalom.  Shalom signifie la plĂ©nitude, l’harmonie, la santĂ©, tout ce qui concourt Ă  l’accomplissement de l’homme. Mais ce terme exprime aussi la restauration de l’ĂȘtre, le salut. En proclamant la paix, la bĂ©nĂ©diction exprime l’action de Dieu dans la crĂ©ation et dans la rĂ©demption.

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Affirmer la bénédiction

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         Lorsque JĂ©sus chasse les vendeurs du Temple, sa colĂšre ouvre un espace pour la bĂ©nĂ©diction (Mat 21. 12-16). Ce lieu n’était plus un espace de libertĂ© et d’adoration, mais l’objet d’un envahissement. Cette situation Ă©voque tout ce qui surgit en nous et fait opposition au moment oĂč l’on veut faire place au silence, Ă  l’intimitĂ©, Ă  la rencontre. Les prĂ©occupations, les sollicitations font barrage. A l’instar de la colĂšre de JĂ©sus, sans doute sommes-nous appelĂ©s parfois Ă  poser des actes clairs, Ă  laisser notre Ă©nergie s’exprimer pour rĂ©tablir les choses. Dans l’épisode rapportĂ© de l’évangile, il ne faut pas moins que la colĂšre de JĂ©sus pour rĂ©tablir l’ordre originel, un espace sabbatique. Alors la rencontre peut avoir lieu. Les enfants expriment leur louange d’une façon toute simple et naturelle.  Les malades peuvent s’approcher pour ĂȘtre guĂ©ri. Le projet de Dieu se rĂ©alise.

         Mais, en mĂȘme temps, les textes synoptiques nous disent qu’à la suite de cet incident, les ennemis de JĂ©sus s’entendent pour le faire mourir. Ainsi, JĂ©sus signe de sa mort cette Ɠuvre de libĂ©ration. C’est dire combien, Ă  ses yeux, cet espace pour la bĂ©nĂ©diction,au cƓur de nos vies, est vital. Il a fallu l’action virulente de JĂ©sus pour que les gens puissent s’approcher de Lui au temple. Jusque lĂ , ils ne le pouvaient pas. Bien sĂ»r, ils ont reçu de lui de grands bienfaits,  mais ceux-ci sont un effet de sa prĂ©sence. Cette simple prĂ©sence, sa proximitĂ©, est bĂ©nĂ©diction. C’est Ă  travers la prĂ©sence de Dieu que s’établit le Shalom, plĂ©nitude et harmonie, puissance de restauration personnelle et relationnelle.

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Reconnaßtre la bénédiction

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         La prĂ©sence et l’action bĂ©nissantes de Dieu sont Ă  l’origine de l’univers, mais elles sont aussi Ă  l’origine de ma vie. « C’est Toi qui m’a tissĂ© dans le sein de ma mĂšre. Je te loue de ce que je suis une crĂ©ature si merveilleuse » (Psaume 139. 13-14) « Tu m’as fait sortir du sein maternel. Tu m’as mis en sĂ»retĂ© sur les mamelles de ma mĂšre » (Psaume 22.10).

         Ainsi, mon Dieu, Tu as pris soin de moi dĂšs l’origine.  Tu m’as donnĂ© des signes d’amour qui m’ont permis de vivre.  Sans ces signes, je n’existerais pas. J’ai reçu ainsi la confiance originelle qui est le fondement du dĂ©veloppement humain. Il y a eu des dĂ©rapages ensuite dans ma vie. Mais j’ai reçu ce fondement, cette grĂące d’exister. Si je n’en suis pas conscient, je suis appelĂ© Ă  rĂ©aliser que la bĂ©nĂ©diction est Ă  l’Ɠuvre pour moi, depuis mon origine. Cette prise de conscience est une bĂ©nĂ©diction en soi, une nouvelle bĂ©nĂ©diction.

         « Mon Ăąme, bĂ©nis l’Eternel, n’oublie aucun de ses bienfaits ». Cette exhortation Ă  soi-mĂȘme (Psaume 103) m’appelle Ă  bĂ©nir Dieu pour ma vie et, pour cela, Ă  faire mĂ©moire de ma vie. C’est une dĂ©marche importante Ă  faire pĂ©riodiquement. Il y a lĂ  un travail en quĂȘte de sens, en quĂȘte des traces de Dieu. Quel est le fil conducteur pour ma vie ? Je rends grĂące pour le bien et, dans les cĂŽtĂ©s nĂ©gatifs, je cherche Ă  reconnaĂźtre la main de Dieu qui utilise tout. Quand il y a du sens, il y a quelqu’un qui est derriĂšre. Je dĂ©couvre ce quelqu’un qui est avec moi.  Il y a lĂ  une attitude Ă  acquĂ©rir : savoir reconnaĂźtre la prĂ©sence de Dieu Ă  l’Ɠuvre dans ma vie.

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Répandre la bénédiction

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         « Que l‘Eternel te bĂ©nisse et te garde. Que l’Eternel fasse luire sa face et qu’il t’accorde sa grĂące.  Que l’Eternel tourne sa face vers toi et qu’il te donne la paix » (Nombres 6, 24-26) . La bĂ©nĂ©diction d’Aaron, traditionnelle dans le judaĂŻsme, nous introduit dans une attitude de bĂ©nĂ©diction .

         « BĂ©nissez, ne maudissez pas » nous rappelle Paul (Romains 12.14), en Ă©cho Ă  la parole de JĂ©sus (Matthieu 5.44). Ce prĂ©cepte nous invite Ă  une attitude intĂ©rieure. BĂ©nir les gens autour de nous, c’est avoir un regard positif sur eux, leur souhaiter le meilleur, les mettre intĂ©rieurement en relation avec Dieu, invoquer sur eux sa protection.

         Pour exprimer Ă  l’autre la bĂ©nĂ©diction de Dieu, il faut apprendre Ă  se rendre prĂ©sent Ă  lui, entrer dans le concret d’une relation.  Je me rĂ©fĂšre Ă  l’attitude de JĂ©sus lorsqu’il guĂ©rit un sourd-muet dans l’évangile de Marc (ch 7. 23-25). En quelque sorte, JĂ©sus apprivoise cet homme. Il le prend Ă  part, il entre en proximitĂ© avec lui en le touchant.  JĂ©sus soupire intĂ©rieurement, lĂšve les yeux au Ciel et dit Ă  l’homme : « Ouvre-toi ». PrĂ©sent Ă  lui-mĂȘme dans son soupir, JĂ©sus est prĂ©sent au PĂšre et exerce une prĂ©sence de libĂ©ration vis-Ă -vis de cet homme.

         Pour moi, la parole et la prĂ©sence sont deux rĂ©alitĂ©s qui doivent aller de pair. Ainsi, bĂ©nir l’autre explicitement, c’est se rendre prĂ©sent Ă  lui et dans l’humilitĂ©, se faire simplement le serviteur d’une Parole. Entrons ensemble dans la bĂ©nĂ©diction de Dieu.

 

Propos recueillis auprĂšs de Jean-Claude Schwab

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(1)            La lettre. Ligne fixe. orange, mai-juin 2013

(2)            « La dynamique de la conscience et de l’esprit humain. Un nouvel horizon scientifique. D’aprĂšs le livre de Mario Beauregard : « Brain wars ». http://www.temoins.com/etudes/la-dynamique-de-la-conscience-et-de-l-esprit-humain.-un-nouvel-horizon-scientifique.-d-apres-le-livre-de-mario-beauregard-brain-wars.html

(3)            Agnes Sanford inscrit la priĂšre de guĂ©rison dans une comprĂ©hension des interrelations entre la pensĂ©e et le corps :       Sanford (Agnes). La lumiĂšre qui guĂ©rit . Delachaux et NiestlĂ©, 1955. Norman Vincent Peale a dĂ©couvert l’apport de la psychologie dans le dĂ©veloppement spiritueL Il donne Ă  un de ses livres intitulĂ© au dĂ©part : « Puissance de la foi », le titre : « Puissance de la pensĂ©e positive » pour que celui-ci puisse s’adresser Ă  tous et pas seulement aux croyants pratiquants. Peale (Norman Vincent).  La puissance de la pensĂ©e positive. Marabout, 1990

(4)            Sur ce blog, la contribution d’Odile Hassenforder : « Dieu, puissance de vie. Les projets de Dieu pour moi, pour l’humanitĂ©, pour l’univers sont des projets de bonheur et non de malheur ». https://vivreetesperer.com/?p=1405

(5)            Les interventions de Jean-Claude Schwab Ă  TĂ©moins ont Ă©tĂ© suivies par la publication de deux textes : « Voici une bonne nouvelle : habiter mon corps » :  http://www.temoins.com/developpement-personnel/voici-une-bonne-nouvelle-habiter-mon-corps/toutes-les-pages.html    et : « Au cƓur du cyclone » : http://www.temoins.com/parole-ouverte/au-coeur-du-cyclone.html  On se reportera Ă©galement Ă  une rĂ©cente contribution de Jean-Claude Schwab sur ce blog : « AccĂ©der au fondement de son existence »  https://vivreetesperer.com/?p=1295

(6)            Jean-Claude Schwab participe activement Ă  l’association : ExpĂ©rience et ThĂ©ologie : http://www.experience-theologie.ch/accueil/

(7)            La mémoire de Témoins : http://www.temoins.com/index.php?option=com_content&view=article&id=959&catid=30

(8)            Témoins. Novembre/Décembre 2000  http://temoins.com/index.php?option=com_content&view=article&id=993&catid=29