par jean | Fév 6, 2017 | ARTICLES, Société et culture en mouvement |
 Transformation sociale et Ă©mergence dâun individu relationnel.
« La contresociété », selon Roger Sue
         Si certains Ă©pisodes comme lâĂ©lection prĂ©sidentielle en France suscitent des mobilisations, dans la durĂ©e, on assiste plutĂŽt Ă un rejet du pouvoir politique qui sâexprime Ă travers un pessimisme et un dĂ©sengagement. Plus gĂ©nĂ©ralement, dans tous les domaines, les institutions hiĂ©rarchisĂ©es, qui ont longtemps encadrĂ© la sociĂ©tĂ© française, sont aujourdâhui plus ou moins sujet de dĂ©fiance. Ainsi, peut-on ressentir un malaise dans la vie publique qui sâexprime dans un vocabulaire de crise. Ce dĂ©sarroi se conjugue avec une rĂ©volte diffuse qui nourrit les extrĂ©mismes. Et pourtant, on peut Ă©galement observer en regard des mouvements qui sont porteurs dâespoir. Nous avons besoin dây voir plus clair. Cette situation appelle des diagnostics et des propositions.
A cet Ă©gard, des chercheurs en sciences sociales viennent Ă©clairer les transformations actuelles. Ainsi, dans son livre : « La contresociĂ©té » (1), Roger Sue nous apporte une vision positive : « Le contrat social ne tient plus ». Dans le vide actuel, « surgissent les monstres, les extrĂ©mistes de lâordre et du dĂ©sordre. Mais se lĂšve aussi lâimmense majoritĂ© des individus anonymes, qui, hors des institutions verticales, retissent les liens dâune sociĂ©tĂ© horizontale et associative, une contresociĂ©tĂ©. Celle des rĂ©seaux qui crĂ©ent internet, celle de lâĂ©conomie collaborative qui renouvelle la relation au travail et Ă la richesse, celle de la connaissance qui dĂ©fie ceux qui prĂ©tendent Ă son monopole, celle de lâengagement et de lâaction qui redonne son sens original Ă la politique et Ă la dĂ©mocratieâŠÂ » (page de couverture)
Dans ce livre, Roger Sue met en Ă©vidence, par delĂ les hĂ©ritages encore dominants, lâĂ©mergence dâune nouvelle forme de lien social, dâun « individu relationnel », moteur dâune sociĂ©tĂ© associative. Il dĂ©crit les comportements, les initiatives, les innovations qui portent ce changement et en tĂ©moignent. Enfin, en conclusion, il propose trois orientations stratĂ©giques pour que « la contresociĂ©tĂ© devienne la sociĂ©tĂ© elle-mĂȘme et dessine une autre figure politique en rapport avec lâĂ©volution du lien social : lâouverture de lâĂ©cole Ă la sociĂ©tĂ© de la connaissance, lâuniversalitĂ© du service civique et la participation des citoyens Ă la politique ».
Une nouvelle maniÚre de vivre en société
Si nous ressentons un Ă©tat de crise qui entraine un repli, une morositĂ© et se traduit par un rejet du politique, Roger Sue perçoit, dans le mĂȘme temps, un mouvement sous-jacent dans lequel sâĂ©labore une nouvelle maniĂšre dâenvisager la sociĂ©tĂ©. A lâencontre de la sociĂ©tĂ© dominante, cette « contresociĂ©té » « prĂ©figure de nouveaux modes dâorganisation du social, de lâĂ©conomique et du politique ». « LĂ oĂč la plupart des observateurs dĂ©crivent la fragmentation, lâĂ©clatement, la dĂ©construction des collectifs, le repli sur soi, sur fond de dĂ©sert idĂ©ologique et politique, et lâabsence dâavenir, Ă©merge un mouvement social de fondâŠÂ » (p 8). Ce mouvement, en opposition aux formes anciennes de la sociĂ©tĂ©, sâaffirme dans la dĂ©sertion et la contestation, mais aussi dans la reconstruction. Lâauteur dĂ©crit ces trois moments, mais comme les deux premiers , nous paraissent bien identifiĂ©s, nous mettons lâaccent sur son analyse concernant la reconstruction.
Roger Sue nous appelle dâabord Ă ne pas nous focaliser sur la crise dans lâattente dâun retour au passĂ©. « Le discours du retour au passĂ© reste le fond de la promesses politique, Ă gauche et Ă droite, et Ă fortiori Ă lâextrĂȘme droite » (p 11). Nous ne devrions pas nous sentir prisonniers de reprĂ©sentations de lâĂ©conomie liĂ©es au passĂ©. Au delĂ des vicissitudes de lâĂ©conomie, une transformation sociale est en cours qui va elle-mĂȘme influer sur la vie Ă©conomique. Un mouvement de fond est en train dâapparaĂźtre. « il est liĂ© aux nouvelles maniĂšres de vivre ensemble, de se lier aux autres, de communiquer, de produire dâapprendre, de « faire sociĂ©té », bref aux Ă©volutions du lien social » (p 13). Cette Ă©volution est une nouvelle Ă©tape dâune transformation historique : « Le lien communautaire du passĂ© enfermait la sociĂ©tĂ© et leurs membres sur eux-mĂȘmes, dans leurs traditions statutaires et sĂ©culaires, et dans une Ă©conomie de la reproduction relativement autarcique alors que la naissance de lâindividu les ouvre aux liens contractuels de la modernitĂ©, Ă la dĂ©mocratie, au marchĂ©, au progrĂšs et au dĂ©veloppement » (p 15).
Nous entrons aujourdâhui dans une nouvelle Ă©tape. « LâĂ©volution du lien social se caractĂ©rise par la montĂ©e en puissance dâun individu relationnel : les rĂ©seaux sociaux et associatifs ne se sont pas Ă©tendus aussi rapidement, puissamment et efficacement par hasardâŠÂ ». « Un lien dâassociation ou de lâassociativitĂ© se diffuse dans lâensemble des relations sociales » et ce phĂ©nomĂšne « a une portĂ©e rĂ©volutionnaire encore ignorĂ©e, de la famille Ă lâentreprise, en passant par les rĂ©seaux sociaux, de la maniĂšre de « faire connaissance » Ă celle de concevoir la politique » (p 15). Ainsi se dĂ©veloppe une vie en rĂ©seau dans un grand nombre de domaines. « La famille fonctionne de plus en plus souvent comme une sorte dâassociation Ă gĂ©omĂ©trie variableâŠÂ De mĂȘme lâirruption des technologies numĂ©riques, des grands rĂ©seaux sociaux, des mobiles est impensable sans une configuration sociale assez horizontale et associativeâŠLe fonctionnement Ă grande Ă©chelle de lâinternet est impossible sans une grande propension Ă lâassociativitĂ© de la sociĂ©tĂ©âŠÂ » (p 16-17). On retrouve cette influence de lâassociativitĂ© dans lâĂ©mergence de la sociĂ©tĂ© de la connaissance, de lâĂ©conomie collaborative, de la dĂ©mocratie participative.
Nous rejoignons la question de Roger Sue : « La crise nâest-elle pas lâeffet du choc dâune contresociĂ©tĂ©Â de plus en plus horizontale face Ă des institutions et une organisation politique dramatiquement verticales ? ». Cette question implique une analyse de la situation qui correspond Ă notre expĂ©rience.
Une nouvelle forme du lien social : Lâindividu relationnel, source de la sociĂ©tĂ© associative.
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« La forme du lien social gouverne notre relation Ă lâautre, aux autres et Ă la sociĂ©tĂ©. Aujourdâhui, cette Ă©volution modifie toutes nos relations : le couple, la famille, les amis, le travail, lâentreprise, les loisirs, les institutions et la politique » (p 22). En analysant lâĂ©volution sociale, Roger Sue nous fait entrer au cĆur du processus qui gĂ©nĂšre une culture et une sociĂ©tĂ© associatives.
La recherche met en Ă©vidence le dĂ©veloppement de lâindividualisation au cours des derniers siĂšcles et des derniĂšres dĂ©cennies . Cette Ă©volution a pu ĂȘtre perçue par certains comme synonyme dâindividualisme. Et effectivement, il y a eu des accents diffĂ©rents selon les phases et les moments de cette Ă©volution. Mais aujourdâhui, le lien entre individualisation et socialisation est bien marquĂ©.
Selon Roger Sue, on assiste actuellement à « une recomposition du rapport social de lâindividu Ă lui-mĂȘme, au collectif et Ă la sociĂ©tĂ©, câest Ă dire du lien social » (p 23). Lâauteur explore ces trois dimensions. Dans le rapport Ă soi, il y a attente et reconnaissance de la singularitĂ© de chacun. Cette singularitĂ© est liĂ©e Ă une capacitĂ© accrue de rĂ©flexion, mais aussi Ă la diversitĂ© des expĂ©rience vĂ©cues. « Elle tient Ă la facultĂ© dâendosser des identitĂ©s multiples ou successives ». A la suite du livre de Bernard Lahire : « LâHomme pluriel » (2), on perçoit de mieux en mieux « la diversitĂ© des identitĂ©s qui traversent la mĂȘme personne » ( p 27). Le lien social nâest pas seulement extĂ©rieur Ă lâindividu. Il le compose aussi intĂ©rieurement, mentalement, psychologiquement comme individu associé » (p 28).
Si nous adhĂ©rons Ă la proposition de Roger Sue de nommer « individu relationnel », le stade actuel de lâindividualitĂ©, il en rĂ©sulte la reconnaissance dâune Ă©nergie nouvelle : « Face Ă la dĂ©composition des institutions, la socialisation procĂšde dĂ©sormais essentiellement du flux relationnel permanent qui Ă©mane des individus » (p30). Câest le dĂ©veloppement dâune sociĂ©tĂ© en rĂ©seau. Câest lâĂ©mergence dâune sociĂ©tĂ© associative.
En France mĂȘme, on assiste aujourdâhui Ă un dĂ©veloppement constant de la vie associative. « On compte aujourdâhui plus de 1,3 million dâassociations en activitĂ©, auxquelles sâajoutent en moyenne 70000 crĂ©ations chaque annĂ©e. Ce rythme ne se dĂ©ment pas. Il faut le comparer avec les 20000 crĂ©ations des annĂ©es soixante qui restent pourtant dans la mĂ©moire comme la grande pĂ©riode dâengagement, de militantisme, de culture populaire et dâaction civique » (p 43). « La France compterait aujourdâhui plus de 20 millions de bĂ©nĂ©voles, soit prĂšs de 40% de la population, avec une remarquable progression de 12% au cours des annĂ©es 2010-2016 » (p 42). Et, par ailleurs, les associations sont hautement apprĂ©ciĂ©es par les français (79% de jugements positifs) devançant largement les institutions (p 29).
Cet esprit associatif se rĂ©pand Ă©galement dans la sphĂšre politique malgrĂ© les rĂ©sistances qui lui sont opposĂ©es. Les exemples sont multiples. Cependant, les oppositions que lâesprit dâassociation rencontre dans un systĂšme social et une sphĂšre politique caractĂ©risĂ©s par les sĂ©quelles de la hiĂ©rarchisation, engendre un malaise profond. Le diagnostic de Roger Sue nous paraĂźt pertinent. « Le pessimisme ambiant fortement marquĂ© en France, tient moins Ă la dĂ©gradation objective des conditions de vie quâĂ la montĂ©e des subjectivitĂ©s et des aspirations Ă lâassociation. Aspirations confrontĂ©es Ă une rĂ©alitĂ© socio-institutionnelle figĂ©e, dĂ©calĂ©e, qui paraĂźt dâautant plus distante. Du choc de lâhorizontalitĂ© des rĂ©seaux de relation face Ă la verticalitĂ© des institutions nait la violence sociale quâon retourne contre lâindividu » (p 50)
Quelles perspectives ?
Dans notre recherche oĂč la crise actuelle apparaĂźt comme un effet des mutations en cours (3), oĂč des transformations sociales en profondeur comme lâindividualisation sâeffectuent dans un processus Ă long terme (4), oĂč des aspirations nouvelles se manifestent dans de nouveaux genres de vie (5) et Ă travers un puissant mouvement dâinnovation (6), le livre de Roger Sue vient nous apporter un Ă©clairage qui confirme un certain nombre de prises de conscience et contribue Ă une synthĂšse dans les convergences quâil met en Ă©vidence. En proposant la notion dâ « individu relationnel », il met en Ă©vidence une nouvelle Ă©tape, bienvenue, dans le processus dâindividualisation. En proposant la vision dâune « sociĂ©tĂ© associative, il donne du sens Ă toutes les innovations sociales qui apparaissent aujourdâhui, et, plus gĂ©nĂ©ralement  aux changements en cours qui manifestent un nouvel Ă©tat dâesprit dans la vie sociale, Ă©conomique et politique et qui se heurtent aux obstacles et aux oppositions « dâune rĂ©alitĂ© socio-institutionnelle figĂ©e, dĂ©calĂ©e », encore fortement hiĂ©rarchisĂ©e. Si cette grille de lecture nâĂ©puise pas toutes les questions que nous nous posons aujourdâhui comme nos interrogations sur les origines de la puissance actuelle des forces qui montent Ă lâencontre des sociĂ©tĂ©s ouvertes, elle nous apporte une vision cohĂ©rente dâune sociĂ©tĂ© associative et participative dont nous voyons quâelle rĂ©pond Ă des aspirations convergentes.
Elle vient aussi en rĂ©ponse Ă une attente qui court Ă travers les siĂšcles comme un Ă©cho au message de lâEvangile tel quâil a Ă©tĂ© vĂ©cu dans la premiĂšre Eglise et a cheminĂ© ensuite sous le boisseau dans un contexte religieux longtemps dominĂ© par une civilisation hiĂ©rarchique et patriarcale. Il y a une affinitĂ© entre une dynamique fondĂ©e sur la relation et lâassociation et une vision qui nous appelle Ă lâamour et Ă la paix dans la fraternitĂ©.
J H
(1)           Sue (Roger). La contresociété. Les liens qui libÚrent, 2016
(2)Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Lahire (Bernard). Lâhomme pluriel. Les ressorts de lâaction. Nathan, 1998
(3)           Les mutations en cours :  « Quel avenir pour le monde et pour la France ? (Jean-Claude Guillebaud. (Une autre vie est possible) » : https://vivreetesperer.com/?p=937   « Un chemin de guĂ©rison pour le monde et pour lâhumanitĂ© (La guĂ©rison du monde, selon FrĂ©dĂ©ric Lenoir) » : https://vivreetesperer.com/?p=1048 « Comprendre la mutation actuelle du monde et de notre sociĂ©tĂ© requiert une vision nouvelle du monde. La conjoncture, selon Jean Staune » : https://vivreetesperer.com/?p=2373  « Un monde en changement accĂ©lĂ©rĂ© (Thomas Friedman) » : https://vivreetesperer.com/?p=2560
(4)           « LâĂąge de lâauthenticitĂ© (Charles Taylor. LâĂąge sĂ©culier ») : http://www.temoins.com/lage-de-lauthenticite/
(5)           « Emergence en France de la sociĂ©tĂ© des modes de vie : autonomie, initiative, mobilité⊠(Jean Viard) » : https://vivreetesperer.com/?p=799 « Penser lâavenir, selon Jean Viard » : https://vivreetesperer.com/?p=799
« Le film : « Demain » :    https://vivreetesperer.com/?p=2 « Cultiver la terre en harmonie avec la nature » : https://vivreetesperer.com/?p=2405 « Appel Ă la fraternité » : https://vivreetesperer.com/?p=2086  « Blablacar. Un nouveau mode de vie » : https://vivreetesperer.com/?p=1999 « Pour une sociĂ©tĂ© collaborative » :  https://vivreetesperer.com/?p=1534 « Une rĂ©volution de lâĂȘtre ensemble » ( « Vive la co-rĂ©volution. Anne-Sophie Novel et StĂ©phane Riot » : https://vivreetesperer.com/?p=1394
par jean | Oct 26, 2015 | ARTICLES, Expérience de vie et relation, Société et culture en mouvement, Vision et sens |
« SociĂ©tĂ© collaborative. La fin des hiĂ©rarchies » (1) : câest le titre dâun petit livre publiĂ© en 2015 par la communautĂ© « OuiShare ». Petit par le format, mais, Ă notre sens, de grande portĂ©e. Car ce livre, nourrie par une expĂ©rience vĂ©cue, riche en informations sur les innovations sociales et technologiques en cours, sait analyser la  rĂ©alitĂ© sociale et ouvrir des pistes de changement. Et la dynamique de cet engagement se fonde sur les valeurs de OuiShare, une jeune association qui a grandi rapidement depuis janvier 2012 pour devenir un acteur international de premier plan dans le domaine de lâĂ©conomie collaborative (2). Sur ce blog, nous avons dĂ©jĂ mis en Ă©vidence le caractĂšre novateur de lâĂ©conomie collaborative (3). OuiShare se dĂ©finit aujourdâhui comme « une communautĂ©, un accĂ©lĂ©rateur dâidĂ©es et de projets dĂ©diĂ© Ă lâĂ©mergence de la sociĂ©tĂ© collaborative, une sociĂ©tĂ© basĂ©e sur des principes dâouverture, de confiance et de partage de la valeur » (4). Lâassociation, actuellement prĂ©sente dans vingt pays, dĂ©veloppe ses activitĂ©s dans quatre domaines : « animation de communautĂ©s ; production intellectuelle ; incubation et accĂ©lĂ©ration de projets collaboratifs ; formation et accompagnement ».
Quelle est donc lâintention de ce livre ? Diane Filippova nous en fait part dans lâintroduction : « Ce nâest pas un manifeste⊠PlutĂŽt que dâassĂ©ner une thĂ©orie gĂ©nĂ©rale du collaboratif » ou tout autre discours prescriptif, câest Ă partir de lâanalyse dâinitiatives concrĂštes que nous faisons Ă©merger notre vision, parfois idĂ©ale, souvent pragmatique. Si les principes de coopĂ©ration, de justice sociale, de libertĂ©, occupent une place de choix, câest en tant que prĂ©ceptes traduits en projets concrets. Aussi divers soient-ils, ces projets ont une caractĂ©ristique en partage : lâĂ©conomique ne lâemporte jamais sur les enjeux sociaux, culturels et politiques » (p 9). On apprĂ©ciera cette capacitĂ© dâun milieu engagĂ© pratiquement dans des activitĂ©s Ă©conomiques Ă prendre du recul vis Ă vis « dâune autonomisation de la sphĂšre Ă©conomique par rapport au tissu social qui conduit Ă une sacralisation de la compĂ©tition et Ă la proclamation de la supĂ©rioritĂ© des modĂšles fermĂ©s » (p 9). Ce livre sâappuie sur une expĂ©rience de terrain. Et câest Ă partir de lĂ que les auteurs perçoivent lâapparition dâune sociĂ©tĂ© nouvelle en germe, en progrĂšs. « La sociĂ©tĂ© collaborative est dĂ©jĂ là  » (p 10). Le livre se dĂ©veloppe en six parties : « La fin des LĂ©viathans. Splendeurs et misĂšres des nouvelles formes de travail. LâĂ©ducation au XXIĂš siĂšcle : lâĂąge de « lâencapacitation ». Pour des organisations libĂ©ratrices et Ă©mancipatrices. Face aux dĂ©fis environnementaux et sociaux, des solutions communes en pair-Ă -pair. La transition vers la production distribuĂ© a commencé ». Un horizon sâouvre. Lâexploration commence
Dans le premier chapitre : « La fin des LĂ©viathans », Arthur de Grave nous fait entrer dans une critique salutaire du « pessimisme anthropologique », un regard nĂ©gatif sur lâhomme qui trouve sa formulation extrĂȘme dans « Le LĂ©viathan », livre dâun philosophe anglais de XVIIĂš siĂšcle, Thomas Hobbes. « Les institutions sont des entraves imposĂ©es aux hommes pour Ă©viter quâils ne sâentretuent » (p 19). Avec lâauteur, nous participons Ă cette critique dâune conception trĂšs sombre de lâhomme qui sape la confiance mutuelle, accroit les conflits, engendre lâautoritarisme (5). La concurrence exacerbĂ©e, exaltĂ©e dans la figure de « lâhomo economicus » sâinscrit dans cette reprĂ©sentation . Et il en va de mĂȘme quant Ă la hiĂ©rarchisation. Lâauteur dĂ©crit diffĂ©rentes variantes de lâorganisation hiĂ©rarchique. Mais aujourdâhui, partout, « le consensus autour de structures de pouvoir obsolĂštes et lĂ©gitimĂ©es par le recours un peu facile au pessimisme anthropologique se fissureâŠInternet remet la collaboration au gout du jour au moment mĂȘme oĂč lâidĂ©ologie de la compĂ©tition tous azimuts se rĂ©vĂšle pour ce quâelle a toujours Ă©tĂ©Â : une vision tronquĂ©e et bornĂ©e de la sociĂ©tĂ©. Dans la production, la consommation, le financement, ou encore lâĂ©ducation, les modĂšles collaboratifs ne cessent de monter en puissance depuis quelques annĂ©es jusquâĂ perturber des pans entiers de lâĂ©conomie » (p 24). Lâensemble du livre met en Ă©vidence lâĂ©mergence des ces nouveaux modĂšles.
Le paysage Ă©conomique et social est en train de changer. Câest le chapitre de Diana Filippova sur « les nouvelles formes de travail ». Elle observe « une montĂ©e en puissance de nouvelles formes de travail, trĂšs Ă©loignĂ©es du salariat classique : travail indĂ©pendant, travail Ă la demande, entrepreneuriat, consommation-production… » (p 31). Ainsi aux Etats-Unis, les travailleurs indĂ©pendants reprĂ©sentent le tiers de la population active amĂ©ricaine. Il y a lĂ des aspects innovants, mais cela ne doit pas nous faire oublier les problĂšmes qui se posent, et notamment une menace de prĂ©caritĂ©. Lâauteure Ă©voque des dispositifs qui se mettent en place pour y faire face. Dans le mouvement actuel vers la diversification, « il sâagit dâouvrir la voie Ă une multitude de possibilitĂ©s sans Ă priori Ă©conomique ou moral et dâĂ©viter les inĂ©galitĂ©s Ă©conomiques et statutaires rĂ©dhibitoires « (p 46).
LâavĂšnement dâinternet met en cause radicalement les formes traditionnelles de lâenseignement dĂ©jĂ battue en brĂšche par lâapparition dâune sensibilitĂ© nouvelle mettant lâaccent sur le rĂŽle actif de lâapprenant (6). Le chapitre sur lâĂ©ducation au XXIĂš siĂšcle apporte une contribution incisive et riche en informations sur les innovations en cours prĂ©sentĂ©es en quelques grandes pistes : « Lâespace : apprendre partout. Le temps : apprendre tout le temps. La transmission : apprendre autrement, autre chose. LâexpĂ©rience : apprendre en collaborant ». Marc-Arthur Gauthey et MaĂ«va Tordo concluent ainsi ce chapitre : « De nouvelles Ă©coles voient le jour et rĂ©inventent les formats et la temporalitĂ© de la pĂ©dagogie, contribuant Ă la crĂ©ation de modĂšles Ă©ducatifs oĂč lâinitiative personnelle, lâoriginalitĂ© et la collaboration remplacent peu Ă peu les logiques de compĂ©tition, dâobĂ©issance et de distinction » (p 65).
On peut observer aujourdâhui un mouvement en faveur dâune redĂ©finition des finalitĂ©s et des modes de fondement des organisations. « Comment travailler ensemble Ă lâheure du numĂ©rique et des rĂ©seaux sociaux ? Comment construire une organisation qui prend corps, dure et a de lâinfluence sans reproduire les formes de hiĂ©rarchies formelles et informelles ? » Antonin LĂ©onard et Asmaa Guedira peuvent se poser ces questions Ă partir de lâexemple de OuiShare qui est parvenu Ă sâinscrire dans cette nouvelle dynamique. Il y a bien un mouvement de fond. « Le numĂ©rique a rendu possible cette Ă©volution en stimulant le travail en rĂ©seau par nature horizontal et a accĂ©lĂ©rĂ© le basculement vers de nouvelles formes dâorganisation en faisant Ă©merger une culture plus collaborative qui sâaccommode mal de la hiĂ©rarchie et du management autoritaire issus de lâĂšre industrielle. La baisse des coĂ»ts dâauto-organisation et de transaction permise par des outils gratuits ou trĂšs peu onĂ©reux joue Ă©galement un rĂŽle majeur. Autonomie, dĂ©veloppement des compĂ©tences, dĂ©finition dâun sens, impact, appartenance, autant de besoins intrinsĂšques, sources de motivation du travail » (p 68).
Dans tous les domaines, on dĂ©couvre lâimpact rĂ©volutionnaire du numĂ©rique (7). Et dans le mĂȘme mouvement, on observe Ă©galement une transformation dans les attitudes relationnelles (8). Flore Berlinger nous prĂ©sente le champ en expansion et dĂ©jĂ trĂšs vaste « des solutions communes en pair Ă pair ». Et comme dans les autres chapitres de ce livre, il y a lĂ une description de nombreuses innovations qui changent la donne (9). « Au delĂ de caractĂ©ristiques spĂ©cifiques (ouverture, distribution, horizontalitĂ© etc), les initiatives Ă©voquĂ©es ont pour point fort de sâinscrire dans le long terme. Il sâagit de changer de pratiques, voire de modes de vie, pour rĂ©pondre aux contraintes Ă©conomiques et Ă©cologiques de notre Ă©poque. Elles ont un effet dâentraĂźnementâŠ. en nous appelant Ă chercher toujours de « nouvelles solutions, locales et reproductibles » (p 99).
« La transition vers la production distribuĂ©e a commencé » affirment les auteurs du dernier chapitre : Edwin Mootoosamy et Benjamin Tincq. « La rĂ©appropriation des moyens de production et la sortie dâune logique consumĂ©riste sont le deux constantes des rĂ©flexions menĂ©es pour dĂ©passer » un modĂšle «économique productiviste. Mais, « un modĂšle alternatif, concret et gĂ©nĂ©ralisable, ne sâest pas encore dĂ©gagé ». La transformation numĂ©rique pourrait bien ĂȘtre lâun des facteurs clefs dâune telle alternative. Pour la premiĂšre fois, des personnes du monde entier coordonnent leurs contributions au sein de communautĂ©s en ligne et locales. Si les promesses sont importantes, force est de constater que lâincertitude reste entiĂšre. Le mouvement des « makers » parviendra-t-il Ă rĂ©pondre aux enjeux sociaux et Ă©cologiques nĂ©s de la production de masse ? Les nouveaux modes de production resteront-ils lâapanage de quelques « happy few » ou seront-ils massivement adoptĂ©s par le grand public, voire par les industriels ? Et, si oui, Ă quelles fins ? » (p 104-105). Les auteurs font le point sur les innovations en cours. Ils sâinterrogent sur la portĂ©e de la transformation actuelle. « Au delĂ de lâimplication des acteurs traditionnels, la maĂźtrise sociale de la fabrication distribuĂ©e devra dâabord passer par la pĂ©dagogie et la sensibilisation du plus grand nombre, afin quâelle soit rĂ©ellement un levier dâĂ©mancipation et de transition Ă©cologique, Ă©conomique et dĂ©mocratique » (p 118).
Ce livre nâest pas seulement une bonne introduction aux changements en cours Ă mĂȘme de favoriser le dĂ©veloppement dâune sociĂ©tĂ© collaborative. Il est aussi lâexpression dâacteurs engagĂ©s dans des pratiques Ă©conomiques innovantes et rassemblĂ©s dans lâassociation OuiShare. Il allie ainsi une expĂ©rience, un savoir, une vision. Dans un temps oĂč la morositĂ©, lâinquiĂ©tude, le ressenti dâune impasse sont rĂ©pandus, ce livre participe Ă la mise en Ă©vidence des Ă©mergences positives et contribue par lĂ Ă baliser un chemin et Ă ouvrir une voie oĂč lâon puisse avancer dans une espĂ©rance concrĂšte.
J H
(1)           Filippova (Diana) dir. Société collaborative. La fin des hiérarchies. OuiShare, 2015
(2)           « Un mouvement Ă©mergent pour le partage, la collaboration et lâouverture : OuiShare, communautĂ© leader dans le champ de lâĂ©conomie collaborative » : https://vivreetesperer.com/?p=1866
(3)           Sur ce blog : lâĂ©conomie collaborative : un courant porteur dâavenir :                                                                               « Une rĂ©volution de lâĂȘtre ensemble » : « Vive la co-rĂ©volution ! Pour une sociĂ©tĂ© collaborative » (Anne-Sophie Novel et StĂ©phane Riot ) : https://vivreetesperer.com/?p=1394                                    « Pour une sociĂ©tĂ© collaborative ! Un avenir pour lâhumanitĂ© dans lâinspiration de lâEsprit » : https://vivreetesperer.com/?p=1534                                    « Anne-Sophie Novel : militante Ă©cologiste et pionniĂšre de lâĂ©conomie collaborative » : https://vivreetesperer.com/?p=1975
(4)           Site de OuiShare : « Welcome to the collaborative Society. OuiShare est une communautĂ© internationale habilitant les citoyens Ă Ă©laborer une sociĂ©tĂ© basĂ©e sur la collaboration, lâouverture et le partage » : http://ouishare.net/fr
(5)           Nous nous accordons avec Arthur de Grave sur les consĂ©quences fĂącheuses du « pessimisme anthropologique ». Cependant, il remonte loin dans le temps , et, pour faire face Ă cet hĂ©ritage, une recherche historique, sociologique, philosophique et thĂ©ologique est nĂ©cessaire. Sur ce blog :       « La bontĂ© humaine. Est-ce possible ? La recherche et lâengagement de Jacques Lecomte » : https://vivreetesperer.com/?p=674                                          A propos du livre de Lytta Basset : « Oser la bienveillance » : https://vivreetesperer.com/?p=1842
(6)           « Une rĂ©volution en Ă©ducation. Lâimpact dâinternet pour un nouveau paradigme en Ă©ducation » : https://vivreetesperer.com/?p=1565                                     « Et si nous Ă©duquions nos enfants Ă la joie ? Pour un printemps de lâĂ©ducation ! » : https://vivreetesperer.com/?p=1872
(7)           « LâĂšre numĂ©rique. Gilles Babinet, un guide pour entrer dans ce nouveau monde » : https://vivreetesperer.com/?p=1812
(8)           « Appel Ă la fraternitĂ©. Pour un nouveau vivre ensemble » : https://vivreetesperer.com/?p=2086                                 « Vers une civilisation de lâempathie. A propos du livre de JĂ©rĂ©mie Rifkin : « Une nouvelle conscience pour un monde en crise » : http://www.temoins.com/etudes/recherche-et-innovation/etudes/vers-une-civilisation-de-lempathie-a-propos-du-livre-de-jeremie-rifkinapports-questionnements-et-enjeux                                                                                            Si on peut constater des Ă©volutions en profondeur quant aux modes de relation, on observe aussi en France un hĂ©ritage de dĂ©fiance : « Promouvoir la confiance dans une sociĂ©tĂ© de dĂ©fiance. Les pistes ouvertes par Yann Algan » https://vivreetesperer.com/?p=1306
(9)           « BlaBlaCar : un nouveau mode de vie » : https://vivreetesperer.com/?p=1999
par jean | Déc 26, 2016 | ARTICLES, Société et culture en mouvement |
Dans une actualité tourmentée, comprendre les forces en présence et le jeu des représentations pour avancer vers un nouvel horizon.
 Le climat politique international sâest assombri durant lâannĂ©e 2016. Des forces marquĂ©es par lâautoritarisme et lâhostilitĂ© Ă lâĂ©tranger sont apparues sur le devant de la scĂšne. Elles sâappuient sur les frustrations, les peurs, les agressivitĂ©s. Elles viennent bouleverser les Ă©quilibres au cĆur du monde occidental. Elles portent atteinte Ă ce qui fondent nos valeurs : le respect de lâautre. Ces forces rĂ©gressives constituent ainsi une grave menace. Notre premier devoir est donc de nous interroger sur les origines de cette dĂ©rive. Et pour cela, nous avons besoin de comprendre les transformations sociales en cours. Cette recherche emprunte diffĂ©rentes approches. Et, par exemple, comme Thomas Piketty, on peut mettre lâaccent sur les effets nĂ©fastes dâun accroissement des inĂ©galitĂ©s. Mais il y a place Ă©galement pour des analyses sociologiques comme celle de Jean Viard dans son dernier livre : « Le moment est venu de penser Ă lâavenir » (1). Cet ouvrage sâinscrit dans une recherche de long terme sur les transformations de la sociĂ©tĂ© française (2), notamment dans sa dynamique gĂ©ographique. Comment les diffĂ©rents milieux socio-culturels et les orientations induites sâinscrivent-elles dans lâespace, et bien sĂ»r, dans le temps ? Des analogies apparaissent au plan international. Dans une approche historique, Jean Viard met aussi en valeur lâimportance des reprĂ©sentations. Les catĂ©gories du passĂ© sâeffritent et sâeffacent tandis que dâautres plus nouvelles, peinent encore Ă sâaffirmer.
« Ce livre », nous dit-on, « est le rĂ©cit des rĂ©ussites de nos sociĂ©tĂ©s, mais aussi celui de leurs bouleversements : alors quâune classe crĂ©ative rassemble innovation, mobilitĂ© et initiative individuelle au cĆur des mĂ©tropoles productrices de richesse, les classes hier « dominantes » se retrouvent exclues, perdues, basculant leur vote vers lâextrĂȘme droite. Jean Viard propose une analyse sans concession des limites du politique dans la sociĂ©tĂ© contemporaine et exhorte les acteurs culturels Ă se rĂ©approprier le rĂŽle de guide en matiĂšre de vision sociĂ©tale Ă long terme. Des propositions innovantes pour repenser le vivre ensemble dans un monde qui a besoin de recommencer Ă se raconter » (page de couverture).
Comment la révolution économique transforme-t-elle le paysage géographique ? Quels sont les gains ? Quelles sont les pertes ?
Si la mutation dans laquelle nous sommes entrés engendre une grande crise, quelles sont les pistes pour y faire face ? Ce livre est particuliÚrement dense en données et en propositions originales. Nous nous bornerons à en donner quelques aperçus.
Une nouvelle géographie.
Le flux de la production qui irrigue le monde se dĂ©ploie Ă travers les grandes mĂ©tropoles. Les villes sont devenues un espace privilĂ©giĂ© oĂč se manifeste la crĂ©ativitĂ© Ă©conomique. « La rĂ©volution culturelle, Ă©conomique et collaborative rassemble lâinnovation, la mobilitĂ©, la libertĂ© individuelle et la richesse au sein dâune « classe crĂ©ative » de plus en plus regroupĂ©e au cĆur des trĂšs grandes mĂ©tropoles. CĆur des grandes mĂ©tropoles oĂč est produit aujourdâhui par exemple 61% du PIB français⊠On y est « VĂ©lib » et high tech, low cost, usage plus que propriĂ©tĂ©, universitĂ©, start up, communication, colocation, finance, COP 21. On y est nomade et mondialisé » (p 15).
Mais en regard, dâautres espaces reçoivent tous ceux qui ne sont pas parvenus Ă sâintĂ©grer dans la nouvelle Ă©conomie. Ce sont les zones pĂ©riurbaines. « Les ouvriers de lâancienne classe ouvriĂšre sont partis vers les campagnes rejoindre dans un vaste pĂ©riurbain, comme beaucoup de retraitĂ©s, la prĂ©cĂ©dente « classe dominante », celle des paysans. Le pavillon a remplacĂ© la maison du peuple. LâidĂ©e de compenser par une mission historique les difficultĂ©s du quotidien a disparu. On y est face Ă son destin et on le vit sans perspective. 74% des salariĂ©s y partent travailler en voiture, plutĂŽt diĂ©sel, sans autre choix possible ».
Les quartiers des anciennes banlieues ouvriÚres ont été abandonnées par une partie de leurs habitants et sont peuplés maintenant par des immigrants arrivés en vagues successives de différentes origines. Pauvres, mal desservis, ces quartiers sont néanmoins riches en potentiel.
Une nouvelle analyse de la société.
Notre reprĂ©sentation de la sociĂ©tĂ© en termes de classes sociales bien caractĂ©risĂ©es est aujourdâhui bouleversĂ©e. Les anciens concepts qui ordonnaient notre vision du monde sont de plus en plus dĂ©passĂ©s. Jean Viard exprime, avec clairvoyance ces bouleversements. « Ce que nous appelions « nation » ne peut plus ĂȘtre une totalitĂ©, car elle est elle-mĂȘme dominĂ©e par la nature. Et elle vit grĂące Ă un monde nomade en croissance qui lie des hommes, des savoirs, des biens, des services et des imaginaires au travers les grands vents de la planĂšte. Les classes que nous avions pensĂ©es pour organiser le corps politique des nations se dĂ©font. Les anciennes classes dominantes, celles qui se sont racontĂ© un destin historique, les paysans dâhier, puis les ouvriers, ne sont plus alors autre chose que des groupes en marge de lâhistoireâŠÂ » (p 25).
Une vĂ©ritable rĂ©volution culturelle bat son plein. Elle est portĂ©e par une « classe nomade crĂ©ative » » avec des guillemets, car ce nâest pas une classe au sens marxiste, faute de conscience de classe, mais un outil de classement aux sens culturel, esthĂ©tique, Ă©conomique » (p 37). Cette « classe crĂ©atrice » est urbaine. Elle est internationale. Elle porte une nouvelle culture, un nouveau genre de vie.
Urbaine, elle porte New York et Paris, Toulouse, Nantes et Bordeaux, Montpellier et elle intĂšgre une bonne part des 2,5 millions de Français qui sont allĂ©s vivre Ă lâĂ©tranger » (p 38). Elle se dĂ©veloppe rapidement. « Les six plus grandes mĂ©tropoles françaises nâont pas cessĂ© de crĂ©er des emplois depuis 2008 ».
Internationale, cette classe crĂ©atrice est « planĂ©taire et non nationale et non continentale. Elle se structure autour des hubs de la mondialisation et non autour des ronds points autoroutiers ou des gares TGV. Nous sommes entrĂ©s dans une Ă©poque de multi-appartenances avec des nomades rapidesâŠNous avons Ă la penser, Ă la rĂȘver et Ă lâorganiser. LâEurope en est un Ă©chelon, une puissance, mais elle ne peut ĂȘtre notre nouvelle totalitĂ©âŠÂ » (p 40).
Cette classe crĂ©atrice porte une nouvelle culture. Au fil de ses recherches, Jean Viard est bien placĂ© pour nous en dĂ©crire lâorigine et la trajectoire, comme la diversitĂ© et la cohĂ©rence de ses manifestations. Elle sâinscrit dans une rĂ©volution technologique et culturelle qui change profondĂ©ment les rapports humains. « Sur les quatre millions et demi dâemplois crĂ©Ă©s en France en quarante ans, trois millions et demi sont occupĂ©s par des femmes. Un million seulement par des hommes ! » (p 40)
Tensions, oppositions, blocages.
Des Ă©vĂšnements politiques rĂ©cents comme le Brexit ou lâĂ©lection de Donald Trump, la progression des mouvements « populistes » en Europe, au delĂ des particularitĂ©s de tel contexte, traduisent bien des oppositions radicales aux transformations induites par « la classe crĂ©ative nomade ». Et dâailleurs, la rĂ©partition des votes est significative. Les partisans du repli Ă©chouent dans les grandes villes.
Jean Viard nous Ă©claire sur ces affrontements. Dâun cĂŽtĂ©, des forces nomades « « qui bousculent nos pays de lâintĂ©rieur et de lâextĂ©rieur. Au dĂ©but du XXIĂš siĂšcle, la rĂ©volution numĂ©rique est venue accĂ©lĂ©rer leur dĂ©veloppement et rendre irrĂ©sistible ce qui Ă©tait balbutiant. En 2015, avec la COP 21, on a admis quâune nouvelle culture commune du dĂ©veloppement Ă©tait obligatoire. Jamais lâhumanitĂ© nâa ainsi pensĂ© ensemble, ni espĂ©rĂ© pour sa survieâŠNous vivions dans un monde de sĂ©dentaires avec des dĂ©placements. Nous sommes dorĂ©navant dans un monde de mobilitĂ© oĂč lâenjeu est de chercher Ă associer libertĂ©, mobilitĂ© et individus » (p 33).
« En face de ce monde accĂ©lĂ©rĂ© et de cette contrainte Ă©cologique, sourdent partout, si lâon peut dire, des volontĂ©s de retrouver un sens perdu, un projet dĂ©passĂ©, un territoire dĂ©jĂ balisĂ©, une croyance ancestrale, un mythe national » (p 35). Lâaffrontement revĂȘt Ă la fois une dimension sociale et une dimension culturelle ». « Les groupes dominants du passĂ©, paysans, ouvriers en particulier, mais aussi bourgeois, voire classes moyennes, se dĂ©font en tant que groupes et ne forment plus peuple. Leurs souvenirs collectifs, leurs luttes hĂ©ritĂ©es ou vĂ©cues nâintĂ©ressent plus⊠Ne reste quâune foule souvent exclue du cĆur des mĂ©tropoles, sans rĂ©cit, ni destin, ni ascenseur social. Pour ce peuple dĂ©fait, cette foule malheureuse, seules les pensĂ©es extrĂ©mistes tirĂ©es du passĂ© font sens, car elles en appellent au dĂ©jĂ connuâŠÂ » (p 16).
« Cette sociĂ©tĂ© tripolaire : classe nomade crĂ©atrice, anciennes classes dominantes, « quartiers populaires », nâa pas encore de mot et de rĂ©cit⊠Lâenjeu est de penser la place des nomades crĂ©atifs Ă©mergents et, en mĂȘme temps, les liens et les lieux respectueux des anciens groupes sociaux et qui leur ouvrent un chemin vers le futur » (p 27).
Ouvrir un nouvel espace. Faciliter la mobilité.
        Comment remĂ©dier aux tensions croissantes entre groupes sociaux ? De fait, les inĂ©galitĂ©s se manifestent de plus en plus dans la dimension de lâespace, dans la distance entre le centre et la pĂ©riphĂ©rie.
Ăvoquant les propos de lâhistorien Pierre Nora, Jean Viard nous dit que, depuis les annĂ©es 70, la France vit sa plus grande mutation historique. « La mutation la plus forte nâĂ©tant pas de passer dâun roi Ă un prĂ©sident de la RĂ©publique, mais de passer dâun systĂšme du « haut en bas », avec une domination du parisien et du central sur la province, Ă un systĂšme largement horizontal oĂč il y a une relation Ă inventer entre le centre et la pĂ©riphĂ©rie. Cela vaut dâailleurs pour les classes sociales, pour les populations comme pour les espaces » (p 63).
La nouvelle dynamique Ă©conomique se manifeste dans les grandes villes et plus gĂ©nĂ©ralement dans une civilisation urbaine. « La production de richesse se concentre depuis trente ans dans le monde urbain portĂ© par la classe crĂ©atrice ». Les vieux mĂ©tiers sont restructurĂ©s par la rĂ©volution numĂ©rique ou envoyĂ©s vers la pĂ©riphĂ©rie des mĂ©tropoles vers un monde rural de plus en plus ouvrier et rĂ©sidentiel pour milieux populaires et retraitĂ©s. Et, par ailleurs, les villes se transforment, associant production innovante, art de vivre et mise en valeur du patrimoine historique. « Les « deux formes de ville » que nous nâavons pas rĂ©ussi Ă transformer : le pĂ©riurbain et les « quartiers » sont les lieux des pires tensions. LĂ est lâenjeu urbain des trente prochaines annĂ©es si nous voulons y rencontrer de la ville et du vivre-ensemble. Sinon, câest entre ces territoires que se cristalliseront les tensions politiques » (p 50). De fait, ces tensions sont dĂ©jĂ lĂ comme le montre la gĂ©ographie Ă©lectorale. En France, le Front National prospĂšre dans le pĂ©riurbain. Et rĂ©cemment aux Ătats-Unis, câest Ă lâextĂ©rieur des grandes villes que Donald Trump lâa emportĂ©.
Et par ailleurs, une nouvelle hiĂ©rarchie des territoires sâest imposĂ©e avec lâapparition des territoires dĂ©laissĂ©s : « Les anciennes rĂ©gions du Nord et de lâEst, une part des pĂ©riurbanitĂ©s, mais aussi le nord de Londres, le sud de Rome « (p 55).
En regard, Jean Viard Ă©nonce diffĂ©rentes approches Ă mĂȘme de redonner de la fiertĂ© aux habitants des friches industrielles. Ainsi la crĂ©ation dâun musĂ©e Ă Lens nâa pas Ă©tĂ© sans consĂ©quences positives pour lâensemble de la population. « Aujourdâhui, dans notre sociĂ©tĂ© de lâart de vivre, câest la qualitĂ© du commun qui attire lâhabitant, et lâentreprise suit sa main dâĆuvre rare » (p 55). Et, de mĂȘme, face Ă la gĂ©ographie clivĂ©e de nos sociĂ©tĂ©s, il faut chercher les voies de la rĂ©unification en exploitant les atouts des territoires excentrĂ©s. « Parce que lâĂ©conomie de la rĂ©sidence, du tourisme, de la retraite, opĂšre aussi de gigantesques transferts, que les cas particuliers sont nombreux : traditions locales, entreprises familiales, positions logistiques, et que le hors mĂ©tropole produit quand mĂȘme 40% de la richesse » (p 57).
Rompre les cloisonnements, câest aussi accroitre la mobilitĂ©. Cette mobilitĂ© va permettre dâĂ©viter une fixation sur le passĂ©, lĂ oĂč il nây a plus de restauration possible. La mobilitĂ©, câest aussi susciter un brassage permettant Ă la jeunesse dâĂ©viter un enfermement dans des contextes immobiles. Dans le contexte de la rĂ©volution productive, dĂ©finissons « un droit Ă la ville/ mĂ©tropole » pour la jeunesse afin que les jeunes passent quelques annĂ©es au cĆur de la mĂ©tropole ». La construction dâun million de logements dâĂ©tudiants au centre des dix plus grandes mĂ©tropoles ouvrirait un avenir Ă des centaines de milliers de jeunes venant des champs et des quartiers ». Câest au moins aussi important que de parler anglais » (p 59).
Recréer du récit
Sâil nây a plus de mĂ©moire commune et pas de projet commun, il nây a plus de points de repĂšre et les gens se sentent abandonnĂ©s. Et lorsque les valeurs communes sâeffritent, le pire est possible. Ainsi le peuple ouvrier, qui se sentait autrefois porteur dâune mission collective, se rĂ©duit de plus en plus Ă un ensemble dâindividualitĂ©s frustrĂ©es et dĂ©semparĂ©es. Dans ces conditions, une instabilitĂ© dangereuse apparaĂźt. Jean Viard compare ainsi le peuple et la foule. « Le peuple a une mĂ©moire et un vĂ©cu, des luttes partagĂ©es, des foucades et des haines. Câest ainsi quâil forme groupe. Mais la foule, elle, est « individu voisinant » et se rĂ©fugie dans la sĂ©dentaritĂ© cherchant une identitĂ© dans le territoire, dans les frontiĂšres, dans les appartenances dâhier sociales ou religieuses. Contre « les autres » gĂ©nĂ©ralement. Il y a danger, car alors « la foule Ă©crase le peuple et souvent le trahit » comme le disait Victor Hugo « (p 15).
Aujourdâhui, au moment oĂč les concepts de « classe » et de « nation » perdent en pertinence par rapport aux rĂ©alitĂ©s nouvelles de la vie, nous avons besoin dâun rĂ©cit collectif qui rende compte des dynamiques et des aspirations nouvelles et qui rassemble tous ceux qui sont Ă la recherche dâun avenir. La sociĂ©tĂ© change.  Elle nâest plus structurĂ©e par des statuts, des mĂ©tiers. « Le social qui avait remplacĂ© la religion comme organisateur exclusif, se trouve marginalisĂ©. La religion revient en force comme toutes sortes de groupes structurĂ©s par habitus, origines, pratiques amoureuses. Chacun a besoin dâune identitĂ© multiple. Si lâon nâest pas capable de fournir la pensĂ©e et les mots de cette appartenance plurielle et complexe, chacun va penser dans sa boite Ă outils dâidentitĂ©s hĂ©ritĂ©es monistes : la nation, la religion, la classe sociale⊠vieux mots auxquels on peut sâaccrocher en pĂ©riode de peur et de dĂ©sarroi ⊠Alors, en regard, inventons plutĂŽt un commun positif qui intĂšgre, par une vision du futur et des mots nouveaux pour le dire, ces croyances qui deviennent certitudes par dĂ©sarroi » (p 45).
Lâindividu aujourdâhui est au centre de notre sociĂ©tĂ©. Comment « attirer les individus vers le commun qui peut nous rassembler et vers la crĂ©ation vivante ou hĂ©ritĂ©e ? Câest le rĂŽle Ă la fois du monde numĂ©rique et de la culture, des Ă©vĂšnements urbains, dâun nouveau langage politique et du projet Ă faire humanitĂ© et de survivre » (p 46).
Jean Viard note que déjà , au niveau du local, on peut observer un désir de partage. « Toutes les structures de proximité : familles, amis, entreprises, communes, ont une image positive » (p 47).
Et puis, Ă une Ă©chelle plus vaste, on peut Ă©galement discerner des tendances positives et les mettre en valeur. « Dire la mĂ©tropolisation comme mine numĂ©rique et Ă©cologique, dire sociĂ©tĂ© horizontale, mobilitĂ©, individu, libertĂ©. Dire Ă©conomie locale, Ă©conomie de production et Ă©conomie prĂ©sentielleâŠDire cela et avec ces mots lĂ , permet Ă la fois de sortir des mots devenus creux de la rĂ©volution industrielle et de dessiner un chemin possible pour lâaction de millions dâacteurs, autonomes, mais inscrits dans des rĂ©seaux, des compĂ©tences, des croyances et des peurs » (p 181).
Si dans notre imaginaire français, le mot rĂ©volution sâinscrit le plus souvent dans un vocabulaire politique, cette rĂ©volution lĂ nâest pas du mĂȘme ordre. « Câest lâĂ©panouissement dâune rĂ©volution culturelle, nĂ©e Ă la fin de la reconstruction et des Trente Glorieuses, qui a emportĂ© avec elle lâhĂ©gĂ©monie du politique, y compris les totalitarismes et les colonialismes » (p 181).
Et, pour nous tourner vers lâavenir, il est important de ne pas nous enfermer dans le regret et la dĂ©ploration, mais de pouvoir nous appuyer sur la conscience des changements positifs qui, au cours des derniĂšres dĂ©cennies, sont intervenus dans les mentalitĂ©s. « Cette immense rĂ©volution culturelle permet enfin aux femmes dâaccĂ©der au statut dâadultes Ă part entiĂšre dans tous les domaines de leur vie, et, Ă lâhumanitĂ© de vivre dans la nature et non dans la domination, les deux Ă©tant profondĂ©ment liĂ©s » (p 182). La conscience Ă©cologique grandissante modifie nos perceptions politiques et elle devient maintenant lâaxe majeur dâun projet et dâun rĂ©cit commun. « La seule vraie Ă©chelle de notre avenir est la terre comme totalitĂ© Ă©cologique. Cette conviction, depuis la Cop 21, surplombe lâensemble de nos actions et de nos nationsâŠÂ » (p 185). « Sur le marchĂ© mondial du sens, proposons un chemin de progrĂšs pour un Ă©cosystĂšme terre en cogestion nĂ©cessaire » (p 185).
Dans un monde en crise, quelle perspective ?
Cette annĂ©e 2016, la montĂ©e des frustrations, des peurs, des agressivitĂ©s ont entrainĂ© une victoire des extrĂ©mismes comme autant de chocs au coeur du monde occidental. Pour faire face Ă cette situation, il est urgent de comprendre les ressorts de cette poussĂ©e. Ce livre nous apporte une rĂ©ponse. Lâanalyse de Jean Viard ouvre des horizons.
Sur ce blog, dans une approche dâespĂ©rance, nous cherchons Ă considĂ©rer la crise actuelle en terme de mutations (3) et Ă discerner les courants Ă©mergents (4), parfois encore peu visibles, qui traduisent cependant une transformation des mentalitĂ©s et le dĂ©veloppement de nouvelles pratiques. Oui, une nouvelle vision du monde commence Ă apparaĂźtre comme en tĂ©moigne lâenthousiasme de plusieurs amis ayant rĂ©cemment visionnĂ© le film « Demain » (5). Nous rejoignons ici lâapproche de Jean Viard lorsquâil met en Ă©vidence la nĂ©cessitĂ© dâun rĂ©cit rassembleur et mobilisateur.
La construction dâun tel rĂ©cit requiert diffĂ©rents apports, jusquâĂ associer par exemple « rationalitĂ© occidentale et pensĂ©e mythique » (p 41). A cet Ă©gard, si le religieux est aujourdâhui, dans certaines formes et dans certains lieux, tentĂ© par un retour en arriĂšre, nous proposons ici le regard dâune foi chrĂ©tienne, inspirĂ©e par une thĂ©ologie de lâespĂ©rance (6) et alors, dans le mouvement de la rĂ©surrection du Christ et la participation Ă une nouvelle crĂ©ation, orientĂ©e vers lâavenir. De cette foi lĂ , on peut attendre une contribution Ă un grand rĂ©cit fĂ©dĂ©rateur. Comme lâexprime un verset biblique : « Sans vision, le peuple pĂ©rit » (7).
Dans cette actualitĂ© tourmentĂ©e, nous avons besoin dâune boussole pour analyser les changements en cours et dĂ©velopper des stratĂ©gies pertinentes. Trop souvent, les dĂ©bats politiques actuels ne prennent pas en compte une approche prospective de la vie sociale. Ce livre nous apporte un Ă©clairage qui renouvelle nos reprĂ©sentations et nous permet de mieux entreprendre. Câest une lecture mobilisatrice.
J H
(1)Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Viard (Jean). Le moment est venu de penser Ă lâavenir. Editions de lâAube, 2016
(2)           Jean Viard, sociologue, Ă©diteur, a Ă©crit de nombreux livres aux Editions de lâAube. Sur ce blog : « Ămergence en France de la « sociĂ©tĂ© des modes de vie » : autonomie, initiative, mobilité⊠» : https://vivreetesperer.com/?p=799
(3)           « Quel avenir pour le monde et pour la France ? » (Jean-Claude Guillebaud. Une autre vie est possible) : https://vivreetesperer.com/?p=937                               « Un chemin de guĂ©rison pour lâhumanitĂ©. La fin dâun monde. Lâaube dâune renaissance » ( FrĂ©dĂ©ric Lenoir. La guĂ©rison du monde » : https://vivreetesperer.com/?p=1048              « Comprendre la mutation actuelle de notre sociĂ©tĂ© requiert une vision nouvelle du monde » (Jean Staune. Les clĂ©s du futur) : https://vivreetesperer.com/?p=2373
(4)           « Une rĂ©volution de lâĂȘtre ensemble. La sociĂ©tĂ© collaborative » (Anne-Sophie Novel et StĂ©phane Riot. Vive la co-rĂ©volution » : https://vivreetesperer.com/?p=1394     « Appel Ă la fraternitĂ©. Pour un nouveau vivre ensemble » : https://vivreetesperer.com/?p=2086                            « Un mouvement Ă©mergent pour le partage, la collaboration et lâouverture : OuiShare » : https://vivreetesperer.com/?p=1866                           « Un nouveau climat de travail dans des entreprises humaniste et conviviales. Un parcours de recherche avec Jacques Lecomte » : https://vivreetesperer.com/?p=2318  « Cultiver la terre en harmonie avec la nature. La permaculture : une vision holistique du monde » : https://vivreetesperer.com/?p=2405                          « Pour une Ă©ducation nouvelle, vague aprĂšs vague » (CĂ©line Alvarez. Les lois naturelles de lâenfant) : https://vivreetesperer.com/?p=2497
(5)           « Le film : Demain » : https://vivreetesperer.com/?p=2422
(6)           Une vue dâensemble sur la thĂ©ologie de JĂŒrgen Moltmann : « Une thĂ©ologie pour notre temps » : http://www.temoins.com/une-theologie-pour-notre-temps-lautobiographie-de-juergen-moltmann/                             Auteur dâune thĂ©ologie de lâespĂ©rance, JĂŒrgen Moltman nous en parle comme une force vitale qui nous incite Ă regarder en avant : « Nulle part ailleurs dans le monde des religions, Dieu nâest liĂ©e Ă lâespĂ©rance humaine de lâavenirâŠUn « Dieu de lâespĂ©rance » qui marche « devant nous » et nous prĂ©cĂšde dans le dĂ©roulement de lâhistoire, voilĂ qui est nouveau. On ne trouve cette notion que dans le message de la Bible⊠De son avenir, Dieu vient Ă la rencontre des hommes et leur ouvre de nouveaux horizonsâŠLe christianisme est rĂ©solument tournĂ© vers lâavenir et invite au renouveauâŠAvoir la foi, câest vivre dans la prĂ©sence du Christ ressuscitĂ© et tendre vers le futur royaume de DieuâŠÂ ».  La force vitale de lâespĂ©rance, p 109-110 (JĂŒrgen Moltmann. De commencements en recommencements. Empreinte, 2012) Sur ce blog : « Une dynamique de vie et dâespĂ©rance » : https://vivreetesperer.com/?p=572
(7)           « Lorsquâil nây a pas de vision, le peuple pĂ©rit » (Proverbes 29.18)
par jean | Août 2, 2021 | ARTICLES, Vision et sens |
Victor Frankl, survivant de lâholocauste et psychiatre bien connu, nous suggĂšre que la recherche de sens est une motivation premiĂšre chez les ĂȘtres humains. « Câest une part essentielle de nos existences, des jeunes enfants qui posent la question du pourquoi aux adultes qui rĂ©clament davantage de sens au travail ou dans une crise du milieu de la vie ». A travers lâhistoire, chercheurs, philosophes, thĂ©ologiens, poĂštes, ont abordĂ© cet enjeu primordial du sens. Sur ce site, nous avons prĂ©sentĂ© un livre dâEmily Esfahani Smith : « There is more to life than being happy » : « Une vie pleine, câest une vie qui a du sens » (1).
Il existe, aux Etats-Unis, un Centre de recherche qui explore les activitĂ©s et pratiques de vie en rapport avec la question du sens. Un site : « Greater good magazine . Science-based insights for a meaningful life » (2) nous prĂ©sente des recherches sur ces attitudes et pratiques de vie que sont lâĂ©merveillement, la compassion, lâempathie, le pardon, la gratitude, le bonheur, la conscience, la connexion sociale.
Ces attitudes et ces pratiques ont Ă©galement des effets positifs pour nous-mĂȘmes. Ce sont des clefs pour notre bien-ĂȘtre (« Keys for our well-being »). « Aujourdâhui, de plus en plus de recherches montrent quâĂ©prouver du sens peut nous aider Ă amĂ©liorer notre bien ĂȘtre et nous aider Ă mieux vivre ». Les transformations actuelles de notre sociĂ©tĂ© rendent ces questions existentielles dâautant plus pressantes.
Une recherche : Est-ce que de simples activités quotidiennes peuvent rendre la vie plus signifiante ?
Prinit Russo-Meyer publie sur ce site un article sur notre rapport avec le sens dans notre vie quotidienne (3).
« Frankl nâa-t-il pas Ă©crit : « Ce qui importe, ce nâest pas le sens de la vie en gĂ©nĂ©ral, mais plutĂŽt le sens spĂ©cifique vĂ©cu par une personne dans un moment donnĂ© de sa vie » . En dâautres mots, le sens se manifeste dans ce que nous choisissons de faire activement et consciemment dans nos vies ». « Eprouver du sens dans la vie est une question concrĂšte qui a tout Ă voir avec nos prioritĂ©s, avec la maniĂšre dont nous passons le temps dans le travail ou dans les loisirs, seul ou avec dâautres ».
Prinit Russo-Meyer a donc entrepris une recherche pour rĂ©pondre Ă la question. « Pouvons-nous dĂ©velopper davantage de sens et de bien-ĂȘtre Ă travers une simple action quotidienne ? ». Elle a conduit une enquĂȘte pour savoir comment des personnes recherchent des expressions pleines de sens dans leur vie quotidienne, ce quâelle a appelĂ©Â : « mettre le sens en priorité » (« prioritizing meaning ».
Sa recherche, publiĂ©e dans le « Journal of happiness studies », montrent que « les gens qui mettent du sens en prioritĂ© dans leurs actions, tendent Ă dĂ©velopper une plus grande conscience du sens dans leur vie, et ensuite Ă Ă©prouver moins dâĂ©motions nĂ©gatives et plus dâexpressions positives : gratitude, cohĂ©rence (optimisme et contrĂŽle), bonheur et satisfaction dans leur vie » .
« Ce qui veut dire que lorsque nous dĂ©sirons une vie plus signifiante sans dĂ©velopper des activitĂ©s en ce sens, nous nâirons probablement pas trĂšs loin ». Prinit Russo Ritzer sâest inspirĂ©e dâune autre recherche auprĂšs des gens donnant prioritĂ© Ă la positivitĂ©. Dans la stratĂ©gie correspondante, on essaie dâagir sur les actions plutĂŽt que sur les sentiments. Cette stratĂ©gie est une approche qui se rĂ©vĂšle plus efficace. Comment privilĂ©gier le sens dans notre vĂ©cu ? Prinit observe que nous ne traduisons pas toujours nos prioritĂ©s donnĂ©es au sens, en activitĂ©s concrĂštes. Par exemple, si nous valorisons la famille, mais nous nâaccordons pas plus de temps aux enfants, cette valeur peut ne pas se rĂ©vĂ©ler bĂ©nĂ©fique. Combler le fossĂ© (the gap) est vital. Chaque journĂ©e nouvelle est une opportunitĂ© pour faire des chose qui comptent vraiment pour nous dans notre dĂ©sir de vivre une vie signifiante et qui mĂ©rite dâĂȘtre vĂ©cue ». Nous pouvons donc nous demander quelles activitĂ©s signifiantes nous devons privilĂ©gier dans la journĂ©e qui sâannonce et quelles activitĂ©s nous devons supprimer ou modifier. Nous pouvons Ă©galement nous interroger sur la maniĂšre dont nous avons utiliser le temps passĂ© rĂ©cemment. « Comme nous passons nos journĂ©es, nous passons Ă©galement notre vie ». Albert Camus a Ă©crit un jour : « La vie est la somme de tous nos choix ».
J H
- Une vie pleine, câest une vie qui a du sens » : https://vivreetesperer.com/une-vie-pleine-cest-une-vie-qui-a-du-sens/
- Greater Good Magazine. Science-based insights for a meaningful life : https://greatergood.berkeley.edu
- Why you should prioritize meaning in your everyday life . Can simple, everyday actions make life more meaningful ? https://greatergood.berkeley.edu/article/item/why_you_should_prioritize_meaning_in_your_everyday_life?fbclid=IwAR3BNe71vZrAPDgA3ISkT-VXoiARYe8cXJsoTZqf7ma2vIc0fxYmV45azHQ
par jean | Juil 5, 2023 | ARTICLES, Vision et sens |
Pour une science post-matérialiste
Le terme matĂ©rialisme Ă©voque des sens diffĂ©rents selon le contexte auquel on lâapplique. Ainsi, dans la vie quotidienne, on peut dĂ©signer comme « matĂ©rialiste », « une personne qui cherche des jouissance et des biens matĂ©riels » (dĂ©finition google). Ainsi, beaucoup de gens dans notre sociĂ©tĂ© ont pu ĂȘtre perçus Ă la fois comme individualistes et matĂ©rialistes. Aujourdâhui, on peut constater, au plan social, le dĂ©veloppement dâattitudes et de comportements en rĂ©action contre ce matĂ©rialisme pratique. En ce sens, le sociologue amĂ©ricain Ronald Inglehart dĂ©signe, en terme de post-matĂ©rialiste, une Ă©volution culturelle dans les pays Ă©conomiquement avancĂ©s dans laquelle les gens cherchent moins Ă satisfaire des besoins physiques Ă©lĂ©mentaires et davantage des besoins immatĂ©riels tels que lâestime, lâĂ©panouissement de la personne ou les satisfactions esthĂ©tiques.
Cependant, sur un autre registre, le matĂ©rialisme dĂ©signe une philosophie dâaprĂšs laquelle « il nâexiste dâautre substance que la matiĂšre », « une doctrine qui rejetant lâexistence dâun principe spirituel ramĂšne toute la rĂ©alitĂ© Ă la matiĂšre et Ă ses modifications » (Google). Lâorigine de cette philosophie remonte Ă lâantiquitĂ© oĂč elle figurait en regard dâautres Ă©coles philosophiques. Cependant, dans la foulĂ©e du progrĂšs scientifique, une mĂ©taphysique matĂ©rialiste a influĂ© sur lâactivitĂ© scientifique si bien quâon peut Ă©voquer un « matĂ©rialisme scientifique ». Dans le chapitre dâun livre qui Ćuvre en faveur du dĂ©veloppement dâun paradigme post-matĂ©rialiste, âLa nouvelle science de la conscienceâ (1), Mario Beauregard rĂ©pond Ă une question prĂ©alable : Quâest-ce que le matĂ©rialisme scientifique aujourdâhui ? : « Peu de scientifiques sont conscients que ce que lâon appelle « la vision scientifique du monde » repose sur un certain nombre de postulats mĂ©taphysiques – câest-Ă -dire des hypothĂšses sur la nature de la rĂ©alitĂ© â qui ont Ă©tĂ© proposĂ©es pour la premiĂšre fois par certains philosophes prĂ©socratiques. Ces postulats comprennent le matĂ©rialisme â lâidĂ©e selon laquelle tout ce qui existe est constituĂ© exclusivement de particules et de champs matĂ©riels / physiques (les termes « matĂ©rialisme » et « physicalisme » peuvent ĂȘtre utilisĂ©s de maniĂšre interchangeable dans ce chapitre) â et le rĂ©ductionnisme, le concept selon lequel les choses complexes ne peuvent ĂȘtre apprĂ©hendĂ©es quâen les rĂ©duisant aux interactions des parties qui les constituent, ou Ă des choses plus simples et plus fondamentales telles que de minuscules particules matĂ©rielles. Le « mĂ©canisme », lâidĂ©e que le monde fonctionne comme une machine, reprĂ©sente un autre de ces postulats. Au cours du XXe siĂšcle, ces postulats se sont durcis, puis transformĂ©s en dogmes et en un systĂšme de croyances connus sous le nom de « matĂ©rialisme scientifique » (p 18). Cette idĂ©ologie exerce une influence dans le domaine des neurosciences. « Selon ce systĂšme de croyances, lâesprit et la conscience â et tout ce que nous vivons subjectivement (par exemple, nos souvenirs, nos Ă©motions, nos objectifs et nos Ă©piphanies spirituelles)⊠ne sont rien de plus que des processus Ă©lectriques et chimiques dans le cerveau : ces processus cĂ©rĂ©braux Ă©tant en dĂ©finitive rĂ©ductibles Ă lâinteraction entre des Ă©lĂ©ments physiques fondamentaux. Une autre implication de ce systĂšme de croyances est que nos pensĂ©es et nos intentions ne peuvent avoir aucun effet sur nos cerveaux et nos corps, sur nos actions et le monde physique, puisque lâesprit ne peut impacter directement les systĂšmes physiques et biologiques. En dâautres termes, nous les ĂȘtres humains, ne sommes rien dâautres que des machines biophysiques complexes. En consĂ©quence, notre conscience et notre spiritualitĂ© disparaissent automatiquement lorsque nous mourrons » (p 18).
Cependant, aujourdâhui, de plus en plus de dĂ©couvertes viennent contredire les thĂ©ories matĂ©rialistes. On peut envisager « une vague dâĂ©veil pour une science et une sociĂ©tĂ© post-matĂ©rialiste » (p 63). « La science connaĂźt actuellement un changement fondamental. Le matĂ©rialisme sur lequel elle sâest appuyĂ©e pendant plusieurs siĂšcles fait aujourdâhui place Ă un nouveau paradigme dans lequel la conscience est considĂ©rĂ©e comme Ă©tant causale et fondamentale » (page de couverture).
Un mouvement pour une science post-matérialiste
De nombreux scientifiques se conjuguent aujourdâhui pour promouvoir un paradigme post-matĂ©rialiste. « LâAcadĂ©mie pour lâavancement des sciences post-matĂ©rialistes » a organisĂ© en fĂ©vrier 2014 en Arizona, un « Sommet international sur la science, la spiritualitĂ© et la sociĂ©tĂ© post-matĂ©rialiste ». Des scientifiques couvrant des domaines dâexpertise allant de la biologie et des neurosciences Ă la psychologie, la mĂ©decine et la recherche psi ont participĂ© Ă cet Ă©vĂ©nement dĂ©terminant. Il en est rĂ©sultĂ© « un manifeste pour une science post-matĂ©rialiste » (2) auquel plus de 300 scientifiques et philosophes du monde entier ont apportĂ© leur soutien » (p 14). Pendant le sommet, plusieurs participants ont dĂ©cidĂ© de rĂ©aliser « une anthologie des perspectives et des preuves relative Ă la science post-matĂ©rialiste », ouvrage publiĂ© en français sous le titre : « La nouvelle science de la conscience » (1). « CoordonnĂ© par Mario Beauregard et Guy E Schwartz, cet ouvrage apprĂ©hende les concepts post-matĂ©rialistes relatifs Ă lâesprit, au corps et Ă la santĂ©. En sâappuyant sur de nombreuses preuves, il aborde lâorganisation et les fonctions spĂ©cifiques des phĂ©nomĂšnes non physiques, ouvrant la voie Ă la possibilitĂ© de considĂ©rer leur nature et leur influence dans le cadre dâune future science globale » (page de couverture).
Une recherche pionniÚre : Mario Beauregard
Dans un premier chapitre, Mario Beauregard nous introduit à une « prochaine grande révolution scientifique ». Ce chercheur travaille depuis longtemps en ce sens et nous avions rapporté une de ses conférences dans un article : « Comment nos pensées influencent la réalité » (3) et présenté un de ses livres : « Brain wars » (4).
En sâinscrivant dans la perspective du changement des paradigmes Ă©noncĂ©e par Thomas S Kuhn, Mario Beauregard Ă©crit : « Les scientifiques qui travaillent actuellement dans le domaine de la recherche sur la conscience et qui sâintĂ©ressent au problĂšme : « esprit-cerveau », se trouvent dans une situation similaire Ă celle des physiciens au dĂ©but du XXe siĂšcle. Ils sont indĂ©niablement confrontĂ©s Ă une quantitĂ© croissante de preuves dâanomalies qui ne peuvent ĂȘtre Ă©lucidĂ©es par les thĂ©ories de la pensĂ©e matĂ©rialiste » (p 21). Mario Beauregard nous prĂ©sente ensuite quelques unes de ces preuves.
« Les diffĂ©rentes preuves examinĂ©es ici sont regroupĂ©es en deux catĂ©gories. La catĂ©gorie I comprend les preuves comme quoi une explication matĂ©rialiste, bien que couramment prĂ©sentĂ©e, est moins appropriĂ©e quâune explication post-matĂ©rialiste. Cette catĂ©gorie comprend les phĂ©nomĂšnes suggĂ©rant que lâesprit ne soit limitĂ© ni par lâespace, ni par le temps. La catĂ©gorie II comprend des preuves qui sont rejetĂ©es dâemblĂ©e par les thĂ©ories de la pensĂ©e matĂ©rialiste, mais qui viennent soutenir une perspective post-matĂ©rialiste, celle-ci Ă©tant incompatible avec la perspective matĂ©rialiste selon laquelle lâesprit et la conscience sont produits uniquement par le cerveau » (p 22). Ces diffĂ©rents Ă©lĂ©ments de preuve apparaissent dans la complexitĂ© de leur nature et de leur mise en Ćuvre, aussi notre compte-rendu sera sommaire en renvoyant le lecteur Ă la description formulĂ©e dans ce chapitre.
Lâesprit au delĂ de lâespace et du temps
« Lâun des Ă©lĂ©ments de preuve concerne les phĂ©nomĂšnes dit « psi » qui comprennent la perception extra-sensorielle (PES), et la psychokinĂ©sie (PK). La perception extra-sensorielle dĂ©signe lâacquisition dâinformations sur des Ă©vĂ©nements ou des objets extĂ©rieurs par des moyens autres que la mĂ©diation dâun vecteur de communication sensorielle connu. Cela comprend la tĂ©lĂ©pathie â lâaccĂšs aux pensĂ©es dâune autre personne sans lâutilisation dâaucun de nos vecteurs sensoriels connus, la clairvoyance – la perception dâĂ©vĂšnements ou dâobjets qui ne peuvent ĂȘtre perçus par les sens connus, et la prĂ©cognition – la connaissance dâun Ă©vĂ©nement futur qui ne peut ĂȘtre dĂ©duit Ă partir dâinformations connues dans le prĂ©sent. La psychokinĂ©sie (PK) se rĂ©fĂšre Ă lâinfluence de lâesprit sur un systĂšme physique qui ne peut ĂȘtre totalement expliquĂ© par la mĂ©diation dâun moyen physique connu » (p 22). Depuis plusieurs dĂ©cennies, des expĂ©riences rĂ©pĂ©tĂ©es Ă travers des dispositifs sophistiquĂ©s ont prouvĂ© la rĂ©alitĂ© de ces phĂ©nomĂšnes.
Lâesprit au delĂ du cerveau
 Dâautres phĂ©nomĂšnes concernent « lâesprit au delĂ du cerveau » : les expĂ©riences de la mort imminente pendant un arrĂȘt cardiaque et la mort clinique ; recherches sur la rĂ©incarnation et les vies antĂ©rieures ; recherches sur la mĂ©diumnitĂ© ; communications sur le lit de mort ». « Les expĂ©riences de mort imminente (EMI) sont des expĂ©riences intenses et rĂ©alistes qui transforment gĂ©nĂ©ralement profondĂ©ment la vie des personnes qui ont Ă©tĂ© proches de la mort psychologiquement et physiologiquement. Les principales caractĂ©ristiques des EMI sont un souvenir clair de lâexpĂ©rience, une activitĂ© mentale dĂ©cuplĂ©e, et la conviction que lâexpĂ©rience vĂ©cue est plus rĂ©elle que celle de la conscience ordinaire Ă lâĂ©tat de veille. LâexpĂ©rience hors du corps (EHC) est une autre caractĂ©ristique typique des EMI ; la personne a lâimpression rĂ©elle dâĂȘtre sortie de son corps et dâobserver les Ă©vĂšnements qui se dĂ©roulent autour dâelle, ou parfois dans un lieu Ă©loignĂ©. Les EMI sont frĂ©quemment Ă©voquĂ©es lors dâun arrĂȘt cardiaque⊠Ătant donnĂ© que les structures cĂ©rĂ©brales qui soutiennent lâexpĂ©rience consciente et les fonctions mentales supĂ©rieures ( par exemple la perception, la mĂ©moire et la conscience) sont gravement endommagĂ©es, on ne sâattend pas Ă ce que les survivants dâun arrĂȘt cardiaque aient des expĂ©riences mentales claires et lucides dont ils se souviendront⊠Il convient de noter que les personnes ayant vĂ©cu une EMI dĂ©clarent avoir perçu des choses qui coĂŻncident avec la rĂ©alitĂ© alors quâelles Ă©taient cliniquement mortes » (p 25). Un autre chapitre du livre, sous la plume de Pim Van Lommel, mĂ©decin cardiologue rĂ©putĂ©, est consacrĂ© aux expĂ©riences de mort imminente, « une forte indication en faveur de la conscience non locale » (p 191-209).
Lâauteur Ă©voque Ă©galement le cas de « jeunes enfants ayant rapportĂ© des vies antĂ©rieures ». « Au cours des cinquante derniĂšres annĂ©es, plus de 2500 cas de ce genre ont Ă©tĂ© Ă©tudiĂ©s ». « La plupart de ces enfants ont des souvenirs de vie antĂ©rieure entre deux et cinq ans⊠Environ 80% des supposĂ©s souvenirs de vie antĂ©rieure des enfants Ă©voquent des morts violentes⊠Beaucoup dâenfants ont des marques de naissance qui coĂŻncident avec des blessures qui seraient associĂ©es Ă leur vie antĂ©rieure⊠il arrive souvent que lâon parvienne Ă identifier la personne Ă laquelle lâenfant fait rĂ©fĂ©renceâŠÂ » (p 26-27). Lâauteur propose des interprĂ©tations : « Il est possible que ces enfants se souviennent de vies antĂ©rieures quâils ont vĂ©cues comme ils le suggĂšrent ou quâils accĂšdent aux informations dâun individu dĂ©cĂ©dĂ© par des moyens inconnus (câest-Ă -dire la thĂ©orie du super-psi appelĂ©e Ă©galement « super ESP », la rĂ©cupĂ©ration dâinformations par le canal psychique » (p 28).
Une autre approche de recherche est engagĂ©e auprĂšs de mĂ©diums, « personnes dĂ©clarant pouvoir communiquer avec les personnes dĂ©cĂ©dĂ©es », en prĂ©sumant la bonne de foi de certains dâentre eux. Des protocoles sophistiquĂ©s ont Ă©tĂ© utilisĂ©s par certains chercheurs comme le Dr Gary E Schwartz, auteur dâun chapitre technique sur ce thĂšme dans ce mĂȘme livre. « Les rĂ©sultats montrent quâavec des essais rĂ©alisĂ©s en triple aveugle dans des conditions rigoureuse, certains mĂ©diums peuvent recevoir des informations justes et prĂ©cises sur des personnes dĂ©cĂ©dĂ©es. » (p 29).
Mario Beauregard mentionne Ă©galement « les communications sur le lit de mort ou DBC (Deathbed communication) », une autre source de preuve suggĂ©rant que la conscience et la personnalitĂ© peuvent perdurer aprĂšs la mort physique. Il sâagit de toute communication entre le patient et des amis ou des parents dĂ©cĂ©dĂ©s⊠Ce type dâexpĂ©riences a Ă©tĂ© rapportĂ© dans diverses cultures Ă travers lâhistoire. Les DBC incluent des aspects auditifs, visuels et kinesthĂ©siques et se manifestent souvent pat des processus communicatifs non verbaux⊠Un type frĂ©quent de DBC inclue des rencontre avec des prĂ©sumĂ©s esprits de personnes dĂ©cĂ©dĂ©es qui semblent accueillir lâexpĂ©rienceur dans lâau-delĂ et converser avec lui/elle dâune façon interactive⊠Des recherches menĂ©es auprĂšs dâinfirmiĂšres et de mĂ©decins en soins palliatifs suggĂšrent que ces expĂ©riences sont relativement courantes⊠Il existe des cas de DBC qui ne peuvent ĂȘtre expliquĂ©s comme de simples hallucinationsâŠÂ : dans de tels cas, la personne mourante semble voir une personne quâelle croyait vivante, mais qui est en fait dĂ©cĂ©dĂ©e rĂ©cemment, et exprime de la surprise » (p 30).
Une nouvelle vision postmatérialiste
 « Prises ensemble, les diffĂ©rentes preuves empiriques montrent clairement que lâidĂ©e que lâesprit et la conscience sont produits par le cerveau est erronĂ©e et obsolĂšte⊠Vers la fin du XIXe siĂšcle, le psychologue amĂ©ricain, William James a suggĂ©rĂ© que le cerveau pouvait jouer un rĂŽle permissif et transmissif concernant les fonctions mentales et la conscience. Il a en outre Ă©mis lâhypothĂšse que le cerveau pouvait agir comme un filtre qui limite / contraint / restreint lâaccĂšs Ă des formes de conscience Ă©largie. Cette hypothĂšse a Ă©galement Ă©tĂ© dĂ©fendue par les philosophes Ferdinand Schiller et Henri BergsonâŠÂ » (p 31). « Cette hypothĂšse de la transmission apporte un cadre thĂ©orique utileâŠÂ ».
« Le moment est venu de nous libĂ©rer des chaines et des ĆillĂšres de lâancien paradigme matĂ©rialiste et dâĂ©largir notre vision de lâUnivers et du vivant. MĂȘme si nous nâavons pas encore toutes les rĂ©ponses, il est toutefois possible dâesquisser les grandes lignes dâun paradigme post-matĂ©rialiste » (p 31). Mario Beauregard nous prĂ©sente, de son point de vue, quelques Ă©lĂ©ments clĂ©s de ce nouveau paradigme.
1° « Lâesprit est irrĂ©ductible et son statut ontologique est aussi primordial que celui de la matiĂšre, de lâĂ©nergie et de lâespace-temps. De plus, lâesprit ne peut ĂȘtre issu de la matiĂšre et rĂ©duit Ă quelque chose de plus Ă©lĂ©mentaire. A ce propos, le philosophe David Chalmers et le cosmologiste, Andrei Linde ont tous deux soutenu que la conscience est un constituant fondamental de lâunivers. Il semble plausible que les processus / phĂ©nomĂšnes mentaux, y compris lâintĂ©rioritĂ© subjective, existent Ă des degrĂ©s divers et Ă tous les niveaux dâorganisation de lâunivers⊠A ce sujet, le physicien Freeman Dyson suggĂšre que puisque les atomes se comportent en laboratoire comme des agents actifs et non comme de la matiĂšre inanimĂ©e… ils doivent possĂ©der la capacitĂ© rĂ©flexive de faire des choix⊠au niveau molĂ©culaire, il est prouvĂ© que les molĂ©cules composĂ©es de quelques protĂ©ines simples ont la capacitĂ© dâinteragir de maniĂšre complexe, comme si elles possĂ©daient leur propre intelligence⊠Dans cette perspective, chaque niveau dâorganisation comprend un aspect physique (extĂ©rieur) et un aspect mental/ expĂ©rientiel (intĂ©rieur) (p 32-33).
2° « Comme le rĂ©vĂšlent les phĂ©nomĂšnes psi, il existe une profonde interaction entre le monde mental (psychĂ©) et le monde physique (physis) qui ne sont pas vraiment sĂ©parĂ©s â ils ne le sont quâen apparence. En fait, la psychĂ© et la physis sont profondĂ©ment interconnectĂ©es, car elles sont des aspects (ou des manifestations) complĂ©mentaires issus dâune base commune. On peut concevoir que cette base reprĂ©sente un niveau transcendant de lâesprit / conscience qui constitue le principe fondamental qui sous-tend lâensemble de la rĂ©alitĂ©âŠÂ » (p 33).
3° « Lâesprit / volontĂ© agit comme une force, câest-Ă -dire quâil peut impacter lâĂ©tat du monde physique et agir de maniĂšre non locale. Cela implique quâil nâest pas limitĂ© Ă des points spĂ©cifiques dans lâespace tels que les cerveaux et les corps, ni Ă des points spĂ©cifiques dans le temps comme le moment prĂ©sent. Les preuves prĂ©sentĂ©es dans ce chapitre de façon succincte indiquent Ă©galement que les phĂ©nomĂšnes mentaux exercent une influence sur le fonctionnement du cerveau et du corps ainsi que sur le comportement⊠» (p 34).
4° « Le cerveau agit comme un Ă©metteur rĂ©cepteur de lâactivitĂ© mentale, câest-Ă -dire que lâesprit fonctionne grĂące au cerveau mais nâest pas produit par lui. Le fait que les fonctions mentales soient perturbĂ©es lorsque le cerveau est endommagĂ© ne prouvent pas que lâesprit et la conscience soient produits par le cerveau… Dans lâidĂ©e que le cerveau puisse ĂȘtre une interface pour lâesprit, cet organe peut ĂȘtre comparĂ© Ă un poste de tĂ©lĂ©vision qui reçoit des signaux de diffusion et les convertit en images et en sons ». Si il est endommagĂ©, il y a des perturbations dans la rĂ©ception. « De mĂȘme, une lĂ©sion dans une rĂ©gion spĂ©cifique du cerveau peut perturber les processus mentaux mĂ©diĂ©s par cette structure cĂ©rĂ©brale, cependant cette perturbation nâimplique pas que ces processus soient rĂ©ductibles Ă lâactivitĂ© neuronale dans cette rĂ©gion du cerveau » (p 34-35).
Pour une science post-matérialiste
Mario Beauregard a participĂ© Ă la rĂ©daction du manifeste pour une science post-matĂ©rialiste (2). Une bonne partie de son argumentation se retrouve dans ce manifeste. La perspective est vaste Elle sâinspire Ă©galement de la rĂ©volution intervenue en physique dans le surgissement de la mĂ©canique quantique : « A la fin du XIXe siĂšcle, les physiciens dĂ©couvrirent des phĂ©nomĂšnes empiriques qui ne pouvaient ĂȘtre expliquĂ©s par la physique classique. Durant les annĂ©es 1920 et au dĂ©but des annĂ©es 1930, cela a conduit au dĂ©veloppement dâune nouvelle branche rĂ©volutionnaire de la physique, appelĂ©e : mĂ©canique quantique. La mĂ©canique quantique a mis en question les fondations matĂ©rielles de lâunivers en montrant que les atomes et les particules subatomiques nâĂ©taient pas des objets rĂ©ellement solides â ils nâexistent pas avec certitude Ă des emplacements spatiaux dĂ©finis et Ă des moments dĂ©finis. Plus important, la mĂ©canique quantique a introduit notre esprit dans sa structure conceptuelle de base puisquâil a Ă©tĂ© trouvĂ© que les particules Ă©tant observĂ©es et lâobservateur âle physicien et la mĂ©thode utilisĂ©e pour lâobservation â sont liĂ©s. Suivant une interprĂ©tation de la mĂ©canique quantique, ce phĂ©nomĂšne implique que la conscience de lâobservateur est dĂ©cisive pour lâexistence des Ă©vĂšnements physiques observĂ©s et que les Ă©vĂšnements mentaux peuvent affecter le monde physique. Les rĂ©sultats dâexpĂ©riences rĂ©centes soutiennent cette interprĂ©tation. Ces rĂ©sultats suggĂšrent que le monde physique nâest plus la premiĂšre ou la seule composante de la rĂ©alitĂ© et que celle-ci ne peut ĂȘtre pleinement comprise sans faire rĂ©fĂ©rence Ă lâesprit ». Le manifeste se poursuit en mettant lâaccent sur lâinfluence que la pensĂ©e peut exercer sur le comportement et la santĂ©. Et il poursuit lâargumentation apportĂ©e ici par Mario Beauregard. Au total, le manifeste proclame que lâadoption du paradigme post-matĂ©rialiste aura des effets bĂ©nĂ©fiques pour lâensemble de la civilisation humaine. Câest dans la mĂȘme perspective que sâachĂšve le chapitre de Mario Beauregard.
« Individuellement et collectivement, le paradigme post-matĂ©rialiste a des implications dâune portĂ©e considĂ©rable. Ce paradigme rĂ©enchante le monde et modifie profondĂ©ment notre vision de nous-mĂȘmes en nous rendant notre dignitĂ© et notre pouvoir en tant quâĂȘtres humains. Le paradigme post-matĂ©rialiste favorise Ă©galement des valeurs positives telles que la compassion, le respect, la bienveillance, lâamour et la paix, car il nous fait prendre conscience que les frontiĂšres entre nous-mĂȘmes et les autres sont permĂ©ables. Ce faisant, ce paradigme favorise une prise de conscience de la profonde interconnexion entre la nature et nous au sens large, y compris tous les niveaux dâorganisation de lâunivers. Ces niveaux peuvent englober des domaines non physiques et spirituels. A ce sujet, il convient de rappeler que le paradigme post-matĂ©rialiste reconnaĂźt les expĂ©riences spirituelles qui se rĂ©fĂšrent Ă une dimension fondamentale de lâexpĂ©rience humaine et qui sont frĂ©quemment rapportĂ©es dans toutes les cultures⊠Et enfin, ce paradigme favorise Ă©galement une prise de conscience concernant les questions environnementales et la nĂ©cessitĂ© de prĂ©server notre biosphĂšre, en mettant lâaccent sur le lien profond qui nous unit Ă la nature » (p 35).
Une ouverture
Ce livre nous prĂ©sente diffĂ©rentes approches du nouveau paradigme scientifique post-matĂ©rialiste. Dans sa prĂ©sentation des phĂ©nomĂšnes qui permettent dâenvisager lâesprit au delĂ du cerveau, on constate lâuniversalitĂ© de ces phĂ©nomĂšnes rĂ©pandus dans toutes les cultures. Il en dĂ©coule une universalitĂ© de la rĂ©alitĂ© spirituelle dont ils tĂ©moignent. Cette universalitĂ© peut embarrasser certains groupes religieux voulant sâapproprier un monopole de « la vie aprĂšs la vie ». En regard, un rĂ©cent livre de la thĂ©ologienne chrĂ©tienne Lytta Basset nous offre une approche inclusive dans son livre : « Cet Au-delĂ qui nous fait signe ». (5). Cette approche de lâAu-delĂ apparaĂźt comme une rĂ©volution spirituelle. Le paradigme post-matĂ©rialiste nous prĂ©sente une rĂ©alitĂ© interconnectĂ©e. Ainsi, « il existe une profonde interaction entre le monde mental et le monde physique qui ne sont pas vraiment sĂ©parĂ©s ». « La conscience apparaĂźt comme un constituant fondamental de lâunivers ». « Le nouveau paradigme favorise une prise de conscience de la profonde interconnexion entre la nature et nous, au sens large, y compris tous le niveaux dâorganisation de lâunivers » « Câest dans une perspective analogue que, selon le thĂ©ologien JĂŒrgen Moltmann, nous envisageons lâĆuvre de Dieu dans la crĂ©ation (6). Ici, la crĂ©ation apparaĂźt comme une « communautĂ© dans laquelle toutes les crĂ©atures communiquent chacune Ă sa maniĂšre entre elles et avec Dieu ». Mario Beauregard envisage les incidences considĂ©rables de lâapproche scientifique post-matĂ©rialiste sur notre culture. Sur le plan conceptuel, le matĂ©rialisme scientifique sâopposait Ă lâapproche religieuse et Ă la perspective du salut. Ici cet obstacle est levĂ©. « Le paradigme post-matĂ©rialiste reconnait les expĂ©riences spirituelles qui se rĂ©fĂšrent Ă un dimension fondamentale de lâexpĂ©rience humaine ». Le nouveau paradigme « rĂ©enchante le monde ». Câest une perspective dans laquelle peut sâinscrire Michel Maxime Egger dans son livre : « RĂ©enchanter notre relation au vivant » (7). Ce livre nous apporte une grande ouverture
J H
- Mario Beauregard, Gary R Schwartz, Natalie L Dyer, Marjorie Woollacott. La nouvelle science de la conscience. Visions dâun paradigme, post-matĂ©rialiste. Guy TrĂ©daniel, 2021
- Manifesto for a post-materialist science : https://opensciences.org/files/pdfs/Manifesto-for-a-Post-Materialist-Science.pdf
- Mario Beauregard . Comment nos pensées influencent la réalité : https://vivreetesperer.com/comment-nos-pensees-influencent-la-realite/
- Potentiel de lâesprit humain et dynamique de la conscience : https://vivreetesperer.com/potentiel-de-lesprit-humain-et-dynamique-de-la-conscience/
- Une rĂ©volution spirituelle. Une nouvelle approche de lâAu-delĂ Â : https://vivreetesperer.com/une-revolution-spirituelle-une-approche-nouvelle-de-lau-dela/
- Dieu dans la création : https://lire-moltmann.com/dieu-dans-la-creation/
- Réenchanter notre relation au vivant : https://vivreetesperer.com/reenchanter-notre-relation-au-vivant/