Une parabole qui parle au cœur

Le père généreux, selon Christine Pedotti

Qui n’a pas lu ou entendu, une fois au moins, et, pour beaucoup, maintes et maintes fois, la parabole dite du « fils prodigue », et qui, comme l’indique Wikipedia (1), a reçu bien d’autres appellations. Cette parabole fait partie des textes fondateurs qui irriguent notre culture (2). Elle a été répétée, commentée d’innombrables fois dans les églises, même si ce qu’elle dit d’un père aimant, n’a pas toujours produit ses effets.

Ainsi, il est bon d’y revenir puisque nous y recevons une parole qui sait faire passer le message d’un amour infini et libérateur. Dans nos chemins, nous avons besoin de ces ressources qui viennent répondre à nos questions et à nos aspirations. Lorsqu’il s’en présente sur le web, alors c’est une joie de les partager et de les faire connaître. Cette vidéo portant sur la parabole du fils prodigue (3), apparaît sur « Campus protestant » (4),  dans une série de commentaires du dimanche. Il nous est présenté dans la forme d’une conversation entre Antoine Nouis et Christine Pedotti. Bien connu par ailleurs pour la qualité de ses publications, Antoine Nouis (5) interroge Christine Pedotti sur sa compréhension de la parabole. Et c’est là qu’apparaît chez celle-ci une expérience de vie qui lui permet de commenter cette histoire avec une grande sensibilité. La biographie de Christine Pedotti (6) nous l’apprend, elle est à la fois, à l’écoute des êtres et à la découverte de Dieu, comme en témoigne des livres nombreux et variés : livres pour les enfants, ouvrages de spiritualité et, tout récemment, en co-animation, une encyclopédie sur Jésus. (7).

Alors, dans le commentaire de cette parabole, Christine Pedotti nous en montre la portée. Si les péripéties du fils prodigue attirent notre attention, elles mettent en valeur les attitudes du père qui peut être reconnu comme le personnage principal, un « père prodigue », un père généreux, avance Christine Pedotti.  Elle sait montrer, en sa personne, la générosité, la surabondance, la bonté inépuisable de Dieu . « Le Dieu auquel je crois est le Dieu de la surabondance, de la prodigalité. C’est un emballement du bien ».

En l’image du père, la parabole, d’un bout à l’autre, nous montre un Dieu constant dans un amour respectueux et miséricordieux. C’est la même bienveillance inconditionnelle que nous rapporte Lytta Basset (8) en décrivant la vie de Jésus. C’est la bonté incommensurable qui nous est rappelée par Michèle Jeunet lorsqu’elle évoque la fondatrice de sa congrégation. « Thérèse Couderc disait de Dieu : « Il est bon. Il est plus que bon. Il est la bonté » (9).

https://www.youtube.com/watch?v=z6wzMNXCsh8&feature=share

Ce Dieu là n’est pas un Dieu sévère qui épie les péchés et inspire la crainte. Il n’est pas non plus un Dieu lointain. Bien sûr, la vie de Jésus en témoigne. Cette parabole nous montre, à travers le père, un Dieu relationnel, constamment en désir de relation, toujours à l’œuvre pour l’entretenir et pour la réparer. Ainsi, la grâce est là. Richard Rohr évoque ainsi un flux divin, un flux d’amour constamment à l’œuvre. Jürgen Moltmann perçoit la création comme un tissu de relations (10). Ces deux théologiens évoquent Dieu en terme d’une communion trinitaire  (11). « Il n’y a pas en Dieu de façon unilatérale, domination et soumission…. Dans le Dieu trinitaire, il y a la réciprocité et l’éclairage de l’amour » (12).

Si les chrétiens reçoivent le texte biblique comme support d’une vision du monde qui leur est communiquée, à travers l’histoire, on constate que cette réception ne se fait pas sans trouble et sans comporter des dérives où l’on s’éloigne d’un esprit d’amour et de paix. Des textes comme la parabole du fils du prodigue ou celle du bon samaritain (13) nous rappellent l’essence même de la révélation divine, ce que Jésus résume en terme d’amour. Ces paraboles peuvent être lues par tous.  Elles parlent directement au cœur. Une pensée traverse le temps et vient nous rencontrer. Comme nous y invite Christine Pedotti, nous pouvons gouter la générosité, la surabondance, la bonté inépuisable de Dieu.

J H

  1. Fils prodigue : un article sur wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Fils_prodigue
  2. Textes fondateurs présents au programme des classes de français : le fils prodigue : http://crdp.ac-paris.fr/parcours/fondateurs/index.php/category/le-fils-prodigue
  3. Evangile du dimanche : le fils perdu et retrouvé. Vidéo sur Campus protestant : https://www.youtube.com/watch?v=z6wzMNXCsh8&feature=share
  4. Campus protestant est une plateforme de réflexion prenant appui sur la pensée et la culture protestante à travers principalement des contenus vidéos. Ces vidéos constituent une ressource importante pour les cheminements chrétiens au delà des confessions : https://campusprotestant.com
  5. Antoine Nouis, exégète, pasteur et conseiller théologique à l’hebdomadaire protestant Réforme qu’il a dirigé pendant six ans, est l’auteur d’un commentaire intégral du Nouveau Testament : « Au commencement était la méditation » : http://www.temoins.com/au-commencement-etait-la-meditation/
  6. Biographie de Christine Pedotti, écrivain et journaliste : https://fr.wikipedia.org/wiki/Christine_Pedotti
  7. Jésus. L’encyclopédie Joseph Doré Albin Michel  https://www.la-croix.com/Urbi-et-Orbi/Documentation-catholique/Jesus-Lencyclopedie-Mgr-Joseph-Dore-2017-10-20-1200885814
  8. Bienveillance humaine. Bienveillance divine. Une harmonie qui se répand : Lytta Basset. Oser la bienveillance : https://vivreetesperer.com/bienveillance-humaine-bienveillance-divine-une-harmonie-qui-se-repand/
  9. Développer la bonté en nous, un « habitus » de bonté. Michèle Jeunet commente la parabole du bon grain et de l’ivraie : https://vivreetesperer.com/developper-la-bonte-en-nous-un-habitus-de-bonte/
  10. Jürgen Moltmann. Dieu dans la création. Cerf, 1988 « Rien dans le monde n’existe, ne vit et ne se meut par soi. Tout existe, vit et se meut dans l’autre, l’un dans l’autre, l’un avec l’autre » (p 29).
  11. Richard Rohr. With Mike Morell. The divine dance. The Trinity and your transformation. SPCK , 2016 : https://vivreetesperer.com/la-danse-divine-the-divine-dance-par-richard-rohr/ Jürgen Moltman. Trinité et royaume de Dieu. Cerf, 1984
  12. « Il n’y a pas en Dieu, de façon unilatérale, domination et soumission, commandement et obéissance, comme l’affirmait Karl Barth dans sa doctrine de la souveraineté… Dans le Dieu trinitaire, il y a la réciprocité et l’échange de l’amour… Il n’y a pas de vie isolée.. Le concept de vie trinitaire, d’interpénétration est déterminant dans le traité écologique de la création..  ». Jürgen Moltmann. Dieu dans la création. (p 30-32)
  13. Michel Serres . Darwin, Bonaparte et le samaritain. Une philosophie de l’histoire. La parabole du bon samaritain est conviée par Michel Serres dans une philosophie de l’histoire. https://vivreetesperer.com/une-philosophie-de-lhistoire-par-michel-serres/

 

 

 

La raison pour laquelle le seul futur qui mérite d’être conçu inclut tout le monde

 

Intervention du pape François à la conférence TED 2017 : The future, you 

Il y a  aujourd’hui dans le monde un espace dans lequel les gens voulant exprimer une idée qui leur tient à cœur, souvent à travers leur histoire de vie, une idée reconnue par ailleurs comme digne d’être diffusée dans le monde (« worth spreading ideas »), peuvent en rendre compte à travers un court exposé (talk) ne dépassant pas 18 minutes et enregistré en vidéo. Si au départ le sigle TED correspond à : « Technology. Entertainment. Design » (1), tous les domaines de l’activité et de la pensée humaine sont aujourd’hui couverts. Des conférences TED ont commencé à se tenir annuellement aux Etats-Unis à partir de 1990. En 2006, on décide d’en diffuser le contenu à travers le monde en ligne sur internet. Et, par ailleurs, les lieux d’expression se démultiplient en apparaissant dans des villes de nombreux pays sous l’appellation TED X (2).

 

 

Cette année, la conférence internationale à Vancouver vient de se dérouler sur le thème : « The future, you ». Comment sommes-nous personnellement impliqué dans l’avenir en gestation ? Le pape François a été invité à s’exprimer dans un exposé intitulé : « La raison pour laquelle le seul futur qui mérite d’être conçu inclut tout le monde » (3). Cet exposé s’adresse à des gens très divers à travers le monde et il nous paraît communiquer un message d’amour et d’espérance qui porte la vie.

 

Un espace interconnecté

Le pape François constate que les êtres humains ne peuvent pas vivre isolés, mais que, de fait, nos vies sont interconnectées.

« L’avenir est fait de rencontres, car la vie n’existe que dans nos relations avec les autres. Mes quelques années de vie ont renforcé ma conviction que notre existence à tous est profondément liée à celle des autres. La vie n’est pas un temps qui s’écoule, la vie est interraction. Aujourd’hui, même la science suggère que la réalité est un lieu où chaque élément se connecte et interagit avec tous les autres ».

François Bergoglio, aujourd’hui le pape François, sait combien nos itinéraires s’entrecroisent. « Je suis né dans une famille de migrants. Mon père, mes grands-parents, comme beaucoup d’autres italiens, sont partis en Argentine et ont connu le destin de ceux qui ont tout quitté. J’aurais très bien pu devenir moi aussi un laissé-pour-compte. C’est pourquoi je m’interroge encore au plus profond de moi : pourquoi eux et pas moi ? »

Mais, puisqu’en réfléchissant à la réalité du monde et au déroulement de nos vies, nous constatons qu’il y a partout interrelation, nous percevons également qu’une vie harmonieuse requiert des connexions saines entre les hommes. « Nous avons tous besoin les uns des autres. Aucun de nous n’est seul au monde, un « moi » autonome et indépendant, séparé des autres. Nous ne construirons l’avenir qu’en étant ensemble, en n’excluant personne. Nous n’y réfléchissons pas souvent, mais tout est connecté, nous devons rétablir des connections saines entre nous ». Cela requiert par exemple d’entrer dans un processus de pardon et de réconciliation.

Plus généralement, « De nos jours, beaucoup d’entre nous semblent croire qu’il sera impossible d’avoir un avenir heureux. Bien qu’il faille prendre ces préoccupations très au sérieux, on peut inverser la tendance. Nous les dépasserons si nous ne fermons pas notre porte au monde extérieur. Le bonheur ne peut être trouvé que s’il y a une harmonie entre le tout et l’individuel ».

 

Un élan de solidarité et de générosité.

         Nous ne pouvons ignorer la pauvreté, la misère engendrées par les inégalités, la polarisation sur la production de biens marchands au dépens de la vie humaine. « Comme ce serait merveilleux si la solidarité, mot magnifique et parfois dérangeant, n’était pas réduite au travail social et devenait au contraire l’attitude naturelle dans les choix politiques, économiques et scientifiques et dans les relations entre les individus, entre les peuples, entre les pays ».

Loin d’exprimer à ce sujet une attitude pessimiste sur la nature humaine, le pape François met en valeur un potentiel de générosité et de bonté . « La solidarité est une réaction naturelle qui vient du cœur de chacun. Oui, une réaction naturelle ! Quand on réalise que la vie, même au milieu de tant de contradictions, est un don, que l’amour est la source et le sens de la vie,  comment peut-on réprimer cette envie de faire le bien à autrui. Pour faire le bien, il faut de la mémoire, il faut du courage, il faut de la créativité. Et je sais bien que Ted réunit beaucoup d’esprits créatifs. Oui, l’amour requiert une attitude créative, concrète et ingénieuse. Les bonnes intentions et les formules convenues, qu’on utilise si souvent pour apaiser notre conscience, ne suffisent pas. Aidons-nous les uns les autres à nous rappeler que l’autre n’est ni une statistique, ni un nombre. L’autre est toujours une présence, une personne dont il fait prendre soin ».

Alors, pour nous éclairer, peut remonter cette parole si unique : l’histoire du Bon Samaritain racontée par Jésus (Evangile Luc10. 25-36). « L’histoire du Bon Samaritain est l’histoire de l’humanité actuelle. La voie des hommes est pavée de blessures, car tout est centré sur l’argent, les possessions et non sur les hommes. Les gens qui se disent respectables ont souvent l’habitude de ne pas s’occuper des autres, laissant des populations entières abandonnées sur la route. Heureusement, il y a ceux qui créent un monde nouveau en  prenant soin des autres »…. «  Nous avons tant à accomplir, nous devons le faire ensemble. Mais comment le faire avec tout le mal que nous respirons ?  Grâce à Dieu, aucun système ne peut annihiler notre désir de nous ouvrir au bien, à la compassion, ni notre capacité de réagir face au mal ; tout ça vient du plus profond de notre cœur… Dans les ténèbres des conflits actuels, chacun d’entre nous peut devenir un cierge éblouissant, une preuve que la lumière peut vaincre les ténèbres, et jamais l’inverse ».

 

Une dynamique s’espérance

 Dans les dernières décennies, en christianisme, l’espérance est devenue inspiratrice d’une action collective. C’est ce qu’exprime ici le pape François. « Pour les chrétiens, le futur a un nom, et ce nom est l’Espérance. Espérer ne veut pas dire être un optimiste naïf et ignorer la tragédie que vit l’humanité. L’Espérance est la vertu d’un cœur qui ne demeure pas dans le passé, qui ne fait pas que passer dans le présent, mais qui est capable de voir des lendemains. L’Espérance est la porte qui mène vers l’avenir. L’Espérance est une graine de vie, cachée, humble, qui, avec le temps, deviendra un arbre immense… L’Espérance commence avec une seule personne. Quand il y a un « nous », c’est une révolution qui commence ».

 

La révolution de la tendresse

 Le message se poursuit à travers un appel à la tendresse. Qu’est-ce que la tendresse ? C’est l’amour qui se rapproche et se concrétise. C’est un mouvement qui part du cœur et arrive aux yeux, aux oreilles et aux mains. La tendresse nous demande de nous servir de nos yeux pour voir l’autre, et de nos oreilles pour l’écouter, pour écouter les enfants, les pauvres, ceux qui ont peur de l’avenir, pour entendre le cri silencieux de notre maison commune, notre terre polluée et malade. La tendresse nous demande de nous servir de nos mains et de notre cœur pour réconforter l’autre, pour prendre soin de ceux dans le besoin ». Quel merveilleux registre de relation !

« La tendresse, c’est se mettre au niveau de l’autre ». Et, à nouveau, un geste, une parole vient nous éclairer. « Dieu est descendu en Jésus pour être à notre niveau. C’est le chemin que le Bon Samaritain a suivi. C’est le chemin que Jésus lui-même a pris. Il s’est abaissé, il a vécu toute son existence humaine à parler le langage vrai, le langage concret de l’amour ». Le pape François nous appelle à suivre le chemin de la tendresse. « La tendresse n’est pas une faiblesse, c’est une force. C’est le chemin de la solidarité, le chemin de l’humilité ». Combien cette humilité est nécessaire chez les puissants !

Dans le monde d’aujourd’hui, chacun a un rôle à jouer. « L’avenir est entre les mains des hommes qui reconnaissent l’autre comme un individu et eux-mêmes comme un élément du « nous ».  Nous avons tous besoin de l’autre ».

 

En accueil 

Voici un message en affinité avec les orientations développées dans ce blog.

Oui, il y a bien aujourd’hui une prise de conscience des interconnections qui interviennent à tous les niveaux. Comme l’écrit Jürgen Moltmann : « Si l’Esprit Saint est répandu sur toute la création, il fait de la communauté de toutes les créatures , avec  Dieu et entre elles, cette communauté de la création dans laquelle toutes les créatures communiquent chacune à sa manière entre elles et avec Dieu »… L’« essence » de la création est par conséquent la « collaboration » et les structures manifestent la présence de l’Esprit dans la mesure où elles font connaître l’ « accord général ». « Au commencement était la relation » (Martin Buber ») (4).

De fait, cette conscience de l’interconnexion se manifeste maintenant jusque dans l’existence quotidienne. Ainsi, dans son livre : « Sa présence dans ma vie », Odile Hassenforder peut écrire : « Assez curieusement, ma foi en notre Dieu, qui est puissance de vie, s’est développée à travers la découverte de nouvelles approches scientifiques qui transforment notre représentation du monde. Dans cette nouvelle perspective, j’ai compris que tout se relie à tout et que chaque chose influence l’ensemble. Tout se tient. Tout se relie. Pour moi, l’action de Dieu s’exerce dans ces interrelations »(5).

 

Dans cette perspective, nos vies personnelles et aussi bien la vie sociale dépendent de la qualité des relations humaines. Avec le pape François, Jürgen Moltmann met en évidence l’importance « des connexions saines entre les hommes ». « Une vie isolée et sans relations, c’est à dire individuelle au sens littéral du terme et qui ne peut être partagée est une réalité contradictoire en elle-même. Elle n’est pas viable et elle meurt… La vie nait de la communauté, et là où naissent des communautés qui rendent la vie possible et la promeuvent, là l’Esprit de Dieu est à l’oeuvre » ( 6) Ainsi, c’est bien à travers la solidarité que l’humanité peut subsister et s’épanouir.

 

Tout se tient, mais tout est également en mouvement. Et c’est pourquoi le papa François proclame la vertu de l’espérance qui ouvre notre horizon vers l’avenir. Sa pensée rencontre là aussi celle de Jürgen Moltmann, le théologien de l’espérance (7). « Le christianisme déborde d’espérance… Il est résolument tourné vers l’avenir et invite au renouveau… L’avenir n’est pas un aspect du christianisme, mais l’élément de la foi qui se veut chrétienne… La foi est chrétienne lorsqu’elle est la foi de Pâques. Avoir la foi, c’est vivre dans la présence du Christ ressuscité et tendre vers le futur royaume de Dieu » (8).

 

Le pape François appelle tous les hommes à une révolution de la tendresse, car il perçoit en chacun un potentiel de générosité. Et nous savons qu’il est entendu en retour. Nous quittons les rives d’une civilisation où l’homme était écrasé par un regard mortifère et culpabilisant. Aujourd’hui, nous voyons apparaître des courants nouveaux qui portent la bienveillance (9) et appellent un  regard positif (10). La théologienne Lytta Basset intitule un de ses livres : « Oser la bienveillance » (11). Ce blog est témoin du changement de sensibilité qui est en train d’advenir. En évoquant une révolution de la tendresse, en rappelant l’histoire du Bon Samaritain, à l’époque un message inouï (12), le pape François montre comment la graine semée par Jésus est en train de grandir aujourd’hui. Si la violence est présente aujourd’hui dans nos sociétés, en entendant le pape François, on peut constater également que la bonté éveille la bonté. Et, comme il le dit : « la lumière peut vaincre les ténèbres, et jamais l’inverse ».

 

J H

 

(1)            Histoire et présentation de Ted sur Wikipedia. The free Encyclopedia :  https://en.wikipedia.org/wiki/TED_(conference)

(2)            Les  conférences Ted X sont maintenant présentes dans de nombreuses ville de France et, sur ce blog, nous mettons souvent les « talks » correspondants en valeur

(3)            « La raison pour laquelle le seul futur qui mérite d’être conçu inclut tout le monde » : Talk du pape François (avril 2017) sous titré en français (avec un script du texte en français) :  https://www.ted.com/talks/pope_francis_why_the_only_future_worth_building_includes_everyone?language=fr

(4)            Jürgen Moltmann. Dieu dans la création. Traité écologique de la création. Cerf, 1988 (p 24-25)

(5)            Odile Hassenforder. Sa présence dans ma vie.  Empreinte, 2011 (p 219)   Sur ce blog : « Dieu, puissance de vie » : https://vivreetesperer.com/?p=1405

(6)            Jürgen Moltmann. L’Esprit qui donne la vie. Cerf, 1999 (p 298)

(7)            Le livre de Moltmann : « Theology of hope » paru en 1967 a ouvert un nouvel horizon. Sur la vie et la pensée de Jürgen Moltmann,  un texte à partir de son autobiographie : « Une théologie pour notre temps. L’autobiographie de Jürgen Moltmann » : http://www.temoins.com/une-theologie-pour-notre-temps-lautobiographie-de-juergen-moltmann/

(8)            Jûrgen Moltmann. De commencements en recommencements. Une dynamique d’espérance. Empreinte, 2012 (p 109-110)    Présentation du livre : https://vivreetesperer.com/?p=572

(9)            Ce mouvement vers la mise en valeur et la mise en œuvre de la bienveillance est visible sur le web, notamment dans des talks TED X . Sur ce blog, les articles indexés à ce terme : https://vivreetesperer.com/?s=bienveillance+

(10)      La psychologie positive est en plein développement en France depuis le début du siècle. Voir le site : http://www.psychologie-positive.net/spip.php?article8            Sur ce blog, analyse de plusieurs livre de Jacques Lecomte, un pionnier de la psychologie positive en France : « La bonté humaine. Est-ce possible ? » : https://vivreetesperer.com/?p=674

(11)      « Lytta Basset. Oser la bienveillance » : https://vivreetesperer.com/?p=1842

(12)      Dans son livre : « Darwin, Bonaparte et le samaritain », Michel Serres met en valeur la figure pionnière du Bon Samaritain : « Une philosophie de l’histoire » : https://vivreetesperer.com/?p=2479

 

Sur ce blog, on pourra lire aussi :

« Une belle vie se construit sur de belles relations » : https://vivreetesperer.com/?p=2491

« Devenir plus humain » :

https://vivreetesperer.com/?p=2105

« Briser la solitude » :

https://vivreetesperer.com/?p=716

« Dans un monde difficile, un témoignage porteur de joie et d’espérance » :

https://vivreetesperer.com/?p=2358

Une révolution spirituelle. Une approche nouvelle de l’Au-delà

Cet Au-delà qui nous fait signe
Par Lytta Basset

Nous sommes confrontés à la mort. Nous pouvons nous interroger sur notre sort personnel. Mais le problème est crucial lorsqu’advient le départ d’un proche. Dans la séparation, c’est la communication qui est rompue. L’amour se manifestait dans le dialogue. Et soudain, celui-ci s’interrompt. Notre proche aurait-il disparu à jamais ? Dans cette épreuve, on cherche une réponse. Certains contextes ne s’y prêtent pas. Il y a des empêchements dans les mentalités environnantes : matérialisme ou prescription religieuse de la séparation entre les vivants et les morts. Et, parfois dans les dédales, on doit rechercher un passage, c’est-à-dire un éclairage fondé. Ce fut le cas dans le récit rapporté dans l’article : « Cette vie qui ne disparaît pas » (1). L’issue, à tonalité biblique, ce fut la théologie de Jürgen Moltmann (2), à travers son livre : « In the end, the beginning », traduit ensuite en français : « De commencements en recommencements ». A l’époque, on pouvait avoir accès également à un témoignage existentiel de Lytta Basset : « Ce lien qui ne meurt jamais » (3). Or, théologienne, accompagnatrice spirituelle et auteure de nombreux livres appréciés (4), Lytta Basset vient d’expliciter son premier témoignage dans un livre qui vient bouleverser la représentation dominante de la relation avec les défunts, esquissant en même temps un nouveau paysage spirituel : « Cet Au-delà qui nous fait signe » (5).

« Dans « Ce lien qui ne meurt jamais », Lytta Basset racontait comment elle avait fait l’expérience de contacts avec son fils ainé Samuel mort par suicide à l’âge de vingt- quatre ans. Mais la théologienne protestante, à la fois par discrétion et parce que sa formation ne l’avait pas préparée à de tels aveux, n’avait pas alors tout dit des circonstances qui l’avaient amenée à témoigner. Quinze ans plus tard, elle ose révéler ce qu’elle appelle « l’événement improbable » qui l’a « remise dans le courant de la vie ». Loin de toute motivation sensationnaliste, si elle s’est décidée à prendre la parole, c’est pour aider ceux qui traversent le deuil d’un enfant à ne plus se dire qu’on « ne s’en remet jamais ». Validant l’existence des VSCD – « vécus subjectifs de contact avec un défunt » – elle relit la littérature sur ces questions délicates, en faisant toujours le lien avec les différents récits évangéliques autour de la Résurrection » (page de couverture).

Ce texte n’est pas seulement un témoignage émouvant et réfléchi ouvrant la voie à un nouveau regard sur le rapport avec les défunts. C’est également, dans le même temps, un bilan des études portant sur notre appréhension de l’au-delà qui se sont multipliées au cours des dernières décennies depuis le livre pionnier de Raymond Moody, « La vie après la vie » en 1975. Il y a là, maintenant, un corps de connaissances considérable. Des termes nouveaux sont apparus comme : EMP (expérience de mort provisoire), VSCD (vécu subjectif de contact avec un défunt), TCH ( Trans communication hypnotique). Les expériences de mort provisoire sont aujourd’hui innombrables et le phénomène est universel. Nous découvrons dans ce livre l’importance du « vécu subjectif de contact avec les défunts ». « Le VSCD est rapide, crée un effet de sidération, comme si on ne pouvait y croire, puis de joie car le contact est direct. Il touche directement le cœur. On le reçoit comme une évidence » (p 19).

Cependant, si ce livre dresse un bilan de tout le savoir qui s’accumule depuis des décennies sur le rapport avec l’au-delà, il nous rend également un grand service en offrant une interprétation chrétienne de ces phénomènes. Or cela n’allait pas de soi. Les différentes églises ont bien une doctrine concernant la vie de l’au-delà. Mais ces doctrines palissent dans la conjoncture nouvelle. Pour certaines d’entre elles, elles véhiculent une conception menaçante du jugement, répartissant les destinées dans des cases, l’une d’entre elles entretenant un malheur perpétuel. D’autres érigent un mur de séparation entre les vivants et les morts. Le mouvement actuel disqualifie de telles croyances. Or, femme d’expérience, mais aussi théologienne, Lytta Basset corrige ces représentations et nous offre une vision chrétienne de la vie après la vie. Et de plus, elle sait parler à nos contemporains en quête existentielle. Plutôt que d’employer un vocabulaire théologique, elle parle de « la Vie », d’« expériences de la Vie » et de « perception du Vivant ». « Parce que un tel langage est plus accessible à notre société occidentale sécularisée, mais aussi parce qu’en réalité c’est aussi un langage biblique » (p 10). Elle s’adresse à tous ; c’est pourquoi, plutôt que le terme : « vie éternelle », elle emploie l’expression : « vie de toujours » (p 11). Elle se déclare marcher « vers ma propre vie de toujours, cette vie qui commence dès ici et n’a pas de fin » (p 11).

Comment recevoir ce grand courant de découverte d’une vie par delà la mort dans un vécu chrétien ? La réponse de Lytta Basset est d’autant plus précieuse qu’elle se fonde sur une grande culture biblique et sur une compétence de théologienne. Aussi envisage-t-elle ces phénomènes dans « le droit fil de la tradition chrétienne » (p 87). « Au gré de nombreuses lectures, aucune incompatibilité avec les témoignages du Nouveau Testament ne m’a sauté aux yeux. Quant à l’Evènement improbable, je n’ai à aucun moment pensé, imaginé ou cru qu’il puisse être en contradiction avec mon identité chrétienne. Bien au contraire, il m’a fait saisir l’ampleur illimitée de l’événement de Pâques » (p 88). Bien sûr, Lytta Basset se réfère aux paroles de Jésus, mais aussi aux enseignements de Paul et de Jean. Elle évoque des commentaires éclairants comme celui d’un pasteur au début du XXè siècle, P Valloton ou bien celui d’un expert canadien A Myre. P Valloton déclarait déjà que « Les faits physiques et psychiques sont les mêmes aujourd’hui qu’au temps d’Abraham, de Moïse, d’Elie, d’Elisée, d’Esaïe, de Jésus et, après lui, des apôtres ». Tout un chapitre est consacré ainsi à une interprétation des Ecritures, par exemple en terme de « langage corporel ». « L’apôtre Paul est certainement l’auteur du Nouveau Testament qui parle le plus de la vie invincible, et de la manière la plus explicite dans sa première lettre aux Corinthiens. Il s’agit de mourir aux forces de mort pour se préparer à vivre vraiment, et pour cela, il emploie dix-neuf fois le verbe « se réveiller » (p 93). Lytta Basset ouvre des correspondances entre les textes du Nouveau Testament, les connaissances issues des recherches sur l’univers de l’invisible et son expérience du deuil. « Un verset de Paul me touche particulièrement : « Vous avez été, dit-il, mis au tombeau – avec lui par l’immersion dans laquelle vous avez été réveillés – avec lui par la confiance dans l’énergie de Dieu qui l’a réveillé d’entre les morts. Je reconnais bien là le parcours rocailleux de mon deuil. Comme tant d’autres, j’ai eu le sentiment d’être mis au tombeau ave Samuel, d’être immergée et noyée dans sa mort… et de m’être laissée éveiller en faisant confiance en l’énergie divine – littéralement, ce « travail du dedans » que poursuit en moi le Vivant à mon insu » (p 94). Au total, Lytta Basset exerce un discernement. Elle prône le respect du parcours de chacun. Elle met en valeur l’importance de l’expérience et sa théologie en tient le plus grand compte.

Certes, on peut se demander comment le mouvement actuel s’inscrit dans l’histoire du monde et la diversité des cultures qui y participent, mais comme l’exprime Lytta Basset, il est urgent de répondre à la quête spirituelle qui se manifeste aujourd’hui. Et, par rapport à la reconnaissance de ce mouvement, il reste aujourd’hui, deux freins considérables.

« Celui des Églises d’abord ». « Je vois de l’intérieur, combien le protestantisme, traditionnellement, est peut-être encore le plus fermé… L’Eglise investie par une théologie rationaliste avait fermé la porte de l’au-delà » (p 249). Aujourd’hui, les mentalités évoluent. L’autre frein est sociétal. On entend de sombres affirmations qui sont infondées. (p 250).

Ce livre se clôt par une magnifique citation d’Esaïe : « l’Eternel  sera pour toi la lumière de toujours ».

 

Un langage universel pour dire la vie

 Cet ouvrage comporte de multiples facettes. Pour en donner un aperçu, nous choisissons ici un aspect de l’univers spirituel tel qu’il se dégage du chapitre : « Un langage spirituel pour dire la Vie » (p 171-189). « Un langage universel pour dire la Vie » : c’est Dieu qui nous parle. Comme l’auteure le rappelle, il nous a parlé à travers les prophètes, et, bien sûr, par le message du Nouveau Testament. Il ne cesse de nous parler par de multiples voies et dans des contextes variés. Si Lytta Basset met l’accent ici sur la communication autour de la mort, ce n’est qu’un aspect de l’expression divine qui se manifeste dans de nombreuses expériences de transcendance (6) telles que celles qui ont été recensées par Alister Hardy en Angleterre et ont été rapportées par David Hay dans son livre : « Something there » (7).

Le langage qui se manifeste ainsi parle également de Celui qui en est l’auteur. Le message « au nom du Vivant » (p 171), parle du Vivant, de son Être, de l’univers qu’il anime. Si Dieu est le Créateur de l’univers et que cette création est source d’émerveillement et de louange, Il anime également un monde invisible. Lytta Basset évoque ce monde à travers ce que le langage divin, « le langage universel pour dire la vie », y fait écho. Tout un paysage apparaît ainsi et il résulte d’une convergence dont Lytta Basset nous fait part. « J’ai été frappée, par mes lectures, par la convergence entre les expériences des prophètes bibliques et celles de nos contemporains. Les auteurs le répètent à l’envie : si cela arrive à n’importe qui, c’est que nous avons tous des « antennes », un « sixième sens », une « conscience intuitive extraneuronale »… qui se trouve plus ou moins développée ou étouffée en fonction des réactions de l’entourage. Ne nous croyons pas à l’abri de tels touchers divins. les témoignages concernent tous les âges, sexes, classes socio-professionnelles, religions, appartenances philosophiques… » (p 172) (8). C’est donc une expérience universelle, sans frontières. « Les témoins se sentent unis à Dieu, donc encore distincts et en même temps ne faisant qu’un avec lui. Même constat paradoxal pour leur relation à l’univers. Une personne a fait le rapprochement avec la parole de Jésus : « Moi et le Père nous sommes uns ». Lytta Basset met l’accent sur le rôle du corps dans la réception. « Si le langage de la Vie est intelligible pour tous, n’est-ce pas parce qu’il passe essentiellement par le corps ? Ou plutôt qu’il parle au corps ? » (p 173). Elle évoque la sensibilité des enfants. « Le langage de l’invisible est accessible d’emblée aux petits enfants ». (p 173). Nous voici en présence d’une réalité qui se manifeste dans des expériences multiples. « Le docteur R Moody s’est demandé comment comprendre que la sagesse des tibétains, les connaissances théologiques, la visions de Paul, les mythes platoniciens, les révélations du scientifique E Swedenborg, les témoignages des mourants et de ceux ayant vécu une EMP pouvaient se recouper si parfaitement entre eux. J’ai envie de dire : parce qu’il n’existe, au fond, qu’une Réalité d’où émane la multiplicité des formes de vie » (p 174-175).

Lytta Basset nous décline ensuite les caractéristiques communes qu’elle a relevées dans ces écrits et récits : l’omniprésence de la Lumière ; une lumière aimante ; la beauté de la vie ; une connaissance totale ; les retrouvailles avec un être aimé.

La lumière n’est-elle pas le symbole le plus universel pour dire cet Invisible sans lequel rien n’existe ? Le mot Dieu vient du sanscrit Dyau qui signifie précisément « jour, brillant, lumière, divinité ». Pour les tibétains, c’est la Luminosité fondamentale. Or cela revient dans de nombreux récits de mourants de la tradition orthodoxe, et déjà dans la littérature patristique : des visions de lumière, des apparitions de Jésus, de Marie, des saints et des apôtres « dans une lumière éclatante » et d’Anges très lumineux – rien à envier aux témoignages rassemblés par R Moody. Le théologien orthodoxe V Lossky note avec une grande justesse : « Si Dieu est appelé lumière, c’est qu’il ne peut rester étranger à notre expérience ». Une expérience qui ne date pas d’hier : la Bible hébraïque, notamment les Psaumes évoquent déjà l’omniprésence de la Lumière, par exemple le psaume 139.12 » (p 175). Lytta Basset nous rappelle également le témoignage de Paul dans ses récits de son vécu de l’apparition de Jésus dans une grande lumière. « Dans la ligne de l’inspiration paulinienne… les Pères grecs ont deviné que notre union au Vivant pouvait nous transformer sur terre et au delà. Car au delà du temps et de l’espace, nous ne formons qu’un seul être… ». Et elle rappelle les expériences, avec le ressenti de « ne faire qu’un avec tout l’univers ». Le message de l’évangéliste Jean est également significatif : « Dieu est lumière et de ténèbres, il n’y en a aucune en lui ». N’est-ce pas exactement ce qu’il a vu de ses propres yeux sur la montagne de la transfiguration ? » (p 177). « Clarté divine visible dans le corps d’un être humain, tel est le vécu des témoins de la transfiguration comme du réveil de Jésus le matin de Pâques »… Une lumière appelée à se répandre : Jésus déclare à es disciples : « Vous, vous êtes la lumière du monde. Une ville ne peut être cachée, située en haut d’une montagne ». Notons que R Moody a écrit que « les expérienceurs de tradition chrétienne identifiaient l’Être de lumière au Christ » (p 178).

Le deuxième élément omniprésent dans les récits, c’est qu’il s’agit d’une « lumière aimante ». « Une lumière aimante – d’un amour sans fin, sans limites et sans conditions. Est- ce un hasard si, pour Jean, non seulement « Dieu est lumière », mais « Dieu est amour » ? Ainsi rapporte-t-on que la lumière céleste rencontrée dans les expériences de mort provisoire est « une lumière totalement aimante et compatissante » (p 180). « Il suffit d’une fois et cela s’inscrit dans votre corps ». Cette affirmation résulte d’un constat de Lytta Basset elle-même puisqu’elle écrit « avoir vécu une expérience unique de l’amour de Dieu, il y a quarante ans » (p 180). « Plus fort que la lumière, l’amour pour moi qui en émanait reste indicible ». Lytta Basset cite ensuite des témoignages d’EMP qui vont dans le même sens : « C’est une lumière au delà de notre description. Et lorsque nous nous en approchons, elle nous enveloppe d’un amour inconditionnel » (p 181).

« Langage universel encore : la beauté de la Vie ». Les visions portent en effet une magnificence, notamment à travers de splendides paysages. Lytta Basset cite un témoignage : « L’amour exprime la beauté en couleurs… Tout est couleurs autour de moi et des nuances à l’infini… Les couleurs deviennent sonores et bientôt apparaissent des fleurs. C’est une plénitude de Lumière animée… Une symphonie vivante de couleurs de sons et de formes… La Grande Énergie Créatrice y est tempérée de douce beauté et tout y procède de l’amour » (p 182). Lytta Basset rapporte ainsi des visions de l’au-delà. Cependant, il existe également sur terre des expériences de transcendance dans laquelle la nature est perçue dans une forme d’extase (9). On entrevoit ici un fonds commun.

L’auteure nous parle également de « connaissance totale ». « La personne qui connaît fait partie de l’objet connu. Il n’y a pas l’extérieur et l’intérieur. On y est tout de suite ». (p 184). En commentaire, « Nous faisons déjà partie du Vivant – mais, redisons-le, sans jamais perdre notre identité, notre conscience individuelle ». Ici encore, ce même mode de connaissance globale apparaît également dans les expériences de transcendance au sein de la nature (9).

Lytta Basset termine cette revue par le thème de son livre : « Les retrouvailles avec un être aimé ». « Voilà une des questions les plus brulantes que se posent les personnes endeuillées : Est-ce que je le ou la reverrai ? La réponse est oui que ce soit par un VSCD ou une EMP, une TCH ou autrement, on retrouve ses proches, des ancêtres qu’on n’a pas connus sur terre, et même d’autres personnes qu’on rencontre pour la première fois. A en croire le visionnaire de l’Apocalypse, il n’y a pas de limites : au royaume de la vie invincible, la famille humaine est inépuisable » (p 186). Lytta Basset nous invite à écouter les paroles de Jésus : « Dans la maison de mon Père, il y a de nombreuses demeures » (p 188).

 

En commentaire

La parution de ce livre s’inscrit dans une évolution. A partir d’une expérience inattendue, cet « événement improbable » qui a transformé la vie de Lytta Basset, une expérience aussi interpellante qu’émouvante, ne répond pas seulement aux questionnements des endeuillés, il vient bouleverser des représentations dominantes tant séculières que religieuses. Lytta Basset le sait bien puisqu’elle écrit dans son introduction, le mouvement qui l’encourage à écrire : « C’est que l’évolution des mentalités est perceptible. Une plus grande ouverture à l’Au-delà, aux réalités invisibles » (p 7). Cette évolution ne se manifeste pas seulement à travers un courant d’expériences et de témoignages, mais il apparait aussi dans des livres de chercheurs qualifiés psychologiquement et philosophiquement.    C’est ainsi que Vinciane Despret, philosophe et anthropologue à l’Université de Liège, également pionnière dans la recherche sur la conscience des animaux, publie, en 2015, un livre intitulé : « Au bonheurs des morts. Récits de ceux qui restent » (10). « Elle a mené une enquête sur la manière dont les morts entrent dans la vie des vivants. L’auteure s’est laissée instruire par les manières d’être qu’explorent les vivants, ensemble ». Elle a recueille ainsi une expression tâtonnante, mais très copieuse. Et elle rompt avec une théorie du deuil, dominatrice dans certains milieux psychologiques athées. « On doit faire le travail de deuil ». Fondé sur cette idée que les morts n’ont d’autre existence que dans la mémoire des vivants, elle enjoint à ces derniers de détacher les liens avec les disparus. Et le mort n’a d’autre rôle à jouer que de se faire oublier. Toutefois, cette conception laïque, « désenchantée » a beau avoir réussi à occuper le devant de la scène et à alimenter les discours savants, il n’en reste pas moins que d’autres manières de penser et d’entrer en relation avec les défunts continuent, certes sur des modes plus marginaux à nourrir des pratiques et des expériences » (p 12-13).

Un livre de Marie de Hennezelle paru en 2021 : « Vivre avec l’invisible » (11) vient confirmer l’évolution de l’état d’esprit dans l’opinion. Psychologue, Marie de Hennezelle est également l’auteure du livre : « les forces de l’Esprit » où elle raconte son accompagnement du président François Mitterrand jusqu’à sa mort. Elle présente ainsi son nouvel ouvrage : «  Qui n’a pas déjà eu ce sentiment d’être guidé par une force invisible ? Avons-nous alors hésité à en parler, par crainte de ne pas être compris, d’être jugé… ou pire ? Sachez que vous n’êtes pas seuls à avoir vécu cette expérience. En s’appuyant sur de nombreux témoignages, des récits édifiants et sa propre réflexion de psychanalyste, Marie de Hennezelle dévoile l’universalité du lien que nous entretenons avec l’invisible. Un lien intime, parfois poétique et qui prend bien des formes. Intuitions, rêves prémonitoires, synchronicités, dialogue avec un ange gardien ou une présence protectrice… les chemins vers la prescience d’un ailleurs, d’une possible proximité avec l’au-delà, sont innombrables » (page de couverture).

Le livre de Lytta Basset : « Cet Au-delà qui nous fait signe » s’inscrit ainsi dans une évolution des mentalités. Celles-ci cependant  nous montrent un contexte assez éloigné des conditions d’un milieu potentiellement croyant tel que Lytta Basset l’entrevoit. Cependant, il existe aujourd’hui un puissant courant de recherche sur les expériences vécues en relation avec l’au-delà. La prise de conscience correspondante est en train de s’étendre rapidement, et, comme en témoigne certains sondages, elle commence à atteindre l’opinion. Le bilan dressé par Lytta Basset est bienvenu. Cependant, il est vrai que ce problème est complexe et plonge ses racines dans une histoire contrastée. Les forces religieuses existantes sont tentées par un immobilisme doctrinal et par une obstruction à tout universalisme. Une évolution théologique se manifeste à travers un théologien comme Jürgen Moltmann qui évoque la communauté des vivants et des morts. Dans son livre sur l’au-delà Lytta Basset n’apporte pas seulement une réponse existentielle dans la sensibilité extrême qui est la sienne avec ses atouts comme avec ses limites, elle fonde une réflexion théologique chrétienne prenant en charge les découvertes sur l’activité des défunts. Comme nous avons cherché à en rendre compte dans cet article, elle nous communique une vision sur l’au-delà en phase avec l’inspiration chrétienne. Ce livre est pionnier.

J H

 

  1. Une vie qui ne disparaît pas : https://vivreetesperer.com/une-vie-qui-ne-disparait-pas/
  2. Sur la Terre comme au Ciel : https://vivreetesperer.com/sur-la-terre-comme-au-ciel/ La vie par delà la mort : https://lire-moltmann.com/la-vie-par-dela-la-mort/
  3. Lytta Basset. Ce lien qui ne meurt jamais. Albin Michel, 2007
  4. Oser la bienveillance : Bienveillance humaine. Bienveillance divine. Une harmonie qui se répand : https://vivreetesperer.com/bienveillance-humaine-bienveillance-divine-une-harmonie-qui-se-repand/
  5. Lytta Basset. Cet Au-delà qui nous fait signe. Albin Michel, 2022. Interview de Lytta Basset sur son livre à la Procure : https://www.youtube.com/watch?v=lw4SjuV5_EI
  6. Expériences de plénitude : https://vivreetesperer.com/experiences-de-plenitude/
  7. La vie spirituelle comme une conscience relationnelle. La recherche de David Hay sur la spiritualité d’aujourd’hui : https://www.temoins.com/?s=David+Hay&et_pb_searchform_submit=et_search_proccess&et_pb_include_posts=yes&et_pb_include_pages=yes
  8. La sociologie du mysticisme. Selon Mike Sosterik : https://www.temoins.com/?s=exp%C3%A9riences+mystiques&et_pb_searchform_submit=et_search_proccess&et_pb_include_posts=yes&et_pb_include_pages=yes
  9. La participation des expériences spirituelles à la conscience écologique : https://vivreetesperer.com/?s=exp%C3%A9riences+%C3%A9cologie&et_pb_searchform_submit=et_search_proccess&et_pb_include_posts=yes&et_pb_include_pages=yes
  10. Vinciane Despret. Au bonheur des morts. Récits de ceux qui restent. La Découverte, 2015 https://www.editionsladecouverte.fr/au_bonheur_des_morts-9782359251258
  11. Marie de Hennezelle. Vivre avec l’invisible. Robert Laffond, Versilio, 2021. Interview de Marie de Hennezelle : https://www.youtube.com/watch?v=CktUE72Bn94

Sortir du dolorisme

Selon Bertrand Vergely

A plusieurs reprises, nous avons présenté sur ce blog des écrits de Bertrand Vergely (1). Bertrand Vergely, philosophe de culture et de conviction chrétienne orthodoxe, vient de publier un nouveau livre : « Voyage en haute connaissance. Philosophie de l’enseignement du Christ » (2). En page de couverture, ce livre est présenté dans les termes suivants : « Il existe aujourd’hui une crise morale et spirituelle très profonde en Occident, qui rend la vie fondamentalement absurde. L’absence de sens se traduit par une fuite dans les illusions et l’irresponsabilité. Bertrand Vergely propose une lecture stimulante et novatrice de l’enseignement christique qui nous montre comment naître à la vie spirituelle et grandir en conscience.

Quand la  religion sort des visions politiques et dogmatiques léguées par l’histoire, spiritualité et philosophie se rencontrent. Le Christ n’est pas un adepte du dolorisme, ni uniquement un missionnaire social, il révèle surtout que nous avons en nous une destinée et des potentialités inouïes qu’il s’agit de découvrir ! ».

Ce livre est foisonnant. Les points de vue, les ouvertures se succèdent autour de l’enseignement du Christ, lui-même inépuisable. On ne peut résumer un tel ouvrage et nous ne nous sentons pas en mesure d’en rendre compte. C’est une approche originale. Bertrand Vergely ouvre et renouvelle les angles de vue. Nous ne le suivons pas toujours. Souvent, il nous déconcerte et nous nous interrogeons sur ses propos. Mais lorsque nous sommes perplexes, cela nous appelle à réfléchir plus avant.

A travers son interprétation des textes, son herméneutique, son exégèse, Bertrand Vergely nous ouvre de nouveaux horizons. Dans ce « voyage en haute connaissance », les visions se succèdent. Le parcours se déroulent en quelques grandes parties : « I Naître. S’ouvrir à la connaissance. II Grandir. Rompre avec l’agitation. III Libérer. Sortir du dolorisme. IV Resplendir. Rentrer dans la vie divine.

L’auteur nous aide à encourager chacun de ces mouvements : naître, grandir, libérer, resplendir dans une meilleure compréhension et un immense émerveillement. Parce que nous constatons fréquemment un écart entre cette élévation et un repli en terme de culpabilité, en terme de complaisance et d’enfermement dans la souffrance, nous évoquerons ici la séquence : « Libérer. Sortir du dolorisme ».

L’auteur décline cette partie en six chapitres : Sortir de la culpabilité, sortir de la malédiction, sortir du mérite, sortir de la punition, sortir de l’ignorance, sortir de l’obscurité.

 

Sortir de la culpabilité

Issu de Saint Augustin, le dogme du péché originel a assombri le christianisme occidental pendant des siècles. Dans son livre : « Oser la bienveillance » (3), la théologienne Lytta Basset a mis en évidence le mal-être engendré par cette représentation pervertie de la nature humaine. Elle-même en a souffert pendant de nombreuses années. Elle a vécu au départ une hantise de la question de la culpabilité, de la faute et du péché. « Autre préoccupation qui appartient à la préhistoire de ce livre : Dans les déclarations publiques comme dans les accompagnements spirituels, je suis frappée par l’image négative que les gens ont d’eux-mêmes et des humains en général ». « Ma réflexion a donc eu pour point de départ mon propre malaise par rapport à la question du péché et à l’image désastreuse qu’elle nous avait donné de nous-mêmes ». Il y a dans ce livre un parcours particulièrement utile pour engager un processus de libération par rapport à des représentations qui emprisonnent et détruisent. A partir de cette perspective, Lytta Basset propose une vision nouvelle fondée sur son expérience de la relation humaine et sur sa lecture de l’Evangile.

Dans un autre contexte, l’historienne et théologienne américaine, Diana Butler Bass, a vécu, dans sa jeunesse, une emprise religieuse mortifère dont elle a pu s’échapper (4). Ainsi a-t-elle, à l’époque, fréquenté un séminaire où elle s’est sentie formatée dans une vision de plus en plus sombre de l’humanité. Les humains étaient considérés comme de misérables pécheurs. « Il y avait désormais un fossé entre la dépravation de l’humanité et la sainteté divine ». Le culte devenait un exercice « de réaffirmer le péché et d’implorer le pardon ». « Je m’effondrais dans l’obscurité, intellectuellement convaincue que l’humanité était mauvaise, tombée si bas qu’il ne restait plus rien de bien, entièrement dépendant d’un Dieu qui pouvait dans sa sagesse, choisir de sauver quelques-uns parmi lesquels je priais avec ferveur de figurer ». Par la suite, Diana, à travers des études historique, a pu déconstruire cette impérieuse « certitude théologique ».

Dans d’autres contextes encore, on pourrait évoquer une incessante auto-surveillance dans une délibération sur la qualification des péchés, entre péché mortel et péché véniel, dans la perspective de la confession. A l’époque, un livre était paru ave un titre significatif : « L’univers morbide de la faute ».

Bertrand Vergely décrit avec justesse l’univers socio-religieux dans lequel la culpabilité s’impose. « A l’origine, est-il dit, on trouve le Bien et le Mal. Le Bien est l’ordre voulu par Dieu, le Mal, ce qui s’oppose à cet ordre. Agir consiste à obéir au Bien. Lorsqu’on choisit le Bien et qu’on lui obéit, on va au paradis. Lorsqu’on choisi le mal, on va en enfer. Le Christ est venu faire triompher le Bien contre le Mal. En acceptant de souffrir et de mourir sur la croix, il a été et il est le modèle absolu de l’obéissance qu’il convient de suivre. Il a été le mérite même en montrant comment il faut mériter. Cette vision-là a beaucoup existé de par le passé. Elle existe encore, bien plus qu’on ne le pense » (p 164). Bertrand Vergely impute cette conception à une volonté de puissance de l’organisation. « Pour tout un christianisme, si l’on veut demeurer une réalité collective qui dure à travers le temps, il n’y a pas d’autre solution que d’organiser cette réalité de façon militaire en créant un ordre et l’obéissance à cet ordre… Pour des raisons politiques, le christianisme a été organisé sur la base d’un modèle à la fois militaire et méritocratique. Il continue de l’être. Modèle ambigu. En apparence, il respecte la foi et Dieu. En profondeur, il les évacue subtilement » (p 165).

En remontant à l’origine, à la Genèse, « tout est créé par le Verbe. Il s’agit là d’une rupture radicale avec toute culpabilité

Le Verbe est la divine intelligence qui rend toute chose lumineuse en la rendant parlante. Dieu créant tout par le Verbe, il y a là une nouvelle vertigineuse. Tout existe parce que tout est amené à l’existence par une divine information… Autre trait qui rompt ave la culpabilité : Dieu crée la terre et trouve cela bien. Dieu crée, mais le bien n’est pas donné au départ. Il résulte de la création qui apprend quelque chose à Dieu. Pour que le bien existe, il a fallu que la création ait lieu. Le bien étant ainsi création accomplie, on comprend le divin contentement… Un troisième élément vient confirmer cette vision très déculpabilisée. Dieu ne veut pas garder Dieu pour lui. Quand il crée l’homme, il le crée non seulement à son image, mais pour sa ressemblance avec lui. L’homme qui est créé par Dieu, est habité par le Verbe divin et l’information céleste qui lui permettent d’être ce qu’il est. Par cette information, il est appelé à informer le monde, l’humanité et l’existence… Cette vision dépourvue de toute honte est couronnée par l’état dans lequel sont l’homme et la femme. Nus, ils n’en ont pas honte. La nudité désigne l’état de connaissance absolue… » (p 167-168).

Bertrand Vergely ne voit également aucune culpabilité dans la chute de l’homme. « Quand il est raconté que l’homme, ayant le choix entre le bien et le mal, a choisi le mal en raison de sa volonté mauvaise, on invente, le récit de la chute montrant tout autre chose. Le récit, dit du péché originel, se trouve au chapitre 3 de la Genèse. Comme toute la Genèse, ce récit est un récit de libération. Il s’agit de comprendre la condition humaine. Tout vient de la connaissance. L’homme est invité à tout connaître, mais il importe de ne pas tout connaître avant l’heure. La connaissance est inséparable du temps de la connaissance  qui renvoie à l’assimilation intérieure… » (p 171). Que nous enseigne le récit de la chute ? « Avant tout, à l’origine, il n’y a nullement une volonté mauvaise, mais bien plutôt une perte de volonté. Qui n’est plus lui-même, rompt sa relation avec la divine connaissance, non parce qu’il est méchant et révolté, mais parce qu’il n’est plus capable de vouloir. Quand on se laisse capturer par la séduction, ne connaissant plus rien d’autre, on cesse de connaître ce que l’on aimait…(p 171-172). C’est un drame, mais « tout n’est pas perdu pour autant. Après la mise au point sur le péché de l’homme, à savoir son éloignement de Dieu », une autre réalité apparaît : « Quand on a mal agi, il est beau d’en avoir honte, d’être conduit à le dire. Commence alors le début d’un retournement intérieur conduisant à retrouver la connaissance perdue. La Genèse le signifie par l’homme et la femme qui se cachent quand ils entendent la voix de Dieu. La divine connaissance ne peut pas être vécue sans un état intérieur divin. Quand cet état n’existe pas, c’est en séparant la connaissance divine de ce qui n’est pas divin, que l’on préserve la connaissance. Dans la Genèse, c’est exprimé à travers l’exclusion du jardin d’Eden. Cette exclusion prépare le renouveau de la connaissance » (p 172-173).

On s’interroge à propos de l’origine du mal. Le mal est supposé venir d’un principe méchant. Mais, l’interprétation de Bertrand Vergely est autre. « C’est l’éloignement de Dieu et avec lui, l’ignorance qui rend méchant et non une méchanceté foncière. On ne sait pas qui on est. Voilà pourquoi on ne sait pas ce que l’on fait, et ce que l’on fait de pire. Cette ignorance n’est pas un accident. Elle provient d’un état intérieur, en l’occurrence d’un manque total d’intériorité… » (p 173).

Dans ce mouvement de libération à l’égard de la culpabilisation, Bertrand Vergely nous appelle à lire le prologue de l’évangile de Jean après la Genèse. Dans ce prologue, on retrouve ce qui se trouve déjà dans le récit de la Genèse. « Dieu qui crée, crée le monde et l’Homme par la Parole. Il crée pour que la vie divine se diffuse partout, dans l’invisible comme dans le visible » (p 174). Le concept de transmission est très présent « Le Royaume, qui veut dire transmission, est diffusion » Dans le prologue de Jean, on lit : « La lumière a été envoyée dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas retenue ». « Cette parole a été mal traduite. Ne pas recevoir ne veut pas dire rejeter, mais ne pas pouvoir contenir. La Lumière divine est tellement lumineuse que rien ne peut la contenir ni l’arrêter. On a là le fondement de la connaissance divine… Dans la Genèse, l’échec concernant la connaissance de Dieu vient de la faiblesse et des limites humaines. Dans le prologue de Jean, l’échec concernant la connaissance de Dieu est la gloire même de Dieu. Dans la Genèse, l’homme retrouve la connaissance à travers la noble honte. Dans le prologue de Jean, il trouve la connaissance dans l’humilité » (p 175).

 

Sortir de la punition

Bertrand Vergely aborde la question du mal. C’est là, qu’entre autres, il évoque l’usage de punition dans un prétendu service du bien.

« Lorsqu’il fait passer le mal pour le bien, le mal se sert toujours de la justice. En punissant, il peut faire du mal en toute impunité. Il ne punit pas. Il œuvre pour le bien. Il purifie… Il est tentant de punir. Les bourreaux ne résistent jamais à se faire passer pour des justiciers venant punir afin de rétablir la justice. Cela éclaire l’autre face du mal. S’il ne va pas de soi de ne pas subir, il ne va pas de soi de ne pas faire subir. A chaque fois que l’on a affaire à une tentative de prise de pouvoir, cela ne manque jamais : l’aspirant au pouvoir ne dit pas qu’il veut le pouvoir, il veut la justice… » (p 206).

En regard, l’attitude du Christ est claire. « Le Christ n’est pas venu punir. Il n’est pas venu condamner la femme adultère. Il est venu au contraire mettre fin au mensonge de la punition permettant par exemple de lapider une femme en toute bonne conscience au nom de la justice. Il a ensuite été condamné à mort et exécuté. Ce n’est pas étonnant. Dénonçant le mensonge de la punition, il a été puni par ceux qui entendent pouvoir punir en toute impunité » (p 206).

« On ne remet pas facilement en cause la morale et la religion punitive… Dans le domaine religieux, on s’en rend compte. La difficulté voire l’impossibilité de se délivrer d’une religion punitive et sacrificielle en témoigne. L’impossibilité de se délivrer d’un Dieu punitif et sacrificiel aussi » (p 207).

« La tradition qui pense que le Christ est venu souffrir pour nous les hommes est inséparable de celle qui punit et qui magnifie le sacrifice. Souffrir, punir, se sacrifier, la logique est la même. Il faut mériter. Pour mériter, il faut souffrir. On souffre quand on se sacrifie. On se sacrifie quand on se sacrifie pour se sacrifier. Afin de parvenir à un tel résultat, un rituel sacrificiel s’impose. Il faut qu’il y ait le sacrifice suprême, à savoir la mort pour la mort, pour que, le sacrifice absolu étant fondé, le sacrifice le soit. Avec un coupable, il y a de la justice. Avec un innocent, la mort étant la mort pour la mort, il n’y en a pas. La mort est alors sure d’être sacrée. Sacrée, elle peut fonder le sacrifice, la souffrance, l’obéissance et le mérite » (p 207).

Dans les sociétés hiérarchisées, une pression s’exerce en faveur de l’obéissance. « Les sociétés humaines sont perdues quand les hommes n’obéissent pas. Présenté comme l’innocent qui accepte de mourir pour mourir, faisant vivre une mort sacrée à travers une mort absolue, le Christ devient celui qui fonde l’obéissance et le mérite, et sauve les sociétés humaines. Il conforte l’idée qu’il faut obéir à la société. Dieu veut qu’on lui obéisse et il offre son fils pour cela » (p 208).

On peut s’interroger sur la position du christianisme sur cette question dans l’histoire. Bertrand Vergely a démonté les mécanismes de la religion punitive et sacrificielle. Le christianisme ne doit pas être une religion de la souffrance et du sacrifice. « Le pouvoir, le mérite, l’obéissance, la souffrance ne sont pas les buts célestes. Dieu attend des hommes qu’ils fassent mieux que mériter, souffrir, obéir et se sacrifier. Les premiers chrétiens l’entendent. C’est la raison pour laquelle ils ne poursuivent pas de but politique… » (p 208). L’auteur s’interroge ensuite sur l’attitude de Paul et les conséquences du désir de celui-ci de rallier une communauté juive traditionnaliste.

 

Sortir de l’ignorance

 Bertrand Vergely évoque un texte de Péguy qui reproche aux « honnêtes gens », caricaturant ainsi les bourgeois du XIXe siècle, de se draper dans une armure, de refuser toute vulnérabilité et de ne se prêter à aucune repentance. « Ils ne présentent pas cette entrée à la grâce qu’est essentiellement le péché. Parce qu’ils ne sont pas blessés, ils ne sont plus vulnérables… Parce qu’ils ne manquent de rien, on ne leur apporte pas ce qui est tout. La charité même de Dieu ne panse point celui qui n’a pas de plaies… » (p 211). Bertrand Vergely commente ce texte en le situant dans son contexte. « Ce texte qui souhaite au bourgeois sûr de lui de souffrir est un texte de salut, sur le salut et pour le salut. Si le bourgeois souffre, comprenant qu’il ne peut pas se sauver tout seul, il va devenir humble. Il sera sauvé. Certes, il y a le salut, mais à quel prix ! Péguy s’inscrit dans la tradition d’un christianisme doloriste. Pour lui, cela ne fait pas de doute : la souffrance rend humble et Dieu sauve les humbles qui souffrent. Il oublie qu’il n’y a pas que la souffrance qui rend humble. La lumière divine rend humble. Le Verbe rend humble. L’aventure de la connaissance rend humble » (p 213) Un autre danger de ce genre de raisonnement, c’est d’induire que « Dieu fait exprès de faire chuter l’homme et de le faire souffrir pour mieux le sauver ». Ainsi Bertrand Vergely conclut que « pour aller vers le salut, occupons-nous de ce qui nous illumine et non de ce qui nous assombrit. Dieu se trouve dans ce qui sauve l’humanité et non dans ce qui fait exprès de la faire chuter pour mieux la sauver » (p 214). L’auteur pointe également un autre danger : l’exaltation de la souffrance. « Péguy a choisi les siens. Il est du côté des victimes, de ceux qui souffrent. Ce sont eux qui sauvent le monde. Tout un christianisme se fonde donc sur la figure du pauvre, de celui qui souffre, de la victime. Dieu, c’est eux. Le salut, c’est eux… Cet élan du cœur se comprend. Il n’en est pas moins désastreux. En faisant de la douleur ce qui sauve, on finit par faire d’elle non seulement un Dieu, mais ce qui le crée. C’est parce que l’homme est à terre que Dieu peut sauver et sauve, dit Péguy. Donc, c’est la douleur qui crée Dieu » (p 217). Selon Bertrand Vergely, il y aurait une complaisance dans la douleur. « Le moi, afin de s’imposer, crée un Dieu à sa mesure. Avec la douleur, il en va de même. Les victimes ayant besoin d’être réconfortées, elles créent une vision de la douleur qui invente Dieu et le salut… » (p 217). Bertrand Vergely situe cette attitude vis à vis de la souffrance au XIXe siècle et jusqu’à nos jours. Et en évoquant « la dérive qui enfonce le monde au lieu de le libérer », il en voit la traduction dans une représentation du Christ « crucifié, les yeux fermés, le visage ensanglanté par une couronne d’épines, les mains transpercées par des clous, seul, absolument seul » (p 218). A vrai dire, cette représentation remonte très loin dans le temps. L’auteur l’évoquait au début de son livre : « A Belem, non loin de Lisbonne, au Portugal, dans l’église du monastère des Hiéronymites, on peut voir un Christ grandeur nature crucifié, souffrant et ensanglanté. On est loin du Christ glorieux. Il faut souffrir, dit ce Christ, et il faut faire souffrir parce qu’il faut obéir et faire obéir. Message politique venu de loin, des légions romaines avec leur culte de l’ordre qui a inspiré tout un christianisme et l’inspire encore » (p 16-17).

Bertrand Vergely en vient à évoquer comment il envisage la confrontation avec la souffrance. « Face à la souffrance, la douleur est une attitude possible. Il y en a une autre. Elle repose sur l’être. La souffrance renvoie à l’expérience du retournement qui fait passer du refus de subir à la capacité de supporter. Entre les deux, il y a cet entre-deux qui forme l’attente consistant à être en souffrance » (p 218). On cherchera à comprendre cette manière de voir en se reportant aux explications de l’auteur. Il envisage cet entre-deux comme un hors temps.  « Qui fait le vide, fait silence. Qui fait silence, fait taire le mental. Qui fait taire le mental fait taire la tentation d’être la victime… Quand ce silence se fait, l’être pouvant parler, il peut enseigner. Pouvant enseigner, il peut vraiment guérir et sauver » (p 219). Bertrand Vergely voit dans cette réflexion un éclairage pour envisager ce qu’il appelle : le sommeil céleste. Il nous introduit là dans un univers chrétien où la croix n’apparaît pas en termes morbides. C’est l’exemple du christianisme orthodoxe. « L’orthodoxie ne représente pas le Christ sous la forme d’un crucifié sur une croix. Quand il y a des représentations de la croix, celles-ci sont des icônes et non des tableaux. Une icône n’est pas un tableau et un tableau n’est pas une icône. Un tableau a pour but de représenter la réalité matérielle. Une icône a pour but de laisser passer la lumière divine… Avec une icône, la réalité matérielle et humaine est le reflet du ciel et du divin » (p 219). Bertrand Vergely engage une méditation sur la signification de la Croix auquel sera consacré son chapitre : « Sortir de l’obscurité ». Ici, il traite de la victoire sur la mort : « Par la mort, il a vaincu la mort », clame l’hymne pascal des églises orthodoxes pour célébrer la résurrection du Christ. Mourir, c’est aller au ciel et non dans la mort. La mort ne met pas le ciel en échec. C’est plutôt le ciel qui met la mort en échec. Le Christ dormant sur la croix est là pour le rappeler. Il est là pour que l’on fasse silence en stoppant le mental. Ne donnant pas à voir une victime dévorée par la douleur, mais un endormi céleste, l’icône de la croix rend impossible toute la mécanique mentale et politique qui se met en marche dès que le regard aperçoit une victime ».

(p 220).

Certes, aujourd’hui, le dolorisme a reculé en France. Mais, une telle mentalité religieuse associée à des justifications théologiques laisse des traces. Comme l’écrit Bertrand Vergely, « cette vision-là a beaucoup existé dans le passé. Elle existe encore bien plus qu’on ne le pense » (p 164). Récemment encore, une amie me faisait part d’un vif ressenti à cet égard. Dans les années 1970, au cours d’une séance de catéchisme le vendredi saint, ses garçons avaient été contraints de venir embrasser le Christ souffrant en croix. Et ils en étaient revenus très choqués. « Maman, je ne veux plus aller au catéchisme. Ce n’est pas nous qui avons tué Jésus-Christ ». On pourrait évoquer aussi des prédications où la résurrection compte peu par rapport à une crucifixion salvatrice. Refuser le dolorisme, c’est choisir une autre perspective théologique. C’est l’approche de Bertrand Vergely. Dans un autre contexte, nous évoquerons le livre de Jürgen Moltmann : « The living God and the fullness of life » (Le Dieu vivant et la plénitude de vie)  (5). Il y écrit : « Pourquoi le christianisme est-il uniquement une religion de la joie, bien qu’en son centre, il y a la souffrance et la mort du Christ sur la croix ? C’est parce que, derrière Golgotha, il y a le soleil du monde de la résurrection, parce que le crucifié est apparu sur terre dans le rayonnement de la vie divine éternelle, parce qu’en lui, la nouvelle création éternelle du monde commence. L’apôtre Paul exprime cela avec sa logique du « combien plus ». « Là où le péché est puissant, combien plus la grâce est-elle puissante ! » (Romains 5.20). « Car le Christ est mort, mais combien plus, il est ressuscité » (Romains 8.34). Voilà pourquoi les peines seront transformées en joie et la vie mortelle sera absorbée dans une vie qui est éternelle » (p 100-101).

J H

 

  1. Avant toute chose, la vie est bonne : https://vivreetesperer.com/avant-toute-chose-la-vie-est-bonne/ Avoir de la gratitude : https://vivreetesperer.com/avoir-de-la-gratitude/ Dieu vivant : rencontrer une présence : https://vivreetesperer.com/dieu-vivant-rencontrer-une-presence/ Dieu veut des dieux : https://vivreetesperer.com/dieu-veut-des-dieux/ Le miracle de l’existence : https://vivreetesperer.com/le-miracle-de-lexistence/
  2. Bertrand Vergely. Voyage en haute connaissance. Philosophie de l’enseignement du Christ. Le Relié, 2023
  3. Bienveillance humaine. Bienveillance divine : une harmonie qui se répand : https://vivreetesperer.com/bienveillance-humaine-bienveillance-divine-une-harmonie-qui-se-repand/
  4. Libérée d’une emprise religieuse : https://vivreetesperer.com/liberee-dune-emprise-religieuse-2/
  5. Le Dieu vivant et la plénitude de vie : https://vivreetesperer.com/le-dieu-vivant-et-la-plenitude-de-vie/

La gratitude : un mouvement de vie

 

 « Le pouvoir de la gratitude »

D’après les propos de Florence Servan-Schreiber

 

Et si nous reconnaissions aujourd’hui tout ce que nous avons reçu des autres et qui fait que nous sommes là, vivant, tout ce qui nous a permis de grandir en amour, en joie, en compréhension, en confiance (1). Et si nous exprimions cette reconnaissance dans un mouvement de vie bienfaisant à la fois pour ceux à qui nous l’exprimons, mais aussi pour nous-même. Car au cœur de ce mouvement, il y a une dynamique à la fois personnelle et collective où nous pouvons percevoir l’inspiration de l’Esprit. C’est dire combien il est bon d’entendre parler de gratitude, d’en découvrir la portée et les effets. C’est pourquoi l’intervention de Florence Servan-Schreiber à Ted X Paris sur « le pouvoir de la gratitude », accessible en vidéo sur internet (2) est particulièrement bienvenue. Cet exposé est remarquable parce qu’il allie une compétence de psychologie ayant accès aux meilleures sources et une démarche personnelle exprimée dans un esprit de recherche, de dialogue, de conviction et d’authenticité. Cousine de David Servan-Schreiber (3), un médecin particulièrement innovant, dont en sait l’intelligence et le courage dans sa lutte contre la maladie, Florence s’est formée à la psychologie transpersonnelle en Californie et elle s’inscrit aujourd’hui dans le courant de la psychologie positive à la fois par sa pratique et par ses écrits qui en diffuse les apports auprès du grand public (4). Cependant, dans cet exposé, Florence Servan-Schreiber s’implique personnellement et elle nous décrit comment elle a vécu la découverte de la gratitude, une dimension bien souvent méconnue dans certains contextes culturels.

 

 

Florence commence son « talk » en nous parlant de son cousin, David Servan-Schreiber, un jeune psychiatre, qui, à 30 ans, menacé par un cancer au cerveau, « a mobilisé toutes les connaissances, toute son énergie pour essayer de voir comment, dans ces circonstances, il pouvait vivre, non seulement le plus longtemps possible, mais surtout le mieux possible ». On sait qu’en conséquence, il a adopté de nouvelles pratiques de vie. « Mais ce que l’on sait moins, parce qu’il ne l’a pas publié, c’est l’attention qu’il a porté aux détails et aux petites choses de la vie. Jusqu’à son dernier souffle, David a été un phénomène de gratitude ». Ainsi, la gratitude, c’est une disposition extrêmement concrète. « La gratitude, c’est un sentiment de reconnaissance lorsque nous réalisons la saveur ce que nous vivons. C’est, par exemple, un rayon de soleil sur la joue. C’est l’odeur d’un bébé surtout quand c’est le sien… C’est le fait de se déplacer pour vous apprendre des choses… ». Pourquoi David m’a-t-il mis sur la voie de tout cela ? Parce que nous parlions beaucoup de psychologie ensemble. Parce que, aux Etats-Unis, il existe des laboratoires entiers qui étudient les circonstances et les conséquences de la gratitude ».

Ainsi, depuis douze ans, au centre de recherche « Greatergood » de l’Université de Berkeley, Robert Emmons (5) travaille dans le courant de la psychologie positive pour essayer de comprendre, le processus de la gratitude et les effets que cela peut avoir sur nous. Florence nous rapporte les conclusions de ses recherches.  « D’abord, sur le plan psychologique, quand nous savons nous émerveiller des petites choses… ne serait-ce que la température qu’il fait dans cette salle, le fait que nous ayons pu arriver à l’heure… ne serait-ce que cela… Et bien, nous nous sentons plus heureux, plus relié aux autres, plus vivants. Ensuite, les bénéfices sur le plan relationnel, sont, en tout premier, de nous sentir beaucoup moins seul parce que la gratitude provient toujours de quelque chose ou de quelqu’un qui est à l’extérieur de nous. C’est un sentiment qui nous rend humble, qui nous donne envie de donner à notre tour ».

Et puis, il y a aussi des conséquences positives sur le plan physiologique. Florence évoque une recherche menée depuis 1986 dans un centre universitaire au Minnesota (USA). Un chercheur a émis l’hypothèse d’un lien entre le fait d’éprouver de la gratitude, de savoir s’émerveiller et la longévité. Mais comment trouver deux populations comparables en tous points, excepté l’attitude à tester ? « Ils ont trouvé dans un couvent où on conserve 150 ans d’archives. La première chose qu’on demande aux jeunes femmes entrant au couvent à l’âge de 20 ans, c’est d’écrire une lettre qui les présente, qui raconte leur vie. Elles refont la même chose à 40 ans et à 70 ans. Et parallèlement, les dossiers médicaux ont été archivés. On a remis ces lettres à des sémanticiens qui étudient la teneur du vocabulaire et on leur a demandé de quantifier la nature des mots qui expriment de l’émerveillement, de l’optimisme et de la gratitude. Et ensuite on a corrélé la densité de gratification de ces femmes avec leur état de santé et la durée de leur vie. On s’est aperçu que plus il y avait de termes qui expriment de la gratitude et de l’émerveillement, plus elles ont vécu longtemps. Et ainsi, on a trouvé un écart de sept ans entre les deux groupes contrastés. Dans des enquêtes menés dans d’autres milieux, on a obtenu les mêmes résultats ».

 

Cette valorisation du positif n’est pas toujours bien reçue dans certaines formes de culture, en particulier en France. « Moi, je suis née à Paris. J’ai grandi à Paris. Ici, cela ne va pas de soi de parler de ce qui va bien, de ce qui nous émerveille. Mais à force d’avoir fréquenté David, d’avoir lu toute cette documentation, j’ai quand même voulu essayer. Chercheur à l’Université de Pennsylvanie (et leader dans le courant de la psychologie positive), Martin Seligman (6) nous propose une méthode adaptée. Il suffit de repérer dans sa journée trois situations : moments, interactions, goûts, sensations qui vous ont fait du bien et pour lesquelles vous avez envie de dire : « Alors là, merci ! », pour faire progresser son niveau de bonheur d’une façon durable ».

Florence nous raconte comment, rentrée à la maison, elle parle de tout cela à table avec son mari et ses trois enfants qui, à ce moment là, ont entre 8 et 14 ans. « Si on sait repérer 3 kifs (7) dans sa journée, on vivra plus longtemps, on vivra en meilleure santé, on sera plus heureux. On s’est lancé. Ce n’est pas facile pour tout le monde. Notre rapport avec la gratitude est un peu différent. Pour Léon, le plus jeune, c’était très difficile. Mais une des plus grande fierté de maman, c’est qu’aujourd’hui, Léon a 14 ans et qu’il a adopté cette pratique. Il peut vous dire les 3 kifs de sa journée. Quand on fait cela avec les gens qu’on connaît, avec les gens avec lesquels on travaille, il se passe quelque chose de particulier, parce que ce n’est pas un sujet courant de conversation. Si cela vous touche, cela me touche. Il y a une règle. Un kif, cela ne se commande pas, cela ne se critique pas si on le fait publiquement. On écoute les autres et, éventuellement, on peut y ajouter le sien ».

 

Mais on peut aller plus loin. Si on n’a pas envie de parler, on peut avoir, sur sa table de nuit, un carnet de kifs, un journal de gratitude qui permet de tout noter avant de se coucher. Robert Emmons s’est aperçu que si c’est la dernière chose que je fais dans la journée, le sommeil est plus profond, le sommeil est plus long et,

si on souffre de douleurs chroniques, les douleurs se dissipent.

Et ensuite, il y a le niveau suivant. C’est « la lettre de gratitude ». Quand nous sommes habités par un sentiment de reconnaissance, le cerceau ne peut pas éprouver en même temps du ressentiment et de la colère. Pendant un an, je n’ai fait aucun cadeau. Le seul cadeau que j’ai fait pour l’anniversaire de mes amis, c’est de leur écrire une lettre de gratitude. J’ai donc revisité mes relations et je me suis rendu compte de la chance que j’avais. « Si tu n’étais pas dans ma vie, voilà ce que je ne serais pas ». Cela permet de mesurer la profondeur de la relation avec les amis ». On peut aller plus loin encore. « Martin Seligman a suggéré des visites de gratitude. Vous préparez la lettre, vous prenez rendez-vous et vous lisez votre lettre. J’ai écrit une lettre de gratitude à mon mari. Nous sommes ensemble depuis 25 ans. En 25 ans de vie commune, ma liste des reproches est facile à faire. Mais là, il ne s’agit pas de cela. « Si tu n’étais pas dans ma vie,  si je ne t’avais pas rencontré ce jour là, voilà ce que je ne serais pas devenu, tout ce qui m’aurait manqué… ».

 

« Voilà ce quoi cela sert la gratitude.  C’est simplement vivre exactement la même vie, mais en mieux. Je ne change pas les personnages. Je ne change pas le décor. Et cela devient extraordinairement utile lorsque cela ne va pas, lorsque la vie ne vous donne pas ce que vous voulez, vous donne le contraire de ce que vous voulez, lorsque le temps que vous avez à passer avec quelqu’un que vous aimez est compté, alors, en appliquant ce filtre là, on réalise, malgré tout cela, la chance que l’on a ».

 

Le message que nous communique Florence sur « le pouvoir de la gratitude » passe d’autant mieux qu’il est le fruit d’une expérience personnelle et qu’il nous est communiqué avec beaucoup de convivialité, de simplicité et d’authenticité. Ce message parle à notre intelligence, mais il parle aussi à notre cœur.

Les sources citées par Florence Servan-Schreiber s’inscrivent dans le courant de la psychologie positive. Et lorsqu’on va à la rencontre de ces sources sur internet, à travers les personnalités de Roger Emmons (5) et de Martin Seligman (6) et des centres de recherche où ils travaillent, on découvre une approche de recherche qui porte un véritable changement de paradigme en psychologie. Comme le déclare Martin Seligman (6), il s’agit de ne plus se focaliser uniquement sur ce qui ne va pas, mais de prendre en compte également ce qui va pour le mettre en valeur et en tirer des enseignements. Ce développement de la psychologie positive (8), témoigne d’une évolution actuelle dans les mentalités qui rend possible un changement de regard. C’est le passage d’un regard pessimiste sur la nature humaine et peu sensible au potentiel humain à un regard qui met en valeur un processus reconnaissant et développant le positif dans l’existence humaine. Ce mouvement est profond. Dans son livre : « Vers une civilisation de l’empathie » (9), Jérémie Rifkin nous montre comment nous sortons d’une idéologie qui a assombri la psychologie à la prise de conscience d’un potentiel jusque là méconnu. Et ce mouvement commence à se faire sentir en France dans le champ des sciences humaines (10).

Ce changement nous paraît se manifester également dans une transformation profonde qui est en train de s’opérer dans le champ religieux. Comme le fait remarquer la théologienne Lytta Basset, la conception du péché originel, telle que l’a développé Saint Augustin, a assombri le christianisme occidental pendant des siècles en induisant la culpabilisation et la peur. Lytta Basset nous invite à sortir de cette emprise dans un livre : « Oser la bienveillance » (11) qui montre combien celle-ci est au cœur d’un message évangélique bien entendu.

Avec du recul, on comprend mieux ce qui a été et est contesté dans l’héritage religieux traditionnel. Cependant, les idéologies adverses qui ont prospéré, sont, elles aussi, en perte de vitesse. Ainsi, un nouveau regard sur le monde est en train d’apparaître dans une vision holistique. On a pu définir la spiritualité comme « une conscience relationnelle » qui s’exerce dans le rapport ave soi-même, avec les autres, avec la nature et avec Dieu (12). En christianisme, Jürgen Moltmann ouvre des pistes nouvelles dans une théologie de l’Esprit attentive à l’émergence et la présence de Dieu dans l’immanence et une théologie de l’espérance ouverte aux potentialités de l’avenir (13).

Dans un contexte où les anciennes barrières s’affaissent et où une interconnexion s’opère, Martin Seligman s’inspire des valeurs fondamentales ancrées dans les traditions religieuses et spirituelles de l’humanité (6). Parler de la gratitude, c’est s’inscrire dans une inspiration spirituelle qui irrigue les siècles. En termes chrétiens, la gratitude et l’émerveillement se rejoignent à travers les psaumes dans l’expression de notre relation à Dieu. C’est une reconnaissance continuelle. « Mon âme bénis l’Eternel ! N’oublie aucun de ses bienfaits » (Ps 103.2). Il y a des vies qui sont animées par un mouvement de gratitude et d’émerveillement. C’est ce qui apparaît dans le témoignage d’Odile Hassenforder dans son livre : « Sa présence dans ma vie » (14). A travers les épreuves, ce mouvement apparaît constamment comme une présence de vie. « Que c’est bon d’exister, pour admirer, m’émerveiller, adorer. C’est gratuit. Je n’ai qu’à recevoir, en profiter, goûter sans culpabilité, sans besoin de me justifier (Justifier quoi ? de vivre ?). D’un sentiment de reconnaissance jaillit une louange joyeuse, une adoration au créateur de l’univers dont je fais partie, au Dieu qui veut le bonheur de ses créatures… Comme il est écrit dans un psaume : Cette journée est pour moi un sujet de joie. Une joie pleine en sa présence, un plaisir éternel auprès de toi, mon Dieu… Louez l’Eternel, car il est bon. Son amour est infini » (Ps 16.118). La vie est vraiment trop belle pour être triste. Alleluia » (p 174).

Notre commentaire vient témoigner en faveur de l’importance du thème de la gratitude. A travers son expérience personnelle et sa compétence psychologique, Florence Servan-Schreiber nous invite à une découverte, celle d’un mouvement du cœur et de l’esprit qui se révèle bienfaisant pour chacun en nous reliant les uns aux autres.

 

Jean Hassenforder

 

(1)            Sur ce blog, un poème : « Nos vies dépendent l’une de l’autre » : «… Je tisse le lange de l’être qui naît. Sans lui, rien ne serait… Si tu ne m’avais dit : « avance ». D’autres attendent que tu crées. Rien ne serait… »  https://vivreetesperer.com/?p=12

(2)            « Le pouvoir de la gratitude. Florence Servan Schreiber à TED X Paris. Salon 2012 » (Vidéo sur You Tube) https://www.youtube.com/watch?v=nZUfJpVxUNI

(3)            Le parcours de David Servan-Screiber est impressionnant. Une formation originale et créative en psychiatrie et dans le domaine des neurosciences, principalement aux Etats-Unis. Atteint d’un cancer au cerveau au début des années 90, il va expérimenter un ensemble de pratiques innovantes qui vont lui permettre de résister à la maladie pendant 20 ans et qu’il va mettre au service de tous dans un ensemble d’écrits. Une créativité qui se manifeste également à travers des avancées comme l’EMDR. Un article dans Wikipedia rend bien compte de cette exceptionnelle contribution. https://fr.wikipedia.org/wiki/David_Servan-Schreiber

(4)            Formée à la psychologie transpersonnelle aux Etats-Unis, Florence Servan-Schreiber développe en France des pratiques innovantes et, par ses activités et ses écrits, elle participe à la diffusion des idées nouvelles. Au cours des dernières années, elle met en valeur les apports de la psychologie positive, notamment à travers plusieurs livres. https://fr.wikipedia.org/wiki/Florence_Servan-Schreiber     Voir aussi « L’hyper pouvoir de l’amour. Florence Servan-Schreiber. Vidéo TED X Lille 2015)   https://www.youtube.com/watch?v=ES0qIGoXtCA

(5)            Robert Emmons est professeur de psychologie à l’Université de Californie et expert mondial dans le domaine de la gratitude. Il travaille au Centre de recherche : « Greater Good The science of a meaningful life ». Ce centre travaille, entre autres, sur des sujets comme l’empathie, la compassion, le pardon, l’émerveillement. Une excellente communication avec de nombreuses vidéos. Une ressource où l’on viendra puiser. http://greatergood.berkeley.edu/topic/empathy

(6)            Professeur à l’Université de Pennsylvanie, psychologue éminent, Martin Seligman est pionnier de la psychologie positive. Cette approche scientifique s’appuie notamment sur des « valeurs millénaires dans toutes les traditions du monde : sagesse/connaissance, courage, humanité, justice, tempérance, transcendance ». https://fr.wikipedia.org/wiki/Martin_Seligman Sur Ted, une interview de Martin Seligman sur la psychologie positive : https://www.ted.com/talks/martin_seligman_on_the_state_of_psychology?language=fr

(7)            Kif est un mot qui s’est introduit récemment dans le langage courant. « Un « kif » ou « kiff » est une passion, un plaisir personnel ou simplement un moment de bonheur ». Wikipedia nous rapporte l’origine et la popularisation de ce thème. https://fr.wikipedia.org/wiki/Kiffer

(8)            Le courant de la psychologie positive est bien présent aujourd’hui en France. On pourra consulter le site : « Psychologie positive » animé par Jacques Lecomte : http://www.psychologie-positive.net

Sur ce blog, présentation du livre de Jacques Lecomte sur « la bonté humaine » : https://vivreetesperer.com/?p=674

(9)            Sur ce blog : « la force de l’empathie » : https://vivreetesperer.com/?p=137                                     Le livre de Jérémie Rifkin sur l’empathie mis en perspective sur le site de Témoins : « Vers une civilisation de l’empathie… » : http://www.temoins.com/vers-une-civilisation-de-lempathie-a-propos-du-livre-de-jeremie-rifkinapports-questionnements-et-enjeux/

(10)      « Quel regard sur la société et sur le monde ? Un changement de perspective » : https://vivreetesperer.com/?p=191

(11)      « Bienveillance humaine. Bienveillance divine. Une harmonie qui se répand » (« Oser la bienveillance » par Lytta Basset)  https://vivreetesperer.com/?p=1842

(12)      « La vie spirituelle comme « une conscience relationnelle ». La recherche de David Hay sur la spiritualité d’aujourd’hui » : http://www.temoins.com/la-vie-spirituelle-comme-une-l-conscience-relationnelle-r/

(13)      « Une théologie pour notre temps. L’autobiographie de Jürgen Moltmann » : http://www.temoins.com/une-theologie-pour-notre-temps-lautobiographie-de-juergen-moltmann/     Un blog concernant la pensée théologique de Jürgen Moltmann : http://www.lespritquidonnelavie.com

(14)      Odile Hassenforder. Sa présence dans ma vie. Parcours spirituel. Empreinte Temps présent, 2011

Présentation : http://www.temoins.com/sa-presence-dans-ma-vie-odile-hassenforder-temoignages-d-une-vie-et-commentairres-de-lecteurs/

Sur ce blog, nombreuses expressions d’Odile Hassenforder : https://vivreetesperer.com/?p=2345 

Ainsi, une attitude de gratitude et d’émerveillement dans les petites choses : « De petits riens de grande portée. La bienveillance au quotidien » : https://vivreetesperer.com/?p=1849

 

La gratitude et le bonheur sous un autre aspect :

« Une boite à soleil. Reconnaître les petits bonheurs comme un flux de vie. De l’archéologie de la souffrance à une psychologie des ressources, par Jeannne Siaud Fachin » (TED X Paris Vaugirard Road) : https://vivreetesperer.com/?p=2002