Un monde en changement accéléré

 La réalité et les enjeux selon Thomas Friedman, journaliste au New York Times et analyste au long cours des technologies de la communication

9780374273538Nous pressentons la rapidité du changement. Nous percevons les peurs et les enfermements.  Les évènements récents nous montrent que c’est là une question prioritaire. Qui peut nous éclairer là dessus ?

En 2005, un journaliste américain publiait un livre : « The world is flat » (1) qui décrivait le processus à travers lequel le monde est devenu interconnecté. A partir d’une enquête internationale, ce livre faisait apparaître un paysage nouveau. Pendant des décennies, l’auteur, Thomas Friedman a couvert l’actualité internationale, et aujourd’hui chroniqueur au New York Times, il tient un blog qui apporte une information précieuse sur le déroulement de cette actualité (2). Et, en 2016, il publie à nouveau  un ouvrage qui va faire date en mettant en évidence l’accélération du changement et en nous interpellant sur les moyens d’y faire face. « Le titre : « Thank you for being late » peut nous intriguer (3). C’est un appel à faire une pause pour réfléchir comme l’attente engendrée par un retard peut nous laisser cette opportunité. Mais le sous-titre est plus explicite : « An optimist’s guide to thriving in the age of acceleration ».

Cet ouvrage nous apporte des informations originales dernier cri. Il induit une compréhension nouvelle de la conjoncture mondiale. Tout ceci est rapporté dans un style attractif, jalonné par le compte-rendu de rencontres avec des personnalités innovantes qui participent à l’expérience et à la réflexion de l’auteur.

 

Un changement accéléré

Dans son livre, « The world is flat », Thomas Friedman avait décrit les transformations des modes de communication qui, à la fin du XXè siècle, avait permis une unification du monde. Ainsi, au début du XXIè siècle, le monde était désormais interconnecté à un tel degré que, de plus en plus de gens, en de plus en plus d’endroits , avaient désormais une opportunité d’entrer en relation, de se concurrencer et de collaborer. Mais le changement ne s’est pas arrêté là. L’auteur a perçu une nouvelle inflexion dans le mouvement autour de l’année 2007. C’est alors que sont apparus de nouveaux processus encore inconnus lors de l’écriture du livre précédent : Facebook, Twitter, Linkedin, Skype entre autres (p 25). « Entre 2000 et 2007, en deux vagues successives, nous sommes entrés dans un monde où la connection est devenue rapide, libre, facile et omniprésente et où ensuite traiter la complexité est devenu rapide, libre, facile et invisible ». « Le monde n’est pas seulement devenu plat, sans frontières, mais rapide ». « Le prix de la production, du stockage et du traitement des données s’est effondré. La vitesse du chargement et du déchargement des données s’est envolée. Steve Jobs a donné au monde un appareil mobile avec une extraordinaire souplesse d’utilisation… Ces processus se sont croisés. Une immense énergie a été donnée aux êtres humains et aux machines, à un point qu’on a jamais vu et qu’on commence seulement à comprendre. Tel est le point d’inflexion qui est advenu autour de l’année 2007 » (p 93).

 

Aujourd’hui, tout s’est accéléré dans trois grands domaines que l’auteur appelle  « la Machine, le Marché, et Mère Nature ».

Nous sommes passé d’un premier âge de la machine, celui engagé par la Révolution industrielle où travail et machines sont complémentaires à un nouvel âge « où nous commençons à automatiser davantage de tâches cognitives et bien plus de tâches de contrôle ». Le « marché » est un raccourci pour désigner l’accélération de la globalisation. C’est le flux global du commerce, de la finance, du crédit, des réseaux sociaux et l’interconnection qui tisse les marchés, les médias, les banques, les entreprises, les écoles, les communautés et les individus… Les flux d’informations et de savoirs qui en résultent rendent le monde non seulement interconnecté et hyperconnecté, mais aussi interdépendant » (p 26).

« Mère Nature » est un raccourci pour désigner le changement climatique, la croissance de la population et le déclin de la biodiversité. Et, là aussi, tout s’accélère.

 

Quelques exemples de cette accélération. Un des plus emblématiques est la baisse du prix des microprocesseurs qui a suscité un accroissement vertigineux du pouvoir des ordinateurs. « La clé a été la croissance exponentielle dans la puissance de calcul telle qu’elle est représentée dans la loi de Moore. Cette théorie émise en 1965 par le cofondateur d’Intel, Gordon Moore, postule que la vitesse et la puissance des microprocesseurs, qui engendrent la puissance du calcul, doubleraient environ tous les deux ans…Cette loi, qui indique une croissance exponentielle, a été validée pendant cinquante ans » (p 25). Cet accroissement de puissance impressionnant a rendu possible de nouvelles innovations comme des voitures se conduisant toutes seules ou des programmes capables de gagner aux échecs.

Cette expansion accélérée a abouti à l’irruption du « cloud » qui, au delà des appareils que nous utilisons, emmagasine un immense ensemble de données résultant des multiples activités en cours et auquel nous pouvons avoir nous-mêmes accès. C’est une réalité nouvelle sans précédent dans l’histoire humaine. Sa puissance est telle que Thomas Friedman préfère parler du « cloud » en terme de « supernova » pour en marquer l’originalité incomparable.

 

Cette croissance accélérée des technologies de la communication en rejoint une autre, celle de la globalisation entendue ici sous le terme de « Marché ». La globalisation n’est plus seulement la circulation des biens physiques, des services et des transactions financières. C’est une réalité bien plus vaste et bien plus impressionnante. « C’est la capacité pour toute personne et pour toute entreprise de se connecter, d’échanger, de collaborer ou de se concurrencer ». Et, à cet égard, aujourd’hui, la globalisation est en train d’exploser… «  A travers les téléphones mobiles et la supernova, nous pouvons maintenant envoyer partout des flux digitaux et en recevoir de partout » (p 120). « Le monde est plus interdépendant qu’il ne l’a jamais été ». Et « ce monde ne peut pas être connecté en tant de domaines et dans une telle profondeur sans être lui-même en train d’être transformé et réorganisé (« reshape » ». Le besoin d’interconnexion est devenu aujourd’hui une aspiration majeure, un désir vital. L’auteur cite une enquête sur l’importance accordée au téléphone mobile. 50% des personnes interrogées préféreraient se passer de vacances pendant un an plutôt que de perdre l’accès au téléphone mobile (p 121). Et, dans les pays du sud, le téléphone mobile est maintenant un bien prioritaire et le support de multiples communications. Les pauvres migrants eux-mêmes en sont dotés. Thomas Friedman raconte comment il en a fait l’expérience dans une rencontre où, à l’aide du téléphone mobile, ils se sont pris en photos mutuellement (p 123). L’auteur nous donne des exemples  concrets des transformations de pratiques et de comportements induites par l’interconnexion.

 

Thomas Friedmann est également familier avec la question écologique à laquelle il a consacré un livre précédent : « Hot, flat and crowded ». Comme d’autres experts, il nous met en garde contre le réchauffement climatique et la réduction de la biodiversité. Là aussi, les évolutions sont rapides.

 

Les transformations actuelles convergent. Au cœur de cet ouvrage, il y a la thèse que « le Marché, Mère Nature et la loi de Moore envisagés ensemble, engendrent cet « âge de l’accélération dans lequel nous nous trouvons aujourd’hui. Le même mouvement affecte les mécanismes centraux de la machine. Ces trois accélérations ont un impact l’une sur l’autre. Davantage de loi de Moore suscite davantage de globalisation et davantage de globalisation engendre davantage de changement climatique. Mais davantage de loi de Moore suscite également plus de solutions possibles par rapport au changement climatique et à beaucoup d’autres défis » (p 27).

 

Face aux déséquilibres et aux dangers.

Cette accélération du changement induit des déséquilibres parce qu’elle requiert une adaptation qui n’est pas acquise au même rythme. Dans le passé, on a pu observer des adaptations par rapport à certains changements, mais le temps nécessaire avait pu être trouvé parce que ces changements étaient moins rapides. L’auteur nous propose deux courbes : celle de l’adaptation humaine qui monte lentement et celle du progrès technologique qui s’élève de plus en plus rapidement ( p 32). Aujourd’hui, un décalage commence à apparaître. Si l’adaptabilité s’est accrue par rapport au passé en fonction d’une meilleure éducation et d’une diffusion plus efficace des savoirs, l’accélération actuelle du changement peut dépasser notre capacité d’adaptation et susciter aussi beaucoup d’angoisse et de résistance. Aujourd’hui, très concrètement, « si il est vrai qu’il faut maintenant dix à quinze ans pour comprendre une nouvelle technologie et créer en conséquence de nouvelles lois et régulations pour protéger  la société, comment régulons-nous quand une technologie vient et s’implante en une courte période de 5 à 7 ans ?» (p 33).

 

         La globalisation est ambivalente. Ses effets dépendent des valeurs et des outils que nous mettons en œuvre en regard. Aujourd’hui, on perçoit de vives réactions politiques face à une immigration mal contrôlée. Comment adapter de saines protections sans perdre les avantages décisifs de la circulation des flux ? « Si beaucoup d’américains se sont récemment sentis submergés par la globalisation, c’est parce que nous avons laissé les technologies physiques (immigration, commerce et flux digital) prendre le dessus et dépasser les technologies sociales : l’éducation et les outils d’adaptation nécessaires pour amortir l’impact et ancrer les gens dans de communautés saines qui puissent les aider à vivre et prospérer » (p 155) . Nous avons besoin d’un leadership qui prenne en compte et apprivoise l’anxiété. Dans un âge où des situations extrêmes apparaissent, des politiques particulièrement innovantes sont nécessaires. Elles peuvent combiner des idées traditionnelles et de nouveaux processus. « Je parle d’une politique qui renforce les filets de sécurité pour les travailleurs afin de sauvegarder ceux qui sont dépassés par la rapidité du changement. Je parle d’une politique capable de susciter davantage de technologies sociales pour faire face aux changements entrainés par les technologies physiques. Finalement, je parle d’une politique qui comprenne que dans le monde d’aujourd’hui la grande opposition politique n’est pas entre la gauche et la droite, mais entre une société ouverte et une société fermée » (p 336).

 

Ce changement technologique accéléré engendre un accroissement considérable du pouvoir. C’est le pouvoir des machines. C’est le pouvoir des flux, mais c’est aussi le pouvoir des hommes, le pouvoir d’un groupe, mais aussi le pouvoir d’un seul. Ce qu’une personne isolée peut faire en terme de construction ou de destruction a été porté aujourd’hui à un haut niveau. Jusqu’ici une personne pouvait en tuer une autre. Maintenant, il est possible d’imaginer un monde où, un jour, une personne puisse tuer toutes les autres. Qu’on se souvienne de l’attaque contre les tours jumelles de New York, il y a quinze ans. Mais l’inverse est vrai aussi. Une personne peut maintenant en aider beaucoup d’autres. Elle peut éduquer, inspirer, divertir des millions de gens. Une personne peut maintenant communiquer une nouvelle idée, un nouveau vaccin ou une nouvelle application au monde entier » (p 87). Cet accroissement de puissance appelle en regard une élévation de la conscience.

Et de même, on constate aujourd’hui que l’humanité a créé un nouveau royaume pour l’interaction humaine. « Mais il n’y a personne en charge du cyberespace où nous sommes tous connectés » (p 339). Cette situation requiert évidemment le développement d’une régulation, mais elle appelle aussi une conscientisation morale et éthique. Il est impératif d’équilibrer le progrès technologique par le sens de l’humain.

 

Pour une conscientisation morale et Ă©thique.

C’est bien là le message de Thomas Friedman. Il y aura toujours du mal dans le monde, nous dit-il. Mais la question, c’est comment augmenter les chances pour réduire les mauvaises conduites.

« La première ligne de défense pour toute société, ce sont ces garde-fous : les lois, la police, la justice, la surveillance… des règles de décence pour les réseaux sociaux. Tout cela est nécessaire, mais n’est pas suffisant à l’âge de l’accélération. Clairement, ce dont on a besoin, et c’est à la portée de chacun, c’est de penser avec plus de sérieux et plus d’urgence à la manière dont nous pouvons nous inspirer davantage des valeurs qui portent : l’honnêteté, l’humilité, et le respect mutuel. Ces valeurs génèrent la confiance, le lien social et, par dessus tout, l’espoir » (p 347).

Pour faire face au grand défi auquel nous sommes confrontés, Thomas Friedman nous incite à appliquer la « règle d’or », quelle que soit la version qui nous a été transmise. La « règle d’or » (4), c’est de ne pas faire aux autres ce qu’on ne voudrait pas qu’on vous fit » (p 347).  C’est simple, mais cela produit beaucoup d’effets. Cela peut paraître naïf. Mais « je vais vous dire ce qui est vraiment naïf, c’est ignorer le défi : ce besoin d’innovation morale à une époque où abondent de gens en colère, maintenant superpuissants ». Pour moi, « cette naïveté, c’est le nouveau réalisme » (p 348).

Thomas Friedman cite le discours du président Obama lors de sa visite à Hiroshima le 27 mai 2016. Barack Obama évoque le pouvoir de la science en bien comme en mal. Il appelle à une coopération paisible entre les nations. « Et peut-être par dessus tout, nous devons réimaginer notre relation les uns avec les autres comme membres de notre unique humanité » (p 349).

« Oui, nous avons besoin d’une évolution sociale et morale très rapide ». Mais où commencer ? « Une manière pratique de commencer est d’ancrer le plus de gens possible dans des communautés saines. Au delà des lois, de la police, de la justice, il n’y a pas de meilleure source de mesure qu’une forte communauté. Les africains ont forgé cette phrase : « On a besoin de tout un village pour élever un enfant ». Les communautés créent un sens d’appartenance qui engendre la confiance sous-jacente à la règle d’or et aussi les contrôles invisibles qui s’imposent à ceux qui veulent franchir les lignes rouges » (p 349) . L’auteur cite le film « The Martian » (Le Martien) qui met en valeur un geste de solidarité internationale. Si dans ce monde, il y a une stratégie pour vivre et prospérer, « c’est de construire des interdépendances saines, profondes et durables ». Et il y a aussi un obstacle : c’est « notre caractère tribal ». « Là est le défi et le besoin pour une innovation morale. Dans un monde bien plus interdépendant, nous avons besoin de redéfinir la tribu, c’est à dire d’élargir la notion de communauté, précisément comme le président Obama l’a plaidé dans son discours d’Hiroshima. « Ce qui fait notre espèce unique, c’est que nous ne sommes pas liés à un  code génétique pour répéter les histoires du passé. Nous pouvons apprendre. Nous pouvons choisir. Nous pouvons raconter à nos enfants une histoire différente, une histoire qui décrit notre humanité commune » (p 392).

L’homme est un être social. Dans nos sociétés occidentales, l’isolement est bien trop répandu. L’auteur rapporte un entretien avec une autorité médicale américaine. « La plus grande maladie aux Etats-Unis aujourd’hui, ce n’est pas le cancer, ce n’est pas la maladie de cœur. C’est l’isolement. Le grand isolement, c’est la plus grande pathologie » (p 450).

 

Durant son enfance, Thomas Friedman a vécu dans une communauté saine à Saint-Louis dans le Minnesota. Son livre s’achève par le récit de ce qu’il a vécu en revisitant ce lieu où il a grandi. C’est à partir de cette expérience qu’il peut nous dire l’importance d’une relation humaine dans le respect, la réciprocité, la solidarité.

 

A un moment où des poussées d’agressivité apparaissent dans le monde occidental et sont exprimées dans des formes qui contredisent  des valeurs majeures comme le respect de l’autre, il est urgent de comprendre ce qui est en question.

Or, nous savons que notre monde traverse une période de grande mutation . Nous en percevons des aspects, mais qu’en est-il plus profondément? Pour cela sans doute, faut-il comprendre au plus près, l’évolution des technologies qui ont, manifestement, un rôle moteur pour le meilleur ou pour le pire.

En 2005,  Thomas Friedman, dans son livre : « The world is flat » nous informait sur les processus qui ont abouti à l’unification du monde. Aujourd’hui, il est toujours celui qui va puiser l’information aux meilleures sources pour la partager avec nous et nous apporter à la fois sa connaissance et son expérience.

Avec lui, nous comprenons mieux ce qui se passe aujourd’hui et ce qui est en jeu. Et nous recevons d’autant plus son appel à un renouveau moral, éthique et spirituel. Il rejoint là la recherche qui se poursuit sur ce blog depuis quelques années (5).

Ce livre se lit avec passion parce qu’en nous ouvrant les yeux sur les transformations du monde, il nous ouvre aussi un chemin.

 

J H

 

(1)            Thomas Friedman. The world is flat, 2005  Mise en perspective : « La grande mutation. Les incidences de la mondialisation ». : http://www.temoins.com/la-grande-mutation-les-incidences-de-la-mondialisation/

(2)            On pourra suivre les écrits de Thomas Friedman, chroniqueur au New York Times pour les affaires étrangères sur un blog : http://www.thomaslfriedman.com    Une bonne ressource pour examiner la conjoncture internationale en ces temps troublés. On y ajoutera les interviews de Thomas Friedman sur You Tube

(3)            Thomas L. Friedman. Thank you for being late. An optimist’s guide to thriving in the age of accelerations. Allen, 2016 . On trouvera sur You Tube des interviews de Thomas Friedman en video, en particulier sur ce livre : https://www.youtube.com/watch?v=DlAJJxfm9bE                     https://www.youtube.com/watch?v=DVPPRVP3oIU

(4)            Histoire culturelle de la « règle d’or » (« Golden rule ») : une très bonne mise en perspective sur wikipedia anglophone : https://en.wikipedia.org/wiki/Golden_Rule

(5)             « Quel avenir pour le monde et pour la France ? (Jean-Claude Guillebaud. Une autre vie est possible) : https://vivreetesperer.com/?p=937                                 « Un chemin de guérison pour l’humanité. La fin d’un monde. L’aube d’une renaissance. La guérison du monde selon Frédéric Lenoir » : https://vivreetesperer.com/?p=1048     « L’ère numérique. Gilles Babinet, un guide pour entrer dans ce nouveau monde » : https://vivreetesperer.com/?p=1812                                « Comprendre la mutation de notre société requiert une vision nouvelle du monde (Jean Staune. Les Clés du futur) » https://vivreetesperer.com/?p=2373                      «      « Une philosophie de l’histoire par Michel Serres » : https://vivreetesperer.com/?p=2479                              « Une belle vie se construit sur de belles relations » : https://vivreetesperer.com/?p=2491                             « Penser à l’avenir, selon Jean Viard » : https://vivreetesperer.com/?p=2524                                        « Une vision de la liberté (Jürgen Moltman. (L’Esprit qui donne la vie) » : https://vivreetesperer.com/?p=1343

Une théologie pour la vie

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Jürgen Moltmann en conversation avec un panel de théologiens au Garrett Evangelical Theological Seminary (Evanston USA).

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Nous savons combien nos représentations  influencent nos états d’âme et nos comportements. Ces représentations dépendent de notre vision du monde. Comme réflexion sur Dieu, la théologie inspire cette vision. C’est dire l’importance des orientations théologiques. Comme le dit Jésus, on reconnaît l’arbre à ses fruits.  Nous trouvons, personnellement, une inspiration positive dans la pensée théologique de Jürgen Moltmann, souvent évoquée sur ce blog. Reconnu comme un des plus grands théologiens de notre temps (1), Jürgen Moltmann est souvent invité à s’exprimer dans des facultés de théologie à travers le monde. Ainsi est-il intervenu en 2009 dans une faculté de théologie américaine sur le thème : « Une théologie pour la vie. Une vie pour la théologie » (2). Cette intervention a été effectuée au Garrett Evangelical Theological Seminary (Evanston USA), une faculté en lien avec l’Eglise méthodiste. Après cette première conférence, Jürgen Moltmann a été invité à participer à une conversation où il a répondu aux questions d’un panel de trois théologien(ne)s : Nancy Bedford, Stephen Ray, Anne Joe. Ceux-ci ont été ensuite interrogés personnellement sur cet apport. L’ensemble est communiqué sur le site de la faculté à travers des vidéos (3). Comme dans une précédente note sur ce blog (4), nous présentons ainsi à nouveau une contribution de Jürgen Moltmann en vidéo. Ce n’est pas seulement une rencontre avec sa pensée, c’est aussi une rencontre avec sa personne où on peut apprécier une chaleur communicative empreinte d’une forme de modestie et de respect en terme d’humour. Nous présentons ici la vidéo où Jürgen Moltmann répond aux questions de ses interlocuteurs (5). Et comme cet entretien est en anglais, nous voulons en faciliter l’accès à travers une transposition en français dans des notes prises au cours de cette audition.

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Comment lire la Bible avec discernement ?

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Comme théologien, comment lisez-vous l’Ecriture. Quels sont vos critères herméneutiques ?, lui demande au départ son ancienne étudiante, Nancy Bedford. Question sensible ! Jürgen Moltmann fait écho à la question posée par Philippe au ministre éthiopien qui lisait le prophète Esaïe (Actes 6.30) : « Comprends-tu ce que tu lis ? ». Comprenons-nous ce que nous lisons ? En lisant la Bible, je m’attends à la Parole de Dieu dans des mots et des idées, des témoignages humains, mais ces mots humains sont parfois en contradiction les uns avec les autres. J. M. donne des exemples, tous deux empruntés aux épîtres de Paul, l’un concernant l’attitude vis-à-vis des femmes et l’autre, l’attitude vis-à-vis des juifs. Ainsi rappelle-t-il la grande affirmation universaliste de Paul à la suite du prophète Joël, en Galates 3.26 : « Il n’y a plus ni hommes, ni femmes. Nous sommes tous un en Jésus-Christ ». Mais on trouve aussi dans ces épîtres mention d’une attitude que Jürgen Moltmann exprime en termes humoristiques : « Les femmes devraient la fermer dans les cultes »…Qu’est ce qui est vrai ? Qu’est-ce qui est le plus proche de la vérité du Christ ? Et, reprend-t-il avec humour : Si les femmes avaient été silencieuses tout le temps, elles n’auraient pas annoncé la résurrection de Jésus et nous n’en saurions rien ! Pour interpréter, je ne me réfère pas à un humanisme moderne, qui va de ci, de là, mais je développe une critique interne en recherche de l’essentiel à l’intérieur même de l’Ecriture (« material criticism inside the reading of Scripture – criticizing inside the truth of the Bible »). D’abord, je lis, puis je cherche à comprendre. Qu’est-ce que cette expression cherche à me dire avec plus ou moins de bonheur ? Je cherche ce qui est vrai, ce qui me paraît le plus proche de la vérité du Christ (« What is closer to the truth of Christ »).

Jürgen Moltmann évoque des approches comme celles du « Jésus historique » (historical Jesus ») ou de l’exégèse matérialiste (« Materialistic exegesis »), qui se perd dans l’accessoire, auxquelles il n’adhère pas. Et notamment, peut-on en théologie s’intéresser seulement au « Jésus historique », c’est à dire ne pas prendre en considération l’éclairage de la résurrection ? Le Jésus historique est le Jésus mort  (« The historical Jesus is the dead Jesus »).

Puisque J. Moltmann se réfère à Christ comme critère, son interlocutrice lui pose une seconde question : « Vous prenez Christ comme critère, mais qu’est ce qui arrive quand ce critère est mal utilisé ? Certains comportements et images peuvent contrecarrer une juste représentation du Christ. Jürgen Moltmann répond en prenant l’exemple de la croix. Au début du christianisme, il y a la croix de Golgotha, mais il y a eu très vite une croix imaginée par l’Empire comme signe de puissance et de victoire à commencer par celle de l’empereur Constantin : « Tu vaincras par ce signe ! », une tradition dominatrice qui s’est perpétuée dans la chrétienté.

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Le dialogue œcuménique

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Quelle est la part des théologiens dans le dialogue œcuménique ? Jürgen Moltmann répond à cette question en évoquant une affirmation centrale : la parole de Jésus concernant ses disciples : « Qu’ils soient un comme nous sommes un » (Jean 17.22). Cette prière a été entendue par le Père. Alors, en Christ, nous sommes déjà un. Mais, si c’est le cas, nous sommes appelés à rendre cette réalité visible. Nous rendons cette réalité visible, non pas d’abord par le dialogue théologique, mais par la fraternité eucharistique. Les églises ne sont pas propriétaires de la pratique eucharistique. Prendre ensemble le repas eucharistique, c’est répondre à l’invitation du Christ. Alors, en premier le repas du Seigneur : manger et boire, et ensuite le dialogue théologique. Ce dialogue en sera facilité, car alors, nous reconnaissons que nous sommes déjà dans la famille de Jésus. Avec humour, Moltmann évoque sa différence sur ce point avec son ancien collègue à l’université de Tübingen, Joseph Ratzinger devenu ensuite le pape Benoit XVI.

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Les gens dans la misère. Quelle espérance ?

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Une théologienne pose à Moltmann cette question : Comment accorde-t-il dans sa réflexion sa théologie de l’espérance et sa vision de « Dieu crucifié » ? Si la passion du Christ s’inscrit dans sa nature d’un Dieu incarné, sa résurrection manifeste la puissance d’un Dieu transcendant. Des théologiens catholiques latino-américains ont évoqué les victimes des régimes despotiques en termes d’hommes et de femmes crucifiés porteurs de rédemption. Dans cette approche,  l’Eglise prolonge le Christ (« Christus prolongatus »), et, en extension, la souffrance des persécutés des personnes crucifiées est censée contribuer à la rédemption. Jürgen Moltmann n’est pas à l’aise avec cette extrapolation. Si vous vivez dans la misère et l’isolement, vous n’avez pas envie qu’on interprète votre souffrance en terme de participation à la rédemption. Vous avez envie de vous en sortir, vous avez envie d’être libéré. Autrement, vous continueriez à souffrir. Et, de même, en ce qui concerne « l’option préférentielle pour les pauvres », il y a danger d’idéaliser la pauvreté. N’interprétons pas la situation des pauvres à leur place…

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Le salut. Nous échapper dans un au delà ou nous tourner vers l’avenir.

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Moltmann est interrogé à propos de son approche eschatologique dans son livre : La venue de Dieu (« Coming of God »). Il y a un débat en cours sur la conception du salut. Notre espérance réside-t-elle dans une séparation de ce monde pour un autre, une éternité intemporelle ou bien sommes-nous invités à regarder vers l’avenir à l’intérieur même du processus de la nouvelle création. Dans la fixation sur l’éternité, il y a une aspiration gnostique. Dans l’espérance chrétienne et juive, on attend un ciel nouveau et une terre nouvelle. C’est bien là la demande exprimée dans la prière du « Notre Père », non pas que nous échappions à la terre, mais que « le règne de Dieu vienne sur la terre comme au ciel ». Ainsi, nous espérons le salut de la terre dans une nouvelle création. Je crois que Dieu le créateur ne laissera pas sa création dégringoler, mais récapitulera toute chose – et sa création- dans sa venue finale (« will recollect his creation in his final coming »). La résurrection des morts s’inscrit bien dans ce processus. Il nous faut développer à nouveau frais une théologie centrée sur la terre (« earth-centered »)

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Une théologie de la terre

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Si l’être humain a été crée par Dieu, la terre dans laquelle les hommes vivent, résulte elle aussi de la création de Dieu. Elle mérite d’être considérée et respectée. En réponse à une question, Moltmann esquisse une théologie de la terre à partir de quelques textes bibliques.

En Genèse 1, la terre est présentée comme étant elle-même créatrice et productrice. En Genèse 9, Dieu instaure une alliance avec l’humanité, les êtres vivants et la terre. Celle-ci est spécifiquement mentionnée au verset 13. Dans les règles ultérieures concernant l’agriculture, la terre est respectée et participe au repos sabbatique. Le Prophète Esaïe associe même la terre à la réalisation du salut. C’est dire combien la terre n’est pas subordonnée à l’homme. Moltmann note que la théologie orthodoxe reconnaît ce rapport entre Dieu et la terre, particulièrement dans son art de l’icône. Aujourd’hui, c’est à côté de la déclaration des droits de l’homme que les Nations Unies ont établi une charte de la nature. Comment combiner les deux ? Une théologie de la terre rejette l’instrumentalisation de celle-ci par les hommes. Nous ne devons pas vivre sur la terre en la dominant. Nous devons vivre en symbiose avec elle et bannir le terme d’environnement dans la mesure où il est conçu uniquement en fonction de l’homme («We live in the earth, not on the earth »). En espérance, nous regardons vers une nouvelle création où la justice habitera.

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L’être humain, une créature vulnérable

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Sensible à l’ouverture de Jürgen Moltmann à la dimension de la compassion, telle qu’elle apparaît dans son livre : « Le Dieu crucifié », une théologienne participant au panel évoque la recherche d’invulnérabilité répandue dans le monde occidental. Quelle place donner à l’affliction et au deuil ? Jürgen Moltmann répond positivement à cette question. Les gens faibles cherchent à être invulnérables. Seuls les gens forts acceptent d’être vulnérables. A travers le deuil, les gens expriment leur amour. La place accordée au deuil dans le monde occidental a été trop réduite. On devrait accorder davantage de temps au processus de deuil.

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La communauté des vivants et des morts

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Jürgen Moltmann raconte qu’en 1961, en visitant un ancien camp de concentration en Pologne, il a eu une forme de vision, percevant soudain les gens assassinés venant à lui et lui demandant : « Pourquoi ? ». Ces gens là n’étaient pas « morts ». Ils étaient présents, très présents. Moltmann évoque ensuite la relation avec les ancêtres en Asie, telle qu’elle se manifeste notamment dans le culte des ancêtres. Il y a une part de vérité dans tout cela. Les morts n’ont pas disparu. Ils sont très présents. Vous pouvez le sentir. Ils veillent sur nous (« They watch over us ») et, si nous sommes assez sensibles, nous veillons avec eux. Dans l’histoire de la Réforme, face à la thèse du sommeil des morts attendant la résurrection, c’est la conviction qui a été exprimée par Jean Calvin. Non, les morts ne dorment pas, ils veillent sur nous (« They are watching over us »). Les uns et les autres, nous vivons dans la perspective de la résurrection commune. Cette résurrection est un avenir pour le passé. Nous sommes dans le même mouvement. Nous sommes dans la même présence et nous regardons en avant dans l’attente du même futur. « We are in the same presence and we are looking forward for the same future »

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Dieu trinitaire. Un chemin de communion

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On demande Ă  JĂĽrgen Moltmann comment il en est venu Ă  accorder une grande importance Ă  une vision trinitaire de Dieu.

De fait, la parution de son livre : « The Trinity and the Kingdom of God » a été précédée par une attention croissante portée à l’Esprit Saint. Qui est l’Esprit Saint ? L’Esprit Saint, c’est la présence créatrice et unifiante de l’Esprit dans le monde. C’est le consolateur, mais aussi la source de vie. Dans la communion avec Christ, Il nous communique une énergie vitale.

En nous racontant son histoire de vie lors de sa conférence initiale, Jürgen Moltmann nous a raconté l’épreuve qu’il a vécu dans sa jeunesse. Dans un camp de prisonniers en Angleterre, il a trouvé dans la Bible une consolation. Jésus est devenu l’ami avec qui il pouvait partager son sort. C’est là aussi une présence guérissante : « A travers ses meurtrissures, nous sommes guéris » (Esaïe 53.5). Jésus nous introduit dans la proximité de Dieu, son Père aimé, « Abba ».

Dès lors, nous dit Jürgen Moltmann, nous pouvons entrer tout simplement dans la communion trinitaire. En union avec Jésus, nous sommes en relation priante avec son Père aimé, Abba. Dieu est présent. Et nous faisons l’expérience de la présence vivifiante de l’Esprit. Ainsi la Trinité, n’est pas un mystère, c’est une réalité toute simple. Nous ne croyons pas en Dieu, nous vivons en un Dieu trinitaire (« You do not believe in God. You live in the trinitarian God »). Nous vivons en relation avec Jésus, Abba, cher Père et  l’Esprit qui donne la vie. « You live between Jesus, Abba, dear Father and the live giving energies of the Spirit ». Depuis le commencement, la foi chrétienne a une forme trinitaire : Jésus, Abba, Esprit. « The christian faith has from the beginning on, a triadic form : Jesus, Abba, Spirit ».

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Une pensée pour la vie

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Cette vidéo et celles qui l’accompagnent nous permettent de mieux comprendre ce que peut être le cheminement d’une réflexion théologique. Et, si nous pouvons douter de la pertinence et de la justesse de certaines constructions théologiques, ici, nous entrons dans une approche qui répond à des questionnements souvent existentiels. En fonction de son histoire de vie, la théologie de Jürgen Moltmann ne se développe pas dans l’abstraction. Elle est « branchée » sur des questions que nous nous posons dans la vie, non seulement sur le plan personnel, mais aussi en rapport avec nos interrogations concernant le monde d’aujourd’hui (6). Que cette théologie pour la vie nous aide à vivre en harmonie et en mouvement !

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J H

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(1)            L’autobiographie de Jürgen Moltmann relatée dans son livre : « A broad place », nous introduit dans le développement de sa pensée et l’évolution de son œuvre : Moltmann (Jürgen). A broad place. an autobiography. SCM Press, 2007. Voir une mise en perspective de ce livre : « Une théologie pour notre temps » sur le site de Témoins : http://www.temoins.com/etudes/recherche-et-innovation/etudes/une-theologie-pour-notre-temps-lautobiographie-de-juergen-moltmann

Sur le blog : L’Esprit qui donne la vie : http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=695.

(2)            Conférence de Jürgen Moltmann, professeur invité au Garrett Evangelical Theological Seminary en 2009 (vidéo) : http://www.garrettmedia.net/video500.php?vid_name=special/moltmann09/convocation

(3)            Sur le site de la faculté, présentation de l’ensemble des vidéos en rapport avec la venue de Jürgen Moltmann : http://www.garrett.edu/news/161-september-2009/282-video-of-jrgen-moltmann-at-garrett-evangelical

(4)            Présentation d’une interview de Jürgen Moltmann en vidéo : « L’avenir inachevé de Dieu. Pourquoi c’est important pour nous ». Sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=1884

(5)            Vidéo présentée dans cette contribution : A conversation with Jürgen Moltmann : http://www.garrettmedia.net/video500.php?vid_name=special/moltmann09/conversation

(6)            Un essai d’introduction à l’œuvre de Jürgen Moltmann : le blog : L’Esprit qui donne la vie : http://www.lespritquidonnelavie.com/ Plusieurs des thèmes abordés dans cet article sont abordés sur ce blog. On pourra y lire notamment une présentation d’un livre de Moltmann paru en 2010 et récapitulant les grandes orientations de sa pensée : « Sun of rightneousness, arise. God’s future for humanity and the earth » : « Lève-toi, Soleil de justice ! L’avenir de Dieu pour l’humanité et la terre » : http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=798

Jürgen Moltmann a publié de nombreux livres qui sont des livres de fond, pour une part, traduits en français au Cerf. Un livre récemment traduit en France nous introduit dans les grandes orientations de sa pensée : Jürgen Moltmann. De commencements en recommencements. Une dynamique d’espérance. Empreinte temps présent, 2012  Présentation sur ce blog : « Une dynamique de vie et d’espérance » : https://vivreetesperer.com/?p=572

Sur ce blog, des articles correspondant à certains thèmes de cette conversation, notamment : « Vivre en harmonie avec la nature » : https://vivreetesperer.com/?p=757

Et : « Une vie qui ne disparaît pas » : https://vivreetesperer.com/?p=336  « Sur la terre comme au ciel » : https://vivreetesperer.com/?p=338

Éducation et spiritualité

L’enfant spirituel
Par Lisa Miller

Comment envisageons-nous la spiritualité ? Qu’est-ce qu’une démarche spirituelle ? Comment la spiritualité peut-elle inspirer l’éducation ? Comment les parents peuvent-ils reconnaître les aspirations spirituelles de leurs enfants et de leurs adolescents et leurs mouvements en ce sens ? En quoi la vie spirituelle des enfants et des adolescents contribue à leur permettre d’accéder à une vie plus pleine et plus saine ? Est-ce que la recherche scientifique nous apporte des données sur cette réalité ? Et, très concrètement, dans ce domaine complexe, quel éclairage peut-on apporter aux parents pour qu’ils puissent comprendre l’importance de cette dimension et encourager leurs enfants et leurs adolescents ?

La chercheuse américaine en psychologie, Lisa Miller vient de publier un livre sur le cerveau éveillé : « The awakened brain » qui nous montre le rôle important de la spiritualité dans la vie des adultes et le fonctionnement du cerveau. Nous avons présenté cet ouvrage (1). Mais quelques années auparavant, en 2105, Lisa Miller avait  publié un autre livre sur l’enfant spirituel : « The spiritual child. The new science on parenting for health and lifelong striving » (2). Le sous-titre précise l’intention de l’ouvrage. Il n’expose pas seulement la nature spirituelle de l’enfant. Il apporte une vision nouvelle à même d’éclairer les parents en les conseillant dans leurs pratiques d’éducation. Nous présentons ici brièvement cet ouvrage dont la richesse exigerait une très longue description. Nous pourrons donc y revenir par la suite.

 

Qu’est ce que la spiritualité ?

Comme les manifestations de la spiritualité sont l’objet des recherches de Lisa Miller, celle-ci a été amenée à définir ce qu’elle entendait par spiritualité. « La recherche montre une claire différence entre la stricte adhésion à une religion particulière et une spiritualité personnelle. Cette spiritualité personnelle est entendue comme « un sens intérieur  d’une relation vivante avec une puissance supérieure (Dieu, la nature, l’esprit, l’univers, ou , quelque soit le mot, une force de vie ultime, aimante, et guidante » (p 6-7). Dans une autre recherche menée en Angleterre et rapportée dans un livre : « Something there » (3), David Hay, accompagné par Rebecca Nye, était arrivé à la définition suivante : une « conscience relationnelle ». « Les analyses de conversations avec les enfants montraient comme ils se sentaient reliés à la nature, aux autres personnes, à eux-mêmes et à Dieu ».

Lisa Miller précise ainsi sa pensée : « Tandis que les religions organisées peuvent effectivement jouer un rôle dans le développement spirituel, le moteur premier qui suscite la spiritualité naturelle, est une faculté innée, biologique et en développement : d’abord une faculté innée pour une connection transcendante, puis un élan de développement pour rendre sienne cette connection, et, en conséquence, une relation personnelle profonde avec le transcendant à travers la nature, Dieu, ou la force universelle » (p 9).

 

Une recherche scientifique

Lisa Miller se présente comme psychologue clinique, directrice de la clinique de psychologie clinique de l’université Columbia. Dans son laboratoire, elle a conduit de multiples recherches et publié de nombreux articles validés scientifiquement sur le développement spirituel des enfants, des adolescents et des familles (p 1). Devenue une personnalité majeure dans le champ en pleine expansion du rapport entre psychologie, spiritualité et santé mentale, elle a joué un rôle pionnier dans ce domaine. En effet, il  y a deux décennies, comme chercheuse centrée sur la spiritualité et la santé, elle rencontrait un énorme scepticisme et un véritable rejet. « Au début du XXIè siècle,  dans les sciences sociales et médicales, il existait encore une forte opposition envers la recherche sur la spiritualité et la religion, de fait, des concepts distincts dans mon esprit » (p 2) . Cependant, des recherches ont ouvert la voie et ce fut une avancée décisive à travers « la compréhension de la science du cerveau et les découvertes de l’imagerie cérébrale, de longs entretiens avec des centaines d’enfants et de parents, des études de cas, et un riche matériel d’anecdotes » (p 2). Lisa Miller énonce les grandes idées nouvelles qui s’imposent aujourd’hui dans la psychologie : la psychologie positive, l’intelligence émotionnelle.. Et elle y ajoute la reconnaissance scientifique d’une faculté humaine : la spiritualité naturelle qui concerne tout particulièrement l’éducation familiale.

 

Reconnaître la spiritualité des enfants

Lisa Miller parcourt le pays à la rencontre des parents pour les entretenir de sa recherche. Elle nous raconte combien de nombreux parents lui parlent alors de leurs enfants  : « des enfants qui prennent soin de leurs frères et sœurs plus petits ou de leurs grands-parents, qui parlent aux animaux ou chantent en prière ». « Les enfants sont si spirituels », me disent-ils (p 1). Souvent, dans des moments de crise familiale, des enfants font preuve de sagesse et de compréhension.  Comme chercheuse scientifique, je sais que la spiritualité de l’enfance est une vérité puissante qui est irréfutable et cependant étrangement absente de la culture dominante ». « Que les enfants soient « si spirituels », n’est pas simplement une anecdote ou une opinion, que ce soit la mienne ou celle d’un autre. C’est un fait scientifique établi » (p 2).

 

La spiritualité, une faculté naturelle des enfants

« Biologiquement, nous sommes cablés pour une connection spirituelle. Le développement spirituel est pour notre espèce, un impératif biologique et psychologique depuis la naissance. L’harmonisation spirituelle innée des jeunes enfants, à la différence d’autres lignes de développement comme le langage et la cognition, commence entière et est mise en forme par la nature pour préparer l’enfance en vue des décennies à venir, y compris le passage critique de l’adolescence » (p 3). Lisa Miller décrit ensuite l’évolution du jeune enfant. « Dans la première décennie de sa vie, l’enfant avance à travers un processus d’intégration de sa « connaissance » spirituelle avec ses autres capacités en développement cognitif, physique, social, émotionnel, tous ces développements étant modelés à travers des interactions avec les parents, la famille, les pairs et la communauté »  (p 3-4). Cependant, « si l’enfant manque de soutien et d’encouragement pour développer cette part de lui-même, son branchement spirituel s’érode et en vient à se désagréger sous la pression d’une culture strictement matérielle » (p 4).

 

Convergence avec la recherche de Rebecca Nye sur la spiritualité des enfants

En 2009, une chercheuse anglais, Rebecca Nye a publié un livre : « Children’s spirituality. What it is and why it matters » (4) rapportant les conclusions de ses recherches avec David Hay. Rebecca Nye décrit ainsi la spiritualité des enfants : « La spiritualité des enfants est une capacité initialement naturelle pour une conscience de ce qui est sacré dans les expériences de vie…. Dans l’enfance, la spiritualité porte particulièrement sur le fait d’être en relation, de répondre à un appel, de se relier à plus que moi seul, c’est à dire aux autres, à Dieu, à la création ou à un profond sens de l’être intérieur (inner sense of being). Cette rencontre avec la transcendance peut advenir dans des moments ou des expériences spécifiques aussi bien qu’à travers une activité imaginative ou réflexive ».

La recherche de Rebecca Nye converge avec celle de Lisa Miller : « la spiritualité des enfants est plus naturelle qu’apprise. Peut-être, le terrain le plus fertile pour la spiritualité se situe dans l’enfance. La spiritualité de l’enfance se répercute sur l’âge adulte. La spiritualité est profondément relationnelle… ».

 

La spiritualité, un guide pour l’adolescence

Un développement harmonieux de la spiritualité  de l’enfant  va lui permettre de mieux affronter les difficultés de l’adolescence. « La conscience du développement spirituel crée des opportunités pour préparer les jeunes à un important travail intérieur d’intériorisation qui est nécessaire  pour une individualisation, le développement de l’identité, une résilience émotionnelle… et des relations saines. La spiritualité est un principe majeur d’organisation de la vie intérieure dans la seconde décennie de la vie, poussant les jeunes vers un âge adulte porteur de sens, de projet, de conscience, d’accomplissement » (p 3).  En même temps que les changements physiques et émotionnels en cours dans l’adolescence, on y observe le surgissement d’un éveil spirituel. Quelles réponses les adultes apportent aux jeunes en ce domaine ? On sait par ailleurs les effets protecteurs d’une spiritualité harmonieuse par rapport à la dépression, aux conduites à risque et aux drogues.

 

Une vision nouvelle

Bien évidemment, cette présentation du livre de Lisa Miller n’est qu’une première esquisse . Dans ce livre de plus de 300 pages, Lisa Miller nous entraine dans la connaissance de ses découvertes révolutionnaires qui appellent un ajustement ou un changement de notre regard sur l’enfance et sur l’adolescence et, en conséquence, les exigences de celles-ci pour l’éducation parentale. En convergence avec les recherches engagées en Angleterre par David Hay et Rebecca Nye, Lisa Miller nous entraine dans la découverte  de la spiritualité comme une faculté naturelle dont la prise en compte est particulièrement cruciale pour l’enfance et pour l’adolescence. C’est une vision nouvelle dont nous savons bien qu’elle doit encore se frayer un chemin, notamment en France. Cette vision nous concerne tous. « Nous pouvons laisser nos enfants nous toucher, nous changer en nous rappelant qui nous sommes réellement. En tant que société, nous pouvons développer notre spiritualité collective en sachant que c’est vraiment une réalité importante. En étant ouvert à ces idées, ces valeurs et en étant conscient de la manière dont nous les vivons, nous pouvons changer notre monde. Cela commence avec chaque enfant et son droit de naissance : l’enfant spirituel » (p 348). C’est « une culture de l’amour ». Ensemble, nous pouvons créer « une culture inspirée » (p 348).

J H

  1. Lisa Miller. The awakened brain. Random House, 2021 . Présentation : https://vivreetesperer.com/the-awakened-brain/
  2. Lisa Miller. The spiritual child. The new science on parenting for health and lifelong thriving. St Martin’s Press, 2015. 374p
  3. David Hay. Something there. The biology of the human spirit. Longman, Darton and Todd, 2006. Présentation : « La vie spirituelle comme une conscience relationnelle. Une recherche de David Hay sur la spiritualité d’aujourd’hui » : https://www.temoins.com/la-vie-spirituelle-comme-une-l-conscience-relationnelle-r/
  4. Rebecca Nye. Children’s spirituality. What it is and why it matters. Church House publishing, 2009. Ce livre a été traduit et publié en français : Rebecca Nye. La spiritualité de l’enfant Empreinte, 2015. Présentation : L’enfant. Un être spirituel : https://vivreetesperer.com/lenfant-un-etre-spirituel/

 

 

Comment entendre les principes de la vie cosmique pour entrer en harmonie

Diversité, essence et communion

Temoins présente un article de soeur Joan BrownSelon Sœur Joan Brown

 Nous vivons dans un univers en évolution, dans un monde vivant. Avons-nous conscience d’en faire partie ou bien nous en détachons-nous pour le dominer, pour nous replier sur nous ou pour nous en évader ? Si nous entendons les principes de la vie cosmique, les lois de la vie, alors nous participerons à la vie qui nous est donnée et nous pourrons vivre en harmonie. Comment comprendre le rapport entre diversité et unité ? Comment participer au grand mouvement d’interconnexion et de reliance  constamment à l’œuvre ? Comprendre le monde, c’est nous comprendre nous-mêmes. Nous comprendre, c’est comprendre le monde et y participer. C’est une vision où s’allie la science et la spiritualité.

Aujourd’hui, les menaces qui mettent en danger les équilibres du vivant sur notre planète engendrent une prise de conscience écologique. Cette prise de conscience n’appelle pas seulement une transformation majeure de la vie économique, un changement de la production et de la consommation, mais aussi, dans le même mouvement, une transformation de notre genre de vie (1). Et donc, ce qui nous est demandé, c’est une nouvelle manière d’envisager la vie dans son essence même.

Dans l’Occident chrétien, à partir de la renaissance, en phase avec une certaine conception de Dieu, la nature a été soumise à une gouvernance autoritaire (2). Si, dans le même temps, le matérialisme s’est répandu, face à ces errements, à la fin du XXè siècle, des théologiens se sont dressés et nous ont proposé une nouvelle vision de Dieu et du monde. Ainsi, en 1985, Jürgen Moltmann, déjà reconnu comme le théologien de l’espérance, publie un livre : « Dieu dans la création » , qui porte déjà comme sous-titre, « Traité écologique de la création ». (3). Aux Etats-Unis, Thomas Berry (4), prêtre catholique engagé dans une intime compréhension des grandes cultures religieuses, de la Chine et l’Inde jusqu’aux traditions des peuples premiers, disciple de la pensée de Teilhard de Chardin, s’affirme comme un chercheur passionné à l’étude de la terre, comme un « écothéologien ». Un peu plus tard, en 2015, paraît « Laudato Si’ », la lettre encyclique du Pape François sur la sauvegarde de la maison commune (5).

La sœur franciscaine, Joan Brown (6), participe à l’inspiration de Thomas Berry et collabore avec Richard Rohr, fondateur et responsable du « Center for action and contemplation » à Albuquerque (New Mexico) (7). Elle participe à des mouvements alliant écologie et spiritualité comme les « sœurs de la terre » (« Sisters of earth ») (8). Dans l’Etat américain du Nouveau Mexique, elle anime et dirige un centre écologique et interconfessionnel : « New Mexico Interfaith Power and Light » (9). Le centre appuie les églises engagées dans la transformation écologique et participe à des actions environnementales. Dans le cadre d’un cycle de méditations : « Unité et diversité » publié du 2 au 8 juin dans le cadre des méditations quotidiennes diffusées par le « Center for action and contemplation », Joan Brown a écrit une contribution : « Diversité, essence et communion » (10).

Diversité, essence et communion

« Nous tous qui vivons, respirons et marchons sur cette Mère Terre, magnifique et sainte, nous tous, sommes appelés à comprendre les principes inhérents à l’énergie interdépendante et dynamique qui vibre dans chaque élément de la vie ».

Joan Brown distingue en effet trois mouvements qui ont émergé dès la première apparition de la vie, il y a 13,8 milliards d’années.

Ces mouvements, ces Ă©nergies, ces principes sont :

« la différenciation ou la diversité

La subjectivité, l’intériorité ou l’essence

La communion, la communauté et l’interconnexion ».

« Comprendre ces principes d’action est essentiel dans les temps critiques où  nous vivons, là où la diversité engendre des conflits, où la vie se déroule à un niveau souvent superficiel et où l’individualisme est rampant ». Ainsi, Joan Brown nous décrit ses principes d’action.

D’abord, chacun de nous – chaque ĂŞtre humain, chaque goutte d’eau, chaque molĂ©cule, chaque oiseau, chaque grain de sable, chaque montagne –  est distinct ou diffĂ©rent. Chacun, chacune est une manifestation distincte de l’énergie du Divin Amour. L’univers prospère et ne peut exister sans cette diversitĂ©. Ces diffĂ©rences mĂŞme que nous Ă©vitons ou mĂŞme dĂ©truisons, sont nĂ©cessaires Ă  la vie  pour qu’elle se poursuive dans une multitude de formes magnifiques.

Joan Brown exprime ensuite un second principe cosmique, « plus facilement accessible aux gens de toute tradition religieuse ». Ce principe, c’est « l’intériorité ou l’essence ». Chaque créature est sainte. Chaque brin d’herbe, chaque sauterelle, chaque enfant est saint. La dégradation écologique, le racisme, la discrimination, la haine, le manque d’intérêt pour œuvrer en faveur de la justice et de l’amour, tout cela évoque un manque de respect, une incapacité d’honorer ce qui se tient devant moi… Pour aider les gens à gérer le changement climatique et à s’y adapter, ce qui est le sujet le plus critique de notre époque, je crois que nous devons nous mettre en contact avec l’essence sacrée de chaque chose qui existe, de chaque existence.

Le troisième principe cosmique est assez évident. « La communion ou la communauté est intimement liée à  la diversité/différenciation et à l’intériorité/essence. Joan Brown évoque une citation attribuée à un moine bouddhiste, Thich Nhat Hanh : «  Nous sommes ici pour nous éveiller, sortir de l’illusion de la séparation ». « La force gravitationnelle de l’amour entraine chaque être vivant et chaque chose à entrer en relation et en communion ».

Nous avons besoin d’une prise de conscience. « Si nous ne pouvons pas aimer notre prochain comme nous-même, c’est parce que nous ne nous représentons pas notre prochain comme nous-même », écrit Béatrice Bruteau, elle aussi « écospirituelle ». « Si nous sommes incapables de voir que nous sommes en communion avec l’autre, nous ne réaliserons pas que ce que nous faisons à nous-même, nous le faisons à l’autre et à la terre. De même, nous ne réalisons pas qu’en fin de compte, notre manque de compréhension se retourne contre nous en violence, que ce soit la peur des autres races et de la diversité ou la destruction de la terre parce que nous voyons le monde naturel comme un objet plutôt que comme un sujet avec une intériorité ».

C’est un appel à voir plus profond , plus grand. « Nous sommes appelé à être plus grand que ce que nous pouvons imaginer être en ce moment. Les principes cosmiques sont une nouvelle manière de comprendre, de voir et d’agir dans un monde qui parait déchiré par une mécompréhension de la beauté de la diversité, de la sainteté de l’essence et de la force évolutionnaire de la communion ».

 Nous ne attarderons pas sur l’arrière plan dans lequel nous voyons cette réflexion : la création en marche « souffrant des douleurs de l’enfantement »  (Rom 8.22) et la dynamique victorieuse de la libération divine en Christ ressuscité. Comme l’écrit Jürgen Moltmann, « le Christ ressuscité est le Christ cosmique. Il est présent en toutes choses. Finalement, il est aussi celui qui vient et qui remplira le ciel et le terre de sa justice ».

La nouvelle spiritualité de la terre éveille une « humilité cosmique ». Elle suscite également un amour cosmique tel que le staretz Sosima l’exprime dans le roman de Dostoevski : « les frères Karamazov » : « Aime toute la création, l’ensemble et chaque petit grain de sable. Aime les animaux, les plantes, chaque petite chose. Si tu aimes chaque petite chose, alors le mystère de Dieu en elle, te sera révélé. Une fois qu’il t’est révélé, alors tu le percevras de plus en plus chaque jour. Et, à la fin, tu aimeras l’univers entier d’un amour sans limites » (11)

Dans ce contexte, combien le regard de Joan Brown nous éclaire et nous apporte une manière nouvelle, une manière constructive de comprendre, de voir et d’agir dans ce monde.

J H

  1. « Vers une économie symbiotique » : https://vivreetesperer.com/vers-une-economie-symbiotique/
  2. « Vivre en harmonie avec la nature » : https://vivreetesperer.com/vivre-en-harmonie-avec-la-nature/
  3. Jürgen Moltmann. Dieu dans la création. Traité écologique de la création. Cerf, 1988 Voir aussi : « Dieu dans la création » : https://lire-moltmann.com/dieu-dans-la-creation/
  4. Vie et œuvre de Thomas Berry : https://en.wikipedia.org/wiki/Thomas_Berry http://encyclopedie.homovivens.org/documents/thomas_berry
  5. « Convergences théologiques : Jean Bastaire, Jürgen Moltmann, Pape François et Edgar Morin » : https://vivreetesperer.com/convergences-ecologiques-jean-bastaire-jurgen-moltmann-pape-francois-et-edgar-morin/
  6. Sister Joan Brown : https://www.globalsistersreport.org/authors/joan-brown
  7. Center for action and contemplation : https://cac.org/about-cac/
  8. Sisters of the earth : https://www.sisters-of-earth.net
  9. New Mexico Interfaith Power and Light : https://www.nm-ipl.org
  10. « Diversity, Essence and communion » : https://cac.org/diversity-essence-and-communion-2019-06-07/
  11. Jürgen Moltmann. The living God and the fullness of life.World council of churches, 2016 « In the fellowship of the earth » p 80-85 https://vivreetesperer.com/le-dieu-vivant-et-la-plenitude-de-vie-2/

 

Voir aussi sur ce blog :

La danse divine (The Divine Dance) par Richard Rohr :  https://vivreetesperer.com/la-danse-divine-the-divine-dance-par-richard-rohr/

Face à la violence, l’entraide, puissance de vie dans la et dans l’humanité : https://vivreetesperer.com/face-a-la-violence-lentraide-puissance-de-vie-dans-la-nature-et-dans-lhumanite/

L’homme, la nature et Dieu. Tous interconnectés dans une communauté de la création : https://vivreetesperer.com/lhomme-la-nature-et-dieu/

Comment nos pensées influencent la réalité

 

 

« Pour une approche intégrale de la conscience » : conférence de Mario Beauregard au colloque de l’UIP : « Sciences et connaissances »

 

         Notre existence, la conscience que nous en avons, se fondent sur notre pensée. C’est dire l’importance des questions que nous pouvons nous poser sur les rapports entre nos pensées et notre être corporel. De même, c’est par la pensée que nous  participons au monde et pouvons accéder à ce qui nous dépasse. Dans un texte concernant les expériences spirituelles publié sur ce blog (1), nous nous référions au livre d’un chercheur en neurosciences, Mario Beauregard : « Du cerveau à Dieu. Plaidoyer d’un neuroscientifique pour l’existence de l’âme » (2). Par la suite, nous avons découvert un nouveau livre de ce même chercheur : « Brain wars. The scientific battle over the existence of the mind and the proof that will change our life » (3). A partir de travaux scientifiques, l’auteur y réfute les thèses matérialistes. Non, la conscience n’est pas le produit du cerveau et destinée à disparaître avec lui. Non elle ne dépend pas entièrement des mécanismes physiologiques, ainsi soumises aux seules lois de la matière. Non, la conscience humaine n’est pas qu’un épiphénomène, une forme passagère juste là en attendant de disparaître. Au contraire, l’esprit humain apparaît comme une réalité spécifique. Des recherches convergentes montrent l’influence de nos pensées sur nous-même et sur le monde extérieur. Nous avons présenté une mise en perspective de cet ouvrage sur le site de Témoins. Aujourd’hui, ce livre a été traduit en français sous le titre : « Les pouvoirs de la conscience. Comment nos pensées influencent la réalité » (4).

 

En janvier 2016, Mario Beauregard est intervenu dans le cadre du colloque organisé  par l’Université interdisciplinaire de Paris (5) ayant pour thème « Sciences et connaissances. De la matière à l’esprit ». L’Université interdisciplinaire de Paris vient de mettre en ligne sur YouTube l’ensemble des contributions des intervenants. Dans son intervention, Mario Beauregard nous présente « une approche intégrale de la conscience » (6). Il nous fait part d’abord du plan de son exposé. « Je voudrais parler dans un premier temps de ce qu’on appelle le matérialisme scientifique qui est devenu très influent dans les disciplines scientifiques et qui joue un rôle important dans les neurosciences jusqu’à présent ». Mario Beauregard montre là comment cette idéologie s’est formée et quelles sont ses conséquences. Il nous parle ensuite des recherches qu’il a réalisées à partir d’une série d’études d’imagerie cérébrale. « Ces études montrent que, contrairement à ce que certaines théories matérialistes veulent nous faire croire, l’esprit humain a une grande capacité d’influence au niveau cérébral. L’esprit humain a une grande capacité d’influence au niveau du corps, du cerveau et de tous les systèmes physiologiques qui sont connectés. Il a aussi une influence énorme à l’extérieur des limites du corps. C’est le concept appelé « l’esprit non local ». Je vais vous présenter certaines études à ce sujet. Je vais terminer en vous parlant de ce qui est en train d’émerger, à partir des études qui vous sont présentées, un nouveau paradigme qu’on a appelé un paradigme post matérialiste ». Avant de commencer son exposé, Mario Beauregard donne également quelques définitions préalables que nous retiendrons ici : « Quand je fais référence à l’esprit, c’est la traduction du terme anglais : « mind ». C’est l’ensemble des processus mentaux, qu’ils soient conscients ou non, par exemple la mémoire, la perception, les émotions, la pensée. Lorsque je fais référence à la conscience, c’est la faculté mentale qui permet d’appréhender ce qui se passe soit en relation avec le monde extérieur, soit avec ce qui se passe intérieurement sur le plan mental, par exemple la pensée, les émotions. Cela inclut aussi la conscience de soi ». A la fin de sa conférence, Mario Beauregard donne quelques références sur les évolutions en cours concernant le paradigme post matérialiste, mais pour une approfondissement complémentaire concernant l’ensemble de son exposé, il renvoie aux deux livres que nous avons évoqués. On trouvera donc maintenant une reprise du texte mettant en perspective l’apport de son livre : « Brain wars », déjà publié sur le site de Témoins.

 

 

Brain Wars. Face à une idéologie matérialiste, les pouvoirs de la conscience

Dans le livre : « Brain wars », par delà la description du conflit entre des conceptions scientifiques opposées, Mario Beauregard nous apporte des données convergentes qui montrent l’apparition et le développement d’un nouveau paradigme dans lequel l’esprit humain apparaît comme une réalité spécifique : « L’esprit n’a pas de masse, de volume ou de forme et il ne peut être mesuré dans l’espace et dans le temps, mais il est aussi réel que les neurones des neurotransmetteurs et les jonctions synaptiques. Il est aussi très puissant » (p 5).

Mario Beauregard trace une rétrospective des travaux réalisés dans ce champ d’étude. Il critique les postulats méthodologiques de l’approche matérialiste, notamment l’application des principes de la physique classique à ce domaine. Les théories jusque là dominantes ne peuvent expliquer « pourquoi et comment des expériences intérieures subjectives telle que l’amour ou des expériences spirituelles se développent à partir de processus physiques dans le cerveau » (p15). Le livre met en évidence une nouvelle manière de comprendre les rapports entre l’esprit et le corps à partir des données émergentes résultant des recherches menées dans des champs nouvellement explorés comme : l’effet placebo/nocebo, le contrôle cérébral, la neuro plasticité, la connexion psychosomatique, l’hypnose, la télépathie, les expériences aux frontières de la mort, les expériences mystiques. En prenant en compte la vision nouvelle que la mécanique quantique nous propose pour la compréhension de la réalité, Mario Beauregard inscrit les recherches sur les rapports entre le cerveau et l’esprit dans un nouveau paradigme. « Dans l’univers quantique, il n’y a plus de séparation radicale entre le monde mental et le monde physique » (p 207). Désormais, la conscience apparaît comme une réalité motrice. En exergue de son chapitre de  conclusion, l’auteur propose une citation du physicien et astronome, James Jeans : « L’univers commence à ressembler davantage à une grande pensée qu’à une grande machine ».

Ce nouveau paradigme ne nous apporte pas seulement une compréhension nouvelle, il a des conséquences pratiques pour notre vie. Désormais, nous pouvons exercer une influence positive sur notre santé et sur nos comportements, mais nous sommes appelés en même temps « à cultiver des valeurs positives comme la compassion, le respect et la paix » (p 214). A travers la description des expériences aux frontières de la mort et des expériences mystiques, nous apprenons aussi l’existence d’une réalité supérieure empreinte d’amour et de paix. Ce regard  nouveau appelle une vision spirituelle. Quand le mental et la conscience s’unifient, « nous sommes à nouveau connectés à nous-même, aux autres, à notre planète et à l’univers » (p 214). Cette mise en évidence de la conscience est un phénomène qui va entraîner des transformations profondes dans le monde.

 

Des champs nouveaux oĂą la conscience Ă©merge.

Les chapitres du livre nous présentent successivement des champs d’étude où la conscience apparaît désormais comme une réalité majeure. En voici quelques exemples.

 

Placebo/nocebo.

La croyance a le pouvoir de guérir ou de tuer. C’est l’effet placebo/ nocebo. L’auteur nous apporte un exemple particulièrement évocateur : un patient en train de mourir d’un cancer très avancé, apprenant l’apparition d’un nouveau médicament, le réclame et, après l’injection, connaît une guérison spectaculaire. Deux mois après, il apprend, en lisant un journal, que ce médicament a été jugé inefficace. Il rechute. Le médecin adopte un stratagème. En lui affirmant que son information est inexacte, il lui injecte de l’eau distillée. Et, à nouveau, les effets sont étonnants puisque très rapidement, la tumeur disparaît. Hélas, lisant à nouveau dans la presse la confirmation de l’inefficacité de ce médicament, il est réadmis à l’hôpital et meurt au bout de deux jours.

L’auteur ne mentionne pas seulement des cas surprenants, mais bien établis. Il nous fait part également de nombreuses recherches. Des traitements fictifs et même des opérations fictives remportent de grands succès lorsque les patients croient à leur efficacité. Mais on a vu que des croyances négatives ont parallèlement des effets néfastes. Ainsi, « À travers nos croyances, nous détenons une puissance de vie et de mort entre nos mains… La science a démontré, mainte et mainte fois, que ce que nous croyons influence significativement notre expérience de la souffrance, la réussite d’une opération, même l’issue d’une maladie. Nos attentes peuvent inciter nos corps à effectuer un travail de régulation de nos conditions physiques et émotionnelles » (p 40).

 

Neurofeedback

Plusieurs chapitres très documentés font le point sur l’influence considérable de la pensée sur les processus corporels.

Par exemple, le « neurofeedback » permet aux individus de changer certains aspects de leur fonctionnement physique et d’améliorer leur santé en traitant les informations qui leur sont fournies en temps réels sur les réponses de leur corps (comme le rythme cardiaque ou la tension musculaire). Le « neurofeedback » introduit des changements dans le fonctionnement du cerveau et peut aussi améliorer les fonctions cognitives, réduire l’anxiété et accroître le bien-être émotionnel.

 

Neuroplasticité

Bien plus, on découvre aujourd’hui les effets d’une pensée méthodiquement conduite et entraînée sur l’organisation et le fonctionnement du cerveau. Cette découverte de la « neuroplasticité » est relativement récente. Elle est apparue au cours des dernières décennies. Auparavant, les neuroscientifiques croyaient que le cerveau était figé dans son état initial parce qu’ils le concevaient comme une machine non évolutive. On sait maintenant qu’il n’en est rien. « La recherche a montré que nous pouvons intentionnellement éduquer notre mental à travers des pratiques méditatives et accroître ainsi l’activité de régions et de circuits de nos cerveaux non seulement dans le domaine de la concentration et de l’attention, mais aussi dans le domaine de l’empathie, de la compassion et du bien être émotionnel. De tels exercices peuvent même modifier la structure physique du cerveau ». A cet égard de nombreuses recherches ont été effectuées sur les effets de la méditation de moines bouddhistes et aussi de religieuses carmélites. Ces recherches mettent en évidence un effet majeur sur le fonctionnement et la structure du cerveau. L’auteur cite le Dalaï Lama : « Le cerveau que nous développons, reflète la vie que  nous menons ». Bien évidemment, cette remarque est de portée générale.

 

Psychosomatique

Dans la même perspective, Mario Beauregard traite de « la connexion entre le corps et l’esprit » qui est le fondement de la médecine psychosomatique. Cette médecine, bien qu’encore trop peu considérée, est aujourd’hui bien connue. Il y a quelques années, Thierry Janssen, dans son livre : « La solution intérieure » (7) mettait à nouveau cette approche en valeur dans une enquête à l’échelle internationale sur la manière d’envisager les rapports entre l’esprit et le corps. L’auteur apporte ici un ensemble de données qui permettent de mieux comprendre les processus correspondants.

 

Hypnose

Et dans le chapitre suivant, il traite de l’hypnose à partir des recherches qui ont été effectuées sur ce phénomène. Il en explore les effets bénéfiques sur le plan médical. L’auteur voit dans l’hypnose une situation qui permet l’expression d’une force intérieure « En fait, nous ne sommes pas contrôlés par la suggestion hypnotique. Plutôt, l’hypnose peut nous aider à laisser tomber les barrières qui nous empêchent d’utiliser des capacités latentes en nous » (p 132).

 

Communication extrasensorielle.

Mario Beauregard confirme la réalité des phénomènes psychiques dans lesquels la réalité est appréhendée au delà de l’espace et du temps. Et comme dans la plupart de ses chapitres, il commence son exposé en nous proposant des études de cas. Et ici, il s’agit des performances d’un jeune homme recruté par les services de renseignement américains, qui, à distance, a perçu des situations et fourni des informations dont on a pu vérifier la réalité.

La recherche dans le domaine de la perception extrasensorielle prouve que nous pouvons recevoir de l’information à travers l’espace et le temps sans utiliser nos sens ordinaires. L’Esprit peut également influencer à distance de la matière et des organismes vivants. Ainsi, si aucune théorie ne permet aujourd’hui d’expliquer cette catégorie de phénomènes, il y a désormais un grand nombre de données expérimentales à ce sujet. L’auteur fait appel à la physique quantique pour apporter un début d’éclairage : « La physique classique décrit l’univers comme un ensemble d’éléments isolés les uns des autres.Mais la physique quantique a montré que l’univers est fondamentalement « non local » : les particules et les objets physiques qui paraissent être isolés et séparés sont en fait profondément interconnectés indépendamment de la distance » (p 154). Mais cette explication est insuffisante, car elle ne prend pas en compte les aspects psychologiques. En fait, « les phénomènes psy ont de profondes implications pour notre compréhension du rôle de l’esprit et de la conscience dans l’univers. Ces phénomènes suggèrent que l’esprit joue un rôle fondamental dans la nature et que la psyché et le monde physique ne sont pas radicalement séparés » (p 155).

 

Expériences aux frontières de la mort.

Le phénomène des « near-death experiences » (NDR), en français désigné sous le terme : « les expériences de mort imminente » (EMI), est aujourd’hui connu par un vaste public, car il a fait l’objet, depuis plusieurs décennies, d’une abondante littérature. Très tôt, avec la parution du livre du psychiatre américain, Raymond Moody : « La vie après la vie » (8), des exemples impressionnants et vraisemblables nous ont été apportés. Aujourd’hui, la recherche à ce sujet se fait de plus en plus rigoureuses, comme en témoigne la parution récente du livre d’un chirurgien néerlandais : Pim Van Lommel : « Consciousness beyond life. The science of near-death expériences » (9) qui rend compte de recherches scientifiques dont celles menées par l’auteur. Nous n’aborderons pas ici dans le détail les phénomènes correspondants. Voici quelques conclusions de Mario Beauregard au sujet de cet horizon nouveau qui s’offre à nous aujourd’hui : « Les études scientifiques sur les « near-death experiences » réalisées au cours des dernières décennies indiquent que les fonctions mentales les plus élevées peuvent être opérantes indépendamment du corps à un moment où l’activité du cerveau est gravement endommagée ou apparemment absente (lors d’un arrêt cardiaque). Quelques unes de ces études montrent que des gens aveugles peuvent avoir des perceptions véridiques au cours d’une expérience de sortie du corps. Les études sur les expériences aux frontières de la mort suggèrent qu’après la mort physique, l’esprit et la conscience continuent à un niveau transcendant de la réalité… Ce phénomène est incompatible avec la croyance de beaucoup de matérialiste selon laquelle le monde matériel serait l’unique réalité » (p 181-182). Le contenu de ces expériences n’est pas moins important puisqu’il véhicule généralement amour et paix.

 

Expériences mystiques.

Le dernier chapitre du livre porte sur les expériences mystiques. Elles sont caractérisées par une expansion de la conscience bien au delà des limites habituelles de nos corps et de nos égos, et au delà du concept quotidien de l’espace et du temps » (p 185). D’après le philosophe britannique, Walter Stace, ces expériences ont pour traits communs « la perception d’être un à l’infini, une vie sans faille, englober toute chose, des sentiments de paix, le bonheur et la joie, l’impression d’avoir touché au fondement ultime de la réalité (quelque fois identifié avec Dieu) et une transcendance de l’espace et du temps » (p 185). Les expériences mystiques peuvent être extraverties ou intraverties. Dans le premier cas, les réalités terrestres continuent à être perçues à travers les sens physiques, mais elles sont alors transfigurées par une conscience de l’unité qui brille à travers elles. Dans les formes extraverties, le « petit soi » ordinaire s’évanouit momentanément et revient transformé. « Il y a une union temporaire avec le tout, un sentiment d’unité avec toutes choses dans l’univers, la découverte que le fondement de l’être est à l’origine de la vie. On a pu parler à ce sujet de conscience cosmique » (p186). Dans la même perspective, le livre récemment publié par David Hay : « Something there » rapporte une collecte d’expériences mystiques intervenues dans la quotidien telle qu’elle a été initiée par Alister Hardy, un autre chercheur britannique. Il a travaillé à partir de là sur le concept de spiritualité (10).

Mario Beauregard met en évidence la diversité des cadres et des situations dans lesquelles ces expériences peuvent survenir. Elles peuvent se produire en rapport ave une absorption de drogues. « Je suis d’accord avec Henri Bergson et Aldous Huxley que l’activité habituelle du cerveau joue un rôle de filtre qui, généralement, nous rend inconscient du fondement de l’être » (« Ground of being »). Les barrières seraient levées par certaines substances. Mais dans l’ensemble, le phénomène apparaît bien plus vaste et mystérieux. Chez ceux qui les ont vécues, les expériences mystiques produisent une transformation profonde dans leur vie ultérieure : un sens de la vie nouveau, un bien être psychologique. On a pu observer des changements analogues après certaines expériences aux frontières de la mort (11).

 

L’émergence d’une conscience nouvelle.

A la fin de son livre, dans sa conclusion, Mario Beauregard évoque « un grand changement dans la conscience » (« A great shift in consciousness »). En effet, à partir de champs d’étude différents, toutes ces recherches convergent dans la mise en évidence de la réalité et de la puissance de l’esprit humain et, au delà, de la réalité d’un univers spirituel qui nous dépasse infiniment : « Nos esprits peuvent être extrêmement puissants, bien plus puissants que nous pouvions l’imaginer il y a quelques décennies » (p 208). Ces facultés peuvent dépasser les contraintes habituelles à l’espace et au temps. Les expériences aux frontières de la mort mettent en évidence que l’esprit a une certaine autonomie par rapport à l’activité cérébrale. La composante mystique des expériences aux frontières de la mort montre qu’elles comportent un accès à de nouveaux univers de réalité, indépendamment du cerveau. Et, de même, les récits des expériences mystiques ouvrent nos yeux à une nouvelle vision de l’univers et de la place de l’être humain dans celui-ci. Pour interpréter ces données en termes scientifiques, Mario Beauregard fait appel aux apports de la physique quantique qui change notre perception de la réalité matérielle.

Son livre nous introduit dans un nouveau paradigme, une transformation révolutionnaire de notre représentation de l’être humaine et cette transformation intervient à partir de données scientifiques, qui, par delà les particularités sociales et culturelles, ont une portée universelle. Mario Beauregard, dans l’enthousiasme de cette découverte, proclame les aspects positifs de ce grand mouvement de la conscience. Il y voit une affirmation de la dignité de l’homme, une ouverture à des valeurs positives comme la compassion, le respect et la paix. Rejoignant la définition de la spiritualité qui nous est apportée par David Hay comme « une conscience relationnelle », Mario Beauregard nous dit que lorsque le mental, l’esprit et la conscience sont reconnus comme une réalité unifiée, « nous sommes connectés à nous-même, aux autres, à notre planète et à l’univers » (p 214).

 

Une esquisse de questionnement théologique.

La vision qui nous est présentée par Mario Beauregard  bouscule les thèses matérialistes qui remontent au XIXè siècle. Mais sa nouveauté radicale interpelle aussi tous ceux  qui réfléchissent à la place de l’être humain dans l’univers, philosophes, théologiens, mais aussi les chercheurs travaillant dans des champs scientifiques différents. Cette vision appelle une réflexion interdisciplinaire. Elle requiert également une recherche théologique. Nous situant dans une perspective chrétienne, voici quelques questions qui nous semblent appeler réflexion, en sachant, au départ, qu’en milieu chrétien, la réception de cette vision sera différente selon les mentalités. Les représentations nouvelles qui nous sont proposées par le livre de Mario Beauregard induisent de nombreux questionnements en rapport notamment avec la conception de l’homme, la manifestation du bien et du mal, la perception et la représentation de Dieu, la destinée humaine, la manière dont nous percevons le temps où nous vivons.

 

Le livre de Mario Beauregard met en valeur la dignité de l’homme. La personnalité de celui-ci n’est pas déterminée par des conditionnements biologiques. Non seulement, il a une part de liberté, mais les recherches mettent en valeur le potentiel considérable dont il dispose pour exercer une influence sur ces conditions de vie. L’esprit humain se voit reconnaître une capacité d’intervention jusque là inenvisageable, par exemple, dans certains cas, une communication qui peut s’exercer au delà des limites habituelles de notre corps. Au total, il y a là une mise en valeur de la puissance de l’esprit humain. Bien sûr, en contrepartie, la responsabilité humaine est alors davantage engagée. Car, si puissance il y a, il est d’autant plus nécessaire qu’elle s’exerce au service du bien. C’est dire que l’homme a besoin d’une inspiration bénéfique. Cependant, par delà cette interrogation, cette vision est susceptible de contrarier et d’inquiéter tous ceux qui portent sur l’homme un regard globalement négatif et pessimiste. Ainsi, dans le monde chrétien, elle se heurte à un courant de pensée enraciné dans une forme de pensée théologique qui met l’accent sur l’impact destructeur du péché originel et la corruption de la nature humaine qui en serait résultée. Cette tradition, apparue au début de la chrétienté s’est longtemps poursuivie en son sein. D’autre part, la représentation de Dieu intervient parallèlement. S’il est envisagé selon l’image des monarques dominateurs de l’Antiquité et non comme un Dieu trinitaire, communion d’amour qui appelle à la participation des êtres humains, alors on sera enclin à ne pas encourager le potentiel humain. Encore aujourd’hui, dans certains milieux, la puissance de Dieu paraît mieux valorisée si l’on pose en comparaison la faiblesse de l’homme. En regard, la représentation nouvelle de l’homme qui nous est communiquée par Mario Beauregard trouve un éclairage chez les théologiens qui mettent l’accent sur la création de l’homme par Dieu, « à son image et à sa ressemblance » (Genèse 1.26) et dans l’avènement décisif de la venue, de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ qui remporte la victoire sur la mort, induit un tournant décisif dans l’histoire de l’humanité et prépare l’avènement d’une création nouvelle dans laquelle Dieu sera « tout en tous ». Comme le montre Jürgen Moltmann dans son livre : « L’Esprit qui donne la vie » (12), Dieu est à la fois transcendant et immanent. L’Esprit de Dieu est à l’œuvre dans la création. L’homme s’inscrit dans cette création et est appelé à y participer.

 

Dans cette perspective, si le mal est encore bien actif dans ce monde, la dynamique de Dieu porte la vie. Et nous sommes appelés à y participer selon les capacités qui nous sont données et dont nous voyons, à travers ce livre, qu’elles dépassent ce qu’on imaginait jusqu’ici. Et d’autre part, « Dieu est le créateur des choses visibles et invisibles ». Nous sommes appelés à dépasser une opposition tranchée entre naturel et surnaturel. C’est-à-dire, en termes caricaturaux, ce qui relèverait de l’homme et ce qui relèverait de Dieu. La découverte de capacités nouvelles accessibles à l’homme ne s’oppose pas à la puissance de Dieu, mais elle en est le reflet et elle s’inscrit dans l’œuvre de l’Esprit. Si cette vision nouvelle va à l’encontre des interdits qui avaient pu s’installer dans une inquiétude allant de pair avec l’ignorance, elle appelle au contraire une participation accrue des chrétiens à l’œuvre de l’Esprit qui devraient trouver dans la conscience du potentiel humain, un encouragement pour manifester cette oeuvre avec force par exemple dans le domaine de la guérison.

 

D’autre part, les recherches dont Mario Beauregard dresse le bilan dans le domaine des expériences aux frontières de la mort, mais aussi dans le champ des expériences mystiques, nous apporte, à travers des données empiriques, une représentation du « divin » et une perception des rapports entre le « divin » et l’humain. Cet apport appelle un approfondissement de la réflexion théologique. L’histoire nous montre le parcours des représentations de Dieu à travers les siècles dans le monde chrétien. On peut y observer des contrastes et des évolutions. Jésus nous communique une vision de Dieu comme un Etre qui se révèle dans la tendresse de l’appellation : « Papa » et comme le Père miséricordieux qui accordent à tous les hommes les bienfaits de la création : le soleil et la pluie (Matthieu 5.45). A travers son ministère terrestre, sa mort et sa résurrection, Jésus-Christ remporte la victoire sur le mal et ouvre les portes d’un univers nouveau dans lequel Dieu sera « tout en tous ». Ces quelques notations ont simplement pour but d’évoquer la bonté et la puissance infinie de Dieu telles qu’on peut en trouver une approche chez certains théologiens. La vision du « divin », qui nous est communiquée par Mario Beauregard rejoint l’approche de ces théologiens. Les expériences du « divin » sont essentiellement des manifestations d’amour et de paix. Et elles sont accordées, sans discrimination, à des hommes et des femmes issus d’univers culturels et religieux très variés. Elles se manifestent ainsi comme un don de Dieu, en  terme de grâce selon le vocabulaire chrétien. C’est une réalité qui va à l’encontre de tout exclusivisme dans lequel certains voudraient attribuer aux chrétiens la propriété des œuvres du Saint Esprit et une emprise sur l’horizon du salut. Il n’est pas de notre compétence de rendre compte ici des orientations de la théologie contemporaine. On trouvera sur ce site les apports  plusieurs théologiens qui interviennent sur cette question : William Davies dans « Spirit without frontiers » (L’Esprit sans frontière) (13), Brian McLaren dans « Generous orthodoxy » (« Orthodoxie généreuse ») (14) et Jürgen Moltmann dans l’ensemble de son œuvre (15). David Hay, dans son livre : « Something there » (10) inscrit la démarche de sa recherche dans une perspective analogue : suivre attentivement la manière dont l’Esprit s’exprime aujourd’hui.

 

Certains peuvent s’interroger sur la spécificité chrétienne. Il nous paraît que les chrétiens sont appelés à accompagner les manifestations du « divin », de la « conscience cosmique », par une réflexion inspirée par la Parole Biblique qui permettra aux personnes concernées d’avancer dans l’interprétation de ce vécu. Un bel exemple nous en est donné par l’itinéraire de Wolfhart Pannenberg qui, incroyant à l’époque, a vécu dans sa jeunesse une expérience mystique. Celle-ci a suscité en lui une recherche qui a débouché sur une entrée dans la foi chrétienne et une œuvre de théologien qui apparaît comme particulièrement significative. Mais il y a aussi une manière de vivre ces expériences dans laquelle il y a immédiatement un rapport direct et réciproque entre le vécu et une foi chrétienne déjà présente. La foi est nourrie et éclairée par l’Esprit Saint tel qu’il se manifeste dans ces expériences. Celles-ci sont vécues dans une dimension personnalisée : une relation avec Jésus-Christ. Les exemples sont innombrables, et, proche de nous à Témoins, ce rapport entre l’expérience et la Parole s’exprime bien dans le vécu d’Odile Hassenforder tel qu’elle l’exprime dans le livre : « Sa présence dans ma vie » (16). Le récit de sa guérison, expérience fondatrice qui s’accompagne d’un vif ressenti de l’amour de Dieu, témoigne de la manière dont cette expérience illumine et éclaire sa compréhension de la Parole. « Dieu se manifestait à moi par l’amour qui m’envahissait. Je me suis sentie aimée au point où cet amour débordait de moi sur tous ceux que je rencontrais… J’avais demandé la vie. Je l’ai reçu en abondance, bien au delà de ce que je pouvais imaginer : la vie éternelle… Je suis née à la vie de l’Esprit, je suis entrée dans l’univers spirituel… « Le Royaume de Dieu » dit Jésus. Ce fut une révélation pour moi… La trinité devenait une réalité aussi naturelle qu’avoir des parents… Jésus, par sa mort et sa résurrection, m’a tirée de la mort où m’entraînait le mal, pour me donner la vie éternelle en me réconciliant avec le Père… J’avais soif d’en connaître davantage. Je lisais ma Bible, surtout le Nouveau Testament. Et assez curieusement, je comprenais des choses qui m’étaient jusque-là restées hermétiques… » (p 34).

Le livre de Mario Beauregard s’inscrit dans un contexte nouveau culturel et spirituel. Dans la recherche, particulièrement dans le domaine des sciences humaines, le choix d’un sujet d’investigation, l’attention qui lui est portée, la démarche suivie ne sont pas sans rapport avec des transformations plus générales dans les manières de voir et de sentir. Dans bien des domaines, il y a des pionniers qui se heurtent d’abord à l’incompréhension, et puis, à un moment, le climat change et la même problématique commence à déboucher. Parallèlement des recherches nouvelles ébranlent les anciennes certitudes et un  nouveau paradigme émerge. Dans un livre récent : « The future of faith » (17), le théologien américain Harvey Cox, rapportant le bilan de plusieurs décennies de recherche, évoque l’apparition d’un « âge de l’Esprit » où l’expérience a une place majeure. Sur le registre scientifique des neurosciences, la recherche de Mario Beauregard correspond et contribue à un changement dans notre conception du monde et notre regard sur la vie. Dans cette période de mutation culturelle où nous vivons, nous sommes appelés à discerner « les signes des temps » (18)

 

Jean Hassenforder

 

(1)            Sur le blog : Vivre et espérer : « les expériences spirituelles » :

https://vivreetesperer.com/?p=670

(2)            Beauregard (Mario), O’Leary (Denyse). Du cerveau à Dieu. Plaidoyer d’un neuroscientifique pour l’existence de l’âme. Guy Trédaniel, 2008. Mise en perspective sur le site de Témoins

(3)            Beauregard (Marion). Brain wars. The scientific battle over the existence of the mind and the proof that will change the way we live our lives. Harper Collins, 2012. Nous reprenons ici la mise en perspective de ce livre (« la dynamique de la conscience et de l’esprit humain ») réalisée pour le site de Témoins, actuellement (mars-avril 2016) en réfection, et en conséquence, non accessible. Ce texte renvoie aux pages de ce livre, depuis lors traduit en français. Sur ce blog, une présentation du livre de Mario Beauregard : « Potentiel de l’esprit humain et dynamique de la conscience » : https://vivreetesperer.com/?p=737

(4)            Beauregard (Mario). Les pouvoirs de la conscience. Comment nos pensées influencent la réalité. Interéditions Dunod, 2013

(5)            Fondée en 1995 sous l’impulsion de Jean Staune et de Jean-François Lambert, L’Université interdisciplinaire de Paris  (UIP) a joué un rôle pionnier dans le développement d’une vision du monde  prenant en compte  démarche scientifique et démarche de foi en organisant colloques et rencontres dans une perspective internationale et interdisciplinaire. Site : http://uip.edu  Jean Staune est l’auteur de deux best-sellers, « Les clés du futur » qui analyse les mutations de la société sous les angles, technologique, sociologique, scientifique et économique, et « Notre existence a-t-elle un sens ? » qui parcourt à la fois les sciences de l’univers, de la matière, de la vie, de la conscience pour analyser les implications philosophiques et métaphysiques des découvertes scientifiques contemporaines . Voir : http://www.jeanstaune.fr

(6)            « Pour une approche intégrale de la conscience » : intervention sur YouTube de Mario Beauregard, neurologue, chercheur à l’Université d’Arizona (USA) :

https://www.youtube.com/watch?v=t9czuewM0VM

(7)            Janssen (Thierry). La solution intérieure. Vers une nouvelle médecine du corps et de l’esprit. Fayard, 2006. Sur le site de Témoins : « Vers une nouvelle médecine du corps et de l’esprit. Guérir autrement ». http://www.temoins.com/developpement-personnel/vers-une-nouvelle-medecine-du-corps-et-de-l-esprit.guerir-autrement.html

(8)            Moody (Raymond). La vie après la vie. Laffont, 1977

(9)            Van Lommel (Pim). Consciousness beyond life. The science of near-death experiences. Harper Collins, 2010. Présentation sur le blog : Vivre et espérer : « les expériences spirituelles telles que les « near-death experiences ». https://vivreetesperer.com/?p=670

(10)      Hay (David). Something there. The biology of the human spirit. Darton, Longman, Todd, 2006. Sur le site de Témoins : « La vie spirituelle comme une « conscience relationnelle ». Une recherche de David Hay sur la spiritualité d’aujourd’hui ».

http://www.temoins.com/etudes/la-vie-spirituelle-comme-une-conscience-relationnelle-.-une-recherche-de-david-hay-sur-la-spiritualite-aujourd-hui./toutes-les-pages.html

(11)      « Les expériences spirituelles telles que les « near-death expériences ». Quels changements de représentations et de comportements ? »  Article sur le blog : Vivre et espérer.

https://vivreetesperer.com/?p=670

(12)      Moltmann (Jürgen). L’Esprit qui donne la vie. Cerf, 1999.  Présentation de la pensée théologique de Jürgen Moltmann sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie ».

http://www.lespritquidonnelavie.com/

(13)      Davies (William R). Spirit without mesure. Charismatic faith and practice. Darton, Longman and Todd, 1996. Sur le site de Témoins : « Une ouverture théologique pour le courant charismatique ».

http://www.temoins.com/reflexions/une-ouverture-theologique-pour-le-courant-charismatique/toutes-les-pages.html

(14)      Mc Laren (Brian D). Generous orthodoxy… Zondervan, 2004 : « Une théologie pour l’Eglise émergente. Qu’est ce qu’une orthodoxie généreuse ? »

http://www.temoins.com/etudes/une-theologie-pour-l-eglise-emergente.-qu-est-ce-qu-une-orthodoxie-genereuse/toutes-les-pages.html

(15)       Blog sur la pensée théologique de Jürgen Moltmann : « L’Esprit qui donne la vie »

http://www.lespritquidonnelavie.com/

(16)      Hassenforder (Odile). Sa présence dans ma vie. Empreinte, Temps présent, 2011. Des passages de ce livre ont fréquemment été présentés sur ce blog : Vivre et espérer

(17)      Cox (Harvey). The future of faith. Harper, 2009  Sur le site de Témoins : « Quel horizon pour la foi chrétienne ? « The future of faith » par Harvey Cox »

http://www.temoins.com/publications/quel-horizon-pour-la-foi-chretienne-the-future-of-faith-par-harvey-cox.html

(18)      Parole de Jésus sur les signes des temps : Matthieu 16.3. Sur le site de Témoins : «  Les signes des temps. Comprendre notre environnement culturel et pratiquer une théologie du quotidien »

http://www.temoins.com/culture/les-signes-des-temps.-comprendre-notre-environnement-culturel-et-pratiquer-une-theologie-du-quotidien.html