Face à la crise écologique, réaliser des transitions justes

Face à la crise écologique, réaliser des transitions justes

Une nouvelle pensée économique selon Eloi Laurent

Pour rĂ©aliser les transformations Ă©conomiques requises urgemment par la crise Ă©cologique, nous avons besoin de considĂ©rer l’économie sous un jour nouveau. C’est pourquoi Eloi Laurent nous propose un livre intitulé : « Économie pour le XXIe siĂšcle. Manuel des transitions justes » (1). Eloi Laurent est enseignant-chercheur Ă  l’OFCE/Sciences Po et Ă  Ponts Paris Tech et Ă  l’international ; il a enseignĂ© dans les universitĂ©s Harvard et Stanford. Il est donc bien placĂ© pour constater « la perplexitĂ© croissante des Ă©tudiants » vis-Ă -vis de l’enseignement d’une « économie aveugle Ă  l’écologie comme s’il s’agissait de deux mondes parallĂšles ».

« Économiste engagĂ© dans le dĂ©bat public, il jette ici un regard critique et constructif sur sa discipline ». « Ce manuel innovant propose une Ă©conomie pour le XXIe siĂšcle, qui intĂšgre dĂ©fis Ă©cologiques et enjeux sociaux : une Ă©conomie qui part de la biosphĂšre plutĂŽt que de la traiter comme une variable d’ajustement ; une Ă©conomie qui place au centre la crise des inĂ©galitĂ©s sociales plutĂŽt que l’obsession de la croissance ; une Ă©conomie organique en prise avec le vivant dont nous dĂ©pendons ; une Ă©conomie en dialogue avec les autres disciplines. En somme, une Ă©conomie mise au service des transitions justes qui ont pour but de prĂ©server notre planĂšte et nos libertĂ©s » (page de couverture).

Comme la prise de conscience Ă©cologique nous a appelĂ© Ă  Ă©tudier sur ce blog des pistes de transformation dans diffĂ©rents domaines, depuis l’économie (2) et la socio-politique (3) ou l’environnementalisme (4) jusqu’à la philosophie (5) et la spiritualitĂ© (6), cet ouvrage est particuliĂšrement bienvenu car il nous offre un chemin qui allie la prise en compte des effets mortifĂšres des inĂ©galitĂ©s et des politiques Ă©cologiques pour tracer le chemin de ‘transitions justes’.

Ce livre s’organise en deux grandes parties .« La premiĂšre partie prĂ©sente un cadre, une mĂ©thode et des outils pour insĂ©rer l’économie entre la rĂ©alitĂ© Ă©cologique et les principes de justice. La seconde partie applique cette approche social-Ă©cologique Ă  toutes les grandes questions de notre temps : la biodiversitĂ©, les Ă©cosystĂšmes, l’énergie, le climat, etc
 et donne Ă  voir tous les leviers d’action pour mener Ă  bien des transitions justes : Nations unies, Union europĂ©enne, gouvernement français, territoires, entreprises, communautĂ©s » (page de couverture). On se reportera Ă  ces diffĂ©rents champs d’étude. Nous introduirons ici le lecteur Ă  la maniĂšre dont Eloi Laurent prĂ©sente les attendus de la nouvelle Ă©conomie et l’approche sociale-Ă©cologique au cƓur de cette vision nouvelle

Ce que l’économie savait, ce qu’elle a oubliĂ©, ce qu’elle peut encore nous apprendre.

Pour rĂ©ussir la transition Ă©cologique, il serait bon de pouvoir Ă©clairer et guider les changements Ă©conomiques nĂ©cessaires par des savoirs Ă©conomiques. C’est lĂ  que l’auteur met en Ă©vidence le manque de pertinence des sciences Ă©conomiques actuelles. « L’économie standard s’est enfermĂ©e au cours des derniĂšres dĂ©cennies du siĂšcle prĂ©cĂ©dent dans une approche beaucoup trop Ă©troite de la coopĂ©ration sociale et du dĂ©veloppement humain, fixĂ©e sur des obsessions abstraites telle que l’efficacitĂ©, la rentabilitĂ© ou la croissance, qui la rendent trop inopĂ©rante aujourd’hui. Ce faisant, elle a mĂ©prisĂ© sa propre richesse, ignorĂ© son Ă©codiversitĂ©, et nĂ©gligĂ© de s’interroger sur les conditions de possibilitĂ© de l’activitĂ© Ă©conomique » (p 10).

Or, en remontant aux origines, puis dans l’histoire de l’économie politique, on dĂ©couvre que celle-ci a longtemps tenu grand compte des ressources naturelles et de l’environnement.

« Contrairement aux apparences contemporaines, il apparait que l’analyse Ă©conomique a dĂ©veloppĂ© trĂšs tĂŽt une double prĂ©occupation pour la justice et pour la question Ă©cologique et mĂȘme pour l’articulation de ces deux thĂ©matiques » (p 15). L’auteur remonte aux origines. L’économie a Ă©tĂ© inventĂ©e en GrĂšce, il y a 2500 ans par XĂ©nophon, propriĂ©taire administrant un domaine agricole, et par Aristote dans sa ‘Politique’. Chez Aristote, l’économie, c’est « la discipline de la sobriĂ©tĂ© au service des besoins essentiels. C’est donc une discipline qui concilie les besoins des humains avec les contraintes de leur environnement. Quand l’économie devient â€˜Ă©conomie politique’ Ă  l’époque moderne, les premiers « économistes font de la nature la source de la richesse et l’origine du pouvoir ». (p 15-16). C’est au XVIIIe siĂšcle qu’une pensĂ©e Ă©conomique Ă©merge Ă  nouveau. « Les premiers Ă©conomistes sont les physiocrates, un groupe de philosophes et de responsables politiques français. Ils ont Ă©tĂ© les premiers Ă  construire un modĂšle cohĂ©rent de reprĂ©sentation de l’économie oĂč les ressources naturelles jouaient un rĂŽle central. Les physiocrates nous aident Ă  comprendre le lien essentiel entre ressources naturelles, pouvoir politique et justice sociale. Cette analyse se prolonge avec les travaux de l’école classique anglaise » (p 16-19). L’auteur Ă©voque ici David Ricardo et John Stuart Mill. Alors qu’en 1848, la premiĂšre rĂ©volution industrielle atteint son pinacle, John Stuart Mill envisage un ralentissement de la croissance, un â€˜Ă©tat stationnaire’. « OĂč tendons nous ? A quel but dĂ©finitif la sociĂ©tĂ© marche-t-elle avec son progrĂšs industriel ?… Les Ă©conomistes n’ont pas manquĂ© de voir plus ou moins distinctement que l’accroissement de la richesse n’est pas illimité ; qu’à la fin de ce qu’on appelle l’état progressif se trouve l’état stationnaire  ». Et, dĂšs cette Ă©poque, il pressent et envisage la question Ă©cologique : « Si la terre doit perdre une grande partie de l’agrĂ©ment qu’elle doit aux objets, que dĂ©truirait l’accroissement continu de la richesse et de la population
 j’espĂšre sincĂšrement pour la postĂ©ritĂ© qu’elle se contentera de l’état stationnaire longtemps avant d’y ĂȘtre forcĂ©e par la nĂ©cessité ». Eloi Laurent commente ainsi : « La nature rĂ©volutionnaire du questionnement de John Stuart Mill sur les finalitĂ©s mĂȘmes de l’économie capitaliste libĂ©rale rĂ©side dans sa comprĂ©hension de l’impact profond que les sociĂ©tĂ©s humaines ont dĂ©jĂ , de son temps, sur la biosphĂšre ». D’une maniĂšre positive, John Stuart Mill prĂ©cise : « Ce ne sera que quand, avec de bonnes institutions, l’humanitĂ© sera guidĂ©e par une judicieuse prĂ©voyance, que les conquĂȘtes faites sur les forces de la nature par l’intelligence et l’énergie des explorateurs scientifiques deviendront la propriĂ©tĂ© commune de l’espĂšce et un moyen d’amĂ©liorer et d’élever le sort de tous » (p 41-42).

Eloi Laurent nous montre ensuite le tournant intervenu dans les sciences Ă©conomiques au XXe siĂšcle. D’aprĂšs Dani Rodrik, « l’économie serait diffĂ©rente des autres sciences sociales (et pour tout dire supĂ©rieure), du fait de sa maitrise des modĂšles, autrement dit de reprĂ©sentations simplifiĂ©es et opĂ©ratoires des comportements humains, lesquels permettraient d’identifier des relations causales. L’économie du XXe se serait ainsi progressivement singularisĂ©e par l’amĂ©lioration de ses techniques quantitatives, prenant appui sur la formalisation mathĂ©matique pour dĂ©velopper l’économĂ©trie, la thĂ©orie des jeux jusqu’à l’économie computationnelle et le big data d’aujourd’hui. En rĂ©alitĂ©, la question des instruments apparait secondaire dans l’émancipation de l’économie au XXe siĂšcle. La vĂ©ritable rupture n’est pas formelle mais substantielle : c’est la rupture avec la philosophie, l’éthique et la justice » (p 42). L’auteur rappelle que les enjeux de rĂ©partition et les principes de justice Ă©taient au cƓur de l’Ɠuvre des pĂšres fondateurs de ce qu’on a appelĂ© ‘l’économie politique’. Mais force est de constater que ces enjeux ont Ă©tĂ© marginalisĂ©s et finalement presque oblitĂ©rĂ©s dans les derniĂšres dĂ©cennies du XXe siĂšcle. Cet aveuglement progressif dans les travaux de l’école nĂ©oclassique a Ă©tĂ© aggravĂ© par la focalisation sur le court terme par l’approche keynĂ©sienne.

L’auteur met en Ă©vidence « la relĂ©gation de l’enjeu de la justice par rapport Ă  celui de l’efficacité » dans les publications en Ă©conomie Ă  partir de la fin du XIXe siĂšcle. Ce n’est qu’à partir des annĂ©es 2000 que « l’économie des inĂ©galitĂ©s a fait un retour remarqué ».

Eloi Laurent nous propose Ă©galement une histoire du dĂ©veloppement de l’économie de l’environnement Ă  partir du milieu du XIXe siĂšcle. Au dĂ©but des annĂ©es 1960, une Ă©conomie Ă©cologique Ă©merge comme une rĂ©ponse au dĂ©fi de la soutenabilitĂ© dĂ©jĂ  cristallisĂ© par la publication du rapport Brundtland publiĂ© dans le cadre d’une commission des Nations Unies en 1987, qui dĂ©finit pour la premiĂšre fois le ‘dĂ©veloppement soutenable’ (ou durable) comme « un mode de dĂ©veloppement qui rĂ©pond aux besoins des gĂ©nĂ©rations prĂ©sentes, sans compromettre la capacitĂ© des gĂ©nĂ©rations futures de rĂ©pondre aux leurs » (p 50).

Cependant, malgrĂ© les recherches sur l’économie de l’environnement pendant un siĂšcle et demi, cette discipline est encore nĂ©gligĂ©e dans le domaine de l’économie. « Dans leur grande majoritĂ©, les Ă©conomistes ignorent les questions environnementales, au double sens de l’inculture et de l’indiffĂ©rence » (p 50). Cette affirmation s’appuie sur un examen de la littĂ©rature Ă©conomique contemporaine. « Ce dĂ©sintĂ©rĂȘt est d’autant plus prĂ©judiciable que la transition Ă©cologique est dĂ©sormais un enjeu de sciences sociales : les sciences dures ont largement ƓuvrĂ© pour rĂ©vĂ©ler l’ampleur et l’urgence des crises Ă©cologiques ». Aujourd’hui, « ce sont les sciences sociales, dont l’économie, qui dĂ©tiennent la clĂ© des problĂšmes que les sciences dures ont rĂ©vĂ©lĂ©s » (p 56).

 

Une approche sociale-Ă©cologique

Pour des transitions justes.

Un constat s’impose aujourd’hui : les ravages provoquĂ©s par la montĂ©e croissante des inĂ©galitĂ©s. « Nos sociĂ©tĂ©s sont devenues de plus en plus inĂ©galitaires., fragmentĂ©es et polarisĂ©es au cours des quarante derniĂšres annĂ©es tandis que les dĂ©gradations environnementales s’accĂ©lĂ©raient pour atteindre des niveaux inĂ©dits. La crise des inĂ©galitĂ©s et les crises Ă©cologiques marchent du mĂȘme pas. Les 35 pays considĂ©rĂ©s comme les plus riches, qui ne reprĂ©sentent que 15% de la population mondiale sont ainsi responsables de75% de la consommation dĂ©mesurĂ©e des ressources naturelles depuis 1970. Et la moitiĂ© des Ă©missions de CO2 depuis 1990 est le fait de seulement 10% des humains » (p 8). « Nos systĂšmes sociaux – Ă  commencer par nos systĂšmes Ă©conomiques – sont devenus autodestructeurs et l’aviditĂ© d’une partie des humains est devenue prĂ©judiciable Ă  la poursuite de l’avenir de l’humanitĂ©. C’est pourquoi nous devons trouver un moyen d’inverser la spirale social-Ă©cologique vicieuse dans laquelle nous sommes pris » (p 9).

C’est dans cette perspective qu’Eloi Laurent met en Ă©vidence le rapport rĂ©ciproque entre les inĂ©galitĂ©s et les effets de la crise Ă©cologique.

« ° La non-transition Ă©cologique – c’est-Ă -dire la situation actuelle dans laquelle les crises Ă©cologiques s’aggravent sans trouver de rĂ©ponse adĂ©quate – est gĂ©nĂ©ratrice d’inĂ©galitĂ©s sociales qui touchent d’abord les plus dĂ©munis.

° La nĂ©cessaire rĂ©duction des inĂ©galitĂ©s sociales peut attĂ©nuer les crises Ă©cologiques et rĂ©ciproquement les politiques de transition Ă©cologique peuvent rĂ©duire les inĂ©galitĂ©s sociales et amĂ©liorer le bien-ĂȘtre des plus dĂ©munis.

° On peut concevoir des politiques social-Ă©cologiques qui, aujourd’hui, comme dans la durĂ©e, rĂ©duisent simultanĂ©ment les inĂ©galitĂ©s sociales et les dĂ©gradations environnementales » (p 100).

Eloi Laurent consacre un chapitre Ă  l’approche social-Ă©cologique (p 74-98). Il y aborde en premier les questions relatives Ă  la gestion des communs : « De la tragĂ©die des communs Ă  la gouvernance des communs ». Mal gouvernĂ©s, les communs peuvent dĂ©gĂ©nĂ©rer. C’est ainsi qu’en 1968, Garett Hardin Ă©voque ‘la tragĂ©die des communs’. L’image est celle de « bergers Ă©puisant le pĂąturage qu’ils partagent sans le possĂ©der, faute de s’en rĂ©partir Ă©quitablement l’usage ». Hardin propose comme remĂšde « soit de privatiser la ressource naturelle, soit d’instituer ‘une coercition rĂ©ciproque par acceptation mutuelle’, autrement dit de recourir Ă  un autoritĂ© centrale qui monopolisera le pouvoir de choisir et qui ressemble fort Ă  un gouvernement dictatorial » (p 75). Pendant les dĂ©cennies qui suivirent, l’article de Hardin « fut annexĂ© par une pensĂ©e nĂ©olibĂ©rale en plein essor qui en fait l’emblĂšme de sa lutte en faveur de la propriĂ©tĂ© exclusive comme seul outil rationnel de gestion des ressources » (p 75).

Cependant, si on a dĂ©crit deux solutions Ă  la ‘tragĂ©die des communs’ : la centralisation politique ou la privatisation, une troisiĂšme option apparait : « une rĂ©volution des communs dont Ostrom est le porte-Ă©tendard ». « Les travaux d’Ostrom et de ses nombreux coauteurs vont dĂ©montrer que les institutions qui permettent la prĂ©servation des ressources par la coopĂ©ration sont engendrĂ©es par les communautĂ©s humaines elles-mĂȘmes et pas par l’État, ni par le marchĂ©. Des centaines de gouvernances dĂ©centralisĂ©es Ă©vitent, partout dans le monde et depuis des millĂ©naires, la tragĂ©die des communs en permettant l’exploitation soutenable de toutes sortes de ressources : eau, forĂȘts, poissons, etc » (p 78). En exemple, le partage de l’eau depuis le dĂ©but de l’agriculture, il y a 10000 ans
 « Ces principes de gouvernement Ă©cologique Ă©manent des communautĂ©s humaines elles-mĂȘmes, pas d’une autoritĂ© extĂ©rieure ». Toutes les informations sont ainsi Ă  portĂ©e et nourrissent l’action. Quant Ă  elle, la privatisation engendre l’inĂ©galitĂ©.

« Dans ce cadre d’analyse, on voit clairement l’importance de la relation – horizontale, mais souvent nĂ©gligĂ©e – entre prĂ©servation naturelle et confiance. Ce n’est donc pas un hasard si Ostrom a aussi contribuĂ© de maniĂšre dĂ©cisive Ă  la littĂ©rature sur la confiance en lien avec la coopĂ©ration » (p 78). « Selon Ostrom, les individus qui coopĂšrent sont capables d’apprendre des autres ; Ils se souviennent des comportements de coopĂ©ration et plus gĂ©nĂ©ralement de la fiabilitĂ© des personnes auxquelles ils ont affaire ; ils utilisent leur mĂ©moire et d’autres indices
 pour Ă©valuer la fiabilitĂ© de leurs partenaires dans l’échange, avant de leur accorder leur confiance ; ils s’efforcent de se bĂątir une rĂ©putation de fiabilité  ils adoptent des horizons temporels qui excĂšdent le passĂ© immĂ©diat
 La coopĂ©ration est une quĂȘte de connaissances partagĂ©es » (p 79). Ainsi, « grĂące Ă  Ostrom, on sait maintenant que des institutions communes enracinĂ©es dans des principes de justice, mĂȘme rĂ©duites Ă  leur plus simple expression, favorisent les comportements coopĂ©ratifs. La thĂ©orie des communs d’Ostrom constitue donc la premiĂšre matrice de l’approche sociale-Ă©cologique » (p 80).

L’approche sociale-Ă©cologique considĂšre la relation rĂ©ciproque entre dynamique sociale et dynamique environnementale en se concentrant sur le caractĂšre imbriquĂ©e des deux crises qui caractĂ©risent le dĂ©but du XXIe siĂšcle. A cet Ă©gard, l’approche sociale-Ă©cologique fonctionne Ă  double sens : les inĂ©galitĂ©s sociales alimentent les crises Ă©cologiques tandis que les crises Ă©cologiques aggravent Ă  leur tour les inĂ©galitĂ©s sociales » (p 80).

« L‘impact social des crises Ă©cologiques n’est pas le mĂȘme pour les diffĂ©rents individus et groupes compte tenu de leur statut socio-Ă©conomique » (p 81). L’auteur Ă©tudie l’incidence des riches et des pauvres sur l’environnement. « Du cĂŽtĂ© des riches, le sociologue Thomas Veblen a montrĂ© dans sa ‘ThĂ©orie de la classe de loisir’ que le dĂ©sir de la classe moyenne d’imiter les modes de vie des classes les plus favorisĂ©es peut conduire Ă  une Ă©pidĂ©mie culturelle de dĂ©gradations environnementales ». C’est l’attrait d’une ‘consommation ostentatoire’. Dans un autre registre, Indira Gandhi faisait remarquer que dans les pays les plus dĂ©munis, « la pauvretĂ© conduit Ă  des dĂ©gradations environnementales du fait de l’urgence sociale ». La richesse des pays pauvres du monde rĂ©sidant d’abord dans les ressources naturelles, ils sont contraints Ă  y puiser excessivement. « L’éradication de la pauvretĂ© est donc souhaitable non seulement socialement, mais aussi sur le plan environnemental, Ă  condition qu’elle ne prenne pas la forme d’un rattrapage consumĂ©riste, mais s’inscrive dans une redĂ©finition de la richesse globale » (p 83). « Les inĂ©galitĂ©s augmentent le besoin d’une croissance Ă©conomique nĂ©faste pour l’environnement et socialement inutile
 Si l’accumulation de richesse dans un pays donnĂ© est accaparĂ©e par une petite fraction de la population, le reste de la population rĂ©clamera une croissance Ă©conomique supplĂ©mentaire pour que son niveau de vie ne stagne pas ». Et, dans l’état actuel des choses, ce surplus de croissance « se traduira par davantage de dĂ©gradations environnementales ».

Comment rĂ©duire les inĂ©galitĂ©s ? « Par dĂ©finition, il existe deux maniĂšres de les rĂ©duire: du bas vers le haut ou du haut vers le bas. RĂ©duire les niveaux des groupes des plus riches de la population mondiale (les 10% qui Ă©mettent un peu moins de la moitiĂ© du CO2 mondial, d’aprĂšs les analyses du GIEC en 2022) via une fiscalitĂ© adĂ©quate se traduira logiquement par d’importantes rĂ©ductions d’émission. De plus, les biens de ‘luxe’ engendrent beaucoup plus d’émissions de carbone que les biens de ‘nĂ©cessité’ (p 86).

Dans ce cadre, veiller Ă  une transition juste : « Dans l’Union europĂ©enne, alors que les Ă©missions par habitant ont baissĂ© en moyenne de l’ordre de 25% entre 1990 et 2013, les Ă©missions de 1% des plus riches ont augmentĂ© de 7% (principalement sous l’effet du transport aĂ©rien et, dans une moindre mesure, terrestre) tandis que celles des 50% des plus pauvres ont baissĂ© de 32%. Nous vivons donc une transition injuste dans le continent le plus avancĂ© dans l’attĂ©nuation de la crise climatique » (p 87).

De plus, « Les inĂ©galitĂ©s augmentent l’irresponsabilitĂ© Ă©cologique des plus riches Ă  l’intĂ©rieur de chaque pays et entre les nations ». On constate ainsi que le dommages environnementaux (activitĂ©s polluantes, dĂ©chets) sont souvent affectĂ©s aux zones pauvres. « Les inĂ©galitĂ©s, qui affectent la santĂ© des individus et des groupes, diminuent la rĂ©silience social-Ă©cologique des communautĂ©s et des sociĂ©tĂ©s, et affaiblissent leur capacitĂ© collective Ă  s’adapter Ă  l’accĂ©lĂ©ration du changement environnemental global ». « Un important corpus de recherches
 a confirmĂ© l’impact nĂ©gatif des inĂ©galitĂ©s sociales sur la santĂ© physique et mentale aux niveaux local et national (via le stress, la violence, un moindre accĂšs aux soins de santĂ© etc.) » (p 91). Selon Paul Farmer, l’inĂ©galitĂ© constitue un « flĂ©au moderne » sur le plan sanitaire aussi redoutable que les agents infectieux. De mĂȘme, la dynamique des inĂ©galitĂ©s sociales influe sur la rĂ©silience ou au contraire la vulnĂ©rabilitĂ© des populations exposĂ©es Ă  de grands chocs. Et de plus, « Les inĂ©galitĂ©s entravent l’action collective visant Ă  prĂ©server les ressources naturelles
 De nombreuses Ă©tudes ont montrĂ© comment l’inĂ©galitĂ© nuit Ă  la gestion durable des ressources communes car elle perturbe, dĂ©moralise et dĂ©sorganise le communautĂ©s humaines » (p 92). De mĂȘme, « les inĂ©galitĂ©s rĂ©duisent l’acceptabilitĂ© politique des prĂ©occupations environnementales et la possibilitĂ© de compenser les effets socialement rĂ©gressifs potentiels des politiques environnementales » (p 94).

 

Les horizons de la transition juste

« L’approche sociale-Ă©cologique, dont on vient de dĂ©tailler les deux facettes, trouve depuis quelques annĂ©es une traduction institutionnelle porteuse d’avenir dans l’idĂ©e de ‘transition juste’ qui monte en puissance dans le champ acadĂ©mique et dans la sphĂšre politique. Ainsi, lors de la Cop 26 (novembre 2021), plusieurs chefs dâ€˜Ă©tat et de gouvernement ont co-signĂ© une dĂ©claration sur « la transition internationale juste » (p 96). Eloi Laurent nous rapporte l’évolution de cette notion. « Elle est nĂ©e au dĂ©but des annĂ©es 1990 dans les milieux syndicalistes amĂ©ricains comme un projet social dĂ©fensif visant Ă  protĂ©ger les travailleurs des industries fossiles des consĂ©quences des politiques climatiques sur leurs emplois et leurs retraites ». Ce projet a trouvĂ© par la suite un Ă©cho dans d’autres contextes. « Dans cette perspective dĂ©fensive, ce sont les politiques de transition qu’il s’agit de rendre justes. Or l’amplification des chocs Ă©cologiques (inondations, sĂ©cheresses, pandĂ©mies, etc.), indĂ©pendamment des politiques d’attĂ©nuation qui seront mises en Ɠuvre pour y faire face, appelle une dĂ©finition plus large et plus positive de la transition juste. Cet Ă©largissement a Ă©tĂ© entamĂ© sous l’influence de la ConfĂ©dĂ©ration internationale des syndicats, puis de la confĂ©dĂ©ration europĂ©enne des syndicats, qui ont fait Ă©voluer la transition juste vers une tentative de conciliation de la lutte contre le dĂ©rĂšglement climatique et la rĂ©duction des inĂ©galitĂ©s sociales, autour du thĂšme des « emplois verts »  Eloi Laurent se rĂ©jouit de cette Ă©volution, mais appelle Ă  aller encore plus loin. « Il convient d’élargir encore le projet de transition juste en prĂ©cisant ses exigences et surtout en s’efforçant de la rendre opĂ©ratoire de maniĂšre dĂ©mocratique
 La transition juste ne doit plus seulement s’entendre comme un accompagnement social ou une compensation financiĂšre des politiques d’attĂ©nuation des crises Ă©cologiques, mais plus largement comme une stratĂ©gie de transition social-Ă©cologique intĂ©grĂ©e » (p 97).

Eloi Laurent formule en conclusion trois exigences:

1) analyser systĂ©matiquement les chocs Ă©cologiques et les politiques correspondantes, sous l’angle de la justice sociale


2) accorder la prioritĂ© dans les politiques de transition juste au bien-ĂȘtre humain dynamique Ă©clairĂ© par des enjeux de justice en vue de dĂ©passer l’horizon de la croissance Ă©conomique
 Ce dĂ©passement de la croissance Ă©conomique est en train de devenir un Ă©lĂ©ment de consensus dans la communautĂ© globale environnementale

3) construire ces politiques de transition juste de maniĂšre dĂ©mocratique en veillant Ă  la comprĂ©hension, Ă  l’adhĂ©sion et Ă  l’engagement des  citoyens  » (p 98).

Eloi Laurent présente ensuite la palette des transitions justes.

En Ă©conomiste ouvert Ă  un vaste horizon, Eloi Laurent nous apprend beaucoup sur la transition, un leitmotiv de notre Ă©poque. C’est ainsi que nous avons dĂ©couvert son approche dans un podcast du journal Le Monde : « Comment rendre la transition heureuse », une approche qui nous a paru particuliĂšrement ajustĂ©e (7). En prĂ©sentant ce livre : « Manuel des transitions justes », nous n’en rendons compte que d’une petite part, car cet ouvrage aborde toute une gamme de questions relatives Ă  la transition depuis : « la transition vers la prĂ©servation du monde vivant », « la transition vers la coopĂ©ration et le bien-ĂȘtre » jusqu’à la « transition vers la pleine santé ». Il nous apparait ainsi comme une piĂšce marquante d’un des quelques thĂšmes que nous abordons sur ce blog. Certes, son propos est dense, mais il est accessible et, manifestement, il aborde la question majeure de la transition Ă©cologique sous un angle qui nous parait Ă  la fois Ă©thique et rĂ©aliste, cette « transition juste » qui se dĂ©ploie dans une approche « social-Ă©cologique ».

J H

 

(1)  Eloi Laurent. Économie pour le XXIe siĂšcle. Manuel des transitions justes. La DĂ©couverte, 2023

(2) Sortir de l’obsession de l’efficience pour entrer dans un nouveau rapport avec la nature : https://vivreetesperer.com/sortir-de-lobsession-de-lefficience-pour-entrer-dans-un-nouveau-rapport-avec-la-nature/ Vers une civilisation Ă©cologique : https://vivreetesperer.com/vers-une-civilisation-ecologique/

Vers une économie symbiotique : https://vivreetesperer.com/vers-une-economie-symbiotique/

(3) Face à une accélération et à une chosification de la société : https://vivreetesperer.com/face-a-une-acceleration-et-a-une-chosification-de-la-societe/

Comment la puissance technologique n’engendre pas nĂ©cessairement le progrĂšs : https://vivreetesperer.com/comment-la-puissance-technologique-nengendre-pas-necessairement-le-progres/

(4) L’humanitĂ© peut-elle faire face au dĂ©rĂšglement des Ă©quilibres naturels ? : https://vivreetesperer.com/lhumanite-peut-elle-faire-face-au-dereglement-des-equilibres-naturels/

(5) Les lumiùres à l’ñge du vivant : https://vivreetesperer.com/des-lumieres-a-lage-du-vivant/

(6) Réenchanter notre relation au vivant : https://vivreetesperer.com/reenchanter-notre-relation-au-vivant/ Ecospiritualité : https://vivreetesperer.com/ecospiritualite/

(7) Comment rendre la transition heureuse ? le Monde. Eloi Laurent : https://podcasts.lemonde.fr/chaleur-humaine/202404090500-climat-comment-rendre-la-transition-heureuse

 

Comment la conscience de la divinité de Jésus est apparue

Comment la conscience de la divinité de Jésus est apparue

Comment la conscience de la divinité de Jésus est apparue, engendrant une nouvelle psyché humaine et le bouleversement du monothéisme traditionnel ?

« When did Jesus become God ?” par Ilia Delio

Dans notre monde en mutation, notre culture en pleine transformation, nous cherchons une nouvelle comprĂ©hension de notre Ă©tat religieux et spirituel qui prenne en compte ce bouleversement. Dans cette recherche, il est bon de conjuguer une rĂ©flexion thĂ©ologique et une compĂ©tence scientifique. Or, il y a bien des lieux oĂč cette recherche est en cours, entre autres au ‘The Center for Christogenesis’ (1) animĂ©, aux Etats-Unis par Ilia Delio (2), une sƓur franciscaine hautement diplĂŽmĂ©e et qualifiĂ©e dans le domaine de la biologie et des neurosciences et thĂ©ologienne notamment inspirĂ©e par Teilhard de Chardin. DĂ©livrĂ©e des arcanes d’un catholicisme traditionnel, elle travaille dans un espace irriguĂ© par une avancĂ©e scientifique et technologique spectaculaire et la conscience d’une transformation des mentalitĂ©s. Nous prĂ©sentons ici un des essais publiĂ© sur son site : « When did Jesus become God ? » (3). Dans d’autres textes, son approche des enseignements induits par la rĂ©volution scientifique et technologique en cours donne lieu Ă  controverse. Mais ici, sa rĂ©flexion thĂ©ologique, fondĂ©e sur une approche historique et psychologique Ă  partir du Nouveau Testament, nous parait Ă©clairante.  Elle nous montre comment la prise de conscience de la divinitĂ© de JĂ©sus dans les premiers temps va de pair avec la transformation de la psychĂ© humaine qui s’est rĂ©alisĂ©e Ă  l’époque. Cette analyse est une porte ouverte pour nous aider Ă  reconnaitre aujourd’hui le transcendant divin Ă  l’intĂ©rieur de nous : « recognize the transcendant divine ground within us ».

En avant-propos, Ilia Delio nous indique le sens de sa dĂ©marche : Dieu est un autre nom pour dĂ©signer la personne. La mutation chrĂ©tienne est le dĂ©veloppement de la personnalitĂ© dans la libertĂ© et l’amour ( « God is another name for personhood. The christian mutation is the development of personhood in freedom and love »).

 

L’Ă©mergence de la dĂ©votion envers JĂ©sus dans l’Église primitive.

 Ilia Delio commence par nous inviter Ă  mesurer combien la divinitĂ© de JĂ©sus n’était pas Ă©vidente au dĂ©part dans le groupe de ses premiers disciples. A ce sujet, elle cite une thĂ©ologienne australienne Anne Hunt : « Être chrĂ©tien avec la conviction de foi chrĂ©tienne que JĂ©sus est divin et que Dieu est trinitaire, tend Ă  voiler le caractĂšre profondĂ©ment rĂ©volutionnaire et radical qu’a reprĂ©sentĂ© le dĂ©veloppement de la conscience divine de JĂ©sus pour ses disciples. Comme ceux-ci, JĂ©sus Ă©tait juif. FidĂšles Ă  leur tradition, ils tenaient une notion monothĂ©iste exclusiviste de Dieu et de la dĂ©votion Ă  Dieu. Cependant leur expĂ©rience de JĂ©sus suscitait chez eux un changement vraiment incroyable dans leur conscience de Dieu et une rĂ©interprĂ©tation radicale de leur foi en un Dieu unique qui en viendrait Ă©ventuellement Ă  s’exprimer dans la doctrine chrĂ©tienne de la Trinité ».

Ilia Delio trouve qu’il y a lĂ  « un mouvement vraiment fascinant ». « Comment est-ce qu’une comprĂ©hension de Dieu entiĂšrement nouvelle a-t-elle Ă©mergĂ© dans la vie d’un jeune homme juif, du nom de JĂ©sus de Nazareth ? Les chercheurs s’accordent sur le fait que la mentalitĂ© religieuse des premiers chrĂ©tiens Ă©taient façonnĂ©e par la tradition juive et que les disciples cherchaient Ă  comprendre la signification de la vie de JĂ©sus dans la relation Ă  l’ancien Testament. La mort de JĂ©sus et l’expĂ©rience de la rĂ©surrection de JĂ©sus a conduit les disciples Ă  proclamer que JĂ©sus est Seigneur.

 

Quelle a Ă©tĂ© l’expĂ©rience psychologique transformante des premiers disciples ?

Ilia Delio fait appel Ă  la recherche d’un chercheur bĂ©nĂ©dictin Sebastian Moore qui a cherchĂ© Ă  dĂ©chiffrer l’expĂ©rience psychologique des premiers disciples.

« Ce qui comptait dans cette nouvelle expĂ©rience de la conscience de Dieu en la personne de JĂ©sus, c’était une conscience nouvelle qui ne pouvait reflĂ©ter plus longtemps un strict monothĂ©isme (un Dieu), mais une nouvelle comprĂ©hension de la puissance de Dieu, une puissance partagĂ©e exprimĂ©e dans une perspective binitarienne (le PĂšre et le Fils), qui Ă©ventuellement Ă©voluerait vers la doctrine de la Trinité ». Ilia Delio se rĂ©fĂšre ensuite Ă  un chercheur spĂ©cialisĂ© dans le Nouveau Testament tardif, Larry Hurtado : « Les premiers disciples ont vĂ©cu une mutation de conscience qui les a menĂ© Ă  chercher un fondement scripturaire pour la rĂ©volution chrĂ©tienne. Tandis que l’Ancien Testament utilise l‘imagerie d’un agencement divin tel qu’en Psaume 110.1 : « l’Éternel a dĂ©clarĂ© Ă  mon Seigneur : « Assieds-toi Ă  ma droite jusqu’à ce que j’ai fait de tes ennemis ton marchepied » et le Livre de Daniel 7.14 : « On lui donna la domination, la gloire et le rĂšgne et tous les peuples, les nations et langues le serviront  » et ainsi aussi les Ă©crits du Nouveau Testament tels que Romains 1.4 utilisent l’agencement divin pour dĂ©crire la divinitĂ© de Christ, « nĂ© de la postĂ©ritĂ© de David selon la chair et dĂ©clarĂ© Fils de Dieu avec puissance, selon l’Esprit de saintetĂ© par la rĂ©surrection d’entre les morts ». De mĂȘme, en Actes 2.36, la rĂ©surrection de JĂ©sus est conçue comme impliquant son exaltation Ă  une position cĂ©leste d’importance majeure dans le plan de rĂ©demption de Dieu. Essentiellement, comme Hurtado le souligne, JĂ©sus de Nazareth a Ă©tĂ© associĂ© Ă  l’agencement divin que Paul a hĂ©ritĂ© du premier cercle de chrĂ©tiens juifs palestiniens et qu’il a lui-mĂȘme Ă©laborĂ© partir de sa propre rĂ©flexion sur la signification de Christ ».

Le changement est apparu Ă©galement dans les modes de dĂ©votion. Selon Hurtado, « la dĂ©votion chrĂ©tienne prĂ©coce a constituĂ© une mutation significative dans le monothĂ©isme juif. Il y a eu lĂ  une Ă©mergence d’une association Ă©troite entre Dieu et JĂ©sus-Christ et d’un mode monothĂ©iste binitarien d’adoration et de priĂšre ». « Les disciples ont fait l’expĂ©rience d’une prĂ©sence Ă©nergĂ©tique nouvelle de Dieu en la personne de JĂ©sus. Et une nouvelle conscience religieuse de la puissance d’amour de Dieu a jailli en eux. La transition du JĂ©sus juif Ă  JĂ©sus- Christ, fils de Dieu, a fait irruption soudainement et rapidement et non graduellement et tardivement ». A partir de son origine, elle s’est rapidement Ă©tendue.

 

Une conscience nouvelle de la présence de Dieu

Ilia Delio nous parle ici en terme d’expĂ©rience spirituelle. « Si les disciples ont eu une conscience unique de JĂ©sus comme Dieu, c’est parce que JĂ©sus lui-mĂȘme a manifestĂ© une conscience nouvelle de la prĂ©sence de Dieu. Comme Carl Jung l’a notĂ©, JĂ©sus est parvenu Ă  un niveau supĂ©rieur, un niveau nouveau de la conscience de Dieu Ă  l’intĂ©rieur de lui-mĂȘme, rĂ©alisant un processus d’individuation et atteignant un niveau nouveau de libertĂ© et ainsi un nouveau sens de mission. Selon Jung, les religions monothĂ©istes ont Ă©vitĂ© la dimension psychique de le personnalitĂ© humaine, ce qui a conduit Ă  une conception rĂ©trĂ©cie de Dieu ». En ce sens, Ilia Delio pousuit : « Les chrĂ©tiens, en particulier, ont exclu la dimension psychique de la vie de JĂ©sus de toute considĂ©ration doctrinale, alors que c’est exactement ce qui distingue JĂ©sus de Nazareth, une conscience nouvelle de la prĂ©sence de Dieu qui l’a menĂ© Ă  ses actions radicales d’inclusivitĂ©, de guĂ©rison, de compassion et ultimement de sacrifice de soi.

L’expĂ©rience d’une nouvelle expĂ©rience immanente de Dieu est Ă  l’origine de la dĂ©votion Ă  JĂ©sus ». En suivant l’analyse de Sebastian Moore, Ilia Delio retrace trois Ă©tapes dans le dĂ©veloppement de cette dĂ©votion. La premiĂšre Ă©tape fut « un Ă©veil du dĂ©sir lorsque les disciples firent l’expĂ©rience d’une joie et d’une extase dans leur interaction avec JĂ©sus en GalilĂ©e, un sens nouveau et captivant de Dieu, un sens de Dieu dĂ©livrĂ© du fardeau du pĂ©chĂ© et de la culpabilitĂ©, le sens d’un Dieu ni Ă©loignĂ©, ni dominateur, mais une prĂ©sence aimante et compatissante ». Cependant, au cours d’une deuxiĂšme Ă©tape marquĂ©e par la mort terrible de JĂ©sus, les disciples ont fait « l’expĂ©rience de la dĂ©solation et du sentiment que tout Ă©tait perdu. La mort de JĂ©sus les a prĂ©cipitĂ© dans une profonde crise spirituelle marquĂ©e par le dĂ©sespoir, la honte et la confusion
 Au sens jungien, les disciples subissait la mort de l’ego ».

Une troisiĂšme Ă©tape a suivi. « Moore suggĂšre que la mort de JĂ©sus a crĂ©Ă© un sentiment de la mort de Dieu chez les disciples et que, avec l’apparition de JĂ©sus ressuscitĂ©, ils ont fait l’expĂ©rience de JĂ©sus ressuscitĂ© comme rien de moins que l’expĂ©rience renouvelĂ©e de Dieu en leur sein. Le Dieu de JĂ©sus, le PĂšre qui Ă©tait mort avec JĂ©sus et qui maintenant dĂ©clare son amour dans la rĂ©surrection de JĂ©sus, Le Dieu qui est l’auteur de ce plan aimant et donneur de vie, rĂ©Ă©mergeait dans une puissance nouvelle ». Ils ressentaient que JĂ©sus Ă©tait Dieu. « Au dĂ©but, ce fut un dĂ©placement de la divinitĂ© vers JĂ©sus qui devint le centre de leur nouvelle conscience de Dieu. Cependant, les disciples ne pouvaient apprĂ©hender cette extension de la divinitĂ© Ă  JĂ©sus sans que quelque chose prenne place Ă  l’intĂ©rieur d’eux-mĂȘmes. C’est au niveau de la conscience personnelle que cette nouvelle rĂ©alitĂ© a Ă©mergĂ©. Selon Moore, c’est le mystĂšre pascal de la mort et de la rĂ©surrection de JĂ©sus qui a Ă©tĂ© la clef de la transformation radicale de la conscience de Dieu, une transformation qui a commencĂ© avec leur expĂ©rience de JĂ©sus dans son ministĂšre terrestre et qui a Ă©tĂ© purifiĂ©e par la mort et la rĂ©surrection de JĂ©sus ».

 

Une révolution théologique

Ilia Delio met en valeur le rĂŽle majeur de la rĂ©surrection dans la transformation de la vision des disciples. « Pour eux, Dieu a Ă©mergĂ© Ă  nouveau vivant dans la personne mĂȘme de JĂ©sus, vivant comme jamais avant, avec une nouvelle comprĂ©hension d’eux-mĂȘmes et de JĂ©sus, radicalement transformĂ©e, libĂ©rĂ©e, Ă©nergisĂ©e ». C’est ainsi qu’une nouvelle vision thĂ©ologique a Ă©mergĂ©. « La mutation chrĂ©tienne a Ă©tĂ© une rĂ©volution thĂ©ologique et une Ă©volution de la personne humaine. La puissance du Dieu monothĂ©iste a Ă©tĂ© Ă©veillĂ©e dans la personne humaine comme la puissance d’une vie nouvelle rĂ©vĂ©lĂ©e en JĂ©sus et Ă©nergĂ©tisĂ©e par l’Esprit. Le langage de la TrinitĂ© a Ă©tĂ© une stĂ©nographie de la puissance partagĂ©e de l’amour, Ă©tendue dans la crĂ©ation par la Divinité  La transition du monothĂ©isme au thĂ©isme binitarien, puis au thĂ©isme trinitarien, est une Ă©volution de la conscience religieuse qui a des implications radicales pour une prĂ©sence nouvelle de Dieu dans le monde et un nouveau genre de personne dans la montĂ©e d’un nouvel ordre mondial ».

 

Ultérieurement, une grande déviation théologique

La politisation de Dieu au Concile de NicĂ©e en 325 et le mariage entre AthĂšnes et JĂ©rusalem ont menĂ© Ă  une hĂ©llĂ©nisation de la doctrine qui a provoquĂ© une abstraction du langage philosophique dĂ©pouillĂ© de sa dimension psychique. Le langage de la nature divine, essence, ĂȘtre et substance, devint une sĂ©mantique logique. La mutation chrĂ©tienne Ă©tait avortĂ©e et la rĂ©volution de la puissance divine introduite par JĂ©sus de Nazareth ne murit jamais. Au lieu d’une nouvelle puissance divine d’amour agissant dans le monde Ă  l’intĂ©rieur de la personne humaine et Ă  travers elle, ce qui a Ă©mergĂ©, c’est l’internalisation du pouvoir divin exprimĂ© dans un Dieu patriarcal
 Comme la doctrine Ă©tait institutionalisĂ©e, l’accent est passĂ© de l’orthopraxie Ă  l’orthodoxie. Le triomphe de l’institution patriarcale a supprimĂ© la psychĂ© humaine et a rendu impuissante la mutation chrĂ©tienne ».

Ilia Delio met en Ă©vidence l’ampleur du dĂ©sastre. « Si la mutation chrĂ©tienne avait Ă©chappĂ© Ă  la politique de puissance et Ă  la main-mise du patriarcat
, nous aurions probablement une Ă©glise et un monde entiĂšrement diffĂ©rents. Mais le nouveau mouvement Ă©tait trop jeune et trop fragile pour y Ă©chapper : l’institutionnalisation du christianisme lui donna le pouvoir de modeler le premier millier d’annĂ©es de la civilisation occidentale donnant naissance Ă  une psychĂ© sans Dieu et une humanitĂ© sans aucun vrai projet collectif ».

 

La primautĂ© de l’expĂ©rience

Quelle est la portĂ©e de formulations doctrinales si elles ne s’appuient pas sur l’expĂ©rience ? Ilia Delio exprime la primautĂ© de l’expĂ©rience : « Il me semble qu’à notre Ă©poque, le premier besoin thĂ©ologique est que le psychologique assure la mĂ©diation du transcendant ». Elle prĂ©cise : « Le seul vrai but du christianisme est d’éveiller le transcendant divin au niveau de la psychĂ©. Tout le reste est mortel. La divinitĂ© de JĂ©sus ressuscitĂ© et la nature trinitaire de l’ĂȘtre divin ne sont pas seulement des doctrines thĂ©ologiques, mais des rĂ©alitĂ©s profondĂ©ment psychologiques. L’expĂ©rience des mystĂšres Ă  un niveau profondĂ©ment psychologique est nĂ©cessaire avant leur expression dans la priĂšre et la dĂ©votion et avant l’articulation Ă  une doctrine. La tĂąche de porter la foi et le sens religieux Ă  la conscience contemporaine demande une mĂ©diation expressĂ©ment psychologique, un Ă©veil profondĂ©ment personnel par lequel l’histoire de JĂ©sus rencontre et transforme notre propre histoire personnelle »

 

Un enjeu majeur

Ilia Delio n’est pas seulement une thĂ©ologienne, elle est Ă©galement une scientifique qui suit de prĂšs l’avancĂ©e des sciences et des technologies. Elle est attentive Ă  l’évolution du monde et Ă  la mutation en cours de celui-ci. C’est dans cette perspective qu’elle situe la requĂȘte spirituelle et l’offre de la foi chrĂ©tienne. « Nous sommes aujourd’hui dans une Ă©tape de vie entiĂšrement nouvelle au sein d’un univers en expansion. Nous en savons beaucoup plus sur la matiĂšre et l’esprit et nous avons une opportunitĂ© de changer le cours de l’histoire en portant la mutation chrĂ©tienne en alignement avec la science moderne et la cosmologie. Si nous ne le faisons pas, nous serons confrontĂ©s Ă  des consĂ©quences dĂ©sastreuses. Aussi longtemps que la psychĂ© humaine demeure Ă©vincĂ©e de son foyer naturel en la divinitĂ©, nous, humains, sommes des coquilles vides Ă  la recherche de notre fondement de sens le plus profond. C’est le moment de reconnaitre en nous un terreau divin et transcendant et d’entrer dans une mutation qui peut mener Ă  une rĂ©alitĂ© plus riche de la vie planĂ©taire, pleinement vivante dans la gloire de Dieu ».

Cet texte d’Ilia Delio nous parait remarquable, car il Ă©claire notre expĂ©rience de foi, en la situant Ă  l’image d’une premiĂšre expĂ©rience, celle des disciples eux-mĂȘmes inspirĂ©s par l’expĂ©rience de JĂ©sus.

J H

  1. Center for Christogenesis : https://christogenesis.org/about/ilia-delio/
  2. Ilia Delio. Wikipedia. The free encyclopedia : https://en.wikipedia.org/wiki/Ilia_Delio
  3. When did Jesus become God? : https://christogenesis.org/when-did-jesus-become-god/

 

L’intelligence collective

https://images-na.ssl-images-amazon.com/images/I/41KnLJgd0WL._SX312_BO1,204,203,200_.jpgUne inspiration motrice pour l’avĂšnement d’une sociĂ©tĂ© post- capitaliste.

Un processus en développement selon Jean Staune

Avec le changement des modes de communication suscitĂ©s par le dĂ©veloppement d’internet, nous entrons dans une mutation de la sociĂ©tĂ© et de l’économie. Les consĂ©quences se manifestent dans tous les domaines. Ainsi, Ă  travers internet, les intelligences humaines sont en situation de pouvoir  converger. Au dĂ©but de ce nouveau siĂšcle, dans son livre : « World philosophie » (1), Pierre LĂ©vy voit lĂ  le dĂ©part d’une intelligence collective. Quelques annĂ©es plus tard, en 2004, aux Etats-Unis, paraĂźt un livre de James Surowieki : « The wisdom of crowds » (2), traduit par la suite sous le titre : «La sagesse des foules » (3). Si les foules peuvent s’égarer, il y a aussi une avancĂ©e possible dans une prise en compte avisĂ©e du collectif. Bien gĂ©rĂ©e, une expression d’avis multiples peut se rĂ©vĂ©ler beaucoup plus pertinente dans l’observation et la prĂ©vision que des expertises isolĂ©es. Un groupe d’individus multiples, variĂ©s est en mesure de prendre de meilleures dĂ©cisions et de faire de meilleures prĂ©dictions que des individus isolĂ©s et mĂȘme des experts. Certaines conditions doivent ĂȘtre rĂ©unies comme la diversitĂ© des participants, l’indĂ©pendance dans leur expression et un mode efficient d’agrĂ©gation des opinions.

La recherche sur l’intelligence collective se poursuit, notamment au MIT (Massachusetts Institute of technology) et elle a mis en Ă©vidence des rĂ©sultats spectaculaires. Dans un livre rĂ©cent, Emile Servan-Schreiber nous montre « la nouvelle puissance de nos intelligences » en terme marqué : « Supercollectif » (4). Il y a bien « Une force de l’intelligence collective » (5). Et nous en dĂ©couvrons aujourd’hui toute l’originalitĂ©.

Ainsi, « l’intelligence d’un groupe n’est pas d’abord dĂ©terminĂ© par le degrĂ© d’intelligence de ses membres, mais par la sensibilitĂ© aux autres (communication non verbale) et par l’équitĂ© du temps de parole qui tient un rĂŽle capital. Les femmes enregistrent dans ce domaine, un score supĂ©rieur aux hommes. C’est dans les groupes oĂč le nombre de femmes est le plus reprĂ©sentĂ© que les scores sont les meilleurs » (6). Il y a lĂ  une leçon plus gĂ©nĂ©rale puisqu’elle met en valeur l’importance de la qualitĂ© des relations.

Emile Servan-Scheiber rappelle les fondamentaux du processus de l’intelligence collective. « Il y faut beaucoup de diversité ». Les biais individuels de chacun vont s’annuler Ă  travers la confrontation  en permettant ainsi au meilleur d’émerger. « Il faut beaucoup d’indĂ©pendance d’esprit ». « Il faut rĂ©colter beaucoup d’information. Il faut agrĂ©ger tout cela de façon objective  ». L’intelligence collective peut ainsi amener des transformations importantes. Ainsi, « il est Ă©tabli que les entreprises les plus innovantes sont celles qui impliquent le plus d’employĂ©s dans l’effort d’idĂ©ation pour trouver de nouvelles idĂ©es ».

Dans son nouveau livre : « L’intelligence collective, clĂ© du monde de demain » (7), Jean Staune rapporte comment, dans une approche d’intelligence collective, de nouvelles entreprises sont en train d’apparaĂźtre et de grandir, prĂ©mices d’une Ă©conomie et d’une sociĂ©tĂ© post-capitaliste. Jean Staune est un pionnier et un dĂ©couvreur (8). A travers la crĂ©ation de l’UniversitĂ© interdisciplinaire de Paris et la publication de plusieurs livres, il a ouvert une relation fĂ©conde entre sciences, religions et spiritualitĂ©s. Mais enseignant et expert dans le domaine du management, et aussi penseur interdisciplinaire, il dĂ©veloppe Ă©galement une pensĂ©e prospective dans le champ de la vie Ă©conomique et sociale. Ainsi, en 2015, son livre : « les clĂ©s du futur » (9) nous a permis d’entrer dans la comprĂ©hension de la mutation de la vie Ă©conomique et sociale. Ce nouveau livre sur la mise en Ɠuvre de l’intelligence collective dans des entreprises innovantes, se focalise dans un champ plus prĂ©cis, le terrain oĂč une nouvelle approche Ă©conomique est en train de voir le jour et d’induire l’apparition d’une Ă©conomie « post-capitaliste ». Au travers d’un livre de Jacques Lecomte (10), nous savions dĂ©jĂ  comment des entreprises humanistes et conviviales se dĂ©veloppent aujourd’hui et tĂ©moignent d’un Ă©tat d’esprit nouveau. Ce livre de Jean Staune nous montre Ă©galement qu’une nouvelle Ă©conomie est en train de naĂźtre Ă  travers des entreprises innovantes.

« LibĂ©rĂ©es », « conscientes », « apprenantes », inclusives », « hybrides », de nouvelles entreprises voient le jour, qui permettent de se rĂ©aliser en favorisant la crĂ©ativitĂ© et en dĂ©veloppant l’intelligence collective. Elles tiennent compte de toutes les parties prenantes concernĂ©es par leurs activitĂ©s, et non des seuls actionnaires, et crĂ©ent une triple valeur ajoutĂ©e : humaine, Ă©conomique et environnementale
 Une autre forme de capitalisme, d’organisation du travail, d’économie de marchĂ© est donc plausible » (couverture).

 

Face à un monde incertain, un monde « VUCA »

 Jean Staune Ă©voque d’abord le contexte dans lequel ces entreprises apparaissent. C’est une sociĂ©tĂ© en pleine mutation qui se caractĂ©rise par une complexitĂ© croissante. GrĂące Ă  sa culture scientifique, Jean Staune nous apporte des connaissances qui nous permettent d’analyser les situations auxquelles les entreprises et nous-mĂȘmes, sommes aujourd’hui confrontĂ©s, ce qui, face Ă  une complexitĂ© croissante, requiert d’autant plus une intelligence collective.

Jean Staune nous parle ainsi d’un « monde VUCA » (p 62) . « VUCA est un acronyme pour volatility (« volatilité »), uncertain (« incertitude »),  complexity (« complexité ») et ambiguity (« ambiguité »). Ce terme rend compte d’un ensemble de caractĂ©ristiques du monde d’aujourd’hui qui peuvent ĂȘtre envisagĂ©s Ă  partir de concepts appartenant Ă  la nouvelle vision scientifique, celle qui s’est substituĂ©e Ă  une approche dĂ©terministe, envisageant l’univers « comme une grande mĂ©canique rĂ©glĂ©e par des lois immuables oĂč n’existait aucun espace de liberté » (p 49).

° « Volatilité : notre monde est beaucoup plus sensible que le monde d’hier aux effets papillon, aux disruptions, aux ruptures brutales que constituent les bifurcations.

° Incertitude : la physique quantique nous montre qu’il existe une incertitude irrĂ©mĂ©diable Ă  la base de notre comprĂ©hension du rĂ©el. Le thĂ©orĂšme de Gödel introduit une forme d’incertitude dans la logique mathĂ©matique en montrant son incomplĂ©tude. Cela nous permet de mieux comprendre et percevoir l’incertitude du monde que si nous avions gardĂ© nos « lunettes » classiques.

° Complexité : nous avons montrĂ© comment la complexitĂ© du monde s’était fortement accrue, comment se multiplient autour de nous les boucles de rĂ©troaction et les phĂ©nomĂšnes d’auto-organisation qui rendent certains processus de dĂ©cision purement et simplement impossibles Ă  dĂ©crire.

° AmbiguĂŻté : la physique quantique nous montre que quelque chose peut occuper deux Ă©tats contradictoires en mĂȘme temps. Elle met fin aux catĂ©gories classiques oĂč les Ă©tats de chose Ă©taient bien sĂ©parĂ©s
 Cette ambiguĂŻtĂ© est partout  » (p 62-63).

« La complexitĂ© du monde actuel accroit l’incertitude. Nous participons Ă  une mutation mondiale au moins Ă©quivalente Ă  celle du passage du monde agraire au monde industriel, mais qui se dĂ©roule sur un rythme beaucoup plus rapide. Bien entendu, cette situation ne peut manquer d’engendrer de la crainte et du stress
 Mais il faut bien comprendre qu’il n’y a jamais eu autant d’opportunitĂ©s dans l’histoire humaine, car les bifurcations et les effets papillon peuvent se produire Ă  la hausse comme Ă  la baisse
 » (p 64).

 

L’entreprise, un levier pour la transformation du systĂšme Ă©conomique.

Si l’économie capitaliste a remportĂ© un certain nombre de succĂšs, on en perçoit aujourd’hui les limites et les travers. Dans la mutation actuelle, des dangers redoutables apparaissent tant sur le plan social que sur le plan Ă©cologique. « Une vĂ©ritable refonte du systĂšme Ă©conomique » est indispensable. Ne peut-elle pas advenir Ă  partir mĂȘme d’une transformation des unitĂ©s qui assurent la production, des entreprises ? Jean Staune prĂŽne la mise en place d’une nouvelle forme de capitalisme « qui intĂšgre l’intĂ©rĂȘt de toutes les parties prenantes (stakeholders) et non seulement l’intĂ©rĂȘt des actionnaires, des salariĂ©s, des clients et des fournisseurs de la firme » (p 27). « Hier, l’entreprise devait faire des profits pour ses actionnaires tout en fabricant de bons produits pour satisfaire ses clients. Demain, on ne demandera pas seulement Ă  l’entreprise de respecter l’intĂ©rĂȘt des diffĂ©rents parties prenantes concernĂ©es par son activitĂ© et de respecter l’environnement, mais aussi d’avoir une contribution sociale positive » (p 27).

« Ces exigences sont fortes, mais face Ă  la pression du changement, c’est l’entreprise qui est la plus capable de rĂ©agir » (p 27). Aujourd’hui, l’horizon s’étend. C’est bien le cas Ă  travers la RĂ©volution numĂ©rique qui relie des centaines de millions, aujourd’hui des milliards d’internautes. Aujourd’hui, 3,5 milliards de requĂȘtes sont adressĂ©es quotidiennement au navigateur Google. 4 milliards de vidĂ©os sont consultĂ©es chaque jour sur You Tube » (p 16). Ainsi, les barriĂšres s’abaissent, les cloisonnements s’effacent. On prend conscience de la globalitĂ©. C’est bien en ce sens qu’apparaĂźt l’intelligence collective. Et, dans le mĂȘme mouvement, les systĂšmes pyramidaux s’effondrent. « Il faut donc mettre en place la subsidiaritĂ©, c’est Ă  dire permettre aux salariĂ©s Ă  tous les niveaux hiĂ©rarchiques de prendre eux-mĂȘmes des dĂ©cisions sur un certain nombre de questions les concernant directement. Le rĂŽle du dirigeant devient celui d’un chef d’orchestre » (p 30). « L’entreprise de demain se doit de dĂ©velopper son intelligence collective en interne pour augmenter son agilitĂ©, sa rĂ©activitĂ©, son adaptabilitĂ© Ă  un monde de plus en plus mouvant tout en dĂ©veloppant en externe un vĂ©ritable Ă©cosystĂšme, qui, par son existence mĂȘme, soutiendra le dĂ©veloppement harmonieux de l’entreprise et assurera la fidĂ©litĂ©, voire, osons le mot, l’amour de tous les acteurs du systĂšme envers elle » (p 20). Dans cet ouvrage, Jean Staune se focalise donc sur un domaine prĂ©cis : « celui de la rĂ©forme de l’économie de marchĂ© et du capitalisme grĂące Ă  l’action et au dĂ©veloppement d’un nouveau type d’entreprise » (p 34). Et, pour cela, il nous montre que des dĂ©marches crĂ©dibles existent dĂ©jĂ  partout autour de nous et qu’elles peuvent apporter des rĂ©sultats parfois extraordinaires ».

 

Les pionniers d’une nouvelle Ă©conomie

Tout au long de son livre, Jean Staune Ă©graine des portraits d’entrepreneur qui ont inventĂ© de nouvelles maniĂšres de faire entreprise. En vendant des glaces, l’entreprise Ben and Jerry’s innove dans les approvisionnements et les relations humaines. « Ben and Jerry’s a ainsi posĂ© les bases concrĂštes de la fameuse « thĂ©orie des parties prenantes » selon laquelle l’entreprise doit prendre en compte son impact global sur la sociĂ©tĂ© et essayer de le positiver au maximum pour toutes les parties prenantes et pas seulement ses clients, ses salariĂ©s, ses actionnaires » (p 69). De mĂȘme, un militant Ă©cologiste, John MacKay, en crĂ©ant les magasins bio : « Whole Foods Market » va aider l’agriculture biologique Ă  se dĂ©velopper, et, contrairement Ă  la gestion dĂ©centralisĂ©e gĂ©nĂ©ralement adoptĂ©e, il donne Ă  ses Ă©quipes une grande autonomie tant pour les achats que pour les ventes (p 69-71).

On peut dĂ©velopper un capitalisme qui cherche autre chose que le profit. Jean Staune cite l’exemple du commerce Ă©quitable. Il met en Ă©vidence l’approche de Mohammed Yunus, prix Nobel de la paix, promoteur du microcrĂ©dit pour les pauvres et aussi du « social business ». En France, voici la maniĂšre dont Bertrand Martin redresse l’entreprise Sulzer DiĂ©sel France en permettant au personnel  d’entrer dans une approche commune de rĂ©flexion et de proposition. La mise en Ɠuvre de cette intelligence collective a non seulement sauvĂ© l’entreprise, mais lui a donnĂ© une grande impulsion (p 78-80). Dans une autre entreprise, une fonderie du nom de Favi, le nouveau directeur, François Zabrist, a libĂ©rĂ© les travailleurs d’une tutelle tatillonne. « Le coĂ»t du contrĂŽle est supĂ©rieur au coĂ»t du non contrĂŽle » Il a donnĂ© aux Ă©quipe une autonomie leur permettant de rĂ©pondre rapidement aux besoins des clients dans un secteur, celui de la sous-traitance automobile oĂč le « juste Ă  temps » est une exigence des constructeurs (p 81-84).

Dans toutes ces entreprises, il y a un esprit commun que Jean Staune rapporte en ces termes : « Ainsi se dessine le profil de l’entreprise capable d’ĂȘtre anti-fragile et de surfer sur la complexitĂ©. Une telle entreprise tient compte de toutes les parties prenantes impactĂ©es par son activitĂ©. Elle dĂ©veloppe Ă  tous les niveaux l’intelligence collective et la subsidiaritĂ©. Elle met en place des logiques d’économie circulaire, d’économie de la fonctionnalitĂ©, d’écologie positive. Elle ne se contente pas de polluer moins, mais veut restaurer son environnement tout en fonctionnant. Elle est toujours en mouvement, capable d’ĂȘtre lĂ  oĂč personne ne l’attend, capable de se rĂ©inventer » (p 209).

 

Une transformation qui se rĂ©pand jusque dans une grande entreprise traditionnelle : l’Office ChĂ©rifien des Phosphates

Ainsi, on peut entrevoir une transformation en train de s’opĂ©rer dans certaines entreprises. C’est un changement d’état d’esprit et ce changement commence Ă  se rĂ©pandre. Il gagne parfois des lieux oĂč l’on ne l’y attendrait pas. Et c’est ainsi que Jean Staune nous fait connaĂźtre le changement en train de se rĂ©aliser dans une grande entreprise d’état marocaine : l’Office chĂ©rifien des phosphates.

Le phosphate est un des composants les plus importants des engrais. C’est donc une ressource majeure et le Maroc possĂšde les plus grandes  ressources mondiales prouvĂ©es de phosphates.

C’est dire la place considĂ©rable que l’Office ChĂ©rifien des phosphates a pris dans la vie du Maroc. Or, l’Office ChĂ©rifien des Phosphates Ă©tait une structure hiĂ©rarchique, « une organisation quasi militaire » (p 115). « L’entreprise souffrait d’un double manque de communication, Ă  la fois transversale et verticale
 FocalisĂ©e sur les ventes et non sur les marges, l’entreprise Ă©tait en bien mauvaise situation financiĂšre » (p116-117). C’est alors, en 2006, qu’un entrepreneur novateur, Mostafa Terrab est arrivĂ© et a engagĂ© un processus de transformation globale de l’entreprise. Dans ce livre, Jean Staune consacre plus de cent pages Ă  une Ă©tude de cas de cette innovation.

Qu’est-ce qui rend ce cas si intĂ©ressant ? Tout d’abord, l’ampleur de la transition qui se dĂ©roule au sein de cette entreprise. Il y a seulement une dizaine d’annĂ©es, son organisation et son management en Ă©taient Ă  un stade prĂ©-moderne, et elle a du effectuer une transition (qui est toujours en cours) vers le monde moderne, tout en se lançant d’une façon particuliĂšrement intense dans une transition vers le monde post-moderne
 Ensuite, parce que cette entreprise, qui est le premier exportateur du Maroc, joue un rĂŽle social important. Mais la façon dont s’effectue cette redistribution est en train de changer radicalement. Selon la fameuse formule, elle Ă©volue de « donner du poisson Ă  quelqu’un » Ă  « lui apprendre Ă  pĂ©cher ». Enfin, ces deux grandes branches d’activité : l’extraction des minerais d’un cĂŽtĂ©, la production industrielle d’engrais de l’autre, ont un impact trĂšs important sur l’environnement. Or l’entreprise vise dĂ©sormais, malgrĂ© le caractĂšre chimique d’une grande partie de ses activitĂ©s, Ă  ĂȘtre exemplaire dans ce domaine. Ainsi, l’entreprise « coche toutes les cases » que nous avons mentionnĂ©es comme Ă©tant les caractĂ©ristiques de l’entreprise de demain : prendre en compte toutes les parties prenantes,  libĂ©rer l’intelligence collective, dĂ©velopper le « bonheur au travail » en interne, intĂ©grer les questions environnementales et l’économie circulaire » (p 112)

Jean Staune va donc nous raconter les multiples facettes de cette transformation, les innovations qui s’y succĂšdent, la libĂ©ration de l’intelligence collective Ă  travers un nouvel espace oĂč les Ă©nergies peuvent se dĂ©ployer : « le Mouvement » apparu en 2016 (p 121). Les intentions : « ĂȘtre de plus en plus une entreprise apprenante (ou plus exactement une entreprise d’apprenants), ĂȘtre une entreprise digitale, enfin ĂȘtre une entreprise mondiale. Les deux premiĂšres intentions poussent clairement Ă  une trĂšs forte transformation culturelle de l’entreprise ». L’entitĂ© de base du mouvement s’appelle « la Situation ». « La Situation est un groupe d’étude et de proposition qui se saisit lui-mĂȘme d’un sujet pour faire une proposition concrĂšte, et ce, dans n’importe quel domaine qui concerne l’entreprise » (p 122-123). Les groupes Ă©laborent des propositions –

A travers cette Ă©tude de cas, qui occupe une place majeure dans ce livre, Jean Staune nous entraine dans la comprĂ©hension d’un processus riche en inventions, en transformations. Pour notre comprĂ©hension, il y ajoute des outils d’analyse. Ainsi, il nous apprend Ă  voir dans cette grosse entreprise, l’existence de diffĂ©rents niveaux de rĂ©alitĂ© qui se cĂŽtoient :

« ° Le niveau de l’entreprise prĂ©-moderne et bureaucratique

° Le niveau de l’entreprise moderne et la recherche de l’information, du big data et du contrĂŽle en temps rĂ©el

° L’entreprise post-moderne basĂ©e sur la crĂ©ativité : le Mouvement, l’autre organisation


° L’universitĂ© qui se situe dans une dimension totalement diffĂ©rente de l’entreprise, tout en interagissant en permanence avec elle, comme les diffĂ©rents niveaux de la rĂ©alitĂ© (par exemple : quantique, mĂ©canique et virtuel) interagissent entre eux

° Les fondations et associations comme l’école 1337 ou encore un Think Tank comme le « Policy Center » (p 208-209)

 

Le potentiel de l’intelligence collective

 Face aux enjeux des mutations Ă©conomiques, politiques et sociales en cours, Jean Staune met en valeur le potentiel de l’intelligence collective. Il intervient ici dans une conjoncture marquĂ©e par l’actualitĂ©, notamment par les revendications des gilets jaunes concernant le rĂ©fĂ©rendum d’initiative citoyenne et le dĂ©bat entre philosophes sur l’évolution de la sociĂ©tĂ©. Toute conjoncture comporte des aspects immĂ©diats et passagers qui peuvent susciter des humeurs.

Nous nous bornerons ici à mettre en valeur les grandes orientations qui se dégagent de ce livre.

En abordant la question de l’intelligence collective, Jean Staune en rappelle les conditions permettant d’éviter les dĂ©rives possibles Ă  partir d’un livre de Patrick Scharnitzky : « Comment rendre le collectif (vraiment) intelligent » (p 237). On peut y ajouter que le bon fonctionnement de l’intelligence collective dans certaines entreprises est liĂ© au climat qui rĂšgne dans celles-ci. Alors que dans un contexte social plus global, les passions sont beaucoup plus vives et dĂ©rĂ©gulantes. Des dispositions particuliĂšres sont nĂ©cessaires.

Dans ce chapitre, Jean Staune prĂ©sente trois Ă©tudes de cas d’entreprises françaises oĂč les performances en matiĂšre d’intelligence collective sont remarquables : le groupe Innov on  et la sociĂ©tĂ© Chronoflex dirigĂ©s par Alexandre GĂ©rard, Clinitex dirigĂ© par Thierry Pick, et la Camif dirigĂ© par Emery Jacquillat (p 242-267).

La sociĂ©tĂ© Chronoflex intervient dans un marchĂ© de niche : la rĂ©paration de flexibles hydrauliques sur des chantiers. En 2009, Ă  la suite de la crise, l’entreprise se retrouve dans une situation difficile. Son directeur, Alexandre GĂ©rard, s’interroge, entend parler des entreprises libĂ©rĂ©es, et s’engage dans un processus de consultation qui dĂ©bouche sur une rĂ©organisation de l’entreprise : autonomie des Ă©quipes, conception nouvelle des responsables vers une approche d’animation, multiplication et diversification des responsables, processus de dĂ©cision collective dans la conduite de l’entreprise et la dĂ©finition des stratĂ©gies. Un tel changement passe aussi par une transformation du dirigeant de l’entreprise : Alexandre GĂ©rard (11)

A Clinitex, Thierry Pick a dĂ©veloppĂ© son entreprise en se fondant Ă  la fois sur une relation de proximitĂ© avec le client et un grand respect pour la personne humaine. Les collaborateurs participent Ă  une procĂ©dure d’autoĂ©valuation partagĂ©e et interviennent dans le recrutement. Les agences ont une grande autonomie. La rĂ©munĂ©ration n’est pas basĂ©e sur les rĂ©sultats, mais sur la responsabilitĂ©. L’écart maximum de salaire est de 1 Ă  12 entre le « balayeur de base » et le dirigeant. Clinitex dĂ©montre qu’on peut ĂȘtre une entreprise Ă  taille humaine avec plusieurs milliers de personnes.

En 2009, Emery Jacquillat « s’est lancé  dans un pari Ă©norme : reprendre la CAMIF, l’ancienne centrale d’achat de la mutuelle des instituteurs qui venait de faire une faillite retentissante ». « Il s’agissait d’une grosse structure bureaucratique Ă  l’ancienne . Emery Jacquillat n’avait aucune lĂ©gitimitĂ© particuliĂšre Ă  agir dans ce milieu. Il savait qu’il ne pouvait rĂ©ussir sans l’existence d’un microsystĂšme autour de l’entreprise. Il met en place un blog pour expliquer qui Ă©tait la nouvelle Ă©quipe et surtout demander : « Qu’est-ce que les clients et le fournisseurs veulent que soit cette entreprise ? » C’est comme ça qu’a Ă©mergĂ©, Ă  une Ă©poque oĂč elle Ă©tait encore beaucoup moins Ă  la une des mĂ©dias, l’idĂ©e du « made in France ». Aujourd’hui, 73% du chiffre d’affaires provient des produits fabriquĂ©s en France, un chiffre absolument unique dans un secteur comme celui de l’ameublement, de la literie et des fournitures de maison » (p 259-266). Pour rĂ©ussir, la CAMIF a mis en place graduellement toute une sĂ©rie de mĂ©canismes pour co-construire ses produits. A tous les niveaux, on cherche Ă  « crĂ©er du lien entre les hommes » Les collaborateurs comme les clients sont engagĂ©s dans une dĂ©marche participative. Et, par exemple en 2015, l’entreprise a dĂ©cidĂ© que le budget 2016 serait Ă©tabli par un groupe de salariĂ©s bĂ©nĂ©voles. L’exercice a rĂ©ussi et suscitĂ© une grande motivation.

L’intelligence collective n’est pas un rĂȘve. Ce n’est pas une idĂ©ologie. « Les extraordinaires aventures Ă©conomiques et humaines que reprĂ©sentent Innov on, Clinitex, La CAMIF, les propos d’Alexandre GĂ©rard, de Thierry Pick et Emery Jacquillat nous fournissent les rĂ©ponses principales aux critiques des dĂ©marches d’entreprises libĂ©rĂ©es et d’intelligence collective. L’intelligence collective, ça marche ».

 

Vers une société nouvelle

Ce livre nous montre comment le systĂšme Ă©conomique peut changer de l’intĂ©rieur. Il y a une Ă©volution des mentalitĂ©s. L’angle de la vision s’élargit. Les barriĂšres s’affaissent. De plus en plus, on pense globalement. Des lors, peuvent apparaitre des entreprises « inclusives ». Ces entreprises ouvrent la voie Ă  une sociĂ©tĂ© post-capitaliste. Si les expĂ©rimentations sont encore peu nombreuses, elles sont concluantes et participent Ă  un mouvement qui s’amplifie.

Alors, dans un monde inquiet, menacĂ© par le dĂ©rĂšglement climatique, traversĂ© par des crispations et des tumultes politiques, Jean Staune nous ouvre une piste : l’émergence d’une intelligence collective dans une sociĂ©tĂ© participative.

A l’heure ou certains envisagent l’effondrement de nos sociĂ©tĂ©s, Jean Staune trace une voie. « Pourquoi je ne suis pas collapsologue ? Ce n’est pas par un optimisme bĂ©at. Tout ce que nous avons vu au cours de ce livre soutient avec force cette affirmation. Oui, il y a une Ă©nergie incroyable au fond de nous, l’énergie de l’intelligence collective qui a Ă©tĂ©, pour l’instant, si peu employĂ©e dans l’histoire humaine que nous pouvons justement ĂȘtre certain qu’elle recĂšle un potentiel incroyable
 Tous les exemples que nous avons dĂ©veloppĂ©s dans ce livre le montrent : il est possible d’effectuer des progrĂšs inimaginables aux yeux des experts quand de simples personnes sans formation, mais avec une bonne connaissance de terrain, mettent leur intelligence en commun » (p 298).

Dans une nouvelle Ă©tape, on peut envisager que les rĂ©seaux sociaux dĂ©multiplient l’exercice de cette intelligence collective. «  Les rĂ©seaux permettent de crĂ©er des outils fondamentaux pour le monde de demain, comme le montre dĂ©jĂ  l’exemple de Wikipedia
 Comme le dit Vincent Lenhardt, grĂące Ă  nos rĂ©seaux sociaux, cette capacitĂ© d’intelligence collective est en train de rĂ©aliser « un vĂ©ritable saut quantique ». Cette « NoosphĂšre » envisagĂ©e par Teilhard de Chardin, cette « éruption » d’intelligence et de crĂ©ativitĂ©, rendue possible par la connexion de tous les esprits de la planĂšte, est aujourd’hui « à la portĂ©e de la main » (p 399). Oui, dans les remous actuels, Jean Staune sait voir ce qui est en train de se construire. « Face Ă  toute cette montĂ©e du populisme, de toutes ces dĂ©monstrations de bĂȘtise collective, Ă  ces rumeurs qui se rĂ©pandent », il voit « ces fragiles petites flammes qui s’élĂšvent ici et lĂ  et qui sont constituĂ©es de toutes les expĂ©riences que nous avons dĂ©crites ici » (p 301). C’est un commencement.

 

Emergence

Au fil de son Ɠuvre intellectuelle et militante, Jean Staune nous apparaĂźt comme un pionnier, un dĂ©fricheur, un visionnaire. Dans son livre prĂ©cĂ©dent : « les clĂ©s du futur (9), il rĂ©alisait une grande synthĂšse Ă  partir de laquelle il mettait en Ă©vidence une voie de transformation Ă©conomique et sociale. Ce nouveau livre sur l’intelligence collective a Ă©tĂ© Ă©crit plus rapidement dans une pĂ©riode oĂč l’actualitĂ© Ă©tait agitĂ©e par les manifestations des gilets jaunes. L’auteur commente cette actualitĂ©. Il prend part au dĂ©bat. On peut ne pas le suivre dans telle ou telle opinion. Mais, toujours, on se rĂ©jouit de voir qu’il apporte un fil conducteur pour voir plus grand, plus loin.

L’intelligence collective, c’est aussi une voie nouvelle Ă  explorer dans le domaine politique. Et, justement, nous venons d’apprendre qu’une grande innovation est en train de se mettre en place aujourd’hui en ce domaine : la crĂ©ation  d’une « assemblĂ©e citoyenne pour le climat » fondĂ©e sur une mise en Ɠuvre d’intelligence collective (12). C’est un Ă©vĂšnement majeur. Cependant, nous avons centrĂ© notre analyse de ce livre sur la transformation du systĂšme Ă©conomique.

Au terme de son livre, Jean Staune Ă©voque Teilhard de Chardin dans sa vision annonciatrice de la « noosphĂšre ». Comment ne pas y associer aujourd’hui la pensĂ©e thĂ©ologique de JĂŒrgen Moltmann dans sa vision d’un Esprit crĂ©ateur partout Ă  l’Ɠuvre (13). C’est un Ă©clairage qui nous parait en phase avec les dimensions nouvelles qui apparaissent aujourd’hui.

Au cƓur mĂȘme de sociĂ©tĂ©s dĂ©chirĂ©es, les prophĂštes de la Bible ont ouvert des espĂ©rances. Sur un autre mode, on peut voir dans ce livre une dimension prophĂ©tique. Face au pĂ©ril actuel, Jean Staune ne s’enferme pas dans la perspective d’un effondrement. A partir de l’intelligence collective, il trace une voie de vie. LĂ  aussi, en correspondance, nous pouvons Ă©voquer la thĂ©ologie de l’espĂ©rance dans laquelle JĂŒrgen Moltmann nous invite Ă  regarder vers l’avenir et Ă  percevoir l’expĂ©rience de Dieu dans des expĂ©riences anticipatrices (14).

Au-delà de ce commentaire personnel, nous pouvons tous reconnaßtre dans ce livre une dynamique qui ouvre la compréhension, nous introduit dans un mouvement et nous invite à une mobilisation. Un avenir à construire !

J H

  1. Pierre Lévy. World Philosophie : le marché, le cyberespace, la conscience. Odile Jacob, 2000
  2. James Surowiecki. The wisdom of crowds. Why the many are smarter than the few and how collective wisdom shapes business, economies, societies and nations. Doubleday, 2004
  3. James Sorowiecki. La sagesse des foules. Jean-Claude LattÚs . 2008
  4. Emile Servan-Scheiber. Supercollectif. La nouvelle puissance de nos intelligences. Fayard, 2018
  5. Emile Servan-Schreiber. La force de l’intelligence collective. Site : Marketing et innovation : https://visionarymarketing.com/blog/2018/10/intelligence-collective/
  6. Le rîle des femmes dans l’intelligence collective : https://www.facebook.com/28minutes/videos/2192573717736096/?v=2192573717736096
  7. Jean Staune. L’intelligence collective, clĂ© du monde de demain. L’Observatoire, 2019
  8. Le site de Jean Staune : Naviguer dans un monde en mutation : http://www.jeanstaune.fr
  9. Jean Staune. Les clĂ©s du futur. RĂ©inventer ensemble la sociĂ©tĂ©, l’économie et la science. PrĂ©face de Jacques Attali. Plon, 2015. Mise en perspective sur Vivre et espĂ©rer : https://vivreetesperer.com/comprendre-la-mutation-actuelle-de-notre-societe-requiert-une-vision-nouvelle-du-monde/
  10. Jacques Lecomte. Les entreprises humanistes. Les ArÚnes, 2016 Mise en perspective sur Vivre et espérer : https://vivreetesperer.com/vers-un-nouveau-climat-de-travail-dans-des-entreprises-humanistes-et-conviviales-un-parcours-de-recherche-avec-jacques-lecomte/
  11. « Alexandre GĂ©rard : chef d’entreprise, pionnier d’une entreprise libĂ©rĂ©e » : https://vivreetesperer.com/alexandre-gerard-chef-dentreprise-pionnier-dune-entreprise-liberee/
  12. Comment Cyril Dion et Emmanuel Macron ont Ă©laborĂ© l’assemblĂ©e citoyenne pour le climat : (site Reporterre) : https://reporterre.net/Comment-Cyril-Dion-et-Emmanuel-Macron-ont-elabore-l-assemblee-citoyenne-pour-le-climat?fbclid=IwAR01yBCpZ93dJlt7fLOPYA5RAh_5Z1hgPc1ZmqJtDE0hW4U0qZ15V69LU20
  13. La pensĂ©e thĂ©ologique de JĂŒrgen Moltmann nous donne des clĂ©s pour interprĂ©ter le monde d’aujourd’hui et nous la suivons sur ce blog. JĂŒrgen Moltmann. L’Esprit qui donne la vie. Cerf, 1999
  14. « La force vitale de l’espĂ©rance » (p 109-116), dans : JĂŒrgen Moltmann. De commencements en recommencements. Empreinte, 2012

 

Voir aussi sur ce blog :

Pour une intelligence collective. Eviter des décisions absurdes et promouvoir des choix pertinents. La contribution de Christian Morel : https://vivreetesperer.com/pour-une-intelligence-collective-eviter-les-decisions-absurdes-et-promouvoir-des-choix-pertinents/

 

 

 

La gratitude : un mouvement de vie

 

 « Le pouvoir de la gratitude »

D’aprùs les propos de Florence Servan-Schreiber

 

Et si nous reconnaissions aujourd’hui tout ce que nous avons reçu des autres et qui fait que nous sommes lĂ , vivant, tout ce qui nous a permis de grandir en amour, en joie, en comprĂ©hension, en confiance (1). Et si nous exprimions cette reconnaissance dans un mouvement de vie bienfaisant Ă  la fois pour ceux Ă  qui nous l’exprimons, mais aussi pour nous-mĂȘme. Car au cƓur de ce mouvement, il y a une dynamique Ă  la fois personnelle et collective oĂč nous pouvons percevoir l’inspiration de l’Esprit. C’est dire combien il est bon d’entendre parler de gratitude, d’en dĂ©couvrir la portĂ©e et les effets. C’est pourquoi l’intervention de Florence Servan-Schreiber Ă  Ted X Paris sur « le pouvoir de la gratitude », accessible en vidĂ©o sur internet (2) est particuliĂšrement bienvenue. Cet exposĂ© est remarquable parce qu’il allie une compĂ©tence de psychologie ayant accĂšs aux meilleures sources et une dĂ©marche personnelle exprimĂ©e dans un esprit de recherche, de dialogue, de conviction et d’authenticitĂ©. Cousine de David Servan-Schreiber (3), un mĂ©decin particuliĂšrement innovant, dont en sait l’intelligence et le courage dans sa lutte contre la maladie, Florence s’est formĂ©e Ă  la psychologie transpersonnelle en Californie et elle s’inscrit aujourd’hui dans le courant de la psychologie positive Ă  la fois par sa pratique et par ses Ă©crits qui en diffuse les apports auprĂšs du grand public (4). Cependant, dans cet exposĂ©, Florence Servan-Schreiber s’implique personnellement et elle nous dĂ©crit comment elle a vĂ©cu la dĂ©couverte de la gratitude, une dimension bien souvent mĂ©connue dans certains contextes culturels.

 

 

Florence commence son « talk » en nous parlant de son cousin, David Servan-Schreiber, un jeune psychiatre, qui, Ă  30 ans, menacĂ© par un cancer au cerveau, « a mobilisĂ© toutes les connaissances, toute son Ă©nergie pour essayer de voir comment, dans ces circonstances, il pouvait vivre, non seulement le plus longtemps possible, mais surtout le mieux possible ». On sait qu’en consĂ©quence, il a adoptĂ© de nouvelles pratiques de vie. « Mais ce que l’on sait moins, parce qu’il ne l’a pas publiĂ©, c’est l’attention qu’il a portĂ© aux dĂ©tails et aux petites choses de la vie. Jusqu’à son dernier souffle, David a Ă©tĂ© un phĂ©nomĂšne de gratitude ». Ainsi, la gratitude, c’est une disposition extrĂȘmement concrĂšte. « La gratitude, c’est un sentiment de reconnaissance lorsque nous rĂ©alisons la saveur ce que nous vivons. C’est, par exemple, un rayon de soleil sur la joue. C’est l’odeur d’un bĂ©bĂ© surtout quand c’est le sien
 C’est le fait de se dĂ©placer pour vous apprendre des choses  ». Pourquoi David m’a-t-il mis sur la voie de tout cela ? Parce que nous parlions beaucoup de psychologie ensemble. Parce que, aux Etats-Unis, il existe des laboratoires entiers qui Ă©tudient les circonstances et les consĂ©quences de la gratitude ».

Ainsi, depuis douze ans, au centre de recherche « Greatergood » de l’UniversitĂ© de Berkeley, Robert Emmons (5) travaille dans le courant de la psychologie positive pour essayer de comprendre, le processus de la gratitude et les effets que cela peut avoir sur nous. Florence nous rapporte les conclusions de ses recherches.  « D’abord, sur le plan psychologique, quand nous savons nous Ă©merveiller des petites choses
 ne serait-ce que la tempĂ©rature qu’il fait dans cette salle, le fait que nous ayons pu arriver Ă  l’heure
 ne serait-ce que cela
 Et bien, nous nous sentons plus heureux, plus reliĂ© aux autres, plus vivants. Ensuite, les bĂ©nĂ©fices sur le plan relationnel, sont, en tout premier, de nous sentir beaucoup moins seul parce que la gratitude provient toujours de quelque chose ou de quelqu’un qui est Ă  l’extĂ©rieur de nous. C’est un sentiment qui nous rend humble, qui nous donne envie de donner Ă  notre tour ».

Et puis, il y a aussi des consĂ©quences positives sur le plan physiologique. Florence Ă©voque une recherche menĂ©e depuis 1986 dans un centre universitaire au Minnesota (USA). Un chercheur a Ă©mis l’hypothĂšse d’un lien entre le fait d’éprouver de la gratitude, de savoir s’émerveiller et la longĂ©vitĂ©. Mais comment trouver deux populations comparables en tous points, exceptĂ© l’attitude Ă  tester ? « Ils ont trouvĂ© dans un couvent oĂč on conserve 150 ans d’archives. La premiĂšre chose qu’on demande aux jeunes femmes entrant au couvent Ă  l’ñge de 20 ans, c’est d’écrire une lettre qui les prĂ©sente, qui raconte leur vie. Elles refont la mĂȘme chose Ă  40 ans et Ă  70 ans. Et parallĂšlement, les dossiers mĂ©dicaux ont Ă©tĂ© archivĂ©s. On a remis ces lettres Ă  des sĂ©manticiens qui Ă©tudient la teneur du vocabulaire et on leur a demandĂ© de quantifier la nature des mots qui expriment de l’émerveillement, de l’optimisme et de la gratitude. Et ensuite on a corrĂ©lĂ© la densitĂ© de gratification de ces femmes avec leur Ă©tat de santĂ© et la durĂ©e de leur vie. On s’est aperçu que plus il y avait de termes qui expriment de la gratitude et de l’émerveillement, plus elles ont vĂ©cu longtemps. Et ainsi, on a trouvĂ© un Ă©cart de sept ans entre les deux groupes contrastĂ©s. Dans des enquĂȘtes menĂ©s dans d’autres milieux, on a obtenu les mĂȘmes rĂ©sultats ».

 

Cette valorisation du positif n’est pas toujours bien reçue dans certaines formes de culture, en particulier en France. « Moi, je suis nĂ©e Ă  Paris. J’ai grandi Ă  Paris. Ici, cela ne va pas de soi de parler de ce qui va bien, de ce qui nous Ă©merveille. Mais Ă  force d’avoir frĂ©quentĂ© David, d’avoir lu toute cette documentation, j’ai quand mĂȘme voulu essayer. Chercheur Ă  l’UniversitĂ© de Pennsylvanie (et leader dans le courant de la psychologie positive), Martin Seligman (6) nous propose une mĂ©thode adaptĂ©e. Il suffit de repĂ©rer dans sa journĂ©e trois situations : moments, interactions, goĂ»ts, sensations qui vous ont fait du bien et pour lesquelles vous avez envie de dire : « Alors lĂ , merci ! », pour faire progresser son niveau de bonheur d’une façon durable ».

Florence nous raconte comment, rentrĂ©e Ă  la maison, elle parle de tout cela Ă  table avec son mari et ses trois enfants qui, Ă  ce moment lĂ , ont entre 8 et 14 ans. « Si on sait repĂ©rer 3 kifs (7) dans sa journĂ©e, on vivra plus longtemps, on vivra en meilleure santĂ©, on sera plus heureux. On s’est lancĂ©. Ce n’est pas facile pour tout le monde. Notre rapport avec la gratitude est un peu diffĂ©rent. Pour LĂ©on, le plus jeune, c’était trĂšs difficile. Mais une des plus grande fiertĂ© de maman, c’est qu’aujourd’hui, LĂ©on a 14 ans et qu’il a adoptĂ© cette pratique. Il peut vous dire les 3 kifs de sa journĂ©e. Quand on fait cela avec les gens qu’on connaĂźt, avec les gens avec lesquels on travaille, il se passe quelque chose de particulier, parce que ce n’est pas un sujet courant de conversation. Si cela vous touche, cela me touche. Il y a une rĂšgle. Un kif, cela ne se commande pas, cela ne se critique pas si on le fait publiquement. On Ă©coute les autres et, Ă©ventuellement, on peut y ajouter le sien ».

 

Mais on peut aller plus loin. Si on n’a pas envie de parler, on peut avoir, sur sa table de nuit, un carnet de kifs, un journal de gratitude qui permet de tout noter avant de se coucher. Robert Emmons s’est aperçu que si c’est la derniĂšre chose que je fais dans la journĂ©e, le sommeil est plus profond, le sommeil est plus long et,

si on souffre de douleurs chroniques, les douleurs se dissipent.

Et ensuite, il y a le niveau suivant. C’est « la lettre de gratitude ». Quand nous sommes habitĂ©s par un sentiment de reconnaissance, le cerceau ne peut pas Ă©prouver en mĂȘme temps du ressentiment et de la colĂšre. Pendant un an, je n’ai fait aucun cadeau. Le seul cadeau que j’ai fait pour l’anniversaire de mes amis, c’est de leur Ă©crire une lettre de gratitude. J’ai donc revisitĂ© mes relations et je me suis rendu compte de la chance que j’avais. « Si tu n’étais pas dans ma vie, voilĂ  ce que je ne serais pas ». Cela permet de mesurer la profondeur de la relation avec les amis ». On peut aller plus loin encore. « Martin Seligman a suggĂ©rĂ© des visites de gratitude. Vous prĂ©parez la lettre, vous prenez rendez-vous et vous lisez votre lettre. J’ai Ă©crit une lettre de gratitude Ă  mon mari. Nous sommes ensemble depuis 25 ans. En 25 ans de vie commune, ma liste des reproches est facile Ă  faire. Mais lĂ , il ne s’agit pas de cela. « Si tu n’étais pas dans ma vie,  si je ne t’avais pas rencontrĂ© ce jour lĂ , voilĂ  ce que je ne serais pas devenu, tout ce qui m’aurait manqué  ».

 

« VoilĂ  ce quoi cela sert la gratitude.  C’est simplement vivre exactement la mĂȘme vie, mais en mieux. Je ne change pas les personnages. Je ne change pas le dĂ©cor. Et cela devient extraordinairement utile lorsque cela ne va pas, lorsque la vie ne vous donne pas ce que vous voulez, vous donne le contraire de ce que vous voulez, lorsque le temps que vous avez Ă  passer avec quelqu’un que vous aimez est comptĂ©, alors, en appliquant ce filtre lĂ , on rĂ©alise, malgrĂ© tout cela, la chance que l’on a ».

 

Le message que nous communique Florence sur « le pouvoir de la gratitude » passe d’autant mieux qu’il est le fruit d’une expĂ©rience personnelle et qu’il nous est communiquĂ© avec beaucoup de convivialitĂ©, de simplicitĂ© et d’authenticitĂ©. Ce message parle Ă  notre intelligence, mais il parle aussi Ă  notre cƓur.

Les sources citĂ©es par Florence Servan-Schreiber s’inscrivent dans le courant de la psychologie positive. Et lorsqu’on va Ă  la rencontre de ces sources sur internet, Ă  travers les personnalitĂ©s de Roger Emmons (5) et de Martin Seligman (6) et des centres de recherche oĂč ils travaillent, on dĂ©couvre une approche de recherche qui porte un vĂ©ritable changement de paradigme en psychologie. Comme le dĂ©clare Martin Seligman (6), il s’agit de ne plus se focaliser uniquement sur ce qui ne va pas, mais de prendre en compte Ă©galement ce qui va pour le mettre en valeur et en tirer des enseignements. Ce dĂ©veloppement de la psychologie positive (8), tĂ©moigne d’une Ă©volution actuelle dans les mentalitĂ©s qui rend possible un changement de regard. C’est le passage d’un regard pessimiste sur la nature humaine et peu sensible au potentiel humain Ă  un regard qui met en valeur un processus reconnaissant et dĂ©veloppant le positif dans l’existence humaine. Ce mouvement est profond. Dans son livre : « Vers une civilisation de l’empathie » (9), JĂ©rĂ©mie Rifkin nous montre comment nous sortons d’une idĂ©ologie qui a assombri la psychologie Ă  la prise de conscience d’un potentiel jusque lĂ  mĂ©connu. Et ce mouvement commence Ă  se faire sentir en France dans le champ des sciences humaines (10).

Ce changement nous paraĂźt se manifester Ă©galement dans une transformation profonde qui est en train de s’opĂ©rer dans le champ religieux. Comme le fait remarquer la thĂ©ologienne Lytta Basset, la conception du pĂ©chĂ© originel, telle que l’a dĂ©veloppĂ© Saint Augustin, a assombri le christianisme occidental pendant des siĂšcles en induisant la culpabilisation et la peur. Lytta Basset nous invite Ă  sortir de cette emprise dans un livre : « Oser la bienveillance » (11) qui montre combien celle-ci est au cƓur d’un message Ă©vangĂ©lique bien entendu.

Avec du recul, on comprend mieux ce qui a Ă©tĂ© et est contestĂ© dans l’hĂ©ritage religieux traditionnel. Cependant, les idĂ©ologies adverses qui ont prospĂ©rĂ©, sont, elles aussi, en perte de vitesse. Ainsi, un nouveau regard sur le monde est en train d’apparaĂźtre dans une vision holistique. On a pu dĂ©finir la spiritualitĂ© comme « une conscience relationnelle » qui s’exerce dans le rapport ave soi-mĂȘme, avec les autres, avec la nature et avec Dieu (12). En christianisme, JĂŒrgen Moltmann ouvre des pistes nouvelles dans une thĂ©ologie de l’Esprit attentive Ă  l’émergence et la prĂ©sence de Dieu dans l’immanence et une thĂ©ologie de l’espĂ©rance ouverte aux potentialitĂ©s de l’avenir (13).

Dans un contexte oĂč les anciennes barriĂšres s’affaissent et oĂč une interconnexion s’opĂšre, Martin Seligman s’inspire des valeurs fondamentales ancrĂ©es dans les traditions religieuses et spirituelles de l’humanitĂ© (6). Parler de la gratitude, c’est s’inscrire dans une inspiration spirituelle qui irrigue les siĂšcles. En termes chrĂ©tiens, la gratitude et l’émerveillement se rejoignent Ă  travers les psaumes dans l’expression de notre relation Ă  Dieu. C’est une reconnaissance continuelle. « Mon Ăąme bĂ©nis l’Eternel ! N’oublie aucun de ses bienfaits » (Ps 103.2). Il y a des vies qui sont animĂ©es par un mouvement de gratitude et d’émerveillement. C’est ce qui apparaĂźt dans le tĂ©moignage d’Odile Hassenforder dans son livre : « Sa prĂ©sence dans ma vie » (14). A travers les Ă©preuves, ce mouvement apparaĂźt constamment comme une prĂ©sence de vie. « Que c’est bon d’exister, pour admirer, m’émerveiller, adorer. C’est gratuit. Je n’ai qu’à recevoir, en profiter, goĂ»ter sans culpabilitĂ©, sans besoin de me justifier (Justifier quoi ? de vivre ?). D’un sentiment de reconnaissance jaillit une louange joyeuse, une adoration au crĂ©ateur de l’univers dont je fais partie, au Dieu qui veut le bonheur de ses crĂ©atures
 Comme il est Ă©crit dans un psaume : Cette journĂ©e est pour moi un sujet de joie. Une joie pleine en sa prĂ©sence, un plaisir Ă©ternel auprĂšs de toi, mon Dieu
 Louez l’Eternel, car il est bon. Son amour est infini » (Ps 16.118). La vie est vraiment trop belle pour ĂȘtre triste. Alleluia » (p 174).

Notre commentaire vient tĂ©moigner en faveur de l’importance du thĂšme de la gratitude. A travers son expĂ©rience personnelle et sa compĂ©tence psychologique, Florence Servan-Schreiber nous invite Ă  une dĂ©couverte, celle d’un mouvement du cƓur et de l’esprit qui se rĂ©vĂšle bienfaisant pour chacun en nous reliant les uns aux autres.

 

Jean Hassenforder

 

(1)            Sur ce blog, un poĂšme : « Nos vies dĂ©pendent l’une de l’autre » : «  Je tisse le lange de l’ĂȘtre qui naĂźt. Sans lui, rien ne serait
 Si tu ne m’avais dit : « avance ». D’autres attendent que tu crĂ©es. Rien ne serait  »  https://vivreetesperer.com/?p=12

(2)            « Le pouvoir de la gratitude. Florence Servan Schreiber à TED X Paris. Salon 2012 » (Vidéo sur You Tube) https://www.youtube.com/watch?v=nZUfJpVxUNI

(3)            Le parcours de David Servan-Screiber est impressionnant. Une formation originale et crĂ©ative en psychiatrie et dans le domaine des neurosciences, principalement aux Etats-Unis. Atteint d’un cancer au cerveau au dĂ©but des annĂ©es 90, il va expĂ©rimenter un ensemble de pratiques innovantes qui vont lui permettre de rĂ©sister Ă  la maladie pendant 20 ans et qu’il va mettre au service de tous dans un ensemble d’écrits. Une crĂ©ativitĂ© qui se manifeste Ă©galement Ă  travers des avancĂ©es comme l’EMDR. Un article dans Wikipedia rend bien compte de cette exceptionnelle contribution. https://fr.wikipedia.org/wiki/David_Servan-Schreiber

(4)            FormĂ©e Ă  la psychologie transpersonnelle aux Etats-Unis, Florence Servan-Schreiber dĂ©veloppe en France des pratiques innovantes et, par ses activitĂ©s et ses Ă©crits, elle participe Ă  la diffusion des idĂ©es nouvelles. Au cours des derniĂšres annĂ©es, elle met en valeur les apports de la psychologie positive, notamment Ă  travers plusieurs livres. https://fr.wikipedia.org/wiki/Florence_Servan-Schreiber     Voir aussi « L’hyper pouvoir de l’amour. Florence Servan-Schreiber. VidĂ©o TED X Lille 2015)   https://www.youtube.com/watch?v=ES0qIGoXtCA

(5)            Robert Emmons est professeur de psychologie Ă  l’UniversitĂ© de Californie et expert mondial dans le domaine de la gratitude. Il travaille au Centre de recherche : « Greater Good The science of a meaningful life ». Ce centre travaille, entre autres, sur des sujets comme l’empathie, la compassion, le pardon, l’émerveillement. Une excellente communication avec de nombreuses vidĂ©os. Une ressource oĂč l’on viendra puiser. http://greatergood.berkeley.edu/topic/empathy

(6)            Professeur Ă  l’UniversitĂ© de Pennsylvanie, psychologue Ă©minent, Martin Seligman est pionnier de la psychologie positive. Cette approche scientifique s’appuie notamment sur des « valeurs millĂ©naires dans toutes les traditions du monde : sagesse/connaissance, courage, humanitĂ©, justice, tempĂ©rance, transcendance ». https://fr.wikipedia.org/wiki/Martin_Seligman Sur Ted, une interview de Martin Seligman sur la psychologie positive : https://www.ted.com/talks/martin_seligman_on_the_state_of_psychology?language=fr

(7)            Kif est un mot qui s’est introduit rĂ©cemment dans le langage courant. « Un « kif » ou « kiff » est une passion, un plaisir personnel ou simplement un moment de bonheur ». Wikipedia nous rapporte l’origine et la popularisation de ce thĂšme. https://fr.wikipedia.org/wiki/Kiffer

(8)            Le courant de la psychologie positive est bien prĂ©sent aujourd’hui en France. On pourra consulter le site : « Psychologie positive » animĂ© par Jacques Lecomte : http://www.psychologie-positive.net

Sur ce blog, présentation du livre de Jacques Lecomte sur « la bonté humaine » : https://vivreetesperer.com/?p=674

(9)            Sur ce blog : « la force de l’empathie » : https://vivreetesperer.com/?p=137                                     Le livre de JĂ©rĂ©mie Rifkin sur l’empathie mis en perspective sur le site de TĂ©moins : « Vers une civilisation de l’empathie  » : http://www.temoins.com/vers-une-civilisation-de-lempathie-a-propos-du-livre-de-jeremie-rifkinapports-questionnements-et-enjeux/

(10)      « Quel regard sur la société et sur le monde ? Un changement de perspective » : https://vivreetesperer.com/?p=191

(11)      « Bienveillance humaine. Bienveillance divine. Une harmonie qui se répand » (« Oser la bienveillance » par Lytta Basset)  https://vivreetesperer.com/?p=1842

(12)      « La vie spirituelle comme « une conscience relationnelle ». La recherche de David Hay sur la spiritualitĂ© d’aujourd’hui » : http://www.temoins.com/la-vie-spirituelle-comme-une-l-conscience-relationnelle-r/

(13)      « Une thĂ©ologie pour notre temps. L’autobiographie de JĂŒrgen Moltmann » : http://www.temoins.com/une-theologie-pour-notre-temps-lautobiographie-de-juergen-moltmann/     Un blog concernant la pensĂ©e thĂ©ologique de JĂŒrgen Moltmann : http://www.lespritquidonnelavie.com

(14)      Odile Hassenforder. Sa présence dans ma vie. Parcours spirituel. Empreinte Temps présent, 2011

Présentation : http://www.temoins.com/sa-presence-dans-ma-vie-odile-hassenforder-temoignages-d-une-vie-et-commentairres-de-lecteurs/

Sur ce blog, nombreuses expressions d’Odile Hassenforder : https://vivreetesperer.com/?p=2345 

Ainsi, une attitude de gratitude et d’émerveillement dans les petites choses : « De petits riens de grande portĂ©e. La bienveillance au quotidien » : https://vivreetesperer.com/?p=1849

 

La gratitude et le bonheur sous un autre aspect :

« Une boite Ă  soleil. ReconnaĂźtre les petits bonheurs comme un flux de vie. De l’archĂ©ologie de la souffrance Ă  une psychologie des ressources, par Jeannne Siaud Fachin » (TED X Paris Vaugirard Road) : https://vivreetesperer.com/?p=2002

Comprendre la mutation actuelle de notre société requiert une vision nouvelle du monde

La nouvelle conjoncture, selon Jean Staune.

 CapturehgjfggDans l’inquiĂ©tude et l’incertitude actuelle concernant l’évolution de notre sociĂ©tĂ©, nous sentons bien que nous vivons Ă  une Ă©poque de grandes mutations.  Et d’ailleurs, nous sommes Ă©clairĂ©s Ă  ce sujet par des auteurs capables d’analyser cette Ă©volution historique (1). Plus nous nous situons dans ce mouvement, plus nous voyons en regard Ă©merger de nouvelles pensĂ©es et de nouvelles pratiques, plus nous sommes Ă  mĂȘme de nous diriger. Et comme le nouveau monde qui apparaĂźt est aussi un puzzle dans lequel des Ă©lĂ©ments trĂšs variĂ©s viennent prendre place, nous avons avantage Ă  recourir Ă  des Ɠuvres de synthĂšse. A cet Ă©gard, le livre de Jean Staune : « les clĂ©s du futur. RĂ©inventer ensemble la sociĂ©tĂ©, l’économie et la science » (2) est particuliĂšrement Ă©clairant.

En effet, son auteur met ici en Ɠuvre une culture fondĂ©e sur une observation et une recherche qui se dĂ©veloppent dans des champs diffĂ©rents. Ainsi, le texte de quatriĂšme de couverture, prĂ©sente Jean Staune comme philosophe des sciences, diplĂŽmĂ© en Ă©conomie, management, philosophie, mathĂ©matiques, informatique et palĂ©ontologie. Jean Staune est enseignant dans la MBA du groupe HEC et expert de l’Association ProgrĂšs du Management (APM). Il est notamment l’auteur d’un best-seller : « Notre existence a-t-elle un sens ? (Presses de la Renaissance, 2007) ». Ce livre tĂ©moigne du rĂŽle pionnier de l’auteur dans l’exploration des nouveaux rapports entre sciences, religions et spiritualitĂ©s. A travers la dĂ©marche internationale de l’Université  Interdisciplinaire de Paris (3),  Jean Staune a fait connaĂźtre en France une vision nouvelle des implications philosophiques et mĂ©taphysiques de la rĂ©volution scientifique. Cette culture a inspirĂ© la rĂ©daction des « ClĂ©s du futur » qui nous invite Ă  « rĂ©inventer ensemble la sociĂ©tĂ©, l’économie et la science ».

Et effectivement, l’auteur tient son engagement. Dans un livre de 700 pages, prĂ©facĂ© par Jacques Attali, il nous emmĂšne Ă  la dĂ©couverte de la mutation en cours en une quinzaine de chapitres particuliĂšrement accessibles si bien, que d’un bout Ă  l’autre, on entre ainsi dans un grand mouvement qui se dĂ©roule en cinq parties : « Les deux rĂ©volutions qui vont changer notre vie. Aux racines de la crise. Les germes d’une nouvelle sociĂ©tĂ©. Les bases d’une nouvelle Ă©conomie. De nouveaux types d’entreprises, piliers du monde de demain ». A travers une immense information qui s’exprime dans une multitudes d’exemples et d’études de cas, ce livre se lit avec une joie d’apprendre constamment renouvelĂ©e. Devant la richesse de ces donnĂ©es et de ces analyses originales, on ne peut procĂ©der Ă  un compte-rendu dĂ©taillĂ©. Nous donnerons un bref aperçu des principaux mouvements de ce livre pour encourager la lecture de ce qui nous apparaĂźt non seulement comme un livre ressource, mais aussi comme un livre clĂ©.

 

Les deux révolutions qui vont changer notre vie

Dans la mutation en cours, comment Jean Staune envisage-t-il le moteur du changement ? « Deux grandes rĂ©volutions vont changer notre vie ». Il y a « une rĂ©volution fulgurante » : la rĂ©volution internet que constituent les « quatre internets ». L’auteur sait dĂ©gager les Ă©vĂšnements significatifs qui ponctuent cette histoire. Cependant, si nous sommes tous plus ou moins conscients de cette transformation accĂ©lĂ©rĂ©e, il y a Ă©galement une Ă©volution plus profonde, plus discrĂšte qui est souvent sous-estimĂ©e, voire inaperçue : un changement de paradigme scientifique et une nouvelle vision du monde qui commencent Ă  influencer nos maniĂšres de penser. Jean Staune est bien placĂ© pour nous parler des effets de cette rĂ©volution scientifique : « Cette rĂ©volution silencieuse, c’est celle qui nous fait passer du monde de la science classique, dĂ©terministe, mĂ©caniste et rĂ©ductionniste qui s’est dĂ©veloppĂ©e aprĂšs les travaux de GalilĂ©e, Copernic et Newton, et sur laquelle reposent les fondements de la modernitĂ© Ă  un monde beaucoup plus complexe, subtil et profond liĂ© Ă  la physique quantique, Ă  la thĂ©orie du chaos, Ă  la relativitĂ© gĂ©nĂ©rale, Ă  la thĂ©orie du Big Bang et aux dĂ©couvertes que l’on peut prĂ©dire dans le monde des sciences de la vie et de la conscience
 Comme toute civilisation dĂ©pend pour son organisation sociale et Ă©conomique, de la vision du monde qui domine parmi ses membres, les changements de vision du monde sont les Ă©vĂšnements les plus importants de l’histoire humaine. Cette rĂ©volution, malgrĂ© son caractĂšre thĂ©orique est porteuse de profonds changements sociĂ©taux que viendront renforcer Ă  terme ceux issus de la rĂ©volution fulgurante » (p 180).

 

Aux racines de la crise.

Si Jean Staune nous aide ainsi Ă  percevoir les grands mouvements dans lesquels nous sommes engagĂ©s, il nous Ă©claire aussi sur les racines de la crise financiĂšre et Ă©conomique qui a ravagĂ© le monde au cours de ces derniĂšres annĂ©es et sur les attendus idĂ©ologiques des menaces qui pĂšsent encore sur nous aujourd’hui.

Pendant toute une pĂ©riode, le capitalisme a rĂ©ussi Ă  Ă©lever notre niveau de vie. Mais, constate Jean Staune, « Aujourd’hui, c’est un vĂ©ritable champ de ruines qui se dresse sous nos yeux 
 Nous sommes passĂ©s trĂšs prĂšs d’un effondrement gĂ©nĂ©ral du systĂšme en 2008, et si celui-ci a pu ĂȘtre rafistolĂ©, les solutions adoptĂ©es dans l’urgence ne sont Ă  l’évidence que provisoires » (p196). L’auteur nous fait comprendre de l’intĂ©rieur les mĂ©canismes qui ont entraĂźnĂ© en 2008, la chute du systĂšme Ă©conomique. De fait, les mĂ©canismes financiers secrĂ©tĂ©s peu Ă  peu par les banques Ă©taient devenus des « armes financiĂšres de destruction massive ». En analysant ainsi l’apparition de la crise et son dĂ©roulement, Jean Staune nous montre en quoi elle est le produit d’une pensĂ©e sur l’économie alors devenue dominante. Il Ă©voque deux erreurs fondamentales. «  La premiĂšre est une erreur idĂ©ologique qui consiste Ă  affirmer de façon rĂ©pĂ©titive : « le marchĂ© le sait mieux que nous  », ce que le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz a appelĂ© « le fanatisme du marché » L’autre est une erreur thĂ©orique qui amĂšne Ă  sous estimer de façon systĂ©matique le risque que prennent rĂ©ellement les acteurs Ă©conomiques et financiers dans un monde globalisé  » (p 237). L’absence croissante de rĂ©gulation a menĂ© l’économie financiĂšre amĂ©ricaine Ă  sa perte. De nombreux exemples montrent les dangers d’une dĂ©rĂ©glementation irrĂ©flĂ©chie.

En bref, « comme la crise des « subprimes » l’a parfaitement dĂ©montrĂ©, la recherche de l’intĂ©rĂȘt Ă©conomique d’un petit nombre d’acteurs peut aller Ă  l’encontre des intĂ©rĂȘts  de quasiment tous les acteurs Ă©conomiques et gravement menacer l’équilibre de la sociĂ©té  Nous avons ensuite fait une grande erreur thĂ©orique, celle qui a conduit Ă  minimiser les Ă©vĂšnements extrĂȘmes et les risques qu’ils reprĂ©sentent dans le monde Ă©conomique et financier
 enfin, par aviditĂ©, pour mieux multiplier les profits grĂące aux effets de levier et parfois tout simplement pour pouvoir mieux soustraire les risques potentiels aux yeux des acheteurs, nous avons crĂ©Ă© volontairement de l’hypercomplexitĂ© dans un monde dĂ©jĂ  complexe  » (p 304)

 

Les bases d’une nouvelle Ă©conomie

Face Ă  la dĂ©composition actuelle, une recomposition s’impose et s’esquisse. Le diagnostic de la crise du capitalisme ayant Ă©tĂ© posĂ©, Jean Staune peut reprendre sa marche en avant en Ă©tudiant les bases de la nouvelle Ă©conomie qui s’annonce. Ainsi il dĂ©crit l’essor d’une Ă©conomie du savoir qui ouvre l’ùre du postcapitalisme. Il plaide pour l’intĂ©gration du bien commun au cƓur des processus Ă©conomiques et montre en quoi des innovations positives commencent Ă  apparaĂźtre en ce domaine. Oui, une Ă©volution morale est possible ! Enfin il fait le point sur l’impact de la prise de conscience Ă©cologique et les transformations qui en rĂ©sultent. Certains d’entre nous sont dĂ©jĂ  avertis des Ă©volutions en cours (4), mais, comme pour le reste du livre, on dĂ©couvre sans cesse dans ces chapitres des innovations percutantes et des points de vue originaux. Oui aujourd’hui, « nos pratiques Ă©conomiques connaissent une triple Ă©volution, conceptuelle, Ă©cologique et Ă©thique » (p 527).

 

De nouveaux types d’entreprises, piliers du monde de demain

Dans cette Ă©volution, les entreprises peuvent ĂȘtre des vecteurs privilĂ©giĂ©s de changement. DĂ©jĂ  certaines montrent le chemin. Expert en management, bien informĂ© sur toutes les innovations significatives au plan international, dans la derniĂšre partie du livre, l’auteur traite «  des nouveaux types d’entreprise, pilier du monde de demain ».

Ces innovations sont en phase avec un changement en profondeur des aspirations sociales et culturelles, le refus d’une imposition hiĂ©rarchique et le dĂ©sir de participation et de collaboration, une crĂ©ativitĂ© et un Ă©lan d’initiative, le dĂ©veloppement d’attitude empathiques qui dĂ©bouchent sur un climat de confiance. On retrouve ici l’inspiration positive qui irrigue le livre de Jacques Lecomte : « Les entreprises humanistes » (5) dans sa dĂ©monstration des effets bĂ©nĂ©fiques de « la motivation par le sens donnĂ© au travail, la confiance dans la collaboration, le leadership serviteur, le sentiment de la justice organisationnelle, la finalitĂ© humaniste de l’entreprise, sa responsabilitĂ© sociĂ©tale, et environnementale , y compris dans des moments difficiles ».

Jean Staune nous montre dans quelles directions la finalitĂ© de l’entreprise commence Ă  ĂȘtre repensĂ©e : « Il existe deux grands mouvements qu’il faut pousser les entreprises Ă  adopter et Ă  dĂ©velopper : la mise en place de processus pouvant permettre aux salariĂ©s de mieux se rĂ©aliser et une sĂ©rie de pratiques incitant les entreprises Ă  travailler pour le bien commun et non pas seulement pour celui des actionnaires » (p 649). Dans un monde plus complexe, et donc selon la thĂ©orie du chaos, plus incertain, pour s’adapter, l’entreprise est appelĂ©e Ă  devenir plus flexible, moins hiĂ©rarchique, mieux insĂ©rĂ©e dans son environnement et moins tournĂ©e vers le profit d’un petit groupe.

 

Les germes d’une nouvelle sociĂ©tĂ©

Les « germes d’une nouvelle sociĂ©té » sont dĂ©jĂ  apparus. Jean Staune nous prĂ©sente ce phĂ©nomĂšne en faisant appel aux concepts aujourd’hui de plus en plus rĂ©pandus de « modernitĂ©, postmodernitĂ© et transmodernité ». Aujourd’hui, aprĂšs le rejet des cadres rigides de la modernitĂ© dans la rĂ©volution culturelle de la postmodernitĂ©, une nouvelle phase apparaĂźt : celle de la transmodernitĂ©  « susceptibles de reconstruire une nouvelle sociĂ©tĂ© avec de nouvelles valeurs et d’autres modes de fonctionnement ».

Un groupe moteur apparaĂźt comme le fer de lance de cette transformation, celui des « culturels crĂ©atifs ». A plusieurs reprises, nous avons dĂ©jĂ  prĂ©sentĂ© ce groupe socio-culturel, identifiĂ© pour la premiĂšre fois aux Etats-Unis Ă  la fin des annĂ©es 1990, et aujourd’hui en pleine croissance dans les pays occidentaux et au Japon (6). Jean Staune nous prĂ©sente en ces termes le nouvel Ă©tat d’esprit qui se dĂ©veloppe chez les crĂ©atifs culturels : « Ils se dĂ©finissent  par un intĂ©rĂȘt pour l’écologie, la prĂ©servation de la nature, les mĂ©decines douces et les civilisations traditionnelles. Ils pratiquent au quotidien des gestes qui contribuent au dĂ©veloppement durable, achĂštent des produits de l’agriculture biologique ou du commerce Ă©quitable, voire investissent dans des produits Ă©thiques
. Ces personnes recherchent une dimension spirituelle, mais pas forcĂ©ment dans le cadre des grandes religions constituĂ©es, ont une morale qui implique le retour Ă  la fidĂ©litĂ©, mais pas forcĂ©ment dans le mariage, la sincĂ©ritĂ© et la transparence, valeurs qui s’accompagnent d’une ouverture Ă  l’autre, aux autres civilisation, aux autres religions et au rejet du dogmatisme » (p 383).

Ainsi s’organise une sociĂ©tĂ© nouvelle : « MĂȘme si les contours de cette nouvelle sociĂ©tĂ© sont encore flous, on voit bien qu’une grande partie de nos pratiques et de nos attitudes vont en ĂȘtre – et en sont dĂ©jĂ  – profondĂ©ment bouleversĂ©s ». Cela vaut dans tous les domaines, y compris dans le champ religieux. Ainsi, dans le chapitre : « Les mĂ©tamorphoses de Dieu » (p 370-382), l’auteur met en Ă©vidence une puissante expression personnalisĂ©e des aspirations spirituelles qui interpelle les modes hiĂ©rarchisĂ©es et structurĂ©s des religions traditionnelles (7).

 

Jean Staune nous propose une vue globale sur l’évolution actuelle du monde en montrant les interrelations entre « cinq rĂ©volutions quasiment simultanĂ©es dont les effets se renforcent : une rĂ©volution technologique, une rĂ©volution conceptuelle, une rĂ©volution sociĂ©tale, une rĂ©volution Ă©conomique, une rĂ©volution managĂ©riale ». Mais grĂące Ă  son expertise dans le domaine scientifique, il peut nous montrer l’influence majeure exercĂ©e par la rĂ©volution conceptuelle : « L’ambition de cet ouvrage est de vous donner des clĂ©s pour comprendre non seulement comment le monde change, mais aussi pourquoi. Et c’est ici qu’il faut se tourner vers la rĂ©volution scientifique et conceptuelle qui a commencĂ© il y a plus d’un siĂšcle »  (p 661). De fait, Ă  partir d’un ensemble d’observations que nous avons rapportĂ© de temps Ă  autre, tant sur notre maniĂšre d’agir que sur notre maniĂšre d’ĂȘtre, Jean Staune affirme que « la courbe de l’évolution de la sociĂ©tĂ© et, de façon souterraine et indirecte, dirigĂ©e par la courbe de l’évolution des idĂ©es scientifiques » (p 655). Si on peut s’interroger sur le caractĂšre causal de certains rapports, l’analyse de l’auteur nous paraĂźt Ă©clairante et on abonde dans son sens lorsqu’il proclame que « la vision du monde est premiĂšre ».

Quelles sont les incidences majeures de cette approche sur notre maniĂšre de voir et de penser aujourd’hui ? « Ce monde d’incertitude, d’incomplĂ©tude, d’imprĂ©dictibilitĂ© est certes un monde qui peut ĂȘtre angoissant, mais aussi un monde plein d’opportunitĂ©s. Mais c’est surtout, sur le plan spirituel, un monde ouvert » (p 687). Tout est dit lĂ . Nous voyons dans cette conjoncture une invitation Ă  reconnaĂźtre l’Ɠuvre de l’Esprit, une ouverture Ă  ce qui advient (8). A tous Ă©gards, ce livre nous paraĂźt une lecture indispensable.  Il nous Ă©claire dans la comprĂ©hension du nouveau monde qui est en train d’apparaĂźtre. Il nous montre les voies des potentialitĂ©s positives. Il nous invite Ă  un dĂ©passement.

 

J H

 

(1)            « Quel avenir pour le monde et pour la France ? » (Jean-Claude Guillebaud. Une autre vie est possible) : https://vivreetesperer.com/?p=937                                « Un chemin de guĂ©rison pour l’humanitĂ©. La fin d’un monde. L’aube d’une renaissance » (FrĂ©dĂ©ric Lenoir. La guĂ©rison du monde) : https://vivreetesperer.com/?p=1048

(2)            Staune (Jean). Les clĂ©s du futur. RĂ©inventer ensemble la sociĂ©tĂ©, l’économie et la science. PrĂ©face de Jacques Attali. Plon, 2015

(3)            UniversitĂ© interdisciplinaire de Paris : http://uip.edu.                       L’UIP a tenu, en janvier 2016, un colloque : Science et Connaissance. De la matiĂšre Ă  l’Esprit. Sur ce blog, nous avons rapportĂ© l’intervention de Mario Beauregard : pour une approche intĂ©grale de la conscience : https://vivreetesperer.com/?p=2341

(4)            « Face Ă  la crise : un avenir pour l’économie » (La troisiĂšme rĂ©volution industrielle. JĂ©rĂ©mie Rifkin) : https://vivreetesperer.com/?p=354                              « Une rĂ©volution de « l’ĂȘtre ensemble » (Vive la co-rĂ©volution. Pour une sociĂ©tĂ© collaborative. Anne-Sophie Novel et StĂ©phane Riot) : https://vivreetesperer.com/?p=1394                        « L’ùre numĂ©rique » (Gilles Babinet) : https://vivreetesperer.com/?p=1812

« La société collaborative. La fin des hiérarchies » (OuiShare)         https://vivreetesperer.com/?p=2205

(5)            « Vers un nouveau climat de travail dans des entreprises humanistes et conviviales » (les entreprises humanistes. Jacques Leconte) : https://vivreetesperer.com/?p=2318

(6)            Sur le site de Témoins : « Les créatifs culturels. Un courant émergent dans la société française »

(7)            Dans son livre : « La guerre des civilisations n’aura pas lieu », RaphaĂ«l Liogier met en Ă©vidence un courant religieux ascendant qui allie souci de soi et conscience du monde.         « Dynamique culturelle et vivre ensemble dans un monde globalisé » : https://vivreetesperer.com/?p=2296

(8)            La pensĂ©e thĂ©ologique de JĂŒrgen Moltmann nous apprend Ă  regarder vers le nouvel univers que Dieu prĂ©pare en Christ ressuscitĂ© et Ă  en reconnaĂźtre les manifestations. « Vivre dans l’espĂ©rance de la parousie
 C’est vivre dans l’anticipation de ce qui vient, dans l’attente crĂ©atrice (JĂ©sus. Le messie de Dieu, p 462). Introduction Ă  la pensĂ©e de JĂŒrgen Moltmann sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie » : http://www.lespritquidonnelavie.com    Notamment : « L’avenir de Dieu pour l’humanitĂ© et la terre » : http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=798