A une époque où une mutation technologique interfère avec l’évolution économique, dans un cours parsemé de troubles qui suscite une inquiétude sociale et un malaise politique, la nécessité de faire face engendre le besoin d’échapper à l’isolement et de participer à une dimension communautaire.
Ce besoin a été diagnostiqué par Thomas Friedman, un expert américain, qui, dans son livre : « Thank you for being late » (1), nous appelle à prendre le temps de la réflexion face au phénomène de l’accélération généralisée des techniques de communication et aux effets induits qui bouleversent notre manière de travailler et, plus généralement, notre manière de vivre. Thomas Friedman nous dit combien dans cette situation mouvementée, nous avons besoin d’une force spirituelle et d’un enracinement social. Et, pour cela, « cherchons à enraciner autant de gens que possible dans des communautés saines » (p 34). C’est le moyen de développer une solidarité efficace. Les africains expriment cela dans les termes d’un dicton : « Elever un enfant requiert tout un village ».Thomas Friedman a lui aussi grandi dans une forte communauté et il en expérimenté les bienfaits. Depuis le livre d’Alexis de Tocqueville : « De la démocratie en Amérique », nous savons combien la dynamique associative a porté la vie des Etats-Unis dans toutes ses dimensions. Mais aujourd’hui, on peut observer les bienfaits de la vie associative dans beaucoup d’autres pays, en France en particulier. Et dans notre pays, cette dynamique ne faiblit pas. Au contraire, elle engendre une vitalité (2).
Aujourd’hui, dans une nouvelle conjoncture mondiale, facebook prend conscience de l’importance de la dimension communautaire. En 2016, des aléas politiques ont contribué à renforcer la conscience qu’une communication saine à l’échelle des peuples et du monde était un bien précieux auquel il fallait veiller. A cet égard, facebook a bien une responsabilité particulière puisqu’aujourd’hui deux milliards d’humains sont connectés.
Facebook : un nouvel horizon
Le 22 juin 2017, Mark Zuckerberg, fondateur et directeur de facebook a émis une déclaration par laquelle il engage ce réseau dans une politique qui va chercher à rassembler davantage les gens (« bringing people closer together »), à travers une politique qui met l’accent sur le développement communautaire, la promotion de communautés dans le réseau (3).
Une grande organisation n’infléchit pas son orientation sans une étude préalable. C’est bien ce qui s’est passé ces derniers mois et qui aboutit à ce changement de cap. Ainsi, Mark Zuckerberg s’est beaucoup entretenu avec les responsables des communautés déjà actives dans le réseau. Celles-ci apparaissent aujourd’hui comme un exemple dont on peut s’inspirer. Ainsi mentionne-t-il une communauté professionnelle rassemblant des serruriers. Il y a aussi des communautés centrées sur un aspect de la vie : partager les expériences et les questions de jeunes mamans et de jeunes papas, aider des jeunes à entrer au collège. Voici une réalisation particulièrement originale : « Il y a quelques semaines, j’ai rencontré Lola Omolola. Lola vit à Chicago et elle est originaire du Nigéria. Il y a deux ans, Lola a fondé un groupe secret appelé : « Female IN ». Elle le décrit comme un groupe de soutien qui ne porte pas de jugement en vue de donner aux femmes un endroit sûr pour parler de tout, du mariage aux questions de santé et aux problèmes de travail. Aujourd’hui ce groupe a plus d’un million de membres à travers le monde, toutes des femmes, parce qu’une femme s’est souciée de leur donner une voix ». Lorsqu’une communauté répond ainsi à des besoins, être responsable de sa bonne marche est un véritable engagement. Ces responsables ont besoin de soutien. Facebook va s’engager en ce sens.
Un nouvel horizon : « Bringing people together »
« Dans les décennies passées, nous nous sommes centrés sur un objectif : rendre le monde plus ouvert et plus connecté (« bringing the world more open and connected »). Nous n’avons pas terminé. Mais j’avais l’habitude de penser que si nous donnions simplement une voix aux gens et que nous les aidions à se connecter, cela rendrait par là même le monde meilleur. De bien des manières, cela a été le cas. Mais notre société est encore divisée. Maintenant, je pense que nous avons la responsabilité de faire davantage. Il n’est pas suffisant de simplement connecter le monde ; nous devons aussi travailler à rendre le monde plus proche, rapprocher les gens ensemble (« bring people closer together »). Nous avons besoin de donner une voix aux gens pour permettre une expression de la diversité des opinions, mais nous avons aussi besoin de créer du commun pour que nous puissions ensemble faire des progrès. Nous avons besoin de rester connectés avec les gens que nous connaissons et auxquels nous faisons déjà attention, mais nous avons aussi besoin de rencontrer des gens nouveaux avec des perspectives nouvelles. Nous avons besoin de la famille et des amis, mais nous avons aussi besoin de participer à des communautés.
Aujourd’hui, nous avons choisi de redéfinir notre mission. Notre projet est de donner aux gens le pouvoir et la capacité de créer des communautés et de rendre le monde plus proche. Nous ne pouvons pas faire cela seuls. Il nous faut donner aux gens la capacité de créer ces communautés.
Nos vies sont maintenant connectées. Dans la prochaine génération, nos grands défis seront énormes : mettre fin à la pauvreté, guérir les maladies, arrêter le changement climatique, répandre la liberté et la tolérance, stopper le terrorisme. Nous devons bâtir un monde où les gens vont converger pour effectuer ces efforts significatifs ».
Une dynamique communautaire
« Cela ne peut pas venir d’en haut. Il est nécessaire que les gens le désirent. Les changements commencent sur le plan local lorsqu’un nombre suffisant d’entre nous se sent concerné et soutenu pour s’engager dans des perspectives plus vastes.
Les gens ont généralement envie d’aider les autres, mais nous trouvons aussi que nous avons nous-mêmes également besoin d’être soutenus. Les communautés nous donnent le sentiment que nous faisons partie de quelque chose qui est plus grand que nous-mêmes, que nous ne sommes pas seuls, qu’il y a quelque chose de mieux à réaliser en avançant.
Nous retirons tous du sens de nos communautés. Que ce soient des églises, des équipes de sport, des groupes de voisinage, nous recevons d’elles la force d’ouvrir notre horizon et de nous engager pour des causes plus grandes. Des études ont prouvé que, plus nous sommes connectés, plus nous nous sentons heureux et en meilleure santé. Les gens qui vont à l’église sont plus nombreux à se porter volontaires et à donner, pas seulement parce qu’ils sont religieux, mais aussi parce qu’ils font partie d’une communauté.
C’est pourquoi il est si frappant de voir que, pendant les dernières décennies, l’appartenance à tous les genres de groupes a baissé d’un quart (l’auteur décrit la situation américaine). Il y a là beaucoup de gens qui ont besoin de trouver le sens d’un but et un soutien quelque part. Voilà notre défi. Nous sommes appelés à bâtir un monde où chacun puisse avoir un sens de projet et de communauté. C’est ainsi que nous pourrons rendre le monde de plus en plus proche, où nous pourrons prendre soin d’une personne en Inde, en Chine, au Nigéria et au Mexique aussi bien que d’une personne ici.
Je sais que nous pouvons faire cela. Nous pouvons renverser ce déclin, rebâtir nos communautés et rendre le monde plus proche.
Promouvoir la participation à des communautés significatives (« meaningful communities »)
« La plupart d’entre nous, nous faisons partie de groupes, soit dans le monde physique, soit sur internet. Une personne moyenne sur facebook est membre d’environ 30 groupes, mais, si vous avez de la chance, il peut y en avoir un ou deux qui sont importants pour vous. Les autres sont des groupes occasionnels. Nous avons trouvé que cent millions de gens sont membres de communautés significatives. Elles comptent pour vous ». Mark Zuckerberg précise sa pensée : Les communautés significatives auxquelles nous tendons ne sont pas uniquement en ligne. « Si vous avez besoin d’être soutenu dans une maladie, si vous avez de nouveaux parents, ces communautés n’interagissent pas seulement en ligne. Elles organisent des repas et se soutiennent dans la vie quotidienne ». Des communautés en ligne peuvent également élargir des communautés physiques.
Si deux milliards de gens utilisent facebook, pourquoi avons-nous aidé seulement 100 millions à joindre des communautés significatives ? Aujourd’hui, nous sommes en train de nous fixer un but : aider un milliard de gens à joindre des communautés significatives. Si nous réussissons cela, cela commencera à fortifier notre tissu social et à rapprocher le monde : « bring the world closer together ».
Cette missive se termine sur des considérations stratégiques. Comment agir pratiquement pour atteindre cet objectif ? Facebook est appelé à innover, car il n’est pas familiarisé avec le développement communautaire. Il ne suffit pas de faire connaître aux gens, grâce à l’intelligence artificielle, des communautés qui peuvent être significatives pour eux ; il est également nécessaire que le nombre de nouvelles communautés significatives grandisse rapidement, et pour cela facebook se propose d’encourager et d’aider les nouveaux leaders.
Un grand dessein
Facebook est apparu en 2006, il y a dix ans seulement. Le chemin parcouru est impressionnant. Aujourd’hui, deux milliards d’humains utilisent et fréquentent facebook. Et voici que le fondateur et animateur de facebook, Mark Zuckerberg, prend conscience qu’un nouveau pas est nécessaire parce que, dans ce monde en mutation, une exigence nouvelle apparaît : face à la tentation de la division et du repli, renforcer les forces de cohésion et d’unification, permettre aux gens de vivre davantage en convivialité et en solidarité. Il y a bien là une contribution pour répondre à une aspiration qui se fait jour dans tous les pays. C’est par exemple l’émergence de la notion de tiers lieu, un espace social propice à la convivialité entre la maison et le travail (4). En France même, on appelle à plus de convivialité (5), plus de fraternité (5). Il y a partout des forces collaboratives en voie de s’exprimer. Ce nouvel espace ouvert à la dynamique associative doit encourager la créativité dans l’expression sociale sur tous les registres : entraide, éducation, santé, spiritualité.
Des formes anciennes déclinent, des formes nouvelles apparaissent. C’est bien le mouvement de la vie. « L’essence de la création dans l’Esprit est la « collaboration » et les structures manifestent la présence de l’Esprit dans la mesure où elles font connaître « l’accord général ». « Au commencement était la relation » (Martin Buber) » (Jürgen Moltmann) (7). En écoutant Mark Zuckerberg et en lisant sa missive très simple, très conviviale, on peut percevoir, dans ces propos, la genèse d’une grande innovation sociale à l’échelle du monde. Il y a là un grand dessein. On le reçoit comme une promesse.
J H
(1) Thomas Friedman. Thank you for being late. An optimist’s guide to thriving in the age of accelerations. Allen Lane, 2016 Mise en perspective : « Un monde en changement accéléré » : https://vivreetesperer.com/?p=2560
(2) Roger Sue. La contresociété. Les liens qui libérent, 2016 Mise en perspective : « Vers une société associative. Transformations sociales et émergence d’un individu relationnel » : https://vivreetesperer.com/?p=2572
Au cours des dernières décennies, on a pu observer dans chaque génération, des styles différents se marquant dans les aspirations, les représentations, les comportements. S’il y a bien un mouvement dans la durée où se marque une orientation globale, il y a une dominante particulière dans chaque génération. Et certaines d’entre elles, comme la génération qui a participé aux évènements de la fin des années 1960, à travers le moment de 1968, est perçue comme une génération innovante par les sociologues et les historiens (1). Dans la perspective des mutations en cours dans nos sociétés (2), le mouvement se poursuit. Assurément, la mondialisation, la révolution numérique, la prise de conscience écologique ne peuvent pas se développer sans marquer les esprits. Et c’est ainsi qu’on parle aujourd’hui d’une génération Y qui rassemble les jeunes nés dans les années 1980 et 1990 (3). Les changements de mentalité sont rapides et on évoque déjà une prochaine génération Z. Cependant, notons d’emblée que si les enquêtes mettent bien en évidence des inflexions, la jeunesse n’est pas homogène dans ses conditions sociales et son rapport à la société, et donc dans ses comportements. Si cette réalité appelle la prudence dans les généralisations, il n’en est pas moins vrai qu’on peut constater des changements de mentalité sensibles dans certaines portions des jeunes générations, particulièrement dans le groupe le plus instruit.
Les aspirations nouvelles interpellent les institutions. Elles font irruption dans la vie professionnelle où elles remettent en question les cadres dominants et les institutions établies. Ainsi la génération Y manifeste une recherche de sens et un désir d’accomplissement. La génération suivante poursuit le mouvement vers une recherche accrue d’autonomie et d’initiative.
Emmanuelle Duez n’est pas seulement observatrice. Elle est actrice sur ce terrain jusque dans la création et le développement d’une entreprise directement concernée. Dans une vidéo rapportant une intervention au « Positive Economy Forum » (Le Havre, 2015) (4), elle exprime ainsi une perspective militante. Le titre de la vidéo annonce la couleur : « Cette vidéo va changer votre manière de voir les jeunes (génération Y et Z) » (5). Si on ne lui demande pas comme à un sociologue de nuancer ses propos, son intervention ouvre tout grand un nouvel horizon et nous appelle à réfléchir. Vague après vague, une nouvelle manière de vivre apparaît dans un monde en pleine mutation. Elle n’est pas sans limite, mais à nous d’en voir les promesses et d’y participer.
Première génération d’un nouveau monde
La génération Y, issue des naissances durant les années 80 et 90, a grandi dans un monde en pleine mutation si bien que les mentalités correspondantes rompent avec des habitudes bien installées. Ainsi au départ, peut-elle éveiller une inquiétude chez les plus anciens. Cependant, la génération Y est bien la première d’un nouveau monde. Emmanuelle Duez définit la génération Y comme « la générationpremièrefois » :
° La première génération mondiale
° La prochaine grande génération (La moitié de la population mondiale a moins de trente ans)
° La première génération numérique (Michel Serres définit la révolution numérique comme la troisième révolution anthropologique de l’humanité (6)). C’est la raison pour laquelle on appelle la génération Y, la génération « Digital native ».
° La première génération postmoderne à l’aube d’une nouvelle ère. Tous les grands modèles qui ont sous tendu la conception de notre société actuelle sont à réinventer.
° La première génération omnisciente grâce à l’usage d’internet (résumé de l’intervention (7))
Ainsi cette génération répandue dans tous les continents, est en mesure d’exercer un rôle déterminant : « La génération Y est une génération massive et globalisée qui arrive dans un monde à réinventer avec un pouvoir dans ses mains : le numérique.
Ces nouveaux comportements interpellent les différentes institutions politiques, scolaires, religieuses. Intervenant dans un forum d’économie positive, Emmanuelle Duez montre l’impact de ce changement de comportement dans la vie des entreprises.
« Lesujet Y ne comprend pas et ne reconnaît pas le système de management actuellement en vigueur dans les entreprises.
Le sujet Y préfère partir ou « débrancher la prise » (C’est à dire se désengager).
On assiste à un turn over en hausse parmi ces jeunes malgré une situation économique compliquée.
Ils croient qu’autre chose est possible et portent un regard différent sur l’entreprise.
Ils font plusieurs paris :
Faire passer le pourquoi avant le comment
Faire passer la flexibilité avant la nécessité
Faire passer l’exemplarité avant le statut
Avoir l’ambition de s’accomplir avant de réussir ».
Emmanuelle Duez esquisse ensuite un regard sur la génération suivante en train d’apparaître. C’est la génération Z. Très critique et consciente des changements à venir, les jeunes appartenant à cette génération manifestent une attitude d’autonomie et s’attachent à leurs parcours de formation. « Ainsi, la génération Z estime devoir apprendre ses métiers d’une manière révolutionnaire par rapport aux générations passées : demain, on apprendra de soi, de l’entreprise et de l’école (D’après une enquête, seulement 7% des sujets interrogés estiment que les compétences professionnelles seront apprises à l’école) ».
La mixité : une nouvelle manière de travailler ensemble
Emmanuelle Duez évoque la génération Y dans différentes instances et elle en aborde toutes les facettes. Dans une intervention au forum Café Solidays (8), elle met en évidence une autre caractéristique de cette génération : une familiarité avec la mixité. Au départ, elle cite Françoise l’Héritier : « La grande révolution qu’on est en train de vivre, ce n’est pas le numérique, c’est le fait que les femmes n’ont jamais été si puissantes ». « Evidemment, il y a de grandes différences selon les cultures. Evidemment, il y a encore énormément à faire. Mais il y a énormément qui a été fait. Aujourd’hui, il y a des générations entières d’hommes qui pensent que la femme est l’égale de l’homme. Et cela, c’est révolutionnaire, car, jusqu’à présent, cela n’avait jamais encore été le cas. Ici aussi, la génération Y, c’est la génération « première fois ».
Nos mères ont été la première génération de femmes à travailler, et donc elles ont élevé leurs enfants, et notamment leurs garçons, avec l’idée qu’évidemment les femmes sont l’égale de l’homme, évidemment je dois pouvoir travailler en entreprise de manière équilibrée. Il y a donc une nouvelle génération d’hommes qui disent : En fait, je ne vois pas en quoi il y a une différence. Et si la pierre angulaire des combats féministes des dernières années a été la recherche d’un équilibre de vie, c’est quelque chose que je revendique pour moi-même. J’ai 25 ans. Je sors d’une grande école. Je sors d’une université Je sors de nulle part. J’aspire à avoir une vie équilibrée. C’est un glissement très important. Car on adopte là une revendication « féminine » majeure. Cette revendication là n’est pas seulement française. Elle est mondiale »
Une action qui porte les valeurs de le génération Y : les innovations conduites par Emmanuelle Duez : WoMen up et le boson project
Consciente du changement actuel des mentalités, active pour les promouvoir, Emmanuelle Duez a engagé des initiatives innovantes.
Il y a cinq ans, c’est la naissance de « WoMen up », « la première association d’Europe qui travaille à la fois sur le genre et la génération. C’est une association qui repose sur une conviction très forte : aujourd’hui, lorsqu’on parle du travail dans les entreprises, le combat pour la mixité et celui pour un bon équilibre de vie se rejoignent. On s’appuie sur la génération nouvelle favorable à la mixité comme levier pour transformer l’entreprise et y promouvoir des valeurs « féminines » comme un travail différent et une vie plus équilibrée.
Comment fait-on ? On fait des appels de candidature. Et pendant un an, on accompagne des jeunes hommes et des jeunes femmes qui sont des jeunes actifs en dernière année d’étude à qui on donne des rôles modèles, c’est à dire des gens qui incarnent tout ce que je viens de raconter : oui, il n’y a pas de différence entre les genres. Oui, on a le droit d’assumer la volonté d’avoir un équilibre de vie. On a le droit de sortir des sentiers battus même lorsqu’on est un homme, car, paradoxalement, aujourd’hui, c’est plus difficile. On essaie de transformer ces jeunes en ambassadeurs. On essaie de faire en sorte qu’ils s’engagent sur le long terme afin que les hommes soient les libérateurs du potentiel féminin et que les femmes continuent sur leur lancée parce que les femmes sont en mouvement pour écrire leur propre histoire ».
La deuxième innovation, c’est une start up qui s’appelle le « boson project ». « The boson project » est une start up composée d’entrepreneurs engagés à faire bouger les lignes dans les entreprises en mettant les collaborateurs au cœur des processus de transformation, notamment les plus jeunes. Cabinet de conseil d’un nouveau genre, nous abordons la problématique cruciale de la mutation des organisations, depuis des structures rigides-processées très hiérarchisées, lourdes, parfois inertes, parfois même contreproductives dans leurs modes de fonctionnement actuels, vers des structures fluides, transversales, transparentes, interconnectées, flat et nécessairement engagées par et pour le capital humain » (9).
« La génération Y entre dans un modèle qui n’a pas été bâti à notre époque. Elle rentre dans un modèle avec des hiérarchies, des strates, des silos. On a oublié que c’était le capital humain qui était au cœur de tout. Le vrai sujet, ce n’est pas une histoire de jeunesse et de génération. Ce qu’on essaye de faire là, c’est de transformer ces jeunes collaborateurs qui se cognent la tête à des logiques qu’ils ne comprennent pas en ambassadeurs d’une autre manière de voir les choses parce qu’on pense qu’ils sont intimement et inconsciemment porteurs d’un autre modèle d’entreprise.
On essaie de passer d’une société de contrôle à une société de confiance. Avec « WoMen up », on transforme les hommes et les femmes en ambassadeurs de la mixité. Avec le « boson project », on essaye de transformer des collaborateurs en « corporate hackers » : « Engagez-vous pour transformer les entreprises de l’intérieur » ».
Un appel à s’engager
Dans ses différentes interventions, Emmanuelle Duez appelle ses auditeurs à s’engager dans cette grande transformation. Ici, elle évoque la manière dont elle a rencontré des gens qui s’engageaient radicalement jusqu’au sacrifice : les forces spéciales de la Marine.
En regard, « l’engagement, c’est facile ». Elle s’adresse à la jeune génération : « On a une chance extraordinaire. On a moins de trente ans. On a le pouvoir entre nos mains. On a besoin de nous. Ce serait trop simple de dire : je regarde les choses se faire. Si on ne s’engage pas, on va regretter les choix que d’autres générations auront fait pour nous, car les trente prochaines années, ce sont les nôtres ».
Génération Y : changer les institutions !
Conscients de la grande mutation en cours, nous savions que la jeunesse y était sensible dans ses représentations, dans ses comportements et dans ses choix. Mais les interventions d’Emmanuelle Duez éclairent singulièrement la situation et les enjeux. Sa réflexion s’appuie sur celle des chercheurs. Elle s’appuie sur une expérience engagée tout-à-fait exceptionnelle. Si sa vivacité peut déranger certains, dans son enthousiasme, elle nous ouvre un nouvel horizon.
De fait la transformation en cours ne concerne pas seulement les entreprises, mais les institutions dans leur ensemble, politiques, scolaires, religieuses. Bien souvent, ces institutions redoutent le changement, et, d’une façon ou d’une autre, elles temporisent et cherchent à l’éviter. Mais parfois, des brèches s’ouvrent. Ainsi, récemment, on voit une jeune génération accéder à la députation dans le sillage de la République en marche. L’écart entre les aspirations de la génération Y et beaucoup d’institutions religieuses est également considérable. Des recherches anglophones montrent en quoi et pourquoi la génération Y se détourne de pratiques qui n’ont plus de pertinence pour elle, « irrelevant ». A entendre les attitudes et les valeurs de la génération Y, on imagine l’écart avec des églises hiérarchisées et patriarcales. En regard, des innovations apparaissent particulièrement dans le courant de l’Eglise émergente (10).
Nous sommes engagés aujourd’hui dans une grande mutation. Nous en percevons les processus. Nous en apprécions les dimensions. Emmanuelle Duez nous rappelle cette dynamique. C’est un espace de grande opportunité. Mais si celle-ci peut être saisie par ceux qui y sont le mieux préparés, cette situation est aussi source d’inquiétude et de crainte pour beaucoup (11). Ainsi il est bon d’entendre Emmanuelle Duez nous introduire dans la manière dont une nouvelle génération entre dans la scène du changement et les valeurs qu’elle entend promouvoir. Ces valeurs, ce sont aussi celles que beaucoup d’entre nous avons portées pendant des années et qui se traduisent aujourd’hui par l’avancée de La génération Y, issue des naissances durant les années 80 et 90, a grandi dans un monde en pleine mutation si bien que les mentalités correspondantes rompent avec des habitudes bien installées. Ainsi au départ, peut-elle éveiller une inquiétude chez les plus anciens. Cependant, la génération Y est bien la première d’un nouveau monde. Emmanuelle Duez définit la génération Y comme « la générationpremièrefois ». Ainsi, pouvons nous apprécier le projet de la génération Y dans ses aspects positifs. C’est une bonne nouvelle.
(7) Sur le site Adozen. fr, mise en ligne de la même vidéo : « Cette vidéo va changer votre manière de voir les jeunes » avec un résumé des propos d’Emmanuelle Duez que nous avons repris ici pour une part : http://adozen.fr/video-generations-y-et-z/
(11) Dans une intervention à Ted X Marseille, Emmanuelle Duez décrit les inquiétudes et les craintes et, en regard, exprime une dynamique : « Du poids des maux à la responsabilité des idées : https://www.youtube.com/watch?v=1oKk4i6aOtU
Sa présidence achevée, Barack Obama poursuit son engagement politique sous une autre forme. Ainsi, le 25 mai 2017, a-t-il répondu à l’invitation du Kirchentag, un grand rassemblement socio-religieux et socio-culturel organisé, tous les deux ans, à l’instigation de l’Eglise protestante allemande (1), cette année en rapport avec le 500 ème anniversaire du commencement de la Réforme sous l’impulsion de Martin Luther.
Très populaire en Allemagne, Barack Obama a été accueilli par une foule enthousiaste où les jeunes étaient très nombreux. Il s’est exprimé de pair avec Angela Merkel. Après l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis et tout ce que cela représente de régression politique et sociale, Barack Obama avait prononcé à Athènes un remarquable discours sur le sens de la démocratie (2), puis il avait rencontré à Berlin Angela Markel, une partenaire politique estimée comme si il voulait l’encourager à assurer la défense des valeurs démocratiques dans un monde perturbé par une vague de peur et d’enfermement. Le revoilà donc à Berlin ce mois de mai dans une Europe affermie dans son existence démocratique par l’élection présidentielle d’Emmanuel Macron (4) auquel Barack Obama avait fait part de son soutien.
Lors de ses déplacements comme président des Etats-Unis dans les grands ensembles continentaux (Asie, Amérique latine, Afrique….), Barack Obama s’adressait aux jeunes leaders de ces ensembles pour les encourager dans leur action pour le développement et la démocratie dans une ambiance simple et conviviale. On pouvait y apprécier une attitude quasi fraternelle (3). Aujourd’hui, à partir de son expérience politique, il veut poursuivre ces échanges pour encourager une jeune génération à prendre ses responsabilités. Lors de la rencontre au Kirchentag, il a rappelé son engagement à cette jeune génération particulièrement présente dans ce rassemblement.
Dans une vision chrétienne caractérisée par une tonalité d’espérance et d’ouverture (5), dans une analyse des problèmes d’un monde dont il connaît bien le fonctionnement, Barack Obama nous permet de mieux nous situer à l’échelle des grandes questions qui nous concernent tous aujourd’hui. Une vidéo nous rapporte son intervention en dialogue avec Angela Merkel et ses interlocuteurs allemands dans une ambiance chaleureuse qui se marque sur les visages des participants (6). Nous présentons ici des extraits de cette intervention.
Un idéal à partager
Barack Obama rappelle que sa vie publique a commencé en travaillant avec les églises dans les quartiers pauvres de Chicago. « Lorsqu’on veut créer un monde meilleur, cela requiert de regarder vers un but et d’avancer avec foi (sense of purpose and sense of faith). Nous avons besoin de croire que nous pouvons entrer en relation avec les gens avec de la gentillesse et de la tolérance et que nous pouvons gérer les différences entre les nations, entre les religions. Nous trouvons une unité dans la croyance en Dieu. Ce sont ces convictions qui m’ont porté dans mon travail et dans ma vie et je suis très encouragé en voyant autant de jeunes aujourd’hui ».
La jeune génération est une force montante. « A une époque où le monde est un lieu très compliqué, où nous sommes bouleversé par une violence terrible, telle qu’elle vient de se manifester à Manchester, nous savons que le terrorisme est un grand danger, car il y a des gens qui veulent faire du mal aux autres simplement parce qu’ils sont différents d’eux. Mais cette époque est aussi une période de grande opportunité. Maintenant que je ne suis plus président, mais néanmoins en situation d’influence, je pense être en capacité d’aider de plus en plus de jeunes à faire face à ces défis. Je veux encourager une nouvelle génération dans l’exercice d’un leadership de manière à marginaliser ceux qui veulent nous diviser et à rassembler de plus en plus de gens pour réaliser un bien commun.
Une tâche à poursuivre.
Pendant huit ans, Barack Obama a été président des Etats-Unis. Comment a-t-il exercé son action dans cette haute fonction ? « Je suis très fier du travail que j’ai effectué en étant président. Quand vous entrez dans la vie publique, vous devez reconnaître que vous ne réaliserez jamais 100% de ce que vous souhaiteriez. Ce que vous devez essayer de faire, c’est travailler avec d’autres qui partagent les mêmes valeurs, la même vision, pour essayer de rendre les choses meilleures en sachant que vous n’atteindrez pas la perfection ». Barack Obama cite en exemple la réforme de l’accès aus soins médicaux (« Obamacare »). 20 millions de personnes nouvelles ont bénéficié de cette réforme, mais nous n’avons pas réussi à couvrir 100% de la population et aujourd’hui. Après mon départ, la réforme est remise en question ».
Le progrès se réalise pas à pas, avec parfois des reculs provisoires. Au delà du court terme, il faut voir à plus long terme . Il y a des étapes. Barack Obama estime qu’après avoir accompli sa tâche, avec ses imperfections, il est bon de passer la relève à une génération plus jeune. « Chaque génération a une contribution à apporter. En considérant ce qui est arrivé pendant ma vie, malgré toutes les tragédies actuelles, le monde n’a jamais été plus riche, en meilleure santé, mieux éduqué. Les jeunes aujourd’hui ont accès à une information et à des opportunités qui étaient inconnues à l’époque où je suis né. Mais la poursuite du progrès dépend de la jeune génération. Je me donne pour but de l’aider ».
Quel ordre international ?
L’ordre international est à un tournant. C’est un moment important pour la communauté internationale. Je suis né en 1961. A l’époque, Berlin était divisé. Nous venions tout juste de sortir d’une guerre dévastatrice. Les dictatures régnaient dans une grande partie du monde. Certains pays commençaient seulement à sortir du colonialisme. L’apartheid prévalait en Afrique du Sud. Pourtant, à cause d’un ensemble d’idéaux et de principes : le règne du droit, la dignité de l’individu, la liberté de religion, la liberté de la presse, une économie libérale basée sur le marché, à cause de ces principes qui ont prévalu en Europe et aux Etats-Unis et dans d’autres pays qui se sont joint à eux en ce sens, nous avons vu un progrès incroyable. En Europe, il n’y a jamais eu plus grande prospérité et plus grande paix que dans ces trois ou quatre dernières décennies. C’est une remarquable réalisation. Et parfois les jeunes la considèrent comme allant de soi. Mais aujourd’hui, nous devons reconnaître qu’à cause de la mondialisation et de la technologie, et de la disruption que cela entraine, à cause des inégalités qui existent entre les nations et à l’intérieur des pays, à cause de l’inquiétude en lien avec le rétrécissement du monde à l’ère de la communication internet, à cause de la crise des réfugiés, cet ordre international qui a été créé et existe aujourd’hui, devrait changer, être remis à jour, être renouvelé, parce que nous sommes confrontés aujourd’hui à un récit concurrent empreint de peur, de xénophobie, de nationalisme, d’intolérance, de tendances anti-démocratiques. Comme citoyen des Etats-Unis et membre de la communauté mondiale, je pense qu’il est très important que nous soutenions les valeurs et les idéaux qui sont les meilleurs et que nous repoussions les tendances qui violent les droits humains, suppriment la démocratie ou réduisent la liberté de conscience et la liberté religieuse. C’est une bataille significative que nous devons mener et elle n’est pas toujours facile ». Barack Obama cite alors l’exemple de la Syrie avec toute la désolation qui règne dans ce pays. On ne peut se désintéresser de ce qui arrive dans une autre partie du monde. « Nous devons reconnaître que ce qui arrive dans une autre partie du monde ou dans des pays isolés, que ce soit en Afrique, en Asie, en Amérique latine, a un impact sur nous et que nous sommes appelés à nous engager pour aider ces pays à trouver la paix et la prospérité. Comme président des Etats-Unis, j’ai fait de mon mieux même si je n’ai pas toujours eu les outils pour le faire. Mais du moins j’ai essayé. Et lorsque nous persévérons, il peut arriver dans ces situations ce que le président Abraham Lincoln a évoqué : « Les anges les meilleurs de notre nature peuvent s’éveiller »
Comment aider les réfugiés ?
L’Allemagne a été confronté récemment à un afflux de réfugiés et ce problème a été affronté avec beaucoup de courage par la chancelière Angela Merkel. Barack Obama a donc été interrogé sur cette question. « En fonction de la géographie, de la présence des océans, nous n’avons pas eu un aussi grand nombre de réfugiés venant de Syrie ou d’Afghanistan. Mais il y a aux Etats-Unis, une immigration importante venant du Mexique et, plus récemment, d’Amérique centrale et d’Amérique latine. Et comme président des Etats-Unis, j’ai été confronté à ce problème.
Aux yeux de Dieu, un enfant, de l’autre côté de la frontière, est aussi digne d’amour et de compassion que mon propre enfant. Nous ne pouvons les distinguer en terme de valeur et de dignité, et tous méritent amour, abri, éducation et opportunité . Mais lorsque nous sommes à la tête de grands états nationaux et que nous avons une responsabilité vis à vis de nos citoyens et des gens à l’intérieur de nos frontières, alors le travail du gouvernement est d’exprimer humanité, compassion et solidarité avec ceux qui sont dans le besoin, mais aussi de reconnaître que nous devons agir dans le cadre de contraintes légales, de contraintes institutionnelles et des obligations vis à vis des citoyens des pays que nous servons. Et ce n’est pas toujours facile. Un moyen de faire du meilleur travail est de créer plus d’opportunité pour les gens dans leur propre pays. C’est donc un défi de faire comprendre à nos concitoyens que lorsque nous suscitons du développement en Afrique, ou que nous sommes impliqués dans une résolution de conflits ou dans des endroits où il y a une guerre, lorsque nous faisons des investissements pour faire face au changement climatique et aux problèmes que ce changement entraîne pour les agriculteurs, nous ne faisons pas tout cela simplement par charité, parce que c’est une bonne chose d’agir avec gentillesse, mais aussi parce que si il y a une disruption dans ces pays, si il y a un conflit, si il y a une mauvaise gouvernance, si il y a une guerre, si il y a de la pauvreté, alors dans ce nouveau monde où nous vivons, nous ne pouvons pas nous isoler, nous cacher derrière un mur. Il est très important pour nous de voir que ces investissements contribuent à notre propre bien être et sécurité.
Les religions et la vie politique
Quel rapport entre les religions et la vie politique ? Barack Obama s’exprime à partir de l’exemple américain. « Les Etats-Unis sont un pays très religieux et je pense que c’est une grande source de force. Mais, pour une part, historiquement, ce dynamisme est lié à la séparation entre l’Etat et l’Eglise qui a été envisagée comme une protection des communautés de foi pour qu’elles puissent pratiquer librement ». Comment le rapport entre religions et vie politique peut-il s’exercer au mieux ? « Nous avons besoin de reconnaître que, dans toute démocratie, il y a des gens engagés dans des religions très différentes. Et la démocratie requiert des compromis. Quand nous évoquons la foi religieuse, par définition, il y a certains points où nous ne faisons pas de compromis. Et je pense que nous faisons parfois fausse route en introduisant ce refus de compromis dans le processus politique ».
Barack Obama appelle au respect et à la gestion de la diversité. « Si nous sommes probablement une nation chrétienne, nous sommes aussi une nation musulmane, une nation hindoue, une nation juive et une nation de non croyants. Mais nous pouvons trouver des conceptions et des principes moraux qui nous relient ensemble et nous rencontrer sur ce consensus qui nous permet de progresser ensemble.
Même dans notre propre famille religieuse, il y a certains points où nous pouvons être en désaccord. Parfois cela peut nous troubler. Personnellement, dans ma propre foi, je pense qu’il est utile d’accepter un petit bout de doute. Nous croyons en des réalités qui ne sont pas visibles et, en conséquence, j’essaie d’être humble. Je ne prétend pas que Dieu parle exclusivement à travers moi. J’assume que Dieu partage de la sagesse dans tous les gens. Si je suis convaincu que j’ai toujours raison, la conclusion logique se traduit parfois en une grande cruauté et une grande violence. Dans un monde pluraliste, dans un monde où il y a des gens différents venant de diverses traditions religieuses, cherchons à réaliser que nous sommes, les uns et les autres, partie de la vérité ».
La foi : une motivation
« Je pense aux défis auxquels nous devons faire. Si notre réponse n’est pas parfaite et s’élabore à travers l’action et la réflexion, elle est motivée par notre foi et les valeurs et les idéaux qui sont les plus importants pour nous. Nous devrions être prêts à risquer quelque chose pour la cause à laquelle nous tenons. Nous devrions être prêts à contester une pratique traditionnelle. Aux Etats-Unis, ce sont des gens de foi qui, les premiers, ont parlé contre l’esclavage. Cela appelait une juste colère contre une institution qui semblait ressortir de l’ordre naturel. C’était un mouvement radical qui a élevé la conscience du peuple et qui a conduit une longue marche vers la liberté. Ainsi nous sommes appelé à agir selon ce que nous croyons vrai et juste. Lorsque nous agissons ainsi, ma seule suggestion, c’est de nous rappeler que Dieu ne parle pas seulement à nous. Pour moi, la force de notre foi trouve sa confirmation lorsque nous acceptons de nous engager avec des gens ayant des vues différentes et d’être prêts à les écouter et à les considérer ». L’avancée peut prendre du temps. L’important, c’est de persévérer même quand c’est difficile.
Les grandes questions
Quelles sont les grandes questions qui concernent la politique internationale, Barack Obama énonce deux questions. La première est relative au développement. La seconde concerne les budgets militaires.
« L’écart croissant entre les opportunités, les inégalités de plus en plus grandes entre les nations et à l’intérieur des nations, voilà une des questions majeures que cette génération et les prochaines générations auront à affronter. Le volume de richesse, d’opportunité et de consommation qui existe au sommet, en comparaison avec les besoins énormes qui existent dans le monde, est une situation que je trouve insupportable.
Il y a assez pour nourrir chacun, pour loger et vêtir chacun, pour éduquer chacun si nous sommes capables de mettre en route un processus social qui reflète nos valeurs. Ce n’est pas facile à faire. Ce n’est pas simplement faire un chèque et envoyer de l’argent. C’est créer une société qui parvienne à se suffire à elle-même et manifeste de la détermination et de la dignité. C’est pourquoi quand nous examinons un budget pour une aide au développement, nous nous centrons sur la manière non pas de donner simplement du poisson, mais d’apprendre à le pêcher. Nous voulons aussi nous assurer que la gouvernance cherche à promouvoir les intérêts de gens à la base. Cependant, on doit se rendre compte des énormes progrès qui ont été réalisés, même dans la durée limitée de mon existence. Juste dans les dernières décennies, il y a eu des centaines de millions de gens qui sont sortis de l’extrême pauvreté, en Chine, en Inde, dans certaines parties de l’Afrique. Il y a beaucoup à faire, mais il encourageant de voir tout ce qui a été déjà fait ».
Il y a une autre grande question. Elle concerne les budgetsmilitaires. « Ce que j’aurais aimé voir, par exemple, c’est l’ultime élimination des armes nucléaires de cette planète. Absolument ! Un moment, nous sommes parvenus quelque peu à réduire les armements nucléaires russes et américains. Cependant, de la même façon qu’il a fallu du temps pour sortir des gens de la pauvreté, réduire le besoin de budgets militaires demandera un effort long et persévérant. Il est vrai que nous vivons dans un monde dangereux ». Barack Obama cite l’exemple de l’Afrique où les Etats-Unis sont appelés à intervenir pour rétablir la paix et assurer la sécurité des organisations humanitaires. Il montre aussi combien les conflits militaires sont souvent en rapport avec des problèmes de développement. Ainsi, « notre budget national de sécurité ne devrait pas être conçu uniquement en terme d’armements, mais aussi en terme de développement, en terme de diplomatie, en terme de soutien à l’éducation des filles et des paysans ».
A un carrefour de l’histoire
A ce moment de l’histoire, l’Occident semble traversé par deux tendances adverses. D’un côté, animée par le rêve d’une grandeur passée, inquiète par rapport aux changements économiques, sociaux , culturels, une tendance qui préconise un retour en arrière, un repli sur soi, le renvoi des migrants, un rejet de la solidarité internationale. En regard, un mouvement engagé de longue date, mais qui aujourd’hui prend de l’ampleur : une coopération internationale croissante tant économique que sociale et culturelle, la prise de conscience d’une unité du monde dans la construction d’une civilisation nouvelle attentive aux droits humains, une solidarité accrue face à des menaces internes et externes comme le maintien ou la progression des inégalités ou le réchauffement climatique. Si la description de ces deux tendances opposées est quelque peu sommaire, voire caricaturale, il y a là néanmoins le cadre d’une forte tension marquée en 2016 par des succès importants remportés par la tendance régressive au cœur même de l’Occident : la victoire du Brexit en Grande-Bretagne, l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis.
Pendant ses deux mandats présidentiels, Barack Obama a conduit les Etats-Unis dans la voie de l’ouverture, de la solidarité internationale, du respect des minorités, d’une progression d’un mieux être social, du progrès écologique. Il a mené cette lutte dans un esprit de respect vis à vis des personnes, une attitude empathique et chaleureuse induisant un consensus. Dans cette tâche difficile, il a été porté par une inspiration chrétienne ouverte. Sa présence au Kirchentag en mai 2017 nous paraît ainsi particulièrement significative. Barack Obama exprime le mouvement pour un monde plus solidaire et plus respectueux des personnes, un mouvement tourné vers l’avenir et non vers le passé. Il s’adresse tout particulièrement à la jeune génération qui est en train de grandir sur les différents continents.
Quelques jours auparavant, l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République Française témoignait de la victoire d’une tendance « progressiste » qui marquait une inflexion majeure dans la conjoncture internationale en marquant un coup d’arrêt par rapport à la tendance préconisant le repli, le rejet, le dissociation. Ainsi, Barack Obama a pu intervenir dans un contexte où, à nouveau, on pouvait entrevoir un horizon d’ouverture. Au cœur de l’Europe, à Berlin, ce dialogue a témoigné d’une espérance qui, dans le contexte du Kirchentag, s’exprimait dans une ambiance de fraternité chrétienne. Barack Obama nous aide ici à voir quels sont actuellement les grands enjeux politiques et de quelle manière on peut les aborder. Il nous permet de dépasser nos ressentis immédiats pour nous situer dans la durée. Le processus démocratique nous permet d’avancer vers de meilleures solutions, mais il inclut aussi des reculs. Barack Obama nous appelle à un engagement patient et persévérant. Nous partageons ici ce que nous percevons à travers la vidéo de cette rencontre : une conviction, une pensée ouverte et prospective, une convivialité fraternelle.
J H
(1) Présentation du Kirchentag sur « Free Wikipedia » : « le « Deutscher Evangelischer Kirchentag » est une assemblée de membres laïcs de l’Eglise Evangélique allemande qui organise un rassemblement biaannuel concernant la foi, la culture et la politique ».
Du 24 au 28 mai 2017, le Kirchentag a célébré le 500è anniversaire de la Réforme dans une grande manifestation « joyeuse, diverse et multiculturelle » (« Réforme »). Un compte-rendu sur le site du Centre d’information sur l’Allemagne : http://www.allemagne.diplo.de/Vertretung/frankreich-dz/fr/__pr/nq/2017-05/2017-05-30-kirchentag-protestant-pm.html?archive=4908386 L’hebdomadaire « Réforme » (1er juin 2017) a consacré une double page (p 4-5) à cet événement marquant qui, à travers une forte participation jeune et internationale, témoigne de la vitalité d’une foi chrétienne au sein du monde d’aujourd’hui. Dans un article intitulé « La foi visible », Jean-Paul Willaime écrit ainsi : « Le fait que deux éminentes personnalités politiques protestantes : l’ancien président des Etats-Unis, Barack Obama et la chancelière Angela Merkel aient accepté de discuter de démocratie et d’engagement à Berlin au 36è Kirchentag… constitue incontestablement un événement »
(3) Lors de ses déplacements internationaux, Barack Obama s’adresse fréquemment aux « leaders » des régions visitées dans des rencontres caractérisées par un dialogue dynamique et convivial. Deux exemples : Asie du Sud Est : https://www.youtube.com/watch?v=j3GuzhWdiiI
(6) Barack Obama and Angela Merkel speak at Kirchentag in Berlin. Vidéo principalement à partir de laquelle nous avons travaillé pour présenter des extraits adaptés en français. Nous renvoyons à cette vidéo qui apporte non seulement la parole dans son extension, mais aussi l’expression des participants à travers leurs visages.
Empathie est un terme de plus en plus fréquemment employé. Sciences Humaines, dans son numéro de juin 2017, nous offre un dossier sur l’empathie (1).
« L’empathie est une notion désignant la compréhension des sentiments et des émotions d’un autre individu, voire, dans un sens plus général de ses états non émotionnels, de ses croyances. En langage courant, ce phénomène est souvent rendu par l’expression : « se mettre à la place de l’autre ». Cette compréhension se traduit par un décentrement, et peut mener à des actions liées à la survie du sujet visé par l’empathie. Dans l’étude des relations interindividuelles, l’empathie est donc différente des notions de sympathie, de compassion, d’altruisme qui peuvent en résulter ». Cette définition de Wikipedia (2) converge avec les significations dégagées par SciencesHumaines : « L’empathie cognitives consiste à comprendre les pensées et intentions d’autrui… L’empathie affective est la capacité de comprendre, non pas les pensées, mais les émotions d’autrui…L’empathie compassionnelle est l’autre nom de la sollicitude. Elle ne consiste pas simplement à constater la souffrance ou la joie d’autrui, mais suppose une attitude bienveillante à son égard ». Ainsi, en regard d’un individualisme égocentré, l’empathie fonde une relation attentionnée à autrui : « Se mettre à la place des autres ». Elle débouche sur la sollicitude, sur la bienveillance, sur la sympathie. C’est une capacité qui nourrit les relations humaines.
La montée de l’empathie
Pour qui perçoit les expressions de ceux qui s’intéressent à la vie humaine et à sa signification, à la fois sur le Web et dans la littérature courante, il apparaît que le terme : empathie est de plus en plus employé. Et on observe la même évolution positive pour un terme comme : bienveillance. On ressent là un changement d’attitude, une évolution dans les représentations comme si un nouveau paradigme émergeait peu à peu dans la vie sociale. A une époque troublée comme la notre, où les menaces abondent, où la violence s’exprime de diverses manières, notamment sur le Web, n’y aurait-il pas là une tendance à long terme qui soit pour nous une source d’encouragement et d’espoir. Dans ce dossier de Sciences Humaines, un article introductif de Jean-François Dortier : « Empathie et bienveillance, révolution ou effet de mode ? », nous aide à y voir plus clair (3).
« Comment un mot quasi inconnu, il y a un demi-siècle, a pris autant d’importance en si peu de temps ? Ce succès du mot en dit long tant sur la façon de penser les rapports humains que sur nos attentes dans ce domaine ». Jean-François Dortier nous présente ainsi un graphique très évocateur sur l’usage du mot « empathie » dans les livres de langue française de 1950 à aujourd’hui. En lente progression durant les décennies 1960, 1970 et 1980, l’usage grimpe en flèche dans les décennies 1990 et 2000.
De fait, cette progression est d’autant plus puissante que la recherche sur ce thème et l’intérêt qu’il éveille, s’exerce dans une grande variété de champs. « Dans le monde animal, l’éthologue Franzde Waal se taille de beaux succès avec ses ouvrages sur l’empathie chez les primates… Dans le règne animal, la solidarité est omniprésente… Chez le petit humain, l’empathie joue un rôle fondamental dès la naissance… ». Et cette disposition est nécessaire dans tout le processus d’éducation. Mais, plus généralement, « l’empathie est devenue un enjeu humain majeur pour comprendre les humains et construire le « vivre ensemble ». Au travail, à l’école, à l’hôpital, et même en politique (4), l’empathie et son corollaire la bienveillance sont sollicitées pour rendre les collectifs humains plus viables ». Il peut y avoir des difficultés et des oppositions, mais progressivement secteur après secteur, la bienveillance gagne du terrain. Ainsi, à la fin du XXè siècle, elle s’impose dans la théorie et la pratique du « care ». Elle va de pair avec l’apparition de la « communication non violente » et l’essor de la psychologie positive au début du XXIè siècle. Et comme en traite deux articles dans ce dossier, elle inspire de plus en plus l’éducation et pénètre dans la gestion des entreprises. A cet égard, nous avons rendu compte sur ce blog du livre phare de Jacques Lecomte : « Les entreprises humanistes. Comment elles vont changer le monde » (5). Par ailleurs, la progression de l’empathie dans les mentalités se réalise à l’échelle internationale comme le montre l’économiste et philosophe américain, Jérémie Rifkin, dans un livre de synthèse : « The empathic civilization. The rise to global consciousness in a world in crisis » (2009) traduit en français sous le titre : Une nouvelle conscience pour un monde en crise. Vers une civilisation del’empathie » (6).
Un changement de regard
Face à une vision pessimiste de l’homme qui enferme celui-ci dans le mal et la violence, une vision qui remonte loin dans le temps et s’est appuyée sur des conceptions religieuses et philosophiques (7),
à l’encontre, un puissant mouvement est apparu et met l’accent sur la positivité. Il se manifeste à la fois dans les idées et dans les pratiques. En février 2011, déjà, Sciences Humaines avait publié un dossier : « Retour de la solidarité : empathie, altruisme, entraide » (8). Et Martine Fournier, coordinatrice de ce dossier, pouvait écrire : « L’empathie et la solidarité seraient-elles devenues un paradigme dominant qui traverse les représentations collectives ? De l’individualisme et du libéralisme triomphant passerait-on à une vision portant sur l’attention aux autres ? Le basculement s’observe aussi bien dans le domaine des sciences humaines et sociales qu’à celles de la nature. Ainsi, alors que la théorie de l’évolution était massivement ancrée dans un paradigme darwinien « individualiste » centré sur la notion de compétition et de gêne égoïste, depuis quelques années un nouvel usage de la nature s’impose. La prise en compte des phénomènes de mutualisme, symbiose et coévolution entre organismes tend à montrer que l’entraide et la coopération seraient des conditions favorables de survie et d’évolution des espèces vivantes à toutes les étapes de la vie ».
Il y a là un changement de regard. Les découvertes elles-mêmes dépendent pour une part des questions posées, c’est à dire d’une nouvelle orientation d’esprit. Une transformation profonde de la manière de penser et de sentir est en cours. Cette transformation porte une signification spirituelle. Elle rompt avec des représentations anciennes. Elle s’inscrit dans un contexte d’universalisation où différentes traditions viennent apporter leur contribution. Pour notre part, nous nous référons à la « parabole du bon samaritain » rapportée dans l’Evangile de Luc (10.29-37). L’empathie compassionnelle s’y manifeste puissamment. « Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho. Il tomba au milieu des brigands qui le dépouillèrent, le chargèrent de coups et s’en allèrent, le laissant à demi mort… » Passent deux religieux sans lui prêter attention. « Mais un samaritain qui voyageait, étant venu là, fut ému de compassion lorsqu’il le vit… Il prit soin de lui ». Dans un livre sur la philosophie de l’histoire : « Darwin, Bonaparte et le Samaritain », Michel Serres voit notre humanité en train de sortir d’un état de violence et de guerre dans lequel elle a été enfermée pendant des millénaires. Et si la paix commence à apparaître, Michel Serres voit dans la figure du Samaritain l’emblème de l’entraide et de la bienveillance. Cette parole de Jésus a grandi et porté des fruits.
Empathie, bienveillance : l’audience de ces notions est-elle un effet de mode ou une révolution ? S’interroge Jean-François Dortier dans le titre de son article en introduction du récent dossier de Sciences Humaines. Dans les tempêtes de l’actualité, on perçoit et on déplore des pulsions de violence et d’agressivité. Mais, par delà, à une autre échelle de temps, on peut apercevoir un autre mouvement. Le montée de l’empathie et de la bienveillance nous parait plus qu’un effet de mode. Lorsqu’on mesure l’ampleur et la pénétration de ce mouvement, on peut y voir une évolution en cours des mentalités.
J H
(1) Dossier : Les pouvoirs de l’empathie, p 24-45. Sciences Humaines, juin 2017
(3) Jean-François Dortier. Empathie et bienveillance. Révolution ou effet de mode ? Sciences Humaines, juin 2017, p 26-31
(4) Pour la première fois à notre connaissance, la bienveillance est apparue en politique. Ce fut dans la campagne présidentielle en marche d’Emmanuel Macron. Edouard Tétreau nous fait part de cette réalité dans un article des Echos : « Les leçons de la start Up Macron » (15 mai 2017) : « Leçon numéro 3 : cette réussite tient aussi – surtout ? – à un mot et une réalité bien rarement vue et entendue dans ma génération et les précédentes, dans le monde du travail en France. Ce mot et cette réalité s’appellent la bienveillance. En jetant les bases de son mouvement et de son pari, Emmanuel Macron a exigé, et obtenu, de ses plus proches collaborateurs, cette qualité-là. La bienveillance entre eux, et vers l’extérieur. Les cyniques du XXème siècle, ceux qui n’ont rien compris au film de ces dernières semaines, doivent s’esclaffer à l’évocation de ce mot, signifiant le « sentiment par lequel on veut du bien à quelqu’un ». La bienveillance n’est pas la faiblesse, ou la gentillesse façon Bisounours. Elle est l’apanage des forts, qui choisissent de mettre de côté leurs petits intérêts privés pour se mettre au service de l’intérêt général. Les médiocres ne pouvant s’occuper que d’eux-mêmes ».
(5) Jacques Lecomte. Les entreprises humanistes. Les Arènes, 2016. Mise en perspective sur ce blog : « Vers un nouveau climat de travail dans une entreprise humaniste et conviviale » : https://vivreetesperer.com/?p=2318
(7) Ce regard négatif sur l’homme a été lié à une conception écrasante du péché originel. Voir à ce sujet : Lytta Basset. Oser la bienveillance. Albin Michel, 2014 Voir sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=1842 Un autre facteur a été le Darwinisme social associé à une conception matérialiste. Voir le chapitre : « The theory of evolution and christian theology : from « the war of nature » to natural cooperation and from « the struggle for existence » to mutual recognition » p 209-223, dans : Jürgen Moltmann. Sun of righteousness, arise ! God’s future for humanity and the Earth. Fortress Press, 2010
(8) Le retour de la solidarité. Dossier animé par Martine Fournier. Sciences humaines, février 2011. Mise en perspective sur ce blog : « Quel regard sur la société et sur le monde ? » : https://vivreetesperer.com/?p=191
(9) Michel Serres. Darwin, Bonaparte et le samaritain. Une philosophie de l’histoire. Le pommier, 2016. Sur ce blog, mise en perspective : « Au sortir de massacres séculaires, vers un âge doux portant la vie contre la mort » : https://vivreetesperer.com/?p=2479
Intervention du pape François à la conférence TED 2017 : The future, you
Il y a aujourd’hui dans le monde un espace dans lequel les gens voulant exprimer une idée qui leur tient à cœur, souvent à travers leur histoire de vie, une idée reconnue par ailleurs comme digne d’être diffusée dans le monde (« worth spreading ideas »), peuvent en rendre compte à travers un court exposé (talk) ne dépassant pas 18 minutes et enregistré en vidéo. Si au départ le sigle TED correspond à : « Technology. Entertainment. Design » (1), tous les domaines de l’activité et de la pensée humaine sont aujourd’hui couverts. Des conférences TED ont commencé à se tenir annuellement aux Etats-Unis à partir de 1990. En 2006, on décide d’en diffuser le contenu à travers le monde en ligne sur internet. Et, par ailleurs, les lieux d’expression se démultiplient en apparaissant dans des villes de nombreux pays sous l’appellation TED X (2).
Cette année, la conférence internationale à Vancouver vient de se dérouler sur le thème : « The future, you ». Comment sommes-nous personnellement impliqué dans l’avenir en gestation ? Le pape François a été invité à s’exprimer dans un exposé intitulé : « La raison pour laquelle le seul futur qui mérite d’être conçu inclut tout le monde » (3). Cet exposé s’adresse à des gens très divers à travers le monde et il nous paraît communiquer un message d’amour et d’espérance qui porte la vie.
Un espace interconnecté
Le pape François constate que les êtres humains ne peuvent pas vivre isolés, mais que, de fait, nos vies sont interconnectées.
« L’avenir est fait de rencontres, car la vie n’existe que dans nos relations avec les autres. Mes quelques années de vie ont renforcé ma conviction que notre existence à tous est profondément liée à celle des autres. La vie n’est pas un temps qui s’écoule, la vie est interraction. Aujourd’hui, même la science suggère que la réalité est un lieu où chaque élément se connecte et interagit avec tous les autres ».
François Bergoglio, aujourd’hui le pape François, sait combien nos itinéraires s’entrecroisent. « Je suis né dans une famille de migrants. Mon père, mes grands-parents, comme beaucoup d’autres italiens, sont partis en Argentine et ont connu le destin de ceux qui ont tout quitté. J’aurais très bien pu devenir moi aussi un laissé-pour-compte. C’est pourquoi je m’interroge encore au plus profond de moi : pourquoi eux et pas moi ? »
Mais, puisqu’en réfléchissant à la réalité du monde et au déroulement de nos vies, nous constatons qu’il y a partout interrelation, nous percevons également qu’une vie harmonieuse requiert des connexions saines entre les hommes. « Nous avons tous besoin les uns des autres. Aucun de nous n’est seul au monde, un « moi » autonome et indépendant, séparé des autres. Nous ne construirons l’avenir qu’en étant ensemble, en n’excluant personne. Nous n’y réfléchissons pas souvent, mais tout est connecté, nous devons rétablir des connections saines entre nous ». Cela requiert par exemple d’entrer dans un processus de pardon et de réconciliation.
Plus généralement, « De nos jours, beaucoup d’entre nous semblent croire qu’il sera impossible d’avoir un avenir heureux. Bien qu’il faille prendre ces préoccupations très au sérieux, on peut inverser la tendance. Nous les dépasserons si nous ne fermons pas notre porte au monde extérieur. Le bonheur ne peut être trouvé que s’il y a une harmonie entre le tout et l’individuel ».
Un élan de solidarité et de générosité.
Nous ne pouvons ignorer la pauvreté, la misère engendrées par les inégalités, la polarisation sur la production de biens marchands au dépens de la vie humaine. « Comme ce serait merveilleux si la solidarité, mot magnifique et parfois dérangeant, n’était pas réduite au travail social et devenait au contraire l’attitude naturelle dans les choix politiques, économiques et scientifiques et dans les relations entre les individus, entre les peuples, entre les pays ».
Loin d’exprimer à ce sujet une attitude pessimiste sur la nature humaine, le pape François met en valeur un potentiel de générosité et de bonté . « La solidarité est une réaction naturelle qui vient du cœur de chacun. Oui, une réaction naturelle ! Quand on réalise que la vie, même au milieu de tant de contradictions, est un don, que l’amour est la source et le sens de la vie, comment peut-on réprimer cette envie de faire le bien à autrui. Pour faire le bien, il faut de la mémoire, il faut du courage, il faut de la créativité. Et je sais bien que Ted réunit beaucoup d’esprits créatifs. Oui, l’amour requiert une attitude créative, concrète et ingénieuse. Les bonnes intentions et les formules convenues, qu’on utilise si souvent pour apaiser notre conscience, ne suffisent pas. Aidons-nous les uns les autres à nous rappeler que l’autre n’est ni une statistique, ni un nombre. L’autre est toujours une présence, une personne dont il fait prendre soin ».
Alors, pour nous éclairer, peut remonter cette parole si unique : l’histoire du Bon Samaritain racontée par Jésus (Evangile Luc10. 25-36). « L’histoire du Bon Samaritain est l’histoire de l’humanité actuelle. La voie des hommes est pavée de blessures, car tout est centré sur l’argent, les possessions et non sur les hommes. Les gens qui se disent respectables ont souvent l’habitude de ne pas s’occuper des autres, laissant des populations entières abandonnées sur la route. Heureusement, il y a ceux qui créent un monde nouveau en prenant soin des autres »…. « Nous avons tant à accomplir, nous devons le faire ensemble. Mais comment le faire avec tout le mal que nous respirons ? Grâce à Dieu, aucun système ne peut annihiler notre désir de nous ouvrir au bien, à la compassion, ni notre capacité de réagir face au mal ; tout ça vient du plus profond de notrecœur… Dans les ténèbres des conflits actuels, chacun d’entre nous peut devenir un cierge éblouissant, une preuve que la lumière peut vaincre les ténèbres, et jamais l’inverse ».
Une dynamique s’espérance
Dans les dernières décennies, en christianisme, l’espérance est devenue inspiratrice d’une action collective. C’est ce qu’exprime ici le pape François. « Pour les chrétiens, le futur a un nom, et ce nom est l’Espérance. Espérer ne veut pas dire être un optimiste naïf et ignorer la tragédie que vit l’humanité. L’Espérance est la vertu d’un cœur qui ne demeure pas dans le passé, qui ne fait pas que passer dans le présent, mais qui est capable de voir des lendemains. L’Espérance est la porte qui mène vers l’avenir. L’Espérance est une graine de vie, cachée, humble, qui, avec le temps, deviendra un arbre immense… L’Espérance commence avec une seule personne. Quand il y a un « nous », c’est une révolution qui commence ».
La révolution de la tendresse
Le message se poursuit à travers un appel à la tendresse. Qu’est-ce que la tendresse ? C’est l’amour qui se rapproche et se concrétise. C’est un mouvement qui part du cœur et arrive aux yeux, aux oreilles et aux mains. La tendresse nous demande de nous servir de nos yeux pour voir l’autre, et de nos oreilles pour l’écouter, pour écouter les enfants, les pauvres, ceux qui ont peur de l’avenir, pour entendre le cri silencieux de notre maison commune, notre terre polluée et malade. La tendresse nous demande de nous servir de nos mains et de notre cœur pour réconforter l’autre, pour prendre soin de ceux dans le besoin ». Quel merveilleux registre de relation !
« La tendresse, c’est se mettre au niveaude l’autre ». Et, à nouveau, un geste, une parole vient nous éclairer. « Dieu est descendu en Jésus pour être à notre niveau. C’est le chemin que le Bon Samaritain a suivi. C’est le chemin que Jésus lui-même a pris. Il s’est abaissé, il a vécu toute son existence humaine à parler le langage vrai, le langage concret de l’amour ». Le pape François nous appelle à suivre le chemin de la tendresse. « La tendresse n’est pas une faiblesse, c’est une force. C’est le chemin de la solidarité, le chemin de l’humilité ». Combien cette humilité est nécessaire chez les puissants !
Dans le monde d’aujourd’hui, chacun a un rôle à jouer. « L’avenir est entre les mains des hommes qui reconnaissent l’autre comme un individu et eux-mêmes comme un élément du « nous ». Nous avons tous besoin de l’autre ».
En accueil
Voici un message en affinité avec les orientations développées dans ce blog.
Oui, il y a bien aujourd’hui une prise de conscience des interconnections qui interviennent à tous les niveaux. Comme l’écrit Jürgen Moltmann : « Si l’Esprit Saint est répandu sur toute la création, il fait de la communauté de toutes les créatures , avec Dieu et entre elles, cette communauté de la création dans laquelle toutes les créatures communiquent chacune à sa manière entre elles et avec Dieu »… L’« essence » de la création est par conséquent la « collaboration » et les structures manifestent la présence de l’Esprit dans la mesure où elles font connaître l’ « accord général ». « Au commencement était la relation » (Martin Buber ») (4).
De fait, cette conscience de l’interconnexion se manifeste maintenant jusque dans l’existence quotidienne. Ainsi, dans son livre : « Sa présence dans ma vie », Odile Hassenforder peut écrire : « Assez curieusement, ma foi en notre Dieu, qui est puissance de vie, s’est développée à travers la découverte de nouvelles approches scientifiques qui transforment notre représentation du monde. Dans cette nouvelle perspective, j’ai compris que tout se relie à tout et que chaque chose influence l’ensemble. Tout se tient. Tout se relie. Pour moi, l’action de Dieu s’exerce dans ces interrelations »(5).
Dans cette perspective, nos vies personnelles et aussi bien la vie sociale dépendent de la qualité des relations humaines. Avec le pape François, Jürgen Moltmann met en évidence l’importance « des connexions saines entre les hommes ». « Une vie isolée et sans relations, c’est à dire individuelle au sens littéral du terme et qui ne peut être partagée est une réalité contradictoire en elle-même. Elle n’est pas viable et elle meurt… La vie nait de la communauté, et là où naissent des communautés qui rendent la vie possible et la promeuvent, là l’Esprit de Dieu est à l’oeuvre » ( 6) Ainsi, c’est bien à travers la solidarité que l’humanité peut subsister et s’épanouir.
Tout se tient, mais tout est également en mouvement. Et c’est pourquoi le papa François proclame la vertu de l’espérance qui ouvre notre horizon vers l’avenir. Sa pensée rencontre là aussi celle de Jürgen Moltmann, le théologien de l’espérance (7). « Le christianisme déborde d’espérance… Il est résolument tourné vers l’avenir et invite au renouveau… L’avenir n’est pas un aspect du christianisme, mais l’élément de la foi qui se veut chrétienne… La foi est chrétienne lorsqu’elle est la foi de Pâques. Avoir la foi, c’est vivre dans la présence du Christ ressuscité et tendre vers le futur royaume de Dieu » (8).
Le pape François appelle tous les hommes à une révolution de la tendresse, car il perçoit en chacun un potentiel de générosité. Et nous savons qu’il est entendu en retour. Nous quittons les rives d’une civilisation où l’homme était écrasé par un regard mortifère et culpabilisant. Aujourd’hui, nous voyons apparaître des courants nouveaux qui portent la bienveillance (9) et appellent un regard positif (10). La théologienne Lytta Basset intitule un de ses livres : « Oser la bienveillance » (11). Ce blog est témoin du changement de sensibilité qui est en train d’advenir. En évoquant une révolution de la tendresse, en rappelant l’histoire du Bon Samaritain, à l’époque un message inouï (12), le pape François montre comment la graine semée par Jésus est en train de grandir aujourd’hui. Si la violence est présente aujourd’hui dans nos sociétés, en entendant le pape François, on peut constater également que la bonté éveille la bonté. Et, comme il le dit : « la lumière peut vaincre les ténèbres, et jamais l’inverse ».
(2) Les conférences Ted X sont maintenant présentes dans de nombreuses ville de France et, sur ce blog, nous mettons souvent les « talks » correspondants en valeur
(8) Jûrgen Moltmann. De commencements en recommencements. Une dynamique d’espérance. Empreinte, 2012 (p 109-110) Présentation du livre : https://vivreetesperer.com/?p=572
(9) Ce mouvement vers la mise en valeur et la mise en œuvre de la bienveillance est visible sur le web, notamment dans des talks TED X . Sur ce blog, les articles indexés à ce terme : https://vivreetesperer.com/?s=bienveillance+
(10) La psychologie positive est en plein développement en France depuis le début du siècle. Voir le site : http://www.psychologie-positive.net/spip.php?article8 Sur ce blog, analyse de plusieurs livre de Jacques Lecomte, un pionnier de la psychologie positive en France : « La bonté humaine. Est-ce possible ? » : https://vivreetesperer.com/?p=674
(12) Dans son livre : « Darwin, Bonaparte et le samaritain », Michel Serres met en valeur la figure pionnière du Bon Samaritain : « Une philosophie de l’histoire » : https://vivreetesperer.com/?p=2479