par jean | Oct 2, 2016 | ARTICLES, Société et culture en mouvement, Vision et sens |
Au sortir de massacres séculaires, vers un ùge doux portant la vie contre la mort.
 A travers une culture encyclopĂ©dique, Michel Serres a dĂ©veloppĂ© une pensĂ©e crĂ©ative et originale dans un style imagĂ©. Il ouvre de nouvelles comprĂ©hensions plus vastes, plus profondes. Les ouvrages de Michel Serres nous entraĂźnent dans une vision nouvelle du monde. Câest le cas dans son livre : « darwin, bonaparte et le Samaritain. Une philosophie de lâhistoire » (1).
En page de couverture, quelques lignes explicitent le titre concernant ce regard nouveau sur lâhistoire de lâhumanitĂ©.
« Darwin raconte lâouverture de Faune et de Flore. Devenu empereur, Bonaparte, parmi les cadavre sur le champ de bataille, prononça, dit-on, ces mots : « Une nuit de Paris rĂ©parera cela ». Quant au Samaritain, il ne cesse, depuis deux mille ans, de se pencher sur la dĂ©tresse du blessĂ©. VoilĂ trois personnages qui scandent sous mes yeux, trois Ăąges de lâhistoire.
Le premier Ăąge est plus long quâon ne croit, le deuxiĂšme est pire quâon ne pense, le dernier meilleur quâon ne dit.
Histoire ou utopie ? Il nây a pas de philosophie de lâhistoire sans un projet, rĂ©aliste et utopique. RĂ©aliste : contre toute attente, les statistiques montrent que les hommes pratiquent lâentraide plutĂŽt que la concurrence. Utopique : puisque la paix devint notre souci ainsi que la vie. Tentons de les partager avec le plus grand nombre. Voici un projet aussi rĂ©aliste et difficile quâutopique, possible et enthousiasmant ».
Le livre se rĂ©partit en trois parties : « Premier Ăąge, long : le Grand rĂ©cit. DeuxiĂšme Ăąge, dur : trois morts. TroisiĂšme Ăąge, doux : trois hĂ©ros. » et se termine par une rĂ©flexion sur « les sens de lâhistoire ». Le regard de Michel Serres renouvelle notre vision du passĂ© dans une approche si dense, si riche, si originale quâelle ne peut ĂȘtre rĂ©sumĂ©e. Nous mettrons lâaccent sur lâĂ©mergence actuelle dâun nouvel Ăąge, cet « ùge doux » Ă©voquĂ© par lâauteur. Et nous commenterons cette prise de conscience.
Le Grand RĂ©cit
Au dĂ©part, lâauteur montre comment les progrĂšs rĂ©cents de la science, Ă travers une capacitĂ© nouvelle de dater les phĂ©nomĂšnes, nous ouvrent Ă une mĂ©moire de lâunivers, Ă une mĂ©moire de la terre dans laquelle lâhistoire humaine vient sâinscrire. Une nouvelle synthĂšse peut ainsi sâĂ©laborer. Nous voici en prĂ©sence dâun « Grand RĂ©cit ».
Câest une situation nouvelle. Michel Serres dĂ©gage quelques caractĂ©ristiques fondamentales de ce temps long. « Le couple Ă©nergie-entropie rĂ©git le monde physique ; analogue, le couple vie-mort rĂ©git le monde vivant » (p 33). Ainsi, dans lâĂ©volution, pendant que la vie irrĂ©sistible perpĂ©tue son dĂ©veloppement, la mort frappe espĂšces et individus. Dans notre humanitĂ©, on observe une Ă©volution analogue. « Dâune part, lâĂ©nergie et la vie prennent des figures nouvelles comme lâinvention et la paix, dâautre part, lâentropie et la mort rĂ©apparaissent en guerres et rĂ©pĂ©titions » et menacent lâexistence de lâhumanitĂ© (p 33).
Cependant, en regard, lâauteur distingue deux formes, deux pratiques : les pratiques dures qui mobilisent des hautes Ă©nergies et les pratiques douces qui font appel Ă des basses Ă©nergies, Ă lâĂ©chelle informationnelle. ParallĂšlement, Michel Serres oppose deux Ăąges : un « ùge dur » caractĂ©risĂ© par la violence et par la guerre, et un « ùge doux » convivial et inventif en lutte contre la mort.
Un Ăąge dur
Dans son regard sur la plus grande part de lâhistoire humaine, Michel Serres fait ressortir les composantes dâun Ăąge dur. Câest la prĂ©pondĂ©rance de la guerre avec les massacres qui lâaccompagnent. Cette importance des conflits militaires ne nous avaient sans doute pas Ă©chappĂ©, mais lâauteur Ă©veille en nous une prise de conscience de cette rĂ©alitĂ© dĂ©vastatrice. « Toute notre culture baigne dans le sang versĂ© au cours de violences qui sâenchainent et nous enchainent Ă la guerre perpĂ©tuelle » (p 47). Ainsi a-t-on calculĂ© quâau cours des derniers millĂ©naires, moins de 10% des annĂ©es ont Ă©tĂ© consacrĂ©es Ă la paix, câest Ă dire Ă la vie (p 48). Et lâauteur Ă©voque les massacres tels quâils apparaissent dans des textes littĂ©raires comme lâIliade et se manifestent dans des donnĂ©es chiffrĂ©es que nous ignorons bien souvent. Sait-on par exemple que les guerres de la RĂ©volution Française et celles de NapolĂ©on ont engendrĂ© la mort dâun million cinq cent mille français plus que le million trois cent mille victimes provoquĂ©es par la PremiĂšre Guerre Mondiale entre 1914 et 1918⊠(p 79). Dans ce contexte, un culte a Ă©tĂ© vouĂ© Ă lâhĂ©roĂŻsme patriotique. « Chacun doit donner sa vie pour sa patrie » ( p 53). Les religions ont participĂ© Ă cette idĂ©ologie mortifĂšre. Michel Serres nous rappelle les analyses de RenĂ© Girard. La violence se manifeste jusque dans le sacrifice animal.
Lâauteur nous amĂšne Ă©galement Ă entrevoir les rapports entre Ă©conomie et violence. Et il nous invite Ă rĂ©flĂ©chir au phĂ©nomĂšne de la dette. « Avoir et Dû : voilĂ le titre de deux colonnes dans un bilan comptable. « Je dois » signifie Ă la fois une obligation morale et une dette Ă restituer » (p 64). Si la dette asservit les gens et les peuples, elle sâexprime aussi en termes religieux. Câest ici que Michel Serres met lâaccent sur le pouvoir libĂ©rateur de la Passion du Christ. « A partir du Vendredi saint, nous nâaurons plus jamais de vains devoirs, ni de dettes⊠Ces pĂ©chĂ©s nous sont remisâŠÂ » (p 67). Et plus encore, « le caractĂšre intĂ©gral de la remise de nos dettes sâefface devant lâannonce triomphale que cesse le rĂšgne mĂȘme de la dette, câest Ă dire de la mortâŠDe mĂȘme que la RĂ©surrection du Christ ne marque pas une vengeance sur ceux qui lâont tuĂ©, mais positivement une victoire sur la mort elle-mĂȘme » (p 67) ». Il y a lĂ un tournant. Mais, dans un monde dominĂ© par la violence et par la mort, le potentiel de la libĂ©ration se fraye difficilement un chemin.
Et, de mĂȘme, dans son inventaire des raisons dâespĂ©rer, lâauteur se refuse Ă croire Ă une mĂ©chancetĂ© irrĂ©mĂ©diable de lâhomme. Les recherches (2) vont Ă lâencontre des thĂ©ories et concepts abstraits prĂ©tendant lâhomme, en gĂ©nĂ©ral mauvais, en gĂ©nĂ©ral, Ă©goĂŻste et violent, incapable dâempathie⊠En la plupart dâentre nous, une maniĂšre dâamour lâemporte sur la haine⊠lâhumain est humain » (p 87).
Pendant des millĂ©naires, la « thanocratie » a prĂ©valu. « DĂ©clinĂ©e trois fois dans la religion, longtemps sacrificielle, les armes, lĂ©tales toujours, et lâĂ©conomie, exploitant les faibles et blessant le monde, la mort me paraĂźt le moteur de lâhistoire » ( p 72). Il a fallu la menace dâanĂ©antissement collectif Ă©veillĂ©e par lâusage de la bombe atomique en 1945 Ă Hiroshima et Nagasaki pour quâune prise de conscience sâeffectue. Mais dans la pĂ©riode sombre qui a prĂ©cĂ©dĂ©, on peut entrevoir un mouvement de libĂ©ration qui sâest frayĂ© un chemin. Ce mouvement dĂ©bouche aujourdâhui. Dans cette histoire, Michel Serres, Ă©voque la part du christianisme : « Sa leçon majeure nâenseigne-t-elle pas lâincarnation, lâallĂ©gorie vive de la Naissance, enfin la RĂ©surrection, soit une victoire non pas contre nos ennemis, comme pendant le rĂšgne de la Mort, mais contre la Mort elle-mĂȘme ? Par ce rĂ©Ă©quilibrage, un tout autre monde semble annoncĂ©, promis, espĂ©rĂ©âŠÂ » (p 77).
Un Ăąge doux
Nous voici aujourdâhui au dĂ©but dâun nouvel Ăąge : un Ăąge doux. Michel Serres y voit la mise en Ćuvre de la nĂ©guentropie, selon Wikipedia : « Une entropie nĂ©gative, un facteur dâorganisation des systĂšmes physiques et, Ă©ventuellement sociaux et humains, qui sâoppose Ă la tendance naturelle Ă la dĂ©sorganisation ». « Comme la vie produit des individus nouveaux, lâesprit inventif et novateur, effet de la nĂ©guentropie, devient source de nouveautĂ©s, produit Ă nouveau de la nĂ©guentropie. Puisque celle-lĂ se trouve dĂ©jĂ lĂ ensemencĂ©e dans lâUnivers et au sein du rĂ©seau Ă©volutif, lâĂąge de lâEsprit, doux par rapport aux hautes Ă©nergies, dites entropiques, perdure donc  en tous temps, travaillant Ă se libĂ©rer dâun Ă©tranglement mortel » (p 92). « LâĂąge doux, celui des esprits, advient dĂšs que ceux-ci se mettent Ă lutter contre la mort de maniĂšre efficace. Nous y sommes. De mĂȘme quâil y eut trois maniĂšres de sâentre Ă©gorger durement, armĂ©e, religieuse, Ă©conomique, de mĂȘme lâĂąge que jâappelle doux se dĂ©cline de trois maniĂšres, portant sur la vie et lâesprit : mĂ©dicale, pacifique et numĂ©rique » (p 93).
Un premier fait est le dĂ©veloppement de la mĂ©decine et son efficacitĂ© accrue. Câest un Ă©tat dâesprit. « En refusant les lois de la jungle, nos pratiques combattent lâĂ©volution, la sĂ©lection naturelle » (p 103). « Il y a deux Ăąges : assassin-victime ; malade-mĂ©decin » (p 104). Par sa faiblesse et le fait quâil dĂ©tienne, miraculeusement, parmi la violence usuelle, dâĂȘtre pansĂ© par et parmi les siens, le malade est un personnage emblĂ©matique dĂ©cisif, rare, faible, mourant mĂȘme, mais producteur dâhumanité » (p 103).
Dans cette perspective, la parabole du Samaritain rĂ©sonne avec une force particuliĂšre, comme une injonction rĂ©volutionnaire Ă lâencontre dâun univers de violence. LâĂ©motion nous gagne lorsque nous entendons ces paroles. Michel Serres cĂ©lĂšbre la figure du mĂ©decin : « Celle qui se penche sur les blessĂ©s ; celui qui Ă©coute les plaintes de lâagonie ; celle qui sâincline ; lâattentive qui cherche Ă comprendre et peut-ĂȘtre guĂ©riraâŠ. Non, il ou elle, nâest pas seulement le hĂ©ros de ce temps, mais sans doute, celle et celui de toute lâhistoire » (p 107).
TrĂšs concrĂštement, lâauteur met lâaccent sur lâespace de paix qui sâest crĂ©Ă© en Europe occidentale aprĂšs 1945 au sortir dâune guerre dĂ©vastatrice. « De 1945 Ă 2015, comptons soixante-dix ans de paix, laps de temps exceptionnel, inconnu en Europe depuis au moins la guerre de Troie ». Bien sĂ»r, il y a un abcĂšs au Moyen-Orient, mais au total dans le monde, homicides et violences ne cessent de reculer. Lâindustrie du tabac est bien plus meurtriĂšre que le terrorisme (p 122). On assiste Ă des changements profonds comme le recul de la peine de mort. « Sortant Ă peine de lâenfer, nous avons construit une sorte dâutopie dont nous ne pouvons connaĂźtre la nouveautĂ© que par comparaison avec ce qui se passe alentour qui ressemble trait pour trait Ă ce qui se passait chez nous avant cette Ăšre nouvelle ».
Cependant la paix est constamment Ă maintenir et Ă construire. Lâauteur Ă©voque une figure exemplaire, celle de François de CalliĂšres (1645-1717) qui publia un livre dĂ©cisif : « De la maniĂšre de nĂ©gocier avec les souverains ». Conseiller de Louis XIV, un roi qui ne cessa de faire la guerre â plus de trois cent mille morts- , François de CalliĂšres sait de quoi il parle. Il dĂ©finit le rĂŽle du nĂ©gociateur : Ă©viter au maximum les conflits. « Tout prince chrĂ©tien doit avoir pour maxime principale de nâemployer la voie des armes pour soutenir et faire valoir ses droits quâaprĂšs avoir tentĂ© et Ă©puisĂ© celle de la raison et de la persuasion (p 126). Promouvoir la paix, câest aussi construire un vivre ensemble. Michel Serres Ă©voque les rĂ©alisations coopĂ©ratives du « socialisme utopique » qui ont portĂ© du fruit alors que les thĂ©ories prĂ©tendument « scientifiques » du socialisme ont durement Ă©chouĂ©. « Pas un seul mort de leur fait, du concret, de la continuité » (p 134). Et aujourdâhui, on peut se rĂ©jouir de toutes les rĂ©alisations du mouvement associatif. Lâauteur nous appelle Ă prendre en compte, Ă prendre en charge : « le personnage commun, banal, minuscule, individuel, faible, malade, infirme, virtuel, oui, miraculeux, si dĂ©laissĂ© dans son fossĂ©, si oubliĂ© dans sa bontĂ©, si concret dans son humilitĂ© quâil passe pour inexistantâŠÂ » (p 135).
Ainsi, trois sens au terme « doux » : la vie prolongĂ©e par le biologiste et le mĂ©decin ; la paix nouvelle, mais qui dure, les basses Ă©nergies. Voici les trois composantes de lâĂąge doux » (p 138). Les nouvelles technologies qui ouvrent lâĂšre du virtuel sâinscrivent dans cet univers de basses Ă©nergies. Face aux puissants qui prĂ©dominent, face au dĂ©ploiement de la violence, un texte biblique « prophĂ©tise exactement le troisiĂšme Ăąge, celui lĂ mĂȘme que nous vivons aujourdâhui et qui, Ă lâĂ©cart du feu et des hautes Ă©nergies, destructrices, cultive les basses, lâinformation, les signaux, les signes, les paroles⊠que le tonnerre rend inaudible » : « Il y eut un grand ouragan, si fort quâil fendait les montagnes et brisait les rochers, en avant de YahvĂ©, mais YahvĂ© nâĂ©tait pas dans lâouraganâŠAprĂšs le feu, le bruit dâune brise lĂ©gĂšre. DĂšs quâElie lâentendit, il se voilĂ le visage avec son manteau, il sortit et se tint Ă lâentrĂ©e de la grotte. Alors une voix lui parvint qui ditâŠÂ » (I Rois 19, 11-13) (p 139).
En se rappelant les effets dĂ©mocratiques de lâimprimerie, lâĂ©mergence dâinternet peut nous Ă©merveiller. Câest lĂ que Michel Serres Ă©voque Petite Poucette, cette jeune fille emblĂ©matique des usages rĂ©volutionnaires dâinternet quâil a brillamment Ă©voquĂ©e dans un prĂ©cĂ©dent livre (3). « Face Ă lâaristocratie des puissants, des riches, des reprĂ©sentants, le portable dans la paume, Petite Poucette annonce : « Maintenant, tenant en main le mondeâŠÂ ». Elle a accĂšs Ă tout. Tout lui appartient. « TroisiĂšme hĂ©roĂŻne de lâĂąge doux, Petite Poucette monte ainsi sur la plus haute marche du podium, entre le mĂ©decin et le nĂ©gociateur. Elle incarne une nouvelle dĂ©mocratie du savoir dont lâutopie fait peur aux anciensâŠÂ » (p 142).
Le paysage de la communication change. Tout se lie, tout se relie. « Il me paraĂźt prĂ©visible que la main du marchĂ© devra un jour adapter sa puissance relationnelle Ă celle, concrĂšte, du monde et, sans doute, sâadapter, voire obĂ©ir Ă sa loi. Nous entrons dans un temps oĂč se joue un « mano a mano » dĂ©cisif pour notre survie entre lâhomme individuel ou global et la planĂšte entiĂšre » (p 147).
Quel avenir ?
Nous voyons bien aujourdâhui des menaces sâĂ©lever Ă lâencontre de la civilisation nouvelle en train de grandir (4). Michel Serres est bien conscient de ce danger. « Je ne suis ni sourd, ni aveugle aux forces atroces qui pendant cet Ăąge si court sâopposent Ă la prĂ©gnance neuve de la paix ». Pour faire face aux attitudes passĂ©es qui remontent parfois, « nous devons trouver des stratĂ©gies propres Ă notre temps et dĂ©laisser celles que nous venons de quitter. Secourir, soigner, partager, nĂ©gocier, dialoguer, suivre les trois modĂšles qui nous guident pour vivre dans notre ĂągeâŠÂ » (p 118).
Cependant, lorsquâon voit la violence se propager jusque sur internet, on peut sâinquiĂ©ter. Lâauteur est attentif Ă ce danger. « LibĂ©rer le nombre impose des risques⊠Combien de temps faut-il pour quâune multiplicitĂ© dĂ©sordonnĂ©e sâorganise et forme une communautĂ© dâautant plus nouvelle que ce type de libĂ©ration, inattendu, nâa aucun Ă©quivalent dans le passĂ©Â ? Peut-on Ă©viter une violence interminable avant de parvenir Ă une cohĂ©sion ? ConfirmĂ© par lâadvenue du troisiĂšme Ăąge oĂč le multiple se libĂšre vraiment, mon utopie espĂšre Ă©chapper Ă cet Ă©tau (p 145).
Ce livre ouvre pour nous une comprĂ©hension originale de lâhistoire humaine. Il met en Ă©vidence une dynamique qui suscite lâespĂ©rance. Ainsi, Michel Serres nous y parle de survie dans un triple sens :
« Survivre : laisser survivre ou conserver
Survivre : mettre lâaccent sur une nouvelle histoire, un nouveau sens de lâhistoire
Survivre : vivre mieux que la vie, accĂ©der avec joie Ă lâesprit.
CrĂ©er ces trois survies en compagnie du plus grand nombre possible, voilĂ le projet aussi rĂ©aliste, dangereux, difficile quâutopique, possible et enthousiasmant » (p 161).
Une vision prophétique
Ces derniĂšres annĂ©es, le ciel sâest assombri. Des orages Ă©clatent. Mais, comme en toute navigation, il importe de garder le cap. Dans ce temps de crise, on a besoin de ne pas perdre confiance, mais de discerner les courants porteurs, parfois peu visibles et souterrains. « Sans vision, le peuple meurt », nous dit un verset de la Bible (Proverbes 29.18). Le livre de Michel Serres nous communique une telle vision. Câest lâĂ©mergence dâun Ăąge doux oĂč la paix lâemporte sur la guerre et la vie sur la mort. Et, si on perçoit bien les menaces envers cette nouvelle maniĂšre de vivre, Michel Serres met en valeur la dynamique du processus.
Il se trouve que dâautres chercheurs mettent Ă©galement en Ă©vidence un changement positif intervenu au cours de ces derniĂšres dĂ©cennies. Ainsi, dâune certaine façon, le livre de JĂ©rĂ©mie Rifkin : « Une nouvelle conscience pour un monde en crise. Vers une civilisation de lâempathie » (5) converge avec le texte de Michel Serres. En effet, Ă partir dâune rĂ©trospective historique approfondie, JĂ©rĂ©mie Rifkin perçoit, dans ces derniĂšres dĂ©cennies, « la plus grande poussĂ©e empathique de lâhistoire de lâhumanité » . Et dâaprĂšs la recherche de Ronald Inglehart sur les valeurs dans le monde (World values survey) (6), on enregistre depuis 1981, une Ă©volution, certes diversifiĂ©e, mais rapide vers une valorisation de lâexpression personnelle et la recherche dâune qualitĂ© de vie. Une autre recherche a montrĂ© lâexpansion du courant des « culturels crĂ©atifs » (6) qui valorise ce quâon pourrait appeler une sobriĂ©tĂ© heureuse et conviviale.
JĂ©rĂ©mie Rifkin nous montre une Ă©volution vers une pacification des esprits. Ainsi rejoint-il Michel Serres sans encourir le reproche quâon peut parfois faire Ă celui-ci de prĂ©senter une catĂ©gorisation trop tranchĂ©e entre « ùge dur » et « ùge doux » . Il est Ă©galement trĂšs attentif au potentiel de changement Ă travers et dans lâĂ©conomie.
Dans son analyse, Ă plusieurs reprises, Michel Serres met en lumiĂšre lâincidence du rĂ©cit Ă©vangĂ©lique et de la foi qui sâen inspire sur lâĂ©volution des esprits Ces passages nous paraissent particuliĂšrement importants. Au cĆur de lâhistoire, nous percevons la singularitĂ©, lâoriginalitĂ©, le potentiel de vie et dâespĂ©rance de cette inspiration. Si, pendant les siĂšcles de lâĂąge dur, les institutions religieuses ont souvent pactisĂ© avec lâidĂ©ologie ambiante, on voit bien ici combien les textes Ă©vangĂ©liques ont jouĂ© le rĂŽle de ferment. Et, aujourdâhui dans ce livre, ils contribuent Ă interprĂ©ter lâhistoire.
Rappelons cette citation : « La leçon majeure du christianisme nâenseigne-t-elle pas lâincarnation, lâallĂ©gresse vive de la naissance, enfin la RĂ©surrection, soit une victoire non plus contre les ennemis comme pendant le rĂšgne de la Mort, mais contre la Mort elle-mĂȘme » (p 77).
Ici, Michel Serres est en phase avec JĂŒrgen Moltmann, le thĂ©ologien de lâespĂ©rance . Leurs pensĂ©es se rejoignent Ă plusieurs Ă©gards
EngagĂ© trĂšs tĂŽt dans une thĂ©ologie Ă©cologique (7), Moltmann inscrit lâhistoire de lâhumanitĂ© dans celle de la nature.
« La nouvelle vision du monde Ă©cologique part de lâidĂ©e que la terre est notre maison. LâhumanitĂ© fait partie dâun grand univers en Ă©volution. La terre, notre maison, est vivante avec une communautĂ© de vie singuliĂšreâŠÂ La protection de la vitalitĂ©, de la diversitĂ© et de la beautĂ© de la terre est une responsabilitĂ© sacrĂ©eâŠ. Cela rejoint la richesse des traditions bibliques concernant la terre » (8).
Cependant, câest aussi sur la question de lâattitude vis-Ă -vis de la mort que la pensĂ©e thĂ©ologique de Moltmann appuie la recherche de Michel Serres. En effet, dans une civilisation dominĂ©e par la guerre et par la mort, cet « ùge dur » qui nous a Ă©tĂ© dĂ©crit, la religion a pu se rĂ©signer dans une acceptation de la mort comme une fatalitĂ©, dĂ©tournĂ©e vers une Ă©migration de lâĂąme vers lâau delĂ . Au contraire, avec force, Moltmann proclame la lutte contre la mort. « La rĂ©surrection du Christ porte le « oui » de Dieu Ă la vie et son « non » Ă la mort et suscite nos Ă©nergies vitales. Les chrĂ©tiens sont des gens qui refusent la mort ( « Protest people against death »)âŠ.Lâorigine de la foi chrĂ©tienne est, une fois pour toutes, la victoire de la vie divine sur la mort. « La mort a Ă©tĂ© engloutie dans la victoire » (1 Corinthiens 15.54). Câest le cĆur de lâEvangile. Câest lâEvangile de la vie ».
Et JĂŒrgen Moltmann poursuit : « Cette thĂ©ologie de la vie doit ĂȘtre le cĆur du message chrĂ©tien en ce XXIĂš siĂšcle. JĂ©sus nâa pas fondĂ© une nouvelle religion. Il a apportĂ© une vie nouvelle dans le monde, aussi dans le monde moderne. Ce dont nous avons besoin, câest une lutte partagĂ©e pour la vie, la vie aimĂ©e et aimante qui se communique et est partagĂ©e, en bref la vie qui vaut dâĂȘtre vĂ©cue dans cet espace vivant et fĂ©cond de la terre » (9).
Comme Michel Serres, JĂŒrgen Moltmann porte Ă©galement attention aux Ă©mergences : « Lâhistoire prĂ©sente des situations qui contredisent le Royaume de Dieu et sa justice. Nous devons nous y opposer. Mais il existe Ă©galement des situations qui correspondent au Royaume de Dieu et Ă sa justice. Nous devons les soutenir et les crĂ©er lorsque câest possible. Il existe ensuite dans le temps prĂ©sent des paraboles du Royaume futur et nous y voyons ce qui arrivera au jour de Dieu. Nous entrevoyons dĂ©jĂ maintenant quelque chose de la guĂ©rison et de la nouvelle crĂ©ation de toutes chose que nous attendons. Nous le traduisons par une attente crĂ©atriceâŠÂ » (10).
Si la vision de Michel Serres est particuliĂšrement originale, elle est aussi en convergences avec la pensĂ©e de quelques autres penseurs contemporains. Son livre nous appelle Ă un regard nouveau. La pensĂ©e de Michel Serres nous ouvre Ă la reconnaissance dâune civilisation nouvelle en train dâapparaĂźtre et de sâĂ©tendre, cet « ùge doux » dĂ©jĂ suffisamment avancĂ© pour que Michel Serres puisse le dĂ©crire et le caractĂ©riser. Il y a dans ce discernement un aspect prophĂ©tique. Michel Serres nous invite Ă entrer dans une nouvelle maniĂšre de vivre.
J H
(1)           Serres (Michel). darwin, bonaparte et le samaritain. Une philosophie de lâhistoire. Le Pommier, 2016                                          Une conversation particuliĂšrement Ă©clairante avec Michel Serres sur cet ouvrage au Monde Festival en vidĂ©o : http://www.lemonde.fr/festival/video/2016/09/20/le-monde-festival-en-video-conversation-avec-michel-serres_5000685_4415198.html
(2)           Lecomte (Jacques). La bonté humaine. Altruisme, empathie, générosité. Odile Jacob, 2012. Mise en perspective sur ce blog :  https://vivreetesperer.com/?p=674
(3)           Serres (Michel). Petite Poucette. Le Pommier, 2012. Mise en perspective sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=820
(4)           Menaces multiples et mĂȘme, menaces de guerres, comme en traite Pierre Servent dans son livre : « Extension du domaine de la guerre » (Robert Laffont, 2016)
(5)           Rifkin (JĂ©rĂ©mie). Une nouvelle conscience pour le monde. Vers une civilisation de lâempathie. Les liens qui libĂ©rent, 2010.  Mise en perspective sur le site de TĂ©moins : http://www.temoins.com/vers-une-civilisation-de-lempathie-a-propos-du-livre-de-jeremie-rifkinapports-questionnements-et-enjeux/
(6)           « Emergence dâune nouvelle sensibilitĂ© spirituelle et religieuse », sur le site de TĂ©moins :  http://www.temoins.com/emergence-dune-nouvelle-sensibilite-spirituelle-et-religieuse-en-regard-du-livre-de-frederic-lenoir-l-la-guerison-du-monde-r/
(7)           « Convergences Ă©cologiques : Jean Bastaire, JĂŒrgen Moltmann, Pape François et Edgar Morin » : https://vivreetesperer.com/?p=2151
(8)           « In the fellowship of the earth », p 80-85, in : JĂŒrgen Moltmann. The Living God and the fullness of life. World Council of Churches, 2016.   PrĂ©sentation du livre sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=2413
(9)           Sur le blog : « LâEsprit qui donne la vie » : « la vie contre la mort » : http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=841
(10)     Moltmann (JĂŒrgen) . De commencements en recommencements. Une dynamique dâespĂ©rance. Empreinte temps prĂ©sent, 2012 (p 115)                                              PrĂ©sentation sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=572
par jean | Avr 15, 2019 | ARTICLES, Hstoires et projets de vie |
Lâanniversaire de JĂŒrgen Moltmann cĂ©lĂ©brĂ© en Chine
Aujourdâhui, Ă travers les nouveaux moyens de communication, nous sommes de plus en plus proches les uns des autres. Ce rapprochement sâaccĂ©lĂšre. Câest une magnifique opportunitĂ© pour davantage de collaboration. Mais cela peut engendrer aussi confrontation et conflictualitĂ©. Ainsi, Ă lâĂ©chelle internationale, nous avons de plus en plus besoin de nous comprendre. A partir des diffĂ©rentes cultures, des diffĂ©rents contextes nationaux, les cheminements de pensĂ©e varient. Mais dans le grand brassage des hommes et des idĂ©es, face Ă des problĂšmes communs de plus en plus prĂ©gnants, ces cheminements sont de plus en plus appelĂ©s Ă se rapprocher. Et câest bien dĂ©jĂ le cas dans certains domaines, par exemple dans le champ des sciences.
Sur le plan religieux, si les grandes religions se sont longtemps installĂ©es dans telle ou telle aire gĂ©ographique, elles ont cependant Ă©tĂ©Â toujours en mouvement, dans des conjonctures dâexpansion. Aujourdâhui, des formes dâexpression et de pratique se manifestent dans des courants qui traversent les frontiĂšres des religions existantes (1). Et, par ailleurs, les diffĂ©rentes religions sont Ă©galement confrontĂ©es aux transformations culturelles et aux problĂšmes sociaux et politiques. Et, par exemple, elles sont toutes interpellĂ©es par la prise de conscience Ă©cologique (2). On peut observer ces divers mouvements dans le monde chrĂ©tien et dans ses divers composantes confessionnelles. Ici donc, la thĂ©ologie est appelĂ©e Ă Ă©clairer les questions nouvelles qui apparaissent en fonction des transformations de mentalitĂ© et des environnements culturels et sociaux qui forgent ces transformations. A cet Ă©gard, un thĂ©ologien, aujourdâhui reconnu parmi les plus grands et les plus innovants, JĂŒrgen Moltmann, nous paraĂźt apporter une contribution majeure. Ainsi, ce blog recourt-il frĂ©quemment Ă ses Ă©clairages (3).
JĂŒrgen Moltmann vient dâavoir 93 ans. Une vidĂ©o rĂ©alisĂ©e en Chine cĂ©lĂšbre son anniversaire. Câest un signe remarquable de la reconnaissance et de lâaudience de sa thĂ©ologie Ă lâĂ©chelle du monde.
Effectivement, si cette thĂ©ologie suscite un Ă©cho dans diffĂ©rentes parties du monde, de lâEurope dont elle est issue, jusquâaux AmĂ©riques et en Afrique, elle est particuliĂšrement apprĂ©ciĂ©e en ExtrĂȘme-Orient : CorĂ©e, Japon, Chine⊠Câest peut-ĂȘtre  parce que JĂŒrgen Moltmann apporte Ă la fois une double signification : une orientation dans le monde dâaujourdâhui Ă travers une thĂ©ologie de lâespĂ©rance (4) et, dans les civilisations dâExtrĂȘme-Orient attentive Ă lâunitĂ© de la crĂ©ation et aux Ă©nergies qui lâaniment, une reconnaissance de la prĂ©sence de Dieu dans lâimmanence Ă travers une thĂ©ologie de lâEsprit, cet « Esprit qui donne la vie » (5).
Dans cette Ă©mergence dâune culture mondiale, oĂč des questions apparaissent et convergent, la thĂ©ologie de Moltmann est une thĂ©ologie pour notre temps.
Cette vidĂ©o tĂ©moigne de la reconnaissance de la thĂ©ologie de Moltmann en Chine. En consultant les informations sur les institutions reprĂ©sentĂ©es par les intervenants, on en perçoit la diversitĂ© et donc la vaste dimension de lâaudience qui est accordĂ©e Ă cette pensĂ©e. Nous rapportons donc ici le message de la vidĂ©o (6).
https://www.youtube.com/watch?v=9z4nzf–7E0&fbclid=IwAR020hV7ceZZmGe2JhUNfdl_L_zw5fXSLROcYpq9G0Qv0b6juEcnQoFLYoY
Joyeux anniversaire au professeur Moltmann.
Bénédictions de Chine
Professeur Zhang Xu. Renmin China University. Pékin
JâespĂšre que je pourrais vous rencontrer dans lâavenir et Ă©couter votre enseignement
Professeur You Bin. Minzu university of China. Pékin
Quâil soit bĂ©ni ! Une vie pleine de vitalitĂ© et qui porte beaucoup de fruits. Son influence ne sâĂ©tend pas seulement Ă lâaspect acadĂ©mique du christianisme. Ses Ćuvres jaillissent de son cĆur dans la contemplation de la marche du monde. Alors elles touchent tous ceux qui cherchent la vĂ©ritĂ© honnĂȘtement. Je le fĂ©licite profondĂ©ment pour son oeuvre formidable et je lui souhaite une bonne santĂ© et une bonne longĂ©vitĂ©.
Professeure Song Xuhong Minzu University of China  Pékin
Dans une perspective chinoise, ĂȘtre ĂągĂ© de 93 ans, câest entrer dans un Ăąge de bonheur et de longĂ©vitĂ©, mais je prĂ©fĂšre lâenvisager selon la personnalitĂ© et le charme du professeur Moltmann.  Je souhaite que professeur Moltmann puisse rester jeune et actif pour quâil puisse toujours habiter dans ses pensĂ©es inspirĂ©es et nous guider par sa profonde sagesse
Professeur Hsuch Hsin Chow China Evangelical Seminary
Je bĂ©nis le professeur Moltmann, ce gĂ©ant qui est utilisĂ© constamment par Dieu comme une voix qui sâadresse aux Eglises partout dans le monde. Par une inspiration particuliĂšre, il peut continuer Ă aider les Ă©glises chinoises. Que Dieu le bĂ©nisse abondamment !
Docteur Wang Wenfeng Fondateur du Consensus dâOxford
Le docteur Wenfeng déploie une calligraphie qui exprime ses pensées de bénédiction pour la vie du professeur Moltmann
Docteure Yang Huaming Chinese Academy of Social science
Joyeux anniversaire et une vie toujours jeune
Cette vidĂ©o met en Ă©vidence lâimportance et la pertinence de la vision de Moltmann dans le contexte de la culture chinoise.  Mais elle est aussi un hommage du cĆur avec une Ă©mouvante dĂ©licatesse. Et, comme les intervenants sont issus de diffĂ©rentes institutions, câest le produit dâune belle collaboration. Elle exprime remarquablement lâamitiĂ© envers JĂŒrgen Moltmann avec une expression de tendresse et une grande justesse de ton. Elle tĂ©moigne dâune harmonie. Elle Ă©veille une Ă©motion. Dans cet anniversaire, lâEsprit divin se manifeste dans lâamour et la bĂ©nĂ©diction. Une lumiĂšre nous vient de Chine.
J H
- « Dynamique culturelle et vivre ensemble dans un monde globalisĂ©. « La guerre des civilisations nâaura pas lieu » de RaphaĂ«l Liogier » : https://vivreetesperer.com/dynamique-culturelle-et-vivre-ensemble-dans-un-monde-globalise/
- « Convergences Ă©cologiques : Jean Bastaire, JĂŒrgen Moltmann, Pape François et Edgar Morin » : https://vivreetesperer.com/convergences-ecologiques-jean-bastaire-jurgen-moltmann-pape-francois-et-edgar-morin/
- Pour une vue dâensemble sur la vie et la pensĂ©e de JĂŒrgen Moltmann : « Une thĂ©ologie pour notre temps. Lâautobiographie de JĂŒrgen Moltmann » : https://www.temoins.com/une-theologie-pour-notre-temps-lautobiographie-de-juergen-moltmann/ Quelques articles sur : Vivre et espĂ©rer : « Le Dieu Vivant et la plĂ©nitude de la vie » : https://vivreetesperer.com/le-dieu-vivant-et-la-plenitude-de-vie-2/  « Le Dieu vivant et la plĂ©nitude de vie. Eclairages apportĂ©s par la pensĂ©e de JĂŒrgen Moltmann » : https://vivreetesperer.com/le-dieu-vivant-et-la-plenitude-de-vie/
- La rĂ©ception de la thĂ©ologie de lâespĂ©rance Ă travers un colloque organisĂ© Ă New York en 1988 : https://vivreetesperer.com/quelle-vision-de-dieu-du-monde-de-lhumanite-en-phase-avec-les-aspirations-et-les-questionnements-de-notre-epoque/
- « Un Esprit sans frontiĂšres. ReconnaĂźtre la prĂ©sence et lâĆuvre de lâEsprit » : https://vivreetesperer.com/un-esprit-sans-frontieres/
- https://www.youtube.com/watch?v=9z4nzf–7E0&fbclid=IwAR020hV7ceZZmGe2JhUNfdl_L_zw5fXSLROcYpq9G0Qv0b6juEcnQoFLYoY
par jean | Mar 5, 2024 | ARTICLES, Vision et sens |
La vision spirituelle du mĂ©decin psychiatre, Jacques Besson dans la dĂ©couverte de nouveaux horizons : les neurosciences, les synchronicitĂ©s, la lutte contre les addictions, lâusage des psychĂ©dĂ©liques, le chamanismeâŠ
Auteur dâun livre sur : Addiction et spiritualitĂ© (1), Jacques Besson, mĂ©decin psychiatre, addictologue, ancien chef du dĂ©partement de psychiatrie communautaire du dĂ©partement de psychiatrie du centre hospitalier universitaire vaudois, professeur honoraire de lâUniversitĂ© de Lausanne, a Ă©tĂ© frĂ©quemment interviewĂ© dans des vidĂ©os sur You tube (2). Il y met en Ă©vidence des relations sensibles entre spiritualitĂ©, prĂ©sence dâune conscience, lutte contre les addictions, usage des psychĂ©dĂ©liques, expĂ©rience de mort imminente, expĂ©rience du chamanisme. En mĂȘme temps, Jacques Besson se prĂ©sente comme un croyant enracinĂ© dans une foi chrĂ©tienne dâinspiration protestante. En Ă©coutant Jacques Besson, nous dĂ©couvrons des rĂ©alitĂ©s qui se manifestent aujourdâhui et sur la signification desquelles nous nous interrogeons. A partir de son expĂ©rience et des connaissances, il nous apporte un Ă©clairage prĂ©cieux. Voici donc quelques aperçus Ă partir dâune interview de jacques Besson par Didier Reinach : « SpiritualitĂ© et crĂ©ativitĂ© de soi â lâesprit du bonheur » (3).
Cheminement professionnel et spirituel de Jacques Besson
Au dĂ©part, lâintervieweur rappelle les intĂ©rĂȘts de Jacques Besson : « la psychiatrie communautaire, la santĂ© mentale, les rapports entre la psychiatrie, la religion, la spiritualitĂ© et les neurosciences ». Il pose donc une premiĂšre question : « Pourquoi la spiritualitĂ© est-elle un chemin de guĂ©rison ? » Et il lâinterroge sur ses motivations : « Quâest-ce qui te pousse, quâest-ce qui te porte Ă introduire la dimension spirituelle ? ». La rĂ©ponse porte dâabord sur les racines : « Je viens dâune longue tradition protestante. Comme enfant, jâai eu des visions, des intuitions, des aspirations sur lâinvisible, sur la lumiĂšre du monde. Cela mâa toujours intriguĂ© et passionnĂ©. Depuis lâĂąge de cinq ans environ, je mâintĂ©resse Ă lâindividu, Ă la question de lâesprit ». Jacques Besson sâest donc dirigĂ© vers la mĂ©decine ; puis, il sâest intĂ©ressĂ© Ă la neurologie. Il est passĂ© ensuite Ă la psychiatrie, puis Ă la psychanalyse. Et de la psychanalyse, il sâest dĂ©vouĂ© pour des populations vulnĂ©rables, pour la mĂ©decine des pauvres au Centre Saint-Martin qui a accueilli des milliers toxicomanes. CâĂ©tait une mĂ©decine communautaire, gĂ©nĂ©reuse. De lĂ , Jacques Besson est devenu un expert en addictologie, une science interdisciplinaire qui rassemble un ensemble de savoirs pour faire face Ă la complexitĂ© du problĂšme de lâaddiction. Il sâest engagĂ© dans des psychothĂ©rapies et câest lĂ quâil sâest rendu compte petit Ă petit que « la question du sens Ă©tait centrale ». Jacques Besson a Ă©galement Ă©tĂ© mĂ©decin dans lâArmĂ©e du Salut. Il a vu lĂ un tĂ©moignage magnifique et il y a beaucoup appris. Câest lĂ quâil a rencontré « les alcooliques anonymes », un mouvement spirituel et non religieux qui a commencĂ© dans les annĂ©es 1930, oĂč les participants se remettent Ă une puissance supĂ©rieure, Ă plus grand quâeux-mĂȘmes, pour leur rĂ©tablissement. Les « alcooliques anonymes » ont actuellement plusieurs dizaines de millions dâadeptes en traitement qui vont bien. Jacques Besson, bien au fait de la biologie molĂ©culaire, a considĂ©rĂ© les bienfaits engendrĂ©s par lâapproche des alcooliques anonymes : les diffĂ©rentes Ă©tapes, le lĂącher-prise et la conscience dans lâunivers. Il sâest alors demandĂ©Â : est-ce quâil y aurait une neuroscience des alcooliques anonymes ? La rĂ©ponse est oui. Il y a eu beaucoup de recherches en imagerie sur lâimpact de la priĂšre, de la mĂ©ditation. Dans les annĂ©es 1990, au cours dâune annĂ©e sabbatique Ă Harvard, il a pu suivre les dĂ©buts de lâimagerie fonctionnelle cĂ©rĂ©brale et il a dĂ©couvert la puissance de lâinstrument. « Entre addiction et spiritualitĂ©, il y a un rapport trĂšs Ă©troit. Dâun cĂŽtĂ©, lâaddiction est une impasse de sens. De lâautre cĂŽtĂ©, la spiritualitĂ© est une ouverture Ă plus grand que soi. Donc la spiritualitĂ© est un instrument puissant pour la prĂ©vention et le rĂ©tablissement des addictions ». AprĂšs avoir fait une thĂšse sur la correspondance Ă©changĂ©e entre Freud et le pasteur Pfister oĂč les fondements du dialogue entre psychanalyse et religion Ă©taient posĂ©s, Jacques Besson sâest engagĂ© dans une Ă©tude de la pensĂ©e de Carl Jung et, pendant une dizaine dâannĂ©es, il sâest formĂ© Ă la psychanalyse jungienne en autodidacte, puisque celle-ci n’est pas agrĂ©Ă©e dans lâenseignement officiel. Il y a trouvĂ© les ingrĂ©dients dont il avait besoin pour Ă©tablir un lien entre science et spiritualitĂ©. « Il peut y avoir une science de lâesprit qui est plus grande que celle du cerveau ou de la psychologie, et la question de lâinconscient collectif, la question du Dieu inconscient, la question de ce qui nous transcende et de ce qui nous traverse sont des questions qui ont habitĂ© les humains depuis toujours et Jung a Ă©tĂ© un investigateur de gĂ©nie sur ces questions ». Par la suite, Jacques Besson sâest tournĂ© vers lâĆuvre du sociologue mĂ©dical, rescapĂ© dâAuschwitz, Aaron Antoniovsy. Il a observĂ© la vie dans les camps et « il en a tirĂ© la conclusion que les humains avaient besoin de sens et de cohĂ©rence, de cohĂ©rence permettant dâaligner le somatique, le psychique et le spirituel, et dâĂȘtre droit dans ses bottes, dâavoir un sens dans la vie. VoilĂ ce qui est gĂ©nĂ©rateur de ce quâil a appelĂ© lui-mĂȘme la salutogenĂšse. La salutogenĂšse, Ă travers ses origines latines entend le salut Ă la fois comme santĂ© et comme salut. La salutogenĂšse est le concept gĂ©nial qui crĂ©Ă© la promotion de la santĂ©. Les mĂ©decins obsĂ©dĂ©s par les causes des maladies sâintĂ©ressent beaucoup moins aux attracteurs de santĂ© et je me suis passionnĂ© pour le âsolutionnismeâ, câest Ă dire conjuguer toutes les approches disponibles dans un champ comme les addictions oĂč la mĂ©decine Ă©tait trĂšs pauvre et pouvoir venir ainsi Ă lâaide de populations vulnĂ©rables ».
Mais, si lâon peut distinguer des groupes vulnĂ©rables, « nous sommes tous aujourdâhui vulnĂ©rables dâune certaine maniĂšre⊠Nous avons tous des carences, nous avons tous des maltraitances⊠la condition humaine fait que la vie est imparfaite et que nous sommes sur un chemin entre lâinaccompli et lâaccompli. Câest une voie mystique qui ne me fait pas peur parce quâelle est compatible avec la vision scientifique dâun monde Ă©volutionnaire ».
Aujourdâhui, « lâhumanitĂ© est traumatisĂ©e et elle nâaccĂšde pas, pas encore, aux instruments de guĂ©rison, cet alignement entre le physique, le psychique et le spirituel, entre la science de la nature, la science humaine et, peut-ĂȘtre la science de lâesprit. Donc, jâai toujours cherchĂ© cette cohĂ©rence, cet alignement⊠Je nâai jamais quittĂ© cette ligne et je suis âle capitaine de mon Ăąmeâ » (cette expression en Ă©cho Ă celle du poĂšme rĂ©citĂ© en priant, par Nelson Mandela dans sa prison).
LâĂȘtre humain et la spiritualitĂ©
Lâentretien se poursuit au sujet de la nature humaine. Nous ressentons aujourdâhui les effets nocifs du matĂ©rialisme. « Ce matĂ©rialisme, dans lequel nous sommes dĂ©sespĂ©rĂ©ment plongĂ©s, nous coupe de ce que les peuples premiers savaient trĂšs bien⊠Câest que le monde est un. Nous sommes dans une totalité ». En demandant Ă ses Ă©tudiants en mĂ©decine : oĂč est lâesprit, Jacques Besson les amenait Ă penser quâil nâĂ©tait pas seulement dans le cerveau, dans le corps, mais que, pour vivre, lâĂȘtre humain avait besoin dâun langage, de relations, dâune culture ; « il faut une humanitĂ©, il faut une planĂšte, il faut un univers. Pour un seul ĂȘtre humain, il faut la totalitĂ© de lâunivers et le grand mystĂšre, câest que chaque ĂȘtre humain reprĂ©sente une singularité ». Mais cette singularitĂ© se vit en complĂ©mentaritĂ©, dans un ensemble. « Plus on va vers soi-mĂȘme, disent les sages du premier millĂ©naire chrĂ©tien, plus on sâapproche de Dieu, mais il sâagit de soi-mĂȘme, au sens de Jung, câest Ă dire dâune individuation. Il sâagit de bien comprendre le rapport entre le soi et la totalité ».
Câest un apport de la psychanalyse jungienne qui, elle-mĂȘme, peut ĂȘtre envisagĂ©e comme une Ă©tape pour aller plus haut. A partir dâun Ă©pisode vĂ©cu et rapportĂ© par Jung, du ârĂȘve dâun scarabĂ©e par un patient et lâapparition de cet insecte Ă la fenĂȘtreâ, la conversation sâengage sur le phĂ©nomĂšne des synchronicitĂ©s. Jacques Besson a vĂ©cu de nombreuses synchronicitĂ©s dans sa carriĂšre et « il est convaincu que ce phĂ©nomĂšne introduit une fenĂȘtre sur un rapport diffĂ©rent au temps, au temps qui nous dĂ©passe, au temps vertical, le grand temps, celui qui sâest dĂ©ployĂ© avec le big bangâŠÂ ». Lâaccueil des synchronicitĂ© requiert « une grande ouverture au monde, Ă lâunivers, Ă la conscience, qui est bien plus grande que ce quâon peut imaginer, et pour les scientifiques, beaucoup dâhumilité », vertu trop peu rĂ©pandueâŠÂ « Il faut ĂȘtre bien conscient des limites de la science pour accĂ©der Ă un monde plus grand⊠La foi et la science ne sâoppose pas. On peut ĂȘtre scientifique et mystique. La science sâoccupe des âcommentsâ. Elle propose des modĂšles. La mĂ©taphysique propose des intuitions, des visions ».
La conversation se poursuit sur les ressources du cerveau humain. « Le cerveau a de nombreuses fonctions⊠Le cerveau est un univers Ă lui tout seul. Câest un microcosme. Lâunivers du cerveau est un univers infiniment complexe ». Ainsi, sâil y a un infiniment petit et un infiniment grand, « comme lâa intuitivement prĂ©dit, le gĂ©nial Blaise Pascal, lâhomme est le milieu de toutes choses et lâĂȘtre humain est entre les deux infinis, le petit et le grand, et je suis arrivĂ© Ă la conclusion quâil dĂ©tient le troisiĂšme infini qui est lâinfiniment complexe⊠La science se prĂ©occupe dâobjectiver. La ligne de la science, câest bien lâobjectivitĂ©, mais nous autres, ĂȘtres humains, nous vivons aussi dâune subjectivitĂ© et la science du sujet est extrĂȘmement importante. Câest la science de la conscience prĂ©cisĂ©ment⊠La totalitĂ© implique dâavoir recours Ă la science et Ă la conscience, Ă la science et Ă la spiritualité ».
Spiritualité, soin, médecine
Une question de lâinterviewer : Est-ce que la spiritualitĂ© peut soigner des Ă©gos blessĂ©s, des Ă©gos malades ? Jacques Besson rĂ©pond en Ă©voquant « une nouvelle science qui a fait dâĂ©normes progrĂšs depuis une quinzaine dâannĂ©es : la psycho-traumatologie. La psycho-traumatologie est lâĂ©tude interdisciplinaire des traumatismes psychiques. Nous avons tous un certain capital de santĂ© mentale et nous pouvons supporter ainsi un certain nombre de souffrances. Mais sâil y a effraction, un abus trop fort, une agression trop violente, la blessure psychique qui en rĂ©sulte est un traumatisme. La question du traumatisme est trĂšs importante parce quâelle participe au diagnostic dâune vulnĂ©rabilitĂ© particuliĂšre chez certaines personnes qui peut ĂȘtre investiguĂ©e et surtout peut ĂȘtre traitĂ©e.
Puis, une grande question se pose : pourquoi moi ? Pourquoi Ă moi, mâest-il arrivĂ© tel accident, tel malheur ? Et le âpourquoi moiâ, est un grand mystĂšre. Câest une blessure parce que câest incomprĂ©hensible. Le monde est imparfait. LâarrivĂ©e dâun accident nous dĂ©passe et la spiritualitĂ© nous aide Ă redonner du sens, Ă recouvrir notre Ăąme⊠Câest la technique chamanique. C’est lâextraction dâesprit et le recouvrement dâĂąme. Les chamans sont spĂ©cialistes du trauma Ă leur maniĂšre. Lâextraction dâesprit, câest se dĂ©tourner de ce qui nous a blessĂ©, peut-ĂȘtre lâextraire ou tout au moins sâen dĂ©tacher. Le recouvrement dâĂąme, câest aller vers plus grand que soi. Et voilĂ un mouvement salutogĂ©nique. Et voilĂ , les peuples premiers ont cette intuition quâil y un rĂ©tablissement possible. La santĂ© mentale est le fruit dâune plasticitĂ©. Et cela, câest tout lâespoir que peut avoir un psychiatre, un psychiatre psychothĂ©rapeute en lâoccurrence. Le cerveau est plastique. Câest Ă dire que les connexions sâadaptent Ă lâenvironnement, Ă la culture. Les neurones dialoguent entre eux et se connectent. Et cela laisse de la trace.
Donc, du coup, lâexpĂ©rience spirituelle, cela laisse de la trace. Pour en donner un exemple, la mĂ©ditation en pleine conscience, qui sâest occidentalisĂ© rĂ©cemment, se rĂ©vĂšle modifier la connectivitĂ© cĂ©rĂ©brale, ainsi que montre les nouvelles techniques dâimagerie. On devient plus autonome affectivement et cognitivement, plus souple. Ce sont des encouragements trĂšs forts pour relier la mĂ©decine psychiatrique, la mĂ©decine somatique et la psychothĂ©rapie. Depuis plusieurs annĂ©es, jâai eu la chance dâintroduire la santĂ© spirituelle Ă la facultĂ© de mĂ©decine, notamment Ă la suite de la rencontre publique avec le DalaĂŻ Lama en 2013.
Je lui ai posĂ© la question des trois ordres de la mĂ©decine et il mâa rĂ©pondu avec beaucoup de chaleur que câĂ©tait une question quâil fallait absolument explorer en Occident, car, pour la mĂ©decine tibĂ©taine, il est Ă©vident que le premier rang de la santĂ© est la santĂ© spirituelle. En dĂ©coule la santĂ© psychique dont dĂ©coule la santĂ© physique. Or, en Occident, nous faisons trĂšs exactement le contraire. Nous avons jetĂ© les bases dâune santĂ© somatique, nous avons Ă©laborĂ© correctement une psychiatrie qui tient la route, mais nous somme encore trĂšs loin de la singularitĂ© du sujet, de la question du lien, de la question du sens qui sont les vraies questions qui mobilisent la salutogenĂšse et le rĂ©tablissement ».
Une crĂ©ation de sens ? suggĂšre lâinterviewer. Câest innĂ© ou cela se travaille ? demande-t-il. « Les deux Ă la fois » rĂ©pond Jacques Besson. « Je crois quâil y a du divin dans lâhomme, pour citer les PĂšres de lâĂglise ». En reprenant une expression latine, « lâhomme est capable de Dieu. Câest-Ă -dire, il a une intuition du beau, du bien, du vrai, du juste, et il peut suivre ce chemin. Câest un possible. Alors cela nĂ©cessite Ă©videmment un travail. Le Bouddha a dit : « Le bonheur est sur le chemin ». Alors, cheminons.
Psychédéliques, chamanisme, médecine ouverte
Jacques Besson envisage son approche de la guĂ©rison sous diffĂ©rents angles. Ainsi, dans un cadre psychiatrique, il participe à « la rĂ©habilitation des psychĂ©dĂ©liques (champignons hallucinogĂšnes, Lsd, certaines formes dâecstasy) », Ă des fins thĂ©rapeutiques. Historiquement, ces substances ont Ă©tĂ© stigmatisĂ©es aprĂšs le premier dĂ©veloppement de leur usage aux Etats-Unis, mais on observe aujourdâhui un retour parce quâon a compris que ce nâest pas le mĂȘme groupe de drogues que les opiacĂ©s, la cocaĂŻne ; un groupe diffĂ©rent qui a la capacitĂ© de perturber lâordre psychique, mais Ă petites dose, bien contrĂŽlĂ©es et dans un cadre thĂ©rapeutique, cela peut permettre de modifier un ordre Ă©tabli dans le sens dâouvrir certaines mĂ©moires qui Ă©taient dans des tiroirs. Lorsquâun traumatisme dĂ©sorganisateur infecte une existence, il vaut mieux le sortir, lâaĂ©rer. Et cela, câest lâextraction dâesprit et le recouvrement dâĂąme opĂ©rĂ©s par les chamans, câest ce que la psychanalyse essaie de faire laborieusement avec de longs processus, câest ce que lâhypnose essaie de faire par des conditionnements, mais les psychĂ©dĂ©liques sont aujourdâhui le moyen le plus prometteur pour accĂ©der aux souvenirs traumatiques dans un contexte sĂ©curisĂ© et Ă©largir la conscience⊠On pense que les psychĂ©dĂ©liques ont le pouvoir dâaccroitre la plasticitĂ© neuronale, et notamment les champignons, ce que les peuples premiers savaient trĂšs bien. Aujourdâhui les mĂ©dicaments les plus prometteurs en psychiatrie sont ceux qui ont Ă©tĂ© les plus ostracisĂ©s et maudits quand jâĂ©tais jeune. Le cannabis ouvre des perspectives intĂ©ressantes en mĂ©decine curative et les psychĂ©dĂ©liques ouvrent des pistes intĂ©ressantes pour la santĂ© mentale ».
Jacques Besson critique les prĂ©jugĂ©s engendrĂ©s par un matĂ©rialisme rĂ©ductionniste vis-Ă -vis des pratiques des peuples premiers. « Jâai eu la chance de rencontrer plusieurs personnes qui se sont intĂ©ressĂ©es scientifiquement au chamanisme. Ainsi le docteur Olivier Chambon en France qui a Ă©crit un texte de rĂ©fĂ©rence : « PsychothĂ©rapie et chamanisme ». Il Ă©voque la psychologie transpersonnelle, notamment StĂ©phane Gros. Ce sont des psychologues qui acceptent quâon puisse communiquer dâinconscient Ă inconscient et communiquer avec plus grand que soi. Le chamanisme, câest aussi une communication avec un monde plus grand. Le chamane et Ă la fois prĂȘtre et mĂ©decin. Aujourdâhui, nous avons rejetĂ© le prĂȘtre et garder le mĂ©decin.
Il est grand temps de rĂ©concilier le prĂȘtre et le mĂ©decin, le spirituel et le scientifique ». il y a un fossĂ© Ă combler. Cependant, en mĂ©decine scientifique, on enseigne la psychologie mĂ©dicale, les fondements de la relation mĂ©decin-malade, lâalliance thĂ©rapeutique et il y a maintenant une science Ă©tablie de lâeffet placebo. Le mĂ©decin revient au prĂȘtre par des voies dĂ©tournĂ©es. Et il utilise trĂšs largement, souvent inconsciemment, le chemin de la suggestion (suggestion que Freud nâaimait pas trop). Pour ma part, je pense que le mĂ©decin de famille est un homme de confiance. Il a le manteau du druide. Il fait de la suggestion. Et câest une bonne chose ! Les mĂ©dicaments parfois peuvent avoir un effet placebo sans le savoir ». Jacques Besson Ă©voque une recherche sur les antidĂ©presseurs qui montre quâil nây a que 5% de variance entre le placebo et le mĂ©dicament. « Cela rend modeste quand on pense quâon a dĂ©pensĂ© des milliards pour des antidĂ©presseurs.
« Je crois quâil faut ĂȘtre juste et humble. Il y a un ordre somatique de la mĂ©decine. Il y a des gĂšnes. Il y a des molĂ©cules. Il y a un dĂ©terminisme biologique. Il y a une gĂ©nĂ©tique. Mais il y a aussi une Ă©pigĂ©nĂ©tique. Les gĂšnes dialoguent avec lâenvironnement. Le sujet a une histoire dans sa nature, dans son contexte. Et câest toute la force de lâordre psychique. Nous avons une Ă©ducation, un environnement, une culture, des valeurs et cela produit de la plasticité ». Il y a des intuitions. Lâintuition est une dimension de lâappareil psychique qui nâest pas Ă©tudiĂ©e en psychothĂ©rapie. Elle est souvent destinĂ©e aux « bonnes femmes » alors que la femme a beaucoup plus dâintuition que lâhomme.
Câest probablement avec les femmes que lâon a eu les plus grandes dĂ©couvertes de la sacralitĂ©. Certes, il y a des diffĂ©rences biologiques entre les hommes et les femmes, mais ces diffĂ©rences ne sont pas absolues. « Il y a lâordre psychique, les apprentissages, les valeurs qui ont Ă©tĂ© transmises. Mais je pense que la rĂ©ponse la plus appropriĂ©e est dans la psychĂ©, les archĂ©types, lâanimus et lâanimaâŠÂ La santĂ© psychique, câest le dialogue, le mariage entre lâanimus et lâanima. Câest la rencontre des opposĂ©s. Pour atteindre la totalitĂ©, lâindividuation, il faut avoir mariĂ© lâanima et lâanimusâŠÂ ». Cette analyse se poursuit au niveau de lâunivers. « La rencontre du ciel et de la terre se fait pour que lâhomme puisse accĂ©der Ă plus grand que lui. Henri Bergson disait : « la terre est un incubateur de Dieu ». Tout se passe comme si la matiĂšre voulait ĂȘtre spiritualisĂ©eâŠÂ ». Câest une vision de rĂ©conciliation.
Puis, Jacques Besson Ă©voque lâamour des autres comme lâamour de soi. » Pour les bouddhistes, pas de sagesse sans compassion. Pour les chrĂ©tiens, pas de vĂ©ritĂ© sans charitĂ©. La conscience ne suffit pas⊠il faut passer par le don de soi ; par la crĂ©ativitĂ©, par le nouveau. Si nous sommes dans un univers Ă©volutionnaire, alors nous faisons partie de lâĂ©volution. Nous avons une responsabilitĂ©. Nous sommes des co-crĂ©ateurs ».
« La mĂ©ditation, la priĂšre, la sagesse des peuples premiers et la religion peuvent nous apporter quelque chose. La spiritualitĂ© nâa pas besoin dâĂȘtre religieuse ; mais je pense quâil y a des religions qui peuvent ĂȘtre spirituelles. Personnellement, jâai beaucoup dâadmiration pour le soufisme⊠Soyons humble. Gandhi a dit : « celui qui va au fond de sa religion, va au fond de toutes les religions ». Le noyau dur des religions, câest la spiritualitĂ©, câest la sacralitĂ©, câest le rapport entre la vĂ©ritĂ© et la charitĂ©. Câest cela le noyau dur ».
Quelles lectures éclairantes ? Une inspiration biblique
Lâintervieweur demande Ă Jacques Besson de nous conseiller. Et, entre autres, quelles lectures comptent pour lui ? La rĂ©ponse va Ă lâencontre de la mode. Câest « lire la Bible ». « Parce que câest, quand mĂȘme, un livre incroyable. Ce sont des centaines dâauteurs qui Ă©crivent ensemble dans des moments diffĂ©rents, dans des contextes diffĂ©rents, pour exprimer une forme de vĂ©ritĂ© profonde dont ils ont eu lâinspiration, la rĂ©vĂ©lation pour le bien de la communautĂ©. Il y a, bien sĂ»r, des chapitres plus difficiles, mais lire la Bible avec la psychologie des profondeurs, avec de lâĂ©veil, avec un regard chamanique, câest trĂšs riche de sens, de lien, dâexpĂ©rience dâautres humains, dâautres situations. Quand MoĂŻse va chercher les tables de la loi et quâil trouve les « couillons » avec le veau dâor, câest une modernitĂ© effrayante. Et le Christ sur sa croix qui est plus fort que la mort â aprĂšs, on peut lâinterprĂ©ter de plusieurs maniĂšres â câest actuel, je pense. Si on ne sâoccupe pas trop de la mort, on devient tellement plus vivant. Il faut vivre lâinstant ». Et donc, si la Bible nâest plus toujours apprĂ©ciĂ©e, Jacques Besson sâĂ©crie : « moi, je la lis ». Certains passages le touchent davantage ; « Ma petite prĂ©fĂ©rence va Ă lâĂvangile de Jean. Dans lâAncien Testament, jâaime beaucoup le Livre de Job, le malheur de lâinnocent⊠Il y a les psaumes qui sont merveilleux aussi et bien sĂ»r les Ăvangiles. Septante trois guĂ©risons du Christ. Le Christ est un exorciste. Câest un immense chaman. Le Saint-Esprit, vu par la spiritualitĂ© et les neurosciences, câest le Grand Esprit, câest lâĂąme du monde ». Paracelse est citĂ© en Ă©voquant âla lumiĂšre, lâĂąme du mondeâ. « Lisez Paracelse, lisez Jung, lisez la Bible, regardez la biographie de Gandhi ».
InterrogĂ© sur lâesprit qui lâanime, Jacque Besson revient Ă son enfance : « Quand jâavais quatre ans, mon grand-pĂšre est mort dans des conditions assez tristes et ma mĂšre a fait une assez grave dĂ©pression ; je me suis mis Ă avoir peur du noir. CâĂ©tait assez angoissant. Un jour que ma nourrice sâoccupait de moi, elle a remarquĂ© que jâavais peur du noir et elle sâest adressĂ©e Ă moi avec beaucoup de gentillesse et beaucoup dâhumanitĂ©, elle mâa dit : Jacques, il ne faut pas avoir peur du noir. Non, il ne faut pas avoir peur du noir parce que, dans le monde, il y a une lumiĂšre invisible. Oui, câest une lumiĂšre qui Ă©claire et qui rĂ©chauffe le cĆur des enfants. Câest un enfant aussi qui la donne. Il sâappelle JĂ©sus. Cela mâa intĂ©ressĂ©Â : il y aurait une lumiĂšre invisible et un autre enfant qui la donne. Et il est dâun autre ordre⊠Donc, Ă partir de quatre-cinq ans, je me suis intĂ©ressĂ© Ă cette figure. On mâa envoyĂ© Ă lâĂ©cole du dimanche. Je me suis passionnĂ© pour les personnages de la Bible : Abraham, Isaac, Jacob, Joseph et les pharaons, MoĂŻse, David, Goliath et puis, aprĂšs, le Christ. Jâai toujours eu cette intuition quâil y a du visible dans lâinvisible. Et plus tard, jâai dĂ©couvert, avec les PĂšres du premier millĂ©naire chrĂ©tien ce quâils appellent lâintelligible, non pas au sens de lâintelligence, mais au sens que dans lâinvisible, il y a des choses quâon peut comprendre, auxquelles on peut accĂ©der, câest une grĂące divine. Alors, toute ma vie a Ă©tĂ© Ă©clairĂ©e, dâun cĂŽtĂ© par mon intĂ©rĂȘt sincĂšre et rigoureux pour la science et mon intĂ©rĂȘt sincĂšre et rigoureux pour la spiritualitĂ©. Et, un jour jâai dĂ©couvert, je crois que câest Jean Calvin qui lâa dit, « la science permet lâĂ©merveillement ». Jâavais une passerelleâŠ.
Cette contribution de Jacques Besson nous parait particuliĂšrement Ă©clairante et innovante. Elle reconnait et prend en compte des rĂ©alitĂ©s Ă©mergentes comme par exemple les rĂ©sultats de lâimagerie cĂ©rĂ©brale, les synchronicitĂ©s et le chamanisme. Des courants de pensĂ©e et de recherche, encore minoritaires sont pris en compte. Un nouveau paysage apparait.
Cette contribution nous parait doublement prĂ©cieuse. A lâencontre dâun matĂ©rialisme encore puissant, elle instaure une nouvelle comprĂ©hension de la nature humaine et de lâordre du monde dâautant quâen plus des phĂ©nomĂšnes mentionnĂ©s dans cet interview, on peut en ajouter dâautres comme les expĂ©riences de mort imminente prĂ©sentĂ©es par lâauteur dans une autre vidĂ©o. En mĂȘme temps, elle installe la spiritualitĂ© dans la prĂ©servation et le recouvrement de la santĂ©.
On peut ajouter un autre apport qui nous parait prĂ©cieux dans la configuration religieuse actuelle oĂč certains courants fondamentalistes manifestent une Ă©troitesse dâesprit en considĂ©rant nĂ©gativement des phĂ©nomĂšnes Ă©mergeants jusquâĂ les condamner et Ă les rejeter avec violence au nom dâune interprĂ©tation littĂ©rale de la Bible. Or, ici, Jacques Besson conjugue la reconnaissance de ces phĂ©nomĂšnes avec un tĂ©moignage de foi chrĂ©tienne et une lecture de la Bible Ă la fois instruite et enthousiaste.
Ainsi, Ă tous Ă©gards, cette contribution nous parait appeler une particuliĂšre attention.
Rapporté par J H
1.Jacques Besson. Addiction et spiritualitĂ©. Spiritus contre spiritum. ErĂšs, 2017. « Lâauteur propose un voyage depuis lâaube de lâhumanitĂ© en compagnie des substances psycho-actives jusquâĂ lâĂ©pidĂ©mie addictive contemporaine. Il montre comment lâaddiction reprĂ©sente une pathologie du lien et du sens. Les relations entre addiction et spiritualitĂ© sont explorĂ©es par les derniĂšres recherches neuroscientifiques sur la mĂ©ditation et la priĂšre, dans ce qui est devenu une nouvelle science, la neurothĂ©ologie »
2. La CONSCIENCE , moteur de la prochaine REVOLUTION : https://www.youtube.com/watch?v=-bA52VG7wZg
Expériences de mort imminente : la science face à une énigme : https://www.youtube.com/watch?v=REoY0EwwnMM
3.SpiritualitĂ© et crĂ©ativitĂ© de soi. Lâesprit du bonheur : https://www.youtube.com/watch?v=M7C1FXvMzSA
Voir aussi :
The Awakened brain ( Cerveau et spiritualité) : https://vivreetesperer.com/the-awakened-brain/
La nouvelle science de la conscience : https://vivreetesperer.com/la-nouvelle-science-de-la-conscience/
Comment nos pensées influencent notre réalité : https://vivreetesperer.com/comment-nos-pensees-influencent-la-realite/
Les expériences spirituelles : https://vivreetesperer.com/les-experiences-spirituelles/
Une rĂ©volution spirituelle. Une approche nouvelle de lâau-delĂ (Lytta Basset) : https://vivreetesperer.com/une-revolution-spirituelle-une-approche-nouvelle-de-lau-dela/
Jésus le guérisseur (Tobie Nathan) : https://vivreetesperer.com/jesus-le-guerisseur/
par jean | Juil 2, 2020 | ARTICLES, Emergence Ă©cologique |
« SâĂ©lancer vers une nouvelle terre. Une approche contemporaine pour sâĂ©veiller Ă demain et traverser les changements ».
https://youtu.be/CxrfhAgi_0s
A la sortie de la pandĂ©mie, le monde va-t-il reprendre ses habitudes, se rĂ©installer dans un systĂšme Ă©conomique et social dont on voit bien quâil va Ă sa perte. La crise du coronavirus va-t-elle permettre une accĂ©lĂ©ration de « la transition vers des sociĂ©tĂ©s post-carbone respectueuses des limites de la biosphĂšre, de la justice globale et des droits des gĂ©nĂ©rations futures ? » (1). Cependant, cette mutation globale requiert une profonde transformation des mentalitĂ©s. Cette transformation appelle un cheminement spirituel qui induise une Ă©volution des comportements et la mise en pratique de valeurs nouvelles. Câest aussi, comme lâĂ©crit Michel Maxime Egger dans un article du « Temps » (2), « le besoin dâun nouvel imaginaire qui puisse entrainer une mobilisation collective ».
Michel Maxime Egger est un sociologue et un thĂ©ologien (chrĂ©tien orthodoxe) qui anime aujourdâhui le « Laboratoire de transition intĂ©rieure » de lâassociation suisse : « Pain pour le prochain ». Depuis plus de vingt ans, il milite pour le dĂ©veloppement durable et des relations Nord Sud plus Ă©quitables. En 2004, il a fondĂ© le rĂ©seau « Trilogies » (3) quâil anime depuis « pour mettre en dialogue : traditions spirituelles, quĂȘte de sens, Ă©cologie et grands enjeux socio-Ă©conomiques ». Câest une approche qui associe « le cosmique, lâhumain et le divin ». Dans cette perspective, Michel Maxime Egger a Ă©crit plusieurs livres :
A partir de la spiritualitĂ© chrĂ©tienne, « La Terre comme soi-mĂȘme. RepĂšres pour une Ă©cospiritualité » (2015).
A partir de la profondeur de la psychĂš humaine : « Soigner lâesprit. GuĂ©rir la terre. Introduction Ă lâĂ©chopsychologie » (2015).
A partir de la spiritualité dans une approche interreligieuse : « Ecospiritualité. Réenchanter notre relation à la nature » (2018).
Michel Maxime Egger a prĂ©facĂ© rĂ©cemment un livre de la grande militante Ă©cologiste amĂ©ricaine : Joanna Macy : « LâespĂ©rance en mouvement » Nous avons prĂ©sentĂ© cette Ćuvre sur « Vivre et espĂ©rer » (4).
Michel Maxime Egger intervient dans de nombreuses rencontres. Et ainsi, en mai-juin 2020, il a rĂ©pondu Ă une interview rapportĂ©e dans une vidĂ©o qui introduit un cycle de mĂ©ditation : « meditatio Ă©cologie » « organisĂ©e par la « CommunautĂ© mondiale pour la mĂ©ditation chrĂ©tienne ». Lâhorizon ouvert nous est annoncĂ© par le titre de cette vidĂ©o : « SâĂ©lancer vers une nouvelle terre. Une approche contemporaine pour sâĂ©veiller Ă demain et traverser les changements » (1). Nous accompagnons ici cette interview en Ă©voquant quelques unes de ses expressions. Mais la vidĂ©o sâentend avec tant de clartĂ© et avec tant de sympathie quâelle se suffit Ă elle-mĂȘme.
La premiĂšre question porte sur la rĂ©action personnelle : « Pouvez-vous nous dire dans un registre personnel comment vous voyez ce qui se passe aujourdâhui ? En quoi vous ĂȘtes touchĂ© de maniĂšre sensible et comment y faites vous face ? » Chacun rĂ©agit selon les conditions dâhabitat et de travail, mais aussi selon les circonstances familiales. Ici Michel Maxime Egger profite du confinement pour ĂȘtre prĂ©sent Ă sa maman dans son dĂ©part au Ciel et accompagner son papa dans sa nouvelle solitude, une Ă©cole de compassion. Et naturellement les nouvelles limitations sont une invitation à « aller vers le dedans, revenir vers soi, descendre Ă lâintĂ©rieur de soi » : priĂšre, mĂ©ditation, contact avec la natureâŠ
La seconde question est plus gĂ©nĂ©rale. « Quâest-ce que cette crise du Covid 19 nous dit de notre maniĂšre de vivre aujourdâhui ? Quel lien avec la crise Ă©cologique ? Comment met-elle le doigt sur une fragilitĂ© et questionne-t-elle nos vies spirituelles ? »
Si on entend par apocalypse rĂ©vĂ©lation et dĂ©voilement, cette crise a une « dimension apocalyptique ». Nous sommes conviĂ©s Ă Ă©couter, Ă entendre. A travers ses symptĂŽmes, le coronavirus est un puissant rĂ©vĂ©lateur . « Il donne le fiĂšvre et tue par suffocation. Le symbole dâun systĂšme qui rĂ©chauffe et asphyxie la planĂšte par son obsession de la croissance, sa dĂ©mesure consumĂ©riste et sa quĂȘte du produit sans fin. Ensuite par son origine : le Covid 19 vient dâanimaux abominablement maltraitĂ©s , et son dĂ©veloppement est indissociable des perturbations climatiques et Ă©cosystĂ©miquesâŠ. Enfin par sa diffusion et ses impacts : impressionnant dâobserver comment un virus microscopique peut mettre le monde Ă lâarrĂȘt et lâĂ©conomie Ă terre. Lâexpression de la vulnĂ©rabilitĂ© dâun systĂšme globalisĂ© dont lâinterconnexion est Ă la fois la force et la faiblesse » (2)
Cependant, Michel Maxime Egger nous appelle Ă©galement Ă redĂ©couvrir des Ă©lĂ©ments essentiels. Et tout dâabord, « Nous sommes un avec le Vivant. Le Vivant est un ». Nous sommes ensemble dans une situation de profonde interdĂ©pendance Or « par notre domination, par notre arrogance, nous avons brisĂ© cette unité ». Câest un appel Ă la rĂ©conciliation avec la Terre, avec le Vivant.
Cette crise nous rappelle que « nous ne sommes pas les maitres et possesseurs de la nature. La nature nâest pas quâun stock de ressources, mais elle est au contraire la source de la vie, une source qui nous appelle au respect, Ă un respect profond » .
Un troisiĂšme Ă©lĂ©ment que cette crise du coronavirus nous rappelle, câest que « nous ne sommes pas tout puissants, mais profondĂ©ment fragiles, profondĂ©ment vulnĂ©rables. Câest un appel Ă redĂ©couvrir lâhumilité ».
Et puis, parce que nous avons Ă©tĂ© amenĂ©s Ă rĂ©duire notre consommation, « nous avons appris que le bonheur ne rĂ©side pas dans des biens en quantitĂ©, mais dans des biens de qualitĂ©. Et, bien que physiquement, nous ayons du garder nos distances, nous avons redĂ©couvert lâimportance des relations humaines, des relations dâentraide pour la coopĂ©ration. Ainsi ce virus nous apprend Ă retrouver, dâune part, la solidaritĂ©, et, dâautre part, par la rĂ©duction de la consommation, la sobriĂ©té ».
« A quels changements, attitudes et actions sommes-nous appelés, individuellement et collectivement, en lien avec un chemin spirituel tel que celui de la méditation ? »
« Jâentend dans cette crise un triple appel : un appel Ă un choix radical, un appel Ă une mĂ©tanoĂŻa, un appel Ă un engagement, ces trois dimensions Ă©tant profondĂ©ment interreliĂ©es »
« Choix radical : Je vis depuis longtemps avec cette idĂ©e que lâhumanitĂ© est arrivĂ©e Ă une croisĂ©e des chemins, Ă une forme de carrefour. Nous avons en fait le choix, selon lâexpression du sociologue Edgar Morin, entre le cotĂ© de lâabime et la mĂ©tamorphose. Pour moi, cette crise du coronavirus a confirmĂ© cette vision dâun carrefour de lâhumanité ». « La grande question aujourdâhui : Est-ce que lâaprĂšs sera un simple retour Ă lâavant ou au contraire aurons nous su, pu profiter de ce temps de ralentissement, de retour sur soi-mĂȘme pour pouvoir faire des pas vers cette transition Ă©cologique et sociale qui est absolument nĂ©cessaire ». « Jâai souvent mĂ©ditĂ© sur la phrase du DeutĂ©ronome (DeutĂ©ronome 30) dans le Premier Testament : « Je te propose vie et bonheur, mort et malheur. Choisis la vie pour que toi et ta postĂ©ritĂ© (les gĂ©nĂ©rations futures), vous viviez ». Mais de quelle vie parle-t-on ? Dâune Vie avec un grand V, dâune vie connectĂ©e avec ce qui est vivant, dâune vie ralliĂ©e avec ce qui est Vivant, mais aussi Ă la source du Vivant, Ă ce Souffle, cet Esprit qui est Ă la source de toute chose, qui anime toute chose, qui anime la CrĂ©ation, qui est le mystĂšre du Divin quelque soit le nom quâon veuille lui donner. Evidemment, pour entrer dans cette connection lĂ , la mĂ©ditation est un espace, un chemin privilĂ©giĂ©. Sâouvrir Ă ce Souffle, Ă cet Esprit, Ă cette dimension, attire une mĂ©tamorphose, une mĂ©tanoia, un retournement. Se mĂ©tamorphoser, câest en quelque sorte mourir pour renaitre. Mourir Ă ce qui conduit Ă la mort⊠pour pouvoir renaitreâŠrenaitre au nouveau et donc Ă la vie, une vie plus forte que la mort, une vie animĂ©e par le souffle de lâEsprit et dont la rĂ©surrection du Christ a Ă©tĂ© une des manifestations et un des symboles et qui nous ouvre Ă une dimension dâinconnu. Ce choix de la vie, cette mĂ©tanoia sont les fondements dâun engagement, Ă la fois personnel et collectif, pour la transition Ă©cologique et sociale, au sens fort du mot transition : trans ire : aller au delĂ , parce quâil ne sâagit pas simplement de corriger un systĂšme ou de lâamĂ©liorer, mais bien de changer le systĂšme, changer le paradigme pour opĂ©rer, ce que le pape François, dans son encyclique, Laudato Si, appelle une rĂ©volution culturelle courageuse.
 Quel encouragement, quelle perspective pourriez-vous nous donner pour sâĂ©lancer vers une nouvelle terre ?
Cette tĂąche est gigantesque, mais il est important de ne pas se dĂ©courager devant lâampleur de la tĂąche ! Michel Maxime Egger nous propose plusieurs pistes.
Ne pas rejeter les Ă©motions que nous pouvons avoir comme la peur, la tristesse, le dĂ©couragement, le sentiment dâimpuissance, mais simplement les accueillir ⊠Elles sont . Elles appartiennent Ă notre humanitĂ©. Mais ce qui est extrĂȘmement important, câest de ne pas nous laisser enfermer, dominer, submerger par ces Ă©motions, et, pour cela, crĂ©er des espaces oĂč ces Ă©motions puissent sâexprimer, se partager pour pouvoir ensuite ĂȘtre transformĂ©esâŠ.
DeuxiĂšme piste : « le mot confiance ou le mot foi ». Et Ă cotĂ© de toutes ses failles, « il y a en lâĂȘtre humain crĂ©Ă© Ă lâimage de
Dieu⊠un ĂȘtre capable dâamour, capable de relations harmonieuses avec les autres. Ce sont des qualitĂ©s, des dimensions Ă reconnaĂźtre, Ă cultiver et ce Ă lâintĂ©rieur de chaque ĂȘtre humain.
TroisiĂšme piste : entrer dans la conscience que chacun de nous tient le fil dâun autre possible. Un fil parfois tĂ©nu, mais qui est bien lĂ . Mais pour pouvoir tisser ce fil, câest extrĂȘmement important dâaller Ă la source de ce fil, se connecter Ă ce qui est le plus vivant, le plus vibrant en nous, câest Ă dire en fait se connecter Ă notre dĂ©sir. Cela prendra des formes diffĂ©rentesâŠil  ne pourra y avoir dâĂ©cologie intĂ©grale durable si câest une Ă©cologie du dĂ©faut. Ce doit ĂȘtre une Ă©cologie du dĂ©sir.
QuatriĂšme piste : commencer lĂ oĂč nous sommes, par de petits pas ⊠Lâimportant, câest de se mettre en mouvementâŠ.
CinquiĂšme Ă©lĂ©ment : croire que câest possible. Et pour cela se rappeler que lâhistoire est pleine de causes qui apparaissaient au dĂ©part impossibles et sans espoir et qui se sont rĂ©alisĂ©es. Pensons Ă lâabolition de lâesclavage, Ă la chute du mur, Ă la fin de lâapartheid. ⊠Il y a eu des basculements systĂ©miques et structurelsâŠ
SixiĂšme piste : construire des appuis et des alliances. On a besoin des autres. On ne peut pas rĂ©aliser la transition tout seul. Et pour cela, pour construire ces alliances, on a besoin de dialogue. On a besoin de sâĂ©couter, on a besoin de coopĂ©rer. Passer du pouvoir sur au pouvoir de⊠câest Ă dire on se met au service de quelque chose avec dâautresâŠ
SeptiĂšme piste. Comme lâa dit Joanna Macy, opĂ©rer le changement de cap en gardant le cap de la joie profonde. Câest Ă dire cultiver des Ă©nergies comme lâamour, comme la joie, comme lâenthousiasme. Ces Ă©nergies ne sont pas seulement des Ă©nergies renouvelables. Ce sont, bel et bien, des Ă©nergies inĂ©puisables.
HuitiĂšme piste. Pour tout cela, il est nĂ©cessaire de crĂ©er Ă lâintĂ©rieur de nous un espace oĂč va pouvoir agir Ă travers nous une force, un esprit, une Ă©nergie ( câest tout le rĂŽle de la mĂ©ditation), qui nâest pas celle de notre Ă©go, ce moi volontariste qui est aux commandes, une force qui va pouvoir agir en nous, nous traverser, agir Ă travers nous, une autre force, une autre énergie , un souffle qui est aussi un souffle de la terre, un souffle du vivant, mais aussi un souffle du Vivant avec un grand V, un souffle de lâEsprit, le souffle du MystĂšre au delĂ de tout nom. Et quand on laisse ce Souffle agir, dans cette ouverture, câest aussi une ouverture Ă lâavenir, a ce qui va advenir, dans la confiance, dans une ouverture au fait que cette terre, cette terre nouvelle vers laquelle on sâĂ©lance, on ne sait pas la forme quâelle va prendre. Il y a lĂ une dimension dâinconnu, une dimension dâinouĂŻ, une dimension dâimprogrammable Ă respecter. Oui, cette terre nouvelle, on ne peut pas la programmer, mais elle va Ă©merger de quelque chose quâon ne connait pas encore.
Voici une pensĂ©e unifiante, tournĂ©e vers lâavenir, qui en rejoint dâautres, prĂ©sentes sur ce blog, telle que celle de JĂŒrgen Moltmann. Cette mĂ©ditation sâinscrit  dans la rĂ©flexion que le vision Ă©cologique induit Ă©galement sur ce blog . « Nous sommes un avec le Vivant. Le Vivant est un », nous dit Michel Maxime Egger.
J H
- Dans cette interview en vidĂ©o, Michel Maxime Egger introduit Meditatio Ecologie sur le thĂšme : « SâĂ©lancer vers une nouvelle terre. Une approche contemplative pour sâĂ©veiller Ă demain et traverser les changement » : https://www.youtube.com/watch?v=CxrfhAgi_0s&feature=share&fbclid=IwAR1ynwSqVhbTPyTDqv8QudnoR6vkT8fNr7VSexdHr25Xv83SSwH2B407jPQ
- Michel Maxime Egger. AprĂšs le coronavirus, besoin dâun nouvel imaginaire. Le Temps, 6 mai 2020Â : https://www.letemps.ch/opinions/apres-coronavirus-besoin-dun-nouvel-imaginaire?utm_source=facebook&utm_medium=share&utm_campaign=article&fbclid=IwAR0PcSdvtfQ1UN62KbGft6FFgTSpeKSIKpKI2WppO69zGTEkqv672oGM7kA
- Le site de Michel Maxime Egger : Trilogies. Entre le cosmique, lâhumain et le divin : https://trilogies.org/auteurs/michel-maxime-egger
- LâespĂ©rance en mouvement. Vivre et espĂ©rer : https://vivreetesperer.com/lesperance-en-mouvement/
Voir aussi :
En route pour lâautonomie alimentaire : https://vivreetesperer.com/en-route-pour-lautonomie-alimentaire/
Vers une économie symbiotique : https://vivreetesperer.com/vers-une-economie-symbiotique/
Lâhomme, la nature et Dieu : https://vivreetesperer.com/lhomme-la-nature-et-dieu/
Comment entendre les principes de la vie cosmique pour entrer en harmonie : https://vivreetesperer.com/comment-entendre-les-principes-de-la-vie-cosmique-pour-entrer-en-harmonie/
Une approche spirituelle de lâĂ©cologie (Sur la Terre comme au Ciel) : https://vivreetesperer.com/une-approche-spirituelle-de-lecologie/
Un avenir écologique pour la théologie moderne
https://vivreetesperer.com/un-avenir-ecologique-pour-la-theologie-moderne/
Comment dimension écologique et égalité hommes-femmes vont de pair et appellent une nouvelle vision écologique : https://vivreetesperer.com/comment-dimension-ecologique-et-egalite-hommes-femmes-vont-de-pair-et-appellent-une-nouvelle-vision-theologique/
Convergences Ă©cologiques : Jean Bastaire, JĂŒrgen Moltmann, pape François, Edgar Morin : https://vivreetesperer.com/convergences-ecologiques-jean-bastaire-jurgen-moltmann-pape-francois-et-edgar-morin/
par jean | Nov 21, 2018 | ARTICLES, Expérience de vie et relation, Vision et sens |
Selon Diana Butler Bass dans son livre : « Grounded »
Beaucoup de gens sâĂ©loignent des Ă©glises classiques et entrent en recherche. Est-ce Ă dire quâon croit de moins en moins ou bien la foi change-t-elle de forme ? On peut observer ce mouvement dans la plupart des pays occidentaux. Et les Etats-Unis, longtemps caractĂ©risĂ©s par une forte pratique religieuse, commencent Ă participer Ă cette Ă©volution. Câest une question qui nous intĂ©resse tous Ă titre collectif, mais aussi Ă titre personnel. Diana Butler Bass, historienne et thĂ©ologienne amĂ©ricaine, nous apporte une rĂ©ponse dans son livre : « Grounded. God in the world. A spiritual revolution » (1). Dans un prĂ©cĂ©dent article, nous avons prĂ©sentĂ© cet ouvrage en terme de convergence entre la pensĂ©e de Diana Butler Bass et celle de JĂŒrgen Moltmann, un grand thĂ©ologien innovant (2). Nous envisageons ici plus particuliĂšrement comment Diana Butler Bass perçoit un changement dans la maniĂšre de croire. Mais rappelons dâabord la dĂ©marche de cet ouvrage (3).
« Chaque annĂ©e, davantage dâamĂ©ricains laissent derriĂšre eux la religion organisĂ©e : les gens se dĂ©saffilient et comme la nation devient de plus en plus diverse religieusement (4). Diana Butler Bass, Ă©minente commentatrice dans le champ de la religion et de la culture, poursuit son livre fort apprĂ©ciĂ©Â : « Christianity after religion » (5) en argumentant que ce qui apparaĂźt comme un dĂ©clin indique en rĂ©alitĂ© une transformation majeure dans la maniĂšre oĂč les gens se reprĂ©sentent Dieu et en font lâexpĂ©rience. Du Dieu distant de la religion conventionnelle, on passe Ă un sens plus intime du sacrĂ© qui emplit le monde. Ce mouvement, dâun Dieu vertical Ă un Dieu qui sâinscrit dans la nature et dans la communautĂ© humaine, est au cĆur de la rĂ©volution spirituelle qui nous environne, et cela interpelle non seulement les institutions religieuses, mais aussi les institutions politiques et sociales. « Grounded » explore ce nouvel environnement culturel comme Diana Butler Bass nous rĂ©vĂšle ici la maniĂšre dont les gens trouvent un nouvel environnement spirituel (« new spiritual ground ») dans un Dieu qui rĂ©side avec nous dans le monde : dans le sol, lâeau, le ciel, dans nos maisons et nos voisinages et dans nos espaces communs. Les gens se connectent avec Dieu dans lâenvironnement dans lequel nous vivons ». Avec Diana, entrons dans son livre Ă travers son introduction. « Ce dont nous avons besoin est là  », nous propose-t-elle Ă travers une citation de Wendell Berry (p 1).
OĂč est Dieu ?
« OĂč est Dieu ? » est une des questions les plus importantes de tous les temps. Les gens croient, mais ils croient diffĂ©remment de la maniĂšre dont ils ont cru. Le sol de la thĂ©ologie est en mouvement. Une rĂ©volution spirituelle est en route ».
Diana Butler Bass Ă©voque un univers religieux qui lui paraĂźt appartenir au passĂ©. « Il nây a pas longtemps, les croyants affirmaient que Dieu rĂ©sidait au Ciel, un endroit lointain oĂč les fidĂšles trouveraient une rĂ©compense Ă©ternelle. Nous occupions un univers Ă trois Ă©tages avec au dessus le Ciel oĂč Dieu vivait, le monde au dessous oĂč nous vivions, et un monde des bas-fonds (« underworld ») oĂč nous redoutions de pouvoir aller aprĂšs la mort. LâEglise intervenait comme mĂ©diatrice entre le ciel et la terre, agissant comme une espĂšce dâascenseur cĂ©leste oĂč Dieu envoyait des directives divines, et, si nous obĂ©issions Ă ses directives, nous pouvions monter Ă©ventuellement vivre au Ciel pour toujours et Ă©viter les terreurs dâen bas » (p 4). Cet ordre Ă trois Ă©tages a vacillĂ© au siĂšcle dernier. Et puis, il est apparu de plus en plus Ă©vident que nous ne pouvions plus revivre cette reprĂ©sentation de Dieu dans une sociĂ©tĂ© qui nâexistait plus. « Le thĂ©isme conventionnel est au cĆur du fondamentalisme et correspond Ă cet univers Ă trois Ă©tages » ( p 6).
Mais nous savons aujourdâhui que lâenfer existe sur terre. Et pourquoi pas le paradis ? Diana Butler Bass Ă©voque une fusillade tragique dans une Ă©cole amĂ©ricaine. Cet Ă©pisode tragique a suscitĂ© beaucoup de questions existentielles. « La rĂ©ponse la plus rĂ©pĂ©tĂ©e et apparemment la plus rĂ©confortante Ă©tait que Dieu Ă©tait « avec les victimes ». Dieu « avec » les victimes ? « Avec nous ? ».
Aujourdâhui, nous vivons une Ă©poque tragique dâanxiĂ©tĂ© et de peur. OĂč est Dieu ? Lâimage ancienne de Dieu ne rĂ©pond plus Ă nos questions. On observe une montĂ©e de lâincroyance. « Pourtant, tandis que certains ont conclu que les hommes sont seuls, dâautres regardent aux mĂȘmes Ă©vĂšnements et suggĂšrent une possibilitĂ© spirituelle bien diffĂ©rente : « Dieu est avec nous ». En regard de tous ces malheurs, Diana Butler Bass Ă©voque la rĂ©ponse de Bonhoeffer : « Seul un Dieu souffrant peut aider ». « Dieu est avec nous, dans et Ă travers ces terribles Ă©vĂšnements » ( p 8). Un chercheur juif : Abraham Heschel voyait en Dieu : « Celui qui aime le monde profondĂ©ment, ressent ce que vit sa crĂ©ation et participe Ă sa vie ». « Cela signifie naturellement que Dieu est avec nous non seulement dans les temps de misĂšre et dâangoisse. Dieu est avec nous au milieu de notre joie et dans les expĂ©riences les plus sĂ©culiĂšres de la vie… Depuis les annĂ©es oĂč Heschel Ă©crivait, un langage culturel de la proximitĂ© divine est venu nous entourer : on peut trouver Dieu au bord de la mer, dans un coucher de soleil, dans le jardin que nous plantons, dans les histoires qui nous rĂ©jouissent, dans la bonne nourriture, dans la convivialitĂ©âŠÂ » (p 9). Ainsi, « si certains adorent Dieu dans une distante majestĂ© et si dâautres rejettent lâexistence divine, des millions de nos contemporains font lâexpĂ©rience de Dieu dâune maniĂšre beaucoup plus personnelle et accessible que jamais auparavant » (p 9). Et ce changement intervient dans le monde entier, sur toute la planĂšte. « Dieu est accessible sans mĂ©diation, local, animant le monde naturel et lâactivitĂ© humaine dans des modes profondĂ©ment intimes. De fait, cela a toujours Ă©tĂ© la voie des mystiques. Mais maintenant, ce mode personnel, mystique, immĂ©diat et intime Ă©merge comme une voie majeure pour notre relation avec le divin » (p 9).
Ce changement profond dans la maniĂšre de concevoir la relation avec Dieu interpelle les Ă©glises et les religions. « Les institutions religieuses servaient de structures mĂ©diatrices entre ce qui Ă©tait saint et ce qui Ă©tait sĂ©culier. Les questions recherchant des information sur le « qui ? » et le « quoi ? » avec demande dâune rĂ©ponse dâautoritĂ©, sont remplacĂ©es par des questions relatives Ă des questions existentielles et ouvertes relatives au « oĂč ? » et au « comment ? ». Non seulement les questions ont changĂ©, mais la maniĂšre dont nous les posons a changĂ©. Nous ne vivons plus isolĂ©s par des barriĂšres dâethnicitĂ©, de race et de religion. Nous sommes connectĂ©s dans une communautĂ© globale.
Nous cherchons des rĂ©ponses dans internet. Nous posons des questions Ă nos voisins bouddhistes ou hindous. Nous ouvrons nos textes saints et les textes des autres. Nous Ă©coutons les prĂ©dicateurs des religions du monde⊠Ce mouvement dans la conscience religieuse est un phĂ©nomĂšne mondial, une sorte de toile spirituelle dans laquelle nous nous inscrivonsâŠÂ » ( p 10). Quelque soient les rĂ©sistances des incroyants, ce changement est un rĂ©enchantement du monde, une rĂ©volution spirituelle dâune Ă©tonnante ampleur. Et ce changement est en cours aujourdâhui dans de nombreuses cultures.
Dieu avec (dans) le monde
 Comme beaucoup dâautres, raconte Diana, jâai Ă©tĂ© formĂ©e dans une thĂ©ologie verticale : « Dieu existe loin du monde et fait une faveur Ă lâhumanitĂ© en sâen rapprochant. Les prĂ©dications dĂ©claraient que la saintetĂ© de Dieu nous Ă©tait Ă©trangĂšre et que le pĂ©chĂ© nous sĂ©parait de Dieu » (p 12). Cependant, Diana a vĂ©cu des expĂ©riences qui impliquaient une vision diffĂ©rente. Ainsi, raconte-t-elle une expĂ©rience vĂ©cue dans sa toute petite enfance. Et elle nous rapporte dâautres expĂ©riences trĂšs diverses. Plus jeune, elle nâosait pas en parler dans son Ă©glise, mais maintenant, elle sait que ce ne sont pas des expĂ©riences rares ou extraordinaires. Il y a aujourdâhui toute une littĂ©rature relative Ă lâexpĂ©rience spirituelle depuis les comptes rendus dâexpĂ©riences proches de la mort jusquâĂ de profondes rencontres en rapport avec la nature, le service aux autres ou une Ă©motion artistique. « La moitiĂ© des amĂ©ricains adultes, dont mĂȘme quelques uns qui se dĂ©clarent athĂ©es ou non croyants, rapportent avoir eu une telle expĂ©rience au moins une fois dans leur vie » ( p 13).
« Nous voilĂ conduits vers une thĂ©ologie alternative mettant lâaccent sur la connexion et sur lâintimitĂ©. Dans la tradition chrĂ©tienne, JĂ©sus parle ce langage quand il proclame : « Le PĂšre et moi, nous sommes un » (Jean 16.30) et quand il souffle sur les disciples en leur envoyant le Saint Esprit ( Jean 20.22). Câest le tĂ©moignage de lâapĂŽtre Paul au sujet de sa rencontre mystique avec Christ. Quand la Bible est lue dans la perspective de la proximitĂ© divine, il devient clair que la plupart des prophĂštes, des poĂštes et des prĂ©dicateurs sont particuliĂšrement en porte Ă faux (« worried ») avec les institutions et les pratiques religieuses qui perpĂ©tuent le fossĂ© entre Dieu et lâhumanitĂ©. La narration biblique est celle dâun Dieu qui sâapproche, poussĂ© par un dĂ©sir pressant dâamener le ciel sur la terre et de remplir les cĆurs humains » (p 13). Cette expĂ©rience dâintimitĂ© spirituelle apparait Ă©galement dans dâautres religions. Aujourdâhui, les institutions et les philosophies de haut en bas sâaffaiblissent et cela concerne Ă©galement les religions. « Les gens mĂšnent leur propre rĂ©volution thĂ©ologique et dĂ©couvrent que lâEsprit est bien plus avec le monde que lâon nous lâavait prĂ©cĂ©demment enseigné » ( p 15). « Il y a une conscience de plus en plus rĂ©pandue que Dieu est avec nous au sein de la crĂ©ation, de la culture et du cosmos⊠Ce changement de ton apparaĂźt dans les prĂ©dications de personnalitĂ©s bien connues comme Desmond Tutu, le DalaĂŻ Lama et le pape François.. ».
Diana Butler Bass est historienne. On peut donc lâentendre lorsquâelle Ă©crit : « Le fait le plus significatif dans lâhistoire des religions aujourdâhui nâest pas le dĂ©clin de la religion occidentale, le rejet des institutions religieuses ou ma montĂ©e de lâextrĂ©misme religieux, câest un changement dans la reprĂ©sentation de Dieu, une renaissance de la foi montant des profondeurs » (p 16).
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Une révolution spirituelle
« Le Dieu conventionnel existait en dehors de lâespace et du temps, un ĂȘtre qui vivait aux cieux sans ĂȘtre affectĂ© par les limites humaines. Ainsi la thĂ©ologie occidentale a dĂ©veloppĂ© un langage que les thĂ©ologiens appellent les « omnis » : Dieu est omnipotent, omniprĂ©sent, omniscient, tout puissant⊠Mais aujourdâhui, Dieu est de plus en plus perçu comme un Dieu en relation avec lâespace et le temps, comme un Dieu qui connecte et crĂ©e toute chose⊠les « omnis » ne parviennent pas Ă dĂ©crire cela. A la place, nous pouvons penser Ă Dieu en terme dâ « inter », le fil spirituel entre lâespace et le temps, « intra « à lâintĂ©rieur de lâespace et du temps et « infra » qui tient lâespace et le temps. Dieu nâest pas au dessus et au delĂ , mais intĂ©gralement dans lâensemble de sa crĂ©ation, entrelacĂ© avec lâĂ©cologie sacrĂ©e de lâunivers » ( p 25).
La rĂ©volution spirituelle concerne Ă la fois Dieu et le monde. Elle concerne Dieu, mais elle ne lâaborde pas comme un extra-terrestre. Elle concerne le monde, mais elle nâengendre pas la sĂ©cularisation. Câest une rĂ©volution au milieu du terrain (« middle ground revolution ») dans laquelle des millions de gens naviguent dans un espace entre le thĂ©isme conventionnel et un monde sĂ©cularisĂ©. Ils tracent un chemin qui enveloppe le sĂ©culier et le sacrĂ© en trouvant un Dieu qui est « un mystĂšre gracieux toujours plus grand, toujours plus prĂšs, Ă travers une conscience nouvelle de la terre et dans la vie de leurs prochains » (p 25-26). Cette rĂ©volution repose sur une vision. « Dieu est le sol sur lequel nous nous fondons et qui nous fonde (« God is the ground, the grounding which ground us »). Nous en faisons lâexpĂ©rience lorsque nous comprenons que le sol est sacrĂ©, que lâeau donne la vie, que le ciel ouvre lâimagination, que nos racines importent, que notre foyer est un lieu divin et que nos vies sont liĂ©es Ă celles de nos voisins et avec celles de tous le humains autour du monde » ( p 26).
Ainsi, câest Ă un changement de regard que nous invite Diane Butler Bass et que tout son livre illustre par la suite. « Grounded guide les lecteurs Ă travers notre habitat spirituel contemporain en portant attention aux maniĂšres selon lesquelles les gens font lâexpĂ©rience dâun Dieu qui anime la crĂ©ation et la communauté ».
Elle nous prĂ©sente Ă©galement une analyse des changements en cours dans les pratiques religieuses et spirituelles. Sa description de lâunivers traditionnel est percutante. On pourrait dire cependant quâau XXĂš siĂšcle, des formes nouvelles faisant place Ă lâexpĂ©rience Ă©taient dĂ©jĂ apparues. Elle ne sâattarde pas au dĂ©clin des Ă©glises classiques ou au progrĂšs de lâagnosticisme, mais elle en recherche les causes et elle met en Ă©vidence la montĂ©e dâun spiritualitĂ© nouvelle. En dâautres lieux et selon dâautres problĂ©matiques, certains pourront contester lâamplitude et la durĂ©e de ce changement. Mais lâanalyse de Diana Butler Bass sâappuie sur une culture historique et sur une collecte dâinformations bien au delĂ des Etats-Unis. Et sur le plan thĂ©ologique, sa vision dâun Dieu proche dont on peut reconnaĂźtre la prĂ©sence, peut trouver appui dans lâĆuvre de thĂ©ologiens auprĂšs desquels nous cherchons un Ă©clairage, Richard Rohr (6) et tout particuliĂšrement JĂŒrgen Moltmann (7).
J H
Voir aussi :
Dieu vivant : rencontrer une présence. Selon Bertrand Vergely : prier, une philosophie : https://vivreetesperer.com/?p=2767
Dynamique culturelle dans un monde globalisĂ©. (RaphaĂ«l Liogier. La guerre des civilisations nâaura pas lieu) : https://vivreetesperer.com/?p=2296
La guérison du monde, selon Frédéric Lenoir : https://vivreetesperer.com/?p=1048