Le Dieu vivant et la plénitude de vie

 

Face à nos questions existentielles, une théologie pour la vie en dialogue avec la culture contemporaine

 

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Aujourd’hui, dans la lignée de ses nombreux ouvrages , le nouveau livre de Jürgen Moltmann publié par le Conseil Œcuménique des Eglises, s’intitule : « The living God and the fullness of life » (Le Dieu vivant et la plénitude de vie ») (1). Comme le souligne un commentateur, James M Brandt (2), Moltmann poursuit son projet théologique : mettre en valeur la réalité du Dieu vivant et montrer ce à quoi la vie humaine ressemble lorsqu’elle prend forme dans une rencontre avec le Dieu d’Israël et Jésus-Christ. Brandt rappelle à cette occasion la place occupée par Jürgen Moltmann dans la théologie chrétienne depuis les années 60. « Dans ces années là, de pair avec Wolfhart Pannenberg, Moltmann a développé une théologie de l’espérance en mettant l’eschatologie au centre de la pensée et de la vie chrétienne et en participant significativement à la construction d’une théologie de l’engagement politique, particulièrement la théologie de la libération. En 1972, son livre : « Dieu crucifié » a fait progresser la théologie de la croix développée par Luther en affirmant combien la souffrance de Dieu est primordiale pour comprendre qui est Dieu. L’œuvre de Moltmann sur le Saint Esprit et sur le Dieu trinitaire a été une grande contribution au renouveau de la pneumatologie et de la pensée trinitaire. Un seul de ces apports aurait suffi à nous permettre de percevoir Moltmann comme un géant de la théologie, ajoute Brandt. Toutes ces contributions font peut-être de lui, le théologien le plus important de notre époque ».

 

Alors que la plupart des ouvrages précédents traitaient d’une grande question théologique, « The living God and the fullness of life » est davantage un livre de synthèse qui cherche à répondre aux questions existentielles de l’homme contemporain à partir des acquis d’une recherche fondamentale.  L’auteur s’adresse en premier à un public marqué par une culture moderne qui ferait appel à « des concepts humanistes et matérialistes » de la vie, une culture dans laquelle Dieu serait absent. Cette vie sans transcendance engendre un manque et induit ce que Moltmann appelle une « vie diminuée ».

Si une forme de christianisme a pu apparaître comme un renoncement à une vie pleinement vécue dans le monde, Moltmann nous présente au contraire un Dieu vivant qui suscite une plénitude de vie. Dieu n’est pas lointain. Il est présent et agissant. « Avec Christ, le Dieu vivant est venu sur cette terre pour que les humains puissent avoir la vie et l’avoir en abondance (Jean 10.10). Moltmann nous propose une spiritualité dans laquelle « la vie terrestre est sanctifiée » et qui se fonde sur la résurrection du Christ. Dans la dynamique de cette résurrection, « L’horizon de l’avenir, aujourd’hui assombri par le terrorisme, la menace nucléaire et la catastrophe environnementale, peut s’éclairer. Une lumière nouvelle est projetée sur le passé et ceux qui sont morts. La vie entre dans le présent pour qu’on puisse l’aimer et en jouir… Ce que je désire, écrit Moltmann, c’est de présenter ici une transcendance qui ne supprime, ni n’aliène notre vie présente, mais qui libère et donne vie, une transcendance par rapport à laquelle nous ne ressentions pas l’envie de lui tourner le dos, mais qui nous remplisse d’une joie de vivre » (p X-XI).

 

Ce livre se développe en trois mouvements.

Dans le premier, en introduction, Moltmann décrit le visage du monde moderne tel qu’il est issu de l’époque des Lumières dans une diversité de trajectoires selon les histoires nationales. Et il entre en dialogue avec deux penseurs de cette période : Lessing et Feuerbach, critiquant ainsi les racines de l’agnosticisme et de l’athéisme contemporain.

Mais à quel Dieu pouvons-nous croire ? La représentation de Dieu telle qu’elle ressort de l’expression des mentalités et de la réflexion des théologiens a une influence considérable sur notre pensée et sur notre vie. En proclamant un Dieu vivant, le Dieu de l’Exode et de la Résurrection, Moltmann réfute l’image d’un Dieu lointain, mais nous présente au contraire un Dieu qui s’implique en notre faveur. Dans ce second mouvement, en première partie, le livre nous introduit dans la compréhension de ce que la Bible veut nous dire par l’expression : « Le Dieu vivant » (« The living God ». L’auteur se propose de « libérer le Dieu d’Israël et Jésus-Christ de l’emprisonnement des définitions métaphysiques qui sont issues de la philosophie grecque et de la conception religieuse des Lumières » (p XI). Elle interpelle une conception de Dieu immuable, impassible, dominatrice qui fait obstacle à un engagement aimant et libérateur de Dieu dans l’humanité.

Dans un troisième mouvement, en deuxième partie, le livre porte sur le déploiement et l’épanouissement de la vie humaine dans la vie de Dieu. « Mon but est de montrer comment une plénitude de vie (fullness of life) procède du développement de la vie humaine dans la joie de Dieu, dans l’amour de Dieu, dans le vaste espace de la liberté de Dieu, dans la spiritualité des sens et dans une puissance imaginative et créative de la pensée qui traverse les frontières » (p XI). Les deux-tiers de l’ouvrage sont ainsi consacrés à des chapitres qui viennent éclairer notre existence : la vie éternelle dans la communion avec la vie divine ; celle des vivants et des morts ; la communion de la terre ; la vie dans le grand espace de la joie en Dieu ; la liberté vécue dans la solidarité ; la liberté vécue dans une société ouverte ; la vie aimée et aimante ; une spiritualité des sens : espérer et penser ; la vie, une fête sans fin. C’est toute la vie humaine qui est concernée.

Ecrit à l’intention d’un vaste public, ce livre nous paraît néanmoins particulièrement dense, notamment dans son argumentation philosophique. C’est pourquoi dans cette mise en perspective, il est exclu d’en rendre compte d’une façon linéaire et exhaustive. Ainsi faisons-nous le choix de nous centrer sur le chapitre qui ouvre le troisième mouvement : la vie éternelle.

 

La vie éternelle

La vie éternelle ne tourne pas le dos à la condition terrestre de l’homme, mais elle l’anime. Elle ne s’adresse pas à des individus qui seraient polarisés sur le salut de leur âme. Elle s’inscrit dans un univers interrelationnel. « L’être humain n’est pas un individu, mais un être social… Il meurt socialement lorsqu’il n’a pas de relations » (3). Ainsi, selon Moltmann, le vie éternelle s’inscrit dans trois dimensions : « Comme enfants de Dieu, les êtres humains vivent une vie divine. Comme parents et enfants, ils s’inscrivent dans la séquence des générations humaines. Comme créatures terrestres, ils vivent dans la communauté de la terre » (p 73). Dès lors, le chapitre s’articule en trois parties : « In the fellowship of the divine life » (Dans la communion de la vie divine) ; « In the fellowship of the living and of the dead » (Dans la communion entre les vivants et les morts » ; « In the fellowship of the earth » (Dans la communion avec la terre)

 

Dans la communion de la vie divine

« On entend dire que la vie sur terre n’est rien qu’une vie mortelle et finie. Dire cela, c’est accepter la domination de la mort sur la vie humaine. Alors cette vie est bien diminuée. Dans la communion avec le Dieu vivant, cette vie mortelle et finie, ici et maintenant, est une vie interconnectée, pénétrée par Dieu et ainsi, elle devient immédiatement une vie qui est divine et éternelle » (p73). « La vie humaine est enveloppée et acceptée par le divin et le fini prend part à l’infini. La vie éternelle est ici et maintenant. Cette vie présente, joyeuse et douloureuse, aimée et souffrante, réussie ou non, est vie éternelle. Dans l’incarnation du Christ, Dieu a accepté cette vie humaine. Il l’interpénètre, la réconcilie, la guérit et la qualifie pour l’immortalité. Nous ne vivons pas simplement une vie terrestre, ni seulement une vie humaine, mais nous vivons aussi simultanément une vie qui est remplie par Dieu, une vie dans l’abondance (Jean 10.10)… Ce n’est pas la foi humaine qui procure la vie éternelle. La vie éternelle est donnée par Dieu et elle est présente dans chaque vie humaine, mais c’est le croyant qui en a conscience. On la reconnaît objectivement et subjectivement, on l’intègre dans sa vie comme la vérité. La foi est une joie vécue dans la plénitude divine de cette vie. Cette participation à la vie divine présuppose deux mouvements qui traversent les frontières : l’incarnation de Dieu dans la vie humaine et la transcendance de cette vie humaine dans la vie divine… » (p74).

« La Parole est devenue chair et elle a habité parmi nous…et nous avons contemplé sa gloire » (Jean 1.14). « La Parole a pris notre condition humaine fragile, corruptible, mortelle. Ce qui a été pris par Dieu est guéri de tout ce qui le séparait de lui. L’incarnation de Dieu en Christ est un miracle de guérison de portée universelle pour l’humanité et pas pour l’humanité seulement » (p 74). « L’incarnation a également uns signification, une dimension cosmique » (« Jean-Paul II).

Et, par ailleurs, l’Esprit de Dieu est venu résider dans l’humanité. « Votre corps est le temple du Saint Esprit. Aussi glorifiez Dieu dans votre corps » (1 Corinthiens 6.19-20). Alors, dans les êtres humains, dans leurs esprits (Rom 8.15), dans leurs cœurs (Rom 5.5) et même dans leurs corps, on trouve la puissance de la vie divine. Dans leur être fini, imparfait et mortel, réside ce qui est infini, parfait et immortel, ce qu’on appelle l’Esprit de Dieu ». « Comme Karl Rahner, nous dit Moltmann, « on peut voir là une « auto-transcendance » de l’existence humaine, qui est une conséquence de l’auto-immanence de l’Esprit dans l’existence humaine » ( p 75).

Jürgen Moltmann nous ouvre ainsi un grand horizon : « Nous sommes nés dans cette vie ouverte et divine. Même avant notre naissance, le vaste espace de Dieu était là pour nous » (p 75) : « Je te connaissais avant de t’avoir formé dans le sein de ta mère » (Jérémie 1.5). Chaque enfant naît dans un grand oui de Dieu à la vie ». Ainsi, dans nos difficultés, nous pouvons avoir « une ferme assurance au sujet de notre existence, une assurance qui peut résister au doute et à la dépression parce qu’elle est plus forte…

Nous mourrons dans cette vie ouverte et divine. Pour nous, la mort est la fin de la vie mortelle, mais pour la vie divine dans laquelle nous avons vécu, aimé et souffert, c’est une transition d’une condition mortelle à l’immortalité et de ce qui est passager à ce qui est éternel » (1 Cor 15. 42-44) (p 76).

 

La communion avec les vivants et les morts

Nous prenons davantage conscience aujourd’hui de l’interrelation qui prévaut dans tous les domaine. Ainsi « l’être humain est un être en relation ». Cette réalité se manifeste également dans la succession des générations. « Les êtres humains participent à une communauté des vivants et des morts même s’ils n’en ont pas toujours conscience ». Ainsi, dans les sociétés modernes occidentales, l’individualisme fait obstacle à cette conscience collective. Cela réduit la conscience de la communion entre les vivants et les morts. A cet égard, les sociétés traditionnelles, en particulier celles d’Extrême Orient, ont quelque chose à nous rappeler, car elles vivent actuellement cette communion entre les vivants et les morts. Dans le monde moderne occidental, nous avons besoin d’une culture nouvelle du souvenir « de manière à ne pas vivre seulement comme individus pour nous-même, mais en vue de regarder au delà de nous-même ». C’est seulement si nous percevons notre durée de vie dans le cadre plus vaste de la succession des générations que nous pouvons entrer « dans la mémoire du passé et dans l’avenir en espérance de ce qui est à venir ».

Pour réaliser cette communion entre les vivants et les morts, une transcendance de la vie et de la mort est requise… La foi chrétienne envisage cette communion des vivants et des morts dans le Christ qui est mort dans une mort humaine et a été ressuscité dans la vie divine. En conséquence, la communauté chrétienne est  une communauté non seulement des vivants, mais des morts. « Le Christ est mort et ressuscité pour qu’il puisse être le Seigneur à la fois des morts et des vivants » Rom 14.9) (p 78).  « Depuis qu’il est « descendu dans le royaume des morts », comme le déclare le symbole des apôtres », Christ a brisé la puissance de la mort et il a ramené les morts dans le partenariat de la vie divine. La barrière de la mort qui séparait les morts des vivants a été brisée dans la résurrection du Christ en vie éternelle. Dans la communauté du Christ, les morts ne sont pas « morts », selon la représentation courante, mais ils sont grandement présents (« present in a highly personal sense »).

 

Communion avec la terre

Très tôt, dès les années 1980, Jürgen Moltmann s’est engagée dans une réflexion théologique qui est venu éclairer et accompagner le mouvement écologique ; Son livre : « Dieu dans la création » (1988) porte en sous-titre : « Traité écologique de la création ». Ce que Motmann écrit dans ce chapitre : « In the fellowship of the earth » s’inscrit ici dans une pensée très vaste et très élaborée.

Moltmann  nous rappelle qu’au cours des derniers siècles, l’humanité a fait preuve d’un esprit dominateur en exploitant la terre jusqu’à une véritable dévastation. Cette attitude s’est inspirée, pour une part, d’une compréhension partiale de la Bible selon laquelle l’être humain était « la couronne de la création » parce qu’il était seul à avoir été créé à l’image de Dieu, et, par suite, en charge de gouverner la terre (p 81).  Cependant, on pourrait dire, à l’inverse, que l’être humain est une créature qui vient en dernier, et que, par suite, l’humanité dépend pour sa vie de tout ce qui a été créé par ailleurs.

« Selon le premier récit de la création, la terre n’est pas assujettie par l’être humain. La terre est un être grand, unique, créatif qui engendre la vie : plantes, arbres et animaux de toute espèce (Genèse 1.24).  On ne dit rien de semblable pour d‘autres êtres créés, y compris pour l’homme » (p 81). La terre n’est pas seulement un abri pour les êtres vivants. Elle les engendre. Ainsi Moltmann en est venu à se faire une haute idée de la terre. « La terre est plus que vivante parce qu’elle engendre la vie. Elle est plus qu’un organisme parce qu’elle produit des organismes. Elle est plus qu’intelligente, car elle engendre de l’intelligence. Elle est plus grande que l’humanité. Elle survivra à l’humanité, même si celle-ci met fin à son existence » (p 82).

Et, sur le plan biblique, dans l’épisode de Noé, Dieu fait alliance avec la terre. L’arc en ciel est un signe de cette alliance entre Dieu et la terre (Genèse 9.13). Les droits de la terre sont exprimés dans les règles du Sabbat. Ainsi la terre a un droit au repos du sabbat pour qu’elle puisse régénérer ses forces vitales. Pour la foi chrétienne, le salut de la terre vient du Christ cosmique. Dieu a « réconcilié » (Col 1.20) l’univers en unissant toute chose en Christ : « les choses dans le ciel et les choses sur la terre » (Eph 1.10) . Le Christ ressuscité a été aussi exalté… et le Christ exalté est le Christ cosmique. Il est présent en toutes choses. Finalement, il est aussi celui qui vient et qui remplira le ciel et la terre de sa justice » (p 83).

A nouveau, Moltmann critique la religion gnostique qui privilégie le départ vers le ciel et déconsidère la terre. La participation à la vie de la terre conduit au ressenti d’une vie universelle. La nouvelle spiritualité de la terre éveille une « humilité cosmique ». Elle suscite également un amour cosmique tel que le Staretz Sosima l’exprime dans le roman de Dostoevski : « les frères Karamazov » : «  Aime toute la création, l’ensemble et chaque petit grain de sable. Aime les animaux, les plantes, chaque petite chose. Si tu aimes chaque petite chose, alors le mystère de Dieu en elle, te sera révélé. Une fois qu’il t’est révélé, alors tu le percevras de plus en plus chaque jour. Et à la fin, tu aimeras l’univers entier d’un amour sans limite (« all comprehensive ») ».

 

Les chapitres qui s’inscrivent dans l’approche sur la plénitude de vie (fullness of life) sont particulièrement riches et denses. En effet, sur des thèmes majeurs comme la joie, la souffrance, la liberté, la solidarité, l’amitié, l’amour, la vie sensorielle, l’espérance, la fête et la célébration, ils apportent une réflexion originale qui, parfois, sur certains points, peut être contestée, mais élève toujours notre pensée dans une expression à même de susciter la méditation et d’éveiller l’émerveillement. Cependant, comme dans ce livre, la pensée de Moltmann se développe souvent à partir d’un débat philosophique, sa lecture requiert un effort particulier de la part de ceux  qui ne sont pas habitués à cette approche. De plus, dans un volume limité en nombre de pages, la brièveté du propos ne rend pas toujours bien compte de la densité de la pensée. Ce livre est néanmoins non seulement important, mais original, car il est écrit à l’intention de tous ceux qui vivent aujourd’hui dans la culture occidentale. Il nous aide à répondre aux objections auxquelles nous sommes confronté. Et il nous ravit en montrant tout ce que nous pouvons recevoir de la foi chrétienne pour notre existence.  A une époque marquée par l’inquiétude, Jürgen Moltmann nous apporte un message de vie, une vision d’avenir en traduisant également cet apport dans ce qu’il peut éclairer notre vie concrète.

Ce livre nous invite à nous référer aux autres ouvrages du même auteur pour mieux comprendre l’ampleur et le sens de sa recherche. En dehors de la suite des ouvrages de fond traduits en français et publiés aux éditions du Cerf, nous suggérons la  lecture d’un livre publié en 2010 dans une traduction en anglais et qui présente, en des termes accessibles, les avancées théologiques de Moltmann : « Sun of rigtneousness, arise. God’s future for humanity and the earth » (4). En français, nous disposons depuis 2012, d’un livre qui, à partir d’une approche existentielle, peut également nous introduire dans la démarche de Moltmann. « De commencements en recommencements. Une dynamique d’espérance » (5). Voici de quoi accompagner ce nouveau livre : « The living God and the fullness of life » qui nous apporte aujourd’hui une réflexion bienvenue sur les fondements d’une approche chrétienne dans la culture d’aujourd’hui

 

J H

 

(1)            Moltmann (Jürgen). The living God and the fullness of life. World Council of Churches publications, 2016  Disponible sur Amazon.fr : http://www.amazon.fr/Living-God-Fullness-Life/dp/0664261612/ref=sr_1_1?s=english-books&ie=UTF8&qid=1459608494&sr=1-1&keywords=The+living+God+and+the+fullness+of+life

(2)            Sur le site : Journal of Lutheran Ethics, compte-rendu détaillé de « The living God and the fullness of life », par James M Brandt, professeur de théologie historique à la Saint Paul School of Theology. Nous recommandons la lecture de cette remarquable présentation. L’auteur conclut ainsi son analyse :  « Perhaps the signal contribution of this book, in an age drawn to spirituality and action but leary of doctrine, is the way it links deep theological reflection with a vibrant vision of life. Life that is given meaning by the joy od God’presence in, with, and under the sensual goodness of the world, and community that overcomes barriers and create new relationships in anticipation of God’s future. In The Living God, there is inspiration aplenty for the thinking and the living » : http://elca.org/jle/articles/1143

(3)            « Dieu vivant, Dieu présent, Dieu avec nous dans un monde où tout se tient » : https://vivreetesperer.com/?p=2267

(4)            Moltmann (Jürgen). Sun of righteousness, arise ! God’s future for humanity and the earth. Fortress Press, 2010

(5)            Moltmann (Jürgen). De commencements en recommencements. Une dynamique d’espérance. Empreinte Temps présent, 2012.  Présentation sur ce blog : « Une dynamique de vie et d’espérance » : https://vivreetesperer.com/?p=572

 

Voir aussi :

« Le Dieu Vivant et la plénitude de  vie. Eclairages apportés par la pensée de Jürgen Moltmann » : https://vivreetesperer.com/?p=2413

« Dieu vivant, Dieu présent, Dieu avec nous dans un monde où tout se tient » : https://vivreetesperer.com/?p=2267

 

Sortir du dolorisme

Selon Bertrand Vergely

A plusieurs reprises, nous avons présenté sur ce blog des écrits de Bertrand Vergely (1). Bertrand Vergely, philosophe de culture et de conviction chrétienne orthodoxe, vient de publier un nouveau livre : « Voyage en haute connaissance. Philosophie de l’enseignement du Christ » (2). En page de couverture, ce livre est présenté dans les termes suivants : « Il existe aujourd’hui une crise morale et spirituelle très profonde en Occident, qui rend la vie fondamentalement absurde. L’absence de sens se traduit par une fuite dans les illusions et l’irresponsabilité. Bertrand Vergely propose une lecture stimulante et novatrice de l’enseignement christique qui nous montre comment naître à la vie spirituelle et grandir en conscience.

Quand la  religion sort des visions politiques et dogmatiques léguées par l’histoire, spiritualité et philosophie se rencontrent. Le Christ n’est pas un adepte du dolorisme, ni uniquement un missionnaire social, il révèle surtout que nous avons en nous une destinée et des potentialités inouïes qu’il s’agit de découvrir ! ».

Ce livre est foisonnant. Les points de vue, les ouvertures se succèdent autour de l’enseignement du Christ, lui-même inépuisable. On ne peut résumer un tel ouvrage et nous ne nous sentons pas en mesure d’en rendre compte. C’est une approche originale. Bertrand Vergely ouvre et renouvelle les angles de vue. Nous ne le suivons pas toujours. Souvent, il nous déconcerte et nous nous interrogeons sur ses propos. Mais lorsque nous sommes perplexes, cela nous appelle à réfléchir plus avant.

A travers son interprétation des textes, son herméneutique, son exégèse, Bertrand Vergely nous ouvre de nouveaux horizons. Dans ce « voyage en haute connaissance », les visions se succèdent. Le parcours se déroulent en quelques grandes parties : « I Naître. S’ouvrir à la connaissance. II Grandir. Rompre avec l’agitation. III Libérer. Sortir du dolorisme. IV Resplendir. Rentrer dans la vie divine.

L’auteur nous aide à encourager chacun de ces mouvements : naître, grandir, libérer, resplendir dans une meilleure compréhension et un immense émerveillement. Parce que nous constatons fréquemment un écart entre cette élévation et un repli en terme de culpabilité, en terme de complaisance et d’enfermement dans la souffrance, nous évoquerons ici la séquence : « Libérer. Sortir du dolorisme ».

L’auteur décline cette partie en six chapitres : Sortir de la culpabilité, sortir de la malédiction, sortir du mérite, sortir de la punition, sortir de l’ignorance, sortir de l’obscurité.

 

Sortir de la culpabilité

Issu de Saint Augustin, le dogme du péché originel a assombri le christianisme occidental pendant des siècles. Dans son livre : « Oser la bienveillance » (3), la théologienne Lytta Basset a mis en évidence le mal-être engendré par cette représentation pervertie de la nature humaine. Elle-même en a souffert pendant de nombreuses années. Elle a vécu au départ une hantise de la question de la culpabilité, de la faute et du péché. « Autre préoccupation qui appartient à la préhistoire de ce livre : Dans les déclarations publiques comme dans les accompagnements spirituels, je suis frappée par l’image négative que les gens ont d’eux-mêmes et des humains en général ». « Ma réflexion a donc eu pour point de départ mon propre malaise par rapport à la question du péché et à l’image désastreuse qu’elle nous avait donné de nous-mêmes ». Il y a dans ce livre un parcours particulièrement utile pour engager un processus de libération par rapport à des représentations qui emprisonnent et détruisent. A partir de cette perspective, Lytta Basset propose une vision nouvelle fondée sur son expérience de la relation humaine et sur sa lecture de l’Evangile.

Dans un autre contexte, l’historienne et théologienne américaine, Diana Butler Bass, a vécu, dans sa jeunesse, une emprise religieuse mortifère dont elle a pu s’échapper (4). Ainsi a-t-elle, à l’époque, fréquenté un séminaire où elle s’est sentie formatée dans une vision de plus en plus sombre de l’humanité. Les humains étaient considérés comme de misérables pécheurs. « Il y avait désormais un fossé entre la dépravation de l’humanité et la sainteté divine ». Le culte devenait un exercice « de réaffirmer le péché et d’implorer le pardon ». « Je m’effondrais dans l’obscurité, intellectuellement convaincue que l’humanité était mauvaise, tombée si bas qu’il ne restait plus rien de bien, entièrement dépendant d’un Dieu qui pouvait dans sa sagesse, choisir de sauver quelques-uns parmi lesquels je priais avec ferveur de figurer ». Par la suite, Diana, à travers des études historique, a pu déconstruire cette impérieuse « certitude théologique ».

Dans d’autres contextes encore, on pourrait évoquer une incessante auto-surveillance dans une délibération sur la qualification des péchés, entre péché mortel et péché véniel, dans la perspective de la confession. A l’époque, un livre était paru ave un titre significatif : « L’univers morbide de la faute ».

Bertrand Vergely décrit avec justesse l’univers socio-religieux dans lequel la culpabilité s’impose. « A l’origine, est-il dit, on trouve le Bien et le Mal. Le Bien est l’ordre voulu par Dieu, le Mal, ce qui s’oppose à cet ordre. Agir consiste à obéir au Bien. Lorsqu’on choisit le Bien et qu’on lui obéit, on va au paradis. Lorsqu’on choisi le mal, on va en enfer. Le Christ est venu faire triompher le Bien contre le Mal. En acceptant de souffrir et de mourir sur la croix, il a été et il est le modèle absolu de l’obéissance qu’il convient de suivre. Il a été le mérite même en montrant comment il faut mériter. Cette vision-là a beaucoup existé de par le passé. Elle existe encore, bien plus qu’on ne le pense » (p 164). Bertrand Vergely impute cette conception à une volonté de puissance de l’organisation. « Pour tout un christianisme, si l’on veut demeurer une réalité collective qui dure à travers le temps, il n’y a pas d’autre solution que d’organiser cette réalité de façon militaire en créant un ordre et l’obéissance à cet ordre… Pour des raisons politiques, le christianisme a été organisé sur la base d’un modèle à la fois militaire et méritocratique. Il continue de l’être. Modèle ambigu. En apparence, il respecte la foi et Dieu. En profondeur, il les évacue subtilement » (p 165).

En remontant à l’origine, à la Genèse, « tout est créé par le Verbe. Il s’agit là d’une rupture radicale avec toute culpabilité

Le Verbe est la divine intelligence qui rend toute chose lumineuse en la rendant parlante. Dieu créant tout par le Verbe, il y a là une nouvelle vertigineuse. Tout existe parce que tout est amené à l’existence par une divine information… Autre trait qui rompt ave la culpabilité : Dieu crée la terre et trouve cela bien. Dieu crée, mais le bien n’est pas donné au départ. Il résulte de la création qui apprend quelque chose à Dieu. Pour que le bien existe, il a fallu que la création ait lieu. Le bien étant ainsi création accomplie, on comprend le divin contentement… Un troisième élément vient confirmer cette vision très déculpabilisée. Dieu ne veut pas garder Dieu pour lui. Quand il crée l’homme, il le crée non seulement à son image, mais pour sa ressemblance avec lui. L’homme qui est créé par Dieu, est habité par le Verbe divin et l’information céleste qui lui permettent d’être ce qu’il est. Par cette information, il est appelé à informer le monde, l’humanité et l’existence… Cette vision dépourvue de toute honte est couronnée par l’état dans lequel sont l’homme et la femme. Nus, ils n’en ont pas honte. La nudité désigne l’état de connaissance absolue… » (p 167-168).

Bertrand Vergely ne voit également aucune culpabilité dans la chute de l’homme. « Quand il est raconté que l’homme, ayant le choix entre le bien et le mal, a choisi le mal en raison de sa volonté mauvaise, on invente, le récit de la chute montrant tout autre chose. Le récit, dit du péché originel, se trouve au chapitre 3 de la Genèse. Comme toute la Genèse, ce récit est un récit de libération. Il s’agit de comprendre la condition humaine. Tout vient de la connaissance. L’homme est invité à tout connaître, mais il importe de ne pas tout connaître avant l’heure. La connaissance est inséparable du temps de la connaissance  qui renvoie à l’assimilation intérieure… » (p 171). Que nous enseigne le récit de la chute ? « Avant tout, à l’origine, il n’y a nullement une volonté mauvaise, mais bien plutôt une perte de volonté. Qui n’est plus lui-même, rompt sa relation avec la divine connaissance, non parce qu’il est méchant et révolté, mais parce qu’il n’est plus capable de vouloir. Quand on se laisse capturer par la séduction, ne connaissant plus rien d’autre, on cesse de connaître ce que l’on aimait…(p 171-172). C’est un drame, mais « tout n’est pas perdu pour autant. Après la mise au point sur le péché de l’homme, à savoir son éloignement de Dieu », une autre réalité apparaît : « Quand on a mal agi, il est beau d’en avoir honte, d’être conduit à le dire. Commence alors le début d’un retournement intérieur conduisant à retrouver la connaissance perdue. La Genèse le signifie par l’homme et la femme qui se cachent quand ils entendent la voix de Dieu. La divine connaissance ne peut pas être vécue sans un état intérieur divin. Quand cet état n’existe pas, c’est en séparant la connaissance divine de ce qui n’est pas divin, que l’on préserve la connaissance. Dans la Genèse, c’est exprimé à travers l’exclusion du jardin d’Eden. Cette exclusion prépare le renouveau de la connaissance » (p 172-173).

On s’interroge à propos de l’origine du mal. Le mal est supposé venir d’un principe méchant. Mais, l’interprétation de Bertrand Vergely est autre. « C’est l’éloignement de Dieu et avec lui, l’ignorance qui rend méchant et non une méchanceté foncière. On ne sait pas qui on est. Voilà pourquoi on ne sait pas ce que l’on fait, et ce que l’on fait de pire. Cette ignorance n’est pas un accident. Elle provient d’un état intérieur, en l’occurrence d’un manque total d’intériorité… » (p 173).

Dans ce mouvement de libération à l’égard de la culpabilisation, Bertrand Vergely nous appelle à lire le prologue de l’évangile de Jean après la Genèse. Dans ce prologue, on retrouve ce qui se trouve déjà dans le récit de la Genèse. « Dieu qui crée, crée le monde et l’Homme par la Parole. Il crée pour que la vie divine se diffuse partout, dans l’invisible comme dans le visible » (p 174). Le concept de transmission est très présent « Le Royaume, qui veut dire transmission, est diffusion » Dans le prologue de Jean, on lit : « La lumière a été envoyée dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas retenue ». « Cette parole a été mal traduite. Ne pas recevoir ne veut pas dire rejeter, mais ne pas pouvoir contenir. La Lumière divine est tellement lumineuse que rien ne peut la contenir ni l’arrêter. On a là le fondement de la connaissance divine… Dans la Genèse, l’échec concernant la connaissance de Dieu vient de la faiblesse et des limites humaines. Dans le prologue de Jean, l’échec concernant la connaissance de Dieu est la gloire même de Dieu. Dans la Genèse, l’homme retrouve la connaissance à travers la noble honte. Dans le prologue de Jean, il trouve la connaissance dans l’humilité » (p 175).

 

Sortir de la punition

Bertrand Vergely aborde la question du mal. C’est là, qu’entre autres, il évoque l’usage de punition dans un prétendu service du bien.

« Lorsqu’il fait passer le mal pour le bien, le mal se sert toujours de la justice. En punissant, il peut faire du mal en toute impunité. Il ne punit pas. Il œuvre pour le bien. Il purifie… Il est tentant de punir. Les bourreaux ne résistent jamais à se faire passer pour des justiciers venant punir afin de rétablir la justice. Cela éclaire l’autre face du mal. S’il ne va pas de soi de ne pas subir, il ne va pas de soi de ne pas faire subir. A chaque fois que l’on a affaire à une tentative de prise de pouvoir, cela ne manque jamais : l’aspirant au pouvoir ne dit pas qu’il veut le pouvoir, il veut la justice… » (p 206).

En regard, l’attitude du Christ est claire. « Le Christ n’est pas venu punir. Il n’est pas venu condamner la femme adultère. Il est venu au contraire mettre fin au mensonge de la punition permettant par exemple de lapider une femme en toute bonne conscience au nom de la justice. Il a ensuite été condamné à mort et exécuté. Ce n’est pas étonnant. Dénonçant le mensonge de la punition, il a été puni par ceux qui entendent pouvoir punir en toute impunité » (p 206).

« On ne remet pas facilement en cause la morale et la religion punitive… Dans le domaine religieux, on s’en rend compte. La difficulté voire l’impossibilité de se délivrer d’une religion punitive et sacrificielle en témoigne. L’impossibilité de se délivrer d’un Dieu punitif et sacrificiel aussi » (p 207).

« La tradition qui pense que le Christ est venu souffrir pour nous les hommes est inséparable de celle qui punit et qui magnifie le sacrifice. Souffrir, punir, se sacrifier, la logique est la même. Il faut mériter. Pour mériter, il faut souffrir. On souffre quand on se sacrifie. On se sacrifie quand on se sacrifie pour se sacrifier. Afin de parvenir à un tel résultat, un rituel sacrificiel s’impose. Il faut qu’il y ait le sacrifice suprême, à savoir la mort pour la mort, pour que, le sacrifice absolu étant fondé, le sacrifice le soit. Avec un coupable, il y a de la justice. Avec un innocent, la mort étant la mort pour la mort, il n’y en a pas. La mort est alors sure d’être sacrée. Sacrée, elle peut fonder le sacrifice, la souffrance, l’obéissance et le mérite » (p 207).

Dans les sociétés hiérarchisées, une pression s’exerce en faveur de l’obéissance. « Les sociétés humaines sont perdues quand les hommes n’obéissent pas. Présenté comme l’innocent qui accepte de mourir pour mourir, faisant vivre une mort sacrée à travers une mort absolue, le Christ devient celui qui fonde l’obéissance et le mérite, et sauve les sociétés humaines. Il conforte l’idée qu’il faut obéir à la société. Dieu veut qu’on lui obéisse et il offre son fils pour cela » (p 208).

On peut s’interroger sur la position du christianisme sur cette question dans l’histoire. Bertrand Vergely a démonté les mécanismes de la religion punitive et sacrificielle. Le christianisme ne doit pas être une religion de la souffrance et du sacrifice. « Le pouvoir, le mérite, l’obéissance, la souffrance ne sont pas les buts célestes. Dieu attend des hommes qu’ils fassent mieux que mériter, souffrir, obéir et se sacrifier. Les premiers chrétiens l’entendent. C’est la raison pour laquelle ils ne poursuivent pas de but politique… » (p 208). L’auteur s’interroge ensuite sur l’attitude de Paul et les conséquences du désir de celui-ci de rallier une communauté juive traditionnaliste.

 

Sortir de l’ignorance

 Bertrand Vergely évoque un texte de Péguy qui reproche aux « honnêtes gens », caricaturant ainsi les bourgeois du XIXe siècle, de se draper dans une armure, de refuser toute vulnérabilité et de ne se prêter à aucune repentance. « Ils ne présentent pas cette entrée à la grâce qu’est essentiellement le péché. Parce qu’ils ne sont pas blessés, ils ne sont plus vulnérables… Parce qu’ils ne manquent de rien, on ne leur apporte pas ce qui est tout. La charité même de Dieu ne panse point celui qui n’a pas de plaies… » (p 211). Bertrand Vergely commente ce texte en le situant dans son contexte. « Ce texte qui souhaite au bourgeois sûr de lui de souffrir est un texte de salut, sur le salut et pour le salut. Si le bourgeois souffre, comprenant qu’il ne peut pas se sauver tout seul, il va devenir humble. Il sera sauvé. Certes, il y a le salut, mais à quel prix ! Péguy s’inscrit dans la tradition d’un christianisme doloriste. Pour lui, cela ne fait pas de doute : la souffrance rend humble et Dieu sauve les humbles qui souffrent. Il oublie qu’il n’y a pas que la souffrance qui rend humble. La lumière divine rend humble. Le Verbe rend humble. L’aventure de la connaissance rend humble » (p 213) Un autre danger de ce genre de raisonnement, c’est d’induire que « Dieu fait exprès de faire chuter l’homme et de le faire souffrir pour mieux le sauver ». Ainsi Bertrand Vergely conclut que « pour aller vers le salut, occupons-nous de ce qui nous illumine et non de ce qui nous assombrit. Dieu se trouve dans ce qui sauve l’humanité et non dans ce qui fait exprès de la faire chuter pour mieux la sauver » (p 214). L’auteur pointe également un autre danger : l’exaltation de la souffrance. « Péguy a choisi les siens. Il est du côté des victimes, de ceux qui souffrent. Ce sont eux qui sauvent le monde. Tout un christianisme se fonde donc sur la figure du pauvre, de celui qui souffre, de la victime. Dieu, c’est eux. Le salut, c’est eux… Cet élan du cœur se comprend. Il n’en est pas moins désastreux. En faisant de la douleur ce qui sauve, on finit par faire d’elle non seulement un Dieu, mais ce qui le crée. C’est parce que l’homme est à terre que Dieu peut sauver et sauve, dit Péguy. Donc, c’est la douleur qui crée Dieu » (p 217). Selon Bertrand Vergely, il y aurait une complaisance dans la douleur. « Le moi, afin de s’imposer, crée un Dieu à sa mesure. Avec la douleur, il en va de même. Les victimes ayant besoin d’être réconfortées, elles créent une vision de la douleur qui invente Dieu et le salut… » (p 217). Bertrand Vergely situe cette attitude vis à vis de la souffrance au XIXe siècle et jusqu’à nos jours. Et en évoquant « la dérive qui enfonce le monde au lieu de le libérer », il en voit la traduction dans une représentation du Christ « crucifié, les yeux fermés, le visage ensanglanté par une couronne d’épines, les mains transpercées par des clous, seul, absolument seul » (p 218). A vrai dire, cette représentation remonte très loin dans le temps. L’auteur l’évoquait au début de son livre : « A Belem, non loin de Lisbonne, au Portugal, dans l’église du monastère des Hiéronymites, on peut voir un Christ grandeur nature crucifié, souffrant et ensanglanté. On est loin du Christ glorieux. Il faut souffrir, dit ce Christ, et il faut faire souffrir parce qu’il faut obéir et faire obéir. Message politique venu de loin, des légions romaines avec leur culte de l’ordre qui a inspiré tout un christianisme et l’inspire encore » (p 16-17).

Bertrand Vergely en vient à évoquer comment il envisage la confrontation avec la souffrance. « Face à la souffrance, la douleur est une attitude possible. Il y en a une autre. Elle repose sur l’être. La souffrance renvoie à l’expérience du retournement qui fait passer du refus de subir à la capacité de supporter. Entre les deux, il y a cet entre-deux qui forme l’attente consistant à être en souffrance » (p 218). On cherchera à comprendre cette manière de voir en se reportant aux explications de l’auteur. Il envisage cet entre-deux comme un hors temps.  « Qui fait le vide, fait silence. Qui fait silence, fait taire le mental. Qui fait taire le mental fait taire la tentation d’être la victime… Quand ce silence se fait, l’être pouvant parler, il peut enseigner. Pouvant enseigner, il peut vraiment guérir et sauver » (p 219). Bertrand Vergely voit dans cette réflexion un éclairage pour envisager ce qu’il appelle : le sommeil céleste. Il nous introduit là dans un univers chrétien où la croix n’apparaît pas en termes morbides. C’est l’exemple du christianisme orthodoxe. « L’orthodoxie ne représente pas le Christ sous la forme d’un crucifié sur une croix. Quand il y a des représentations de la croix, celles-ci sont des icônes et non des tableaux. Une icône n’est pas un tableau et un tableau n’est pas une icône. Un tableau a pour but de représenter la réalité matérielle. Une icône a pour but de laisser passer la lumière divine… Avec une icône, la réalité matérielle et humaine est le reflet du ciel et du divin » (p 219). Bertrand Vergely engage une méditation sur la signification de la Croix auquel sera consacré son chapitre : « Sortir de l’obscurité ». Ici, il traite de la victoire sur la mort : « Par la mort, il a vaincu la mort », clame l’hymne pascal des églises orthodoxes pour célébrer la résurrection du Christ. Mourir, c’est aller au ciel et non dans la mort. La mort ne met pas le ciel en échec. C’est plutôt le ciel qui met la mort en échec. Le Christ dormant sur la croix est là pour le rappeler. Il est là pour que l’on fasse silence en stoppant le mental. Ne donnant pas à voir une victime dévorée par la douleur, mais un endormi céleste, l’icône de la croix rend impossible toute la mécanique mentale et politique qui se met en marche dès que le regard aperçoit une victime ».

(p 220).

Certes, aujourd’hui, le dolorisme a reculé en France. Mais, une telle mentalité religieuse associée à des justifications théologiques laisse des traces. Comme l’écrit Bertrand Vergely, « cette vision-là a beaucoup existé dans le passé. Elle existe encore bien plus qu’on ne le pense » (p 164). Récemment encore, une amie me faisait part d’un vif ressenti à cet égard. Dans les années 1970, au cours d’une séance de catéchisme le vendredi saint, ses garçons avaient été contraints de venir embrasser le Christ souffrant en croix. Et ils en étaient revenus très choqués. « Maman, je ne veux plus aller au catéchisme. Ce n’est pas nous qui avons tué Jésus-Christ ». On pourrait évoquer aussi des prédications où la résurrection compte peu par rapport à une crucifixion salvatrice. Refuser le dolorisme, c’est choisir une autre perspective théologique. C’est l’approche de Bertrand Vergely. Dans un autre contexte, nous évoquerons le livre de Jürgen Moltmann : « The living God and the fullness of life » (Le Dieu vivant et la plénitude de vie)  (5). Il y écrit : « Pourquoi le christianisme est-il uniquement une religion de la joie, bien qu’en son centre, il y a la souffrance et la mort du Christ sur la croix ? C’est parce que, derrière Golgotha, il y a le soleil du monde de la résurrection, parce que le crucifié est apparu sur terre dans le rayonnement de la vie divine éternelle, parce qu’en lui, la nouvelle création éternelle du monde commence. L’apôtre Paul exprime cela avec sa logique du « combien plus ». « Là où le péché est puissant, combien plus la grâce est-elle puissante ! » (Romains 5.20). « Car le Christ est mort, mais combien plus, il est ressuscité » (Romains 8.34). Voilà pourquoi les peines seront transformées en joie et la vie mortelle sera absorbée dans une vie qui est éternelle » (p 100-101).

J H

 

  1. Avant toute chose, la vie est bonne : https://vivreetesperer.com/avant-toute-chose-la-vie-est-bonne/ Avoir de la gratitude : https://vivreetesperer.com/avoir-de-la-gratitude/ Dieu vivant : rencontrer une présence : https://vivreetesperer.com/dieu-vivant-rencontrer-une-presence/ Dieu veut des dieux : https://vivreetesperer.com/dieu-veut-des-dieux/ Le miracle de l’existence : https://vivreetesperer.com/le-miracle-de-lexistence/
  2. Bertrand Vergely. Voyage en haute connaissance. Philosophie de l’enseignement du Christ. Le Relié, 2023
  3. Bienveillance humaine. Bienveillance divine : une harmonie qui se répand : https://vivreetesperer.com/bienveillance-humaine-bienveillance-divine-une-harmonie-qui-se-repand/
  4. Libérée d’une emprise religieuse : https://vivreetesperer.com/liberee-dune-emprise-religieuse-2/
  5. Le Dieu vivant et la plénitude de vie : https://vivreetesperer.com/le-dieu-vivant-et-la-plenitude-de-vie/

Et si nous éduquions nos enfants à la joie ? Pour un printemps de l’éducation !

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 Le témoignage d’Antonella Verdiani

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En ce temps de crise, un monde se défait et un autre commence à naître. Nous percevons et nous ressentons les menaces et les pertes, mais nous avons besoin de voir ce qui est en train de germer, la promesse du renouveau. Car c’est ainsi que nous pourrons quitter l’ordre ancien et reconnaître l’avenir auquel nous sommes appelés.

A cet égard, l’éducation est un champ privilégié.

Pour notre part, au long des années, ayant participé à un courant de pensée et d’action militant pour des formes nouvelles d’éducation permettant aux enfants et aux jeunes de grandir dans le respect de leur personnalité et le développement de leur créativité (1), nous pouvons constater les pesanteurs qui font obstacles à la transformation des pratiques éducatives (2). Et pourtant, aujourd’hui, celles-ci sont appelées à changer en fonction de la poussée d’internet (3) et de nouvelles conceptions pédagogiques (4). Une pression accrue s’exerce en faveur du changement en se manifestant dans des aspirations nouvelles.

A cet égard, l’appel d’Antonella Verdiani (5) en faveur d’un « printemps de l’éducation » et le mouvement qui se développe en ce sens, nous paraît un signe prometteur. Mais cet appel prend aussi la forme d’un témoignage émouvant. Antonella Verdiani nous raconte une expérience vécue dans son enfance où elle s’est sentie rejetée par la contrainte des normes culturelles et elle nous rapporte sa recherche sur le sens de l’éducation. « Et si nous éduquions nos enfants à la joie ! ». Voici une interpellation qui nous touche et nous mobilise. Cette interview (6) a été réalisée dans le cadre d’une conférence locale de « Ted » (7).

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Antonella Verdiani nous présente un épisode qui a marqué sa vie d’enfant. « J’ai dix ans. C’est le jour de l’examen pour entrer à l’école de la Scala de Milan ». Elle nous décrit les lieux : un grand escalier, puis une énorme salle où deux dames, « au sourire assez figé », accueillent une vingtaine de fillettes. Le piano démarre une musique de Chopin. « Vous pouvez danser à votre façon », leur dit-on. Antonella s’élance dans la danse. Elle se sent portée par la musique.  Elle s’exprime avec la passion qui lui est coutumière et dont son professeur de danse l’avait félicité. « Toi, tu as la passion ! ». Et puis, il faut passer une inspection devant les deux dames. L’une d’entre elle regarde ses pieds avec insistance. Elle appelle sa collègue. « Mes pieds sont vraiment bizarres… Je dois être vraiment quelqu’un de bizarre » se dit la petite fille. On passe ensuite dans une salle de classe. Les enfants sont appelées un à un à s’asseoir à gauche ou à droite. Et puis vient la décision. « A droite, les élèves que nous avons sélectionnées. A gauche, celles que nous n’avons pas retenues ». « J’étais à gauche », raconte Antonella qui éclate en sanglots. « Maman, on m’a refusé ! », dit-elle à sa mère. « Le monde magnifique d’une petite fille vouée à la danse s’écroule ». Pendant des années après cet épisode, elle a vécu comme si elle avait perdu le droit d’être heureuse.

Et pourtant, sa joie de vivre n’a pu être brisée. « Un jour, je me suis senti libre du sortilège de l’échec ». « Il n’est pas question d’étaler ma vie », nous dit Antonella. Un incident comme celui là, cela arrive. « C’est normal. C’est banal ». C’est arrivé à moi. Cela peut arriver à vous ou peut-être à vos enfants. Et bien, non, ce n’est pas normal ! « Cet épisode est la manifestation d’une cruauté ordinaire que notre monde, notre système éducatif continue d’infliger aux enfants en tuant leur capacité de rêver. Et moi, je ne veux pas être complice de cela ».

Antonella  a repris des cours de danse, puis elle est entrée à l’université où elle a soutenu une thèse en sciences de l’éducation : « Eduquer à la joie ». Et, dans cette interview, elle nous rapporte sa découverte. En étymologie, le mot joie dérive d’un mot sanscrit : yuj qui signifie : lien, connexion, reliance. Les enfants, quand ils sont en train d’apprendre librement et passionnément, sont dans cet état d’âme. Ils apprennent sans fatigue. Etre reliée, Antonella en a l’expérience. « Pour moi, cette reliance me ramène à ce que j’ai vécu lorsque j’ai dansé sans fatigue. C’était être en contact avec le monde, avec le ciel et la terre, avec les animaux, avec les fleurs, avec les gens, avec vous… ». Et si on commençait à éduquer à partir des dons de chacun ! En « permaculture, une pratique écologique, on cultive à partir de ce que est déjà fertile. « Si on pouvait apprendre à partir de notre richesse, de notre trésor, ce serait révolutionner l’éducation, changer la face du monde ».

Antonella Verdiani nous parle des pionniers qui ont lutté pour changer l’éducation : Maria Montessori, Steiner, Freinet… Leur influence s’est heurtée à bien des obstacles. « La bonne nouvelle, c’est qu’aujourd’hui de plus en plus d’enseignants, d’éducateurs et de parents inventent de nouvelles pratiques éducatives fondées sur la liberté, le respect des rythmes de l’enfant, la capacité de rêver ». « Ma joie, c’est de connecter… Aussi, avec un groupe de personnes qui savent encore rêver, j’ai fondé une alliance pour le renouveau éducatif. Parce que tout est déjà là… Il faut simplement relier. C’est éduquer à la joie ». C’est le « printemps de l’éducation ». Ce mouvement prend de l’essor à travers un site internet et connecte de nombreuses initiatives (8). Cet appel s’achève sur une ouverture : une parole de Maria Montessori : « La joie d’apprendre est autant indispensable à l’intelligence que la respiration au coureur… » « et au danseur ! », ajoute Antonella.

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Ce témoignage émouvant nous invite à espérer et à agir. Une nouvelle vague de renouveau éducatif apparaît aujourd’hui. Et elle s’inscrit dans une dynamique de connexion. Lien, connexion, reliance, ce sont là des termes que nous avons déjà rencontrés dans la recherche de Rebecca Nye sur la spiritualité des enfants : « Dans l’enfance, la spiritualité porte particulièrement sur le fait d’être en relation, de répondre à un appel, de se relier à plus que moi seul, c’est à dire aux autres, à Dieu, à la création ou à un profond sens de l’être intérieur (inner sense of self) » (9). Dans ce contexte, ce mouvement pour une éducation nouvelle nous apparaît comme un signe d’une évolution profonde dans les esprits en cours actuellement. Et oui, nous pouvons recevoir l’appel : « Et si nous éduquions nos enfants à la joie ? » comme une ouverture vers l’avenir et comme une promesse.

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J H

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(1)            Une revue en perspective. Education et développement ? Textes présentés par Louis Raillon et Jean Hassenforder. L’Harmattan, 1998. Inspiration de l’éducation nouvelle et nouvelles approches  pédagogiques.

(2)            Comment le système scolaire français engendre un manque de confiance : Une analyse dans le livre : Algan (Yann), Cahuc (René), Zylbergerg (André). La fabrique de la défiance. Grasset, 2012. Sur ce blog : « Promouvoir la confiance dans une société de défiance. Transformer les mentalités et les institutions. Réformer le système scolaire. Les pistes ouvertes par Yann Algan » : https://vivreetesperer.com/?p=1306

(3)            Sur ce blog : « Une nouvelle manière d’être et de connaître. « Petite poucette » » de Michel Serres » : https://vivreetesperer.com/?p=820

« Une révolution en éducation. L’impact d’internet pour un nouveau paradigme en éducation » : https://vivreetesperer.com/?p=1565

(4)            « Laissez-les lire ! Une dynamique relationnelle et éducative » (Présentation du livre de Geneviève Patte : « Laissez-les lire ») : https://vivreetesperer.com/?p=523 « Une nouvelle manière d’enseigner : Participer ensemble à une recherche de sens : L’approche pédagogique de Britt Mari Barth » : https://vivreetesperer.com/?p=1169

On doit également mettre l’accent sur une découverte récente : En proposant un ordinateur à des enfants de bidonville, le chercheur indien, Sugata Mitra, a montré comment ces enfants étaient capables d’apprendre des savoirs très complexes en s’entraidant sans assistance extérieure. C’est dire le potentiel d’apprentissage qui réside en chaque enfant. C’est un paradigme révolutionnaire en matière d’éducation. Voir sur Wikipedia : http://en.wikipedia.org/wiki/Sugata_Mitra et http://fr.wikipedia.org/wiki/Sugata_Mitra Expérimentations et recherches récentes sont présentées sur Ted par Sugata Mitra : « Construire une école dans le Cloud » : https://www.ted.com/talks/sugata_mitra_build_a_school_in_the_cloud?language=fr

(5)            Docteur en Sciences de l’Education, Antonella Verdiani a travaillé plus de 18 ans à l’Unesco où elle était responsable de questions d’éducation. En 2014, elle a publié un livre : « Ces écoles qui rendent les enfants heureux. Expériences et méthodes pour éduquer à la joie » (Actes Sud). Actuellement consultante et formatrice, elle est la fondatrice du collectif : « Le printemps de l’éducation », constitué de représentants de la société civile en France et à l’étranger et qui a pour objectif l’organisation de rencontres entre les acteurs du changement en matière d’éducation. Un article d’Antonella Verdiani sur le site du Huffingtonpost : « Si on éduquait à la joie ? » : http://www.huffingtonpost.fr/antonella-verdiani/eduquer-enfants-joie_b_3643196.html Parcours et vision d’Antonella Verdiani dans une interview sur Moodstep : https://www.youtube.com/watch?v=dAvYhjQSkPI

(6)            Témoignage d’Antonella Verdiani : « Et si nous éduquions nos enfants à la joie ? »

Sur le site : Printemps de l’éducation : http://www.printemps-   education.org/slide/et-si-nous-eduquions-nos-enfants-a-la-joie/

(7)            TED x Vaugirard Road : organisation et contenu des rencontres locales patronnées par TED Vidéos de témoignages  et d’exposés souvent éclairants http://www.tedxvaugirardroad.com/

(8)            Le printemps de l’éducation. Un mouvement pour le renouveau de l’éducation : vision, participants, gouvernance et activités… http://www.printemps-education.org/

Pendant longtemps, en regard des adultes, le statut de l’enfant a été négligeable. Les paroles de Jésus dans les évangiles sur la valeur primordiale des enfants ont été largement méconnues. Au XXè siècle, Maria Montessori joue un rôle de pionnière en mettant en évidence le potentiel du petit enfant. Elle parle de celui-ci en terme d’« embryon spirituel ». Aujourd’hui où le concept de spiritualité est désormais reconnu, la recherche réalisée par Rébecca Nye et David Hay auprès d’enfants britanniques de 6 à 10 ans met en évidence leurs aptitudes spirituelles en terme de « conscience relationnelle » : Voir : Rebecca Nye. Children’s spirituality. What it is and why it matters. Church House Publishing, 2009. Voir sur ce blog : « L’enfant, un être spirituel » : https://vivreetesperer.com/?p=340 Nous percevons un lien entre renouveau de l’éducation et approche spirituelle si bien que nous pouvons en parler en terme de : « signe des temps ».

Contempler la création

Louez l’Eternel du bas de la terre, Monstres marins et vous tous abimes :
Feu et grêle, neiges et brouillards ;
Vents impétueux qui exécutez ses ordres ;
Montagnes et toutes les collines ;
Arbres fruitiers et tous les cèdres ;
Animaux et tout le bétail ;
Reptiles et oiseaux ailés ;

Qu’ils louent le nom de l’Eternel
Car son nom seul est élevé ;
Sa majesté est au dessus de la terre et des cieux

Psaume 148 7-10,13

Dans cette séquence (1), frère Richard Rohr partage sur la manière de « voir » et de percevoir Dieu dans les formes de la nature sur la base d’une spiritualité incarnée.

10 octobre 2021
Contempler la création

 La spiritualité de la création a ses origines dans les Écrits hébraïques tels que les psaumes 104 et 148. C’est une spiritualité qui est enracinée, en premier, dans la nature, dans l’expérience, et dans le monde tel qu’il est. La riche spiritualité hébraïque a formé l’esprit et le cœur de Jésus ».

Richard Rohr fait remarquer alors combien nous sommes habitués à penser la religion en terme d’idées, de concepts et de formules trouvés dans des livres. « Ce n’est pas là où la religion commence. Ce n’est pas la spiritualité biblique. Celle-ci commence en observant ce qui est ».

Paul écrit : « Déjà depuis la création du monde, l’essence invisible de Dieu et sa puissance éternelle ont été vues clairement par la compréhension de l’esprit des choses créées » (Rom 1.20). Nous connaissons Dieu à travers les choses que Dieu a faites. La première fondation de toute vraie vision religieuse est tout à fait simplement d’apprendre à voir et à comprendre ce qui est ».

Or, selon Richard Rohr, « la contemplation, c’est rencontrer la réalité dans sa forme la plus simple et la plus directe, sans jugement, sans explication et sans contrôle ».

Richard Rohr nous appelle à voir dans le monde les « vestigia Dei », ce qui signifie les empreintes de Dieu. Apprendre à aimer pour voir. « Nous devons commencer avec une pierre. Puis nous passons de la pierre au monde végétal et nous apprenons à apprécier les choses qui grandissent et à voir Dieu en elles. Peut-être, une fois que nous pourrons voir Dieu dans les plantes et les animaux, nous pourrons voir Dieu dans nos prochains. Et puis, nous pourrons apprendre à aimer le monde. Et puis quand tout cet amour aura pris place, quand ce regard sera advenu, quand de telles personnes viendront à moi et me diront qu’elles aiment Jésus, j’y croirais. Elles sont capables d’aimer Jésus. Leur esprit est préparé. Leur esprit est libéré et il a appris à voir et à recevoir, comment rentrer en soi et en sortir. De telles personnes pourraient bien comprendre comment aimer Dieu ».

 

La dance de la vie

Richard Rohr voit en François d’Assise comme un premier exemple de quelqu’un qui a découvert en lui-même la connexion universelle de la création. Il nous fait part d’un apport de Sherri Mitchell sur la sagesse de s’accorder dans l’harmonie de la réalité.

« Chaque chose vivante a son propre chant de la création, son propre langage et sa propre histoire. En vue de vivre harmonieusement avec le reste de la création, nous devons vouloir écouter et respecter toutes les harmonies en mouvement autour de nous ». C’est faire appel à tous nos sens pour envisager le monde. « Quand nous vivons comme des êtres disposant de plusieurs sens, nous découvrons que nous sommes capables de comprendre le langage de chaque chose vivante. Nous entendons la voix des arbres et nous comprenons le bourdonnement des abeilles. Alors nous commençons à réaliser que c’est la substance inter-tissée de ces rythmes flottants qui nous tient dans un équilibre délicat avec toute vie. Alors notre vie et notre place dans la création commencent à faire sens d’une manière complètement nouvelle.

Sherri Mitchell nous raconte ensuite une expérience de cet ordre.

Dans une chaude journée d’été, dans un état méditatif, elle a remarqué le minuscule rampement d’une fourmi près d’un brin d’herbe.

« Comme j’observais la fourmi en train de bouger, son petit corps a commencé à s’illuminer. Puis le brin d’herbe sur lequel il marchait s’est lui aussi éclairé. Comme j’étais là et j’observais, tout l’endroit qui m’entourait a commencé à s’éclairer. J’étais assise, m’émerveillant tranquillement devant cette vue nouvelle, sans bouger de peur de la perdre. Pendant que j’étais assise là, respirant avec le monde autour de moi, les fermes lignes de mon être ont commencé à s’estomper. Je me suis sentie en expansion et en train de me fondre avec tout ce que j’observais. Soudain, il n’y avait plus de séparation entre moi, la fourmi, l’herbe, les arbres et les oiseaux. Nous respirions avec la même respiration. J’étais envahie par ce sens de parenté tellement beau et complet avec toute la création… ».

 

Sentir la nature

Richard Rohr nous convie à expérimenter une vie en pleine nature.

A l’exemple de François d’Assise, il a lui-même vécu quelques moments d’ermitage dans la nature. Il raconte comment il a découvert ce qui se passait chez les animaux et dans les arbres. Combien nous perdons lorsque nous sommes coupés de la nature… « Mes temps d’ermitage m’ont resitué dans l’univers de Dieu, dans la providence et dans le plan de Dieu. J’ai eu le sentiment d’être réaligné avec ce qui est. J’appartenais et donc j’étais sauvé… »

« Quand nous sommes en paix et que nous ne y opposons pas, quand nous ne sommes pas en train de fixer et de contrôler le monde, quand nous ne sommes pas remplis de colère, tout ce que nous pouvons faire est de commencer à aimer et pardonner. Rien d’autre ne fait sens lorsque nous sommes seuls avec Dieu. Il n’y a rien qui vaille de retenir parce qu’il n’y a rien d’autre dont nous ayons besoin. Je pense que c’est dans cet espace de liberté que le réalignement advient. François vivait un tel alignement… ».

 

Les cercles sacrés

Richard Rohr voit la Trinité comme un « cercle de danse » d’amour et de communion mutuelle. « Ceux d’entre nous qui ont grandi avec la notion trinitaire de Dieu communément répandue, voient la réalité consciemment ou inconsciemment, comme un univers en forme de pyramide, avec Dieu au sommet d’un triangle et tout le reste en dessous. Mais c’est exactement ce que la Trinité n’est pas. Les premiers Pères de l’Eglise disaient que la métaphore la plus proche pour envisager Dieu, c’était un cercle de danse de communion. Ce n’était pas une situation hiérarchique, monarchique ou une pyramide.

Richard Rohr cite alors Randy Woodley, un théologien d’origine Cherokee (tribu indienne). « Notre modèle de la relation à toute chose est un simple symbole utilisé par les autochtones américains : le cercle. L’harmonie dans le genre de vie est souvent entendue en terme symbolique de cercle ou de cerceau ». Rassemblons-nous… faisons un cercle… Le cercle n’a ni début, ni fin et on peut y entrer n’importe où et n’importe quand. « Quand nous nous rassemblons dans un cercle, la prière a déjà commencé… Nous nous rassemblons l’un avec l’autre et avec le Grand Mystère même sans qu’un mot ait été dit ».

Randy Woodley nous introduit dans le symbolisme pour les peuples autochtones et pour la terre elle-même.

« Dans presque toutes les tribus autochtones d’Amérique du Nord, le cercle ou le cerceau est considéré comme un symbole de la vie. Ce symbole est une puissante représentation de la terre, de la vie, des saisons, des cycles de maturité etc… ».

 

Une prière centrée sur la création

« La nature spirituelle de la Création a toujours été là depuis le Big Bang… L’Esprit et la matière ont été un depuis que Dieu a décidé de se manifester ».

« Le Christ est partout. La planète entière est ointe et messianique. Tout porte le mystère du ChristQuand nous apprenons cela, nous sommes en communion. ». Nous sommes en communion lorsque nous allons à l’église… Nous  sommes en communion dans la pause de la salle de bain. Nous sommes en communion quand  nous sommes dans la nature.

Richard Rohr convie une sœur franciscaine, José Hobday à s‘exprimer. Elle écrit comment elle a appris à « prier sans cesse » à partir de la spiritualité autochtone de sa mère qui honorait le sens d’être en communion, en harmonie constante, d’être avec Dieu en toutes choses. « Ma mère priait comme une américaine autochtone. Cela signifie qu’elle se voyait priant en vivant et vivant en priant. Elle essayait de prier sa vie. Elle exprimait, par exemple sa prière de gratitude dans la manière dont elle faisait les choses : Quand vous remuez les flacons d’avoine, faites le lentement de manière à ne pas oublier que les flacons d’avoine sont un don et qu’il ne faut pas les prendre pour acquis. Elle faisait les choses en priant. Elle priait même en marchant… Elle m’enseignait à marcher doucement sur la terre parce que la terre est notre mère. Quand nous marchons, disait-elle, nous devrions être prêts à entrer dans chaque mouvement de beauté que nous rencontrons ».

Qu’est-ce que Richard Rohr a appris de la spiritualité américaine autochtone ? « D’abord à faire que ma prière soit centrée sur la création. Les indiens prient comme étant en famille avec la création. Dans notre prière, nous pourrions penser aux créatures… et à leur relation avec la création. C’est ce que les américains autochtones ont fait. Cela ne les a pas seulement gardés en contact avec la création, mais aussi bien avec le Créateur.

 

Révérer la création et le Créateur

Pour Richard Rohr et la tradition franciscaine, l’incarnation est au cœur d’une spiritualité affirmant la création. Nous rencontrons Dieu dans la création parce que nous rencontrons Dieu partout. Au lieu d’être une barrière à la vie spirituelle, la création est une porte. Les gens qui vivent en relation profonde et harmonieuse avec la nature ont toujours su cela. Richard Rohr a trouvé, dans ses conversations avec des anciens autochtones, une perspective sur la nature de la réalité qui commence avec un éclairage sur la nature du Créateur. Et il cite à ce sujet, un verset de l’épitre aux romains (1. 19-20) : « Les perfections invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité, se voient comme à l’œil, depuis la création du monde, étant considérées dans ses ouvrages… ». « L’Ecriture est cohérente avec la vision du monde indigène que la nature du Créateur est visible dans la création. Qu’est- ce que la création nous dit de la nature de Dieu ? Les peuples indigènes ont été accusés d’animisme, c’est à dire d’adorer la création plutôt que le Créateur. Mais, en réalité, le fondement de la spiritualité indigène, c’est la révérence… La révérence, c’est un profond respect. Le Créateur est évident dans la création qui nous entoure. Je puis voir cela et en faire l’expérience avec mes sens… L’humilité, c’est reconnaître que je ne suis pas séparé de la création. Je fais partie du tissu de la vie. J’ai appris que cette dépendance mutuelle est un don. La vie est un don ».

J H

  1. Center for action and contemplation. Contemplating creation : https://cac.org/contemplating-creation-2021-10-10/

Voir aussi sur ce blog:
L’homme, la nature et Dieu : https://vivreetesperer.com/lhomme-la-nature-et-dieu/
Enlever le voile: https://vivreetesperer.com/enlever-le-voile/
La grande connexion : https://vivreetesperer.com/la-grande-connexion/

Et la présentation du livre de Richard Rohr: The divine dance:
https://vivreetesperer.com/la-danse-divine-the-divine-dance-par-richard-rohr/
https://vivreetesperer.com/reconnaitre-et-vivre-la-presence-dun-dieu-relationnel/

 

Vivre de la présence divine

« Rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu » (Romains. 8/39).

La guérison est beaucoup plus que le rétablissement de la santé.

En moi, je ressens en profondeur cette certitude : que quoiqu’il m’arrive,
Dieu, en Jésus Christ, attesté par l’Esprit
Demeure en moi.
Sa présence est intégrée à ma personne. Je sais, je le vis.

Tout en moi est imprégné de divinité.
Tout ce qui est terrestre est une couche superficielle de mon être comme l’aspect visible de l’arbre, de la vigne.
La sève, invisible, circule dans toutes les ramifications, apporte la vie.
L’arbre qui est coupé, paraît mort. Mais, du tronc, racines, la sève fait resurgir des pousses. Un deuxième arbre apparaît.

La vie divinisée en moi est éternelle.

Nous sommes étrangers sur cette terre dans la mesure où n’y sommes pas établis pour l’éternité.
La Terre est une étape dans notre Vie. La mort, un passage vers un autre état comme la naissance. Du fœtus au bébé, nous naissons à un état spirituel.

En moi, aujourd’hui :
Une joie profonde de la présence de Dieu
Qui donne :
Confiance au présent
Force et énergie
Espérance du futur
Illumination du passé.

Odile Hassenforder
Ecrits personnels
4 décembre 2006

Textes en regard.

Que Dieu qui est l’auteur de l’espérance
vous comble
de toute joie
et de sa paix  par votre confiance en Lui.
Ainsi, votre cœur débordera d’espérance
par la puissance du Saint Esprit.
(Romains 15/13)

Dans son grand amour
Dieu nous fait naître à une vie nouvelle… Voilà qui fait notre joie
Même si vous êtes attristés par diverses épreuves
actuellement …   qui servent à éprouver votre foi.
… Joie glorieuse qu’aucune parole ne peut exprimer…
(I Pierre 3,6)

Romains 8
Verset 2  C’est la loi de l’Esprit qui nous donne la Vie dans l’union avec Jésus Christ…

Sa présence dans ma vie

« Sa présence dans ma vie », tel est le titre du livre d’Odile Hassenforder. Ce livre porte un témoignage vivant qui nous parle à travers le temps : https://vivreetesperer.com/odile-hassenforder-sa-presence-dans-ma-vie-un-temoignage-vivant/
Ce témoignage s’exprime à travers ce blog .  Ce texte : « Vivre de la présence divine » rapporte un vécu qui s’adresse à chacun de nous . C’est un désir que nous ressentons.   Chez Odile, la réalité de la présence divine est aussi en phase avec le mouvement de ce désir :
« Ce désir au fond de moi d’être imprégné de la vie divine est suscité par l’Esprit. Donc, j’ai à accueillir son oeuvre en moi, et ensuite à donner mon accord pour qu’il me rende capable de vouloir, puis de faire vis à vis des actes qui lui plaisent . C’est très différent de me forcer, de rassembler ma volonté pour agir ».
« Accueillir la vie » : https://vivreetesperer.com/accueilir-la-vie/

Dieu vivant : rencontrer une présence

Ce témoignage apporte un exemple concret à l’appui de la vision théologique que nous apportent Bertrand Vergely, Jürgen Moltmann, Diana Butler Bass et Richard Rohr  dans ce blog. Ces apports convergent dans l’article : « Dieu vivant : rencontrer une présence » au sujet du livre de Bertrand Vergely : « Prier : une philosophie » : https://vivreetesperer.com/dieu-vivant-rencontrer-une-presence/

« La Vie. La Vie avec un grand V. Ce n’est pas un terme grandiloquent. Il y a en nous une présence faisant écho à ce que nous avons de plus sensible, d’où la justesse de parler de divine présence », nous dit Bertrand Vergely. Richard Rohr lui fait écho : « Dieu n’est pas un être parmi d’autres, mais plutôt l’Etre lui-même qui se révèle… Le Dieu dont Jésus parle et s’y inclut, est présenté comme un dialogue sans entrave, un flux inclusif et totalement positif, la roue d’un moulin à eau qui répand un amour que rien ne peut arrêter ». Jürgen Moltmann, dans la foulée de la théologie renouvelée d’un Dieu Trinitaire, écrit : « Nous vivons en communion ave Jésus, le Fils de Dieu, et avec Dieu, le Père de Jésus-Christ et avec Dieu, l’Esprit de vie. Ainsi, nous ne croyons pas seulement en Dieu . Nous vivons avec Dieu, c’est à dire dans son histoire trinitaire avec nous ».

C’est dans cette compréhension qu’Odile témoigne : « Ce désir au fond de moi d’être imprégné de la vie divine … Tout en moi est imprégné de divinité ».

J H