par | Mar 2, 2012 | ARTICLES, Hstoires et projets de vie, Vision et sens |
Témoignage et réflexion de Philippe Molla en dialogue avec le texte précédent : « Dedans…dehors ! Face à l’exclusion, vivre une commune humanité ».
Merci à Jean pour ce travail personnel si précieux pour moi !
Encore un texte qui respire la liberté !
Ces mots résonnent tellement en moi que j’éprouve le besoin d’écrire
quelques pensées personnelles :
C’est pour moi un appel à sortir de mes conceptions humaines de qui je
crois être, ce regard souvent faussé qui m’empêche d’aller vers
l’autre. Mon prochain que je catalogue si facilement par ce qui
« frappe l’oeil « . Ne suis-je pas le prochain de mon prochain ?
J’ai tellement à apprendre de l’autre, d’une rencontre. Souvent l’homme se
plaint de ne pas trouver Dieu, peut-être par ce qu’il ne sort pas de
son enclos. Qui est notre maître, la crainte ou l’Amour ?
Qu’apprenons-nous dans notre milieu où nous nous construisons ?
Les différences de l’autre sont-elles une menace pour nous ? Ce » qui
sommes nous ? » que nous avons construit, si fragile, faut-il par tous
les moyens le protéger ? Pourquoi ?
À l’âge de 18 ans, je me sentais fort, bien construit. J’avais mes
réponses sur beaucoup de sujets. Cela me donnait beaucoup d’assurance
et une paix intérieur. Mes petites réponses toutes faites sur la vie,
la religion, sur Dieu, me faisaient croire que je détenais la vérité !
(et oui ! J’avais l’esprit bien étroit ! Comme si je pouvais détenir
Dieu, la vérité !)
Mais cette construction m’a inconsciemment isolé. Si l’autre avait
une conception de la vie très différente de la mienne, j’avais
tendance à le cataloguer et le classer par catégorie. J’avais appris
dans ma religion que l’autre était dehors et moi dedans. J’avais
appris à inviter mon prochain dans mon enclos, mon système de pensée
humain, ce que j’appelle « La pensée unique ».
Dans cette démarche aucune connexion profonde avec l’autre n’était
possible. Pourtant, cette connexion est si précieuse, elle n’exige
rien de l’autre, elle n’attend rien de l’autre. Cette connexion où
Dieu peut enfin se révéler parce qu’il est synonyme d’AMOUR!
Alors comment ai-je trouvé le chemin de la liberté, de l’amour, de la
guérison intérieur ?
A travers de vraies rencontres !
Ma rencontre avec ma femme Martine a progressivement révélé mon état
d’homme préfabriqué par la société, par la religion. Notre amour et
sa patience m’ont beaucoup aidé.
A travers, d’autres rencontres aussi. En particulier, une rencontre
profonde avec un homme, qui m’a fait entrevoir ce qu’est un partage où
il n’y a pas de place pour le jugement, les préjugés… Et ensuite, il
n’y en eu beaucoup d’autres.
Dieu a permis que je passe par des tempêtes intérieurs, des problèmes
professionnels, la maladie… Ces épreuves m’ont fragilisé. Mais c’est
dans cet état de fragilité que de véritables rencontres ont surgies.
Où l’amour de Jésus-Christ s’est manifesté, apportant guérison,
changement de mentalité et reconstruction de l’être.
J’ai découvert que Dieu se cache dans notre prochain ! Nous Le
trouvons quand nous acceptons notre fragilité, notre vulnérabilité.
Jésus-Christ n’est pas venu en super héros, mais Il a choisi de
s’exposer. Il a accepté de se rendre vulnérable, fragile, dans le seul
but d’atteindre le coeur de celui qui se sent en manque de tout,
rejeté, exclu, pauvre, pêcheur, malade, seul dans sa souffrance,
esclave de ses vices, prisonnier de sa religion, prisonnier de son
clan familial, prisonnier de sa société…
Quand j’ai lu le titre « Dedans…Dehors », j’ai tout de suite pensé à la
parabole du Bon Berger.
Cette invitation à la liberté.
Et aussi au mot église.
Ce mot église est très peu utilisé dans les évangiles. Donc, j’imagine
que Jésus l’a très peux prononcé. Peut être pour éviter qu’il soit
mal utilisé, mal interprété en créant des divisions entre tous les
hommes, des clans. Tous ces hommes à qui Jésus-Christ a donné sa vie
sur la croix, cette croix si douloureuse. Cette croix, où, bras
ouverts, il dit: «Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils
font.» L’Amour personnifié, ne laissant aucune place pour le jugement !
Cette Amour qui unit tous les hommes !
Ce mot église, « ekklesia » en grec, composé de ek et dérivé de kaleo.
Ek: hors de
Kaleo: donner un nom, appeler.
On pourrait traduire église par » les appelés par leur nom (dans le
sens unique, relation personnelle et intime avec le créateur) à sortir
hors de »
Pour comprendre la parabole du Bon Berger, il faut connaître comment
procédait un berger à l’époque de Jésus. Le berger avait un associé
qui gardait les moutons dans la bergerie, le gardien. Quand le berger
se rapprochait de la bergerie, il commençait à appeler ses brebis par
leur nom. (Cette notion de donner un nom unique à chaque brebis,
montre que le berger connaissait bien ses brebis, il passait beaucoup
de temps avec elles) Alors le gardien ouvrait la porte et les brebis
couraient avec excitation rejoindre leur berger. Le berger faisait
demi-tour et marchait en direction des verts pâturages.
Les brebis reconnaissent très bien la voix et les sons . Je connais
bien ce sujet. J’ai passé beaucoup de temps dans ma jeunesse avec une
brebis et son agneau:
Une brebis a soif de liberté, elle recherche à atteindre toujours
l’herbe fraîche qui se trouve de l’autre coté de la clôture.
il faut beaucoup de patience pour approcher une brebis.
Elle est vite dominée par la crainte, ce qui la pousse à mettre sa vie
en danger, ainsi que la vie de son agneau…
Je finirai par ces passages:
Jean 10:4
Quand IL les a tous fait sortir, il marche devant eux. Et ses moutons
le suivent, parce qu’ils connaissent sa voix.Ils ne suivront jamais
quelqu’un d’autre. Au contraire, ils fuiront loin de lui, parce qu’ils
ne connaissent pas la voix des autres personnes.»
Il n’y a pas de crainte dans l’amour, mais l’amour accompli chasse la
crainte; car la crainte suppose le châtiment, et celui qui craint
n’est pas accompli dans l’amour. (1 Jean. 4.18)
Alors sortons découvrir ce que Dieu a caché comme trésors merveilleux !
Ces trésors préparés spécialement pour nous, être unique, aimé de
son créateur !!
Psaumes 65:
Quand TU passes, les richesses débordent. Les terres sèches sont
couvertes de récoltes, les collines sont entourées de joie. Les
pâturages portent les moutons et les chèvres, les vallées sont
couvertes de blé. Toute la campagne chante et danse de joie.
Alors qu’est ce qui nous empêche de faire de véritables rencontres où
la VIE circule
Philippe Molla
Voir sur ce blog (7 octobre 2011) un autre texte de Philippe :
« Un chantier peut-il être convivial ? »
par jean | Déc 27, 2011 | ARTICLES, Expérience de vie et relation, Vision et sens |
Lorsque la réalité spirituelle sort de l’ordinaire
Il arrive que soudain une personne ressente la conscience d’une réalité belle et bonne qui la dépasse, une présence qui suscite en elle une impression inégalée de plénitude. Ce sont là des expériences qui sortent de l’ordinaire, mais qui néanmoins adviennent à certains comme une recherche récente le montre à partir d’une enquête menée en Grande-Bretagne. Ces expériences ne sont pas réservées aux croyants. En grande majorité, elle sont ressenties comme positives. Elles apparaissent comme étant en quelque sorte données comme la révélation d’une réalité supérieure.
Dans le cadre d’une « Unité de recherche sur l ‘expérience religieuse » fondée dans le cadre de l’Université du Pays de Galles, un chercheur britannique, Alister Hardy, au départ un zoologiste éminent, a constitué une banque de données rassemblant des récits d’expérience à partir desquelles il a été ensuite possible d’analyser la nature et la fonction de ces expériences. Il s’est inspiré d’une méthodologie qui lui était familière, celle des sciences naturelles : recueillir des échantillons et les classer. A partir de publicités diffusées dans la presse, il a donc demandé à un vaste public de participer à une enquête. Sous différentes variantes, la question était la suivante : « Vous est-il arrivé d’avoir conscience d’une présence ou d’une puissance (ou d’être influencée par elle » que vous l’appeliez Dieu ou non et qui est différente de votre perception habituelle ? ». En réponse, Hardy a rassemblé plusieurs milliers de descriptions personnelles en provenance de gens ordinaires. Ces données ne sont qu’une des sources dans lesquelles puisent David Hay, un autre chercheur britannique qui publie un livre sur la réalité de la vie spirituelle dans la société d’aujourd’hui. « Il y a bien quelque chose », tel est le titre donné à cet ouvrage : « Something there » (1). David Hay présente dans ce livre des extraits de récits d’expériences. A titre d’exemple, en voici quelques descriptions.
Descriptions d’expériences
.
« J’étais dans une habitation à la campagne. Une nuit, à environ une heure du matin, je me suis lentement éveillé à un sentiment de sécurité et de bonheur absolu. C’est comme si tout ce qui existait dans le monde autour de moi se mettait à chanter : « Tout est bien ». Après quelques minutes presque incroyables, je me levais et allais voir à la fenêtre. Je vis alors la vallée remplie de l’amour de Dieu, coulant et débordant de la route et des quelques maisons du village. C’était comme si une grande source de lumière, d’amour et de bonté était là dans la vallée. Je sortis et la lumière et l’assurance étaient là. Je regardais et regardais. Et, pour être honnête, je n’étais pas reconnaissant comme j’aurais du l’être, mais je cherchais à enregistrer la conscience de cette joie et de cette sécurité de telle manière que je ne puisse pas l’oublier » .
Voici une autre expérience, celle-là d’une veuve dans la détresse : « J’avais perdu mon mari, six mois avant, et mon courage en même temps. Je sentais que la vie n’aurait plus de sens si la peur s’installait pour me dominer. Un soir, sans aucune préparation, j’ai su que j’étais dans la présence de Dieu, qu’il ne me laisserait jamais et qu’Il m’aimait d’un amour au-delà de toute imagination… ».
Et maintenant un souvenir d’enfance : « Mon père avait l’habitude d’emmener toute la famille en promenade, le dimanche soir. Nous marchions sur un chemin étroit à travers un champ de blé. J’étais en arrière et me trouvais seule. Soudain, je fus enveloppée dans une lumière dorée. J’ai eu conscience d’une présence si douce, si aimante, si brillante, si consolante, existant en dehors de moi, mais si proche. Je n’entendis pas de bruit. Mais quelques mots parvinrent à moi très distinctement : « Tout est bien. Tout est très bien ».
Ces expériences ont un grand impact qur la personnalité de ceux qui les reçoivent. Ajoutons ici un exemple rapporté dans un autre livre : « Du cerveau à Dieu . Plaidoyer d’un neuroscientifique pour l’existence de l’âme » (2). L’auteur, Mario Beauregard, y consacre un chapitre aux expériences religieuses, spirituelles ou mystiques. Et lui-même témoigne d’une expérience qui a influé sur sa vie. « L’une de ces expériences est survenue, il y a une vingtaine d’années alors que j’étais allongé dans mon lit. J’étais alors particulièrement faible et je souffrais d’une forme sévère de ce qu’on appelle aujourd’hui le syndrome de fatigue chronique. L’expérience a commencé par une sensation de chaleur et de picotement dans la colonne vertébrale et la poitrine. Tout à coup, j’ai fusionné avec l’intelligence cosmique (ou l’ultime réalité), source d’amour infini et je me suis retrouvé uni à tout ce qui existe dans le cosmos. Cet état d’être…s’accompagnait d’une intense félicité et extase… Cette expérience m’a transformé psychologiquement et spirituellement et m’a donné la force nécessaire pour surmonter ma maladie et guérir… » (p.388).
Les expériences religieuses et spirituelles.
Portée et évolution du phénomène.
Comme on vient de le voir, ces expériences sont très variées et elles sont rapportées différemment. Ainsi le langage est différent selon que la personne a une culture religieuse ou non. En effet, ces expériences adviennent à des gens de toutes conditions, croyants ou non. Bien sûr, elles suscitent une recherche concernant le sens qui peut leur être attribuée. Ces expériences sont également soudaines. Elles sont sans commune mesure avec l’imagination. Ainsi bouleverse-t-elle souvent la personne au point que celle-ci s’interroge et hésite à en faire part, gardant cette mémoire dans l’intimité. Au total, il apparaît maintenant que ces expériences sont beaucoup plus nombreuses qu’on aurait pu l’imaginer.
De fait, on découvre aujourd’hui qu’il y a là un phénomène important, jusque là passé sous silence et méconnu. En effet, dans une acception large, David Hay a pu inscrire une question relative à ce phénomène dans deux enquêtes effectuées en Grande-Bretagne, en 1987 et 2000. Les résultats sont surprenants. En effet, en 1987, 48% des personnes participant à un échantillon national déclarent qu’ils ont connu ce genre d’expérience dans leur vie. En 2000, ce pourcentage a considérablement augmenté et s’élève à 76%. Près des trois quarts de la population britannique est ainsi concerné.
L’augmentation considérable de ce pourcentage, dans une courte période : treize ans, a beaucoup surpris David Hay. Celui-ci interprète cette situation dans les termes de l’abaissement d’une censure socioculturelle qui, jusque-là, empêchait les gens de s’exprimer librement à ce sujet.
Toutes ces descriptions, recueillies dans le cadre d’une recherche méthodique nous interpellent. Elles nous incitent à penser qu’il y a bien une réalité supérieure au delà de notre appréhension immédiate. Les personnes qui ont vécu des expériences de ce genre se posent évidemment des questions sur le sens qui peut leur être attribuées. Ainsi, à 16 ans, un jeune allemand vécut une expérience de ce genre en pleine rue. A l’époque, il n’était pas croyant et cette expérience suscita en lui une recherche de sens. Quelques années plus tard, il découvrit la foi chrétienne et il devint plus tard le grand théologien, Wolfhart Pannenberg (3).
Rappelons la question initiale posée en vue de la collecte des descriptions de ces expériences : « Vous est-il arrivé d’avoir conscience d’une présence ou d’une puissance (ou d’être influencé par elle) que vous l’appeliez Dieu ou non, et qui est différente de votre perception habituelle ? ». Y a-t-il pas dans votre vie des souvenirs d’expérience que vous aimeriez partager ?
JH
1) Hay (David). Something there. The biology of the human spirit. Darton, Longman, Todd, 2006. Présentation sur le site de Témoins (rubrique : études) : « La vie spirituelle comme une « conscience relationnelle » . Une recherche de David Hay sur la spiritualité d’aujourd’hui ». http://www.temoins.com/etudes/la-vie-spirituelle-comme-une-conscience-relationnelle-.-une-recherche-de-david-hay-sur-la-spiritualite-aujourd-hui./toutes-les-pages.html
2) Beauregard (Mario), O Leary (Denise). Du cerveau à Dieu. Plaidoyer d’un neuroscientifique pour l’existence de l’âme. Tredaniel, 2008. Ce livre comporte un chapitre sur les expériences religieuses et spirituelles. Présentation du livre sur le site de Témoins : L’esprit, le cerveau et les neurosciences (culture). http://www.temoins.com/culture/l-esprit-le-cerveau-et-les-neurosciences.html
3) Cf : textes biographiques. Cette expérience fondatrice est mentionnée sur Wikipedia. Pannenberg fait partie des théologiens qui reconnaissent dans l’homme un sens spirituel à l’image de Dieu.
par jean | Fév 2, 2014 | ARTICLES, Beauté et émerveillement |
Généreusement ouverte en « creative commons », la galerie de Siddarth Sharma (1), nous présente, entre autres, des images harmonieuses de petits oiseaux voletant parmi des plantes fleuries. « Les colibris », nous dit-on sur le dictionnaire Larousse, « fascinent par leur taille minuscule. Ils passent de fleur en fleur pour trouver le nectar qui constitue l’essentiel de leur alimentation » (2). Ces photos expriment une harmonie colorée entre les oiseaux et les fleurs, et on trouve matière à contemplation dans ces instants où le temps semble suspendu dans la paisible beauté qui s’offre à nous.
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Pierre Rabhi, bien connu de tous ceux qui militent pour une pratique de vie écologique, nous raconte une légende amérindienne (3). Au cours d’un immense incendie qui semble échapper à tout contrôle et à tout remède, un colibri s’active quand même en petit pompier. Les autres animaux sont atterrés, mais, à ses détracteurs qui lui disent : « Ce n’est pas avec ses gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu », il répond : « Je le sais, mais je fais ma part ». La vie, qui refuse la mort, se manifeste ainsi dans la persévérance et dans l’humilité. Et, sur ces photos, dans une apparence de fragilité, ces petits oiseaux s’inscrivent dans une harmonie qui les porte.
Dans l’Evangile de Matthieu (Mat 6. 15-34), Jésus évoque les oiseaux du ciel : « Regardez les oiseaux du ciel. Ils ne sèment, ni ne moissonnent. Ils n’amassent rien dans les greniers, mais votre Père céleste les nourrit… ». Et, de même, Jésus évoque la beauté des fleurs : « Considérez comment croissent les lis des champs : ils ne travaillent, ni ne filent. Cependant, je vous dis que Salomon, même dans toute sa gloire, n’a pas été vêtu comme l’un d’eux ». Dans son enseignement connu sous le titre de « Sermon sur la montagne », Jésus nous appelle à sortir de notre égocentrisme et à vivre en harmonie avec Dieu et avec les hommes : « Cherchez premièrement le royaume et la justice de Dieu ». Dans la confiance qui inspire et accompagne cette démarche, nous recevrons, en même temps, une réponse à nos besoins.
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Le contexte est bien l’interconnexion entre Dieu, les hommes et la nature. Dans un commentaire (4), un théologien grec nous rappelle d’autres textes bibliques qui mettent en évidence la générosité de Dieu dans la création. Ainsi le psaume 104 est entièrement dédié à cette présence créatrice dans une évocation souvent très poétique : « Il conduit les sources dans des torrents qui coulent entre les montagnes. Elles abreuvent tous les animaux des champs. Les ânes sauvages y étanchent leur soif. Les oiseaux du ciel habitent sur leurs bords et font résonner leur voix parmi les rameaux ». Et, dans la veine prophétique, en Esaïe 65, une nouvelle terre est annoncée dans laquelle on trouvera paix et abondance. Ainsi, sommes nous également invités à regarder en avant dans la vision d’une nouvelle création (5) dont nous pouvons voir des signes d’anticipation.
Lorsqu’elle évoque les oiseaux du ciel et les fleurs des champs, la parole de Jésus, nous appelle à un regard ouvert au mouvement de la bonté et de la générosité de Dieu qui s’illustre aussi dans la beauté de sa création. Les photos d’oiseaux que nous présente Saddarth Sharma dans sa galerie témoignent de cette beauté et nous ouvrent à la contemplation.
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J H
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(1) Galerie de Siddarth Sharma sur Flickr. http://www.flickr.com/photos/33587234@N04/with/6223883919/ Parmi les photos, certaines nous présentent une faune et une flore évoquant des pays tropicaux, mais elles proviennent du parcours dans un marais en Floride et en Géorgie aux Etats-Unis. La licence : « creative commons » permet la reproduction de ces photos, mais évidemment en précisant que notre commentaire n’engage pas l’auteur de celles-ci.
(2) Les colibris, d’après l’encyclopédie Larousse en ligne : http://www.larousse.fr/encyclopedie/vie-sauvage/colibri/184040
(3) Sur le site : agir pour l’environnement : présentation de « Colibris. Mouvement pour la terre et l’humanisme ». http://www.agirpourlenvironnement.org/partenaires/colibris
(4) Ekarerini G Tsalampouni. Like the birds of the sky and the lilies of the fields. An orthodox eco-exegetical reading of Matthew 6. 25-34 in an age of anxiety. Une approche écologique dans la lecture exégétique du texte de Matthieu https://www.academia.edu/1483642
(5) Comme en d’autres articles sur ce blog, nous trouvons un éclairage dans la pensée théologique de Jürgen Moltmann qui prend en compte, entre autres la dimension écologique : Voir : « Dieu dans la création » sur le blog : « l’Esprit qui donne la vie » : http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=766 Et, sur ce blog : « Vivre en harmonie avec la nature. Ecologie, théologie et spiritualité » : https://vivreetesperer.com/?p=757
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Voir aussi sur ce blog : « Voir Dieu dans la nature » : https://vivreetesperer.com/?p=152
par jean | Jan 10, 2024 | Expérience de vie et relation |
Notre relation avec le passé varie selon notre contexte de vie et les circonstances. Lorsque nous ressentons des difficultés psychologiques, nous savons aujourd’hui que notre passé n’y est pas étranger. D’une façon ou d’une autre, nous voici appelés à le revisiter. Mais, dans d’autres situations, nous pouvons trouver un réconfort en évoquant des souvenirs heureux. Jusque dans la vie courante, nous sommes appelés à faire des choix, à nous engager dans telle ou telle orientation. Nous envisageons l’avenir en fonction du sens que peu à peu nous avons donné à notre vie. Or, à chaque fois, les pensées qui nous animent dépendent de notre personnalité Et cette personnalité s’est formée peu à peu en fonction de nos rencontres et de nos découvertes qui se rappellent dans nos souvenirs. Quelle conscience avons-nous de nous-même?
Qui sommes-nous ? En regard de ces questions, nous envisageons la rétrospective de notre vie. Cette vie s’enracine dans un passé, non pas pour y demeurer, mais pour se poursuivre et aller de l’avant. Ainsi, lorsqu’un livre parait avec le titre : « Vivre avec son passé. Une philosophie pour aller de l’avant » (1), nous voilà concerné. En même temps, nous découvrons l’auteur, le philosophe Charles Pépin (2). Auparavant, celui-ci a écrit d’autres livres qui nous amènent à réfléchir au cours de notre vie : « Les vertus de l’échec », « la confiance en soi ». Dans ses livres, et dans celui-ci, Charles Pépin témoigne d’une vaste culture. Ainsi, éclaire-t-il son expérience et ses observations à travers la pensée des philosophes, mais aussi les textes des écrivains, sans oublier l’apport des sciences humaines. En traitant ici de la mémoire, il recourt au nouvel apport des neurosciences. En montrant abondamment combien le passé ne disparait pas, mais est toujours là sous une forme ou sous une autre, Charles Pépin nous incite « à établir une relation apaisée et féconde avec notre mémoire…. Les neurosciences nous apprennent que la mémoire est dynamique, mouvante. Nos souvenirs ne sont pas figés…En convoquant sciences cognitives, nouvelles thérapies, sagesses antiques et classiques de la philosophie, de la littérature ou du cinéma, Charles Pépin nous montre que nous pouvons entretenir un rapport libre, créatif avec notre héritage… » (page de couverture). C’est un livre qui ouvre la réflexion et donc entraine des relectures. Cette présentation se limitera donc à quelques aperçus.
Une présence dynamique du passé
Notre passé n’est pas bien rangé dans une armoire close. Nous devons sortir d’une « représentation de la mémoire, statique… accumulative ». Ce n’est pas « un simple espace de conservation du passé » ( p 15).
Cependant, elle a été longtemps peu considérée par la philosophie jusqu’à ce que « Henri Bergson (3) la place au cœur de sa réflexion à la toute fin du XIXè siècle ». « Il a l’intuition assez folle pour son époque, mais confirmée par la science d’aujourd’hui, que notre mémoire n’est pas statique, mais dynamique, que nos souvenirs sont vivants, sujet à des flux et des reflux, affleurant à notre conscience avant de repartir. Et surtout que notre mémoire est constitutive de notre conscience, et donc de notre identité » ( p 16). Nous ne pouvons faire table rase de notre passé. « Nos souvenirs, notre passé irriguent la totalité de notre activité consciente. Notre passé resurgit constamment dans nos perceptions, dans nos intuitions, dans nos décisions… Nous sommes imprégnés d’un passé qui nous parle et nous oriente… » ( p 21). « Notre passé est bien vivant. Il n’est pas seulement passé, mais bien toujours présent » ( p 24). Cette présence peut nous affecter de diverses façons, dérangeante, mais aussi encourageante, réconfortante.. Tout dépend également de l’accueil que nous offrons à nos souvenirs. Charles Pépin nous incité à écouter Bergson qui « nous engage à une attitude d’accueil créatif et d’ouverture à ce passé qui nous constitue. Si notre personnalité condense la totalité de notre histoire personnelle, l’acte libre devient l’apanage de celui qui « prend son passé avec soi », qui l’emporte tout entier pour le propulser vers l’avenir. Nous pouvons nous saisir en même temps de notre passé et de notre liberté : Bergson ne propose rien d’autre qu’une méthode pour y parvenir » ( p 26) .
Ce que nous savons aujourd’hui sur la mémoire
La recherche sur la mémoire a beaucoup progressé. L’auteur dresse un bilan de ces avancées. Ainsi, on identifie aujourd’hui trois mémoires principales : la mémoire épisodique (ou mémoire autobiographique) qui correspond à la « mémoire souvenir » de Bergson, la mémoire sémantique qui est la mémoire des mots et des idées et la mémoire procédurale, rattachée à nos réflexes et à nos habitudes qui se rapproche de la « mémoire habitude » de Bergson ; auxquelles s’ajoutent les mémoires de court terme, de travail et sensorielle ( p 27-28). L’auteur consacre un chapitre à la présentation de ces différents mémoires et de leurs usages telles qu’elles nous apparaissent aujourd’hui grâce à l’apport des neurosciences.
« Notre mémoire épisodique est le souvenir de notre vécu : ces épisodes prêts à se rappeler à notre conscience pour nous réchauffer l’âme ou nous affliger d’un pincement au cœur…. La mémoire épisodique est le siège de notre histoire » (p 28-29). C’est ainsi que nous pouvons nous remémorer notre vie en un récit.
« Le souvenir n’est pas une trace mnésique localisée… mais une manière dont notre cerveau a été affecté, impacté par ce que nous avons vécu ». « Des expériences ont prouvé que notre mémoire ne peut être localisée dans une zone précise du cerveau … Notre mémoire est dynamique et notre cerveau en continuel mouvement et évolution » ( p 33-34). Notre représentation de cette activité est vraiment nouvelle. Elle s’exerce en terme de réseau et dans des modifications constantes. « Notre cerveau se définit par sa plasticité, sa capacité à évoluer sans cesse… Le cerveau se modifie en permanence, et nous pouvons toujours le transformer à nouveau » ( p 35). Dans ces interconnexions, « le souvenir est comme reconfiguré par ce que nous avons vécu depuis, par le contexte présent ». L’imagination prend part au processus.
« Le sens que nous donnons à nos souvenirs dépend également des idées et des valeurs que nous leur attribuons, C’est le rôle de la mémoire sémantique » ( p 37). « La mémoire sémantique contient les mots que nous posons sur les objets, les notions, les concepts, les « vérités générales ». En elle s’inscrit notre connaissance du monde. Elle ne se charge pas, comme la mémoire épisodique, des épisodes, mais de ce que nous en avons déduit ». ( p 38) .Si, à partir de certains évènements vécus, nous avons développé des représentations négatives, une dépréciation de nous-même, cela fait partie également de la mémoire sémantique.. Or, à ce niveau, nous pouvons corriger les croyances qui sont néfastes pour nous en réinterprétant les situations dont elle sont originaires. « Il est tout à fait possible de substituer des croyances dans notre mémoire sémantique implicite. Nous pouvons ainsi « échapper au ressassement d’un souvenir douloureux en travaillant sur celui-ci pour changer d’éclairage » ( p 42). L’auteur cite un écrivain marqué par ses origines sociales et qui parvint à se libérer de ses croyances dévalorisantes en développant une nouvelle interprétation ( p 42-46).
Il y a une troisième mémoire. C’est la mémoire procédurale. C’est « la mémoire de nos habitude ou réflexes, celle qui nous permet de conduire une voiture, de faire du vélo, de jouer du piano… » ( p 46). Les savoir-faire enregistrés dans cette mémoire procédurale résistent au temps qui passe, et même aux atteintes d’Alzheimer.
Aux trois mémoires à long terme évoquées précédemment, s’ajoutent deux mémoires é court terme : la mémoire de travail et la mémoire sensorielle ( p 52-55). « Nous vivons ainsi dans un présent constitué de différentes couches du passé… ».
Le passé, socle de notre identité
« La question de l’identité personnelle est un des problèmes philosophiques les plus passionnants, mais aussi les plus complexes » nous dit Charles Pépin. « Qu’est ce qui nous définit en tant qu’individu singulier, nous distingue de tout autre ? Qu’est ce qui demeure en nous de manière permanente et constitue ainsi le socle de notre identité ? » ( p 85).
Si nous nous interrogeons en ce sens, nous sentons bien combien nous pensons notre être, notre personnalité à travers notre histoire personnelle. L’auteur interroge les philosophes. Ici, nous rejoignons la thèse du philosophe anglais, John Locke : « Les souvenirs nous disent que nous sommes nous-mêmes, ils fondent notre conscience de soi, de cette continuité entre toutes nos perceptions » ( p 86). L’auteur poursuit sa réflexion sur « la fabrique de l’identité » : « Notre mémoire n’est pas seulement le réceptacle de notre itinéraire de vie, susceptible d’éclairer nos comportements, nos réactions et émotions. Nos souvenirs fondent la conviction que la personne qui a vécu tous ces évènements est bien identique à celle qui s’en souvient. Ils fondent la conscience d’une identité qui perdure » ( p 89).
L’auteur évoque ensuite l’œuvre de Marcel Proust : « A la recherche du temps perdu ». Celui-ci explore la portée de ses réminiscences. « Bien que soumis, comme toute chose au passage du temps, le narrateur qui trempe sa madeleine dans son thé et se remémore son enfance réalise que, en dépit des années écoulées, charriant leur lot de plaisirs et de peines… quelque chose de lui est demeuré que Proust nomme « le vrai moi…Ce « vrai moi » prend chez Proust de accents mystiques : il s’agit d’un mois profond, d’un moi immuable, d’une essence de moi qui semble indiquer la possibilité d’une vie éternelle. Et si en effet
ce moi résiste au temps, pourquoi ne résisterait-il pas éternellement ? » ( p 95).
Cette lecture du livre de Charles Pépin nous renvoie à une autre : la lecture du livre de Corinne Pelluchon : « Paul Ricoeur. Philosophie de la recontruction » (4), où elle aborde le thème de l’identité à partir du livre de Paul Ricoeur : « Soi-même comme un autre ». L’auteure envisage l’identité comme « une identité narrative, c’est-à-dire qu’elle se recompose sans cesse » ( p 119). « Parler d’identité narrative signifie d’abord que la connaissance de soi passe par le fait de se raconter, de tisser les différents éléments de sa vie pour leur conférer une unité et un sens qui n’est pas définitif et n’exclut pas les mises en question…. L’identité n’est pas figée ni à priori ; elle se transforme et se construit à travers des histoires que nous racontons sur nous-même et sur les autres, et elle se nourrit des lectures et des interprétations qui enrichissent notre perception du monde et de nous » ( p 120).
Remédier aux blessures du passé
Le passé de chacun est différent. Il s’y trouve des joies et des souffrances, des moments de bonheur et des souffrances, des libérations, mais aussi des blessures dont les effets se poursuivent en forme de ruminations et de dépendances. On peut chercher à oublier ces emprises, mais les souvenirs sont vivaces et parfois reviennent au galop. On peut aussi entrer dans la mémoire pour en transformer les effets. Il y aujourd’hui, de nombreuses approches en ce sens, nous rapporte Charles Pépin. C’est une bonne nouvelle.
Alors on peut rejeter la tentation de l’oubli.
Cependant, l’auteur nous décrit les nombreux comportements qui traduisent une volonté de « tourner le dos à son passé ». Si cette attitude peut réussir dans l’immédiat, elle comporte des risques et peut engendre des situations désastreuses. « L’évitement a un coût psychique ». « Nous n’ignorons pas le passé si aisément…Le garder à l’écart impose une lutte constante, qui peut devenir inconsciente, mais certainement pas gratuite » ( p 110). « Plus dangereux est le traumatisme, plus dangereux est le piège de l’évitement » ( p 116). L’auteur décrit des conduites pathologiques en recherche de l’oubli : travailler pour oublier, boire pour oublier… La situation de l’alcoolique est particulièrement critique. Car son addiction peut déboucher sur une altération de la mémoire « antérograde », c’est-à-dire de la capacité à se constituer de nouveaux souvenirs, à garder en mémoire ce qui vient d’être vécu », une faculté compensatrice.. ( p 122-124). « Puisque l’évitement est dangereux, l’oubli impossible, il nous faut donc apprendre à vivre avec notre passé, à « faire la paix » avec lui » ( p 142).
Durant ces dernières décennies, de grands progrès ont été réalisé en psychologie (5) et la gamme des approches s’est considérablement élargie. C’est dans ce contexte que Charles Pépin a écrit un chapitre : « intervenir dans son passé ». Son approche est globale et ne se limite pas à telle ou telle thérapie. « La vie nous offre parfois de porter un autre regard sur notre passé, de changer notre perception de celui-ci. L’élément déclencheur peut aussi bien être une discussion avec un aïeul, une rencontre qui nous ouvre de nouvelles perspectives, une empathie nouvelle pour quelqu’un qui nous a causé du tort, ou encore le temps qui passe et qui crée une distance salutaire…ou tout simplement une joie de vivre retrouvée, une période plus heureuse qui recolore le passé… Notre histoire nous apparait sous un nouveau jour… Nous voilà tout naturellement apaisés, libérés… » ( p 182)..
« Mais il arrive que la vie ne nous offre pas les conditions suffisantes, propices à une rémission de l’hier…. Nous sommes enfermés dans nos ruminations. Certains passés traumatiques rendent alors nécessaires d’intervenir dans notre passé, parfois avec l’aide d’un thérapeute. Les techniques développées dans ce chapitre sont pour la plupart issues des « thérapies de reconsolidation de la mémoire », mais elles dessinent une voie d’intervention que chacun de nous peut mettre en œuvre seul… Ces techniques reposent sur la méthode suivante : intervenir sur le souvenir en modifiant l’émotion ou l’interprétation qui y sont attachées » ( p 183-184). L’auteur propose donc trois approches : Changer la règle de vie implicite attachée au souvenir ; développer une technique d’habituation au mauvais souvenir ; faire intervenir un personnage fictif dans ses souvenirs : les techniques de reparentage (imaginer une figure aimante et bienveillante appelée figure de « reparentage » qui intervient au cœur de l’épisode douloureux remémoré).
A titre d’exemple, rapportons la première approche. Elle consiste à sortir un souvenir de notre mémoire à long terme pour le retraiter dans notre mémoire de travail avant de le « renvoyer » dans notre mémoire de long terme…. Si nous ne pouvons pas effacer un souvenir de notre mémoire épisodique, nous pouvons en revanche effacer ou réinterpréter une règle de vie implicite dans notre mémoire sémantique, déconstruire cette « vérité émotionnelle, héritée de notre passé qui nous entrave » ( p 184).
Charles Pépin évoque trois penseurs contemporains en fin de de XIXè et début de XXè siècle : Bergson, Freud et Proust qui, tous les trois, ont porté une grande attention à la mémoire et à la question du temps ( p 204-206). Il aborde ensuite « la psychanalyse freudienne, un retour au long cours sur son passé ». il rapporte l’évolution de la pratique psychanalytique. « La cure psychanalytique nous guide dans une nouvelle manière de dire les choses, comme elles viennent, sans souci de cohérence, ni de censure morale. Elle nous apprend à diverger et éclairer soudain notre passé d’un jour nouveau ». L’auteur voit dans « cet art de la divergence », « le meilleur antidote du ressassement » ( p 214).
Prendre appui sur son passé
Si le passé peut nous déranger par le souvenir de certaines expériences malheureuses qui stagnent encore et viennent nous assombrir, à l’inverse nous pouvons y trouver force, soutien et consolation. Charles Pépin évoque cet apport positif dans un chapitre : « Prendre appui sur son passé ». Ici, l’auteur se réfère de nouveau à Bergson. « Un désir authentique, en adéquation avec soi-même, explique Bergson, ressaisit toute notre histoire et nous conduit à un objectif qui prend un sens profond pour nous ».
« Lors d’une conférence donnée à Madrid, Henri Bergson synthétise cette idée de ressaisir notre passé pour nous projeter dans l’avenir sous le concept de « récapitulation créatrice » ( p 149). Comme à son habitude, et c’est un apport très riche de son livre qui, par définition, ne peut être mis en valeur par un simple compte-rendu, Charles Pépin appuie son propos par des exemples vivants. Fils de boulanger, dans sa première jeunesse, cet homme avait quitté sa ville natale pour monter à Paris. A l’aube de la trentaine, il fut pris de doutes. Lassé par un travail qui ne lui apportait pas les satisfactions que procure l’artisanat, il reprit l’affaire familiale et fit prospérer cette boulangerie en usant des savoirs appris par ailleurs. Ainsi doit-il le succès de sa reprise de l’entreprise paternelle à la synthèse qu’il a su faire entre ses souvenirs d’enfance et ses expériences professionnelles. Il a récapitulé l’ensemble de son histoire en se montrant créatif pour inventer sa manière personnelle d’être boulanger » ( p 150).
« Dans son « Essai sur les données immédiates de la conscience », Bergson écrit : « Nous sommes libres quand nos actes émanent de notre personnalité entière, quand ils l’expriment… ». Cette réflexion peut éclairer nos choix. « Notre acte est libre parce que nous nous y « retrouvons ». Toute notre identité s’y exprime comme si notre vie entière devait nous avoir conduit à ce point et à cette prise de décision ». ( p 156-157).
Dans « La pensée et le mouvement », Bergson emploie une jolie expression, « la mélodie continue de notre vie intérieure » pour évoquer ce moment ou nous rencontrons une activité qui nous correspond et nous offre un espace d’expression nouveau : c’est comme si nous entendions notre mélodie intérieure » ( p 165).
Chez Bergson, ce regard sur la vie s’inspire d’une pensée, d’une métaphysique : « la Vie et un « Elan vital », une force de créativité fondamentale qui pulse au cœur même du vivant, de tous les vivants… l’Elan vital se particularise en chacun de nous et, en ce sens, nous manifestons tous une part de cette Vie, de cette force métaphysique que Bergson qualifie de divine » ( p 186-174). « Notre personnalité est plus que le résultat de notre passé, que « la condensation » de l’histoire que nous avons vécue depuis notre naissance » comme l’écrit Bergson dans « L’Evolution créatrice ». Elle est notre identité, mais propulsée vers l’avant, traversée par cette force de vie qui nous pousse à agir, à créer » ( p 174). « Cet Elan vital nous pousse aussi à nous tourner vers les autres, vers le monde, vers l’avenir. Il nous appelle à prendre notre part de responsabilité et nourrir nos élans de générosité. Ainsi l’Elan vital devient une force de décentrement… Nous sentons que la vie qui pulse en nous n’est pas simplement la nôtre, que nous sommes plus que de simples individus isolés : nous appartenons à un tout dont nous sommes solidaires » ( p 178). Tout cela contribue à éviter de ressasser en nous ouvrant au mouvement de la vie ( p 181).
Aller de l’avant avec son passé
Ainsi, dans un chapitre final, Charles Pépin nous invite à aller de l’avant avec notre passé ». L’auteur aborde là des questions sensibles comme la question du pardon ou l’épreuve du deuil. Ce sont là des passages difficiles à franchir. Comme ces thèmes sont complexes, ils demanderaient une analyse approfondie, et après la présentation déjà approfondie de ce livre, nous renvoyons à une lecture directe de ces textes.
Charles Pépin évoque également le soutien que les souvenirs peuvent apporter dans cette marche en avant. Notre mémoire vivante. De nouvelles expériences, de nouveaux intérêts, de nouvelles joies peuvent susciter de nouveaux souvenirs. Et, le cas échéant, ceux-ci pourront « empiéter » sur les mauvais souvenirs, les diluer, et faciliter ainsi notre acceptation du passé (p 231).
Cependant, en terminant cette présentation, nous mettrons l’accent sur un aspect qui nous parait essentiel : l’usage de notre mémoire positive, la remémoration émotionnelle de nos bons souvenirs. « Nous l’oublions trop souvent, mais nous avons ce pouvoir de redonner vie aux belles choses du passé, de les convoquer avec créativité : nos souvenirs heureux, eux aussi, doivent être reconsolidées. Quel dommage de les laisser à l’état de veille, enfouis dans les limbes de notre mémoire, de nous priver de leur éclat, du réconfort qu’ils peuvent nous apporter, du désir de vivre qu’ils peuvent nourrir ici et maintenant » ( p 217). L’auteur ajoute : « Pour goûter à nouveau les plaisirs passés, il faut se montrer non seulement disponible, mais aussi capable de leur ouvrir la porte, d’en tirer le fil avant de se laisser envahir. Comme Proust nous l’a montré, il faut donner au souvenir l’opportunité de revenir dans sa richesse, et non simplement le laisser passer…» ( p 219). Cette culture de la mémoire peut se développer sur tous les registres. L’auteur cite ainsi un texte paru dans « Les confessions » de Saint Augustin une invitation inspirée à retrouver l’éblouissante présence du passé : « Et j’arrive aux plaines, aux vastes palais de la mémoire, là où se trouvent les trésors des images innombrables… ». « iI n’appartient qu’à nous d’exhumer ces trésors pour les contempler » (p 217).
Le livre de Charles Pépin ne nous apporte pas seulement des orientations de réflexion. Il est nourri par des récits d‘expérience. Il permet à un vaste public de s’interroger sur la manière de mieux vivre avec le passé. Bien sûr, ce livre éveille des échos
Dans nos épreuves, c’est bien aux fondations de notre personnalité que nous faisons appel, telles qu’elles sont imprégnées par l’inspiration qui nous porte. C’est bien la mémoire qui entre en jeu. Nous pouvons évoquer d’autres expériences où les souvenirs peuvent nous encourager et nous soutenir. Ainsi pour ceux qui sont assignés à des lieux clos dans toute leur variété de l’ehpad à la prison, les souvenirs heureux peuvent être revécus et importer une forme de bonheur. Una amie, accompagnatrice de nuit dans un ehpad, nous rapportait que le positif dans ses conversations avec les personnes âgées résidait souvent dans leur évocation de souvenirs heureux.
Si nous savons porter notre regard sur le bon et le beau que nous pouvons voir dans le passé, alors nous pouvons exprimer de la gratitude. Pour moi, j’aime le petit chant qui nous invite à « compter les bienfaits de Dieu » et à manifester ma reconnaissance. La gratitude est une composante de la vie spirituelle (6). Comme nous sommes des êtres interconnectés, cette reconnaissance n’est pas seulement individuelle. Elle est collective et elle apparait ainsi dans l’expression biblique. Et si nous pouvons trouver dans notre passé des motifs de gratitude, on sait maintenant, grâce à la recherche en psychologie et en neurosciences, les bienfaits qu’une expression de gratitude engendre en terme de santé mentale et corporelle (7). En inscrivant le déroulement de notre passé dans cet « Elan vital » que Bergson nous décrit, Charles Pépin nous appelle à entrer dans une dynamique pour « vivre avec notre passé »`
J H
- Charles Pépin. Vivre avec son passé Une philosophie pour aller de l’avant. Allary Editions, 2023. Il y a maintenant plusieurs vidéos dans lesquelles Charles Pépin est interviewé sur son livre :France inter : https://www.google.fr/search?hl=fr&as_q=vivre+avec+son+passé++You+Tube&as_epq=&as_oq=&as_eq=&as_nlo=&as_nhi=&lr=&cr=&as_qdr=all&as_sitesearch=&as_occt=any&as_filetype=&tbs=#fpstate=ive&vld=cid:4cf8c2c6,vid:KrKgEkytwxU,st:0 Librairie Mollat : https://www.google.fr/search?hl=fr&as_q=vivre+avec+son+passé++You+Tube&as_epq=&as_oq=&as_eq=&as_nlo=&as_nhi=&lr=&cr=&as_qdr=all&as_sitesearch=&as_occt=any&as_filetype=&tbs=#fpstate=ive&vld=cid:6c804f91,vid:RDMoO2srfr0,st:0 Métamorphose. Eveille ta conscience : https://www.google.fr/search?hl=fr&as_q=vivre+avec+son+passé++You+Tube&as_epq=&as_oq=&as_eq=&as_nlo=&as_nhi=&lr=&cr=&as_qdr=all&as_sitesearch=&as_occt=any&as_filetype=&tbs=#fpstate=ive&vld=cid:c63c05a8,vid:rAWIN_utqX4,st:0
- Charles Pépin. Wikipedia https://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Pépin
- Comment, en son temps, le philosophe Henri Bergson a répondu à nos questions actuelles : https://vivreetesperer.com/comment-en-son-temps-le-philosophe-henri-bergson-a-repondu-a-nos-questions-actuelles/
- Corinne Pelluchon. Paul Ricoeur, philosophe de la reconstruction. Soin, attestation, justice. Presses Universitaires de France, 2022
- Les progrès de la psychologie. Un grand potentiel de guérison : https://vivreetesperer.com/les-progres-de-la-psychologie-un-grand-potentiel-de-guerison/
- Avoir de la gratitude. Bertrand Vergely : https://vivreetesperer.com/avoir-de-la-gratitude/
- La gratitude. Un mouvement de vie. Florence Servan-Schreiber : https://vivreetesperer.com/la-gratitude-un-mouvement-de-vie/
par jean | Juin 9, 2024 | ARTICLES, Société et culture en mouvement |
Une nouvelle pensée économique selon Eloi Laurent
Pour réaliser les transformations économiques requises urgemment par la crise écologique, nous avons besoin de considérer l’économie sous un jour nouveau. C’est pourquoi Eloi Laurent nous propose un livre intitulé : « Économie pour le XXIe siècle. Manuel des transitions justes » (1). Eloi Laurent est enseignant-chercheur à l’OFCE/Sciences Po et à Ponts Paris Tech et à l’international ; il a enseigné dans les universités Harvard et Stanford. Il est donc bien placé pour constater « la perplexité croissante des étudiants » vis-à-vis de l’enseignement d’une « économie aveugle à l’écologie comme s’il s’agissait de deux mondes parallèles ».
« Économiste engagé dans le débat public, il jette ici un regard critique et constructif sur sa discipline ». « Ce manuel innovant propose une économie pour le XXIe siècle, qui intègre défis écologiques et enjeux sociaux : une économie qui part de la biosphère plutôt que de la traiter comme une variable d’ajustement ; une économie qui place au centre la crise des inégalités sociales plutôt que l’obsession de la croissance ; une économie organique en prise avec le vivant dont nous dépendons ; une économie en dialogue avec les autres disciplines. En somme, une économie mise au service des transitions justes qui ont pour but de préserver notre planète et nos libertés » (page de couverture).
Comme la prise de conscience écologique nous a appelé à étudier sur ce blog des pistes de transformation dans différents domaines, depuis l’économie (2) et la socio-politique (3) ou l’environnementalisme (4) jusqu’à la philosophie (5) et la spiritualité (6), cet ouvrage est particulièrement bienvenu car il nous offre un chemin qui allie la prise en compte des effets mortifères des inégalités et des politiques écologiques pour tracer le chemin de ‘transitions justes’.
Ce livre s’organise en deux grandes parties .« La première partie présente un cadre, une méthode et des outils pour insérer l’économie entre la réalité écologique et les principes de justice. La seconde partie applique cette approche social-écologique à toutes les grandes questions de notre temps : la biodiversité, les écosystèmes, l’énergie, le climat, etc… et donne à voir tous les leviers d’action pour mener à bien des transitions justes : Nations unies, Union européenne, gouvernement français, territoires, entreprises, communautés » (page de couverture). On se reportera à ces différents champs d’étude. Nous introduirons ici le lecteur à la manière dont Eloi Laurent présente les attendus de la nouvelle économie et l’approche sociale-écologique au cœur de cette vision nouvelle
Ce que l’économie savait, ce qu’elle a oublié, ce qu’elle peut encore nous apprendre.
Pour réussir la transition écologique, il serait bon de pouvoir éclairer et guider les changements économiques nécessaires par des savoirs économiques. C’est là que l’auteur met en évidence le manque de pertinence des sciences économiques actuelles. « L’économie standard s’est enfermée au cours des dernières décennies du siècle précédent dans une approche beaucoup trop étroite de la coopération sociale et du développement humain, fixée sur des obsessions abstraites telle que l’efficacité, la rentabilité ou la croissance, qui la rendent trop inopérante aujourd’hui. Ce faisant, elle a méprisé sa propre richesse, ignoré son écodiversité, et négligé de s’interroger sur les conditions de possibilité de l’activité économique » (p 10).
Or, en remontant aux origines, puis dans l’histoire de l’économie politique, on découvre que celle-ci a longtemps tenu grand compte des ressources naturelles et de l’environnement.
« Contrairement aux apparences contemporaines, il apparait que l’analyse économique a développé très tôt une double préoccupation pour la justice et pour la question écologique et même pour l’articulation de ces deux thématiques » (p 15). L’auteur remonte aux origines. L’économie a été inventée en Grèce, il y a 2500 ans par Xénophon, propriétaire administrant un domaine agricole, et par Aristote dans sa ‘Politique’. Chez Aristote, l’économie, c’est « la discipline de la sobriété au service des besoins essentiels. C’est donc une discipline qui concilie les besoins des humains avec les contraintes de leur environnement. Quand l’économie devient ‘économie politique’ à l’époque moderne, les premiers « économistes font de la nature la source de la richesse et l’origine du pouvoir ». (p 15-16). C’est au XVIIIe siècle qu’une pensée économique émerge à nouveau. « Les premiers économistes sont les physiocrates, un groupe de philosophes et de responsables politiques français. Ils ont été les premiers à construire un modèle cohérent de représentation de l’économie où les ressources naturelles jouaient un rôle central. Les physiocrates nous aident à comprendre le lien essentiel entre ressources naturelles, pouvoir politique et justice sociale. Cette analyse se prolonge avec les travaux de l’école classique anglaise » (p 16-19). L’auteur évoque ici David Ricardo et John Stuart Mill. Alors qu’en 1848, la première révolution industrielle atteint son pinacle, John Stuart Mill envisage un ralentissement de la croissance, un ‘état stationnaire’. « Où tendons nous ? A quel but définitif la société marche-t-elle avec son progrès industriel ?… Les économistes n’ont pas manqué de voir plus ou moins distinctement que l’accroissement de la richesse n’est pas illimité ; qu’à la fin de ce qu’on appelle l’état progressif se trouve l’état stationnaire… ». Et, dès cette époque, il pressent et envisage la question écologique : « Si la terre doit perdre une grande partie de l’agrément qu’elle doit aux objets, que détruirait l’accroissement continu de la richesse et de la population… j’espère sincèrement pour la postérité qu’elle se contentera de l’état stationnaire longtemps avant d’y être forcée par la nécessité ». Eloi Laurent commente ainsi : « La nature révolutionnaire du questionnement de John Stuart Mill sur les finalités mêmes de l’économie capitaliste libérale réside dans sa compréhension de l’impact profond que les sociétés humaines ont déjà, de son temps, sur la biosphère ». D’une manière positive, John Stuart Mill précise : « Ce ne sera que quand, avec de bonnes institutions, l’humanité sera guidée par une judicieuse prévoyance, que les conquêtes faites sur les forces de la nature par l’intelligence et l’énergie des explorateurs scientifiques deviendront la propriété commune de l’espèce et un moyen d’améliorer et d’élever le sort de tous » (p 41-42).
Eloi Laurent nous montre ensuite le tournant intervenu dans les sciences économiques au XXe siècle. D’après Dani Rodrik, « l’économie serait différente des autres sciences sociales (et pour tout dire supérieure), du fait de sa maitrise des modèles, autrement dit de représentations simplifiées et opératoires des comportements humains, lesquels permettraient d’identifier des relations causales. L’économie du XXe se serait ainsi progressivement singularisée par l’amélioration de ses techniques quantitatives, prenant appui sur la formalisation mathématique pour développer l’économétrie, la théorie des jeux jusqu’à l’économie computationnelle et le big data d’aujourd’hui. En réalité, la question des instruments apparait secondaire dans l’émancipation de l’économie au XXe siècle. La véritable rupture n’est pas formelle mais substantielle : c’est la rupture avec la philosophie, l’éthique et la justice » (p 42). L’auteur rappelle que les enjeux de répartition et les principes de justice étaient au cœur de l’œuvre des pères fondateurs de ce qu’on a appelé ‘l’économie politique’. Mais force est de constater que ces enjeux ont été marginalisés et finalement presque oblitérés dans les dernières décennies du XXe siècle. Cet aveuglement progressif dans les travaux de l’école néoclassique a été aggravé par la focalisation sur le court terme par l’approche keynésienne.
L’auteur met en évidence « la relégation de l’enjeu de la justice par rapport à celui de l’efficacité » dans les publications en économie à partir de la fin du XIXe siècle. Ce n’est qu’à partir des années 2000 que « l’économie des inégalités a fait un retour remarqué ».
Eloi Laurent nous propose également une histoire du développement de l’économie de l’environnement à partir du milieu du XIXe siècle. Au début des années 1960, une économie écologique émerge comme une réponse au défi de la soutenabilité déjà cristallisé par la publication du rapport Brundtland publié dans le cadre d’une commission des Nations Unies en 1987, qui définit pour la première fois le ‘développement soutenable’ (ou durable) comme « un mode de développement qui répond aux besoins des générations présentes, sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs » (p 50).
Cependant, malgré les recherches sur l’économie de l’environnement pendant un siècle et demi, cette discipline est encore négligée dans le domaine de l’économie. « Dans leur grande majorité, les économistes ignorent les questions environnementales, au double sens de l’inculture et de l’indifférence » (p 50). Cette affirmation s’appuie sur un examen de la littérature économique contemporaine. « Ce désintérêt est d’autant plus préjudiciable que la transition écologique est désormais un enjeu de sciences sociales : les sciences dures ont largement œuvré pour révéler l’ampleur et l’urgence des crises écologiques ». Aujourd’hui, « ce sont les sciences sociales, dont l’économie, qui détiennent la clé des problèmes que les sciences dures ont révélés » (p 56).
Une approche sociale-écologique
Pour des transitions justes.
Un constat s’impose aujourd’hui : les ravages provoqués par la montée croissante des inégalités. « Nos sociétés sont devenues de plus en plus inégalitaires., fragmentées et polarisées au cours des quarante dernières années tandis que les dégradations environnementales s’accéléraient pour atteindre des niveaux inédits. La crise des inégalités et les crises écologiques marchent du même pas. Les 35 pays considérés comme les plus riches, qui ne représentent que 15% de la population mondiale sont ainsi responsables de75% de la consommation démesurée des ressources naturelles depuis 1970. Et la moitié des émissions de CO2 depuis 1990 est le fait de seulement 10% des humains » (p 8). « Nos systèmes sociaux – à commencer par nos systèmes économiques – sont devenus autodestructeurs et l’avidité d’une partie des humains est devenue préjudiciable à la poursuite de l’avenir de l’humanité. C’est pourquoi nous devons trouver un moyen d’inverser la spirale social-écologique vicieuse dans laquelle nous sommes pris » (p 9).
C’est dans cette perspective qu’Eloi Laurent met en évidence le rapport réciproque entre les inégalités et les effets de la crise écologique.
« ° La non-transition écologique – c’est-à-dire la situation actuelle dans laquelle les crises écologiques s’aggravent sans trouver de réponse adéquate – est génératrice d’inégalités sociales qui touchent d’abord les plus démunis.
° La nécessaire réduction des inégalités sociales peut atténuer les crises écologiques et réciproquement les politiques de transition écologique peuvent réduire les inégalités sociales et améliorer le bien-être des plus démunis.
° On peut concevoir des politiques social-écologiques qui, aujourd’hui, comme dans la durée, réduisent simultanément les inégalités sociales et les dégradations environnementales » (p 100).
Eloi Laurent consacre un chapitre à l’approche social-écologique (p 74-98). Il y aborde en premier les questions relatives à la gestion des communs : « De la tragédie des communs à la gouvernance des communs ». Mal gouvernés, les communs peuvent dégénérer. C’est ainsi qu’en 1968, Garett Hardin évoque ‘la tragédie des communs’. L’image est celle de « bergers épuisant le pâturage qu’ils partagent sans le posséder, faute de s’en répartir équitablement l’usage ». Hardin propose comme remède « soit de privatiser la ressource naturelle, soit d’instituer ‘une coercition réciproque par acceptation mutuelle’, autrement dit de recourir à un autorité centrale qui monopolisera le pouvoir de choisir et qui ressemble fort à un gouvernement dictatorial » (p 75). Pendant les décennies qui suivirent, l’article de Hardin « fut annexé par une pensée néolibérale en plein essor qui en fait l’emblème de sa lutte en faveur de la propriété exclusive comme seul outil rationnel de gestion des ressources » (p 75).
Cependant, si on a décrit deux solutions à la ‘tragédie des communs’ : la centralisation politique ou la privatisation, une troisième option apparait : « une révolution des communs dont Ostrom est le porte-étendard ». « Les travaux d’Ostrom et de ses nombreux coauteurs vont démontrer que les institutions qui permettent la préservation des ressources par la coopération sont engendrées par les communautés humaines elles-mêmes et pas par l’État, ni par le marché. Des centaines de gouvernances décentralisées évitent, partout dans le monde et depuis des millénaires, la tragédie des communs en permettant l’exploitation soutenable de toutes sortes de ressources : eau, forêts, poissons, etc » (p 78). En exemple, le partage de l’eau depuis le début de l’agriculture, il y a 10000 ans… « Ces principes de gouvernement écologique émanent des communautés humaines elles-mêmes, pas d’une autorité extérieure ». Toutes les informations sont ainsi à portée et nourrissent l’action. Quant à elle, la privatisation engendre l’inégalité.
« Dans ce cadre d’analyse, on voit clairement l’importance de la relation – horizontale, mais souvent négligée – entre préservation naturelle et confiance. Ce n’est donc pas un hasard si Ostrom a aussi contribué de manière décisive à la littérature sur la confiance en lien avec la coopération » (p 78). « Selon Ostrom, les individus qui coopèrent sont capables d’apprendre des autres ; Ils se souviennent des comportements de coopération et plus généralement de la fiabilité des personnes auxquelles ils ont affaire ; ils utilisent leur mémoire et d’autres indices… pour évaluer la fiabilité de leurs partenaires dans l’échange, avant de leur accorder leur confiance ; ils s’efforcent de se bâtir une réputation de fiabilité… ils adoptent des horizons temporels qui excèdent le passé immédiat… La coopération est une quête de connaissances partagées » (p 79). Ainsi, « grâce à Ostrom, on sait maintenant que des institutions communes enracinées dans des principes de justice, même réduites à leur plus simple expression, favorisent les comportements coopératifs. La théorie des communs d’Ostrom constitue donc la première matrice de l’approche sociale-écologique » (p 80).
L’approche sociale-écologique considère la relation réciproque entre dynamique sociale et dynamique environnementale en se concentrant sur le caractère imbriquée des deux crises qui caractérisent le début du XXIe siècle. A cet égard, l’approche sociale-écologique fonctionne à double sens : les inégalités sociales alimentent les crises écologiques tandis que les crises écologiques aggravent à leur tour les inégalités sociales » (p 80).
« L‘impact social des crises écologiques n’est pas le même pour les différents individus et groupes compte tenu de leur statut socio-économique » (p 81). L’auteur étudie l’incidence des riches et des pauvres sur l’environnement. « Du côté des riches, le sociologue Thomas Veblen a montré dans sa ‘Théorie de la classe de loisir’ que le désir de la classe moyenne d’imiter les modes de vie des classes les plus favorisées peut conduire à une épidémie culturelle de dégradations environnementales ». C’est l’attrait d’une ‘consommation ostentatoire’. Dans un autre registre, Indira Gandhi faisait remarquer que dans les pays les plus démunis, « la pauvreté conduit à des dégradations environnementales du fait de l’urgence sociale ». La richesse des pays pauvres du monde résidant d’abord dans les ressources naturelles, ils sont contraints à y puiser excessivement. « L’éradication de la pauvreté est donc souhaitable non seulement socialement, mais aussi sur le plan environnemental, à condition qu’elle ne prenne pas la forme d’un rattrapage consumériste, mais s’inscrive dans une redéfinition de la richesse globale » (p 83). « Les inégalités augmentent le besoin d’une croissance économique néfaste pour l’environnement et socialement inutile… Si l’accumulation de richesse dans un pays donné est accaparée par une petite fraction de la population, le reste de la population réclamera une croissance économique supplémentaire pour que son niveau de vie ne stagne pas ». Et, dans l’état actuel des choses, ce surplus de croissance « se traduira par davantage de dégradations environnementales ».
Comment réduire les inégalités ? « Par définition, il existe deux manières de les réduire: du bas vers le haut ou du haut vers le bas. Réduire les niveaux des groupes des plus riches de la population mondiale (les 10% qui émettent un peu moins de la moitié du CO2 mondial, d’après les analyses du GIEC en 2022) via une fiscalité adéquate se traduira logiquement par d’importantes réductions d’émission. De plus, les biens de ‘luxe’ engendrent beaucoup plus d’émissions de carbone que les biens de ‘nécessité’ (p 86).
Dans ce cadre, veiller à une transition juste : « Dans l’Union européenne, alors que les émissions par habitant ont baissé en moyenne de l’ordre de 25% entre 1990 et 2013, les émissions de 1% des plus riches ont augmenté de 7% (principalement sous l’effet du transport aérien et, dans une moindre mesure, terrestre) tandis que celles des 50% des plus pauvres ont baissé de 32%. Nous vivons donc une transition injuste dans le continent le plus avancé dans l’atténuation de la crise climatique » (p 87).
De plus, « Les inégalités augmentent l’irresponsabilité écologique des plus riches à l’intérieur de chaque pays et entre les nations ». On constate ainsi que le dommages environnementaux (activités polluantes, déchets) sont souvent affectés aux zones pauvres. « Les inégalités, qui affectent la santé des individus et des groupes, diminuent la résilience social-écologique des communautés et des sociétés, et affaiblissent leur capacité collective à s’adapter à l’accélération du changement environnemental global ». « Un important corpus de recherches… a confirmé l’impact négatif des inégalités sociales sur la santé physique et mentale aux niveaux local et national (via le stress, la violence, un moindre accès aux soins de santé etc.) » (p 91). Selon Paul Farmer, l’inégalité constitue un « fléau moderne » sur le plan sanitaire aussi redoutable que les agents infectieux. De même, la dynamique des inégalités sociales influe sur la résilience ou au contraire la vulnérabilité des populations exposées à de grands chocs. Et de plus, « Les inégalités entravent l’action collective visant à préserver les ressources naturelles… De nombreuses études ont montré comment l’inégalité nuit à la gestion durable des ressources communes car elle perturbe, démoralise et désorganise le communautés humaines » (p 92). De même, « les inégalités réduisent l’acceptabilité politique des préoccupations environnementales et la possibilité de compenser les effets socialement régressifs potentiels des politiques environnementales » (p 94).
Les horizons de la transition juste
« L’approche sociale-écologique, dont on vient de détailler les deux facettes, trouve depuis quelques années une traduction institutionnelle porteuse d’avenir dans l’idée de ‘transition juste’ qui monte en puissance dans le champ académique et dans la sphère politique. Ainsi, lors de la Cop 26 (novembre 2021), plusieurs chefs d‘état et de gouvernement ont co-signé une déclaration sur « la transition internationale juste » (p 96). Eloi Laurent nous rapporte l’évolution de cette notion. « Elle est née au début des années 1990 dans les milieux syndicalistes américains comme un projet social défensif visant à protéger les travailleurs des industries fossiles des conséquences des politiques climatiques sur leurs emplois et leurs retraites ». Ce projet a trouvé par la suite un écho dans d’autres contextes. « Dans cette perspective défensive, ce sont les politiques de transition qu’il s’agit de rendre justes. Or l’amplification des chocs écologiques (inondations, sécheresses, pandémies, etc.), indépendamment des politiques d’atténuation qui seront mises en œuvre pour y faire face, appelle une définition plus large et plus positive de la transition juste. Cet élargissement a été entamé sous l’influence de la Confédération internationale des syndicats, puis de la confédération européenne des syndicats, qui ont fait évoluer la transition juste vers une tentative de conciliation de la lutte contre le dérèglement climatique et la réduction des inégalités sociales, autour du thème des « emplois verts »… Eloi Laurent se réjouit de cette évolution, mais appelle à aller encore plus loin. « Il convient d’élargir encore le projet de transition juste en précisant ses exigences et surtout en s’efforçant de la rendre opératoire de manière démocratique… La transition juste ne doit plus seulement s’entendre comme un accompagnement social ou une compensation financière des politiques d’atténuation des crises écologiques, mais plus largement comme une stratégie de transition social-écologique intégrée » (p 97).
Eloi Laurent formule en conclusion trois exigences:
1) analyser systématiquement les chocs écologiques et les politiques correspondantes, sous l’angle de la justice sociale…
2) accorder la priorité dans les politiques de transition juste au bien-être humain dynamique éclairé par des enjeux de justice en vue de dépasser l’horizon de la croissance économique… Ce dépassement de la croissance économique est en train de devenir un élément de consensus dans la communauté globale environnementale
3) construire ces politiques de transition juste de manière démocratique en veillant à la compréhension, à l’adhésion et à l’engagement des citoyens… » (p 98).
Eloi Laurent présente ensuite la palette des transitions justes.
En économiste ouvert à un vaste horizon, Eloi Laurent nous apprend beaucoup sur la transition, un leitmotiv de notre époque. C’est ainsi que nous avons découvert son approche dans un podcast du journal Le Monde : « Comment rendre la transition heureuse », une approche qui nous a paru particulièrement ajustée (7). En présentant ce livre : « Manuel des transitions justes », nous n’en rendons compte que d’une petite part, car cet ouvrage aborde toute une gamme de questions relatives à la transition depuis : « la transition vers la préservation du monde vivant », « la transition vers la coopération et le bien-être » jusqu’à la « transition vers la pleine santé ». Il nous apparait ainsi comme une pièce marquante d’un des quelques thèmes que nous abordons sur ce blog. Certes, son propos est dense, mais il est accessible et, manifestement, il aborde la question majeure de la transition écologique sous un angle qui nous parait à la fois éthique et réaliste, cette « transition juste » qui se déploie dans une approche « social-écologique ».
J H
(1) Eloi Laurent. Économie pour le XXIe siècle. Manuel des transitions justes. La Découverte, 2023
(2) Sortir de l’obsession de l’efficience pour entrer dans un nouveau rapport avec la nature : https://vivreetesperer.com/sortir-de-lobsession-de-lefficience-pour-entrer-dans-un-nouveau-rapport-avec-la-nature/ Vers une civilisation écologique : https://vivreetesperer.com/vers-une-civilisation-ecologique/
Vers une économie symbiotique : https://vivreetesperer.com/vers-une-economie-symbiotique/
(3) Face à une accélération et à une chosification de la société : https://vivreetesperer.com/face-a-une-acceleration-et-a-une-chosification-de-la-societe/
Comment la puissance technologique n’engendre pas nécessairement le progrès : https://vivreetesperer.com/comment-la-puissance-technologique-nengendre-pas-necessairement-le-progres/
(4) L’humanité peut-elle faire face au dérèglement des équilibres naturels ? : https://vivreetesperer.com/lhumanite-peut-elle-faire-face-au-dereglement-des-equilibres-naturels/
(5) Les lumières à l’âge du vivant : https://vivreetesperer.com/des-lumieres-a-lage-du-vivant/
(6) Réenchanter notre relation au vivant : https://vivreetesperer.com/reenchanter-notre-relation-au-vivant/ Ecospiritualité : https://vivreetesperer.com/ecospiritualite/
(7) Comment rendre la transition heureuse ? le Monde. Eloi Laurent : https://podcasts.lemonde.fr/chaleur-humaine/202404090500-climat-comment-rendre-la-transition-heureuse