Empathie est un terme de plus en plus fréquemment employé. Sciences Humaines, dans son numéro de juin 2017, nous offre un dossier sur l’empathie (1).
« L’empathie est une notion désignant la compréhension des sentiments et des émotions d’un autre individu, voire, dans un sens plus général de ses états non émotionnels, de ses croyances. En langage courant, ce phénomène est souvent rendu par l’expression : « se mettre à la place de l’autre ». Cette compréhension se traduit par un décentrement, et peut mener à des actions liées à la survie du sujet visé par l’empathie. Dans l’étude des relations interindividuelles, l’empathie est donc différente des notions de sympathie, de compassion, d’altruisme qui peuvent en résulter ». Cette définition de Wikipedia (2) converge avec les significations dégagées par SciencesHumaines : « L’empathie cognitives consiste à comprendre les pensées et intentions d’autrui… L’empathie affective est la capacité de comprendre, non pas les pensées, mais les émotions d’autrui…L’empathie compassionnelle est l’autre nom de la sollicitude. Elle ne consiste pas simplement à constater la souffrance ou la joie d’autrui, mais suppose une attitude bienveillante à son égard ». Ainsi, en regard d’un individualisme égocentré, l’empathie fonde une relation attentionnée à autrui : « Se mettre à la place des autres ». Elle débouche sur la sollicitude, sur la bienveillance, sur la sympathie. C’est une capacité qui nourrit les relations humaines.
La montée de l’empathie
Pour qui perçoit les expressions de ceux qui s’intéressent à la vie humaine et à sa signification, à la fois sur le Web et dans la littérature courante, il apparaît que le terme : empathie est de plus en plus employé. Et on observe la même évolution positive pour un terme comme : bienveillance. On ressent là un changement d’attitude, une évolution dans les représentations comme si un nouveau paradigme émergeait peu à peu dans la vie sociale. A une époque troublée comme la notre, où les menaces abondent, où la violence s’exprime de diverses manières, notamment sur le Web, n’y aurait-il pas là une tendance à long terme qui soit pour nous une source d’encouragement et d’espoir. Dans ce dossier de Sciences Humaines, un article introductif de Jean-François Dortier : « Empathie et bienveillance, révolution ou effet de mode ? », nous aide à y voir plus clair (3).
« Comment un mot quasi inconnu, il y a un demi-siècle, a pris autant d’importance en si peu de temps ? Ce succès du mot en dit long tant sur la façon de penser les rapports humains que sur nos attentes dans ce domaine ». Jean-François Dortier nous présente ainsi un graphique très évocateur sur l’usage du mot « empathie » dans les livres de langue française de 1950 à aujourd’hui. En lente progression durant les décennies 1960, 1970 et 1980, l’usage grimpe en flèche dans les décennies 1990 et 2000.
De fait, cette progression est d’autant plus puissante que la recherche sur ce thème et l’intérêt qu’il éveille, s’exerce dans une grande variété de champs. « Dans le monde animal, l’éthologue Franzde Waal se taille de beaux succès avec ses ouvrages sur l’empathie chez les primates… Dans le règne animal, la solidarité est omniprésente… Chez le petit humain, l’empathie joue un rôle fondamental dès la naissance… ». Et cette disposition est nécessaire dans tout le processus d’éducation. Mais, plus généralement, « l’empathie est devenue un enjeu humain majeur pour comprendre les humains et construire le « vivre ensemble ». Au travail, à l’école, à l’hôpital, et même en politique (4), l’empathie et son corollaire la bienveillance sont sollicitées pour rendre les collectifs humains plus viables ». Il peut y avoir des difficultés et des oppositions, mais progressivement secteur après secteur, la bienveillance gagne du terrain. Ainsi, à la fin du XXè siècle, elle s’impose dans la théorie et la pratique du « care ». Elle va de pair avec l’apparition de la « communication non violente » et l’essor de la psychologie positive au début du XXIè siècle. Et comme en traite deux articles dans ce dossier, elle inspire de plus en plus l’éducation et pénètre dans la gestion des entreprises. A cet égard, nous avons rendu compte sur ce blog du livre phare de Jacques Lecomte : « Les entreprises humanistes. Comment elles vont changer le monde » (5). Par ailleurs, la progression de l’empathie dans les mentalités se réalise à l’échelle internationale comme le montre l’économiste et philosophe américain, Jérémie Rifkin, dans un livre de synthèse : « The empathic civilization. The rise to global consciousness in a world in crisis » (2009) traduit en français sous le titre : Une nouvelle conscience pour un monde en crise. Vers une civilisation del’empathie » (6).
Un changement de regard
Face à une vision pessimiste de l’homme qui enferme celui-ci dans le mal et la violence, une vision qui remonte loin dans le temps et s’est appuyée sur des conceptions religieuses et philosophiques (7),
à l’encontre, un puissant mouvement est apparu et met l’accent sur la positivité. Il se manifeste à la fois dans les idées et dans les pratiques. En février 2011, déjà, Sciences Humaines avait publié un dossier : « Retour de la solidarité : empathie, altruisme, entraide » (8). Et Martine Fournier, coordinatrice de ce dossier, pouvait écrire : « L’empathie et la solidarité seraient-elles devenues un paradigme dominant qui traverse les représentations collectives ? De l’individualisme et du libéralisme triomphant passerait-on à une vision portant sur l’attention aux autres ? Le basculement s’observe aussi bien dans le domaine des sciences humaines et sociales qu’à celles de la nature. Ainsi, alors que la théorie de l’évolution était massivement ancrée dans un paradigme darwinien « individualiste » centré sur la notion de compétition et de gêne égoïste, depuis quelques années un nouvel usage de la nature s’impose. La prise en compte des phénomènes de mutualisme, symbiose et coévolution entre organismes tend à montrer que l’entraide et la coopération seraient des conditions favorables de survie et d’évolution des espèces vivantes à toutes les étapes de la vie ».
Il y a là un changement de regard. Les découvertes elles-mêmes dépendent pour une part des questions posées, c’est à dire d’une nouvelle orientation d’esprit. Une transformation profonde de la manière de penser et de sentir est en cours. Cette transformation porte une signification spirituelle. Elle rompt avec des représentations anciennes. Elle s’inscrit dans un contexte d’universalisation où différentes traditions viennent apporter leur contribution. Pour notre part, nous nous référons à la « parabole du bon samaritain » rapportée dans l’Evangile de Luc (10.29-37). L’empathie compassionnelle s’y manifeste puissamment. « Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho. Il tomba au milieu des brigands qui le dépouillèrent, le chargèrent de coups et s’en allèrent, le laissant à demi mort… » Passent deux religieux sans lui prêter attention. « Mais un samaritain qui voyageait, étant venu là, fut ému de compassion lorsqu’il le vit… Il prit soin de lui ». Dans un livre sur la philosophie de l’histoire : « Darwin, Bonaparte et le Samaritain », Michel Serres voit notre humanité en train de sortir d’un état de violence et de guerre dans lequel elle a été enfermée pendant des millénaires. Et si la paix commence à apparaître, Michel Serres voit dans la figure du Samaritain l’emblème de l’entraide et de la bienveillance. Cette parole de Jésus a grandi et porté des fruits.
Empathie, bienveillance : l’audience de ces notions est-elle un effet de mode ou une révolution ? S’interroge Jean-François Dortier dans le titre de son article en introduction du récent dossier de Sciences Humaines. Dans les tempêtes de l’actualité, on perçoit et on déplore des pulsions de violence et d’agressivité. Mais, par delà, à une autre échelle de temps, on peut apercevoir un autre mouvement. Le montée de l’empathie et de la bienveillance nous parait plus qu’un effet de mode. Lorsqu’on mesure l’ampleur et la pénétration de ce mouvement, on peut y voir une évolution en cours des mentalités.
J H
(1) Dossier : Les pouvoirs de l’empathie, p 24-45. Sciences Humaines, juin 2017
(3) Jean-François Dortier. Empathie et bienveillance. Révolution ou effet de mode ? Sciences Humaines, juin 2017, p 26-31
(4) Pour la première fois à notre connaissance, la bienveillance est apparue en politique. Ce fut dans la campagne présidentielle en marche d’Emmanuel Macron. Edouard Tétreau nous fait part de cette réalité dans un article des Echos : « Les leçons de la start Up Macron » (15 mai 2017) : « Leçon numéro 3 : cette réussite tient aussi – surtout ? – à un mot et une réalité bien rarement vue et entendue dans ma génération et les précédentes, dans le monde du travail en France. Ce mot et cette réalité s’appellent la bienveillance. En jetant les bases de son mouvement et de son pari, Emmanuel Macron a exigé, et obtenu, de ses plus proches collaborateurs, cette qualité-là. La bienveillance entre eux, et vers l’extérieur. Les cyniques du XXème siècle, ceux qui n’ont rien compris au film de ces dernières semaines, doivent s’esclaffer à l’évocation de ce mot, signifiant le « sentiment par lequel on veut du bien à quelqu’un ». La bienveillance n’est pas la faiblesse, ou la gentillesse façon Bisounours. Elle est l’apanage des forts, qui choisissent de mettre de côté leurs petits intérêts privés pour se mettre au service de l’intérêt général. Les médiocres ne pouvant s’occuper que d’eux-mêmes ».
(5) Jacques Lecomte. Les entreprises humanistes. Les Arènes, 2016. Mise en perspective sur ce blog : « Vers un nouveau climat de travail dans une entreprise humaniste et conviviale » : https://vivreetesperer.com/?p=2318
(7) Ce regard négatif sur l’homme a été lié à une conception écrasante du péché originel. Voir à ce sujet : Lytta Basset. Oser la bienveillance. Albin Michel, 2014 Voir sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=1842 Un autre facteur a été le Darwinisme social associé à une conception matérialiste. Voir le chapitre : « The theory of evolution and christian theology : from « the war of nature » to natural cooperation and from « the struggle for existence » to mutual recognition » p 209-223, dans : Jürgen Moltmann. Sun of righteousness, arise ! God’s future for humanity and the Earth. Fortress Press, 2010
(8) Le retour de la solidarité. Dossier animé par Martine Fournier. Sciences humaines, février 2011. Mise en perspective sur ce blog : « Quel regard sur la société et sur le monde ? » : https://vivreetesperer.com/?p=191
(9) Michel Serres. Darwin, Bonaparte et le samaritain. Une philosophie de l’histoire. Le pommier, 2016. Sur ce blog, mise en perspective : « Au sortir de massacres séculaires, vers un âge doux portant la vie contre la mort » : https://vivreetesperer.com/?p=2479
Intervention du pape François à la conférence TED 2017 : The future, you
Il y a aujourd’hui dans le monde un espace dans lequel les gens voulant exprimer une idée qui leur tient à cœur, souvent à travers leur histoire de vie, une idée reconnue par ailleurs comme digne d’être diffusée dans le monde (« worth spreading ideas »), peuvent en rendre compte à travers un court exposé (talk) ne dépassant pas 18 minutes et enregistré en vidéo. Si au départ le sigle TED correspond à : « Technology. Entertainment. Design » (1), tous les domaines de l’activité et de la pensée humaine sont aujourd’hui couverts. Des conférences TED ont commencé à se tenir annuellement aux Etats-Unis à partir de 1990. En 2006, on décide d’en diffuser le contenu à travers le monde en ligne sur internet. Et, par ailleurs, les lieux d’expression se démultiplient en apparaissant dans des villes de nombreux pays sous l’appellation TED X (2).
Cette année, la conférence internationale à Vancouver vient de se dérouler sur le thème : « The future, you ». Comment sommes-nous personnellement impliqué dans l’avenir en gestation ? Le pape François a été invité à s’exprimer dans un exposé intitulé : « La raison pour laquelle le seul futur qui mérite d’être conçu inclut tout le monde » (3). Cet exposé s’adresse à des gens très divers à travers le monde et il nous paraît communiquer un message d’amour et d’espérance qui porte la vie.
Un espace interconnecté
Le pape François constate que les êtres humains ne peuvent pas vivre isolés, mais que, de fait, nos vies sont interconnectées.
« L’avenir est fait de rencontres, car la vie n’existe que dans nos relations avec les autres. Mes quelques années de vie ont renforcé ma conviction que notre existence à tous est profondément liée à celle des autres. La vie n’est pas un temps qui s’écoule, la vie est interraction. Aujourd’hui, même la science suggère que la réalité est un lieu où chaque élément se connecte et interagit avec tous les autres ».
François Bergoglio, aujourd’hui le pape François, sait combien nos itinéraires s’entrecroisent. « Je suis né dans une famille de migrants. Mon père, mes grands-parents, comme beaucoup d’autres italiens, sont partis en Argentine et ont connu le destin de ceux qui ont tout quitté. J’aurais très bien pu devenir moi aussi un laissé-pour-compte. C’est pourquoi je m’interroge encore au plus profond de moi : pourquoi eux et pas moi ? »
Mais, puisqu’en réfléchissant à la réalité du monde et au déroulement de nos vies, nous constatons qu’il y a partout interrelation, nous percevons également qu’une vie harmonieuse requiert des connexions saines entre les hommes. « Nous avons tous besoin les uns des autres. Aucun de nous n’est seul au monde, un « moi » autonome et indépendant, séparé des autres. Nous ne construirons l’avenir qu’en étant ensemble, en n’excluant personne. Nous n’y réfléchissons pas souvent, mais tout est connecté, nous devons rétablir des connections saines entre nous ». Cela requiert par exemple d’entrer dans un processus de pardon et de réconciliation.
Plus généralement, « De nos jours, beaucoup d’entre nous semblent croire qu’il sera impossible d’avoir un avenir heureux. Bien qu’il faille prendre ces préoccupations très au sérieux, on peut inverser la tendance. Nous les dépasserons si nous ne fermons pas notre porte au monde extérieur. Le bonheur ne peut être trouvé que s’il y a une harmonie entre le tout et l’individuel ».
Un élan de solidarité et de générosité.
Nous ne pouvons ignorer la pauvreté, la misère engendrées par les inégalités, la polarisation sur la production de biens marchands au dépens de la vie humaine. « Comme ce serait merveilleux si la solidarité, mot magnifique et parfois dérangeant, n’était pas réduite au travail social et devenait au contraire l’attitude naturelle dans les choix politiques, économiques et scientifiques et dans les relations entre les individus, entre les peuples, entre les pays ».
Loin d’exprimer à ce sujet une attitude pessimiste sur la nature humaine, le pape François met en valeur un potentiel de générosité et de bonté . « La solidarité est une réaction naturelle qui vient du cœur de chacun. Oui, une réaction naturelle ! Quand on réalise que la vie, même au milieu de tant de contradictions, est un don, que l’amour est la source et le sens de la vie, comment peut-on réprimer cette envie de faire le bien à autrui. Pour faire le bien, il faut de la mémoire, il faut du courage, il faut de la créativité. Et je sais bien que Ted réunit beaucoup d’esprits créatifs. Oui, l’amour requiert une attitude créative, concrète et ingénieuse. Les bonnes intentions et les formules convenues, qu’on utilise si souvent pour apaiser notre conscience, ne suffisent pas. Aidons-nous les uns les autres à nous rappeler que l’autre n’est ni une statistique, ni un nombre. L’autre est toujours une présence, une personne dont il fait prendre soin ».
Alors, pour nous éclairer, peut remonter cette parole si unique : l’histoire du Bon Samaritain racontée par Jésus (Evangile Luc10. 25-36). « L’histoire du Bon Samaritain est l’histoire de l’humanité actuelle. La voie des hommes est pavée de blessures, car tout est centré sur l’argent, les possessions et non sur les hommes. Les gens qui se disent respectables ont souvent l’habitude de ne pas s’occuper des autres, laissant des populations entières abandonnées sur la route. Heureusement, il y a ceux qui créent un monde nouveau en prenant soin des autres »…. « Nous avons tant à accomplir, nous devons le faire ensemble. Mais comment le faire avec tout le mal que nous respirons ? Grâce à Dieu, aucun système ne peut annihiler notre désir de nous ouvrir au bien, à la compassion, ni notre capacité de réagir face au mal ; tout ça vient du plus profond de notrecœur… Dans les ténèbres des conflits actuels, chacun d’entre nous peut devenir un cierge éblouissant, une preuve que la lumière peut vaincre les ténèbres, et jamais l’inverse ».
Une dynamique s’espérance
Dans les dernières décennies, en christianisme, l’espérance est devenue inspiratrice d’une action collective. C’est ce qu’exprime ici le pape François. « Pour les chrétiens, le futur a un nom, et ce nom est l’Espérance. Espérer ne veut pas dire être un optimiste naïf et ignorer la tragédie que vit l’humanité. L’Espérance est la vertu d’un cœur qui ne demeure pas dans le passé, qui ne fait pas que passer dans le présent, mais qui est capable de voir des lendemains. L’Espérance est la porte qui mène vers l’avenir. L’Espérance est une graine de vie, cachée, humble, qui, avec le temps, deviendra un arbre immense… L’Espérance commence avec une seule personne. Quand il y a un « nous », c’est une révolution qui commence ».
La révolution de la tendresse
Le message se poursuit à travers un appel à la tendresse. Qu’est-ce que la tendresse ? C’est l’amour qui se rapproche et se concrétise. C’est un mouvement qui part du cœur et arrive aux yeux, aux oreilles et aux mains. La tendresse nous demande de nous servir de nos yeux pour voir l’autre, et de nos oreilles pour l’écouter, pour écouter les enfants, les pauvres, ceux qui ont peur de l’avenir, pour entendre le cri silencieux de notre maison commune, notre terre polluée et malade. La tendresse nous demande de nous servir de nos mains et de notre cœur pour réconforter l’autre, pour prendre soin de ceux dans le besoin ». Quel merveilleux registre de relation !
« La tendresse, c’est se mettre au niveaude l’autre ». Et, à nouveau, un geste, une parole vient nous éclairer. « Dieu est descendu en Jésus pour être à notre niveau. C’est le chemin que le Bon Samaritain a suivi. C’est le chemin que Jésus lui-même a pris. Il s’est abaissé, il a vécu toute son existence humaine à parler le langage vrai, le langage concret de l’amour ». Le pape François nous appelle à suivre le chemin de la tendresse. « La tendresse n’est pas une faiblesse, c’est une force. C’est le chemin de la solidarité, le chemin de l’humilité ». Combien cette humilité est nécessaire chez les puissants !
Dans le monde d’aujourd’hui, chacun a un rôle à jouer. « L’avenir est entre les mains des hommes qui reconnaissent l’autre comme un individu et eux-mêmes comme un élément du « nous ». Nous avons tous besoin de l’autre ».
En accueil
Voici un message en affinité avec les orientations développées dans ce blog.
Oui, il y a bien aujourd’hui une prise de conscience des interconnections qui interviennent à tous les niveaux. Comme l’écrit Jürgen Moltmann : « Si l’Esprit Saint est répandu sur toute la création, il fait de la communauté de toutes les créatures , avec Dieu et entre elles, cette communauté de la création dans laquelle toutes les créatures communiquent chacune à sa manière entre elles et avec Dieu »… L’« essence » de la création est par conséquent la « collaboration » et les structures manifestent la présence de l’Esprit dans la mesure où elles font connaître l’ « accord général ». « Au commencement était la relation » (Martin Buber ») (4).
De fait, cette conscience de l’interconnexion se manifeste maintenant jusque dans l’existence quotidienne. Ainsi, dans son livre : « Sa présence dans ma vie », Odile Hassenforder peut écrire : « Assez curieusement, ma foi en notre Dieu, qui est puissance de vie, s’est développée à travers la découverte de nouvelles approches scientifiques qui transforment notre représentation du monde. Dans cette nouvelle perspective, j’ai compris que tout se relie à tout et que chaque chose influence l’ensemble. Tout se tient. Tout se relie. Pour moi, l’action de Dieu s’exerce dans ces interrelations »(5).
Dans cette perspective, nos vies personnelles et aussi bien la vie sociale dépendent de la qualité des relations humaines. Avec le pape François, Jürgen Moltmann met en évidence l’importance « des connexions saines entre les hommes ». « Une vie isolée et sans relations, c’est à dire individuelle au sens littéral du terme et qui ne peut être partagée est une réalité contradictoire en elle-même. Elle n’est pas viable et elle meurt… La vie nait de la communauté, et là où naissent des communautés qui rendent la vie possible et la promeuvent, là l’Esprit de Dieu est à l’oeuvre » ( 6) Ainsi, c’est bien à travers la solidarité que l’humanité peut subsister et s’épanouir.
Tout se tient, mais tout est également en mouvement. Et c’est pourquoi le papa François proclame la vertu de l’espérance qui ouvre notre horizon vers l’avenir. Sa pensée rencontre là aussi celle de Jürgen Moltmann, le théologien de l’espérance (7). « Le christianisme déborde d’espérance… Il est résolument tourné vers l’avenir et invite au renouveau… L’avenir n’est pas un aspect du christianisme, mais l’élément de la foi qui se veut chrétienne… La foi est chrétienne lorsqu’elle est la foi de Pâques. Avoir la foi, c’est vivre dans la présence du Christ ressuscité et tendre vers le futur royaume de Dieu » (8).
Le pape François appelle tous les hommes à une révolution de la tendresse, car il perçoit en chacun un potentiel de générosité. Et nous savons qu’il est entendu en retour. Nous quittons les rives d’une civilisation où l’homme était écrasé par un regard mortifère et culpabilisant. Aujourd’hui, nous voyons apparaître des courants nouveaux qui portent la bienveillance (9) et appellent un regard positif (10). La théologienne Lytta Basset intitule un de ses livres : « Oser la bienveillance » (11). Ce blog est témoin du changement de sensibilité qui est en train d’advenir. En évoquant une révolution de la tendresse, en rappelant l’histoire du Bon Samaritain, à l’époque un message inouï (12), le pape François montre comment la graine semée par Jésus est en train de grandir aujourd’hui. Si la violence est présente aujourd’hui dans nos sociétés, en entendant le pape François, on peut constater également que la bonté éveille la bonté. Et, comme il le dit : « la lumière peut vaincre les ténèbres, et jamais l’inverse ».
(2) Les conférences Ted X sont maintenant présentes dans de nombreuses ville de France et, sur ce blog, nous mettons souvent les « talks » correspondants en valeur
(8) Jûrgen Moltmann. De commencements en recommencements. Une dynamique d’espérance. Empreinte, 2012 (p 109-110) Présentation du livre : https://vivreetesperer.com/?p=572
(9) Ce mouvement vers la mise en valeur et la mise en œuvre de la bienveillance est visible sur le web, notamment dans des talks TED X . Sur ce blog, les articles indexés à ce terme : https://vivreetesperer.com/?s=bienveillance+
(10) La psychologie positive est en plein développement en France depuis le début du siècle. Voir le site : http://www.psychologie-positive.net/spip.php?article8 Sur ce blog, analyse de plusieurs livre de Jacques Lecomte, un pionnier de la psychologie positive en France : « La bonté humaine. Est-ce possible ? » : https://vivreetesperer.com/?p=674
(12) Dans son livre : « Darwin, Bonaparte et le samaritain », Michel Serres met en valeur la figure pionnière du Bon Samaritain : « Une philosophie de l’histoire » : https://vivreetesperer.com/?p=2479
Nous savons, par expérience, combien il y a souvent des blocages dans la communication au sein des collectivités. Des oppositions tranchées s’installent et le dialogue social ne parvient pas à s’établir. Cette situation empêche la résolution des problèmes et l’élaboration de réponses constructives. Mais on peut observer aussi des dynamiques positives. Ingénieur, dirigeante de services publics au fil de son parcours, Pascale Ribon nous fait part de son expérience dans un entretien Ted X Saclay (1) : « Si gentillesse et bienveillance rimaient avec performance collective ». Pascale nous parle de son expérience avec beaucoup de simplicité et d’authenticité. On perçoit les fruits d’une attitude qui engendre le dialogue à travers le respect, l’attention et l’écoute. Ce dialogue débouche sur la mise en route d’une intelligence collective. Pascale Ribon nous décrit ce processus à partir de trois étapes de sa vie professionnelle.
L’approche innovante d’une jeune ingénieur
C’est tout d’abord la première fonction dans laquelle elle est entrée au sortir de ses études.
« J’étais jeune ingénieur. C’était mon premier poste. J’étais responsable d’un bureau d’étude d’ingénierie dans le domaine de l’eau, de l’assainissement et de la gestion des rivières. A l’époque, la norme, c’était de canaliser les rivières, donc, c’était un peu une catastrophe en terme d’écosystème ». Pascale va essayer de faire évoluer les représentations pour qu’on utilise des méthodes plus naturelles.
Et justement, on lui confie un projet qui concerne un effondrement des berges de la Seine. Elle raconte la confrontation qui s’est opérée. « Je devais présenter des préconisations techniques. Il n’y avait que des messieurs d’un certain âge en face de moi. J’étais la seule femme. J’ai présenté un projet 100% naturel avec des plantes. Il y a eu un grand blanc, et à la fin de ma présentation, je me suis fait renvoyer dans mes buts comme si j’étais totalement incompétente. Et j’ai bien compris à leur regard qu’ils se disaient. Comment a-t-on pu recruter à ce poste une jeune femme comme ça ? Ces histoires de petits poissons, de plantes, c’est bien une histoire de femme. Ce n’est pas une histoire d’ingénieur. J’ai bien compris ce jour là que je n’avais pas réussi à convaincre ».
Cependant Pascale va surmonter cette humiliation. Elle va persévérer et, peu à peu, les mentalités vont changer. « Je suis retourné un certain nombre de fois en gardant le sourire. Et puis surtout, on a travaillé ensemble avec des collègues. On a créé un réseau pilote. On a mobilisé les expériences étrangères et finalement, on a réussi à convaincre et à changer la norme en assez peu de temps ».
C’est par le dialogue qu’on parvient à faire évoluer les représentations et les comportements. En voici un exemple encourageant.
Dépasser un conflit social dans une Direction de l’équipement
Pascale Ribon a poursuivi son parcours professionnel. La voilà maintenant responsable d’un service public important : une Direction départementale de l’équipement : mille agents répartis dans une dizaine de sites.
Or voici qu’une décision de l’Etat vient remettre en cause le fonctionnement de celle-ci et donc les habitudes des employés. On imagine l’émotion suscitée par ce bouleversement. « L’Etat avait décidé de transférer une partie des missions aux conseils généraux et de réorganiser le reste. C’était la décentralisation. Bien sûr, les personnels ne perdaient pas leur travail, mais ils étaient remis en question d’une façon assez profonde. Certains allaient changer de statut. Ils allaient devoir changer d’employeur, changer de métier ».
Comme directrice, Pascale est directement confrontée à l’agitation suscitée par la crainte des employés. « Ce jour-là, les syndicats avaient organisé une manifestation pour exprimer leur opposition. Vous arrivez le matin. Vous êtes le directeur. Vous savez qu’une centaine de personnes vous attendent sur le parking, avec un mégaphone, avec beaucoup d’agressivité pour vous montrer qu’ils sont totalement contre la réforme que vous allez mettre en œuvre. Vous avez le choix. Vous pouvez aller vous garer discrètement dans une rue adjacente, monter directement dans votre bureau, dire à votre directeur des relations humaines qu’il s’en occupe parce que le dialogue social, c’est son boulot ! Et puis, vous avez des choses importantes à faire. Il y a surement une réunion qui va démarrer…
Mais vous pouvez aussi faire le choix d’aller discuter. Et ce matin là, c’est le choix que j’ai fait, même si c’était difficile. La barrière s’est ouverte. Je suis entrée sur le parking. Je me suis avancé vers les leaders du mouvement. Je les connaissais. J’avais l’habitude de travailler avec eux. Mais là, face à leur colère, ce n’était pas pareil. C’était difficile. Je voulais leur dire que les décisions qu’on allait prendre tiendraient compte de leurs contraintes. Je voulais leur dire que j’avais besoin qu’ils participent à les construire. Et surtout, je voulais qu’ils sentent que, pour moi, ils n’étaient pas des chiffres ou un tableau de bord, mais des personnes comme moi, avec leurs émotions, leurs contraintes personnelles, leur conscience professionnelle. Et donc, malgré ma peur, malgré leur agressivité, on a discuté, on a tissé doucement les fils de la confiance et puis on a arrêté la manifestation. Et on s’est mis au travail. On a travaillé pendant deux ans. Et finalement on a déployé la décentralisation au mieux des intérêts de chacun… »
Ainsi, comme l’exprime ce témoignage de Pascale, nous ne sommes pas soumis à une fatalité selon laquelle nous sommes impuissants face à des engrenages collectifs. Une conviction personnelle, portant une volonté de dialogue, peut entrainer un changement dans le déroulement des évènements et dans la vie des personnes concernées.
Introduire un esprit collaboratif dans une école d’ingénieurs
Pascale nous raconte une troisième expérience professionnelle. Parce qu’elle avait envie de contribuer à une évolution des mentalités vers plus d’esprit de dialogue et de confiance mutuelle, Pascale Ribon est devenue directrice d’une école d’ingénieurs : l’ESTACA (2).
« J’ai fait le pari que l’école, pour les étudiants, pouvait être la première entreprise à laquelle ils coopèrent, et que, dans cette entreprise là, on allait leur faire pratiquer concrètement l’intelligence collective de manière à ce que, par la suite, ils puissent essaimer et qu’ils puissent apporter cette manière de travailler dans les différentes entreprises où ils agiront plus tard.
C’est pour cela que les nouveaux locaux qu’on a inauguré l’année dernière à l’ESTACA étaient les plus ouverts et les plus décloisonnés possible pour que, finalement, les étudiants, les enseignants, les chercheurs, les personnels administratifs, les partenaires aient le plus possible l’occasion de se croiser, de se parler, de se connaître, et donc de coopérer, de faire des choses ensemble. C’est aussi pourquoi, lorsqu’on a travaillé sur le campus numérique, on a décidé que les étudiants aussi pourraient produire des contenus pédagogiques pour qu’ils apprennent à se soutenir et à s’entraider les uns les autres au delà de leurs cercles d’amis. C’est pour cela aussi que, sur plusieurs années, on a fait évoluer le système de distribution des moyens qui étaient attribués aux projets associatifs, aux projets des étudiants, en passant d’un système où c’était l’administration qui distribuait les moyens à un système où ce sont les étudiants qui font les choix. Il a fallu déconstruire un certain nombre de représentations, de comportements, en particulier ceux qui étaient liés à la peur de l’arbitraire, à la peur du copinage en lien avec le pouvoir, et puis en construire d’autres plus propices à la confiance ». Comme l’exprime ici Pascale, c’est bien nos représentations qui sont en question et que nous sommes appelés à changer. A cet égard, l’éducation, la formation sont des espaces stratégiques.
Le choix d’agir et d’influer sur les situations
Cependant, on en a bien conscience en écoutant Pascale, ce changement est guidé par une vision du monde, une vision de l’humain qui s’articule avec des valeurs comme la confiance et la bienveillance. Pascale Ribon s’exprime à ce sujet à partir de son expérience.
« A partir de ces trois expériences de ma vie professionnelle, je veux démonter un discours qu’on entend de plus en plus, et qui, pour ma part, m’insupporte. On change de plus en plus vite. Et, dans ce monde qui change de plus en plus vite, les entreprises seraient devenues des lieux de souffrance à cause des changements sur lesquels nous n’aurions aucune prise. Les responsables seraient ailleurs : la finance, la politique, la mondialisation, enfin à chacun son bouc émissaire. Et nous attendons un homme providentiel pour nous sauver. C’est l’époque. Finalement, la seule solution, la seule alternative à la dépression, à la démobilisation, ce serait la résistance, ce serait la révolte. Croire qu’on peut dire : « stop ».
Mais depuis le début de ma carrière, je travaille dans des organisations en changement. Comme vous, je pense. Et, depuis une vingtaine d’années, j’ai dirigé des organisations de taille variable, publiques, privées, de 100 à presque 1000 personnes, qui, toutes, étaient confrontées à des évolutions très importantes. Ce qui m’a guidé dans ces évolutions, dans ces fonctions, c’est la conscience que les entreprises, ce sont d’abord des gens, ce sont des communautés d’individus comme vous, comme moi. Et finalement, ce ne sont pas des décideurs lointains qui font notre quotidien professionnel, mais bien des gens que nous côtoyons directement, par leur comportement et par la qualité de leurs interactions les uns aux autres ». Et donc, ce qui se passe, dépend de nous pour une bonne part. « Chacun choisit chaque jour, soit de poursuivre son projet personnel en compétition avec les autres, voire en considérant que ce sont des obstacles à sa propre réussite, à son propre épanouissement personnel, ou, au contraire, de poursuivre un projet plus collectif, de construire ce que j’appelle un écosystème de développement, d’apprentissage dans lequel chacun va trouver grosso modo sa place, et au fur et à mesure poser les problèmes qui le concernent, y apporter des solutions les plus adaptées possible, construire finalement un environnement plus conforme à nos souhaits ».
En vous racontant l’histoire de la direction départementale de l’équipement de l’Eure et Loir, je voulais vous faire partager que, même dans des environnements très contraints, des environnements conflictuels, là où on pourrait penser qu’on n’a pas d’autres solutions que de s’effacer derrière des règles, des procédures, des décisions prises par d’autres, quand on pense qu’on n’a pas de marges de manœuvre, on garde toujours le choix. C’est cette liberté que nous avons prise ce jour là, les syndicats et moi-même. Nous avons pris le risque d’assumer nos marges de manœuvre. Nous avons pris le risque de la responsabilité, du dialogue, puis de la coopération, et donc, on a réussi à construire une forme d’intelligence collective et c’est grâce à cette intelligence collective que nous avons trouvé des solutions à un problème que nous n’étions pas prêts à résoudre ni les uns, ni les autres ».
Bienveillance et engagement personnel
Mais quels sont les ingrédients pour construire cette intelligence collective ? (3) A quelles qualités ce processus fait-il appel ? Qu’est ce qui nous est demandé ?
Pascale Ribon distingue deux ingrédients fondamentaux pour avancer dans ce sens.
« Le premier type d’ingrédient, c’est la bienveillance, l’empathie, je dirais même la gentillesse. Quand on parle de gentillesse, on entend : « On n’est pas chez les bisounours ! ». Mais je dis : Pourquoi pas ? Et ce n’est pas moi qui le dis. Ce sont les résultats d’une recherche commandée par Google. 200 équipes ont été auditées. Ils cherchaient à savoir qu’est ce qui suscitait la plus grande performance de certaines équipes. Ils ont testé beaucoup de critères. Et le critère principal auquel ils sont arrivés, c’est le niveau de gentillesse entre les membres (4). Et finalement, c’est assez instructif. Quand on a confiance les uns dans les autres, quand on sait qu’on peut compter sur les gens autour de soi, on prend des risques, on est innovant, on est créatif, on avance.
Pour construire cette intelligence collective, il y a un deuxième ingrédient. C’est l’engagement individuel. Ici. On peut évoquer la légende du colibri raconté par Pierre Rahbi (5). Cette légende dit qu’un jour, dans la foret, il y a eu un immense incendie. Et alors, l’ensemble des animaux assistait impuissant au désastre. Ils étaient atterrés, terrifiés. Il y a juste un petit colibris qui s’agite, qui prend de l’eau avec son bec, puis va jeter quelques gouttes d’eau dans le feu, et puis qui recommence. Cela agace le tatoo. « Mais arrête colibri ! Tu ne vas pas éteindre le feu ! ». Le colibri s’arrête, regarde le tatoo et lui dit : « Je sais. Je ne suis pas fou, mais je fais ma part ».
Le choix de la confiance
Lorsque Pascale, jeune ingénieur, commence à travailler dans un milieu insensible à la conscience écologique, elle a néanmoins persévéré et, petit à petit, elle a réussi à susciter une transformation des normes. Petit à petit, c’est un peu comme le goutte à goutte du colibri. Aussi peut-elle nous encourager.
« Vous aussi, je suis sur qu’il y a un incendie qui vous préoccupe. Il y a des choses que vous avez envie de voir changer. Mettez-vous en mouvement. Proposez des solutions. En plus, le temps joue pour vous. Des études disent que d’ici à cinq ans, 50% des métiers qui recruteront n’existent pas encore. Cela veut dire que les marges de manœuvre sont énormes. Et puis n’ayez pas peur de l’échec. On ne réussit jamais du premier coup. Il faut revenir, revenir. Les enfants tombent beaucoup avant de savoir marcher.
Ce qui est difficile en France dans cette dynamique là, c’est qu’on est nourri à la défiance. A la lecture des enquêtes internationales, on constate que la France est toujours en queue de peloton sur le thème de la confiance (6). Moins d’un français sur quatre considère qu’on peut globalement faire confiance aux autres. C’est presque 40% dans la moyenne des pays de l’OCDE. Et je ne vous parle pas des pays de l’Europe du nord où le pourcentage s’élève à 50%, 60%/. Les élèves, nos enfants, sont élevés dans un climat de défiance. Cela veut dire qu’on les « plombe » dans un monde où le niveau d’incertitude, de complexité va nécessiter de la coopération pour agir, donc de la confiance ».
Avec Pascale Ribon, nous voici au cœur des problèmes de notre époque. Dans une société en changement rapide (7), comment faire face aux transformations auxquelles nous sommes confrontés ? Cette question peut être éludée en regardant vers le passé, en refusant d’entrer dans la nouveauté ou en développant une agressivité qui se fixe sur des boucs émissaires. Pascale nous montre qu’il y a un autre chemin, que les problèmes peuvent être affrontés et résolus, que « oui, c’est possible ». Mais il y a une condition. C’est entrer en relation, dialoguer, faire confiance. Ce qui se passe, dépend de nous pour une bonne part. Elle nous appelle à « construire des écosystèmes de développement, d’apprentissage où chacun va pouvoir trouver sa place, et, au fur et à mesure, poser les problèmes qui le concernent, y apporter des solutions les plus adaptées possibles ». C’est le chemin d’une intelligence collective où nous allons pouvoir résoudre des questions jugées jusque là inaccessibles. Ce processus requiert de la confiance. En nous, cette confiance dépend de notre vision du monde, de notre vision de l’humain et donc d’une dimension spirituelle. Si elle se heurte à un climat opposé, elle peut néanmoins se répandre et engendrer une dynamique. Le témoignage de Pascale Ribon nous encourage et nous permet d’envisager les enjeux.
J H
(1) « Et si gentillesse et bienveillance rimaient avec performance collective » (Pascale Ribon) (Ted X Saclay) mis en ligne avec le 23 janvier 2017 : https://www.youtube.com/watch?v=6fmWo-znXVM
(3) L’intelligence collective passe par un dialogue qui permet de développer des représentations plus adaptées : « Pour une intelligence collective » : https://vivreetesperer.com/?p=763
(4) Diverses recherches montrent une influence positive de la bienveillance et de la gentillesse sur l’efficacité du travail » : « Vers un nouveau climat de travail dans des entreprises humanistes et conviviales. Un parcours de recherche avec Jacques Lecomte » : https://vivreetesperer.com/?p=2318
En 2016, le ciel s’est assombri. Des évènements inquiétants ont ponctué l’actualité. Et, en ce début d’année 2017, nous sommes en attente d’un horizon. Il y a bien des signes contradictoires, mais choisir la vie, c’est discerner le positif pour tracer notre chemin.
Il y a le temps court et il y a le temps long. Dans l’immédiat, tout s’enchevêtre. Dans la durée, des tendances apparaissent. Il est bon de pouvoir distinguer ces tendances.
Comme le montre Yann Algan, dans son livre : « La fabrique de la défiance » (1), on enregistre en France un manque de confiance bien plus élevé que dans beaucoup d‘autres pays. Dans le désarroi actuel, cela se traduit en pessimisme, en cynisme, en rejet. Alors, on peut remercier ceux qui regardent au delà et affrontent la morosité ambiante pour mettre en évidence des évolutions positives dans la durée. Ainsi, le livre publié tout récemment par Jacques Lecomte vient exposer une réalité à même de nous encourager : « Le monde va beaucoup mieux que vous ne le croyez » (2). Cet ouvrage vient à la suite d’une réflexion de fond que l’auteur a entreprise sur le potentiel de l’homme. Si les méfaits de l’histoire humaine sont affichés (3), l’homme n’est pas nécessairement voué au mal. Il montre aussi une aptitude à la bonté, des dispositions à l’altruisme, à l’empathie et à la générosité. Jacques Lecomte a pu ainsi écrire un livre sur « la bontéhumaine » (4). Et, dans un autre ouvrage, à partir de l’analyse d’un grand nombre d’études, il met en évidence l’émergence d’attitudes et de pratiques nouvelles dans des « entreprises humanistes » où se développent un climat de travail plus collaboratif et plus convivial.
Dans une conférence rapportée en vidéo sur le thème : « Vers une société de la fraternité » (5), Jacques Lecomte, un des pionniers de la psychologie positive en France (6), présente sa démarche en commençant par nous raconter son parcours personnel. Brisé par le contexte familial de sa jeunesse, il en réchappé en rencontrant un environnement bienveillant et convivial. Il a vécu là une conversion chrétienne « qui a radicalement changé sa vie et où il a surtout compris que les forces de l’amour et de la bonté sont plus fortes que les forces de la violence et de la haine ». De cette expérience, il a compris que le meilleur peut sortir du pire et que le pire n’est pas une fatalité. A partir de là, Jacques Lecomte a développé un optimisme réaliste, un « optiréalisme ». C’est une disposition d’esprit qui permet de percevoir dans une situation, tout ce qu’elle porte de positif, en germe ou en activité, et, ainsi, de susciter une évolution favorable. Dans son livre : « Le monde va beaucoup mieux que vous ne croyez », Jacques Lecomte met en œuvre cette approche dans une évaluation de l’évolution du monde.
Le monde va mieux que nous le croyons
« Comment le monde pourrait-il aller mieux quand le chômage, la guerre, les attentats, le réchauffement climatique et tant d’autres mauvaises nouvelles font la une des médias ?… Pourtant les chiffres nous disent ceci : ces dernières décennies, sur l’ensemble du globe, la pauvreté, la faim, l’analphabétisme et les maladies ont fortement reculé comme jamais avant… Quant à la violence, elle connaît, depuis plusieurs siècles, un inexorable déclin… En résumé, contrairement à une opinion largement répandue, l’humanité va mieux qu’il y a vingt ans, même s’il reste encore malheureusement de fortes zones sombres… Quant à la planète, elle est certes en moins bonne posture sur certains aspects, mais en meilleur état sur d’autres… « (p 9-10). Chapitre après chapitre, l’auteur analyse la situation à partir des meilleures sources : « L’humanité vit mieux… Et en meilleure santé. Environnement : on avance… Jamais aussi peu de violence » (p 209-210).
Bref, l’auteur rompt avec la vision catastrophiste du monde qui nous influence bien souvent. Cette vision est suscitée par l’attrait de nombreux médias pour le sensationnel. Elle abonde là où manque la culture nécessaire pour trier les informations et distinguer ce qui relève du court terme et du moyen terme. Bien sur, nous souffrons personnellement de l’inquiétude qui nous atteint ainsi.
Certes, les responsables de l’information peuvent estimer qu’il est nécessaire d’alarmer pour sensibiliser. Mais cette attitude est bien souvent contre-productive. « Les prophètes de malheur nous démobilisent. Ils mènent souvent à des mesures politiques autoritaires » (p 15). « Fournir des informations catastrophistes sans présenter des moyens d’agir, pousse à l’immobilisme, voire au rejet des informations… » (p 31). La peur est mauvaiseconseillère. « De nombreuses études montrent que les périodes d’anxiété sociale ont tendance à accentuer le désir de soumission à l’autorité… Le ressenti de menace est une cause d’autoritarisme au sein de la population. Ainsi, aux Etats-Unis, pendant les périodes menaçantes, les Eglises à tendance autoritaire bénéficient d’un afflux de conversions, alors que ce sont les Eglises non autoritaire qui vivent ce phénomène pendant les périodes non menaçantes » ( p 43).
A l’inverse, il y a une manière de partager l’information à même de produire des effets positifs. Et il y a des faits significatifs qui font exemple. Ainsi, aujourd’hui, en apprenant que le trou d’ozoneest en train des se refermer grâce à la mise en œuvre du protocole de Montréal (1987), nous voyons là « le premier succès majeur face à un problème environnemental mondial » (p 107), Manifestement, cette victoire suscite l’espoir et contribue à nous mobiliser dans la lutte contre le réchauffement climatique.
« Si nous voulons un monde meilleur, nous devons être conscient des progrès accomplis, et inspirer plutôt qu’accuser » (couverture). Ce livre est source d’encouragement. Il nous aide à réfléchir sur les modes de communication. Ainsi, l’ignorance des évolutions positives tient pour une part à une communication qui met en exergue les mauvaises nouvelles.
Cependant, ne doit pas aller plus loin dans l’analyse du catastrophisme. Comme le complotisme, cet état d’esprit n’est-il pas lié à une agressivité qui se déploie à la fois contre soi-même et contre les autres ? Et ne témoigne-t-il pas d’une absence d’espérance personnelle et collective ? Comme l’écrit le théologien Jürgen Moltmann, agir positivement dépend de notre degré d’espérance : « Nous devenons actif pour autant que nous espérions. Nous espérons pour autant que nous puissions entrevoir des possibilité futures. Nous entreprenons ce que nous pensons possible ». « Si une éthique de la crainte nous rend conscient des crises, une éthique de l’espérance perçoit les chances dans les crises ». Pour les chrétiens, « l’espérance est fondée sur la résurrection du Christ et s’ouvre à une vie à la lumière du nouveau monde suscité par Dieu » (7). Ainsi, quelque soit notre cheminement, notre comportement dépend de notre vision du monde. En ce sens, Jacques Lecomte ne se limite pas à nous offrir des données positives concernant la situation du monde à même de nous encourager, il conclut son livre par la vision d’ « une grande réconciliation ». « Une société plus fraternelle et conviviale est possible (5), dès lors que l’on y croit et que l’on s’engage à la faire advenir » (p 197).
J H
(1) Algan (Yann), Cahuc (Pierre), Zybergerg (André). La fabrique de la défiance, Grasset, 2012. Sur ce blog : « Promouvoir la confiance dans une société de défiance » : https://vivreetesperer.com/?p=1306
(2) Lecomte (Jacques). Le monde va beaucoup mieux que vous ne le croyez ! Les Arènes, 2017
(3) « Une philosophie de l’histoire, par Michel Serres. Au sortir de massacres séculaires, vers un âge doux portant la vie contre la mort » : https://vivreetesperer.com/?p=1306
(4) Lecomte (Jacques). La bonté humaine. Altruisme, empathie, générosité. Odile Jacob, 2012. Sur ce blog : « La bonté humaine, est-ce possible ? » : https://vivreetesperer.com/?p=674
(7) Moltmann (Jürgen). Ethics of life. Fortress Press, 2012 (p 3-8)
Voir aussi : « Quel avenir est possible pour le monde et pour la France? (Jean-Claude Guillebaud. Une autre vie est possible) » : https://vivreetesperer.com/?p=937
Nos sociétés sont traversées par des poussées de violence. Il y a là des phénomènes complexes qui peuvent être analysés en termes sociaux, économiques, culturels, politiques, mais également dans une dimension psychosociale, un regard sur les comportements. En dehors même de ces épisodes, dans la vie ordinaire, nous pouvons percevoir et éprouver des manifestations d’agressivité. A une autre échelle, au cours de l’histoire, nous savons combien la guerre a été un fléau dévastateur (1). Ainsi, affirmer la paix aujourd’hui, c’est garder la mémoire du malheur passé pour empêcher son retour, mais c’est aussi effectuer un pas de plus : réduire les sources de violence, pacifier les comportements.
Psychothérapeute, engagé depuis des années dans une campagne pour le développement de la personne, auteur de plusieurs livres, animateur d’un site (2), Thomas d’Ansembourg milite pour répandre des pratiques de paix. Dans cette interview en vidéo à la Radio Télévision Belge Francophone (3), il explique pourquoi il vient d’écrire un nouveau livre en ce sens : « La paix, ça s’apprend. Guérir de la violence et du terrorisme » (4). « Nous avons réagi, David (le co-auteur) et moi à l’attentat du Bataclan, vite relayé par l’attentat de Bruxelles. Nous avons réalisé qu’on ne peut se contenter de mesures de sécurité (renforcement de frontières et traitement de symptômes). Il nous est apparu que le terrorisme est un épiphénomène d’un malaise extrêmement profond de la société et qu’il était intéressant de voir ce qui génère un tel malaise. Dans nos pratiques, lui comme historien et moi comme accompagnant de personnes, nous avons réalisé que la paix, c’est une discipline. Cela ne tombe pas du ciel. C’est une rigueur, c’est un exercice. Cela demande un engagement, de la détermination et du temps, et, petit à petit, on atteint des états de paix qui deviennent de plus en plus contagieux. Et cela devrait s’apprendre, depuis la maternelle, dans toutes les écoles. Tel est le propos de ce livre. C’est de faire savoir. Mettons en place des processus pour pouvoir éduquer des populations à se pacifier ».
Pour une pacification intérieure
« Depuis près de vingt-cinq ans que j’accompagne des personnes dans la quête de sens et la pacification intérieure, j’ai acquis cette confiance que la violence n’est pas l’expression de notre nature. C’est parce que notre nature est violentée que nous pouvons être violents. Quand mon espace n’est pas respecté, je puis être agressif. Quand mon besoin d’être compris et écouté, n’est pas nourri et respecté, je puis être agressif. Et il en va de même lorsque des besoins importants ne sont pas respectés. D’où l’importance d’apprendre à respecter notre nature et donc de la connaître ». Ainsi « apprendre la connaissance de soi dès l’école maternelle nous paraît absolument essentiel aujourd’hui. Jusqu’ici, cela me semblait un enjeu de santé publique, mais aujourd’hui cela me paraît aussi un enjeu de sécurité publique. Tout citoyen qui va à l’école a besoin d’apprendre qui il est, qu’est-ce qui le met en joie… mais aussi qu’est-ce qui le chagrine, qu’est-ce qui le met en colère. Il est bon de comprendre ce qui vous met en rage avant de faire exploser sa rage à la tête des autres. On a largement dépassé la notion de développement personnel. Il y a là un enjeu de santé publique. La plupart de nos gouvernants ne savent pas tout cela, ne connaissent même pas les outils correspondants et la plupart des médias dédaignent cette approche en la considérant comme du « bisounours » alors que ces outils sont des clés pour le vivre ensemble ».
Des outils pour le vivre ensemble
La paix peut s’apprendre à travers des outils. Thomas d’Ansembourg n’a pas souhaité réaliser un inventaire de tous les outils. Dans ce livre, il nous en présente trois qui sont particulièrement efficaces.
« La Pleine conscience » est une approche de méditation qui se dégage des rituels religieux traditionnels et qui peut être vécue d’une façon laïque et d’une manière spirituelle si on le souhaite. Elle permet de trouver un espace de fécondité, de créativité, d’alignement qui est très bénéfique pour le vivre ensemble ».
Thomas d’Ansembourg nous parle également de la communication non violente, une approche « qu’il enseigne depuis des années et qui est proposée dans de nombreux milieux depuis des classes maternelles jusqu’à des prisons en passant par des cockpits d’avion… C’est une approche pratico-pratique pour mieux vivre les relations humaines, dépasser les conflits, les querelles d’égo ».
Il y a une troisième pratique, celle de la bienveillance.
« Il y a plusieurs aspects de la bienveillance : accueillir l’autre tel qu’il est et non tel que je voudrais qu’il soit, être ouvert à son attitude et à sa différence, être disponible à une remise en question par son attitude. Cela demande de l’humilité, peut-être du courage. Et puis, il y a cette attitude positive de prendre soin, bien veiller sur l’autre, l’encourager dans son développement qui n’est pas forcément celui que j’aurais aimé avoir pour lui. Je pense par exemple à notre attitude avec les enfants, ne pas projeter sur eux nos attentes. Cela demande du travail sur soi. Ce n’est pas ingénu. Cela requiert une hygiène de conscience pour remettre en question nos projections, nos attentes, nos préjugés, des idées toutes faites, pour ouvrir notre cœur.
Le monde se transforme à vive allure. « Nous assistons à un métissage incroyable de la planète, de grands exodes en fonction du réchauffement climatique. C’est plus urgent d’apprendre à vivre ensemble, et pour cela, d’avoir des clés de connaissances de soi pour avoir une bonne estime de soi et une capacité d’accueillir la différence, des clés d’ouverture à l’autre et la cohabitation. Cela ne tombe pas du ciel. On voit bien qu’il y a des tentatives de repli et de méfiance. Ce n’est pas comme cela que nous allons grandir ensemble. Nous avons besoin d’approches pour vivre ensemble. On n’en trouve pas encore dans nos pratiques scolaires, ni même dans nos pratiques religieuses. Il y a de belles idées , mais cela appelle une pratique. Comment est-ce qu’on vit quand on est plein de rage et de colère ? On a besoin d’apprendre à vivre la rage et la colère pour la transformer. Grâce à la communication non violente, j’ai appris à faire des colères non violentes, à exprimer ma colère sans agressivité. Ce sont des apprentissages que l’on peut faire ».
Promouvoir la paix
Thomas d’Ansembourg porte une dynamique et il l’envisage sur différents registres. Ainsi peut-il souhaiter la création d’un ministèrede la paix avec un budget, des formations, de la recherche scientifique en neurosciences, en relations humaines.
Et au plan de la transformation des relations quotidiennes, il a conscience de la puissance des outils existants. « Je sais que ces outils transforment la vie des gens. Je rencontre des personnes dont la vie a pivoté parce qu’ils ont appris à savoir qui ils sont, qu’est ce qui fait sens pour eux… ». Ainsi, « il y a des processus, il y a des clés efficaces. J’aimerais qu’ils soient fournis au grand public. Nous assistons à tellement de détresses dans notre société : solitudes, addictions, divorces douloureux, dépendances… Des outils magnifiques existent. Ne pas les faire connaître est une sorte de non assistance à personne en danger ».
Au milieu des drames de l’histoire, l’inspiration de la non violence apparaît comme un fil ténu, mais solide avec des moments de lumière qui sont entrés dans notre mémoire collective depuis les premières communautés chrétiennes jusqu’à Gandhi et Martin Luther King.
Aujourd’hui, le mouvement pour la paix peut s’appuyer sur de nouvelles méthodes où s’allient une orientation d’esprit et des approches nourries par la psychologie, une conscience renouvelée du corps et les neurosciences. Ainsi, face aux routines traditionnelles, une motivation nouvelle peut apparaître en s’appuyant sur l’efficacité démultipliée de nouvelles méthodes. Dans ce livre et dans cette interview, Thomas d’Ansembourg nous apporte une bonne nouvelle : la paix, ça s’apprend ! La paix, c’est possible ! Une voie est ouverte. A nous de nous mobiliser…