Bienveillance humaine. Bienveillance divine : une harmonie qui se répand

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Lytta Basset : Oser la bienveillance

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         Nous avons en mĂ©moire ou dans notre vĂ©cu immĂ©diat, la prĂ©sence d’une personne bienveillante. Et quand nous y pensons, nous ressentons paix et joie. Cette prĂ©sence transforme notre perception des situations. Ainsi, lors d’un enterrement, j’ai souvenir d’un prĂȘtre ĂągĂ© qui accueillant chacun avec bontĂ©, dans une conversation toute simple, a suscitĂ© un ressenti positif de la cĂ©lĂ©bration. Je me rappelle une directrice de mon institut qui savait reconnaĂźtre et encourager le travail de chacun par des petits mots Ă  l’occasion de telle ou telle production. RespectĂ©e par tous, elle facilitait le dĂ©veloppement d’un climat de collaboration. Et, en famille, j’ai tant reçu de la bienveillance d’ĂȘtres chers qui m’ont permis de vivre et de me transformer. La bienveillance peut Ă©galement se manifester dans des figures publiques et elle entraĂźne alors une ouverture des coeurs au delĂ  des barriĂšres sociales et religieuses. La bienveillance est communicative. Elle se rĂ©pand. Contrairement Ă  ce que peuvent penser ceux qui, pour des raisons religieuses ou philosophiques, ont une vision trĂšs sombre de la nature humaine, elle est reconnue par un grand nombre de gens, car elle correspond Ă  une attente de leurs cƓurs. Dans l’Evangile, JĂ©sus ne dit-il pas ? : « Que votre lumiĂšre luise devant les hommes afin qu’ils voient vos bonnes Ɠuvres et qu’ils glorifient votre PĂšre qui est dans les cieux » (Mat 5.16).

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Lytta Basset : Oser la bienveillance

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         Une thĂ©ologienne, Lytta Basset, vient de publier un livre : « Oser la bienveillance » (1). Il y a eu en effet dans la culture de la chrĂ©tientĂ©, une reprĂ©sentation pervertie de la nature humaine dans la doctrine du pĂ©chĂ© originel. « Lytta Basset Ă©crit la gĂ©nĂ©alogie et l’impact de cette notion profondĂ©ment nocive qui remonte Ă  Saint Augustin et qui contredit les premiers PĂšres de l’Eglise. Elle montre comment ce pessimisme radical est totalement Ă©tranger Ă  l’Evangile. Tout au contraire, les gestes et les paroles de JĂ©sus nous appellent Ă  dĂ©velopper un autre regard sur l’ĂȘtre humain, fondĂ© sur la certitude que nous sommes bĂ©nis dĂšs le dĂ©part et le resterons toujours. AppuyĂ© sur le socle de cette bienveillance originelle, chacun de nous peut oser la bienveillance envers lui-mĂȘme et envers autrui, et passer ainsi de la culpabilitĂ© Ă  la responsabilité ».          Le livre de Lytta Basset ouvre de nombreuses pistes de rĂ©flexion sur notre hĂ©ritage religieux, sur le problĂšme du mal, sur la culpabilitĂ© et le pĂ©chĂ©, et sur la rĂ©alitĂ© de la bienveillance. Dans cette contribution, nous Ă©voquerons l’approche de Lytta Basset dans sa description de la bienveillance et dans son commentaire d’épisodes de la vie de JĂ©sus dans lesquels la bienveillance s’exprime et se rĂ©pand.

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Lytta Basset : un chemin

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         Lytta Basset nous parle Ă  partir de son histoire personnelle oĂč elle a vĂ©cu, pendant des annĂ©es, un enfermement : au dĂ©part, hantise de la question de la culpabilitĂ©, de la faute et du pĂ©chĂ©, et puis, Ă  la suite d’« une violente irruption et invasion du mal jadis souffert », la prĂ©occupation lancinante du mal commis ». « Autre prĂ©occupation qui appartient Ă  la prĂ©histoire de ce livre : dans les dĂ©clarations publiques comme dans les accompagnements spirituels, je suis frappĂ©e par l’image nĂ©gative que les gens ont d’eux-mĂȘmes et des humains en gĂ©nĂ©ral » (p 9). « Ma rĂ©flexion a donc eu pour point de dĂ©part mon propre malaise par rapport Ă  la question du pĂ©chĂ© et Ă  l’image dĂ©sastreuse qu’elle nous avait donnĂ© de nous-mĂȘmes » (p 9). « Nos contemporains ont un besoin brĂ»lant d’ĂȘtre valorisĂ©s pour qui ils sont. Mais si la voix qu’ils entendent n’est pas celle d’un Dieu inconditionnellement bienveillant, faut-il s’en Ă©tonner ? J’ai trouvĂ© utile de chercher du cĂŽtĂ© de ce qui, trop longtemps, a parasitĂ© la ligne. Je veux parler de ce dogme du pĂ©chĂ© originel qui, adoptĂ© au VĂš siĂšcle grĂące Ă  Saint Augustin, a « plombé » l’Occident de maniĂšre ininterrompue jusqu’au XXĂš siĂšcle avec sa vision catastrophique de la nature humaine » (p 11) (2).

         Il y a dans ce livre un parcours particuliĂšrement utile pour engager un processus de libĂ©ration par rapport Ă  des reprĂ©sentations qui emprisonnent et dĂ©truisent. A partir de cette perspective, Lytta Basset propose ensuite une vision nouvelle fondĂ©e sur son expĂ©rience de la relation humaine et sur sa lecture de l’Evangile.

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         Ainsi Lytta Basset nous invite Ă  examiner les paroles et les comportements de JĂ©sus. « Avec cette personne, je peux ĂȘtre moi-mĂȘme
 elle me voit comme quelqu’un de prĂ©cieux et se rĂ©jouis que j’existe
 Tel Ă©tait le regard de JĂ©sus sur chaque personne qu’il rencontrait, adulte ou enfant. Un regard tout Ă  fait insolite, en ce qui concerne les enfants. C’est Ă  cela, entre autres, que je le vois incarner la Bienveillance. A rebours de la mentalitĂ© de son Ă©poque, il les bĂ©nissait et les prĂ©sentait comme les ĂȘtres les plus proches de Dieu, ceux dont l’image divine est la plus perceptible Ă  qui sait regarder » (p 313) (3). Et, Ă  contre-courant de l’état d’esprit dominant, JĂ©sus porte Ă©galement « un regard inconditionnellement bienveillant sur l’adulte dysfonctionnant en rupture de relation, « pĂ©cheur » (p 316).

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Vivre et reconnaĂźtre la bienveillance.

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         Mais comment Lytta Basset envisage-t-elle la bienveillance ? « Etre bien-veillant, c’est veiller sur quelqu’un dans une bonne intention, lui vouloir du bien sans lui imposer quoique ce soit ».

« Jamais une abstraction
 la Bienveillance s’expĂ©rimente entre nous bien avant que nous en ayons conscience. Et sans avoir besoin que nous nous dĂ©clarions croyants. Elle se contente de nous pousser chaque jour Ă  ĂȘtre attentifs Ă  cette bienveillance que nous vivons de la part d’autrui et/ou Ă  l’égard d’autrui » (p 317). De fait, lorsqu’elle parle de la Bienveillance avec un grand B, Lytta Basset y voit une manifestation de Dieu : « Je mets la majuscule quand je dĂ©sire me laisser habiter et traverser par le regard du Tout-Autre. Sans m’imaginer que j’en suis l’initiatrice
 Il me saute aux yeux qu’elle vient d’ailleurs en ces occasions oĂč je ne l’attendais pas du tout : quand je m’entends et me perçoit bienveillante envers une personne qui m’avait contrariĂ©e, mise hors de moi, traitĂ©e en ennemie » (p 317-318). Dans les moments difficiles, « un bon entraĂźnement est Ă  notre portĂ©e : ĂȘtre attentif Ă  la bienveillance qui circule entre les autres, y compris les inconnus, et dont nous sommes tĂ©moins tous les jours, dans la rue, le train, se rĂ©jouir de cette Bienveillance qui s’immisce dans nos relations incognito, supplĂ©ant inlassablement Ă  nos carences individuelles  » (p 319)

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La Bienveillance : Jésus dans les évangiles.

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         C’est ainsi que Lytta Basset est amenĂ©e Ă  nous prĂ©senter un commentaire Ă©clairant de plusieurs textes des Ă©vangiles : Luc 19, 1-10 ; Luc 5, 17-26 ; Jean 8, 1-11.

         Elle nous montre la Bienveillance Ă  l’oeuvre et cette vision renouvelle notre lecture. Ainsi commente-t-elle la rencontre « fortuite » de JĂ©sus avec ZachĂ©e : Ă  elle seule, la Bienveillance dont JĂ©sus est porteur va inciter son vis-Ă -vis Ă  reprendre le chemin de la relation et devenir responsable de ses actes !

         Le rĂ©cit fait partie d’une section qu’on a appelĂ© « l’Evangile des exclus », de toutes ces personnes considĂ©rĂ©es comme irresponsables  » (p 319) (4). « Cela se passe Ă  JĂ©richo. JĂ©sus vient de guĂ©rir un aveugle qui l’a appelĂ© au secours. Juste aprĂšs, « voilĂ  qu’un autre homme : ZachĂ©e, cherche aussi Ă  voir JĂ©sus. La similitude me frappe : tous les deux sont des exclus, parce que des « pĂ©cheurs »  or tous les deux sont en demande, plus ou moins consciente, plus ou moins explicite, de relation » (p 319-320). « La Bienveillance qui traverse la ville, ce jour lĂ , va faire fond sur le dĂ©sir d’un homme ZachĂ©e, qui « cherchait (simplement) Ă  voir qui Ă©tait JĂ©sus » (p 320).

         Lytta Basset nous invite donc Ă  reconnaĂźtre dans cette rencontre diffĂ©rents aspects de la bienveillance : « La bienveillance Ă  l’affĂ»t du dĂ©sir d’autrui. Une bienveillance qui traite d’égal Ă  Ă©gal. Une bienveillance dĂ©sireuse de relations qui durent. Une bienveillance qui pousse Ă  des actes responsables. Une bienveillance qui accueille autrui dans les limites du moment. Une bienveillance qui rend clairvoyant. Une bienveillance qui rĂ©veille en l’humain sa capacitĂ© relationnelle. Une bienveillance qui fait lĂącher culpabilitĂ© et perfectionnisme. Une bienveillance restauratrice du tissu social  » (p 321-335) ». Ces titres Ă©vocateurs balisent le commentaire du texte de Luc qui dĂ©crit la rencontre entre JĂ©sus et ZachĂ©e. A travers cette grille de lecture que nous pouvons nous aussi appliquer Ă  ce texte, Lytta Basset excelle Ă  nous montrer les Ă©clairages qu’on peut y dĂ©couvrir. Ecoutons par exemple ce qu’elle Ă©crit Ă  propos de « la bienveillance qui traite d’égal Ă  Ă©gal ». Dans sa rencontre avec ZachĂ©e, elle voit en JĂ©sus une parfaite humilitĂ© « comme pour mieux nous encourager Ă  nous identifier avec lui : n’importe quel ĂȘtre humain, marquĂ© dans sa plus grande humanitĂ© du sceau de la Bienveillance, peut offrir Ă  un semblable, aussi emmurĂ© soit-il, son propre dĂ©sir de lien, peut se mettre Ă  la « recherche » en lui, de « ce qui Ă©tait perdu » pour la relation, le sauver du repli mortel sur lui-mĂȘme. Quand nous faisons cela, nous ne faisons que laisser la Bienveillance agir Ă  travers nous : plus nous sommes humains (fils et fille de l’humain) et tendons la perche aux autres, plus nous incarnons ce Dieu qui est en dĂ©marche constante de relation » (p 323).

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Un livre pionnier

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         Ce livre ouvre notre regard. En phase avec le tournant des sciences humaines qui dĂ©couvrent en l’homme un potentiel positif (5), dans une pĂ©riode oĂč un changement profond intervient dans les mentalitĂ©s, oĂč la prĂ©gnance des enfermements du passĂ© est en voie de dĂ©crue, Lytta Basset prend appui sur son expĂ©rience spirituelle et sur une lecture renouvelĂ©e des textes bibliques pour mettre en valeur la bienveillance, une maniĂšre d’ĂȘtre, de sentir et d’agir, qui a toujours existĂ©, mais qui, aujourd’hui, rĂ©pond Ă  une aspiration nouvelle telle qu’on peut l’entendre aujourd’hui dans des expressions de convivialitĂ© ou des dĂ©marches collaboratives (6).

         Il y a aussi aujourd’hui une quĂȘte spirituelle de plus en plus rĂ©pandue (7). En regard, le livre aborde trĂšs concrĂštement des questions existentielles majeures. La rĂ©ponse se situe dans une approche relationnelle (8). « Ce qui concerne par dessus tout les auteurs bibliques, c’est d’ĂȘtre en lien avec le Vivant, de l’écouter et de l’entendre pour s’orienter dans la vie » (p 230). La relation avec Dieu va de pair avec la relation avec les humains. Le mal se trouve lĂ  oĂč la relation est en pĂ©ril ou interrompue, dans des situations Ă©noncĂ©es par Lytta Basset en terme « d’enfermement, d’errance, d’aveuglement, de maladie, de division, d’exclusion, d’idolĂątrie, de dette.. ». L’exigence, c’est de « ne pas nous couper les uns des autres »  (p258).

         Ce livre embrasse un champ trĂšs vaste. L’auteur a donc effectuĂ© un grand travail de documentation et de synthĂšse. Certains points peuvent parfois ĂȘtre discutĂ©s, mais ce qui compte ici, c’est le mouvement et l’état d’esprit. Ce livre ne parle pas seulement Ă  notre intelligence,  il parle Ă©galement Ă  notre cƓur. Et en Ă©largissant notre vision, il nous libĂšre de nos limites et de nos enfermements. C’est une ressource dans laquelle on peut venir et revenir puiser.

         Nous avons orientĂ© cette contribution sur un des aspects du livre qui en est aussi l’inspiration directrice : la bienveillance. Quand nous interrogeons notre mĂ©moire, il nous vient de multiples Ă©chos d’une bienveillance reçue qui a engendrĂ© et engendre encore aujourd’hui paix et joie. Au cƓur de nous mĂȘme, nous savons en vĂ©ritĂ© qu’accueillir la Bienveillance, la manifester envers ceux qui nous entourent dans un regard, dans un sourire, dans un geste, c’est nous sentir en harmonie avec Dieu, avec les humains, avec nous-mĂȘme et percevoir le bonheur d’ĂȘtre qui rĂ©side dans cette harmonie.

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J.H.

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(1)            Basset (Lytta). Oser la bienveillance. Albin  Michel, 2014

Présentation du livre par Lytta Basset en vidéo : http://www.albin-michel.fr/Oser-la-bienveillance-EAN=9782226253880

Lytta Basset est une théologienne réputée qui ouvre de nouveaux horizons : http://fr.wikipedia.org/wiki/Lytta_Basset

(2)            Dans un livre sur la post chrĂ©tientĂ©, Stuart Murray dĂ©crit bien le tournant intervenu au VĂš siĂšcle Ă  la suite de la thĂ©ologie d’Augustin d’Hippone (doctrine du pĂ©chĂ© originel et conception trĂšs sombre de l’humanitĂ©) et aussi le devenir de l’Eglise comme pouvoir. Sur le site de TĂ©moins, voir : http://www.temoins.com/etudes/faire-eglise-en-post-chretiente.html

(3)            « DĂ©couvrir la spiritualitĂ© des enfants. Un signe des temps ? » : http://www.temoins.com/etudes/decouvrir-la-spiritualite-des-enfants.-un-signe-des-temps/toutes-les-pages.html  Depuis une quinzaine d’annĂ©es, on constate un tournant dans le regard concernant la spiritualitĂ© des enfants. La recherche met en Ă©vidence la dimension spirituelle de l’enfant, ainsi la recherche de Rebecca Nye : Nye (Rebecca). Children’s spirituality. Church House publishing, 2004. Des thĂ©ologiens trouvent une inspiration dans les paroles de JĂ©sus sur les enfants. Sur ce blog : « L’enfant : un ĂȘtre spirituel » https://vivreetesperer.com/?p=340

(4)            Sur ce blog : « Dedans
dehors ! Face Ă  l’exclusion, vivre une commune humanité ! ». Entre autres, une rĂ©flexion sur JĂ©sus et le phĂ©nomĂšne de l’exclusion, par le thĂ©ologien : JĂŒrgen Moltmann. https://vivreetesperer.com/?p=439

(5)            En fĂ©vrier 2011, le magazine : « Sciences Humaines » publie un dossier sur le « Retour de la solidaritĂ©, empathie, altruisme, entraide ». Sur ce blog : « Quel regard sur la sociĂ©tĂ© et sur le monde. Un changement de perspective » : https://vivreetesperer.com/?p=191 Un livre de JĂ©rĂ©mie Rifkin : Rifkin (JĂ©rĂ©mie). Vers une civilisation de l’empathie. Les liens qui libĂšrent, 2011. AprĂšs une critique sĂ©vĂšre et utile des thĂšses opposĂ©es, comme celle de Freud, JĂ©rĂ©mie Rifkin met en Ă©vidence des tendances convergentes vers une montĂ©e de l’empathie. Sur le site de TĂ©moins, une mise en perspective : http://www.temoins.com/etudes/vers-une-civilisation-de-l-empathie.-a-propos-du-livre-de-jeremie-rifkin.apports-questionnements-et-enjeux.html Le livre de Jacques Lecomte sur la bontĂ© humaine est plusieurs fois citĂ© par Lytta Basset : Lecomte (Jacques). La bontĂ© humaine. Altruisme, empathie, gĂ©nĂ©rositĂ©. Odile Jacob, 2012. https://vivreetesperer.com/?p=674

(6)            Novel (Anne-Sophie), Riot (StĂ©phane). Vive la CO-rĂ©volution. Pour une sociĂ©tĂ© collaborative. Alternatives, 2012. Mise en perspective sur ce blog : « Une rĂ©volution de l’ĂȘtre ensemble » : https://vivreetesperer.com/?p=1394

Sur le site de TĂ©moins : « Emergence d’espace conviviaux et aspirations contemporaines : http://www.temoins.com/index.php?option=com_content&view=article&id=1012&catid=4

(7)            La maniĂšre dont la quĂȘte spirituelle se dĂ©veloppe et s’oriente aujourd’hui est mise en Ă©vidence par FrĂ©dĂ©ric Lenoir dans son livre : « Chemin de guĂ©rison ». Mise en perspective sur ce blog : « Un chemin de guĂ©rison pour l’humanitĂ©. La fin d’un monde. L’aube d’une renaissance » : https://vivreetesperer.com/?p=1048

A travers une recherche mĂ©thodique, Davif Hay met en Ă©vidence la dimension spirituelle de l’homme : Hay (David). Something there. The biology of human spirit. Darton, Longman and Todd, 2006. « La vie spirituelle comme une conscience relationnelle » : mise en perspective sur le site de TĂ©moins : http://www.temoins.com/etudes/la-vie-spirituelle-comme-une-conscience-relationnelle-.-une-recherche-de-david-hay-sur-la-spiritualite-aujourd-hui./toutes-les-pages.html. Sur ce blog: « Les expĂ©riences spirituelles » : https://vivreetesperer.com/?p=670

(8)            Cette approche relationnelle est Ă©galement dĂ©veloppĂ©e dans la pensĂ©e thĂ©ologique de JĂŒrgen Moltmann. Sur ce blog : « Dieu suscite la communion » : https://vivreetesperer.com/?p=564

« AmitiĂ© ouverte » : https://vivreetesperer.com/?p=14 Voir une prĂ©sentation de la pensĂ©e de JĂŒrgen Moltmann sur le blog : L’Esprit qui donne la vie : http://www.lespritquidonnelavie.com/

Pour poursuivre notre méditation sur la bienveillance, on pourra se reporter à plusieurs contributions sur ce blog, entre autres :

« Développer la bonté en nous : « un habitus de bonté » ».

https://vivreetesperer.com/?p=1838

« Comme les petits enfants ».

https://vivreetesperer.com/?p=1640

« Entrer dans la bénédiction ».

https://vivreetesperer.com/?p=1420

« La beautĂ© de l’écoute ».

https://vivreetesperer.com/?p=1219

« Geste d’amour ».

https://vivreetesperer.com/?p=1204

La raison pour laquelle le seul futur qui mĂ©rite d’ĂȘtre conçu inclut tout le monde

 

Intervention du pape François à la conférence TED 2017 : The future, you 

Il y a  aujourd’hui dans le monde un espace dans lequel les gens voulant exprimer une idĂ©e qui leur tient Ă  cƓur, souvent Ă  travers leur histoire de vie, une idĂ©e reconnue par ailleurs comme digne d’ĂȘtre diffusĂ©e dans le monde (« worth spreading ideas »), peuvent en rendre compte Ă  travers un court exposĂ© (talk) ne dĂ©passant pas 18 minutes et enregistrĂ© en vidĂ©o. Si au dĂ©part le sigle TED correspond à : « Technology. Entertainment. Design » (1), tous les domaines de l’activitĂ© et de la pensĂ©e humaine sont aujourd’hui couverts. Des confĂ©rences TED ont commencĂ© Ă  se tenir annuellement aux Etats-Unis Ă  partir de 1990. En 2006, on dĂ©cide d’en diffuser le contenu Ă  travers le monde en ligne sur internet. Et, par ailleurs, les lieux d’expression se dĂ©multiplient en apparaissant dans des villes de nombreux pays sous l’appellation TED X (2).

 

 

Cette annĂ©e, la confĂ©rence internationale Ă  Vancouver vient de se dĂ©rouler sur le thĂšme : « The future, you ». Comment sommes-nous personnellement impliquĂ© dans l’avenir en gestation ? Le pape François a Ă©tĂ© invitĂ© Ă  s’exprimer dans un exposĂ© intitulé : « La raison pour laquelle le seul futur qui mĂ©rite d’ĂȘtre conçu inclut tout le monde » (3). Cet exposĂ© s’adresse Ă  des gens trĂšs divers Ă  travers le monde et il nous paraĂźt communiquer un message d’amour et d’espĂ©rance qui porte la vie.

 

Un espace interconnecté

Le pape François constate que les ĂȘtres humains ne peuvent pas vivre isolĂ©s, mais que, de fait, nos vies sont interconnectĂ©es.

« L’avenir est fait de rencontres, car la vie n’existe que dans nos relations avec les autres. Mes quelques annĂ©es de vie ont renforcĂ© ma conviction que notre existence Ă  tous est profondĂ©ment liĂ©e Ă  celle des autres. La vie n’est pas un temps qui s’écoule, la vie est interraction. Aujourd’hui, mĂȘme la science suggĂšre que la rĂ©alitĂ© est un lieu oĂč chaque Ă©lĂ©ment se connecte et interagit avec tous les autres ».

François Bergoglio, aujourd’hui le pape François, sait combien nos itinĂ©raires s’entrecroisent. « Je suis nĂ© dans une famille de migrants. Mon pĂšre, mes grands-parents, comme beaucoup d’autres italiens, sont partis en Argentine et ont connu le destin de ceux qui ont tout quittĂ©. J’aurais trĂšs bien pu devenir moi aussi un laissĂ©-pour-compte. C’est pourquoi je m’interroge encore au plus profond de moi : pourquoi eux et pas moi ? »

Mais, puisqu’en rĂ©flĂ©chissant Ă  la rĂ©alitĂ© du monde et au dĂ©roulement de nos vies, nous constatons qu’il y a partout interrelation, nous percevons Ă©galement qu’une vie harmonieuse requiert des connexions saines entre les hommes. « Nous avons tous besoin les uns des autres. Aucun de nous n’est seul au monde, un « moi » autonome et indĂ©pendant, sĂ©parĂ© des autres. Nous ne construirons l’avenir qu’en Ă©tant ensemble, en n’excluant personne. Nous n’y rĂ©flĂ©chissons pas souvent, mais tout est connectĂ©, nous devons rĂ©tablir des connections saines entre nous ». Cela requiert par exemple d’entrer dans un processus de pardon et de rĂ©conciliation.

Plus gĂ©nĂ©ralement, « De nos jours, beaucoup d’entre nous semblent croire qu’il sera impossible d’avoir un avenir heureux. Bien qu’il faille prendre ces prĂ©occupations trĂšs au sĂ©rieux, on peut inverser la tendance. Nous les dĂ©passerons si nous ne fermons pas notre porte au monde extĂ©rieur. Le bonheur ne peut ĂȘtre trouvĂ© que s’il y a une harmonie entre le tout et l’individuel ».

 

Un élan de solidarité et de générosité.

         Nous ne pouvons ignorer la pauvretĂ©, la misĂšre engendrĂ©es par les inĂ©galitĂ©s, la polarisation sur la production de biens marchands au dĂ©pens de la vie humaine. « Comme ce serait merveilleux si la solidaritĂ©, mot magnifique et parfois dĂ©rangeant, n’était pas rĂ©duite au travail social et devenait au contraire l’attitude naturelle dans les choix politiques, Ă©conomiques et scientifiques et dans les relations entre les individus, entre les peuples, entre les pays ».

Loin d’exprimer Ă  ce sujet une attitude pessimiste sur la nature humaine, le pape François met en valeur un potentiel de gĂ©nĂ©rositĂ© et de bonté . « La solidaritĂ© est une rĂ©action naturelle qui vient du cƓur de chacun. Oui, une rĂ©action naturelle ! Quand on rĂ©alise que la vie, mĂȘme au milieu de tant de contradictions, est un don, que l’amour est la source et le sens de la vie,  comment peut-on rĂ©primer cette envie de faire le bien Ă  autrui. Pour faire le bien, il faut de la mĂ©moire, il faut du courage, il faut de la crĂ©ativitĂ©. Et je sais bien que Ted rĂ©unit beaucoup d’esprits crĂ©atifs. Oui, l’amour requiert une attitude crĂ©ative, concrĂšte et ingĂ©nieuse. Les bonnes intentions et les formules convenues, qu’on utilise si souvent pour apaiser notre conscience, ne suffisent pas. Aidons-nous les uns les autres Ă  nous rappeler que l’autre n’est ni une statistique, ni un nombre. L’autre est toujours une prĂ©sence, une personne dont il fait prendre soin ».

Alors, pour nous Ă©clairer, peut remonter cette parole si unique : l’histoire du Bon Samaritain racontĂ©e par JĂ©sus (Evangile Luc10. 25-36). « L’histoire du Bon Samaritain est l’histoire de l’humanitĂ© actuelle. La voie des hommes est pavĂ©e de blessures, car tout est centrĂ© sur l’argent, les possessions et non sur les hommes. Les gens qui se disent respectables ont souvent l’habitude de ne pas s’occuper des autres, laissant des populations entiĂšres abandonnĂ©es sur la route. Heureusement, il y a ceux qui crĂ©ent un monde nouveau en  prenant soin des autres » . «  Nous avons tant Ă  accomplir, nous devons le faire ensemble. Mais comment le faire avec tout le mal que nous respirons ?  GrĂące Ă  Dieu, aucun systĂšme ne peut annihiler notre dĂ©sir de nous ouvrir au bien, Ă  la compassion, ni notre capacitĂ© de rĂ©agir face au mal ; tout ça vient du plus profond de notre cƓur
 Dans les tĂ©nĂšbres des conflits actuels, chacun d’entre nous peut devenir un cierge Ă©blouissant, une preuve que la lumiĂšre peut vaincre les tĂ©nĂšbres, et jamais l’inverse ».

 

Une dynamique s’espĂ©rance

 Dans les derniĂšres dĂ©cennies, en christianisme, l’espĂ©rance est devenue inspiratrice d’une action collective. C’est ce qu’exprime ici le pape François. « Pour les chrĂ©tiens, le futur a un nom, et ce nom est l’EspĂ©rance. EspĂ©rer ne veut pas dire ĂȘtre un optimiste naĂŻf et ignorer la tragĂ©die que vit l’humanitĂ©. L’EspĂ©rance est la vertu d’un cƓur qui ne demeure pas dans le passĂ©, qui ne fait pas que passer dans le prĂ©sent, mais qui est capable de voir des lendemains. L’EspĂ©rance est la porte qui mĂšne vers l’avenir. L’EspĂ©rance est une graine de vie, cachĂ©e, humble, qui, avec le temps, deviendra un arbre immense
 L’EspĂ©rance commence avec une seule personne. Quand il y a un « nous », c’est une rĂ©volution qui commence ».

 

La révolution de la tendresse

 Le message se poursuit Ă  travers un appel Ă  la tendresse. Qu’est-ce que la tendresse ? C’est l’amour qui se rapproche et se concrĂ©tise. C’est un mouvement qui part du cƓur et arrive aux yeux, aux oreilles et aux mains. La tendresse nous demande de nous servir de nos yeux pour voir l’autre, et de nos oreilles pour l’écouter, pour Ă©couter les enfants, les pauvres, ceux qui ont peur de l’avenir, pour entendre le cri silencieux de notre maison commune, notre terre polluĂ©e et malade. La tendresse nous demande de nous servir de nos mains et de notre cƓur pour rĂ©conforter l’autre, pour prendre soin de ceux dans le besoin ». Quel merveilleux registre de relation !

« La tendresse, c’est se mettre au niveau de l’autre ». Et, Ă  nouveau, un geste, une parole vient nous Ă©clairer. « Dieu est descendu en JĂ©sus pour ĂȘtre Ă  notre niveau. C’est le chemin que le Bon Samaritain a suivi. C’est le chemin que JĂ©sus lui-mĂȘme a pris. Il s’est abaissĂ©, il a vĂ©cu toute son existence humaine Ă  parler le langage vrai, le langage concret de l’amour ». Le pape François nous appelle Ă  suivre le chemin de la tendresse. « La tendresse n’est pas une faiblesse, c’est une force. C’est le chemin de la solidaritĂ©, le chemin de l’humilité ». Combien cette humilitĂ© est nĂ©cessaire chez les puissants !

Dans le monde d’aujourd’hui, chacun a un rĂŽle Ă  jouer. « L’avenir est entre les mains des hommes qui reconnaissent l’autre comme un individu et eux-mĂȘmes comme un Ă©lĂ©ment du « nous ».  Nous avons tous besoin de l’autre ».

 

En accueil 

Voici un message en affinité avec les orientations développées dans ce blog.

Oui, il y a bien aujourd’hui une prise de conscience des interconnections qui interviennent Ă  tous les niveaux. Comme l’écrit JĂŒrgen Moltmann : « Si l’Esprit Saint est rĂ©pandu sur toute la crĂ©ation, il fait de la communautĂ© de toutes les crĂ©atures , avec  Dieu et entre elles, cette communautĂ© de la crĂ©ation dans laquelle toutes les crĂ©atures communiquent chacune Ă  sa maniĂšre entre elles et avec Dieu »  L’« essence » de la crĂ©ation est par consĂ©quent la « collaboration » et les structures manifestent la prĂ©sence de l’Esprit dans la mesure oĂč elles font connaĂźtre l’ « accord gĂ©nĂ©ral ». « Au commencement Ă©tait la relation » (Martin Buber ») (4).

De fait, cette conscience de l’interconnexion se manifeste maintenant jusque dans l’existence quotidienne. Ainsi, dans son livre : « Sa prĂ©sence dans ma vie », Odile Hassenforder peut Ă©crire : « Assez curieusement, ma foi en notre Dieu, qui est puissance de vie, s’est dĂ©veloppĂ©e Ă  travers la dĂ©couverte de nouvelles approches scientifiques qui transforment notre reprĂ©sentation du monde. Dans cette nouvelle perspective, j’ai compris que tout se relie Ă  tout et que chaque chose influence l’ensemble. Tout se tient. Tout se relie. Pour moi, l’action de Dieu s’exerce dans ces interrelations »(5).

 

Dans cette perspective, nos vies personnelles et aussi bien la vie sociale dĂ©pendent de la qualitĂ© des relations humaines. Avec le pape François, JĂŒrgen Moltmann met en Ă©vidence l’importance « des connexions saines entre les hommes ». « Une vie isolĂ©e et sans relations, c’est Ă  dire individuelle au sens littĂ©ral du terme et qui ne peut ĂȘtre partagĂ©e est une rĂ©alitĂ© contradictoire en elle-mĂȘme. Elle n’est pas viable et elle meurt
 La vie nait de la communautĂ©, et lĂ  oĂč naissent des communautĂ©s qui rendent la vie possible et la promeuvent, lĂ  l’Esprit de Dieu est Ă  l’oeuvre » ( 6) Ainsi, c’est bien Ă  travers la solidaritĂ© que l’humanitĂ© peut subsister et s’épanouir.

 

Tout se tient, mais tout est Ă©galement en mouvement. Et c’est pourquoi le papa François proclame la vertu de l’espĂ©rance qui ouvre notre horizon vers l’avenir. Sa pensĂ©e rencontre lĂ  aussi celle de JĂŒrgen Moltmann, le thĂ©ologien de l’espĂ©rance (7). « Le christianisme dĂ©borde d’espĂ©rance
 Il est rĂ©solument tournĂ© vers l’avenir et invite au renouveau
 L’avenir n’est pas un aspect du christianisme, mais l’élĂ©ment de la foi qui se veut chrĂ©tienne
 La foi est chrĂ©tienne lorsqu’elle est la foi de PĂąques. Avoir la foi, c’est vivre dans la prĂ©sence du Christ ressuscitĂ© et tendre vers le futur royaume de Dieu » (8).

 

Le pape François appelle tous les hommes Ă  une rĂ©volution de la tendresse, car il perçoit en chacun un potentiel de gĂ©nĂ©rositĂ©. Et nous savons qu’il est entendu en retour. Nous quittons les rives d’une civilisation oĂč l’homme Ă©tait Ă©crasĂ© par un regard mortifĂšre et culpabilisant. Aujourd’hui, nous voyons apparaĂźtre des courants nouveaux qui portent la bienveillance (9) et appellent un  regard positif (10). La thĂ©ologienne Lytta Basset intitule un de ses livres : « Oser la bienveillance » (11). Ce blog est tĂ©moin du changement de sensibilitĂ© qui est en train d’advenir. En Ă©voquant une rĂ©volution de la tendresse, en rappelant l’histoire du Bon Samaritain, Ă  l’époque un message inouĂŻ (12), le pape François montre comment la graine semĂ©e par JĂ©sus est en train de grandir aujourd’hui. Si la violence est prĂ©sente aujourd’hui dans nos sociĂ©tĂ©s, en entendant le pape François, on peut constater Ă©galement que la bontĂ© Ă©veille la bontĂ©. Et, comme il le dit : « la lumiĂšre peut vaincre les tĂ©nĂšbres, et jamais l’inverse ».

 

J H

 

(1)            Histoire et présentation de Ted sur Wikipedia. The free Encyclopedia :  https://en.wikipedia.org/wiki/TED_(conference)

(2)            Les  conférences Ted X sont maintenant présentes dans de nombreuses ville de France et, sur ce blog, nous mettons souvent les « talks » correspondants en valeur

(3)            « La raison pour laquelle le seul futur qui mĂ©rite d’ĂȘtre conçu inclut tout le monde » : Talk du pape François (avril 2017) sous titrĂ© en français (avec un script du texte en français) :  https://www.ted.com/talks/pope_francis_why_the_only_future_worth_building_includes_everyone?language=fr

(4)            JĂŒrgen Moltmann. Dieu dans la crĂ©ation. TraitĂ© Ă©cologique de la crĂ©ation. Cerf, 1988 (p 24-25)

(5)            Odile Hassenforder. Sa présence dans ma vie.  Empreinte, 2011 (p 219)   Sur ce blog : « Dieu, puissance de vie » : https://vivreetesperer.com/?p=1405

(6)            JĂŒrgen Moltmann. L’Esprit qui donne la vie. Cerf, 1999 (p 298)

(7)            Le livre de Moltmann : « Theology of hope » paru en 1967 a ouvert un nouvel horizon. Sur la vie et la pensĂ©e de JĂŒrgen Moltmann,  un texte Ă  partir de son autobiographie : « Une thĂ©ologie pour notre temps. L’autobiographie de JĂŒrgen Moltmann » : http://www.temoins.com/une-theologie-pour-notre-temps-lautobiographie-de-juergen-moltmann/

(8)            JĂ»rgen Moltmann. De commencements en recommencements. Une dynamique d’espĂ©rance. Empreinte, 2012 (p 109-110)    PrĂ©sentation du livre : https://vivreetesperer.com/?p=572

(9)            Ce mouvement vers la mise en valeur et la mise en Ɠuvre de la bienveillance est visible sur le web, notamment dans des talks TED X . Sur ce blog, les articles indexĂ©s Ă  ce terme : https://vivreetesperer.com/?s=bienveillance+

(10)      La psychologie positive est en plein développement en France depuis le début du siÚcle. Voir le site : http://www.psychologie-positive.net/spip.php?article8            Sur ce blog, analyse de plusieurs livre de Jacques Lecomte, un pionnier de la psychologie positive en France : « La bonté humaine. Est-ce possible ? » : https://vivreetesperer.com/?p=674

(11)      « Lytta Basset. Oser la bienveillance » : https://vivreetesperer.com/?p=1842

(12)      Dans son livre : « Darwin, Bonaparte et le samaritain », Michel Serres met en valeur la figure pionniĂšre du Bon Samaritain : « Une philosophie de l’histoire » : https://vivreetesperer.com/?p=2479

 

Sur ce blog, on pourra lire aussi :

« Une belle vie se construit sur de belles relations » : https://vivreetesperer.com/?p=2491

« Devenir plus humain » :

https://vivreetesperer.com/?p=2105

« Briser la solitude » :

https://vivreetesperer.com/?p=716

« Dans un monde difficile, un tĂ©moignage porteur de joie et d’espĂ©rance » :

https://vivreetesperer.com/?p=2358

Jane Goodall : une recherche pionniÚre sur les chimpanzés, une ouverture spirituelle, un engagement écologique

Nous vivons aujourd’hui dans une pĂ©riode critique. La nature est en danger en raison de l’aviditĂ© humaine. Mais, en mĂȘme temps, des transformations en profondeur s’opĂšrent. C’est, par exemple, la dĂ©couverte de formes de conscience dans le monde animal. Et, plus gĂ©nĂ©ralement, l’humanitĂ© commence Ă  accĂ©der Ă  une relation dimensionnelle qui la dĂ©passe, un mouvement qui peut se dĂ©crire en terme d’écospiritualitĂ©. Une personne comme Jane Goodall s’inscrit dans ce paysage Ă  travers son histoire de vie, une recherche pionniĂšre sur les chimpanzĂ©s, une ouverture spirituelle, un engagement Ă©cologique.

https://youtu.be/ji5tdtz5AMg

Notre attention la concernant a Ă©tĂ© attirĂ©e par son obtention du prix Templeton en 2021. En effet, le prix Templeton (1) se veut l’équivalant en excellence au prix Nobel dans le domaine des rĂ©alisations ayant une portĂ©e spirituelle. DĂ©cernĂ© pour la premiĂšre fois en 1973, il a d’abord concernĂ© « le progrĂšs en religion ». Aujourd’hui, le prix Templeton  est un prix « pour le progrĂšs de la recherche et des dĂ©couvertes concernant les rĂ©alitĂ©s spirituelles ». Un intĂ©rĂȘt tout particulier est portĂ© aux personnes travaillant Ă  « l’intersection de la science et de la religion ». « Comment exploiter le potentiel de la science pour explorer les questions les plus profondes concernant l’univers et, en celui-ci, la place et le but de l’humanité ?». En recevant le prix Templeton, Jane Goodall s’inscrit dans un ensemble de personnalitĂ©s remarquables parmi lesquelles le DalaĂŻ Lama et l’archevĂȘque Desmond Tutu. Mais, plus prĂ©cisĂ©ment, dans le champ de la science, elle succĂšde Ă  Francis Collins, gĂ©nĂ©ticien amĂ©ricain connu pour son Ɠuvre marquante dans la dĂ©couverte de l’ADN et titulaire du prix Templeton en 2020.

A de nombreuses reprises, Jane Goodall a Ă©tĂ© amenĂ©e Ă  s’exprimer sur son expĂ©rience de vie et ses convictions. Nous nous inspirons ici particuliĂšrement de son livre : « Reason for hope. A spiritual journey » (2), initialement publiĂ© en 1999 et ensuite traduit en français. Ainsi, nous Ă©voquons son histoire de vie, comment d’une enfance en Angleterre, dans la fraicheur d’une relation avec les animaux et l’encouragement de sa mĂšre, elle est partie en Afrique, et, dans un contexte de recherche, a pu y dĂ©couvrir une forme de conscience chez les chimpanzĂ©s. A l’époque, ce fut une dĂ©couverte rĂ©volutionnaire. Dans son chemin qui fut difficile, elle a Ă©tĂ© portĂ©e par une foi chrĂ©tienne et une sensibilitĂ© spirituelle. Enfin, constatant les destructions en cours dans le monde vivant, elle s’est engagĂ©e dans une grande mission de conscientisation Ă©cologique.

 

Une histoire de vie

 Si on peut accĂ©der Ă  de courtes biographies de Jane Goodall (3), le livre : « Reason for hope », relate de grandes Ă©tapes de sa vie. Comment une jeune anglaise est attirĂ©e par l’Afrique Ă  une Ă©poque oĂč cela n’allait pas de soi, comment elle fait l’apprentissage de la mĂ©thode scientifique et dĂ©veloppe une approche originale dans l’observation des chimpanzĂ©s en devenant ainsi une personnalitĂ© scientifique reconnue, comment, Ă  travers les alĂ©as de la vie, elle est portĂ©e par une dĂ©marche de foi, une ouverture spirituelle qu’elle manifeste dans le titre de son ouvrage : « Reason for hope. A spiritual journey » (Raison d’espoir. Un voyage spirituel).
Jane Goodall est nĂ©e en 1934 en Angleterre. Elle a vĂ©cu son enfance dans un pays en guerre, mais dans un lieu relativement privilĂ©giĂ©, et dans un environnement familial oĂč sa mĂšre a jouĂ© un rĂŽle marquant. Une des caractĂ©ristiques majeures de son enfance a Ă©tĂ© l’amour des animaux. Ainsi raconte-t-elle, dans son livre, des souvenirs prĂ©cis, par exemple comment, Ă  quatre ans, elle a dĂ©couvert la maniĂšre dont une poule pondait un Ɠuf. Elle nous dĂ©crit son attachement pour son chien et le plaisir de vivre dans un jardin.
Elles nous raconte Ă©galement son Ă©ducation chrĂ©tienne, avec, dans l’adolescence Ă  quinze ans, un poussĂ©e de ferveur au contact d’un pasteur dont elle apprĂ©cie l’enseignement. Ainsi Ă©voque-t-elle la foi chrĂ©tienne vivante qu’elle a vĂ©cue Ă  cet Ăąge.
A 19 ans, elle s’oriente vers des Ă©tudes de secrĂ©tariat, un mĂ©tier qui lui permet de travailler n’importe oĂč. Et effectivement, elle nourrit un dĂ©sir de se rendre en Afrique. Ce dĂ©sir se rĂ©alise en 1957 lorsqu’elle peut se rendre au Kenya grĂące Ă  l’invitation d’une amie d’école.
Ainsi, de l’enfance Ă  la jeunesse, on voit un fil conducteur dans la vie de Jane : « J’ai une mĂšre qui n’a pas seulement tolĂ©rĂ©, mais encouragĂ© ma passion pour la nature et les animaux, et qui, encore plus important, m’a appris Ă  croire en moi. Tout a conduit, de la maniĂšre la plus naturelle, semble-t-il aujourd’hui, Ă  l’invitation magique Ă  me rendre en Afrique oĂč je rencontrerai le docteur Louis Leakey (un palĂ©ontologue) qui me conduira sur le chemin de GombĂ© et des chimpanzĂ©s » (p 4).

A 23 ans, en 1957, Jane est donc partie en bateau pour l’Afrique. En faisant le point sur sa jeunesse, elle Ă©crit : « Je pouvais entrer dans cette nouvelle vie sans peur, car j’étais Ă©quipĂ©e par ma famille et mon Ă©ducation, par de saines valeurs morales et par un esprit indĂ©pendant, pensant librement ». Au Kenya, elle est mise en relation avec le cĂ©lĂšbre anthropologue, Louis Leakey qui lui offre un emploi comme sa secrĂ©taire personnelle. Elle participe donc avec lui Ă  ses campagnes de fouilles. Et c’est le docteur Leakey qui va l’inviter Ă  s’engager dans une recherche de longue haleine sur les chimpanzĂ©s, car, bien que Jane ait Ă©tĂ© alors dĂ©pourvue de diplĂŽme, il croyait en elle « un esprit ouvert avec la passion du savoir, avec l’amour des animaux et une grande patience » (p 55). A l’époque, on ne savait presque rien sur le comportement des chimpanzĂ©s dans un environnement naturel. Tout Ă©tait Ă  dĂ©couvrir. Le docteur Leakey a trouvĂ© un financement pour mener cette recherche. Jane s’est installĂ©e, en compagnie de sa mĂšre, Ă  GombĂ©, un espace de collines forestiĂšres en Tanzanie.

Et lĂ , peu Ă  peu, Jane a commencĂ© Ă  explorer les lieux. Tous les jours, de bonne heure, elle partait dans la forĂȘt. Au dĂ©part, les chimpanzĂ©s fuyaient dĂšs qu’ils la voyaient. Et puis, ils se sont habituĂ©s Ă  elle et la dĂ©couverte a commencĂ©. Ainsi, elle a su mettre en Ă©vidence que les chimpanzĂ©s utilisaient des outils. « Ce fut une dĂ©couverte majeure. A partir de lĂ , on a commencĂ© Ă  redĂ©finir l’homme d’une façon plus complexe qu’auparavant ». Peu Ă  peu, Jane est entrĂ©e « dans un monde magique qu’aucun humain n’avait explorĂ© avant, le monde des chimpanzĂ©s sauvages » (p 71). Elle y dĂ©couvre de mieux en mieux la personnalitĂ© des chimpanzĂ©s, mais elle entre aussi dans une harmonie. Animaux, arbres, Ă©toiles « formaient un grand tout ». « Tout faisait partie d’un grand mystĂšre et j’en faisais partie aussi ». « Un sentiment de paix descendait sur moi ».

Dans les annĂ©es qui suivirent, Jane passa Ă  l’UniversitĂ© de Cambridge et y obtint un doctorat. Si le sĂ©jour dans le centre de recherche qui s’était installĂ© Ă  GombĂ© connut des Ă©pisodes d’insĂ©curitĂ©, la recherche sur les chimpanzĂ©s s’y est poursuivie. Le « noble singe » s’est rĂ©vĂ©lĂ© un mythe. La communautĂ© des chimpanzĂ©s observĂ©e jusque lĂ  s’était sĂ©parĂ©e et ayant donnĂ© naissance Ă  une autre communautĂ©, un conflit entre les deux est apparu. « Notre monde paisible et idyllique, notre petit paradis a Ă©tĂ© bouleversé » (p 177). Des tueries ont Ă©tĂ© observĂ©es. « Soudain, nous avons trouvĂ© que les chimpanzĂ©s pouvaient ĂȘtre brutaux » (p 177). Il a fallu en rendre compte scientifiquement, bien que dans ces annĂ©es lĂ , ce sujet se prĂȘtait Ă  des controverses idĂ©ologiques.

La recherche de Jane Goodall Ă©tait dĂ©sormais reconnue dans le monde scientifique. Elle publie un livre sur « les chimpanzĂ©s de Gombé ». C’est alors qu’elle fut invitĂ©e en 1986 Ă  une grande confĂ©rence sur les chimpanzĂ©s. A cette occasion, elle prit conscience de la destruction du milieu naturel en Afrique. La vie des chimpanzĂ©s Ă©tait menacĂ©e de toutes parts, notamment dans la maltraitance des expĂ©riences mĂ©dicales en laboratoire. Face Ă  tous ces dangers, Jane Goodhall s’est sentie appelĂ©e Ă  s’engager pour la protection de la nature et pour l’éducation. Elle va parcourir le monde dans le cadre de la fondation qu’elle a créé : le « Jane Goodall Institute ». En 2002, elle est instituĂ© « ambassadrice de la paix » par le SecrĂ©taire GĂ©nĂ©ral des Nations Unies.

Dans son livre, Jane Goodall nous fait part Ă©galement de sa vie privĂ©e. Un premier mariage en 1964 avec un photographe et rĂ©alisateur. AprĂšs une dĂ©cennie passĂ©e ensemble, le couple divorce. En 1975, Jane se remarie avec Derek Bryceson, un membre du parlement de Tanzanie et directeur des parcs nationaux du pays. Son mari est atteint d’un cancer et dĂ©cĂšde en 1980. Ce fut un Ă©vĂ©nement trĂšs douloureux dans la vie de Jane.

 

Une recherche pionniĂšre

En participant Ă  la recherche de Louis Leakey, Ă  ses fouilles palĂ©ontologiques, Jane a Ă©tĂ© initiĂ©e Ă  la mĂ©thode scientifique. Et Louis Leakey Ă©tait Ă  l’avant-garde de la recherche sur les origines de l’homme. N’était-il pas nĂ©cessaire d’aller au delĂ  de la reconstitution du passĂ© et de s’interroger sur « les descendants vivants des crĂ©atures prĂ©historiques ? « Louis Leakey Ă©tait intĂ©ressĂ© par les grands singes, parce qu’ils sont les plus proches et parce qu’il Ă©tait important pour lui de comprendre que leurs comportements dans un Ă©tat sauvage pouvait l’aider Ă  mieux envisager comment nos ancĂȘtres se comportaient »(p 52). Ainsi Leakey projetait une recherche sur les chimpanzĂ©s. Cette Ă©tude de terrain n’avait pas de prĂ©cĂ©dent. Elle Ă©tait difficile. Au total, Leakey pensait que Jane Ă©tait la meilleure personne qui pouvait entreprendre une telle tĂąche. Et il trouva un financement pour cette entreprise. Ainsi, Jane alla s’installer Ă  GombĂ©, un coin de forĂȘt tropicale au Tanganyka.

Au dĂ©part, les chimpanzĂ©s prĂ©sents dans ce lieu la fuyaient. Et ce n’est que peu Ă  peu qu’elle rĂ©ussit Ă  entrer en contact avec eux. Dans cette approche et cette attente, Jane aimait cette vie dans la forĂȘt. Le temps passait et finalement, elle fit une grande dĂ©couverte. C’était l’utilisation d’un outil par un chimpanzĂ©. Et comme, Ă  cette Ă©poque, l’homme Ă©tait dĂ©fini comme « le fabricant d’outil », les observations de Jane mettaient en question cette spĂ©cificitĂ© (p 67). Leakey obtint un crĂ©dit de la  National Geographic Society pour poursuivre cette recherche. Ainsi, « Jane pouvait pĂ©nĂ©trer, de plus en plus, dans un univers magique qu’aucun humain n’avait explorĂ© avant elle : l’univers des chimpanzĂ©s sauvages » (p 71). Elle entra dans un dialogue familier avec les ĂȘtres vivants qui peuplaient la forĂȘt. Et elle approcha de plus en plus des chimpanzĂ©s, reconnaissant en chacun une personnalitĂ© contrairement Ă  une pensĂ©e scientifique « rĂ©ductionniste et mĂ©caniste » (p 74) dominante Ă  l’époque. Elle put et elle sut entrevoir les Ă©motions des chimpanzĂ©s. « Il Ă©tait abondamment clair que ces animaux avaient une personnalitĂ©, pouvaient raisonner et rĂ©soudre des problĂšmes, avoir des Ă©motions » (p 74). Peu Ă  peu, elle apprit Ă  reconnaĂźtre les liens affectifs et de soutien Ă  long terme entre les membres d’une famille et les « proches amis » (p 76). Si, Ă  l’époque, il Ă©tait recommandĂ© aux chercheurs d’éviter toute empathie, Jane ignorait cette recommandation. « Une grande partie de ma connaissance de ces ĂȘtres intelligents s’est construite justement parce que je nourrissais de l’empathie Ă  leur Ă©gard « (p 77).

Un centre de recherche s’est installĂ© Ă  GombĂ©. L’étude a pu ainsi se poursuivre pendant des annĂ©es. Un tournant est intervenu dans les annĂ©es 70, car on a dĂ©couvert alors une ombre dans la vie des chimpanzĂ©s. Le groupe central, bien connu de Jane, s’était sĂ©parĂ©. Des conflits Ă©clatĂšrent entre deux groupes devenus rivaux. On put observer des actes meurtriers, jusque dans la dĂ©voration de jeunes chimpanzĂ©s par des congĂ©nĂšres plus ĂągĂ©s. Ce fut un choc pour Jane et il ne fut pas facile d’en rendre compte dans la communautĂ© scientifique, car des arguments furent opposĂ©s sur une possible instrumentalisation idĂ©ologique de ces rĂ©sultats. Jane chercha Ă  regarder la situation en face dans toute sa complexitĂ©.

 

Une ouverture spirituelle.

Dans son enfance et particuliĂšrement dans son adolescence, Jane a vĂ©cu la foi chrĂ©tienne. Dans son livre, elle nous en dĂ©crit concrĂštement les expĂ©riences. Enfant, chez elle, le sentiment religieux s’étend Ă  la nature comme il en sera de mĂȘme par la suite. « Dieu Ă©tait aussi rĂ©el pour moi que le vent qui passait Ă  travers les arbres de notre jardin. D’une certaine maniĂšre, Dieu prenait soin d’un monde magique plein d’animaux fascinants et de gens qui, pour la plupart, Ă©taient amicaux et bons. C’était pour moi un monde enchantĂ©, plein de joie et de merveille et je me sentais beaucoup en faire partie » (p 10).

Dans son adolescence, la venue d’un nouveau pasteur dont l’enseignement Ă©tait attirant, l’amena Ă  frĂ©quenter l’église congrĂ©gationnelle. « Le pasteur Ă©tait hautement intelligent et les prĂ©dications Ă©taient puissantes et suscitaient la rĂ©flexion » (p 21). « Soudainement, personne n’eut plus Ă  m’encourager d’aller Ă  l’église ». « Sans aucun doute, ce pasteur a eu une influence majeure sur ma vie. Comme j’écoutais ses prĂ©dications, la religion chrĂ©tienne devint vivante et, de nouveau, je permis aux idĂ©es de Dieu d’imprĂ©gner ma vie » (p 24). Jane nous raconte le contenu de sa foi et, entre autres, la maniĂšre dont elle lisait la Bible. Cette pĂ©riode a Ă©tĂ© marquante. « Clairement, Ă  ce moment, je commençais Ă  me sentir partie d’une grande puissance unificatrice ». Jane Ă©voque l’émerveillement suscitĂ© par un magnifique coucher de soleil. Il y a des moments oĂč « elle sentait profondĂ©ment qu’elle se trouvait Ă  l’intĂ©rieur d’une grande puissance spirituelle – Dieu ». « Comme j’ai Ă©voluĂ© dans la vie, j’ai appris progressivement comment chercher de la force dans cette puissance, cette source de toute Ă©nergie pour fortifier mon esprit troublĂ© et mon corps Ă©puisĂ© en cas de besoin » (p 30). Dans les Ă©preuves qu’elle a connu, Jane a eu des passages de doute. Devant la souffrance de son mari en train de mourir, « ma foi en Dieu vacilla. Durant un moment, j’ai cru qu’elle s’était Ă©teinte » (p 159). Mais elle a gardĂ© le cap. Et son histoire de vie a Ă©tĂ© ponctuĂ©e par des expĂ©riences spirituelles.

A GombĂ©, dans la forĂȘt tropicale, elle a ressenti un grand Ă©merveillement. Elle nous en parle abondamment. « Plus je passais de temps dans la forĂȘt, plus je devenais un avec ce monde magique qui Ă©tait maintenant mon habitat (p 73). Elle vit Ă  l’unisson des Ă©lĂ©ments, des arbres, des animaux. Plus tard, dans son parcours Ă  GombĂ©, elle vivra un jour dans la forĂȘt un temps d’extase, un profonde expĂ©rience spirituelle. Dans un autre cadre, Ă  un moment prĂ©cĂ©dent de sa vie, elle avait vĂ©cu un moment de transcendance. C’était en visitant la cathĂ©drale Notre-Dame Ă  Paris. A l’époque, elle avait dĂ©jĂ  perçu un lien entre cette expĂ©rience, le vĂ©cu chrĂ©tien de son adolescence et l’émerveillement dans le monde de la forĂȘt tropicale (p 94). LĂ , Ă  nouveau dans la forĂȘt de GombĂ©, « Perdue dans l’émerveillement face Ă  beautĂ© autour de moi, j’ai du glisser dans un Ă©tat de conscience Ă©levĂ©e. C’est difficile – impossible en rĂ©alitĂ© – de mettre en mots le moment de vĂ©ritĂ© qui descendit sur moi… En luttant ensuite pour me rappeler l’expĂ©rience, il m’a semblĂ© que le moi tournĂ© vers lui-mĂȘme (self) s’était absentĂ©. Les chimpanzĂ©s, la terre, les arbres, l’air et moi, nous semblions devenir un avec la puissance de l’esprit de vie lui-mĂȘme
 J’ai entendu de nouvelles frĂ©quences dans la musique des oiseaux
 Jamais je n’avais Ă©tĂ© aussi consciente de la forme et de la couleur des feuilles
 Les senteurs elles aussi Ă©taient prĂ©sentes » (p 173-174). Par la suite, elle a continuĂ© Ă  penser Ă  cette expĂ©rience. « Il y a beaucoup de fenĂȘtres Ă  travers lesquelles, nous les humains, qui cherchons du sens, pouvons voir le monde autour de nous ». La science est une de ces fenĂȘtres, mais il y en a d’autres. « Les fenĂȘtres Ă  travers les mystiques et les saints hommes de l’Orient et les fondateurs des grandes religions du monde
 ont contemplĂ© les vĂ©ritĂ©s qu’ils voyaient non seulement avec leurs esprits, mais aussi avec leurs cƓurs et avec leurs Ăąmes. Pour moi, cette aprĂšs-midi lĂ  dans la forĂȘt, c’est comme si une main invisible avait tirĂ© le rideau, et que, pendant un bref moment, j’avais pu voir Ă  travers une telle fenĂȘtre. Dans un flash de vision, j’avais connu une extase oĂč le temps avait disparu et ressenti une vĂ©ritĂ© Ă  laquelle la science n’ouvre qu’une petite partie. Je savais que cette vĂ©ritĂ© serait avec moi tout le reste de ma vie, mĂ©morisĂ©e imparfaitement et cependant toujours lĂ  Ă  l’intĂ©rieur. Une source de force dans laquelle je pourrais puiser quand la vie paraitrait dure, cruelle ou dĂ©sespĂ©rĂ©e » (p 175). Jane Goodall refuse qu’on oppose science et religion. « Albert Einstein, indĂ©niablement un des plus grands savants et penseurs de notre temps, proposait une approche mystique au sujet de la vie qui Ă©tait, selon lui, constamment renouvelĂ©e par l’émerveillement et par l’humilitĂ© qui l’emplissait quand il contemplait les Ă©toiles » (p 177).

La vision de Jane Goodall est unifiante. « La forĂȘt et la puissance spirituelle qui est si grande en elle, m’a donnĂ© la paix qui dĂ©passe toute intelligence » (p 181).

 

Un engagement au service du vivant

Parce qu’elle aime, parce qu’elle vit pleinement, Jane Goodall est aussi sensible. Elle ressent les souffrances de ses proches. Elle ressent les maux qui affectent le vivant sur toute la terre. Qu’est-ce qui importe aujourd’hui pour notre avenir ? « Allons-nous continuer Ă  dĂ©truire la crĂ©ation de Dieu, nous battons-nous les uns contre les autres, et faisons-nous du mal aux autres crĂ©atures de cette planĂšte ? Ou allons-nous trouver les moyens de vivre en plus grande harmonie les uns avec les autres et avec le monde naturel ? » (p 172). En 1986, Jane Goodall a Ă©tĂ© invitĂ©e Ă  un congres scientifique venant Ă  la suite de la publication de son livre : « Les chimpanzĂ©s Ă  Gombé ». La participation Ă  ce congrĂšs a eu un effet inattendu. Elle y arrive comme une chercheuse scientifique. Elle en est ressortie comme une militante dĂ©cidĂ©e Ă  s’engager dans la protection de la nature et dans l’éducation. Ainsi parle-t-elle de cet Ă©vĂ©nement comme son « chemin de Damas » (p 206). En effet au cours d’une session sur la protection de la nature, elle a pris conscience de la maniĂšre dont l’espĂšce des chimpanzĂ©s Ă©tait menacĂ©e dans toute l’Afrique (p 106). Et elle a entendu combien les chimpanzĂ©s Ă©taient souvent torturĂ©s dans les conditions Ă©prouvantes de leur dĂ©tention en vue d’expĂ©riences de laboratoire. « j’ai vu qu’un des grands dĂ©fis du futur est de trouver des alternatives Ă  l’usage des animaux de toutes espĂšces dans des expĂ©rimentations, avec le but d’y mettre fin » (p 221). Et puis, bien entendu, Jane Goodall participe Ă  la prise de conscience Ă©cologique qui grandit actuellement. Elle met en Ă©vidence la disparition des forets et la disparition ou le recul des espĂšces menacĂ©es. Ainsi, dans le cadre de sa fondation, le « Jane Goodall Institute », elle s’adresse Ă  un vaste public (4) et parcourt le monde pour Ă©tendre la prise de conscience Ă©cologique, notamment auprĂšs de la jeunesse. « Encourager les jeunes et leur donner du pouvoir est ma contribution Ă  leur avenir et donc Ă  l’avenir de la planĂšte » (p 243). Elle a rĂ©cemment pris part au film : « Animal » de Cyril Dion (5).  Elle porte un message : « Ensemble, nous devons rĂ©tablir nos connections avec le monde naturel et avec la Puissance Spirituelle qui est autour de nous  » (p 267).

Jane Goodall participe Ă  une Ă©mergence de conscience, la montĂ©e de la conscience du vivant, la reconnaissance de la conscience animale (6). Et, en mĂȘme temps apparait une ouverture au Divin (7).

Jane exprime tout cela parfaitement. C’est son histoire de vie et, en mĂȘme temps, c’est un moment de l’histoire de l’humanitĂ©, un moment oĂč nous sommes appelĂ©s Ă  un changement majeur qui est aussi un tournant de la conscience. Et, comme quelques autres, Jane Goodall nous invite Ă  y entrer dans l’espĂ©rance (8).

J H

 

(1) Le prix Templeton : https://www.templetonprize.org/

Sur Wikipedia : https://en.wikipedia.org/wiki/Templeton_Prize

(2) Jane Goodall (with Phillip Berman). Reason for hope. A spiritual journey. Grand Central Publishing, 1999 (Ă©dition 2003). En français : Jane Goodall (avec Phillip Berman). Le cri de l’espoir. StankĂ©, 2001. Jane Goodall est Ă©galement l’auteur de plusieurs livres parus en français. En octobre 2021, est paru un entretien avec Jane Goodhall qui tĂ©moigne de sa force de vie et de ses « raisons d’espĂ©rer » au cours d’une existence riche en dĂ©couvertes, en expĂ©riences et en engagements : Jane Goodhall. Le livre de l’espoir. Pour un nouveau contrat social. Entretien avec Douglas Abrams. Flammarion, 2021.

(3) La vie de Jane Goodall : https://janegoodall.fr/biographie-jane-goodall/

(4) Actions de Jane Goodall : https://www.youtube.com/watch?v=ji5tdtz5AMg

(5) Le film : « Animal » est accompagné par le livre de Cyril Dion : « Animal » présenté sur ce blog. Dans les deux cas, Jane Goodhall est trÚs présente : https://vivreetesperer.com/animal-de-cyril-dion/

(6) Jane Goodall a Ă©tĂ© pionniĂšre dans la reconnaissance d’une conscience animale qui est l’objet aujourd’hui de nombreuses recherches. Dans la revue : ThĂ©ologiques, en 2002, la sociologue Nicole Laurin a publiĂ© un excellent article : « Les animaux dans la conscience humaine. Questions d’aujourd’hui et de toujours ». Nicole Laurin cite, entre autres, le thĂ©ologien Jean-François Roussel : « L’hominisation ne peut ĂȘtre dĂ©finie sur le « mode diffĂ©renciatoire, c’est Ă  dire visant Ă  dĂ©signer la diffĂ©rence humaine, mais plutĂŽt sous « le mode inclusif et ouvert », car elle recouvre des processus repĂ©rables au delĂ  de notre espĂšce
 Cela signifie, pour la thĂ©ologie, que l’histoire du salut doit devenir celle de la nature et non seulement de l’humanitĂ©, le salut de l’humanitĂ© participant d’un salut plus originel. La thĂ©ologie doit s’efforcer de penser l’émergence de l’esprit dans l’animalité  ».

https://www.erudit.org/fr/revues/theologi/2002-v10-n1-theologi714/008154ar/

(7) Dieu est toujours agissant et prĂ©sent dans la crĂ©ation, comme l’Ɠuvre du thĂ©ologien JĂŒrgen Moltmann le met en Ă©vidence : https://lire-moltmann.com/dieu-dans-la-creation/ La prĂ©sence de Dieu dans la crĂ©ation est bien mise en valeur par Richard Rohr sur son site : Center for action and contemplation : plusieurs sĂ©quences rĂ©cemment : « Contemplating creation » et « Francis and the animals » : https://cac.org/francis-and-the-animals-weekly-summary-2021-10-09/ et https://cac.org/themes/contemplating-creation/

(8) Nous rejoignons ici la thĂ©ologie de l’espĂ©rance : « JĂŒrgen Moltmann. Hope in these troubled times » qui prend en compte l’avenir Ă©cologique : https://vivreetesperer.com/un-avenir-ecologique-pour-la-theologie-moderne/

 

Comment la conscience de la divinité de Jésus est apparue

Comment la conscience de la divinité de Jésus est apparue

Comment la conscience de la divinité de Jésus est apparue, engendrant une nouvelle psyché humaine et le bouleversement du monothéisme traditionnel ?

« When did Jesus become God ?” par Ilia Delio

Dans notre monde en mutation, notre culture en pleine transformation, nous cherchons une nouvelle comprĂ©hension de notre Ă©tat religieux et spirituel qui prenne en compte ce bouleversement. Dans cette recherche, il est bon de conjuguer une rĂ©flexion thĂ©ologique et une compĂ©tence scientifique. Or, il y a bien des lieux oĂč cette recherche est en cours, entre autres au ‘The Center for Christogenesis’ (1) animĂ©, aux Etats-Unis par Ilia Delio (2), une sƓur franciscaine hautement diplĂŽmĂ©e et qualifiĂ©e dans le domaine de la biologie et des neurosciences et thĂ©ologienne notamment inspirĂ©e par Teilhard de Chardin. DĂ©livrĂ©e des arcanes d’un catholicisme traditionnel, elle travaille dans un espace irriguĂ© par une avancĂ©e scientifique et technologique spectaculaire et la conscience d’une transformation des mentalitĂ©s. Nous prĂ©sentons ici un des essais publiĂ© sur son site : « When did Jesus become God ? » (3). Dans d’autres textes, son approche des enseignements induits par la rĂ©volution scientifique et technologique en cours donne lieu Ă  controverse. Mais ici, sa rĂ©flexion thĂ©ologique, fondĂ©e sur une approche historique et psychologique Ă  partir du Nouveau Testament, nous parait Ă©clairante.  Elle nous montre comment la prise de conscience de la divinitĂ© de JĂ©sus dans les premiers temps va de pair avec la transformation de la psychĂ© humaine qui s’est rĂ©alisĂ©e Ă  l’époque. Cette analyse est une porte ouverte pour nous aider Ă  reconnaitre aujourd’hui le transcendant divin Ă  l’intĂ©rieur de nous : « recognize the transcendant divine ground within us ».

En avant-propos, Ilia Delio nous indique le sens de sa dĂ©marche : Dieu est un autre nom pour dĂ©signer la personne. La mutation chrĂ©tienne est le dĂ©veloppement de la personnalitĂ© dans la libertĂ© et l’amour ( « God is another name for personhood. The christian mutation is the development of personhood in freedom and love »).

 

L’Ă©mergence de la dĂ©votion envers JĂ©sus dans l’Église primitive.

 Ilia Delio commence par nous inviter Ă  mesurer combien la divinitĂ© de JĂ©sus n’était pas Ă©vidente au dĂ©part dans le groupe de ses premiers disciples. A ce sujet, elle cite une thĂ©ologienne australienne Anne Hunt : « Être chrĂ©tien avec la conviction de foi chrĂ©tienne que JĂ©sus est divin et que Dieu est trinitaire, tend Ă  voiler le caractĂšre profondĂ©ment rĂ©volutionnaire et radical qu’a reprĂ©sentĂ© le dĂ©veloppement de la conscience divine de JĂ©sus pour ses disciples. Comme ceux-ci, JĂ©sus Ă©tait juif. FidĂšles Ă  leur tradition, ils tenaient une notion monothĂ©iste exclusiviste de Dieu et de la dĂ©votion Ă  Dieu. Cependant leur expĂ©rience de JĂ©sus suscitait chez eux un changement vraiment incroyable dans leur conscience de Dieu et une rĂ©interprĂ©tation radicale de leur foi en un Dieu unique qui en viendrait Ă©ventuellement Ă  s’exprimer dans la doctrine chrĂ©tienne de la Trinité ».

Ilia Delio trouve qu’il y a lĂ  « un mouvement vraiment fascinant ». « Comment est-ce qu’une comprĂ©hension de Dieu entiĂšrement nouvelle a-t-elle Ă©mergĂ© dans la vie d’un jeune homme juif, du nom de JĂ©sus de Nazareth ? Les chercheurs s’accordent sur le fait que la mentalitĂ© religieuse des premiers chrĂ©tiens Ă©taient façonnĂ©e par la tradition juive et que les disciples cherchaient Ă  comprendre la signification de la vie de JĂ©sus dans la relation Ă  l’ancien Testament. La mort de JĂ©sus et l’expĂ©rience de la rĂ©surrection de JĂ©sus a conduit les disciples Ă  proclamer que JĂ©sus est Seigneur.

 

Quelle a Ă©tĂ© l’expĂ©rience psychologique transformante des premiers disciples ?

Ilia Delio fait appel Ă  la recherche d’un chercheur bĂ©nĂ©dictin Sebastian Moore qui a cherchĂ© Ă  dĂ©chiffrer l’expĂ©rience psychologique des premiers disciples.

« Ce qui comptait dans cette nouvelle expĂ©rience de la conscience de Dieu en la personne de JĂ©sus, c’était une conscience nouvelle qui ne pouvait reflĂ©ter plus longtemps un strict monothĂ©isme (un Dieu), mais une nouvelle comprĂ©hension de la puissance de Dieu, une puissance partagĂ©e exprimĂ©e dans une perspective binitarienne (le PĂšre et le Fils), qui Ă©ventuellement Ă©voluerait vers la doctrine de la Trinité ». Ilia Delio se rĂ©fĂšre ensuite Ă  un chercheur spĂ©cialisĂ© dans le Nouveau Testament tardif, Larry Hurtado : « Les premiers disciples ont vĂ©cu une mutation de conscience qui les a menĂ© Ă  chercher un fondement scripturaire pour la rĂ©volution chrĂ©tienne. Tandis que l’Ancien Testament utilise l‘imagerie d’un agencement divin tel qu’en Psaume 110.1 : « l’Éternel a dĂ©clarĂ© Ă  mon Seigneur : « Assieds-toi Ă  ma droite jusqu’à ce que j’ai fait de tes ennemis ton marchepied » et le Livre de Daniel 7.14 : « On lui donna la domination, la gloire et le rĂšgne et tous les peuples, les nations et langues le serviront  » et ainsi aussi les Ă©crits du Nouveau Testament tels que Romains 1.4 utilisent l’agencement divin pour dĂ©crire la divinitĂ© de Christ, « nĂ© de la postĂ©ritĂ© de David selon la chair et dĂ©clarĂ© Fils de Dieu avec puissance, selon l’Esprit de saintetĂ© par la rĂ©surrection d’entre les morts ». De mĂȘme, en Actes 2.36, la rĂ©surrection de JĂ©sus est conçue comme impliquant son exaltation Ă  une position cĂ©leste d’importance majeure dans le plan de rĂ©demption de Dieu. Essentiellement, comme Hurtado le souligne, JĂ©sus de Nazareth a Ă©tĂ© associĂ© Ă  l’agencement divin que Paul a hĂ©ritĂ© du premier cercle de chrĂ©tiens juifs palestiniens et qu’il a lui-mĂȘme Ă©laborĂ© partir de sa propre rĂ©flexion sur la signification de Christ ».

Le changement est apparu Ă©galement dans les modes de dĂ©votion. Selon Hurtado, « la dĂ©votion chrĂ©tienne prĂ©coce a constituĂ© une mutation significative dans le monothĂ©isme juif. Il y a eu lĂ  une Ă©mergence d’une association Ă©troite entre Dieu et JĂ©sus-Christ et d’un mode monothĂ©iste binitarien d’adoration et de priĂšre ». « Les disciples ont fait l’expĂ©rience d’une prĂ©sence Ă©nergĂ©tique nouvelle de Dieu en la personne de JĂ©sus. Et une nouvelle conscience religieuse de la puissance d’amour de Dieu a jailli en eux. La transition du JĂ©sus juif Ă  JĂ©sus- Christ, fils de Dieu, a fait irruption soudainement et rapidement et non graduellement et tardivement ». A partir de son origine, elle s’est rapidement Ă©tendue.

 

Une conscience nouvelle de la présence de Dieu

Ilia Delio nous parle ici en terme d’expĂ©rience spirituelle. « Si les disciples ont eu une conscience unique de JĂ©sus comme Dieu, c’est parce que JĂ©sus lui-mĂȘme a manifestĂ© une conscience nouvelle de la prĂ©sence de Dieu. Comme Carl Jung l’a notĂ©, JĂ©sus est parvenu Ă  un niveau supĂ©rieur, un niveau nouveau de la conscience de Dieu Ă  l’intĂ©rieur de lui-mĂȘme, rĂ©alisant un processus d’individuation et atteignant un niveau nouveau de libertĂ© et ainsi un nouveau sens de mission. Selon Jung, les religions monothĂ©istes ont Ă©vitĂ© la dimension psychique de le personnalitĂ© humaine, ce qui a conduit Ă  une conception rĂ©trĂ©cie de Dieu ». En ce sens, Ilia Delio pousuit : « Les chrĂ©tiens, en particulier, ont exclu la dimension psychique de la vie de JĂ©sus de toute considĂ©ration doctrinale, alors que c’est exactement ce qui distingue JĂ©sus de Nazareth, une conscience nouvelle de la prĂ©sence de Dieu qui l’a menĂ© Ă  ses actions radicales d’inclusivitĂ©, de guĂ©rison, de compassion et ultimement de sacrifice de soi.

L’expĂ©rience d’une nouvelle expĂ©rience immanente de Dieu est Ă  l’origine de la dĂ©votion Ă  JĂ©sus ». En suivant l’analyse de Sebastian Moore, Ilia Delio retrace trois Ă©tapes dans le dĂ©veloppement de cette dĂ©votion. La premiĂšre Ă©tape fut « un Ă©veil du dĂ©sir lorsque les disciples firent l’expĂ©rience d’une joie et d’une extase dans leur interaction avec JĂ©sus en GalilĂ©e, un sens nouveau et captivant de Dieu, un sens de Dieu dĂ©livrĂ© du fardeau du pĂ©chĂ© et de la culpabilitĂ©, le sens d’un Dieu ni Ă©loignĂ©, ni dominateur, mais une prĂ©sence aimante et compatissante ». Cependant, au cours d’une deuxiĂšme Ă©tape marquĂ©e par la mort terrible de JĂ©sus, les disciples ont fait « l’expĂ©rience de la dĂ©solation et du sentiment que tout Ă©tait perdu. La mort de JĂ©sus les a prĂ©cipitĂ© dans une profonde crise spirituelle marquĂ©e par le dĂ©sespoir, la honte et la confusion
 Au sens jungien, les disciples subissait la mort de l’ego ».

Une troisiĂšme Ă©tape a suivi. « Moore suggĂšre que la mort de JĂ©sus a crĂ©Ă© un sentiment de la mort de Dieu chez les disciples et que, avec l’apparition de JĂ©sus ressuscitĂ©, ils ont fait l’expĂ©rience de JĂ©sus ressuscitĂ© comme rien de moins que l’expĂ©rience renouvelĂ©e de Dieu en leur sein. Le Dieu de JĂ©sus, le PĂšre qui Ă©tait mort avec JĂ©sus et qui maintenant dĂ©clare son amour dans la rĂ©surrection de JĂ©sus, Le Dieu qui est l’auteur de ce plan aimant et donneur de vie, rĂ©Ă©mergeait dans une puissance nouvelle ». Ils ressentaient que JĂ©sus Ă©tait Dieu. « Au dĂ©but, ce fut un dĂ©placement de la divinitĂ© vers JĂ©sus qui devint le centre de leur nouvelle conscience de Dieu. Cependant, les disciples ne pouvaient apprĂ©hender cette extension de la divinitĂ© Ă  JĂ©sus sans que quelque chose prenne place Ă  l’intĂ©rieur d’eux-mĂȘmes. C’est au niveau de la conscience personnelle que cette nouvelle rĂ©alitĂ© a Ă©mergĂ©. Selon Moore, c’est le mystĂšre pascal de la mort et de la rĂ©surrection de JĂ©sus qui a Ă©tĂ© la clef de la transformation radicale de la conscience de Dieu, une transformation qui a commencĂ© avec leur expĂ©rience de JĂ©sus dans son ministĂšre terrestre et qui a Ă©tĂ© purifiĂ©e par la mort et la rĂ©surrection de JĂ©sus ».

 

Une révolution théologique

Ilia Delio met en valeur le rĂŽle majeur de la rĂ©surrection dans la transformation de la vision des disciples. « Pour eux, Dieu a Ă©mergĂ© Ă  nouveau vivant dans la personne mĂȘme de JĂ©sus, vivant comme jamais avant, avec une nouvelle comprĂ©hension d’eux-mĂȘmes et de JĂ©sus, radicalement transformĂ©e, libĂ©rĂ©e, Ă©nergisĂ©e ». C’est ainsi qu’une nouvelle vision thĂ©ologique a Ă©mergĂ©. « La mutation chrĂ©tienne a Ă©tĂ© une rĂ©volution thĂ©ologique et une Ă©volution de la personne humaine. La puissance du Dieu monothĂ©iste a Ă©tĂ© Ă©veillĂ©e dans la personne humaine comme la puissance d’une vie nouvelle rĂ©vĂ©lĂ©e en JĂ©sus et Ă©nergĂ©tisĂ©e par l’Esprit. Le langage de la TrinitĂ© a Ă©tĂ© une stĂ©nographie de la puissance partagĂ©e de l’amour, Ă©tendue dans la crĂ©ation par la Divinité  La transition du monothĂ©isme au thĂ©isme binitarien, puis au thĂ©isme trinitarien, est une Ă©volution de la conscience religieuse qui a des implications radicales pour une prĂ©sence nouvelle de Dieu dans le monde et un nouveau genre de personne dans la montĂ©e d’un nouvel ordre mondial ».

 

Ultérieurement, une grande déviation théologique

La politisation de Dieu au Concile de NicĂ©e en 325 et le mariage entre AthĂšnes et JĂ©rusalem ont menĂ© Ă  une hĂ©llĂ©nisation de la doctrine qui a provoquĂ© une abstraction du langage philosophique dĂ©pouillĂ© de sa dimension psychique. Le langage de la nature divine, essence, ĂȘtre et substance, devint une sĂ©mantique logique. La mutation chrĂ©tienne Ă©tait avortĂ©e et la rĂ©volution de la puissance divine introduite par JĂ©sus de Nazareth ne murit jamais. Au lieu d’une nouvelle puissance divine d’amour agissant dans le monde Ă  l’intĂ©rieur de la personne humaine et Ă  travers elle, ce qui a Ă©mergĂ©, c’est l’internalisation du pouvoir divin exprimĂ© dans un Dieu patriarcal
 Comme la doctrine Ă©tait institutionalisĂ©e, l’accent est passĂ© de l’orthopraxie Ă  l’orthodoxie. Le triomphe de l’institution patriarcale a supprimĂ© la psychĂ© humaine et a rendu impuissante la mutation chrĂ©tienne ».

Ilia Delio met en Ă©vidence l’ampleur du dĂ©sastre. « Si la mutation chrĂ©tienne avait Ă©chappĂ© Ă  la politique de puissance et Ă  la main-mise du patriarcat
, nous aurions probablement une Ă©glise et un monde entiĂšrement diffĂ©rents. Mais le nouveau mouvement Ă©tait trop jeune et trop fragile pour y Ă©chapper : l’institutionnalisation du christianisme lui donna le pouvoir de modeler le premier millier d’annĂ©es de la civilisation occidentale donnant naissance Ă  une psychĂ© sans Dieu et une humanitĂ© sans aucun vrai projet collectif ».

 

La primautĂ© de l’expĂ©rience

Quelle est la portĂ©e de formulations doctrinales si elles ne s’appuient pas sur l’expĂ©rience ? Ilia Delio exprime la primautĂ© de l’expĂ©rience : « Il me semble qu’à notre Ă©poque, le premier besoin thĂ©ologique est que le psychologique assure la mĂ©diation du transcendant ». Elle prĂ©cise : « Le seul vrai but du christianisme est d’éveiller le transcendant divin au niveau de la psychĂ©. Tout le reste est mortel. La divinitĂ© de JĂ©sus ressuscitĂ© et la nature trinitaire de l’ĂȘtre divin ne sont pas seulement des doctrines thĂ©ologiques, mais des rĂ©alitĂ©s profondĂ©ment psychologiques. L’expĂ©rience des mystĂšres Ă  un niveau profondĂ©ment psychologique est nĂ©cessaire avant leur expression dans la priĂšre et la dĂ©votion et avant l’articulation Ă  une doctrine. La tĂąche de porter la foi et le sens religieux Ă  la conscience contemporaine demande une mĂ©diation expressĂ©ment psychologique, un Ă©veil profondĂ©ment personnel par lequel l’histoire de JĂ©sus rencontre et transforme notre propre histoire personnelle »

 

Un enjeu majeur

Ilia Delio n’est pas seulement une thĂ©ologienne, elle est Ă©galement une scientifique qui suit de prĂšs l’avancĂ©e des sciences et des technologies. Elle est attentive Ă  l’évolution du monde et Ă  la mutation en cours de celui-ci. C’est dans cette perspective qu’elle situe la requĂȘte spirituelle et l’offre de la foi chrĂ©tienne. « Nous sommes aujourd’hui dans une Ă©tape de vie entiĂšrement nouvelle au sein d’un univers en expansion. Nous en savons beaucoup plus sur la matiĂšre et l’esprit et nous avons une opportunitĂ© de changer le cours de l’histoire en portant la mutation chrĂ©tienne en alignement avec la science moderne et la cosmologie. Si nous ne le faisons pas, nous serons confrontĂ©s Ă  des consĂ©quences dĂ©sastreuses. Aussi longtemps que la psychĂ© humaine demeure Ă©vincĂ©e de son foyer naturel en la divinitĂ©, nous, humains, sommes des coquilles vides Ă  la recherche de notre fondement de sens le plus profond. C’est le moment de reconnaitre en nous un terreau divin et transcendant et d’entrer dans une mutation qui peut mener Ă  une rĂ©alitĂ© plus riche de la vie planĂ©taire, pleinement vivante dans la gloire de Dieu ».

Cet texte d’Ilia Delio nous parait remarquable, car il Ă©claire notre expĂ©rience de foi, en la situant Ă  l’image d’une premiĂšre expĂ©rience, celle des disciples eux-mĂȘmes inspirĂ©s par l’expĂ©rience de JĂ©sus.

J H

  1. Center for Christogenesis : https://christogenesis.org/about/ilia-delio/
  2. Ilia Delio. Wikipedia. The free encyclopedia : https://en.wikipedia.org/wiki/Ilia_Delio
  3. When did Jesus become God? : https://christogenesis.org/when-did-jesus-become-god/

 

La gratitude : un mouvement de vie

 

 « Le pouvoir de la gratitude »

D’aprùs les propos de Florence Servan-Schreiber

 

Et si nous reconnaissions aujourd’hui tout ce que nous avons reçu des autres et qui fait que nous sommes lĂ , vivant, tout ce qui nous a permis de grandir en amour, en joie, en comprĂ©hension, en confiance (1). Et si nous exprimions cette reconnaissance dans un mouvement de vie bienfaisant Ă  la fois pour ceux Ă  qui nous l’exprimons, mais aussi pour nous-mĂȘme. Car au cƓur de ce mouvement, il y a une dynamique Ă  la fois personnelle et collective oĂč nous pouvons percevoir l’inspiration de l’Esprit. C’est dire combien il est bon d’entendre parler de gratitude, d’en dĂ©couvrir la portĂ©e et les effets. C’est pourquoi l’intervention de Florence Servan-Schreiber Ă  Ted X Paris sur « le pouvoir de la gratitude », accessible en vidĂ©o sur internet (2) est particuliĂšrement bienvenue. Cet exposĂ© est remarquable parce qu’il allie une compĂ©tence de psychologie ayant accĂšs aux meilleures sources et une dĂ©marche personnelle exprimĂ©e dans un esprit de recherche, de dialogue, de conviction et d’authenticitĂ©. Cousine de David Servan-Schreiber (3), un mĂ©decin particuliĂšrement innovant, dont en sait l’intelligence et le courage dans sa lutte contre la maladie, Florence s’est formĂ©e Ă  la psychologie transpersonnelle en Californie et elle s’inscrit aujourd’hui dans le courant de la psychologie positive Ă  la fois par sa pratique et par ses Ă©crits qui en diffuse les apports auprĂšs du grand public (4). Cependant, dans cet exposĂ©, Florence Servan-Schreiber s’implique personnellement et elle nous dĂ©crit comment elle a vĂ©cu la dĂ©couverte de la gratitude, une dimension bien souvent mĂ©connue dans certains contextes culturels.

 

 

Florence commence son « talk » en nous parlant de son cousin, David Servan-Schreiber, un jeune psychiatre, qui, Ă  30 ans, menacĂ© par un cancer au cerveau, « a mobilisĂ© toutes les connaissances, toute son Ă©nergie pour essayer de voir comment, dans ces circonstances, il pouvait vivre, non seulement le plus longtemps possible, mais surtout le mieux possible ». On sait qu’en consĂ©quence, il a adoptĂ© de nouvelles pratiques de vie. « Mais ce que l’on sait moins, parce qu’il ne l’a pas publiĂ©, c’est l’attention qu’il a portĂ© aux dĂ©tails et aux petites choses de la vie. Jusqu’à son dernier souffle, David a Ă©tĂ© un phĂ©nomĂšne de gratitude ». Ainsi, la gratitude, c’est une disposition extrĂȘmement concrĂšte. « La gratitude, c’est un sentiment de reconnaissance lorsque nous rĂ©alisons la saveur ce que nous vivons. C’est, par exemple, un rayon de soleil sur la joue. C’est l’odeur d’un bĂ©bĂ© surtout quand c’est le sien
 C’est le fait de se dĂ©placer pour vous apprendre des choses  ». Pourquoi David m’a-t-il mis sur la voie de tout cela ? Parce que nous parlions beaucoup de psychologie ensemble. Parce que, aux Etats-Unis, il existe des laboratoires entiers qui Ă©tudient les circonstances et les consĂ©quences de la gratitude ».

Ainsi, depuis douze ans, au centre de recherche « Greatergood » de l’UniversitĂ© de Berkeley, Robert Emmons (5) travaille dans le courant de la psychologie positive pour essayer de comprendre, le processus de la gratitude et les effets que cela peut avoir sur nous. Florence nous rapporte les conclusions de ses recherches.  « D’abord, sur le plan psychologique, quand nous savons nous Ă©merveiller des petites choses
 ne serait-ce que la tempĂ©rature qu’il fait dans cette salle, le fait que nous ayons pu arriver Ă  l’heure
 ne serait-ce que cela
 Et bien, nous nous sentons plus heureux, plus reliĂ© aux autres, plus vivants. Ensuite, les bĂ©nĂ©fices sur le plan relationnel, sont, en tout premier, de nous sentir beaucoup moins seul parce que la gratitude provient toujours de quelque chose ou de quelqu’un qui est Ă  l’extĂ©rieur de nous. C’est un sentiment qui nous rend humble, qui nous donne envie de donner Ă  notre tour ».

Et puis, il y a aussi des consĂ©quences positives sur le plan physiologique. Florence Ă©voque une recherche menĂ©e depuis 1986 dans un centre universitaire au Minnesota (USA). Un chercheur a Ă©mis l’hypothĂšse d’un lien entre le fait d’éprouver de la gratitude, de savoir s’émerveiller et la longĂ©vitĂ©. Mais comment trouver deux populations comparables en tous points, exceptĂ© l’attitude Ă  tester ? « Ils ont trouvĂ© dans un couvent oĂč on conserve 150 ans d’archives. La premiĂšre chose qu’on demande aux jeunes femmes entrant au couvent Ă  l’ñge de 20 ans, c’est d’écrire une lettre qui les prĂ©sente, qui raconte leur vie. Elles refont la mĂȘme chose Ă  40 ans et Ă  70 ans. Et parallĂšlement, les dossiers mĂ©dicaux ont Ă©tĂ© archivĂ©s. On a remis ces lettres Ă  des sĂ©manticiens qui Ă©tudient la teneur du vocabulaire et on leur a demandĂ© de quantifier la nature des mots qui expriment de l’émerveillement, de l’optimisme et de la gratitude. Et ensuite on a corrĂ©lĂ© la densitĂ© de gratification de ces femmes avec leur Ă©tat de santĂ© et la durĂ©e de leur vie. On s’est aperçu que plus il y avait de termes qui expriment de la gratitude et de l’émerveillement, plus elles ont vĂ©cu longtemps. Et ainsi, on a trouvĂ© un Ă©cart de sept ans entre les deux groupes contrastĂ©s. Dans des enquĂȘtes menĂ©s dans d’autres milieux, on a obtenu les mĂȘmes rĂ©sultats ».

 

Cette valorisation du positif n’est pas toujours bien reçue dans certaines formes de culture, en particulier en France. « Moi, je suis nĂ©e Ă  Paris. J’ai grandi Ă  Paris. Ici, cela ne va pas de soi de parler de ce qui va bien, de ce qui nous Ă©merveille. Mais Ă  force d’avoir frĂ©quentĂ© David, d’avoir lu toute cette documentation, j’ai quand mĂȘme voulu essayer. Chercheur Ă  l’UniversitĂ© de Pennsylvanie (et leader dans le courant de la psychologie positive), Martin Seligman (6) nous propose une mĂ©thode adaptĂ©e. Il suffit de repĂ©rer dans sa journĂ©e trois situations : moments, interactions, goĂ»ts, sensations qui vous ont fait du bien et pour lesquelles vous avez envie de dire : « Alors lĂ , merci ! », pour faire progresser son niveau de bonheur d’une façon durable ».

Florence nous raconte comment, rentrĂ©e Ă  la maison, elle parle de tout cela Ă  table avec son mari et ses trois enfants qui, Ă  ce moment lĂ , ont entre 8 et 14 ans. « Si on sait repĂ©rer 3 kifs (7) dans sa journĂ©e, on vivra plus longtemps, on vivra en meilleure santĂ©, on sera plus heureux. On s’est lancĂ©. Ce n’est pas facile pour tout le monde. Notre rapport avec la gratitude est un peu diffĂ©rent. Pour LĂ©on, le plus jeune, c’était trĂšs difficile. Mais une des plus grande fiertĂ© de maman, c’est qu’aujourd’hui, LĂ©on a 14 ans et qu’il a adoptĂ© cette pratique. Il peut vous dire les 3 kifs de sa journĂ©e. Quand on fait cela avec les gens qu’on connaĂźt, avec les gens avec lesquels on travaille, il se passe quelque chose de particulier, parce que ce n’est pas un sujet courant de conversation. Si cela vous touche, cela me touche. Il y a une rĂšgle. Un kif, cela ne se commande pas, cela ne se critique pas si on le fait publiquement. On Ă©coute les autres et, Ă©ventuellement, on peut y ajouter le sien ».

 

Mais on peut aller plus loin. Si on n’a pas envie de parler, on peut avoir, sur sa table de nuit, un carnet de kifs, un journal de gratitude qui permet de tout noter avant de se coucher. Robert Emmons s’est aperçu que si c’est la derniĂšre chose que je fais dans la journĂ©e, le sommeil est plus profond, le sommeil est plus long et,

si on souffre de douleurs chroniques, les douleurs se dissipent.

Et ensuite, il y a le niveau suivant. C’est « la lettre de gratitude ». Quand nous sommes habitĂ©s par un sentiment de reconnaissance, le cerceau ne peut pas Ă©prouver en mĂȘme temps du ressentiment et de la colĂšre. Pendant un an, je n’ai fait aucun cadeau. Le seul cadeau que j’ai fait pour l’anniversaire de mes amis, c’est de leur Ă©crire une lettre de gratitude. J’ai donc revisitĂ© mes relations et je me suis rendu compte de la chance que j’avais. « Si tu n’étais pas dans ma vie, voilĂ  ce que je ne serais pas ». Cela permet de mesurer la profondeur de la relation avec les amis ». On peut aller plus loin encore. « Martin Seligman a suggĂ©rĂ© des visites de gratitude. Vous prĂ©parez la lettre, vous prenez rendez-vous et vous lisez votre lettre. J’ai Ă©crit une lettre de gratitude Ă  mon mari. Nous sommes ensemble depuis 25 ans. En 25 ans de vie commune, ma liste des reproches est facile Ă  faire. Mais lĂ , il ne s’agit pas de cela. « Si tu n’étais pas dans ma vie,  si je ne t’avais pas rencontrĂ© ce jour lĂ , voilĂ  ce que je ne serais pas devenu, tout ce qui m’aurait manqué  ».

 

« VoilĂ  ce quoi cela sert la gratitude.  C’est simplement vivre exactement la mĂȘme vie, mais en mieux. Je ne change pas les personnages. Je ne change pas le dĂ©cor. Et cela devient extraordinairement utile lorsque cela ne va pas, lorsque la vie ne vous donne pas ce que vous voulez, vous donne le contraire de ce que vous voulez, lorsque le temps que vous avez Ă  passer avec quelqu’un que vous aimez est comptĂ©, alors, en appliquant ce filtre lĂ , on rĂ©alise, malgrĂ© tout cela, la chance que l’on a ».

 

Le message que nous communique Florence sur « le pouvoir de la gratitude » passe d’autant mieux qu’il est le fruit d’une expĂ©rience personnelle et qu’il nous est communiquĂ© avec beaucoup de convivialitĂ©, de simplicitĂ© et d’authenticitĂ©. Ce message parle Ă  notre intelligence, mais il parle aussi Ă  notre cƓur.

Les sources citĂ©es par Florence Servan-Schreiber s’inscrivent dans le courant de la psychologie positive. Et lorsqu’on va Ă  la rencontre de ces sources sur internet, Ă  travers les personnalitĂ©s de Roger Emmons (5) et de Martin Seligman (6) et des centres de recherche oĂč ils travaillent, on dĂ©couvre une approche de recherche qui porte un vĂ©ritable changement de paradigme en psychologie. Comme le dĂ©clare Martin Seligman (6), il s’agit de ne plus se focaliser uniquement sur ce qui ne va pas, mais de prendre en compte Ă©galement ce qui va pour le mettre en valeur et en tirer des enseignements. Ce dĂ©veloppement de la psychologie positive (8), tĂ©moigne d’une Ă©volution actuelle dans les mentalitĂ©s qui rend possible un changement de regard. C’est le passage d’un regard pessimiste sur la nature humaine et peu sensible au potentiel humain Ă  un regard qui met en valeur un processus reconnaissant et dĂ©veloppant le positif dans l’existence humaine. Ce mouvement est profond. Dans son livre : « Vers une civilisation de l’empathie » (9), JĂ©rĂ©mie Rifkin nous montre comment nous sortons d’une idĂ©ologie qui a assombri la psychologie Ă  la prise de conscience d’un potentiel jusque lĂ  mĂ©connu. Et ce mouvement commence Ă  se faire sentir en France dans le champ des sciences humaines (10).

Ce changement nous paraĂźt se manifester Ă©galement dans une transformation profonde qui est en train de s’opĂ©rer dans le champ religieux. Comme le fait remarquer la thĂ©ologienne Lytta Basset, la conception du pĂ©chĂ© originel, telle que l’a dĂ©veloppĂ© Saint Augustin, a assombri le christianisme occidental pendant des siĂšcles en induisant la culpabilisation et la peur. Lytta Basset nous invite Ă  sortir de cette emprise dans un livre : « Oser la bienveillance » (11) qui montre combien celle-ci est au cƓur d’un message Ă©vangĂ©lique bien entendu.

Avec du recul, on comprend mieux ce qui a Ă©tĂ© et est contestĂ© dans l’hĂ©ritage religieux traditionnel. Cependant, les idĂ©ologies adverses qui ont prospĂ©rĂ©, sont, elles aussi, en perte de vitesse. Ainsi, un nouveau regard sur le monde est en train d’apparaĂźtre dans une vision holistique. On a pu dĂ©finir la spiritualitĂ© comme « une conscience relationnelle » qui s’exerce dans le rapport ave soi-mĂȘme, avec les autres, avec la nature et avec Dieu (12). En christianisme, JĂŒrgen Moltmann ouvre des pistes nouvelles dans une thĂ©ologie de l’Esprit attentive Ă  l’émergence et la prĂ©sence de Dieu dans l’immanence et une thĂ©ologie de l’espĂ©rance ouverte aux potentialitĂ©s de l’avenir (13).

Dans un contexte oĂč les anciennes barriĂšres s’affaissent et oĂč une interconnexion s’opĂšre, Martin Seligman s’inspire des valeurs fondamentales ancrĂ©es dans les traditions religieuses et spirituelles de l’humanitĂ© (6). Parler de la gratitude, c’est s’inscrire dans une inspiration spirituelle qui irrigue les siĂšcles. En termes chrĂ©tiens, la gratitude et l’émerveillement se rejoignent Ă  travers les psaumes dans l’expression de notre relation Ă  Dieu. C’est une reconnaissance continuelle. « Mon Ăąme bĂ©nis l’Eternel ! N’oublie aucun de ses bienfaits » (Ps 103.2). Il y a des vies qui sont animĂ©es par un mouvement de gratitude et d’émerveillement. C’est ce qui apparaĂźt dans le tĂ©moignage d’Odile Hassenforder dans son livre : « Sa prĂ©sence dans ma vie » (14). A travers les Ă©preuves, ce mouvement apparaĂźt constamment comme une prĂ©sence de vie. « Que c’est bon d’exister, pour admirer, m’émerveiller, adorer. C’est gratuit. Je n’ai qu’à recevoir, en profiter, goĂ»ter sans culpabilitĂ©, sans besoin de me justifier (Justifier quoi ? de vivre ?). D’un sentiment de reconnaissance jaillit une louange joyeuse, une adoration au crĂ©ateur de l’univers dont je fais partie, au Dieu qui veut le bonheur de ses crĂ©atures
 Comme il est Ă©crit dans un psaume : Cette journĂ©e est pour moi un sujet de joie. Une joie pleine en sa prĂ©sence, un plaisir Ă©ternel auprĂšs de toi, mon Dieu
 Louez l’Eternel, car il est bon. Son amour est infini » (Ps 16.118). La vie est vraiment trop belle pour ĂȘtre triste. Alleluia » (p 174).

Notre commentaire vient tĂ©moigner en faveur de l’importance du thĂšme de la gratitude. A travers son expĂ©rience personnelle et sa compĂ©tence psychologique, Florence Servan-Schreiber nous invite Ă  une dĂ©couverte, celle d’un mouvement du cƓur et de l’esprit qui se rĂ©vĂšle bienfaisant pour chacun en nous reliant les uns aux autres.

 

Jean Hassenforder

 

(1)            Sur ce blog, un poĂšme : « Nos vies dĂ©pendent l’une de l’autre » : «  Je tisse le lange de l’ĂȘtre qui naĂźt. Sans lui, rien ne serait
 Si tu ne m’avais dit : « avance ». D’autres attendent que tu crĂ©es. Rien ne serait  »  https://vivreetesperer.com/?p=12

(2)            « Le pouvoir de la gratitude. Florence Servan Schreiber à TED X Paris. Salon 2012 » (Vidéo sur You Tube) https://www.youtube.com/watch?v=nZUfJpVxUNI

(3)            Le parcours de David Servan-Screiber est impressionnant. Une formation originale et crĂ©ative en psychiatrie et dans le domaine des neurosciences, principalement aux Etats-Unis. Atteint d’un cancer au cerveau au dĂ©but des annĂ©es 90, il va expĂ©rimenter un ensemble de pratiques innovantes qui vont lui permettre de rĂ©sister Ă  la maladie pendant 20 ans et qu’il va mettre au service de tous dans un ensemble d’écrits. Une crĂ©ativitĂ© qui se manifeste Ă©galement Ă  travers des avancĂ©es comme l’EMDR. Un article dans Wikipedia rend bien compte de cette exceptionnelle contribution. https://fr.wikipedia.org/wiki/David_Servan-Schreiber

(4)            FormĂ©e Ă  la psychologie transpersonnelle aux Etats-Unis, Florence Servan-Schreiber dĂ©veloppe en France des pratiques innovantes et, par ses activitĂ©s et ses Ă©crits, elle participe Ă  la diffusion des idĂ©es nouvelles. Au cours des derniĂšres annĂ©es, elle met en valeur les apports de la psychologie positive, notamment Ă  travers plusieurs livres. https://fr.wikipedia.org/wiki/Florence_Servan-Schreiber     Voir aussi « L’hyper pouvoir de l’amour. Florence Servan-Schreiber. VidĂ©o TED X Lille 2015)   https://www.youtube.com/watch?v=ES0qIGoXtCA

(5)            Robert Emmons est professeur de psychologie Ă  l’UniversitĂ© de Californie et expert mondial dans le domaine de la gratitude. Il travaille au Centre de recherche : « Greater Good The science of a meaningful life ». Ce centre travaille, entre autres, sur des sujets comme l’empathie, la compassion, le pardon, l’émerveillement. Une excellente communication avec de nombreuses vidĂ©os. Une ressource oĂč l’on viendra puiser. http://greatergood.berkeley.edu/topic/empathy

(6)            Professeur Ă  l’UniversitĂ© de Pennsylvanie, psychologue Ă©minent, Martin Seligman est pionnier de la psychologie positive. Cette approche scientifique s’appuie notamment sur des « valeurs millĂ©naires dans toutes les traditions du monde : sagesse/connaissance, courage, humanitĂ©, justice, tempĂ©rance, transcendance ». https://fr.wikipedia.org/wiki/Martin_Seligman Sur Ted, une interview de Martin Seligman sur la psychologie positive : https://www.ted.com/talks/martin_seligman_on_the_state_of_psychology?language=fr

(7)            Kif est un mot qui s’est introduit rĂ©cemment dans le langage courant. « Un « kif » ou « kiff » est une passion, un plaisir personnel ou simplement un moment de bonheur ». Wikipedia nous rapporte l’origine et la popularisation de ce thĂšme. https://fr.wikipedia.org/wiki/Kiffer

(8)            Le courant de la psychologie positive est bien prĂ©sent aujourd’hui en France. On pourra consulter le site : « Psychologie positive » animĂ© par Jacques Lecomte : http://www.psychologie-positive.net

Sur ce blog, présentation du livre de Jacques Lecomte sur « la bonté humaine » : https://vivreetesperer.com/?p=674

(9)            Sur ce blog : « la force de l’empathie » : https://vivreetesperer.com/?p=137                                     Le livre de JĂ©rĂ©mie Rifkin sur l’empathie mis en perspective sur le site de TĂ©moins : « Vers une civilisation de l’empathie  » : http://www.temoins.com/vers-une-civilisation-de-lempathie-a-propos-du-livre-de-jeremie-rifkinapports-questionnements-et-enjeux/

(10)      « Quel regard sur la société et sur le monde ? Un changement de perspective » : https://vivreetesperer.com/?p=191

(11)      « Bienveillance humaine. Bienveillance divine. Une harmonie qui se répand » (« Oser la bienveillance » par Lytta Basset)  https://vivreetesperer.com/?p=1842

(12)      « La vie spirituelle comme « une conscience relationnelle ». La recherche de David Hay sur la spiritualitĂ© d’aujourd’hui » : http://www.temoins.com/la-vie-spirituelle-comme-une-l-conscience-relationnelle-r/

(13)      « Une thĂ©ologie pour notre temps. L’autobiographie de JĂŒrgen Moltmann » : http://www.temoins.com/une-theologie-pour-notre-temps-lautobiographie-de-juergen-moltmann/     Un blog concernant la pensĂ©e thĂ©ologique de JĂŒrgen Moltmann : http://www.lespritquidonnelavie.com

(14)      Odile Hassenforder. Sa présence dans ma vie. Parcours spirituel. Empreinte Temps présent, 2011

Présentation : http://www.temoins.com/sa-presence-dans-ma-vie-odile-hassenforder-temoignages-d-une-vie-et-commentairres-de-lecteurs/

Sur ce blog, nombreuses expressions d’Odile Hassenforder : https://vivreetesperer.com/?p=2345 

Ainsi, une attitude de gratitude et d’émerveillement dans les petites choses : « De petits riens de grande portĂ©e. La bienveillance au quotidien » : https://vivreetesperer.com/?p=1849

 

La gratitude et le bonheur sous un autre aspect :

« Une boite Ă  soleil. ReconnaĂźtre les petits bonheurs comme un flux de vie. De l’archĂ©ologie de la souffrance Ă  une psychologie des ressources, par Jeannne Siaud Fachin » (TED X Paris Vaugirard Road) : https://vivreetesperer.com/?p=2002