Médecine d’avenir, médecine d’espoir

« La médecine personnalisée » d’après Jean-Claude Lapraz

 

Il était venu, à bout de souffle en état de fatigue chronique, une vie au minimum, sans vitalité. Jean-Claude Lapraz lui demanda : qu’est-ce vous attendez de moi ? Que je puisse me déplacer davantage … vivre. Ce fut le début d’un parcours au cours duquel il gagna progressivement en santé.  Elle vint le voir, très affectée par l’apparition d’un cancer du sein. Il l’aida à garder un horizon de vie dans la traversée des aléas successifs. Elle trouva en Jean-Claude Lapraz un accompagnement thérapeutique et une présence amie qui lui permit de résister pendant des années à cette maladie et aux traitements lourds auxquels elle fut soumise. Marie-Laure de Clermont –Tonnerre, journaliste, coauteur avec le docteur Jean-Claude Lapraz, du livre sur « la médecine personnalisée » (1) , raconte comment elle aussi découvrit dans la rencontre avec ce médecin, une réponse aux maux qui l’assaillaient et qui l’empêchaient de vivre normalement. Et, derrière les nombreux cas présentés dans ce livre, du relativement banal au tragique, de l’otite à répétition au cancer du foie, à chaque fois, on voit à l’œuvre une approche médicale qui, en dialogue avec le patient, va en profondeur dans la connaissance du fonctionnement du corps dans toutes ses interactions et qui ouvre en conséquence un chemin de libération . Cette approche médicale suscite la confiance et l’espoir là où souvent il n’y avait plus que l’angoisse et la résignation. L’efficacité de cette médecine tient à son adaptation au terrain de chacun.  C’est « une médecine personnalisée », mais cette approche requiert en conséquence une attention personnelle pour chaque patient. Et ainsi pourrait-on reprendre parallèlement le vocable : « médecine de la personne » (2), déjà utilisé, il y a des années, par le Docteur Paul Tournier, dans la désignation d’un livre qui plaidait pour une relation de confiance entre le médecin et celui qui s’adresse à lui.

 

Une vision nouvelle de la médecine : la médecine de terrain.

 

Selon notre constitution, nous réagissons chacun différemment à telle ou telle agression. « Une seule explication possible : l’état de notre terrain : « L’ensemble des facteurs génétiques, physiologiques, tissulaires ou humoraux qui, chez un individu, favorisent la survenue d’une maladie ou en conditionne le pronostic » (Larousse). C’est dans cette perspective que cette nouvelle approche médicale est mise en œuvre : « L’être humain ne se limite pas à un simple assemblage de fonctions ou d’organes sans lien entre eux. Il est un être vivant autonome et complet qui réagit à chaque instant comme un tout cohérent et doit sans cesse s’adapter… La médecine actuelle a fait éclater le corps en ses multiples composants. En négligeant de replacer chacun d’eux dans ses relations complexes avec les autres, elle a perdu la capacité d’établir un diagnostic global de l’état du patient. Il est donc temps aujourd’hui de proposer une approche médicale qui mette en évidence les liens qui unissent le local au global et qui donnent une véritable vision scientifique intégrale du patient. C’est ce que nous désignons comme la conception endobiogénique du terrain » (p68).

« Le tout est plus que la somme des parties ». Le corps est perçu comme un ensemble de niveaux : « Chaque niveau, du gêne au chromosome, du chromosome au noyau, du noyau à la cellule, de la cellule à l’organe, de l’organe à l’organisme, possède ses propres mécanismes de fonctionnement, mais ils sont intégrés et sous contrôle du niveau supérieur, et, en fin de compte sous celui de l’ensemble de l’organisme. Si un niveau se dérègle, il est important d’identifier ce qui, en amont, a généré le dérèglement et de comprendre comment celui-ci agira à son tour sur l’aval » (p 68-69).

Tout se tient. « Pour maintenir l’harmonie, il existe nécessairement une communication permanente entre chacun des éléments, chacune des parties qui nous constitue. Il faut donc qu’en notre corps, ensemble vivant infiniment complexe, existe un coordonnateur qui gère en permanence les liens qui unissent la cellule à l’organe, l’organe aux autres organes et les fonctions entre elles (p 70-71)… La vie ne peut se maintenir s’il n’existe pas une cohérence et une finalité qui permette de faire fonctionner de façon harmonieuse les cellules et les organes de notre corps pour qu’ils se maintiennent en équilibre » (p70-71).

De fait, il existe bien une forme de « chef d’orchestre ». « Si l’organisme est une maison , il a pour architecte, pour coordonnateur, pour régulateur, le système hormonal ». Selon l’endobiogénie, « l’approche endocrinienne du terrain est fondée sur la reconnaissance du role primordial et incontournable du système hormonal à tous les niveaux du corps humain. C’est lui qui gère le métabolisme, c’est à dire la succession permanente et dynamique des phénomènes de destruction (catabolisme), de reconstruction et de synthèse (anabolisme) qui se déroulent à chaque seconde en nous… » (p 71).

 

L’approche endobiogénique s’appuie sur une interprétation nouvelle du fonctionnement du corps humain. Elle propose également de nouveaux outils pour en comprendre concrètement le fonctionnement et pour pouvoir en conséquence intervenir pour corriger et réguler.

« En partant d’une simple prise de sang comportant douze données biologiques (comme la numération formule sanguine, le nombre des plaquettes sanguines, le dosage de deux enzymes…), on peut construire un système établi sur des algorithmes, tous basés sur des données incontestées de la physiologie qui font apparaître de nouveaux chiffres conduisant à une compréhension beaucoup plus large des phénomènes à l’œuvre dans le corps que ne le permet l’approche purement analytique actuellement en vigueur. C’est la « biologie des fonctions »… Ce système complexe, conçu par le Docteur Christian Duraffourd, a permis d’établir quelques 172 index d’activité endocrine, métabolique, tissulaire, etc (par exemple : nécrose cellulaire, résistance à l’insuline, remodelage osseux, immunité, stress oxydatif, développement anormal cellulaire) (p 81-83). « Dans une goutte de sang, on peut voir l’individu et son terrain ». La production de cet ensemble est un bond en avant impressionnant pour la compréhension de l’état du patient.

Mais, dans la consultation, telle qu’elle est pratiquée par les médecins qui se réclament de cette approche, d’autres données recueillies à travers l’écoute et l’examen clinique, viennent encore s’y ajouter. Ces données viennent s’inscrire en regard de l’interprétation endobiogénique. A partir de là, le médecin peut prescrire un traitement approprié en faisant appel principalement aux plantes médicinales. L’usage de celles-ci permet d’éviter la nocivité des effets secondaires que peuvent entraîner certains médicaments de synthèse. Par ailleurs, la combinaison d’un certain nombre de plantes à activité synergique ou complémentaire induit un effet global important : « La sommation des petits effets que chacun va générer dans l’organisme permet d’apporter une amélioration, puis une vraie guérison ».

 

Une pratique nouvelle de la médecine.

 

Dans un chapitre entièrement consacré à la     description du déroulement d’une consultation (p 101-134), Marie-Laure de Clermont-Tonnerre nous permet d’entrer dans la pratique de cette médecine et de la comprendre de l’intérieur. Elle nous décrit ce qu’elle a vécu. A partir de sa propre perception des symptômes qu’elle ressentait, quels ont été ses questionnements et ses besoins ? Comment a-t-elle pu s’exprimer et être entendue ? Comment a-t-elle reçu un début d’explication lui permettant de découvrir une cohérence cachée derrière l’ensemble de ses symptômes ? En quoi, l’analyse des index de la biologie des fonctions permet « de mettre en évidence de façon chiffrée les liens subtils qui existent entre les différents organes et fonctions du corps humain, amenant le médecin à une vision plus fine de l’état réel du patient, l’aidant ainsi à diriger son traitement préventif et curatif »? En quoi, très concrètement, l’examen clinique, c’est-à-dire l’auscultation détaillée selon une méthode précise, apporte des renseignements précieux sur la façon particulière dont le corps s’organise et réagit ? Et enfin, comment le traitement est prescrit et commenté en fonction de toutes les données ainsi recueillies ?

 

Ce chapitre est particulièrement éclairant, car nous pouvons beaucoup apprendre de cette étude de cas tant sur la manière dont les données sont recueillies que sur leur signification, tant sur l’interprétation des dysfonctionnements que sur la stratégie adoptée pour y porter remède. Cette consultation n’est pas seulement une situation d’ordre technique, c’est aussi le lieu d’une relation dans laquelle il y a un dialogue permettant une compréhension accrue de part et d’autre et ainsi une participation du patient. Comme en témoigne Marie-Laure, la qualité humaine du médecin est essentielle. La psychologie confirmant la sagesse, on sait aujourd’hui combien compréhension , empathie et encouragement ont un effet majeur sur l’évolution ultérieure.

Tous ceux qui ont eu la grande chance de bénéficier de cette médecine apprécieront cette description et pourront y glaner des informations passées jusque là inaperçues. Mais ce livre s’adresse à tous. Cette description riche et fine d’une consultation en médecine endobiogénique fait apparaître un univers de sens qui nous permet d’accéder à un niveau supérieur d’information et de conscience. C’est là une source d’espoir et de confiance pour beaucoup. Nous avons dit combien, dans certains cas, elle est une ouverture qui libère, et osons le mot, une médecine qui sauve.  Mais, en mettant en lumière les dysfonctionnements en formation, c’est aussi une approche qui  permet d’y remédier à temps et donc d’exercer un  rôle de prévention .

Ainsi cette médecine a une double fonction : elle prévient et elle guérit. Comment ne pas militer en faveur de son développement !

 

Origine et devenir de la médecine endobiogénique.

 

L’apparition de la médecine endobiogénique nous apparaît comme une transformation majeure dans la conception et la pratique de la médecine, ce qu’en terme de sciences sociales, on peut appeler un nouveau « paradigme ». Mais si cette approche est actuellement mise en œuvre par un groupe de médecins encore très limité en nombre, comment est-elle apparue ? Le récit de Jean-Claude Lapraz nous montre la genèse d’une prise de conscience : une insatisfaction de médecins généralistes vis à vis d’une pratique médicale qui répond ponctuellement, mais qui souvent ne parvient pas à soigner en profondeur ; en contact avec Jean Valnet, un chirurgien ayant découvert en Indochine l’efficacité des plantes médicinales, la reconnaissance de cet apport à travers une expérimentation concrète ; au début des années 70, la conjonction de deux jeunes médecins, Christian Duraffourd et Jean-Claude Lapraz pour s’engager dans la voie nouvelle de la « phytothérapie clinique », c’est à dire le recours à la plante médicinale dans le cadre d’une approche globale et complète de l’homme et de sa physiologie.

 

Et puis ces idées ont essaimées, mais en France, en fonction des conservatismes ambiants, elles sont encore largement ignorées par les institutions officielles. Dans d’autres pays, par contre, l’approche endobiogénique gagne en audience. Aujourd’hui, dans notre pays, si l’approche endobiogénique  est pratiquée par un nombre bien trop limitée de médecins, elle est  soutenue par une association d’usagers : Phyto 2000 (3) et elle commence à se répandre à travers des formations.  Voici une médecine nouvelle dont on a vu l’efficacité et combien elle répond aux attentes. Qu’on ne laisse pas arrêter par les frustrations que certains peuvent ressentir, en termes négatifs, vis- à vis d’un potentiel qui leur paraîtrait actuellement hors de portée. Les auteurs situent également cette médecine dans le contexte plus général de la société en prenant position par rapport à toutes les menaces pour la santé, depuis les dangers présentés par certains produits de l’industrie pharmaceutique jusqu’à la pollution . A l’heure où se pose également le problème du coût de la médecine, on peut également mettre en avant les avantages d’une approche qui non seulement révèle son efficacité, mais peut jouer un rôle majeur en terme de prévention. Il y a donc un immense travail de promotion à réaliser . A cet égard, le livre publié par Jean-Claude Lapraz et Marie-Laure de Clermont-Tonnerre est un outil particulièrement efficace, car dans un langage dynamique et efficace, il ouvre à tous un accès à la compréhension de l’approche endobiogénique.

 

Perspectives d’avenir.

Comment promouvoir l’endobiogénie ?

 

Dans la conclusion, les auteurs mettent en évidence un paradoxe : « Jamais le financement consacré à la recherche n’a été aussi gigantesque et jamais la technologie médicale n’a fait autant de progrès que pendant les deux dernières décennies… Pour autant, jamais la médecine n’a été confrontée à une crise d’une telle ampleur et jamais le système de santé n’a été si proche de l’éclatement..

Devant des recherches qui peinent à obtenir les résultats espérés malgré les sommes considérables englouties, une réflexion s’impose : il faut reconsidérer les concepts de l’approche du vivant qui fondent la médecine moderne. Si la voie pastorienne a donné des fruits incontestés, elle bute maintenant sur ses limites. En éclatant l’homme en ses multiples composantes, en dissociant la partie du tout et en ne la replaçant pas dans la globalité, elle n’est pas à même de faire la synthèse, ni de remettre l’homme au centre du système. Il est donc temps d’introduire au cœur de la médecine actuelle de nouveaux outils conceptuels rendant possible une vraie synthèse à tous les niveaux : écoute du patient, examen du malade, approche des résultats biologiques, conception du traitement, orientation de la recherche, mise au point de nouveaux médicaments et mise en place d’une vraie prévention. Une des solutions pour la médecine de demain passe par la voie intégrative sans rien renier des avancées apportées par la science analytique. Basée sur les données de la science et avec le recul de plus de quarante année d’une pratique clinique confirmée par de nombreux médecins français et étrangers, la voie intégrative qu’est l’endobiologie, apporte des moyens simples à mettre en œuvre rapidement.. » (p 312)

 

Nous vivons aujourd’hui dans le mouvement d’une mutation culturelle qui se déploie à l’échelle du monde. Le champ de la conscience s’élargit. Des barrières tombent. On assiste aujourd’hui au recul d’une pensée cartésienne qui séparait l’esprit et le corps de l’homme, l’homme et la nature. On perçoit de plus en plus les limites d’une pensée analytique qui induit une pratique « en miettes ». Certes la volonté de puissance de l’homme est toujours là et elle peut se manifester dans la fascination de la technologie (4). Mais on prend de plus en plus conscience des méfaits d’une telle attitude dans laquelle l’homme se pose en « maître et seigneur de la nature ». Au contraire la pensée écologique recherche une harmonisation entre l’homme et la nature. Comme l’écrit le théologien Jürgen Moltmann (5), « Nous ne voulons plus connaître pour dominer, nous voulons connaître pour participer ». Et il ajoute : « L’ « essence » de la création dans l’Esprit est la « collaboration » et les structures manifestent la présence de l’Esprit dans la mesure où elles font connaître l’ « accord général ». « Au commencement était la relation » (M.Buber) ». De plus en plus, les approches systémiques, holistiques, intégratives s’imposent. De nouvelles synthèses s’élaborent . A cet égard, le livre de Thierry Janssen : « La solution intérieure » (6) nous paraît particulièrement significatif. Thierry Janssen a quitté sa profession de chirurgien pour entreprendre une grande enquête à travers le monde ayant pour objet d’étude : « la personne humaine comme agent de guérison » : Une médecine de l’esprit pour soigner le corps ; une médecine du corps pour soigner l’esprit où il présente l’apport de la médecine des énergies en provenance des pays d’Asie : Chine et Inde.

Le livre sur la médecine personnalisée devrait bénéficier de l’ouverture des esprits aux perspectives nouvelles  qui apparaissent aujourd’hui..   En même temps, son ancrage dans les acquis de la science médicale favorise sa réception par  les milieux professionnels. « Basée sur les données de la science et plus de quarante années d’une pratique clinique confirmée par de nombreux médecins français et étrangers, la voie intégrative qu’est l’endobiogénie apporte des moyens simples à mettre en oeuvre rapidement… » .

 

Dans un système de santé qui comporte de nombreuses rigidités, comment promouvoir cette conception et cette pratique nouvelle ? A cet égard, un article récemment paru dans Le Monde (14 mars 2012) vient nous encourager. Sous la signature de Luc Montagnier, prix Nobel de médecine en 2008 (7) et Frédéric Bizard, consultant et maître de conférences à Sciences Po, cet article ouvre la voie : « Anticipons le passage d’une médecine curative à une médecine préventive ». On peut y lire : « D’une approche verticale et segmentée nous devons passer à une vision transversale de la santé. D’une médecine à dominante curative au siècle dernier, nous passons à la médecine 4p : préventive, prédictive, personnalisée, participative, ce qui modifie fondamentalement le « logiciel » du système…. L’approche transversale de la santé et de la médecine 4p doit s’accompagner d’une rénovation de notre système de santé avec une approche holistique des soins fondée sur la personne et les relations interpersonnelles. D’un système centré sur la maladie, il faut évoluer vers un système centré sur la personne, sur la santé ».

 

Tout ce que nous avons appris de l’endobiogénie la situe potentiellement au cœur de ce front pionnier. Mobilisons-nous en faveur de cette médecine d’espoir !

 

JH

 

(1)            Lapraz (Dr Jean-Claude), Clermont-Tonnerre (Marie-Laure de). La médecine personnalisée. Retrouver et garder la santé. Odile Jacob, 2012.

(2)            Tournier (Paul). La médecine de la personne. Delachaux Niestlé, 1940  http://www.paultournier.org/mdlp.html

(3)            Pour en savoir davantage sur la situation de la phytothérapie clinique et de l’endobiogénie en France, les conditions d’accès à cette médecine, une association active des usagers : Phyto 2000. Site : www.phyto2000.org

(4)            Sicard (Didier). La médecine sans le corps. Une nouvelle réflexion éthique. Plon, 2002. Personnalité reconnue dans le domaine de la médecine et de l’éthique, Didier Sicard dénonce les usages abusifs et tentaculaires de la technologie au détriment d’une reconnaissance et d’une prise en compte globale du patient.

(5)            Moltmann (Jürgen). Dieu dans la création. Traité écologique de la création. Cerf, 1988.  Citations : p 51 et p 25. Un blog consacré à la pensée de Jürgen Moltmann : http://www.lespritquidonnelavie.com

(6)            Janssen (Thierry). La solution intérieure. Vers une nouvelle médecine du corps et de l’esprit. Fayard, 2006.  Mise en perspective sur le site de Témoins : http://www.temoins.com/developpement-personnel/vers-une-nouvelle-medecine-du-corps-et-de-l-esprit.guerir-autrement.html

(7)            Luc Montagnier est l’auteur d’un livre : Montagnier (Luc). Les combats de la vie. Mieux que guérir : prévenir. Lattes, 2008.  Mise en perspective sur le site de Témoins : http://www.temoins.com/developpement-personnel/aujourd-hui-prix-nobel-luc-montagnier-preconise-une-nouvelle-approche-de-la-medecine.html

Penser à l’avenir, selon Jean Viard

Dans une actualité tourmentée, comprendre les forces en présence et le jeu des représentations pour avancer vers un nouvel horizon.

 Le climat politique international s’est assombri durant l’année 2016. Des forces marquées par l’autoritarisme et l’hostilité à l’étranger sont apparues sur le devant de la scène. Elles s’appuient sur les frustrations, les peurs, les agressivités. Elles viennent bouleverser les équilibres au cœur du monde occidental. Elles portent atteinte à ce qui fondent nos valeurs : le respect de l’autre. Ces forces régressives constituent ainsi une grave menace. Notre premier devoir est donc de nous interroger sur les origines de cette dérive. Et pour cela, nous avons besoin de comprendre les transformations sociales en cours. Cette recherche emprunte différentes approches. Et, par exemple, comme Thomas Piketty, on peut mettre l’accent sur les effets néfastes d’un accroissement des inégalités. Mais il y a place également pour des analyses sociologiques comme celle de Jean Viard dans son dernier livre : « Le moment est venu de penser à l’avenir » (1). Cet ouvrage s’inscrit dans une recherche de long terme sur les transformations de la société française (2),  notamment dans sa dynamique géographique. Comment les différents milieux socio-culturels et les orientations induites s’inscrivent-elles dans l’espace, et bien sûr, dans le temps ? Des analogies apparaissent au plan international. Dans une approche historique, Jean Viard met aussi en valeur l’importance des représentations. Les catégories du passé s’effritent et s’effacent tandis que d’autres plus nouvelles, peinent encore à s’affirmer.

« Ce livre », nous dit-on, « est le récit des réussites de nos sociétés, mais aussi celui de leurs bouleversements : alors qu’une classe créative rassemble innovation, mobilité et initiative individuelle au cœur des métropoles productrices de richesse, les classes hier « dominantes » se retrouvent exclues, perdues, basculant leur vote vers l’extrême droite. Jean Viard propose une analyse sans concession des limites du politique dans la société contemporaine et exhorte les acteurs culturels à se réapproprier le rôle de guide en matière de vision sociétale à long terme. Des propositions innovantes pour repenser le vivre ensemble dans un monde qui a besoin de recommencer à se raconter » (page de couverture).

Comment la révolution économique transforme-t-elle le paysage géographique ? Quels sont les gains ? Quelles sont les pertes ?

Si la mutation dans laquelle nous sommes entrés engendre une grande crise, quelles sont les pistes pour y faire face ? Ce livre est particulièrement dense en données et en propositions originales. Nous nous bornerons à en donner quelques aperçus.

Une nouvelle géographie.

Le flux de la production qui irrigue le monde se déploie à travers les grandes métropoles. Les villes sont devenues un espace privilégié où se manifeste la créativité économique. « La révolution culturelle, économique et collaborative rassemble l’innovation, la mobilité, la liberté individuelle et la richesse au sein d’une « classe créative » de plus en plus regroupée au cœur des très grandes métropoles. Cœur des grandes métropoles où est produit aujourd’hui par exemple 61% du PIB français… On y est « Vélib » et high tech, low cost, usage plus que propriété, université, start up, communication, colocation, finance, COP 21. On y est nomade et mondialisé » (p 15).

Mais en regard, d’autres espaces reçoivent tous ceux qui ne sont pas parvenus à s’intégrer dans la nouvelle économie. Ce sont les zones périurbaines. « Les ouvriers de l’ancienne classe ouvrière sont partis vers les campagnes rejoindre dans un vaste périurbain, comme beaucoup de retraités, la précédente « classe dominante », celle des paysans. Le pavillon a remplacé la maison du peuple. L’idée de compenser par une mission historique les difficultés du quotidien a disparu. On y est face à son destin et on le vit sans perspective. 74% des salariés y partent travailler en voiture, plutôt diésel, sans autre choix possible ».

Les quartiers des anciennes banlieues ouvrières ont été abandonnées par une partie de leurs habitants et sont peuplés maintenant par des immigrants arrivés en vagues successives de différentes origines. Pauvres, mal desservis, ces quartiers sont néanmoins riches en potentiel.

 

Une nouvelle analyse de la société.

Notre représentation de la société en termes de classes sociales bien caractérisées est aujourd’hui bouleversée. Les anciens concepts qui ordonnaient notre vision du monde sont de plus en plus dépassés. Jean Viard exprime, avec clairvoyance ces bouleversements. «  Ce que nous appelions « nation » ne peut plus être une totalité, car elle est elle-même dominée par la nature. Et elle vit grâce à un monde nomade en croissance qui lie des hommes, des savoirs, des biens, des services et des imaginaires au  travers les grands vents de la planète. Les classes que nous avions pensées pour organiser le corps politique des nations se défont. Les anciennes classes dominantes, celles qui se sont raconté un destin historique, les paysans d’hier, puis les ouvriers, ne sont plus alors autre chose que des groupes en marge de l’histoire… » (p 25).

Une véritable révolution culturelle bat son plein. Elle est portée par une « classe nomade créative » » avec des guillemets, car ce n’est pas une classe au sens marxiste, faute de conscience de classe, mais un outil de classement aux sens culturel, esthétique, économique » (p 37). Cette « classe créatrice » est urbaine. Elle est internationale. Elle porte une nouvelle culture, un nouveau genre de vie.

Urbaine, elle porte New York et Paris, Toulouse, Nantes et Bordeaux, Montpellier et elle intègre une bonne part des 2,5 millions de Français qui sont allés vivre à l’étranger » (p 38). Elle se développe rapidement. « Les six plus grandes métropoles françaises n’ont pas cessé de créer des emplois depuis 2008 ».

Internationale, cette classe créatrice est « planétaire et non nationale et non continentale. Elle se structure autour des hubs de la mondialisation et non autour des ronds points autoroutiers ou des gares TGV. Nous sommes entrés dans une époque de multi-appartenances avec des nomades rapides…Nous avons à la penser, à la rêver et à l’organiser. L’Europe en est un échelon, une puissance, mais elle ne peut être notre nouvelle totalité… » (p 40).

Cette classe créatrice porte une nouvelle culture. Au fil de ses recherches, Jean Viard est bien placé pour nous en décrire l’origine et la trajectoire, comme la diversité et la cohérence de ses manifestations. Elle s’inscrit dans une révolution technologique et culturelle qui change profondément les rapports humains. « Sur les quatre millions et demi d’emplois créés en France en quarante ans, trois millions et demi sont occupés par des femmes. Un million seulement par des hommes ! » (p 40)

 

Tensions, oppositions, blocages.

Des évènements politiques récents comme le Brexit ou l’élection de Donald Trump, la progression des mouvements « populistes » en Europe, au delà des particularités de tel contexte, traduisent bien des oppositions radicales aux transformations induites par « la classe créative nomade ». Et d’ailleurs, la répartition des votes est significative. Les partisans du repli échouent dans les grandes villes.

Jean Viard nous éclaire sur ces affrontements. D’un côté, des forces nomades « « qui bousculent nos pays de l’intérieur et de l’extérieur. Au début du XXIè siècle, la révolution numérique est venue accélérer leur développement et rendre irrésistible ce qui était balbutiant. En 2015, avec la COP 21, on a admis qu’une nouvelle culture commune du développement était obligatoire. Jamais l’humanité n’a ainsi pensé ensemble, ni espéré pour sa survie…Nous vivions dans un monde de sédentaires avec des déplacements. Nous sommes dorénavant dans un monde de mobilité où l’enjeu est de chercher à associer liberté, mobilité et individus » (p 33).

« En face de  ce monde accéléré et de cette contrainte écologique, sourdent partout, si l’on peut dire, des volontés de retrouver un sens perdu, un projet dépassé, un territoire déjà balisé, une croyance ancestrale, un mythe national » (p 35). L’affrontement revêt à la fois une dimension sociale et une dimension culturelle ». « Les groupes dominants du passé, paysans, ouvriers en particulier, mais aussi bourgeois, voire classes moyennes, se défont en tant que groupes et ne forment plus peuple. Leurs souvenirs collectifs, leurs luttes héritées ou vécues n’intéressent plus… Ne reste qu’une foule souvent exclue du cœur des métropoles, sans récit, ni destin, ni ascenseur social. Pour ce peuple défait, cette foule malheureuse, seules les pensées extrémistes tirées du passé font sens, car elles en appellent au déjà connu… » (p 16).

« Cette société tripolaire : classe nomade créatrice, anciennes classes dominantes, « quartiers populaires », n’a pas encore de mot et de récit… L’enjeu est de penser la place des nomades créatifs émergents et, en même temps, les liens et les lieux respectueux des anciens groupes sociaux et qui leur ouvrent un chemin vers le futur » (p 27).

 

Ouvrir un nouvel espace. Faciliter la mobilité.

         Comment remédier aux tensions croissantes entre groupes sociaux ? De fait, les inégalités se manifestent de plus en plus dans la dimension de l’espace, dans la distance entre le centre et la périphérie.

Évoquant les propos de l’historien Pierre Nora, Jean Viard nous dit que, depuis les années 70, la France vit sa plus grande mutation historique. « La mutation la plus forte n’étant pas de passer d’un roi à un président de la République, mais de passer d’un système du « haut en bas », avec une domination du parisien et du central sur la province, à un système largement horizontal où il y a une relation à inventer entre le centre et la périphérie. Cela vaut d’ailleurs pour les classes sociales, pour les populations comme pour les espaces » (p 63).

La nouvelle dynamique économique se manifeste dans les grandes villes et plus généralement dans une civilisation urbaine. « La production de richesse se concentre depuis trente ans dans le monde urbain porté par la classe créatrice ». Les vieux métiers sont restructurés par la révolution numérique ou envoyés vers la périphérie des métropoles vers un monde rural de plus en plus ouvrier et résidentiel pour milieux populaires et retraités. Et, par ailleurs, les villes se transforment, associant production innovante, art de vivre et mise en valeur du patrimoine historique. « Les « deux formes de ville » que nous n’avons pas réussi à transformer : le périurbain et les « quartiers » sont les lieux des pires tensions. Là est l’enjeu urbain des trente prochaines années si nous voulons y rencontrer de la ville et du vivre-ensemble. Sinon, c’est entre ces territoires que se cristalliseront les tensions politiques » (p 50). De fait, ces tensions sont déjà là comme le montre la géographie électorale. En France, le Front National prospère dans le périurbain. Et récemment aux États-Unis, c’est à l’extérieur des grandes villes que Donald Trump l’a emporté.

Et par ailleurs, une nouvelle hiérarchie des territoires s’est imposée avec l’apparition des territoires délaissés : « Les anciennes régions du Nord et de l’Est, une part des périurbanités, mais aussi le nord de Londres, le sud de Rome «  (p 55).

En regard, Jean Viard énonce différentes approches à même de redonner de la fierté aux habitants des friches industrielles. Ainsi la création d’un musée à Lens n’a pas été sans conséquences positives pour l’ensemble de la population. « Aujourd’hui, dans notre société de l’art de vivre, c’est la qualité du commun qui attire l’habitant, et l’entreprise suit sa main d’œuvre rare » (p 55). Et, de même, face à la géographie clivée de nos sociétés, il faut chercher les voies de la réunification en exploitant les atouts des territoires excentrés. « Parce que l’économie de la résidence, du tourisme, de la retraite, opère aussi de gigantesques transferts, que les cas particuliers sont nombreux : traditions locales, entreprises familiales, positions logistiques, et que le hors métropole produit quand même 40% de la richesse » (p 57).

Rompre les cloisonnements, c’est aussi accroitre la mobilité. Cette mobilité va permettre d’éviter une fixation sur le passé, là où il n’y a plus de restauration possible. La mobilité, c’est aussi susciter un brassage permettant à la jeunesse d’éviter un enfermement dans des contextes immobiles. Dans le contexte de la révolution productive, définissons « un droit à la ville/ métropole » pour la jeunesse afin que les jeunes passent quelques années au cœur de la métropole ». La construction d’un million de logements d’étudiants au centre des dix plus grandes métropoles ouvrirait  un avenir à des centaines de milliers de jeunes venant des champs et des quartiers ». C’est au moins aussi important que de parler anglais » (p 59).

 

Recréer du récit

S’il n’y a plus de mémoire commune et pas de projet commun, il n’y a plus de points de repère et les gens se sentent abandonnés. Et lorsque les valeurs communes s’effritent, le pire est possible. Ainsi le peuple ouvrier, qui se sentait autrefois porteur d’une mission collective, se réduit de plus en plus à un ensemble d’individualités frustrées et désemparées. Dans ces conditions, une instabilité dangereuse apparaît. Jean Viard compare ainsi le peuple et la foule. « Le peuple a une mémoire et un vécu, des luttes partagées, des foucades et des haines. C’est ainsi qu’il forme groupe. Mais la foule, elle, est « individu voisinant » et se réfugie dans la sédentarité cherchant une identité dans le territoire, dans les frontières, dans les appartenances d’hier sociales ou religieuses. Contre « les autres » généralement. Il y a danger, car alors « la foule écrase le peuple et souvent le trahit » comme le disait Victor Hugo «  (p 15).

Aujourd’hui, au moment où les concepts de « classe » et de « nation » perdent en pertinence par rapport aux réalités nouvelles de la vie, nous avons besoin d’un récit collectif qui rende compte des dynamiques et des aspirations nouvelles et qui rassemble tous ceux qui sont à la recherche d’un avenir. La société change.  Elle n’est plus structurée par des statuts, des métiers. « Le social qui avait remplacé la religion comme organisateur exclusif, se trouve marginalisé. La religion revient en force comme toutes sortes de groupes structurés par habitus, origines, pratiques amoureuses. Chacun a besoin d’une identité multiple. Si l’on n’est pas capable de fournir la pensée et les mots de cette appartenance plurielle et complexe, chacun va penser dans sa boite à outils d’identités héritées monistes : la nation, la religion, la classe sociale… vieux mots auxquels on peut s’accrocher en période de peur et de désarroi … Alors, en regard, inventons plutôt un commun positif qui intègre, par une vision du futur et des mots nouveaux pour le dire, ces croyances qui deviennent certitudes par désarroi » (p 45).

L’individu aujourd’hui est au centre de notre société. Comment « attirer les individus vers le commun qui peut nous rassembler et vers la création vivante ou héritée ? C’est le rôle à la fois du monde numérique et de la culture, des évènements urbains, d’un nouveau langage politique et du projet à faire humanité et de survivre » (p 46).

Jean Viard note que déjà, au niveau du local, on peut observer un désir de partage. « Toutes les structures de proximité : familles, amis, entreprises, communes, ont une image positive » (p 47).

Et puis, à une échelle plus vaste, on peut également discerner des tendances positives et les mettre en valeur. « Dire la métropolisation comme mine numérique et écologique, dire société horizontale, mobilité, individu, liberté. Dire économie locale, économie de production et économie présentielle…Dire cela et avec ces mots là, permet à la fois de sortir des mots devenus creux de la révolution industrielle et de dessiner un chemin possible pour l’action de millions d’acteurs, autonomes, mais inscrits dans des réseaux, des compétences, des croyances et des peurs » (p 181).

Si dans notre imaginaire français, le mot révolution s’inscrit le plus souvent dans un vocabulaire politique, cette révolution là n’est pas du même ordre. « C’est l’épanouissement d’une révolution culturelle, née à la fin de la reconstruction et des Trente Glorieuses, qui a emporté avec elle l’hégémonie du politique, y compris les totalitarismes et les colonialismes » (p 181).

Et, pour nous tourner vers l’avenir, il est important de ne pas nous enfermer dans le regret et la déploration, mais de pouvoir nous appuyer sur la conscience des changements positifs qui, au cours des dernières décennies, sont intervenus dans les mentalités. « Cette immense révolution culturelle permet enfin aux femmes d’accéder au statut d’adultes à part entière dans tous les domaines de leur vie, et, à l’humanité de vivre dans la nature et non dans la domination, les deux étant profondément liés » (p 182). La conscience écologique grandissante modifie nos perceptions politiques et elle devient maintenant l’axe majeur d’un projet et d’un récit commun. « La seule vraie échelle de notre avenir est la terre comme totalité écologique. Cette conviction, depuis la Cop 21, surplombe l’ensemble de nos actions et de nos nations… » (p 185). « Sur le marché mondial du sens, proposons un chemin de progrès pour un écosystème terre en cogestion nécessaire » (p 185).

 

Dans un monde en crise, quelle perspective ?

Cette année 2016, la montée des frustrations, des peurs, des agressivités ont entrainé une victoire des extrémismes comme autant de chocs au coeur du monde occidental. Pour faire face à cette situation, il est urgent de comprendre les ressorts de cette poussée. Ce livre nous apporte une réponse. L’analyse de Jean Viard ouvre des horizons.

Sur ce blog, dans une approche d’espérance, nous cherchons à considérer la crise actuelle en terme de mutations (3) et à discerner les courants émergents (4), parfois encore peu visibles, qui traduisent cependant une transformation des mentalités et le développement de nouvelles pratiques. Oui, une nouvelle vision du monde commence à apparaître comme en témoigne l’enthousiasme de plusieurs amis ayant récemment visionné le film « Demain » (5). Nous rejoignons ici l’approche de Jean Viard lorsqu’il met en évidence la nécessité d’un récit rassembleur et mobilisateur.

La construction d’un tel récit requiert différents apports, jusqu’à associer par exemple « rationalité occidentale et pensée mythique » (p 41). A cet égard, si le religieux est aujourd’hui, dans certaines formes et dans certains lieux, tenté par un retour en arrière, nous proposons ici le regard d’une foi chrétienne, inspirée par une théologie de l’espérance (6) et alors, dans le mouvement de la résurrection du Christ et la participation à une nouvelle création, orientée vers l’avenir. De cette foi là, on peut attendre une contribution à un grand récit fédérateur. Comme l’exprime un verset biblique : « Sans vision, le peuple périt » (7).

Dans cette actualité tourmentée, nous avons besoin d’une boussole pour analyser les changements en cours et développer des stratégies pertinentes. Trop souvent, les débats politiques actuels ne prennent pas en compte une approche prospective de la vie sociale. Ce livre nous apporte un éclairage qui renouvelle nos représentations et nous permet de mieux entreprendre. C’est une lecture mobilisatrice.

 

J H

 

(1)            Viard (Jean). Le moment est venu de penser à l’avenir. Editions de l’Aube, 2016

(2)            Jean Viard, sociologue, éditeur, a écrit de nombreux livres aux Editions de l’Aube. Sur ce blog : « Émergence en France de la « société des modes de vie » : autonomie, initiative, mobilité… » : https://vivreetesperer.com/?p=799

(3)            « Quel avenir pour le monde et pour la France ? » (Jean-Claude Guillebaud. Une autre vie est possible) : https://vivreetesperer.com/?p=937                                « Un chemin de guérison pour l’humanité. La fin d’un monde. L’aube d’une renaissance » ( Frédéric Lenoir. La guérison du monde » : https://vivreetesperer.com/?p=1048               « Comprendre la mutation actuelle de notre société requiert une vision nouvelle du monde » (Jean Staune. Les clés du futur) : https://vivreetesperer.com/?p=2373

(4)            « Une révolution de l’être ensemble. La société collaborative » (Anne-Sophie Novel et Stéphane Riot. Vive la co-révolution » : https://vivreetesperer.com/?p=1394      « Appel à la fraternité. Pour un nouveau vivre ensemble » : https://vivreetesperer.com/?p=2086                             « Un mouvement émergent pour le partage, la collaboration et l’ouverture : OuiShare » : https://vivreetesperer.com/?p=1866                            « Un nouveau climat de travail dans des entreprises humaniste et conviviales. Un parcours de recherche avec Jacques Lecomte » : https://vivreetesperer.com/?p=2318   « Cultiver la terre en harmonie avec la nature. La permaculture : une vision holistique du monde » : https://vivreetesperer.com/?p=2405                           « Pour une éducation nouvelle, vague après vague » (Céline Alvarez. Les lois naturelles de l’enfant) : https://vivreetesperer.com/?p=2497

(5)            « Le film : Demain » : https://vivreetesperer.com/?p=2422

(6)            Une vue d’ensemble sur la théologie de Jürgen Moltmann : « Une théologie pour notre temps » : http://www.temoins.com/une-theologie-pour-notre-temps-lautobiographie-de-juergen-moltmann/                              Auteur d’une théologie de l’espérance, Jürgen Moltman nous en parle comme une force vitale qui nous incite à regarder en avant : « Nulle part ailleurs dans le monde des religions, Dieu n’est liée à l’espérance humaine de l’avenir…Un « Dieu de l’espérance » qui marche « devant nous » et nous précède dans le déroulement de l’histoire, voilà qui est nouveau. On ne trouve cette notion que dans le message de la Bible… De son avenir, Dieu vient à la rencontre des hommes et leur ouvre de nouveaux horizons…Le christianisme est résolument tourné vers l’avenir et invite au renouveau…Avoir la foi, c’est vivre dans la présence du Christ ressuscité et tendre vers le futur royaume de Dieu… ».   La force vitale de l’espérance, p 109-110 (Jürgen Moltmann. De commencements en recommencements. Empreinte, 2012) Sur ce blog : « Une dynamique de vie et d’espérance » : https://vivreetesperer.com/?p=572

(7)            « Lorsqu’il n’y a pas de vision, le peuple périt » (Proverbes 29.18)

Dieu veut des dieux

La vie divine
Shttps://images2.medimops.eu/product/1ea064/M02728928908-large.jpgelon Bertrand Vergely

« Dieu veut des dieux » : ce titre d’un nouveau livre de Bertrand Vergely (1) est dérangeant. Il échappe à toute raison raisonnante, et, en même temps, il peut être rejeté par des croyants inquiets de ces prétentions. Il ne va pas de soi chez des gens en quête spirituelle, mais il peut y activer des questionnements. Aujourd’hui, dans les incertitudes de l’époque, on peut s’enfermer dans une orthodoxie rigide, ou, au contraire, s’ouvrir, écouter, entendre. L’Esprit souffle où il veut, nous a dit Jésus. Personnellement, à ce point, un souvenir est remonté : la chanson « Fabulettes » d’Anne Silvestre : « J’ai une maison pleine de fenêtres, pleine de fenêtres en large et en long… » (2).

A plusieurs reprises sur ce site, nous avons rapporté la pensée forte et suggestive de Bertrand Vergely (3). Qu’est-ce que celui-ci a-t-il à nous dire aujourd’hui dans son cheminement philosophique et théologique ? Et bien, il s’en explique dans une interview rapportée dans une vidéo de la Procure (4). Cet homme a reçu de sa mère une ouverture spirituelle se manifestant à travers une foi du cœur vécue dans la confession orthodoxe. Et dans l’université française, il a appris la rigueur de pensée et il a réalisé un beau parcours philosophique. Ses nombreux livres témoignent d’une grande créativité, d’un esprit brillant, d’une maitrise de l’écriture et d’une connaissance encyclopédique. Toute sa vie, Bertrand Vergely a cherché à conjuguer ses deux cultures, la religieuse et la philosophique. Et ainsi, nous le voyons amoureux de la Grèce, du monastère orthodoxe du Mont Athos où il s’est rendu à de nombreuses reprises et de la philosophie de la Grèce antique qu’il connaît de bout en bout. Le livre : « Dieu veut des dieux » est issu de cet univers. La « theosis » (5), l’œuvre de Dieu qui divinise l’homme à son écoute, est enseignée par les Pères grecs du premier christianisme, et aujourd’hui par le christianisme orthodoxe : « La Theosis peut être définie comme une communion-participation avec Dieu. Elle est la grâce par laquelle un fidèle, libre de faute, s’emplit de la lumière divine, s’unissant à Dieu, dès cette vie, et en plénitude, lors de la résurrection des morts ». La démarche de Bertrand Vergely s’inscrit, en même temps, dans un monde familier. Ainsi nous rapporte-t-il son expérience d’une rencontre avec une habitante d’un village grec, sensible comme lui à la beauté du lieu associée à un effet de la grâce divine.

Si Dieu, en Occident, a parfois été reçu et vécu comme insensible et lointain, un mouvement profond est apparu dans les dernières décennies qui, dans la reconnaissance de la dynamique trinitaire et de l’œuvre de l’Esprit, de la marche vers un nouveau monde dans lequel Dieu sera « tout en tous », proclame « Dieu vivant, Dieu présent, Dieu avec nous dans un monde où tout se tient » (6). A de nombreuses reprises, nous avons rapporté la pensée à ce sujet, du grand théologien Jürgen Moltmann (7), du franciscain américain, Richard Rohr (8) et de l’historienne américain, Diana Butler Bass (9).

« Dans la communion avec le Dieu vivant » écrit Jürgen Moltmann, « notre vie mortelle et finie, ici et maintenant, est une vie interconnectée, pénétrée par Dieu, et ainsi, elle devient immédiatement une vie divine et éternelle… » Et Richard Rohr nous communique un message comparable : « La révolution trinitaire en cours révèle Dieu, comme toujours avec nous dans toute notre vie. Cette évolution a toujours été active comme le levain dans la pâte. Mais aujourd’hui, on comprend mieux la théologie de Paul et celle des Pères orientaux, à l’encontre des images punitives plus tardives de Dieu qui ont dominé l’Eglise occidentale ». La pensée de Bertrand Vergely s’inscrit ainsi dans un continuum où il apporte ici sa note originale, son accent sur la « theosis ».

Le livre de Bertrand Vergely se développe en trente chapitres répartis en trois parties : le principe divin, l’homme divin, la vie divine. Nous ne nous sentons pas à même de réaliser une présentation ordonnée de cet ouvrage parce que nous ne disposons pas d’une culture philosophique adéquate. A vrai dire, pour nous, cette lecture ne va pas de soi. Ce style, riche en hyperboles, n’est pas le notre. Mais nous trouvons dans ce livre des éclairages qui engendrent un nouveau regard. Il y a des passages fulgurants. Ce sont des fenêtres qui s’ouvrent. A deux reprises, nous avons pu constater sur facebook l’audience suscitée par des passages de ce livre de Bertrand Vergely. Cette expérience nous encourage à partager ici quelques brefs extraits. Notre choix a été commandé par notre degré de compréhension immédiate et notre accessibilité personnelle.

 

Consentement d’être

« L’être a une caractéristique. Il est ce qu’il est. Etant ce qu’il est, il est harmonieux. Il est harmonie. Faisons l’effort d’être en vivant ce que nous vivons par le fait d’être présent à ce que nous vivons. On ressent une joie débordante. L’harmonie parle parce qu’on la laisse parler. Epicure a appelé cette joie « plaisir ». Ce terme est trompeur. Il fait penser à une satisfaction sensuelle. Il ne parle pas du consentement d’être, consentement divin » (p 101).

Il est divin de respirer

« Il est divin de respirer. Il est divin de faire respirer. On guérit en respirant. On guérit le monde. On respire tellement mal ! On étouffe tant ! Dieu est Esprit. Il est Saint-Esprit. Le Saint-Esprit est souffle. On ne voit pas assez Dieu comme Esprit qui souffle, et qui, en soufflant, fait respirer et guérir » (p 130).

Vivant pour vivre

« Lorsqu’on s’arrête pour vivre ce que l’on vit, un événement foudroyant se produit. Vivant pour vivre, l’existence n’est plus seulement l’existence. Elle est l’existence qui est. L’être vient se mêler à l’existence qui, en retour, vient se mêler à l’être. La coïncidence entre l’existence et l’être a un effet fulgurant. Une lumière jaillit. L’existence peut être de l’être. Le divin peut se faire vie. On est dans le Christ, dans le Dieu fait homme, dans le divin fait vie » (p 184).

La mort est un passage

Pensons qu’après la mort, tout n’est pas fini. Posons qu’il y a autre chose. Arrêtons-nous sur cette phrase : « Ce n’est pas fini ». Méditons la. La mort existe. En outre, elle n’existe pas comme néant. Elle existe comme passage. La mort se met à exister. Ni escamotée, ni néant, elle est un passage. C’est ce que signifie la résurrection qui a lieu lors de Pâques, la fête des passages. La mort existe et elle n’est pas sans fin. Le néant est terrassé. Il s’agit là d’un événement nouveau. Vivons avec cette conscience. La vie change. Le corps change. Nous n’avons pas l’habitude de penser que nous allons vers une vie autre… Tout est bien plus vivant que nous le pensons. Nous sommes du plus que vivant qui s’ignore et non du vivant qui est condamné » (p 203-204).

Qui est donc l’homme ?

« Qui est donc l’homme pour que tu t’en souviennes ? » interroge les Psaumes (Ps 8.5). L’homme a beau être peu de choses dans l’univers matériel. Il a conscience de l’univers. Cela change tout. Grâce à lui, l’univers est un univers conscient. D’où la profondeur de cette parole chantée par le chœur dans Antigone de Sophocle : « Parmi toutes les merveilles, l’homme est la plus grande merveille ». Comme le dit Pascal, l’homme possède une dignité infinie du fait qu’il pense.

Il faut que l’homme en prenne conscience. Il y a quelque chose non seulement de royal, mais de divin en lui… Dans les Évangiles, c’est ce qu’enseigne le Christ quand il lance à ceux qui veulent le lapider parce qu’il se dit fils de Dieu : « Vous êtes des dieux » (Jean10.34-36). Parole qu’il convient de bien comprendre : tous ceux à qui la Parole de Dieu est destinée sont des dieux. Ce sont les Psaumes qui le disent (Ps 81.6)… » (p 12).

L’homme ne se fabrique pas. Il se reçoit

On se trompe quand sous prétexte de s’affranchir du dogmatisme, on pense en avoir fini avec l’être ainsi qu’avec Dieu. Eliminons Dieu et l’être de la pensée. Eliminant l’idée que la réalité va bien plus loin que l’on pense ou voit, on l’appauvrit, quand on ne l’assèche pas. Dieu ainsi que l’être renvoient à la vie divine et pas simplement à un dogmatisme. Ne croyons pas qu’elle a dit son dernier mot. L’aspiration à la plénitude qui inspire le fond du cœur humain n’a jamais dit son dernier mot. La liberté que donne la vie divine non plus ne s’efface pas. La postmodernité croit que tout se fabrique. Tout ne se fabrique pas. L’homme ne se fabrique pas. Il se reçoit. Ce qui fait qu’il est et qu’il sera toujours plus beau que l’homme qu’on prétend fabriquer (p 236).

Dieu veut que le vivant vive

« Dieu est vivant. Etant vivant, il veut que le divin vive. Voulant que le divin vive, il le fait vivre en le semant dans la profondeur des choses, des êtres, du monde, de la vie, des hommes et de l’histoire. Dans la Genèse, ce divin en expansion s’appelle l’arbre de vie (Gen 2.9). Dans l’Evangile de Jean, il s’appelle le Verbe (Jean 16.20). Il y a du divin en l’homme. Il faut le dire. C’est en ayant conscience de sa valeur divine qu’il cesse de délirer et de faire n’importe quoi. C’est en entreprenant de vivre divinement qu’il se met à vivre et à faire vivre la vie la plus humaine qui soit » (p 13).

Je suis

Le peuple d’Israël est en exode. Il souffre. Il attend d’être libéré de l’asservissement qu’il subit. Pour le délivrer, Moïse a l’idée de demander son nom à Dieu. Le nom qui dit l’identité intime permet de remonter à la source de ce qui est et de ce qui fait être. Si Israël connaît le nom de Dieu, muni de l’énergie divine, il pourra se libérer. Le nom que Dieu révèle à Moïse est Je Suis, en hébreu YHVH. Je suis renvoie à la réalité fondamentale de Dieu qui est, comme le dit l’Apocalypse, « Celui qui est » (Ap 1.4). Je suis renvoie par ailleurs à notre existence. Je suis renvoie enfin à la relation entre notre existence et l’existence divine. Glorieuse nouvelle. Il est possible de se libérer de l’esclavage. Il suffit de dire Je suis. L’existence se met en relation avec l’existence divine et son énergie inépuisable. On comprend que Dieu soit alors le rocher de l’homme (Ps 18.2), son repos (Ps 61.2) » (p 23).

Le Christ est dit l’arbre de vie

« Les arbres qui recouvrent la terre, font de la terre une terre vivante qui respire. Si le ciel est une enveloppe d’air qui permet à la terre de respirer, l’arbre est un ciel actif sur la terre qui la fait respirer.

Le Christ est dit médiateur. En reliant Dieu à la vie sensible et la vie sensible à Dieu, il est le médiateur entre la vie invisible et la vie visible. Le Christ est dit être l’arbre de vie. Cette image est confirmée par la relation qu’il a avec le Père. En faisant de lui un Dieu vivant, il le fait respirer comme l’arbre fait respirer la terre. On peut dire qu’il est le poumon de Dieu… Le Dieu vivant relie le visible à l’invisible. Il relie aussi l’invisible au visible en étant cette énergie invisible qui permet au visible de croitre et multiplier… » (p 165-166).

Théosis

« Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu » enseigne saint Athanase. « Dans les temps antérieurs, on disait bien que l’homme avait été fait à l’image de Dieu, mais cela n’apparaissait pas, car le Verbe était encore invisible… Lorsque le Verbe s’est fait chair, Il a fait apparaître l’image dans toute sa vérité. Il a établi la ressemblance de façon stable ».

Au IIIè siècle, Irénée de Lyon exprime la notion de théosis. Il le fait dans un contexte où la Gnose pense que le monde est mauvais… Elle espère la destruction du monde afin de voir advenir sa rénovation… Il faut parler de Dieu, pense Irénée, mais autrement. Le monde et l’homme n’ont pas besoin d’être détruits pour être rénovés. Pour l’expliquer, Irénée commence à rappeler que la création est bonne. C’est dans cette perspective qu’il importe de comprendre la doctrine de la déification. Si la création est bonne, l’existence humaine l’est aussi… L’existence humaine est tellement bonne que Dieu veut que l’homme lui ressemble. Voulant que l’homme lui ressemble, il n’hésite pas, si l’on ose dire, à ressembler à l’homme en se faisant chair par le Christ. Enfin l’existence humaine est tellement bonne que l’homme peut devenir Dieu. Nul besoin de violence pour le réformer. L’homme peut par cette vie de présence absolue qu’est la vie de prière devenir une pure présence comme le Père.

Le message d’Iréné est le suivant : Faisons de la création une création qui est bonne et de l’humanité une création tout aussi bonne. On rend possible une harmonie entre Dieu et l’homme. La vie peut devenir divine. Le monde peut devenir divin. L’homme peut devenir divin… » (p 214-215).

Le ciel est bleu

« Le ciel est par dessus le toit, si bleu, si calme », écrit Verlaine. Des toits. Au dessus des toits, le ciel. Au dessus du ciel, le bleu. Au dessus du bleu, le grand calme, le grand calme. Dans le monde des hommes, le toit est ce qui clôt l’espace humain. Le ciel par dessus les toits vient montrer que l’espace n’est pas clos. L’homme n’est pas condamné à vivre dans un espace bouché.

Le ciel est une leçon d’espérance et avec elle de pensée. Un monde sans espérance est un monde où tout est fermé non seulement au départ, mais une fois pour toutes. Le tragique est l’expression d’un tel monde. La vie y est condamnée… : « Ne cherchez pas une issue. Il n’y en a pas… C’est la mort qui a le dernier mot. Elle l’a toujours eu et elle l’aura toujours. Derrière la mort, c’est le néant qui est la vérité ultime… ». La vie n’est pas tragique. Nous ne sommes pas voués à la violence, à la mort et au néant. Verlaine dans son poème le montre. Derrière le ciel, il y a le bleu. Derrière le bleu, il y a le calme, le grand calme. Il y a nous, nous quand nous sommes comme le ciel… (p 149-150).

Apprendre à respirer comme le ciel

Lorsqu’on a l’âme bleue, lorsqu’on a le blues, comme le souligne Trinh Xuan Thuan, il suffit de regarder le ciel pour que le bleu céleste chasse le bleu mélancolique. Si il y a les coups de la vie qui provoquent des bleus à l’âme, il y a la grande liberté du ciel qui murmure à travers ses brises de partir au large. Pourquoi s’en faire ? on s’en fait trop… Nous sommes. Nous existons. Il y a de l’être en nous. Là est notre trésor… On ne respire pas. Le ciel lui respire. Il faut apprendre à respirer comme lui… (p 153)

L’homme céleste

Entre l’inspire et l’expire, il y a le grand fleuve de la vie qui continue de couler inlassablement en déversant la vie. On touche là à l’inspiration continuelle de l’être… Dans l’Evangile de Jean, (dans l’entretien du Christ avec Nicodème (Ch 3.1-18), on entend que l’esprit est comme le vent : nul ne sait d’où il vient, nul ne sait où il va. On est libre quand on respire. On respire quand on est inspiré. On est inspiré quand on est comme le vent dont nul ne sait d’où il vient et où il va. On est libre quand ce n’est plus nous qui parlons, mais la vie… L’être qui fait respirer le monde est céleste. Céleste, il n’est plus tout à fait de ce monde. Il est étranger à nos passions étouffantes. Il faut que l’homme céleste se mette à exister pour que le monde reprenne son essor… » (p 154).

Au fil de passages significatifs, nous avons rapporté plusieurs aspects de ce livre et de cette pensée. Beaucoup d’autres auraient pu être mis en avant. Cette expérience de lecture nous a permis et permet aux lecteurs d’apprécier la vivacité de cette pensée tant à travers son expression que dans la profondeur des réflexions. Ces aperçus ouvrent des fenêtres et apportent des éclairages bien souvent inattendus. A coup sur, ce livre nous apporte une pensée originale. Ces extraits suscitent une envie de s’y plonger ou de s’y replonger. On y apprend à reconnaître notre être et sa relation avec l’Etre divin. Une spiritualité émerge . C’est « la spiritualité de l’être » telle que Pierre Lebel l’a mis récemment en évidence » (10)

J H

  1. Bertrand Vergely. Dieu veut des Dieux. La vie divine. Mame, 2021
  2. Anne Silvestre. J’ai une maison pleine de fenêtres ; https://www.google.fr/search?hl=fr&as_q=J%27ai+une+maison+pleine+de+fenètres&as_epq=&as_oq=&as_eq=&as_nlo=&as_nhi=&lr=&cr=&as_qdr=all&as_sitesearch=&as_occt=any&safe=images&as_filetype=&tbs=
  3. Avant toute chose, la vie est bonne :https://vivreetesperer.com/avant-toute-chose-la-vie-est-bonne/ Avoir de la gratitude : https://vivreetesperer.com/avoir-de-la-gratitude/ Dieu vivant : rencontrer une présence : https://vivreetesperer.com/dieu-vivant-rencontrer-une-presence/ Le miracle de l’existence :https://vivreetesperer.com/?s=le+miracle+de+l%27existence&et_pb_searchform_submit=et_search_proccess&et_pb_include_posts=yes&et_pb_include_pages=yes
  1. Entretien vidéo avec Bertrand Vergely à la Procure : https://www.youtube.com/watch?v=_iVWcwCCXvM
  2. Théosis : https://fr.orthodoxwiki.org/Théosis
  3. Dieu vivant, Dieu présent, Dieu avec nous dans un monde où tout se tient : https://vivreetesperer.com/dieu-vivant-dieu-present-dieu-avec-nous-dans-un-univers-interrelationnel-holistique-anime/
  4. Jürgen Moltmann. The living God and the fullness of life : https://vivreetesperer.com/?s=The+living+God+and+the+fullness+of+life+
  5. Richard Rohr. The divine dance : https://vivreetesperer.com/la-danse-divine-the-divine-dance-par-richard-rohr/
  6. Diana Butler Bass. Grounded. https://vivreetesperer.com/une-nouvelle-maniere-de-croire/
  7. Pierre LeBel. La spiritualité de l’être : https://www.temoins.com/la-spiritualite-de-letre/

 

La participation des expériences spirituelles à la conscience écologique

Selon un article de Jack Forster : Religious experience and ecology

 Nous subissons aujourd’hui les conséquences du manque de respect porté à la nature et de la maltraitance à son égard qui en est résulté. La crise écologique actuelle résulte de l’imposition d’une culture humaine dominatrice et manipulatrice à l’égard du vivant. En regard, une prise de conscience écologique apparaît aujourd’hui. Elle requiert un changement de genre de vie. Elle appelle une transformation des mentalités. Au total, nous avons besoin d’une nouvelle vision du monde. Cette mutation exige un renouvellement des connaissances et la prise en compte de nouvelles approches. Ainsi la dimension spirituelle s’affirme dans une écospiritualité » (1). Celle-ci a des visages multiples.

En Grande- Bretagne, depuis plusieurs dizaines d’années, il existe un centre de recherche qui aborde la question spirituelle à travers la recension et l’étude d’expériences spirituelles et religieuses spontanées, un soudain et passager ressenti mystique d’unité et de reliance, d’amour et de lumière ; c’est le « Alister Hardy Religious Experience Research Center » fondé en 1969 par Alister Hardy, un grand biologiste. Nous avons rapporté le rôle pionnier de ce centre en présentant un livre de David Hay, membre de la même équipe : « Something there » (2). Aujourd’hui, Jack Hunter, chercheur lui aussi au Centre de recherche sur l’expérience religieuse de l’Université du Pays de Galles, publie un livre où il s’interroge sur ce qu’une nouvelle approche des phénomènes paranormaux avec ses conséquences sur l’appréhension du monde peut apporter à la prise de conscience écologique : « Greening the paranormal. Exploring the ecology of extrordinary experience » (3). Le même auteur, Jack Hunter, vient de publier l’éditorial d’un numéro spécial du « Journal for the Study of Religious Expérience » (2021 N°2) intitulé : « Religious experience and ecology » (expérience religieuse et écologie » (4). Nous nous appuierons ici sur cet article.

 

Une personnalité emblématique : Alister Hardy, biologiste des environnements marins, puis chercheur sur l’expérience religieuse et spirituelle

Au départ, Jack Forster rend hommage au fondateur du Centre de recherche sur l’expérience religieuse, Sir Alister Hardy, en écrivant combien le thème du rapport entre écologie et expérience religieuse aurait été cher à son cœur. En effet, Alister Hardy a d’abord été un grand biologiste dans le domaine marin où il est reconnu pour ses recherches sur le plancton et les nombreuses connections que celui-ci entretient avec les écosytèmes marins. Il a été également l’inventeur du « continuous plankton recorder » (enregistreur continu du plancton) qui sert à suivre les niveaux de plancton dans l’océan, un dispositif qui est encore couramment utilisé dans ce domaine. Pendant plusieurs décennies, Sir Alister Hardy (1896-1985) a poursuivi une carrière académique avec des titres divers : professeur de zoologie et d’océanographie à Hull, professeur d’histoire naturelle à Aberdeen, et enfin, professeur de zoologie et d’anatomie comparée à Oxford.

Lorsqu’il prend sa retraite, il s’engage dans une nouvelle orientation de recherche gardée jusque là en veilleuse. En 1969, il fonde la « Alister Hardy Religious Experience Research Unit », devenu « Alister Hardy Religious Experience Research Centre » (5). Il entreprend là un travail particulièrement original : la collecte et l’analyse de récits sur les expériences spirituelles et religieuses. La question configurant la demande de récit était la suivante : « Vous est-il arrivé d’avoir conscience d’une présence ou d’une puissance (ou d’être influencée par elle) que vous l’appeliez Dieu ou non et qui est différente de votre perception habituelle ? ». Plus de 6000 documents de première main ont ainsi été recueillis et sont aujourd’hui accessibles.

Ainsi, dans la vie d’Alister Hardy, deux passions se sont conjuguées. « Dans ses notes autobiographiques, Hardy rapporte avoir eu dans son enfance des expériences dans la nature, des expériences puissantes et transformatrices. Celles-ci auront une influence significative sur le déroulement de sa vie et de son œuvre ». Jack Forster poursuit : « Alister Hardy rapporte comment étudiant, il lui arrivait de rêver en observant la conduite des papillons et d’avoir des moments d’extase en marchant le long des bords de la rivière près de son école à Oundle dans le Nottinghamshire ». Il écrit : « Il n’y a pas de doute que, comme jeune garçon, j’étais en train de devenir ce qui pourrait être décrit comme un mystique de la nature. Quelque part, je sentais la présence de quelque chose qui était au delà et cependant faisait partie de toutes les choses qui me ravissaient : les fleurs sauvages et vraiment aussi les insectes. Je rapporterais quelque chose que je n’ai jamais dit à quelqu’un auparavant, mais maintenant que je suis dans ma 88ème année, je pense que je puis l’admettre. Juste à l’occasion, quand j’étais sûr que personne ne pouvait me voir, je devins si impressionné par la gloire de la scène naturelle, que pendant un moment ou deux, je tombais à genoux dans la prière, non pas une prière pour demander quelque chose, mais une prière pour remercier Dieu que je sentais très réel pour moi, pour les gloires de son Royaume et pour m’avoir permis de les ressentir ». La conjugaison d’une expérience mystique et d’une mentalité scientifique chez Alister Hardy nous rappelle le même rapprochement rapporté par Jane Goodhall (6). Il y là un témoignage pour aujourd’hui.

 

Les  expériences extraordinaires de transcendance et la nature

Le philosophe W.T. Stace (1886-1967) a considéré que le mysticisme de la nature était une des formes principales du mysticisme. Les expériences correspondantes sont extraverties, tournées vers l’extérieur. « Elles sont suscitées par le paysage extérieur et le transfigure, induisant fréquemment un sens de l’unité sous-jacente du monde naturel ».

« Dans les archives du Centre Alister Hardy, il y a de nombreux récits analogues d’expériences transcendantes et extraordinaires apparemment induites par une immersion dans des systèmes écologiques vibrants ». Dans son étude pionnière des compte-rendus recueillis : « The spiritual nature of man » (1979) (la nature spirituelle de l’homme), Alister Hardy identifie « la beauté naturelle » comme un des déclencheurs les plus ordinaires des expériences religieuses, plus fréquents que l’adoration religieuse, en suggérant ainsi une corrélation importante entre les environnements naturels et les expériences extraordinaires ». Jack Forster cite Paul Marshall, auteur d’un livre récent sur la relation entre le monde naturel et les expériences mystiques. « Ces expérience sont importantes, car elles constituent un des principaux genres d’expériences prises en compte par les chercheurs ». Et, souligne Jack Forster, ces expériences jouent en faveur de la relation entre l’homme et la nature et d’une attitude pro-environnementale.

 

Phénoménologie et écologie : unité et diversité 

Les expériences extraverties dans des environnements naturels sont souvent associées à un sens d’unité (oneness) et de communion avec la nature, une caractéristique qui relie ces expériences avec les expériences mystiques du genre classique telles que celles qui sont vécues dans beaucoup de traditions mystiques du monde.

Jack Forster nous rapporte un exemple de récit (7) parmi ceux recueillis au centre Alister Hardy.

« Il y a une douzaine d’années, j’avais quatre grands ormes sur la pelouse de mon jardin. J’étais fortement attirée vers ces arbres et j’avais l’habitude de caresser leur tronc et de leur parler. Je sentais toujours leur réponse à travers une forte vibration à travers mes mains, puis à travers mon corps entier. Cela me donnait la conviction que j’étais Un avec tous les Êtres. Le même flux vital qui coule à travers mon corps, coule à travers toute végétation, les animaux, les oiseaux, les poissons, les minéraux, sous le sol et sous la mer, et même les pierres sur lesquelles nous marchons. Chaque chose animée ou inanimée est maintenu ensemble avec les atomes qui appartiennent à l’Être divin ».

Une conscience de l’unité de la nature apparaît dans ce témoignage. Mais il y en a d’autres où se manifestent tout autant la complexité et la diversité. L’auteur nous en propose un :

« Plus j’allais vers le village, plus les alentours paraissaient devenir vivants. C’était comme si quelque chose, qui avait été dormant quand j’étais dans le bois, venait à la vie. J’ai du dériver ver un état d’exaltation.

La lune, quand je la regardais, semblait être devenue personnalisée et observatrice comme si elle était consciente de ma présence. Une douce senteur remplissait l’air… La rivière me faisait entendre qu’elle m’avait déjà vu auparavant. Le sentiment que j’étais en train d’être absorbé dans un environnement vivant, gagnait en intensité et était en voie d’atteindre son apogée. Cela semblait sortir du ciel dans lequel des harmonies majestueuses résonnaient. La pensée que c’était la musique des sphères fut immédiatement suivie par une irruption de corps lumineux : météores ou étoiles circulant dans leurs courses prédestinées en émettant à la fois de la lumière et de la musique ».

« Des expériences comme celles-ci pourraient  être perçues comme des expressions d’une vision animiste, une réalisation de ce que Graham Harvey a éloquemment écrit : « Le monde est plein de personnes parmi lesquelles seules quelques unes sont humaines ….  ». Dans l’expérience ci dessus, un dialogue s’établit entre l’expérienceur et la rivière, la lune et les arbres. Mais ces voix multiples sont juste un prélude à l’apogée de l’expérience : l’harmonisation symphonique de voix diverses et nombreuses de la nature en un ensemble conçu comme « la musique des sphères ».

Ainsi Jack Forster peut déclarer : « Alors, les expériences religieuses extraverties révèlent une image du monde qui est à la fois fondamentalement « unitaire et interconnectée » et « diverse, complexe et multiple ». Jack Forster nous renvoie en regard à la manière dont des chercheurs se représentent les écosystèmes. Ainsi, le biologiste végétal, Frédéric Clements (1874-1945), « envisageait les écosystèmes comme des organismes à grande échelle, consistant en une multitude d’organismes plus petits inrerconnectés (plantes, animaux etc). Ces écosystèmes avaient tendance à se développer vers une complexité accrue et de plus grands niveaux de diversité et d’interconnection ». Il voyait là comme une progression finalisée vers un écosystème entrevue comme une apogée, « un organisme ou un superorganisme avec sa propre histoire de vie ayant suivi des voies téléologiques prédéterminées, allant constamment dans la direction d’une plus grande biodiversité et de la stabilité et de l’harmonie globale d’un superorganisme ». Cette conception des écosystèmes « résonne avec les expériences mystiques de la nature décrites plus haut ». Ces expériences spirituelles extraverties tournées vers la nature « peuvent être comprises comme des instances où l’expérienceur ne perçoit plus de séparation entre lui-même et les écosytèmes qui l’entourent, en devenant simultanément conscient de la diversité et de l’interconnectivité de la vie aussi bien que de son unité sous-jacente, lui-même imbriqué dans cet ensemble ». Jack Forster ouvre ainsi un horizon : « En ces moments où l’expérience est en harmonie avec la réalité écologique, nous pourrions dire que l’expérienceur est entré dans un état de « conscience écologique » ou qu’il a développé une conscience de son « soi écologique ».

 

L’expérience extraordinaire et le soi écologique

Le concept de « ecological self », le soi écologique provient des écrits du philosophe norvégien, Arne Naess (1912-2009). Celui-ci suggérait qu’à travers le processus de réalisation de soi, les êtres humains passeraient ultimement de conceptions égotiques du soi (bornées, individualistes) à un soi écologique. Le soi écologique émerge quand des personnes en viennent à s’identifier avec l’environnement dans la mesure où elles réalisent que la conservation du monde naturel est en même temps un acte d’auto-préservation. Au fond, « c’est la conscience qu’il n’y a pas de frontière solide et imperméable entre le soi et l’écosystème, que le soi est profondément imbriqué dans cet écosystème, qu’il fait partie d’un système écologique plus vaste et est connecté à tous ses autres aspects ». La science de l’écologie met l’accent sur les interrelations. Le soi écologique se construit à partir de cette conscience de l’interconnection.

Jack Hunter s’avance ensuite dans un champ plus vaste et plus conjecturel. En effet, il considère, dans une commune attention, les expériences religieuse et spirituelles et la gamme des expériences paranormales. Il y perçoit un certain nombre de similarités phénoménologiques comme « par exemple, le rôle de la lumière dans beaucoup d’expériences extraordinaires aussi bien que des similarités dans leurs effets postérieurs ». Les différents genres d’expériences extraordinaires sont « associés avec l’émergence d’une plus grande identification avec le monde naturel ». Jack Hunter envisage différentes expériences comme les expériences de sortie du corps ou les expériences proches de la mort. « Est-ce une coïncidence que les expériences paranormales, religieuses et autres extraordinaires soient associées avec une conception étendue du soi et un sens accru de la connectivité naturelle ? ». A la recherche d’explications, Jack Hunter envisage que ces expériences, bouleversant les expérienceurs, les écartent de leurs modèles d’interprétation habituels, les ouvrant ainsi à la conscience qu’ils font partie d’un monde vivant beaucoup plus large, d’un vaste « écosystème invisible ».

 

Décoloniser la recherche sur les expériences religieuses

Dans cet article, Jack Hunter aborde également un problème méthodologique. Le cadre actuel de la recherche sur les expériences religieuse s’étend-t-il suffisamment au delà de son point de départ occidental ? On imagine les gains qui pourraient advenir en sortant d’un cadre culturellement et méthodologiquement limité. C’est élargir l’horizon.

 

Une affinité entre les expériences spirituelles et religieuses et la conscience écologique

Il y a bien une affinité entre les expériences spirituelles et religieuses et la conscience écologique. C’est la conclusion de Jack Hunter.

« Pour résumer brièvement, il y a, de longue date, une reconnaissance de la relation entre l’expérience religieuse, mystique et spirituelle et le monde naturel. Vraiment, la fascination de Sir Alister Hardy pour ces deux champs découle de ses propres expériences religieuses extraverties durant son enfance. Les expériences religieuses extraverties paraissent révéler une relation dynamique entre l’unité et la diversité dans la nature. Certaines mettent l’accent sur l’unité sous- jacente de la nature tandis que d’autres mettent en valeur la complexité et la multiplicité. Cette relation dynamique se manifeste aussi dans les perspectives qui ont émergé de la science écologique qui considère les écosystèmes comme des entités holistiques constituées par de nombreuses parties prenantes interactives.

Les expériences religieuses extraverties sont des moments où les expérienceurs deviennent conscients et font eux-mêmes l’expérience de faire partie de ces vastes systèmes complexes ».

Cet  article nous parait particulièrement important. Le grand mouvement de la prise de conscience écologique n’appelle-t-il pas, en soutien, une mobilisation spirituelle et n’induit-il un nouveau regard sur le monde : le vivant, l’humain et le divin ? En correspondance, comment ce nouveau regard est-il accueilli et exprimé dans la théologie chrétienne ? Sur ce blog, on trouvera des réponses dans les approches de Jürgen Moltmann (8), de Richard Rohr et de Michel Maxime Egger.

JH

  1. Ecospiritualité. Une approche spirituelle : https://vivreetesperer.com/ecospiritualite/ On notera l’abondance et la diversité de la littérature anglophone sur le thème de la « spiritual ecology », du rapport entre écologie et spiritualité. Par exemple : Ecology and spirituality. Research Oxford encyclopedias. 2019 : https://oxfordre.com/religion/view/10.1093/acrefore/9780199340378.001.0001/acrefore-9780199340378-e-95
  2. La vie spirituelle comme une conscience relationnelle. Une recherche de David Hay sur la spiritualité d’aujourd’hui : https://www.temoins.com/la-vie-spirituelle-comme-une-l-conscience-relationnelle-r/
  3. Jack Hunter. Greening the paranormal. Exploring the ecology of extraordinary experience. 2019 https://www.amazon.fr/Greening-Paranormal-Exploring-Extraordinary-Experience/dp/1786771098
  4. Jack Hunter. Religious experience and ecology. Editorial : https://rerc-journal.tsd.ac.uk/index.php/religiousexp/issue/view/11
  5. Alister Hardy Religious Experience Research Center : https://www.uwtsd.ac.uk/library/alister-hardy-religious-experience-research-centre/
  6. Jane Goodhall : une recherche pionnière sur les chimpanzés, une ouverture spirituelle, un engagement écologique : https://vivreetesperer.com/jane-goodall-une-recherche-pionniere-sur-les-chimpanzes-une-ouverture-spirituelle-un-engagement-ecologique/ Richard Rohr nous introduit dans une démarche expérientielle dans sa séquence : Contempler la création (voir l’expérience de Sherri Mitchell) : https://vivreetesperer.com/contempler-la-creation/
  7. Expériences de plénitude : https://vivreetesperer.com/experiences-de-plenitude/
  8. Et sur le site : l’Esprit qui donne la vie : Un avenir théologique pour l’écologie selon Jürgen Moltmann : https://lire-moltmann.com/un-avenir-ecologique-pour-la-theologie/ En voici quelques extraits significatifs : « Les humains sont des êtres créés au sein de la grande communauté de la vie et ils font partie de la nature. Selon les traditions bibliques, Dieu n’a pas infusé l’Esprit divin seulement dans l’être humain, mais dans toutes les créatures de Dieu… Le Créateur est lié à la création non seulement intérieurement, mais extérieurement. La création est en Dieu et Dieu est dans la création… »
Élucider le mystère de la conscience

Élucider le mystère de la conscience

Selon la définition du dictionnaire Le Robert, la conscience est ‘la connaissance immédiate de sa propre activité psychique’. Selon une recherche google, ‘la conscience est la présence constante et immédiate de soi à soi’. Cette définition se poursuit ainsi : ‘C’est la faculté réflexive de l’esprit humain, c’est-à-dire la capacité de faire retour sur soi-même. C’est la conscience qui permet à l’homme de se prendre lui-même comme objet de se penser, au même titre que les objets extérieurs’. La conscience est ainsi au cœur de l’existence humaine. Mais n’est-ce pas la réduire que de la limiter à cette existence ? Depuis quelques décennies, un mouvement s’opère pour en élargir le champ. Nous le ressentons à travers de nombreuses découvertes. Le titre du nouveau livre de Patrice Van Eersel est à cet égard très significatif en se portant à l’extrême : ‘Le soleil est-il conscient ? Et les dauphins ? Et les baobabs ? Et l’IA ? Et vous-même ?’ (1) Le bas de couverture explicite l’intention de l’auteur : « Elucider le mystère de la conscience ». On comprend que cet ouvrage est la résultante ultime d’une quête engagée depuis des décennies.

« Ecrivain à Libération et à Actuel, rédacteur-en-chef de Nouvelles Clés Patrick van Eersel a longuement enquêté sur différents sujets alternatifs qui ont débouché sur des livres : ‘La Source noire’ (1986) sur les Expériences de Mort Imminente ; ‘Le Cinquième Rêve’ (1993) pour les contacts avec les animaux et les dauphins.; ‘La Source blanche’ (1996) sur l’histoire des dialogues avec l’Ange ; ‘J’ai mal à mes ancêtres’ (2002) sur la psychogénéalogie ; ‘Mettre au monde’ (2008) sur de nouvelles façons d’envisager la naissance » (page de couverture). Plus récemment, en 2021, Patrice van Eersel a publié un livre intitulé ‘Noosphère’ qui présente le cheminement de la pensée de Teilhard de Chardin (2). Tous ces livres sont réalisés à partir d’interviews d’acteurs et d’experts. Au long de plusieurs décennies, Patrice van Eersel a fréquenté un grand nombre de découvreurs et c’est sur eux qu’il s’appuie pour écrire ce nouveau livre sur la conscience. Dans un entretien avec Anne Guesquière sur le site Métamorphoses, il raconte sa quête, de rencontre en rencontre, avec des personnalités remarquables (3). C’est un chemin de découverte relaté en page de couverture : « Cela parait fou, mais les faits sont là. La conscience parait habiter l’univers entier. Dans toutes les cultures anciennes, la conscience habite l’intégralité des êtres de l’univers. Les monothéismes puis les modernes l’ont progressivement réduite à une exclusivité humaine. D’universelle, elle est devenue le propre de nos cerveaux hyper-complexes. – et nous sommes supposés être ‘seuls dans l’immensité indifférente de l’univers d’où nous avons émergé par hasard’, comme dit le credo matérialiste. Or ce monopole glacé craque de tous les côtés » (page de couverture). A partir d’une immense culture qui s’est forgée dans la rencontre avec tous ceux qui mettaient en évidence des réalités et des compréhensions nouvelles, ‘une cinquantaine de scientifiques, thérapeutes, philosophes et témoins de l’extraordinaire’, Patrice van Eersel fait apparaitre des convergences, l’émergence d’un paysage nouveau. « C’est une révolution à double sens. D’une part descendant des sommets de la théorie, les découvertes de la physique quantique démontrent que la réalité intime de la matière présente des similarités troublantes avec ce que nous appelons ‘conscience’. D’autre part, remontant de la base, d’innombrables observations et expériences empiriques nous mettent en relation de résonance intelligente et sensible avec les animaux, mais aussi avec les végétaux, voire les minéraux, et peu à peu avec l’univers entier visible et invisible » (page de couverture). L’auteur entre alors dans une nouvelle vision : « Tout se passe avec une constante troublante comme si, à chaque niveau, la conscience ressemblait à une musique. Une musique issue d’un silence infiniment subtil » (page de couverture).

Nous trouvons dans ce livre la description de phénomènes déjà plus ou moins abordés au cours de notre parcours et exposés sur ce site https://vivreetesperer.com/ecospiritualite/. Il y a dans ce livre de 450 pages une abondance d’informations et une piste de réflexion qui se poursuit dans un va-et-vient d’un interlocuteur à l’autre. C’est dire que nous ne pouvons pas le présenter selon notre manière habituelle. Nous nous bornerons à en présenter quelques extraits.

 

Aux origines de la quête

En 1981, l’auteur part enquêter en Californie au sujet des expériences de mort imminente appelé à cette époque ‘Near death experiences’ (NDE). Il reconnait l’impasse des chercheurs voulant expliquer le phénomène par la neurochimie. Il rencontre les pionniers qui mettent en évidence le caractère extraordinaire du phénomène, le psychiatre Raymond Moody et le psychosociologue Kenneth Ring. Pour l’auteur, c’est un point de départ de cette recherche sur la conscience. « Quelque fut leur fascination, ce n’était pas la mort que ces chercheurs s’acharnaient à élucider. Comment était-il possible qu’au moment où leur cœur avait cessé de battre, certaines personnes aient pu connaitre une lucidité extraordinaire, unique dans leur vie, doublée le plus souvent du souvenir d’un bonheur si ineffable que leur existence s’en était trouvée changée à jamais, la peur de mourir les ayant définitivement quittés » ? (p 21).

« Cette impression se trouvait renforcée par toutes sortes de témoignages. Ces témoins-là rapportaient des expériences en tous points semblables aux EMI (Expérience de mort imminente)… sauf qu’ils n’avaient jamais couru le risque de mourir… Pour certains, le décollage hors corps vers la grande lumière d’amour et de connaissance s’était effectuée depuis le quotidien le plus banal, à la terrasse d’un café ou lors d’une balade en forêt » (p 21) (4).

Une autre convergence se dessinait. « De grands professionnels de la méditation, venus notamment du yoga, du zazen ou du tantrisme apportaient une contribution inattendue. Selon eux, la description de l’EMI correspondait à s’y méprendre à ce que leurs disciplines respectives nommaient ‘pur éveil’ ou ‘conscience cosmique’ » (p 21).

A la même époque, Patrice rencontre le mouvement naissant des soins palliatifs. La confrontation avec la mort l’interroge. Il sort bouleversé de sa participation à un séminaire animé par cette personnalité pionnière que fut Elisabeth Kübler-Ross. Il s’était trouvé avec une centaine de personnes en extrême souffrance. La compassion transformait toute l’assemblée en chœur de pleurs… « Ce que j’allais découvrir, c’est qu’accompagnés par une praticienne aussi chevronnée qu’Elisabeth Kübler-Ross, qui avait tenu la main de milliers de mourants, mes compagnes et compagnons de grande infortune réussissaient à traverser cette vallée de larmes pour atteindre l’autre rive » (p 23). C’était un nouvel état d’esprit. « J’étais donc revenu de ce séminaire avec la conviction que, sans les femmes fondatrices des soins palliatifs, sans leur incroyable capacité à réveiller l’humain moderne de sa transe technicienne, la recherche des hommes qui ont mis en évidence le phénomène des expériences de mort imminente aurait paru si fantasque, si déracinée du réel… qu’à mon avis, elle n’aurait pu être intégrée au corpus commun » (p 24).

 

L’apparition d’une convergence

En remontant dans son passé, Patrice van Eersel y voit la manière dont sa quête et apparue et s’est affirmée, nourrie par des rencontres qui ont révélé une multitude de convergences.

« Presque un demi-siècle s’est écoulé depuis mes premières explorations américaines. Et, tout à coup, prenant du recul, cela s’est imposé à moi comme le nez au milieu de la figure : si tous mes reportages pour Actuel, et plus tard Nouvelles Clés, puis Clés n’ont pas exclusivement tourné autour de l’énigme de la conscience, je peux dire que ce fut bien le cas de ceux qui ont vraiment compté pour moi. Depuis le musicien Jim Nollman qui joue de la guitare dans un canoé en concert avec les orques du Pacifique, jusqu’à l’astronaute américain Edgar Mitchell revenant de la lune amoureux de la terre, en passant par la nageuse et dessinatrice Gitta Mallasz, dernier témoin de l’aventure prophétique des Dialogues avec l’ange, ou du pianiste Ray Lema, découvrant comment les villages de la forêt congolaise sont régulés par des ‘roues rythmiques’, j’ai eu la chance immense de pouvoir rencontrer des dizaines d’hommes et de femmes passionnants et géniaux dont l’essentiel de la quête tournait finalement autour de l’énigme de la conscience » (p 15).

 

Un nouveau regard scientifique sur le monde : la mécanique quantique

Plusieurs mouvements convergent pour entrainer un changement de notre vision du monde et donc de notre représentation de la conscience

« Je suggère que pour la plupart de nos contemporains, la façon de se figurer la conscience a fortement évoluée au cours du dernier siècle avec la double poussée d’un mouvement ‘top down’ et d’un mouvement ‘bottom up’. Peut-on dire ce qui s’est passé quand ces deux mouvements se ont rencontrés ? Se pourrait-il que cela ait profondément changé l’ADN de nos sociétés ? » (p 186). L’auteur envisage le mouvement ‘bottom up’ comme celui qui se manifeste dans de nouvelles expériences humaines comme les visions suscitées par les psychadéliques, la découverte des ‘gymnosophies d’orient’, un nouveau regard sur la mort engendré par les expériences de mort imminente. Et d’autre part, il envisage ce qu’il intitule le mouvement ‘top down’ comme la nouvelle représentation du monde qui nous est communiquée par des scientifiques : la mécanique quantique.

« Aujourd’hui, malgré sa grande complexité mathématique originelle, le concept de ‘quantique’ s’est répandu du sommet vers le bas dans un mouvement ‘top down’, une vulgarisation décomplexée que l’on retrouve propagée dans toutes sortes de réseaux… » (p 75). Selon l’auteur, ‘la mécanique quantique reconstruit notre vision du monde de A à Z’. L’auteur a, très tôt, rencontré un chercheur en ce domaine, le physicien David Bohm. Il rapporte son propos : « Au bout de la logique quantique, toute solitude s’avère désormais partielle, voire illusoire : il n’existe plus d’entité ni d’individu isolé, l’univers entier est relié et se comporte comme un seule gigantesque interconnexion, cachée derrière une mosaïque infiniment morcelée des apparences ». L’auteur va encore plus loin dans cette représentation révolutionnaire « Pris dans un ‘tissu supral’, comme l’a baptisé Emmanuel Ransford, toile d’araignée invisible qui relie les milliards de billiards de trilliards de particules cosmiques, chacun de nous peut, s’il sait donner à sa vigilance une densité et une sérénité suffisantes, non seulement communiquer avec les organes qui composent son propre corps – pour les connaitre, les harmoniser et les soigner en leur envoyant ‘des intentions bienveillantes’ – mais entrer en contact avec les autres éléments de l’univers, sans limite dans l’espace-temps » (p 77). Certes, ce bouleversement des représentations rencontre des résistances. En effet, les enjeux sont immenses. « Deux millénaires et demi après Aristote, les axiomes de base de la science occidentale ne demeurent désormais valides que dans un périmètre restreint. L’essentiel devient flou. La matière n’existe plus en tant que ‘chose’, mais laisse la place à un ‘tissu relationnel’ obéissant à de probabilités aléatoires, qui s’étendent à l’univers entier » (p 78). « Même au bout d’un siècle, comment notre système des pensée cartésien-newtonien, matérialiste, mécaniste, réductionniste et individualiste jusqu’au bout des ongles, pourrait avaler pareille métamorphose » (p 78). Une question se pose également, ‘comment peut-on passer du micro au macro ?’. Cette interrogation s’exerce dans le champ de la biologie. Selon l’auteur, la logique quantique se manifeste très largement. « Ce qui est vrai pour nos technologies de pointe l’est a fortiori pour les processus autrement sophistiqués qui meuvent les organismes vivants… De plus en plus de biologistes, de généticiens, de thérapeutes abondent en ce sens… Depuis vingt ans, les publications se multiplient. Sur l’essentiel, les arguments convergent : aucun phénomène biologique – en première ligne, citons l’olfaction, la photosynthèse, la machinerie génétique et toute l’activité neuronale – ne serait explicable sans faire appel aux lois quantiques, ne serait-ce que pour des raisons de temps et de vitesse » (p 81). « Selon Morvan Salez, ‘nos molécules communiquent les unes avec les autres. Elles chantent ensemble’. N’est-ce pas dans cet esprit qu’un biophysicien a eu (l’idée de faire pousser des légumes dans le désert en stimulant leur métabolisme, non avec de l’eau, mais avec des musiques, c’est-à-dire des résonances, processus éminemment quantique » (p 80).

 

Le post-matérialisme nait du croisement de deux révolutions

Patrice van Eersel nous décrit un puissant mouvement de transformation culturelle. « Il y a un siècle des calculs sophistiqués de la haute physique théorique, ce que je propose d’appeler le mouvement ‘top-down’, est peu à peu descendu jusque dans la société civile, où il suscite une multitude de pratiques de tous acabits, généralement qualifiées de ‘quantiques’. En sens inverse, le mouvement ‘bottom-up’, fonde une foule d’expériences subjectives, psychédéliques dans les cas extrêmes, mais aussi de vécus spirituels ou mystiques, parfois dits paranormaux (l’EMI étant la plus connue), et a progressivement informé la société entière de bas en haut, jusqu’à son sommet, obligeant les élites intellectuelles à le prendre en considération, avec beaucoup de réticence d’abord, mais de façon irréversible » (p 109). L’auteur nous rapporte un exemple de cette diffusion des nouvelles manières de voir. Ainsi, début 2019, est-il invité au colloque ‘Etats de conscience aux frontières de la mort’ à la Faculté de médecine de Paris. C’est donc une entrée de l’examen du phénomène des EMI dans l’espace même de l’Université française. L’organisatrice du colloque, Laurence Lucas Skalli, psychiatre et psychanalyste, veut « inciter la médecine française à s’ouvrir au champ immense de l’étude de la conscience et de son impact sur la guérison » (p 109). « Laurence Lucas Skalli ne visait rien de moins que la fondation d’une association internationale qui sera bientôt baptisée ‘Conscience sans frontières’. Pour lancer ce projet, elle a réussi à convaincre… d’éminents universitaires et chercheurs qui vont intervenir dans ce colloque. Ces personnalités reconnues dans leur domaine de compétence ont donc accepté ‘de réfléchir ensemble au fait que, aux frontières de la vie, la conscience s’avère décidément plus insaisissable que tout ce que la science avait supposé jusque là’ ». Patrice découvre en même temps d’innombrables initiatives du même acabit à travers le pays. Dès lors, à lui qui travaillait sur ces questions depuis longtemps, il apparait « que notre société s’ouvre à nouveau comme quand dans les années 1980, sous l’égide de François Mitterand et de son amie Marie de Hennezelle, s’ouvrirent en France les premières unités de soins palliatifs » (p 118).

« La conclusion de cette semaine passionnante porte le nom philosophique ‘phénoménologie’. La phénoménologie ouvre la voie à une foule d’actions pratiques, puisqu’elle signifie qu’on ne cherche plus les causes premières ni l’essence des choses, mais que l’on se concentre sur le ressenti, le subjectif, l’intériorité » (p 112). Cette séquence se poursuit par des interviews de Patrice avec des thérapeutes engagés autour de la compréhension et la mise en valeur des EMI. Elle débouche sur une rencontre avec le chercheur québécois Mario Beauregard (5). Et avec lui, nous allons pouvoir envisager le postmatérialisme en mouvement.

Patrice van Eersel fut invité à un atelier sur les synchronicités auquel Mario Beauregard participait. Il nous raconte la vie de celui-ci. « Né dans une ferme, Mario Beauregard a grandi très proche de la nature… Il est encore gamin quand il vit une expérience mystique de fusion avec la forêt (5) qu’il n’oubliera jamais et fait naitre en lui le rêve d’exercer un métier qui lui permettrait de comprendre ce qui lui est arrivé. Il vivra plusieurs autres expériences spirituelles très fortes dont ‘une sortie du corps’ d’autant plus marquante qu’il est alors atteint d’une maladie très inquiétante que personne ne sait soigner. Un ‘être de lumière’ lui apparait alors, qui le rassure en lui annonçant qu’il survivra à ce qu’il doit considérer comme une forme d’initiation. Son rêve d’enfance se trouve galvanisé – il veut absolument comprendre ce que tout cela signifie et donc étudier la nature de la conscience ». (p 120). Il devient docteur en neurologie et docteur en neurobiologie. Il parvient à utiliser les grosses machines à imagerie de sa faculté pour observer des états modifiés de conscience. En 2006, son étude sur les cerveaux d’une communauté de carmélites en prière le rend célèbre. « Il établit que les pratiques spirituelles peuvent à ce point influencer le cerveau que de vieilles religieuses censées être atteintes de maladies neurologiques graves – car leurs réseaux corticaux s’avèrent passablement délabrés – tiennent en fait vaillamment le coup. Comme si leur esprit pouvait avoir sur leur corps des effets plus qu’insoupçonnés » (p 121). Ses recherches dérangent les autorités de la faculté de Montréal. En 2013, il rejoint l’Université d’Arizona où il travaille sous la houlette de Gary Schwartz, directeur du Laboratoire de recherche sur la conscience et la santé à Tucson. Ils décident d’organiser une rencontre internationale entre des scientifiques non conformistes. « L’accord principal n’a pas été long à émerger : l’approche matérialiste réductionniste a apporté à l’humanité des découvertes prodigieuses, mais elle en a profité pour faire passer sa méthodologie au niveau ontologique, c’est-à-dire qu’elle prétend avoir le dernier mot sur la nature du réel, qu’elle réduit à la matière. Comme si, en dehors de celle-ci, rien n’existait » (p122) (6). Le paradigme dominant actuel ne parvient pas à prendre compte en grand nombre de phénomènes nouvellement identifiés. « C’est le cas avec des phénomènes comme la perception extrasensorielle, la psychokinésie, la télépathie, la clairvoyance, les VSCD (Vécus Subjectifs de Contact avec un Défunt), les EMI, les sorties du corps ou la lucidité terminale. Mais la liste ne s’arrête pas là. Comment expliquer plus généralement l’intuition, le processus de création, l’hypermnésie ou le génie des autistes Asperger… » (p 124). En regard, différentes hypothèses sont envisageables. « Pour tenter d’expliquer que la conscience n’émerge pas, mais qu’elle est comme une donnée primordiale qui transcende ce que nous croyons savoir de la matière-énergie et de l’espace-temps, Robert Sheldrake, par exemple, plaide pour une approche ‘panpsychique’ – un terme repris à Francesco Patrizi, philosophe italien du XVIe, qui suppose que dans l’univers, toute entité fondamentale ou organisée a une forme de conscience. D’autres chercheurs se réfèrent plutôt au ‘monime neutre’ qui, de Spinoza à Bertrand Russell, avance l’idée que la conscience et la matière sont deux aspects complémentaires et irréductibles l’un à l’autre, de la même mystérieuse réalité fondamentale… » (p 125).

 

 

Communiquer avec les animaux

Le changement de vision relaté dans ce livre s’étend aux animaux et aux plantes. Comme nous avons pu déjà nous en rendre compte, ce livre échappe à un résumé tant par son étendue que par son bouillonnement. Les différents chapitres ne peuvent être rapportés de la même manière. Certains s’écrivent à partir de vécus rapportés par des personnalités originales. Ainsi les récits de rencontres avec les grands animaux marins comme les dauphins et les orques nous surprennent en nous entrainant dans un univers féérique où la communication parfois intime avec des hommes et des femmes se réalise à travers des rêves ou à travers la télépathie. L’auteur aborde également la communication animale telle qu’elle s’exerce au plan terrestre. Il cite les livres sur la subjectivité animale écrits par Viviane Despret, psychologue éthologue (7), comme ‘Habiter en oiseau’ ou ‘Penser comme un rat’.

« Nous vivons une époque étrange où, d’une part, se multiplient les initiatives de communication animale inter espèces, et où, de l’autre, nous exterminons, sans même y penser des millions d’animaux » (p 180). C’est à travers des interviews que l’auteur nous décrit des initiatives de communication animale.

Ainsi nous entretient-il de Karine lou Matignon, auteur du livre ‘Sans les animaux, le monde ne serait pas humain’, et de beaucoup d’autres. « Grande amie des chevaux, Karine en a sauvé un certain nombre de l’abattoir. Cette femme ultrasensible a consacré sa vie à tenter de faire comprendre les animaux à ses congénères… ». Elle constate des progrès dans cette compréhension : « Depuis que j’ai commencé à creuser ma piste, même en France, le pays le plus conservateur et le plus matérialiste que je connaisse, les mentalités ont énormément évolué. Quand, avec des dizaines d’experts, nous avons rédigé ‘Révolutions animales’, qui est une sorte d’encyclopédie, je me suis rendu compte qu’en soixante-dix ans, notre regard sur les animaux avait franchi plusieurs paliers.

L’un des premiers acteurs du changement a été Konrad Lorenz quand, dans les années 1950, il a exigé de pouvoir étudier les animaux hors des labos dans leur milieu de vie. C’est lui qui a inspiré Jane Goodhall (7) et les autres grandes primatologues. Si aujourd’hui, on peut aller jusqu’à parler sérieusement de ‘l’individualité de la fourmi’, du ‘blues de l’araignée’ ou de la ‘conscience du poisson’, j’ai envie de dire que c’est grâce à lui » (p 183).

Karine Lou Matignon est également une soignante. L’auteur rapporte un de ses récits. « Elle avait recueilli un pauvre vieux chat de gouttière tout mité. Mais ce chat était farouche. Il ne fallut pas moins de huit mois pour que sa protectrice puisse enfin poser la main sur lui… ‘Je l’ai caressé et il a léché ma main pour la première fois. J’étais toute contente… Un mois plus tard, une nuit, j’ai fait un rêve où il me disait ‘Je meurs’… Le lendemain, une voisine l’a découvert gisant devant son portail. Il avait tenu à me dire au revoir comme pour me remercier’ » (p 184). « En soi, le fait de communiquer par rêve ou par télépathie avec autrui, humain ou animal, n’a pas étonné Karine. Elle a ce don depuis l’enfance ».

Dans cette riche séquence sur les animaux, l’auteur a également rassemblé « huit toutes petites histoires de chien, de chat, de chouette et de perroquet » (p 287). Nous y avons noté l’histoire de ce chien qui allait s’assoir devant la porte d’entrée pour attendre sa maitresse rentrant du travail. En observant, on s’aperçut que ce manège n’était pas lié à une ouïe très fine. De fait, il commençait « à l’instant précis où sa maitresse décidait de rentrer chez elle » (p 189).

Cette séquence se termine par une enquête émouvante : l’expérience terrifiante que l’écrivaine Isabelle Sorente a vécu dans un élevage industriel de porcs, un processus horrible décrit en ces quelques mots ‘calcul ultrarationnel qui métamorphose en coulée de matière organique des êtres vivants – des mammifères proches de nous à plus d’un titre’. Cependant, un jour, il se produisit un évènement remarquable. « Un après-midi quand l’écrivaine, dans sa combinaison, s’apprête à sortir de cet espace de mort, des centaines de truies, enserrées dans l’acier, le sentent aussitôt et braquent leurs regards sur cette visiteuse étrangère bien repérée depuis plusieurs jours. Alors, elle se mettent à crier toutes ensembles. Un hurlement insensé. Comme si elles appelaient au secours ». L’auteur va plus loin dans son commentaire ; « comme si elles suppliaient Isabelle de ne pas oublier la ‘magie de sympathie’ qui met les vivants en résonance les uns avec le autres ».

« La plongée d’Isabelle Sorente pourrait bien nous rappeler une vérité que les temps civilisés nous ont fait oublier : les animaux connaissent la ‘magie de sympathie’ de façon innée. Mieux que nous parce que c’est ainsi qu’ils communiquent » (p 193).

 

L’expression des végétaux

La nature n’est pas passive. Elle n’est pas indifférente. Elle n’est pas muette Tout communique. Pout le monde végétal, c’est une grande découverte et elle est récente. Patrice van Eersel consacre une séquence à cette prise de conscience.

On peut désormais reconnaitre, capter et diffuser la musique émise par les végétaux. L’auteur nous raconte sa rencontre avec deux pépiniéristes installés dans les Landes, Jean et Frédérique Thoby. « Leurs jardins et leurs terres sont des merveilles où s’entremêlent toutes sortes de végétaux aux couleurs, aux parfums et aux goûts les plus variés, des plus petits légumes aux plus grandes fleurs ». C’est dans ce lieu qu’au cours d’une conférence, l’auteur a pu entendre la musique jouée par ces plantes. Ce fut un enchantement. « Une musique des plus étonnante. A la fois, impressionniste dans sa douceur – on la dirait composée par des elfes ou des fées – et expressionniste dans son phrasé très accidenté. Quand ce sont plusieurs plantes qui jouent en même temps, vous vous dites que le jardin d’Eden ne pouvait pas déployer des jeux d’harmonie plus surprenants » Mais comment cela fonctionne-t-il techniquement ? « Spontanément, cette musique n’est pas audible pour nos oreilles. Pour que sa subtilité apparaisse dans la portion du spectre sonore que capte notre ouïe, il faut qu’on ait branché sur les feuilles et dans les racines de la plante, les électrodes d’un biodynamiseur, une machine inventée par des ingénieurs ayant suivi les directives du physicien Joël Sternheimer… » (p 197).

L’auteur commente ainsi cette réalisation. « Les plantes ne jouent pas de la musique au sens strict… Ce qui est certain, c’est que, comme tous les êtres vivants, leur vitalité s’exprime à chaque instant par des activités électriques. Captées par des sondes, ces impulsions peuvent être traduites de toutes sortes de manières ; cependant, cette traduction musicale correspond, bel et bien et subtilement, aux plantes elles-mêmes. Elles y réagissent en effet illico, en modifiant leurs mélodies et harmonies dans un mouvement de feed-back – si la traduction ne leur plait pas, elles se taisent ». Des chercheurs ont établi que les activités électriques des végétaux émettaient en fait des ultrasons (dont la gamme des fréquences correspondait à celles qu’émettent aussi les chauve-souris). Mais le plus fou est que ces sons influencent le métabolisme des autres espèces, végétales mais aussi animales. Cette influence inter-espèce et même inter-règne, constitue en soi une énigme colossale (p 198).

Cependant, nous découvrons ensuite que des exploitations agricoles utilisent avec succès des ‘protéodies’, c’est-à-dire, à la suite des recherches de Joël Sternheimer, une mélodie de protéine. Le conférencier écouté par l’auteur, Jean Thoby, raconte qu’un de ses voisins viticulteurs ne parvenant pas à se débarrasser de l’oïdium malgré un usage massif de produits phytosanitaires a réussi à s’en débarrasser grâce à l’utilisation de leur biodynamiseur pendant un an. Il assure que « nous disposons aujourd’hui de centaines d’expériences prouvant, à grande échelle, que notre mode de culture est efficace et même très efficace, puisque que dans certaines exploitations, les rendements ont augmenté de 30 ou 40%, et cela alors que les agriculteurs n’utilisent plus le moindre gramme d’intrants chimiques ! » (p 200).

L’auteur poursuit en racontant une expérience spectaculaire, ‘L’homme qui fait pousser des tomates dans le désert’. Un jeune ingénieur, Pedro Ferrandez, voulant contribuer à prouver l’efficacité de l’approche de Joël Sternheimer expérimente la technique correspondante dans une culture de tomates de ses parents. Plusieurs protéodies de tomate sont utilisées, notamment celle d’une protéine active dans la floraison et une autre dans la résistance à la sécheresse. Résultats renversants : en pleine chaleur estivale de 2004, les feuilles des plantes qui ont reçu de la musique… restent vertes alors que les autres sont sèches. D’abord menée en Suisse, l’expérience fut ensuite invitée à faire ses preuves, dans une exploitation horticole sénégalaise où Joël démontre que les protéidies permettent de résister aux insectes et que l’on peut obtenir de très belles tomates avec dix fois moins d’eau » (p 297).

Patrice en vient à s’interroger également aux ressentis des plantes. Ainsi, il nous raconte comment deux chevaux très différents ont été guéris par l’expression musicale de fougères, bien vivantes. Or on constata que les expressions furent différentes en s’adaptant à la condition de chaque cheval. « Tout s’était donc passé comme si chacune s’adaptait à son patient. Donc qu’une communication s’était établie entre l’animal malade et la plante thérapeute. Comme si une communication s‘était manifestée entre l’individu végétal et l’individu animal. Par quel mystérieux jeu de résonance ? (p 213).

En s’interrogeant sur ‘la compassion des végétaux’, un univers revint à la mémoire de l’auteur, celui des Kogis, « une ethnie précolombienne restée intacte, protégée par les montagnes, où elle s’est réfugiée de plus en plus haut pour échapper aux envahisseurs » (p 51). On pouvait retrouver dans cette ethnie une mentalité humaine en osmose avec la nature telle qu’elle avait émergée au début de l’humanité. Pour les Kogis, « les choses étaient claires : soit tu comprends que la nature constitue un vaste corps, vivant et conscient, que tu dois respecter avec le maximum d’humilité, et alors tu peux poursuivre ta route, soit tu ne comprends pas et tu es malheureusement fichu » (p 52).

En s’interrogeant sur ‘la compassion des végétaux’, Patrice van Eersel se rappelle que pour les habitants de la Serra Nevada de Santa Marta, tout notre malheur écologique et climatique actuel vient de ce que nous sommes devenus sourds aux innombrables communications (notamment musicales) que tous les êtres vivants tissent entre eux à chaque instant et que les cultures anciennes semblaient entendre, au moins en partie, les imitant par exemple dans leurs chants de guérison, comme en témoignent encore certaines communautés en Australie, en Amérique latine et en Afrique » (p214).

 

Une nouvelle vision du monde

Pour rapporter ce livre et contribuer à en faire connaitre l’apport décisif, nous avons présenté quelques-unes des fenêtres ouvertes par cet ouvrage. A la simple lecture de ces échappées, on comprend la richesse phénoménale de cette enquête tant par l’ampleur de son champ, la richesse de la documentation, les rencontres avec un grand nombre de découvreurs, la persévérance de la réflexion. Le sujet est immense. Si on relit le titre ‘Le soleil est-il conscient ? Et les dauphins ? et les baobabs ? Et le cristal ? Et l’IA ? Et vous-même ?’, on se rend compte combien nos aperçus sont très loins d’avoir couvert ce grand continent. Ils encouragent seulement à lire cet ouvrage de bout en bout.

De même, la fin de l’ouvrage appelle une lecture réfléchie, pas à pas. L’auteur nous y propose des chemins d’interprétation et de discernement. Il y évoque, bien sûr, le péril actuel, « la mortelle mise en danger de notre biosphère » (p 318) et les moyens d’y faire face. Les dernières séquences ouvrent une voie.

« Pourquoi chanter relie la Terre au Ciel » (p 389). Ainsi Jill Purce, enseignante de méditation par le chant en Angleterre sait expliquer de quelle façon chanter pour ouvrir notre conscience sur les plus hautes sphères et nous faire accéder au cœur d’une guérison à la fois physique, émotionnelle et spirituelle » (p 398). Elle a exploré également de nombreuses voies spirituelles notamment auprès des Tibétains et des Amérindiens (p 381). « Le pouvoir absolu de la musique, c’est qu’elle est le dernier phénomène qui vient nous rassembler (religere en latin), ravivant le sentiment d’appartenance à un tout, que Spinoza nommait joie (p 401), conclut l’auteur.

La dernière séquence explore la dimension spirituelle et évoque la méditation et le silenc: « Et si la conscience jaillissait d’un silence très subtil » (p 403). Ici, Patrice van Eersel interview, entre autres, son ami, Jean-Yves Leloup, ‘prêtre orthodoxe, théologien très suivi’. L’auteur retient l’idée que, dans différents contextes, « on puisse remonter à la même source d’inspiration, mais avec des niveaux de conscience étalés sur un immense éventail ». Et, « Quel que soit ‘le niveau de conscience’ d’une personne visitée ou non par une inspiration supérieure, la question est surtout de savoir quelle est l’origine, la source de sa conscience. Si je prends le prologue de Saint Jean, je lis que le commencement est un Logos qui nous échappe.  C’est une pure lumière, une vacuité, un Silence. Et notre conscience nait de ce silence… Saint Jean précise aussi que ce Logos est créateur, habité d’Eros, de désir. C’est par lui que toute existence prend forme. La conscience est donc première » (p 429-420). Jean-Yves Leloup distingue la conscience des états de conscience qui s’étalent dans l’horizontalité alors que le retour à la conscience nous dresse dans une verticalité qui passe du Silence pour y retourner » (p 422). Il précise aussi que « la conscience n’est pas de l’ordre de la substance, mais de l’ordre de la relation… Le fond de l’Être, c’est une relation. Dans la tradition chrétienne, c’est ce que nous appelons la Trinité » (p 424).

La pensée de Jean-Yves Leloup prend en compte l’état du monde dans lequel nous vivons. « Nous sommes de plus en plus nombreux à penser que peut-être, la seule chose que nous puissions faire pour être utiles à l’humanité – et au cosmos, puisque tout est inter-relié – c’est de nous asseoir et de méditer plutôt que de nous activer. L’Internationale des consciences créée par Catherine Arno et Jean-Yves Leloup avec l’aide d’ Ines Weber et Abdennour Bidar, de l’association Sésame, se veut liée à la Terre, aux cinq continents, parce que partout il y a des femmes et des hommes, de chair et d’os, qui prennent le temps de s’asseoir, de se tenir en silence, de tenter de se relier à ce qui est la Source à la fois de la vie, de la conscience, de l’intuition, de l’amour. Ces gens qui méditent sont de plus en plus nombreux dans le monde et ont envie d’être reliés les uns aux autres ». Et de rappeler que « des recherches scientifiques ont permis de constater que là où plusieurs personnes méditaient, la violence baissait » (p 425-426).

Ce livre nos parait quasiment incomparable, car, de tous côtés, il y converge de connaissances nouvelles à partir d’interviews avec un grand nombre de découvreurs et de penseurs. Et de plus, l’auteur nous présente ces découvertes avec pédagogie. Ici, Patrice van Eersel nous fait partager sa quête sur la manière d’envisager la conscience aujourd’hui et il débouche sur une vision : « Oui, décidément oui cette dimension mystérieuse que nous appelons ‘conscience’ habite l’univers entier et pas seulement le cerveau et le cœur d’ ‘Homo sapiens’ (p 435).

 

Une vision chrétienne en réception de la perspective du livre de Patrice van Eersel

Patrick van Eersel nous apporte une nouvelle vision du monde : l’affirmation de la conscience à partir de convergence d’un grand nombre de faits et de ressentis qui vienne s’ajuster comme dans un puzzle. C’est une vision qui rompt avec une conception matérialiste et individualiste longtemps dominante telle qu’elle s’est exprimée dans ‘Le hasard et la nécessité’ de Jacques Monod. Cependant, peut-on dire qu’elle vient également corriger une pensée théologique qui s’était enfermée dans l’humain et était sortie de la création. La vision nouvelle de la conscience généralisée vient rebattre les cartes. Elle peut être bien accueillie par les théologiens que nous consultons sur ce blog : Jürgen Moltmann, auteur du livre ‘Dieu dans la création’ paru dans les années 1980, Richard Rohr, animateur du Centre pour l’action et la contemplation et auteur du livre ‘La Danse divine’ qui met en évidence la présence dans le monde d’un Dieu trinitaire et donc communion, Michel Maxime Egger, dont la pensée théologique s’inscrit dans la révolution écologique. Quelques extraits de auteurs viendront résonner avec la perspective émergente de Patrice Van Eersel.

En 2019, dans son livre : ‘The Spirit of hope’ (9), Jürgen Moltmann reprend le fil d’une pensée qui s’est développée pendant plusieurs décennies :

« Une approche historique montre qu’à partir du XVIe siècle, une volonté de puissance s’est imposée à partir d’une approche scientifique et d’une interprétation biblique. L’humanité est devenue « le centre du monde ». Seul l’être humain a été reconnu comme ayant été créé à l’image de Dieu et supposé soumettre la terre et toutes les autres créatures. Il devint ‘le Seigneur de la Terre’ et dans ce mouvement, il se réalise comme le maitre de lui-même… La vision de la nature a été la conséquence d’une représentation de Dieu… ‘Dieu a été pensé comme sans le monde, de la façon à ce que le monde étant sans Dieu puisse être dominé et que le monde puisse vivre sans Dieu’. Et le monde étant compris comme une machine, l’humain est menacé d’être considéré également comme une machine.

Mais, aujourd’hui, une compréhension écologique de la création est à l’œuvre. « Le Créateur est lié à la création non seulement intérieurement, mais extérieurement. La création est en Dieu et Dieu dans la création. Selon la doctrine chrétienne originelle, l’acte de création est trinitaire. Le monde est une réalité non divine, mais il est interpénétré par Dieu… » Ce qui ressort d’une vision trinitaire, c’est l’importance et le rôle de l’Esprit. « Dans la puissance de l’Esprit, Dieu est en toute chose et toute chose est en Dieu… » Au total, « l’Esprit divin est la puissance créatrice de la vie. Le Christ ressuscité est le Christ cosmique et le Christ cosmique est ‘le secret du monde’… » Aujourd’hui, « l’essentiel est de percevoir en toutes choses et dans la complexité et les interactions de la vie, les forces motrices de l’Esprit de Dieu et de ressentir dans nos cœurs l’aspiration de l’Esprit vers la vie éternelle du monde futur ».

Dans son livre : ‘la danse divine’, Richard Rohr en revenant aux sources du christianisme affirme une vision relationnelle de Dieu. « Dieu est celui que nous avons nommé Trinité, le flux (flow) qui passe à travers toute chose sans exception et qui fait cela depuis le début. Toute impulsion vitale, toute force orientée vers le futur, tout élan vers la beauté, tout ce qui tend vers la vérité… est éternellement un flux du Dieu trinitaire… Maintenant, nous voyons bien que Dieu n’est pas, n’a pas besoin d’être ‘une substance’ dans le sens d’Aristote et de quelque chose d’indépendant de tout le reste. En fait, Dieu est lui-même relation. Comme la Trinité, nous vivons intrinsèquement dans la relation. Nous appelons cela l’amour. Nous sommes faits pour l’amour. En dehors de cela, nous mourrons très rapidement… » Le mystère trinitaire peut être également entrevu dans le code de la création. « Ce qu’à la fois les physiciens et les contemplatifs affirment, c’est que le fondement de la réalité est relationnel. Chaque chose est en relation avec une autre ».

Dans un de ses livres ‘Ecospiritualité’, Michel Maxime Egger nous appelle à ‘réenchanter notre relation à la nature’. L’envergure de cette réflexion se marque à travers six grandes parties : Relier écologie, science et religion ; réenchanter la nature ; redécouvrir la sacralité de la terre ; être un pont entre la terre et le ciel ; transforme son cosmos intérieur ; devenir un méditant militant. « La prise de conscience écologique appelle une nouvelle conscience spirituelle, mais aussi un renouvellement des héritages religieux… » « Le préfixe ‘trans’ est un mot latin qui signifie par-delà. Il sied bien à l’écospiritualité. Celle-ci est transcendante, transreligieuse, transdisciplinaire, transmoderne… ».

L’auteur note également le rapport avec une évolution scientifique et nous retrouvons là la recherche de Patrice van Eersel. « L’écospiritualité se nourrit également des apports de la science postmoderne vulgarisés par des figures comme Frank Capra et Rupert Sheldrake. Ce vaste chantier a été ouvert par de nouvelles approches qui se sont développées au XXe siècle entre l’infiniment grand et l’infiniment petit » Michel Maxime Egger évoque lui aussi les voies du ‘panenthéisme’. « Le panenthéisme est une voie du tout en Dieu et de Dieu en tout. C’est l’approche de Jürgen Moltmann. C’est aussi la voie des théologiens orthodoxes, mais aussi de nombreux théologiens très divers de Teilhard de Chardin à Léonardo Boff… Le panenthéisme unit le divin et la nature sans les confondre… Au total, quel que soit la forme du panenthéisme, la nature est plus qu’une réalité matérielle obéissant à des lois physiques et chimiques. Elle est un mystère habité d’une conscience et d’une présence ».

Voici donc quelques pistes théologiques en regard de la réflexion de Patrice van Eersel sur la vision nouvelle du monde qu’il nous propose. Manifestement, la lecture de son livre est un point de départ indispensable pour une réflexion commune en vue de compréhension de la réalité telle qu’elle nous apparait aujourd’hui.

J H

  1. Patrice van Eersel. Le soleil est-il conscient ? Et les dauphins ? Et les baobabs ? Et le cristal ? Et l’IA ? Et vous même ? Elucider le mystère de la conscience. Guy Trédaniel, 2025
  2. Un horizon pour l’humanité : la noosphère. Selon Patrice van Eersel : https://vivreetesperer.com/un-horizon-pour-lhumanite-la-noosphere/
  3. Interview de Patrice van Eersel sur son livre au site : Métamorphoses : https://www.google.fr/search?hl=fr&as_q=métamorphose+patrice+van+Eersel+you+tube&as_epq=&as_oq=&as_eq=&as_nlo=&as_nhi=&lr=&cr=&as_qdr=all&as_sitesearch=&as_occt=any&as_filetype=&tbs=#fpstate=ive&vld=cid:382bdaf7,vid:dbqjd70KuRI,st:0
  4. La participation des expériences spirituelles à la conscience écologique : https://vivreetesperer.com/la-participation-des-experiences-spirituelles-a-la-conscience-ecologique/
  5. Comment nos pensées influencent la réalité ? : https://vivreetesperer.com/comment-nos-pensees-influencent-la-realite/
  6. Une nouvelle science de la conscience : https://vivreetesperer.com/la-nouvelle-science-de-la-conscience/
  7. Une vision nouvelle des animaux : https://vivreetesperer.com/une-vision-nouvelle-des-animaux/
  8. Jane Goodhall. Une recherche pionnière sur les chimpanzés : https://vivreetesperer.com/jane-goodall-une-recherche-pionniere-sur-les-chimpanzes-une-ouverture-spirituelle-un-engagement-ecologique/
  9. Un avenir écologique pour la théologie moderne : https://vivreetesperer.com/un-avenir-ecologique-pour-la-theologie-moderne/
  10. La danse divine : https://vivreetesperer.com/la-danse-divine-the-divine-dance-par-richard-rohr/
  11. Ecospiritualité : https://vivreetesperer.com/ecospiritualite/

 

Voir aussi
Spiritualité et psychiatrie :
https://vivreetesperer.com/spiritualite-et-psychiatrie/
Lytta Basset. Une approche nouvelle de l’au-delà : https://vivreetesperer.com/une-revolution-spirituelle-une-approche-nouvelle-de-lau-dela/